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Chers collègues, je déclare la séance ouverte. Merci beaucoup.
Il s'agit de la 56e séance du Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées. Nous sommes ici aujourd'hui pour la dernière rencontre avec des témoins en vue de terminer notre exploration du potentiel de la finance sociale au Canada.
J'aimerais tout d'abord vous présenter Andrew Lauzon. Il est ici aujourd'hui pour remplacer Jessica, qui a dû s'absenter pour des raisons d'ordre familial.
J'aimerais également souhaiter la bienvenue à nos témoins. Bonjour. Je sais que nous avions pris un autre engagement avec vous. Nous ne l'avons pas respecté, car les délibérations de la Chambre des communes nous avaient empêchés d'être ici avec vous.
De Finance for Good, nous accueillons aujourd'hui M. Lars Boggild, vice-président, Est du Canada, et Justin Bertagnolli, qui est partenaire dans cette organisation. Nous accueillons également en personne — il est indiqué que vous comparaîtrez par vidéoconférence, mais vous êtes ici — Sally Guy, coordonnatrice, politique et communications, de l'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux. Par vidéoconférence, nous accueillons M. James Mulvale, doyen et professeur associé de la faculté de travail social de l'Université du Manitoba.
Bienvenue à tous.
Chaque organisation dispose d'un temps de parole de 10 minutes. Vous pouvez le partager entre témoins si vous le désirez ou l'utiliser comme bon vous semble. Je vous ferai signe à la neuvième minute pour vous permettre de conclure. Il vous restera environ une minute à ce moment-là. Les députés présents vous poseront ensuite des questions.
Nous pourrions commencer avec Finance for Good. Je ne sais pas lequel d'entre vous, monsieur Boggild ou monsieur Bertagnolli, prendra la parole, mais je vous prie de commencer.
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Merci beaucoup de nous accueillir de nouveau, monsieur le président. Permettez-moi d'abord de vous dire à quel point je suis heureux de comparaître devant vous aujourd'hui. Nous tenons beaucoup aux occasions de collaborer avec nos partenaires du gouvernement, du secteur communautaire et du secteur privé pour améliorer la vie des Canadiens dans nos collectivités. Je le pense très sincèrement.
Dans notre témoignage, nous examinerons deux moyens de tirer le meilleur parti de tous les secteurs en matière de finance sociale ainsi qu'une feuille de route pour ce marché. Cela dit, nous allons d'abord vous donner une idée de la façon dont nous en sommes arrivés à voir la question sous cet angle. Nous avons présenté un mémoire au comité le 11 mars; je crois qu'on l'a fait circuler. Il porte sur certaines des recommandations plus stratégiques et plus précises que nous avons formulées; nous serons heureux d'en discuter au moment de poser des questions.
Je vais commencer par mettre en contexte notre organisme, Finance for Good. Il s'agit d'un organisme à but non lucratif qui rêve à un Canada où les investissements dans la prévention et l'intervention précoce constituent une grande priorité et où ils sont appréciés adéquatement en fonction de l'incidence qu'ils peuvent avoir. Nous pensons que la recherche de mécanismes nous permettant de cerner, de soutenir et de favoriser la croissance de programmes efficaces visant des enjeux sociaux en amont pour prévenir des conséquences négatives sur le plan social et environnemental ainsi qu'en matière de santé présente d'énormes avantages sociaux et économiques.
Dans cette optique, notre organisme est d'abord un intermédiaire dans les domaines de la rémunération au rendement et de la finance sociale. Depuis sa création en 2012, nous avons conseillé des gouvernements provinciaux, des fondations et des organismes de prestation du secteur social partout au Canada alors qu'ils adoptaient des approches novatrices pour financer la mise en oeuvre de programmes d'intervention préventive ou précoce nouvellement créés ou en croissance. Notre organisme est notamment un chef de file canadien en ce qui a trait au recours aux obligations à impact social et au financement axé sur les résultats. C'est d'ailleurs là-dessus que portera notre témoignage aujourd'hui. Nous avons travaillé et nous continuons de travailler activement avec nos partenaires pour surmonter les obstacles qui ont limité jusqu'ici le recours aux obligations à impact social, tels que les choix d'émission, la conception des interventions et l'évaluation de l'impact.
