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Bonjour, mesdames et messieurs. Bienvenue aux membres du comité.
Il s'agit de la séance no 42 du Comité permanent du développement des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées. Aujourd'hui, nous entreprenons une nouvelle étude intitulée « Exploration du potentiel de la finance sociale au Canada ».
Pour nous aider à amorcer notre étude, nous avons invité des représentants ministériels. Du ministère de l'Emploi et du Développement social, nous accueillons, d'abord, Mme Siobhan Harty, directrice générale de la Direction de la politique sociale, Division de la politique stratégique et recherche; et M. Blair McMurren, directeur de l'Innovation sociale, Division de la politique stratégique et recherche.
Merci à vous d'être venus, madame Harty et monsieur McMurren.
Nous sommes assez souples aujourd'hui. Nous avons proposé une réunion d'une heure, sous toutes réserves; cependant, je ferai preuve de souplesse côté gestion du temps, et nous passerons ensuite à la période de questions.
J'ai un autre point à ajouter. Nous devons traiter une question budgétaire très brève à la fin de notre réunion, ce que nous ferons lorsque nous aurons épuisé nos questions.
Madame Harty, la parole est à vous.
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Merci beaucoup. Je suis ravie d’être ici cet après-midi.
Nous vous avons distribué une présentation en PowerPoint dans les deux langues officielles. Je propose d’en voir les grandes lignes avec vous sans passer en revue toutes les diapositives. Nous pourrons ensuite couvrir d'autres sujets pendant la période de questions.
J’aimerais commencer par la diapositive no 2 et vous donner une définition de la finance sociale. C’est particulièrement à propos compte tenu de la teneur de votre étude. En termes simples, la finance sociale consiste à utiliser l’argent de façon à générer des retombées à la fois sociales et financières. C’est une approche qui mobilise de multiples sources de capitaux pour générer des résultats sociaux mesurables et positifs ainsi qu’un dividende économique.
La finance sociale permet de faire des investissements supplémentaires et d’accroître les fonds dont l’on dispose pour élaborer, offrir et mettre à niveau des approches éprouvées visant à régler les questions socioéconomiques dans nos collectivités. Elle englobe de nouvelles approches à l’égard de l’investissement. Souvent appelée « investissement d’impact », la « finance sociale » peut être remplacée par « investissement social ». On a décrit l’investissement d’impact comme une pratique visant à investir activement des capitaux dans les entreprises et des fonds qui génèrent des avantages sociaux, environnementaux ou les deux, et au moins un principe nominal pour l’investisseur.
Je passe maintenant à la diapositive no 3 pour répondre à la question: pourquoi la finance sociale? Pourquoi des pays comme le Canada, le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Australie et d’autres optent-ils pour la finance sociale? Au Canada, la volonté d’explorer cette option est surtout venue du secteur sans but lucratif. Elle a été appuyée par la création du Groupe d’étude canadien sur la finance sociale, groupe non gouvernemental qui a publié un rapport en 2010 et un rapport de suivi en 2011.
Malgré le solide filet de sécurité du Canada et ses programmes dans la collectivité, certains groupes continuent de faire face à des enjeux socioéconomiques complexes. Les gouvernements, les organismes communautaires et les investisseurs du secteur privé en sont venus à reconnaître qu’ils ne peuvent s’attaquer à ces défis sans aide. On souhaite trouver de nouvelles façons de le faire par le truchement de partenariats axés sur les enjeux sociaux pour lesquels les types d’intervention sociale traditionnels n’ont pas fonctionné.
Un marché de la finance sociale bien établi — comme ceux qui se développent au Royaume-Uni et aux États-Unis — débloquerait de nouvelles sources de capitaux pour les organismes communautaires. Ces capitaux proviennent principalement de fondations privées; nous en avons d’importantes au Canada en plus d’autres sources. Elles offrent au secteur privé — j’y inclus les fondations — de nouvelles options pour investir de façon socialement responsable et ont permis aux gouvernements de réaliser des économies en affectant efficacement des ressources aux enjeux sociaux complexes.
En outre, la finance sociale requiert aussi l’utilisation rigoureuse de mesures et d’évaluation pour déterminer si les résultats escomptés ont été atteints afin d’assurer l’utilisation efficace des ressources et de rendre compte de l’utilisation des fonds publics.
Passons maintenant à la diapositive no 4. Une chose à prendre en note concernant le marché de la finance sociale ou de l’investissement social est qu’il s’agit d’un marché comme tous les autres. Si nous pouvons vous l’expliquer en ces termes, vous serez en terrain de connaissance. En pratique, la façon dont les marchés fonctionnent varie d’un pays à l’autre et parfois même d’une région à l’autre, comme c’est le cas au Canada. Certains acteurs joueront plus d’un rôle ou ils seront actifs dans plus d’un aspect du marché.