Nous offrons cette aide technique à titre de partenaires d'organisations pour que les aspects sociaux et économiques des résultats qu'elles obtiennent soient clairs, pour qu'elles puissent déterminer ce qui est important et pour qu'elles disposent de systèmes de gestion du rendement favorables à une mise en oeuvre efficace.
Dans cette optique, nous avons travaillé avec des clients du secteur public, dont le Service de police d'Edmonton, et du secteur social, tels que le Comité central mennonite, afin de leur procurer une étude d'impact, une stratégie d'évaluation et des modèles économiques visant à renforcer la confiance à l'égard de la faisabilité d'initiatives d'émission d'obligations à impact social pour que nous puissions les mettre en oeuvre dans le cadre d'un partenariat.
En nous appuyant sur la mise en contexte d'un point de vue pratique que nous présenterons, je mettrai l'accent sur ce que nous considérons comme une approche misant sur le meilleur de tous les secteurs et une feuille de route pour exploiter le potentiel de financement axé sur les résultats dans le cadre de la finance sociale au Canada.
Premièrement, nous croyons qu'il faut adopter une approche misant sur le meilleur de tous les secteurs pour apporter des changements sociaux nécessaires. Nous avons constaté que les initiatives de finance sociale telles que l'émission d'obligations à impact social représentent un effort de collaboration. Il ne s'agit pas tout simplement de rendre le secteur social plus semblable au secteur privé, mais plutôt de tirer parti de ce que chaque secteur a de mieux à offrir et d'élaborer les partenariats qui conviennent le mieux à tous les intervenants.
Par exemple, nous pouvons apprendre de ce que le secteur privé a de mieux à offrir lorsque nous nous éloignons du statu quo, d'un financement qui est souvent accordé avec peu de données qui appuient l'efficacité d'un programme au bout du compte. C'est ce qui a été confirmé grâce aux évaluations que nous avons menées auprès d'une douzaine d'organisations dans le cadre d'ateliers qui nous ont permis de constater le manque relatif de renseignements utiles fondés sur des résultats.
Comparons cela à des approches où les programmes efficaces reçoivent des ressources supplémentaires pour croître et aider plus de gens, pour possiblement devenir une politique. Nous pensons que ceux qui ne sont pas aussi efficaces devraient être adaptés ou attirer avec le temps une moindre proportion des ressources limitées. Les évaluations fondées sur des données constituent donc un aspect essentiel de ces projets en renforçant le degré de confiance à l'égard de ce qui fonctionne pour des populations précises et de ce qui ne fonctionne pas de façon plus continue.
Nous pouvons également tirer profit de ce que le secteur social a de mieux à offrir lorsque ces outils offrent la marge de manoeuvre permettant aux dirigeants locaux des divers secteurs d'évaluer les programmes et de choisir ceux qui sont les plus profitables pour leurs bénéficiaires. Étant donné que le gouvernement paye pour des résultats, pas pour des façons de procéder, le secteur est libre d'innover pour y parvenir. Par exemple, le taux de participation des ex-délinquants dans le premier programme financé par des obligations à impact social au Royaume-Uni, qui mettait l'accent sur la récidive, est passé de 37 à 71 % entre les deux premières années et les deux années suivantes de sa mise en oeuvre. De toute évidence, c'est une amélioration remarquable de la façon de procéder, que les fournisseurs de services concernés attribuent à l'approche axée sur les résultats et à la capacité d'analyse des partenaires qui ont été mises à contribution dans le cas des obligations à impact social de Peterborough.
Nous pouvons aussi voir ce que le secteur public a de mieux à offrir lorsqu'il mise sur la responsabilité publique pour définir les priorités sociales et mettre l'accent sur les défis sociaux de longue date dans une optique d'optimisation des ressources. On peut en tirer parti en passant d'un statu quo dans lequel les données sont parfois recueillies, mais rarement transmises entre ministères ou associées aux fournisseurs de services, à une approche grâce à laquelle nous saisissons cette occasion institutionnelle pour recueillir les données sur un recours important aux systèmes et en faire un suivi, et pour tenter chaque fois que c'est possible de comprendre les avantages découlant des dépenses pour la prestation des services concernés.
De plus, des fonctionnaires nous ont souvent dit que les décisions relatives à un financement substantiel sont prises en fonction de la façon de procéder des fournisseurs de services. On leur demande souvent de présenter des modèles logiques et des théories du changement, et ils doivent rendre des comptes en ce qui a trait au respect de leur idée initiale. C'est différent d'une approche selon laquelle le gouvernement agit comme un acheteur de résultats — l'achat de bons résultats — dans des domaines où il faut expérimenter davantage.
Ces avantages ne sont pas l'apanage de la finance sociale — nous en sommes conscients —, mais les initiatives de ce genre permettent d'établir les partenariats et de mobiliser les ressources nécessaires pour que tous les acteurs se concentrent sur ces améliorations communes et positives selon nous.
Deuxièmement, à propos de la feuille de route pour ce marché, nous recommandons fortement d'adopter une vision à long terme et d'être conscient que l'on appuie la création d'un marché. Je pense qu'il convient de se souvenir de ce qu'il est possible de faire à mesure que le marché se développe et que tous les acteurs apprennent à collaborer plus efficacement. Notre travail est axé sur une utilisation plus efficace des deniers publics qui peut venir à bout de certains des risques et des défis associés à l'attribution de ressources supplémentaires pour intervenir précocement alors que nos systèmes de soins actifs, comme ceux offerts dans les prisons et les salles d'urgence, sont déjà surchargés, et qu'on ne sait pas vraiment si les investissements en amont donneront les résultats escomptés. Il s'agit aussi d'utiliser les fonds privés de manière à obtenir de plus grandes répercussions sociales. Par exemple, je sais que M. Stephen Huddart, de la Fondation de la famille J. W. McConnell, ainsi que d'autres témoins vous ont dit souhaiter un plus grand nombre d'investissements sociaux qui aiguille des capitaux vers des missions organisationnelles. C'est également vrai sur le plan intergénérationnel. La société Accenture a estimé qu'au cours des deux prochaines décennies, 30 billions de dollars seront transférés entre générations en Amérique du Nord. Cette transition augmente le nombre d'investisseurs prêts à accepter un profil de risque plus élevé ou un rendement moins élevé pour avoir une incidence sur le plan social et environnemental. On se préoccupe vraiment de ces questions.
Malgré l'offre de capitaux, il n'y a eu pour le moment qu'une seule émission d'obligations à impact social au Canada, dans le cadre du projet Sweet Dreams en Saskatchewan, dont je sais que vous avez entendu parler. Le secteur public de cette province a jugé l'expérience suffisamment positive pour que la députée provinciale June Draude soit nommée secrétaire législative des obligations à impact social.
La courbe de croissance mondiale de cette politique innovatrice est remarquable. Le premier projet pilote d'obligations à impact social a été lancé au Royaume-Uni en 2010. Il existe maintenant 44 différentes obligations à impact social à l'échelle mondiale, et 245 millions de dollars de capitaux privés ont été investis. Pendant ce temps, aux États-Unis, au moins 40 initiatives bénéficient d'une importante aide au développement, ce qui mène à une autre génération de ces outils dont nous pouvons activement tirer des leçons alors que nous préparons une feuille de route pour ce marché ici au Canada dans le but de répondre à de nombreuses préoccupations des critiques.
Nous recommandons fortement de considérer les approches plus réfléchies en matière d'attribution des contrats qui ont vu le jour au Royaume-Uni, notamment celles du Fair Chance Fund et du Youth Engagement Fund. Ces deux fonds publics ont permis de créer une réserve de fonds consacrés aux résultats avec une méthode de mesure définie et un paiement maximal établi en fonction d'objectifs précis. On a demandé aux fournisseurs de présenter des soumissions indiquant combien de personnes ils avaient l'intention de servir et quel paiement serait exigé, jusqu'à concurrence du plafond, pour les objectifs atteints avec succès.
Cela permet aux acteurs du marché d'intervenir aux endroits qui leur conviennent le plus. Les organisations peuvent ainsi définir ce qui constitue un paiement équitable pour un résultat donné, selon la probabilité qu'elles atteignent ce résultat, ce qui aide à offrir un meilleur rendement au secteur public. Cela permet également au commissionnaire de réduire le coût de ces approches en répartissant le fardeau interne des équipes de collecte de données et le temps des fonctionnaires. Nous croyons que cette approche peut dissiper de manière considérable les inquiétudes en matière de transparence.