À l’instar d’autres marchés financiers, le marché de la finance sociale compte trois grandes composantes. Il y a l’offre, qui fournit le capital. Un certain nombre de joueurs sont actifs dans ce secteur, comme les fondations, les institutions financières et les investisseurs privés, pour n’en nommer que quelques-uns. Il y a la demande, qui vient d’une gamme d’organismes à but lucratif et sans but lucratif, notamment des organismes de bienfaisance, des organismes sans but lucratif, des entreprises sociales, des coopératives et des entreprises à mission sociale. Entre les deux se trouvent les intermédiaires, les agents qui essaient de rapprocher les deux côtés du marché: l’offre et la demande. Ces intermédiaires s’efforcent de faciliter les marchés en offrant de l’expertise pour le développement de l’offre et de la demande et pour permettre la croissance efficiente du marché global.
La présentation en PowerPoint donne des exemples d’intermédiaires. Au bas de la page, j’aimerais vous faire remarquer que, comme dans tout autre marché, il faut un cadre fiscal et réglementaire — le rôle que doit jouer le gouvernement pour façonner le marché global.
On estime à environ 2,2 milliards de dollars la taille du marché actuel au Canada. Des prévisions réalisées par le Centre d'investissement d'impact MaRS suggèrent qu’il pourrait atteindre les 30 milliards de dollars dans une dizaine d’années si toutes les parties du marché se rejoignent pour former une situation optimale.
Passons maintenant à la diapositive no 5.
[Français]
Voici certains exemples d'organisations qui fournissent des capitaux pour la finance sociale. Il s'agit généralement de gros investisseurs, de banques ou d'autres institutions financières et de fondations.
Certaines de ces organisations cherchent à augmenter l'offre de finance sociale en général ou elles recourent à des investissements de finance sociale dans le cadre d'une mission sociale particulière, par exemple le développement des communautés autochtones.
[Traduction]
La diapositive no 6 donne des exemples d’intermédiaires qui sont relativement actifs sur la scène canadienne. Comme je l’ai fait remarquer plus tôt, les intermédiaires essaient de rapprocher les deux côtés du marché, mais étant donné que le nôtre est assez petit, certains joueurs jouent actuellement sur tous les plans. On constate que certains organismes, comme MaRs ou Trico, sont des intermédiaires, mais que Trico est un bon exemple d’organisme qui offre aussi des subventions par l’intermédiaire d’une fondation.
[Français]
La page 7 présente quelques exemples d'organisations qui ont besoin de financement social pour développer et élargir des interventions novatrices ou qui utilisent des mécanismes de finance sociale pour poursuivre leur mission sociale. Il s'agit généralement d'entreprises sociales à but non lucratif ou d'organismes de bienfaisance entrepreneuriaux.
[Traduction]
Ici, nous avons des exemples d’organismes qui fonctionnent du côté de la demande.
J’aimerais maintenant passer à la diapositive no 8 pour avoir une image du marché avec l’offre, la demande et les intermédiaires et ensuite souligner pour vous certaines des initiatives gouvernementales au pays. Nous les avons divisées en deux secteurs d’activité généraux: les règles et règlements — vous vous rappellerez que j’ai parlé de l’élément fondamental que les gouvernements peuvent fournir en créant un environnement favorable — et l’investissement direct.
Pour souligner certains secteurs d’activité du côté de l’offre, le gouvernement de la Saskatchewan envisage d’adopter une loi sur le financement collectif. Le financement collectif est assez commun, au Canada, comme ailleurs. La Saskatchewan essaie de voir si le gouvernement a un rôle à jouer dans la réglementation de ce type d’activité. Nous savons qu’il peut être une source de financement incroyable et qu’il est possible de le faire très rapidement pour réaliser différentes missions sociales.
En outre, si l’on prend la deuxième colonne, « Capitaux », le gouvernement de la Nouvelle-Écosse envisage la possibilité d’offrir un crédit d’impôt pour capital-risque. Côté demande, le gouvernement de la Colombie-Britannique a instauré une entreprise à contribution communautaire sous forme de loi. Reconnaissant que certaines de nos catégories traditionnelles de sociétés ne nous permettent pas d’avancer dans ce secteur, il a tenté de trouver un intermédiaire entre les entreprises traditionnelles et les organismes de charité traditionnels.
Si l’on prend l’investissement direct, on a déjà un certain nombre de véhicules pour offrir de la finance sociale. Un exemple solide et bien établi dans la province de Québec est la Fiducie du Chantier de l’économie sociale; c’est un joueur important. En outre, au sein de mon propre ministère, nous avons travaillé à un projet de microprêts pour aider les immigrants récents à obtenir la reconnaissance de leurs titres de compétences étrangers pour qu’ils puissent exercer leur activité professionnelle au Canada et participer au marché du travail.
En outre, pour ce qui est des capitaux, la Saskatchewan est digne de mention pour avoir lancé la première obligation à impact social au Canada. Elle est à petite échelle, environ 1 million de dollars, mais elle a lancé cette partie du marché.
Enfin, si l’on prend le renforcement de la capacité, j’aimerais simplement faire remarquer qu’au Canada, nous avons une vaste gamme, je dirais, d’organismes à l’échelon local qui ont déjà entrepris des activités à vocation sociale et des activités axées sur la mission. Nous en nommons quelques-unes ici.
Prenons maintenant la diapositive no 9. J’ai dit tout à l’heure que le marché commence à prendre de l’essor au Canada. Il est naissant, mais un point important à prendre en note est qu’il ne vise pas du tout à remplacer le financement gouvernemental. Il est vraiment complémentaire; il vient s’ajouter au financement gouvernemental. Un des objectifs que j’ai mentionnés tout à l’heure est de pouvoir obtenir différentes sources de financement pour composer avec des enjeux sociaux complexes.
On semble présumer que les gouvernements et leurs partenaires seraient mieux placés pour régler des enjeux socioéconomiques complexes en proposant de nouvelles idées et de nouvelles sources de financement, mais au fur et à mesure qu’ils le font, il faudrait réexaminer certaines questions. Comme c’est le cas pour tout autre marché, lorsque l’on essaie de faire croître un marché du capital-risque ou un autre type de marché, pour y arriver, il vous faut parfois faire diverses interventions, que ce soit du côté de l’offre ou de la demande. Nous avons vu la même chose dans d’autres pays.
Avant de passer à la prochaine diapositive, je vais conclure en disant que la finance sociale ne convient pas nécessairement à toutes les questions sociales ou à toutes les populations cibles. Quand les pays choisissent cette option, ils examinent leurs populations vulnérables sur divers points et se tournent vers leurs partenaires à ces endroits pour déterminer si une région est propice à la finance sociale. Le principal avantage de la finance sociale est qu’elle permet d’opter pour une approche préventive, car cela doit se faire à long terme; il arrive souvent qu’avec du financement à court terme, il ne soit pas possible de privilégier pareille approche.
Passons maintenant à la diapositive no 10. J’ai mentionné à quelques reprises que d’autres pays avaient opté pour la finance sociale, le principal étant le Royaume-Uni. Il a été très engagé dans l’établissement de la finance sociale à l’échelle nationale, mais il ne s’est pas arrêté là. En 2013, il a décidé de profiter de sa présidence du G8 pour lancer un groupe international de travail sur l’investissement social formé d’États membres du G7. J’ai eu le privilège d’y siéger à titre de représentante du gouvernement du Canada en compagnie de Tim Jackson du Centre d'investissement d'impact MaRS.
Nous avons passé une année à visiter la plupart des pays du G7 et à nous entretenir avec tous les acteurs du marché. Nous avons ensuite rédigé un rapport, qui a été publié en septembre 2014. En fait, il y a une série de rapports. Le Canada a aussi publié son propre rapport, comme les autres pays du G7; ces rapports se trouvent tous sur un site Web.
Le Royaume-Uni est donc un chef de file, suivi de près par les États-Unis qui offrent divers types de modèles de rémunération au rendement ainsi que des obligations à impact social. L’Australie a lancé des obligations à impact social. D’autres pays examinent leurs cadres juridique et réglementaire en se demandant s’ils peuvent prendre des mesures pour financer la circulation de différents types de capitaux dans le marché.
J’aimerais conclure en vous rappelant qu’il s’agit d’un phénomène qui a émergé à l’échelle internationale. Je dirais qu’il s’agit d’un autre outil que les gouvernements peuvent utiliser pour composer avec les enjeux socioéconomiques. Cependant, il importe que vous adhériez au principe de partenariat, car les gouvernements n’agissent pas seuls: ils doivent collaborer avec divers secteurs de la société pour pouvoir favoriser l’innovation et trouver de nouvelles sources de capital. Le gouvernement fédéral a commencé à évaluer le potentiel de la finance sociale, tout comme certaines provinces, notamment la Saskatchewan, la Colombie-Britannique, l’Ontario et la Nouvelle-Écosse. Alors que nous, du gouvernement fédéral, étudions diverses possibilités pour l’avenir, nous nous inspirerons de ce qui se passe à l’échelle internationale et des leçons tirées par d’autres pays.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Je voudrais tout d'abord remercier les témoins qui se sont déplacés pour nous faire part d'explications concernant la finance sociale.