L'état de préparation du secteur est essentiel pour que ces outils soient déployés de manière utile. L'importance de cet état de préparation va au-delà du simple financement axé sur les résultats en favorisant la clarté stratégique et la gestion du rendement qui mèneront de manière générale à des dépenses sociales plus judicieuses. Nous croyons fermement que l'initiative des accélérateurs de finances sociales annoncée récemment devrait prendre appui sur des exemples positifs, tels que celui de l'Investment and Contract Readiness Fund du Royaume-Uni qui a servi à toutes sortes de transactions de finance sociale, que ce soit pour des entreprises sociales à but non lucratif ou des obligations à impact social.
En résumé, voici quelques recommandations, qui proviennent du travail que nous faisons actuellement dans ce domaine, concernant la façon dont le gouvernement du Canada peut réaliser pleinement le potentiel de la finance sociale au Canada.
Ces partenariats visent à faire ressortir le meilleur que tous les secteurs ont à offrir, ce qui devrait donc être possible grâce à la gouvernance. La responsabilité publique est essentielle, mais elle doit mettre l'accent sur le maintien de la capacité des systèmes, comme celui permettant de recueillir des données publiques.
Nous pouvons apprendre des expériences positives de nos pairs d'autres administrations en matière d'attribution des contrats. Il est extrêmement important de mettre l'accent sur ce que le secteur public est prêt à payer, en se penchant surtout sur l'optimisation des données.
Un écosystème favorable aux obligations à impact social encourage également dans le secteur social une prise de décisions qui se fonde davantage sur des données probantes. La capacité d'attribuer des contrats et d'investir est un problème temporaire qui peut et qui devrait être réglé maintenant.
Merci beaucoup, monsieur le président.
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Je vais commencer. Bonjour.
Au nom du conseil d'administration de l'Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux et de nos organisations provinciales et territoriales, j'aimerais remercier le comité des ressources humaines d'entendre le point de vue des travailleurs sociaux dans le cadre de cette discussion sur le potentiel de la finance sociale au Canada.
[Français]
Aujourd'hui, je partagerai mon temps avec le professeur James Mulvale, qui se joindra à nous à partir de Winnipeg.
Je vais vous présenter quelques principes assez généraux, tandis que le professeur Mulvale parlera un peu plus précisément de nos recommandations.
Pour commencer, l'Association canadienne des travailleurs sociaux, ou l'ACTS, est profondément troublée par les inégalités croissantes au Canada. Au cours des dernières années, nous avons concentré nos efforts de plaidoyer dans le but de démontrer les moyens très réalistes que tous les paliers de gouvernement pourraient utiliser pour travailler ensemble à un Canada plus équitable.
[Traduction]
L'ACTS a souvent réaffirmé l'importance d'une vision pancanadienne de la politique sociale qui s'appuie sur un concept de fédéralisme coordonné selon lequel le gouvernement fédéral négocie avec les provinces et les territoires et aide à financer les programmes sociaux conformément à certains principes directeurs. C'est une vision qui garantirait le respect de tous les droits fondamentaux des Canadiens et d'une norme minimale de service commune d'un bout à l'autre du pays.
L'ACTS comprend que l'objectif sous-jacent des investissements sociaux est de répondre à des critères de réussite. Autrement dit, il doit y avoir un rendement. À cette fin, l'ACTS préconise que le gouvernement fédéral ait les mêmes attentes pour lui que pour les autres.
Comme vous le savez, le Transfert social canadien constitue une grande source de financement fédéral au Canada. Il appuie les programmes sociaux des provinces et des territoires, y compris de nombreux programmes qui sont très importants pour que nous continuions tous d'avoir une bonne qualité de vie. Actuellement, le transfert social est essentiellement inconditionnel. J'entends par là qu'il n'est pas soumis à des principes de responsabilité ayant fait l'objet d'un consensus qui garantiraient l'équité de tous les programmes sociaux du Canada ou, comme je l'ai dit, un rendement commun.
Dans le cadre des délibérations de votre comité sur le potentiel de la finance sociale au Canada, l'ACTS vous demande d'envisager des principes de responsabilité qui peuvent être appliqués à tous les investissements du gouvernement, que ce soit au moyen du Transfert social canadien ou d'un appui financier provenant d'autres formes d'investissement social.
Le gouvernement de l'Alberta a adopté une politique sociale assortie de principes qui orientent les décisions et la prestation des programmes. Nous croyons que le Canada devrait adopter une vision semblable pour ce qui est du Transfert social canadien et de l'entreprise sociale.
[Français]
Comme vous le savez, la Loi canadienne sur la santé régit la prestation des soins de santé au Canada. De façon similaire, si une loi sur le service social contenant les grands principes d'intégralité, d'universalité, de transférabilité, d'accessibilité, d'administration publique ou à but non lucratif était adoptée, elle pourrait régir tout investissement dans les services sociaux au Canada.
[Traduction]
Je vais maintenant céder mon temps de parole à M. Mulvale.
Merci, Sally, et merci au comité encore une fois de nous permettre de témoigner.
Je pense qu’il est bon de commencer par mentionner que l’échantillon de la finance sociale que le comité étudie est très large. Cela étant, l’ACTTS appuie entièrement l’entreprise sociale comme modèle dans lequel les organismes et les fondations sans but lucratif peuvent jouer un rôle vital pour innover en matière de services et travailler en partenariat avec les gouvernements et autres bailleurs de fonds afin de répondre aux besoins et aux problèmes sociaux de façons novatrices. Toutes les solutions à nos problèmes sociaux ne sont pas universelles ou bureaucratiques.
Comme d’autres témoins vous l’ont dit, l’entreprise sociale offre des possibilités aux particuliers, aux collectivités et aux organismes de tirer parti du soutien social et financier afin de répondre aux besoins cernés. Nous pensons que la responsabilité est primordiale dans ce processus pour assurer la réussite de l’entreprise sociale en vue d’atteindre le bien social.
Cela étant dit, l’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux a de grandes réserves quant aux motivations qui ont été mentionnées concernant les profits découlant de la finance sociale ou des investissements sociaux. L’ACTTS comprend que ces types d’investissements sociaux visent l’adoption d’ententes de financement selon le rendement, dans le cadre desquelles les deniers publics couvriraient les cotisations aux entreprises qui investissent dans les services sociaux, qui offrent, si vous voulez, un rendement sur l’investissement. L’ACTTS fait remarquer que les expériences et les résultats dans les administrations qui ont adopté les modèles à but lucratif de prestations des services humains dans des secteurs comme les soins de santé, les services correctionnels et la prestation d’aide sociale ne sont pas encourageants.
Un problème qui a fait surface dans les soins de santé à but lucratif, par exemple, est ce qu’on appelle parfois l’effet d’écrémage. Les investisseurs en quête de profits répondront aux besoins qui promettent le rendement sur l’investissement le plus rapide et le plus important, ce qui détournera donc les ressources financières et humaines ainsi que l’attention des décideurs des besoins pour lesquels il n’y a pas de solutions facilement accessibles.
Les grands défis moraux et éthiques auxquels nous faisons face comme pays — notamment la santé pour tous, l’élimination de la pauvreté, la pleine intégration de nos peuples autochtones — sont des questions de politique publique pour lesquelles les gouvernements et les élus doivent faire preuve de leadership. Nous estimons que les entreprises ont un rôle important mais accessoire à jouer pour relever ces défis. Le secteur des affaires a pour responsabilité, entre autres, de payer sa juste part d’impôts afin de prendre en charge le coût des services publics nécessaires offerts dans les secteurs public et sans but lucratif.
Nous avons des montagnes de recherche qui montrent maintenant que les sociétés hautement inégales ne sont pas des sociétés saines. La qualité de vie de leurs membres est moindre. La documentation sur les déterminants sociaux de la santé le montre aussi. Nous savons que les niveaux élevés d’inégalités socioéconomiques ont des effets négatifs sur le plan social. L’une des meilleures sources à cet égard est le travail de Wilkinson et Pickett, Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous.
En quête d’une société plus égalitaire dans laquelle les fardeaux fiscaux et la responsabilité de la prestation de services sont partagés à grande échelle, nous pouvons mesurer l’incidence à long terme de l’investissement public. Nous nous inquiétons du fait que les obligations à impact social qui ont un cycle d’investissement de trois ou quatre ans ne donnent pas toujours les résultats escomptés. Notre association, l’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux, est d’avis que l’investissement public à plus long terme visant à traiter les causes profondes de la détresse sociale pourraient être plus efficaces pour composer avec les problèmes sociaux et offrir des possibilités aux particuliers et une meilleure qualité de vie à tout le monde.