Je dois dire que la finance sociale est un sujet tout nouveau pour moi. Lorsque j'ai fait mes recherches, mes devoirs, si on peut dire, j'ai constaté qu'il y avait tout de même encore beaucoup de questionnements à propos de ce nouveau programme. Plus précisément, je suis tombée sur une étude réalisée par l'Université Carleton et dans le cadre de laquelle 150 groupes communautaires ont été interrogés au Canada. Il ressort de cette étude trois conclusions principales dont je vais vous faire part.
Premièrement, les groupes communautaires ne souhaitent pas recourir à des instruments de finance sociale car ils n'ont ni l'expertise ni les ressources requises pour le faire.
Deuxièmement, les problèmes inhérents aux contrats à court terme sont des obstacles au développement de leurs activités.
Troisièmement, leurs activités se développent mieux s'ils reçoivent un financement stable plutôt qu'un financement par projet.
Ils précisent d'ailleurs dans cette étude que, pour attirer les investisseurs, il faudra leur consentir un taux d'intérêt. J'aimerais vous poser quelques questions sur ces taux, d'autant plus que le projet pilote de Rotterdam, qui est cité dans le document de la Bibliothèque du Parlement, accorde un taux d'intérêt de 12 %.
J'aimerais savoir, en ce qui concerne les projets financés de cette façon, quel pourcentage de l'argent est consacré aux frais d'administration et aux taux d'intérêt.
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Volontiers. Je serai heureuse de répondre à cette question.
Vous avez raison de dire que les entreprises sociales canadiennes éprouvent généralement de la difficulté à accéder aux capitaux, mais cette situation ne vaut pas seulement pour le Canada. Selon moi, c'est parce qu'on a l'habitude de penser qu'il s'agit d'un secteur sans but lucratif. Bien entendu, il est important de souligner que ce secteur est assujetti à certaines lois; c'est là un point qu'il ne faut pas perdre de vue lorsque vous examinerez cette question au comité.
Au fond, le modèle d'affaires n'est pas bien compris par les institutions financières traditionnelles. De nombreuses entreprises sociales au Canada emploient des personnes vulnérables qui ne seraient pas embauchées par des entreprises ordinaires. Les entreprises sociales jouent donc un rôle très important du point de vue du marché social et du marché du travail parce qu'elles permettent d'intégrer certains groupes vulnérables sur le marché du travail; ces personnes n'auraient autrement pas de travail et elles vivraient de l'aide sociale. C'est dire que les entreprises sociales jouent un rôle fondamental. Toutefois, elles ne sont pas reconnues en tant que telles et elles ont du mal à accéder aux capitaux. Elles se butent à des obstacles qui les empêchent d'élargir leur modèle d'affaires. Les banques traditionnelles ne leur accordent pas de prêts. La principale option dont elles disposent, ce sont les subventions — du moins, c'est ce que je crois. Pour pouvoir accéder à d'autres sources de fonds en vue de prendre de l'expansion, elles ne peuvent recourir qu'à certaines institutions financières. Les banques coopératives sont un bon exemple. Vancity à Vancouver, en Colombie-Britannique, est une banque coopérative qui consent des prêts à ces types d'organismes. Presque à l'autre bout du pays, au Québec, on trouve des coopératives et des banques, dont Desjardins, qui sont également disposées à accorder des prêts à ces organismes. Ces institutions financières ne les considèrent pas nécessairement comme étant des entreprises risquées.
Si l'on tient à ce que plus d'institutions financières emboîtent le pas, deux choses sont nécessaires. D'abord, les entreprises sociales devraient être en mesure d'élaborer une analyse de rentabilisation qui est compréhensible pour les institutions financières traditionnelles, mais ces institutions devront, elles aussi, mettre la main à la pâte et reconnaître que l'investissement dans les entreprises sociales ne comporte pas le risque perçu. D'ailleurs, certaines données montrent que le taux de faillite des entreprises sociales est inférieur à celui des petites et moyennes entreprises. Elles ont un bon modèle d'affaires. Elles ne sont pas forcément des entreprises hasardeuses. Il faut communiquer ce fait aux institutions financières pour permettre aux entreprises sociales d'accéder aux sources de capitaux.
En même temps, les banques subissent d'importantes pressions, et ce, sous diverses formes; ainsi, certains Canadiens aimeraient faire des investissements qui apportent un rendement sur le plan social et financier. De plus en plus, les banques examinent leurs produits et elles se demandent s'il y a lieu de créer des moyens pour les investisseurs canadiens — qu'ils soient des individus bien nantis ou des gens qui veulent investir dans leurs REER de différentes façons — afin de les aider à atteindre leur objectif.
Bref, je crois que ces deux facteurs permettront d'élargir, à bien des égards, l'approvisionnement en capitaux pour les entreprises sociales au Canada.