En conclusion, j’aimerais formuler trois recommandations, et peut-être que nous pourrons en discuter plus à fond tout à l’heure. Premièrement, le gouvernement du Canada devrait regrouper les ressources financières pour financer des projets potentiellement novateurs et efficaces en vue de répondre aux besoins sociaux. Deuxièmement, le gouvernement du Canada devrait s’engager fermement à ne pas réduire les services publics actuellement offerts par les organismes communautaires et les organismes sans but lucratif afin de conclure des contrats d’investissement social ou d’autres initiatives de finance sociale. Troisièmement, le gouvernement du Canada, en collaboration avec les provinces et les territoires, devrait rédiger une loi sur la santé et les services sociaux fondée sur des principes généraux qui comprennent le besoin, l’exhaustivité, l’accessibilité, l’équité, la transférabilité et l’universalité, et qui visent les organismes publics et sans but lucratif.
Nous estimons que ces principes seraient de bons guides pour assurer la transparence et la responsabilité de l’ensemble de nos investissements, tant publics que privés, afin d’assurer un meilleur avenir aux Canadiens.
Je pense que mon temps est presque écoulé, alors je vais terminer ici.
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Je remercie les témoins de leur présence.
Les questions relatives aux services sociaux sont très vastes, et je veux donc me concentrer sur certaines d'entre elles, car je ne sais pas si la finance sociale est une approche qui convient à tous les services qui sont fournis.
Il y a par exemple le fait que le gouvernement du Canada transfère de l'argent pour la formation des jeunes axée sur les compétences. Les choses ne fonctionnaient pas bien. Comme les résultats n'étaient pas bons, nous avons présenté, bien sûr, notre fonds pour l'acquisition de compétences et avons collaboré avec des entreprises, les provinces et, bien entendu, le gouvernement fédéral de sorte que nous puissions atteindre les résultats.
Je pense que l'une des difficultés qui se posent au Canada, c'est que le pays est très vaste. Il comprend différentes régions, qui n'ont pas toutes les mêmes besoins. C'est ce qui fait qu'il est difficile d'établir un programme qui convient à chaque province ou région. Je dois dire que je suis tout à fait d'accord avec Dean Mulvale lorsqu'il dit qu'il faut nous assurer que nous avons les résultats, que les objectifs sont atteints, et ce, en temps voulu.
Il y a aussi la réflexion intéressante de Lars concernant une optique d'optimisation des ressources, et je me suis immédiatement demandé quelle optique on prend? C'est la difficulté: dans quelle optique évaluons-nous l'optimisation des ressources? Réussissons-nous dans les programmes que nous adoptons? Quelle est votre conception de ce cadre et comment pourrions-nous fournir un bon moyen d'évaluer les programmes? Comme je l'ai dit, certains programmes ne peuvent pas être inclus. Ils sont en cours. Toutefois, je pense que les contribuables veulent en avoir pour leur argent et voir les résultats.
Je pourrais peut-être demander à Mme Guy de nous donner son point de vue à cet égard.
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Certainement. Je vous remercie de la question.
Je vais commencer par vous raconter une anecdote qui illustre que l'analyse comparative et l'application de la logique de marché aux services sociaux peuvent souvent placer le client dans une situation dans laquelle il ne devrait pas se retrouver. J'allais dire ce que vous avez déjà souligné, c'est-à-dire que l'idée de fonctionner dans une optique de marché ou de génération de profits plutôt qu'en fonction des clients nous préoccupe beaucoup.
Une de mes anciennes superviseures a dit que dans son milieu de travail, il a vraiment fallu couper dans le gras. Elle travaillait auprès des gens ayant des problèmes de santé mentale et de toxicomanie au Nouveau-Brunswick et travaillait selon un système d'analyse comparative qui est axé sur les profits. Auparavant, elle faisait partie d'un système qui lui permettait de connaître ses clients dans leur ensemble, d'agir auprès d'eux dans la collectivité et de le savoir lorsqu'une personne avait besoin d'être rencontrée deux fois une semaine ou lorsqu'elle devait consacrer 45 plutôt que 30 minutes à une personne. Lorsqu'elle est passée à un système dans lequel on l'observait d'une hauteur de 36 000 pieds, comme M. Cuzner l'a dit, on avait l'impression qu'il donnait de très bons résultats, car elle rencontrait beaucoup plus de clients dans une journée, à des intervalles de 30 minutes, qu'auparavant, mais selon elle, et en fonction de ce qu'elle constatait dans la collectivité, ce système n'était pas aussi efficace.
Concernant la création de critères, il faut vraiment discuter avec les gens qui reçoivent les services, obtenir ce point de vue sur l'expérience vécue sur le terrain et demander aux travailleurs de première ligne leur opinion sur ce que devraient être ces critères, ce qui fait en sorte que nous sommes préoccupés par l'idée d'appliquer encore plus fortement une logique de marché dans la prestation des services sociaux.
Je ne m'étendrai pas longtemps sur le sujet, mais l'un de mes collègues a mis les obligations à impact social dans l'exemple des prêts sur salaire. C'est peut-être exactement ce dont on a besoin; cela pourrait être le cadeau du ciel, mais on entre alors dans le cycle de la pauvreté. Qu'est-ce qui sauve la personne après qu'elle a remboursé sa dette? Elle n'a toujours pas d'emploi. Elle n'a pas l'architecture durable qui l'empêcherait de se retrouver dans la même situation, c'est-à-dire celle où elle avait besoin d'un prêt sur salaire au départ.
Nous ne voulons pas que le gouvernement du Canada entre dans un cycle similaire selon lequel on contribue financièrement à ces prêts sur salaire, contracte un prêt, et que quelqu'un se retire et qu'on doive réparer les dégâts et mettre en place encore une fois ce qui avait été financé par une société privée.
J'espère que j'ai répondu un peu à votre question.
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Je n'aimerais pas qu'on me compare à une société de prêt sur salaire. Je ne crois pas du tout que cela correspond à notre conception des choses.
Pour l'essentiel, la plupart de nos clients sont des organismes de prestation de services. Nous avons conçu cela à partir de leur intentionnalité, et leur point de vue oriente le processus depuis le premier jour. C'est tout à fait vrai.
Lorsqu'il s'agit de déterminer si le gouvernement cible des économies, économies monnayables ou optimisation des ressources, cette décision — et c'est une priorité, il y en a une panoplie — appartient au gouvernement.
Certaines obligations à impact social ont été conçues avec une attention particulière portée aux coûts variables exclusivement. Elles sont axées sur les économies. Il y a également les obligations à impact social conçues selon des situations sociales qui n'ont pas changé depuis longtemps. Ces questions sont stagnantes, et nous souhaitions qu'il y ait une capacité novatrice dans ce secteur.
Lorsque nous pensons à cela et aux conséquences de ces outils, nous y pensons très consciemment. Nous pensons qu'il y a un rôle très important qui consiste à dire « utilisons ces outils basés sur cette norme, en fonction de ces normes qui sont en place, mais faisons-le lorsque nous pouvons voir en quelque sorte une ouverture dans le cadre de ce processus d'établissement de données probantes de changement de politique ».
Ce qui fonctionne va dans ce sens.
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J'imagine que le fait que M. Mulvale vient de mentionner le programme Logement d'abord n'est qu'une coïncidence, mais il s'avère que j'ai acquis une vaste expérience de ce côté, avant d'être élu député et dans le cadre du programme Chez Soi, par la Commission de la santé mentale du Canada, à Toronto. Je pense en fait que c'est un excellent modèle et un excellent exemple de la façon dont peut fonctionner une entreprise sociale.
On peut dire que cela comporte un volet permettant à une personne de faire un profit, et évidemment, il s'agit du propriétaire de l'immeuble d'habitation. Il fournit un appartement à un loyer qui correspond au marché. Le loyer est subventionné dans le cadre d'un programme gouvernemental. Les clients qui ont participé au programme Chez Soi ont été choisis dans le cadre d'un projet de recherche mené par l'hôpital St. Michael's à Toronto, et des travailleurs sociaux ont grandement participé à ce très bon programme en tant que partenaires.
Voilà ce que je considère comme un modèle d'entreprise sociale. Un ou deux partenaires en retireront peut-être un profit, mais ce sont les résultats qui importent. Nous avons permis à 300 personnes souffrant de maladie mentale grave d'avoir un bon logement permanent, et dans la plupart des cas, nous avons changé leur vie. Il s'agit d'un très bon modèle d'entreprise sociale.
J'ai une question à poser à M. Mulvale. Ne convenez-vous pas que c'est exactement le type de modèle dont nous parlons? Il ne s'agit pas ici d'une entreprise sociale qui prend le contrôle de services de soins de santé publics ou de services de soutien communautaires financés et gérés par l'État. Il s'agit plutôt d'essayer d'améliorer un peu la façon de procéder et d'amener toutes sortes d'organismes à collaborer.
Je me souviens de la première rencontre que nous avons eue. Des groupes étaient présents à l'hôtel de ville de Toronto — je n'oublierai jamais cette rencontre — à l'époque où je dirigeais l'association des propriétaires d'immeuble à appartements. Certains organismes présents n'avaient jamais communiqué entre eux auparavant, car ils travaillaient chacun de leur côté avant que la Commission de la santé mentale du Canada lance le projet. Les personnes présentes ont alors eu l'occasion de se demander s'il existait un meilleur moyen d'aider les gens qui souffrent de maladie mentale et qui n'ont pas de logement, de changer leur vie, de leur offrir les médicaments et l'aide dont ils ont besoin et de s'assurer qu'ils ont un logement.
Ne convenez-vous pas, monsieur, que c'est un excellent exemple de modèle que le gouvernement du Canada devrait appuyer?
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Oui. Ces projets mis sur pied par des organismes communautaires, des fondations et des fournisseurs de services, qui unissent leurs efforts, constituent un outil qui vient s'ajouter — et j'insiste sur ce mot — à ce qui existe actuellement. Il ne s'agit pas de transférer ce qui existe déjà dans ces outils, car c'est plutôt un ajout.
Je tiens à dire clairement, car certains concepts ont été évoqués, que nous reconnaissons que les obligations à impact social coûtent plus cher que les contrats directs. Par conséquent, elles doivent être considérées comme un outil qui peut permettre d'en avoir davantage pour son argent. Il faut comprendre que les résultats sont incertains. Nous ne savons pas ce qui va se passer, ce qui peut permettre de mettre à l'essai des initiatives, de sorte que lorsqu'il y aura des certitudes, il pourra s'avérer judicieux d'investir des fonds publics.
Je crois que des idées fausses ont été véhiculées. Dans l'ensemble, seulement 4 obligations à impact social sur 44 sont assorties d'une garantie du capital. Il s'agit des toutes premières obligations qui ont été lancées. Cela représente moins de 10 %. Depuis 2013, aucune n'a été assortie d'une telle garantie, et c'est cette année-là que la plupart des obligations ont été lancées.
Lorsqu'il est question des taux de rendement, nous entendons souvent nos détracteurs dire qu'il s'agit de rendements non plafonnés. Ce n'est pas vrai. Pour chaque obligation à impact social, le rendement est plafonné. Il y a un montant maximum qui peut être payé. Les gens parlent souvent de ce montant maximum, mais ils ne parlent pas des rendements visés. Je vais vous en parler un peu.
Au Canada, une obligation à impact social, s'il y a des résultats, donnera un rendement de 5 %. Je ne crois pas que c'est aberrant. Dans l'ensemble, les taux de rendement visés se situent habituellement entre 4 et 7 %, ce qui n'est pas du tout insensé.
Même dans le cas de Peterborough, si le seuil minimal de rendement est atteint, le taux de rendement sera seulement de 2,5 %. Le point positif, c'est que ce rendement peut s'améliorer, mais le taux de rendement est entièrement lié aux résultats. Nous pensons que c'est une très bonne chose. Nous croyons que cela incite tout le monde à se concentrer sur le type de changement que nous voulons voir dans nos communautés.
Chers collègues, pour terminer, si vous me le permettez, je vais poser quelques questions, car je m'intéresse au fait que cet outil s'ajoute à ce qui existe déjà, comme on l'a mentionné.
Je connais très bien, dans ma communauté, des gens qui ont une déficience intellectuelle — je parle de l'Ontario — et qui sont laissés à eux-mêmes à l'âge de 18 ans environ, c'est donc dire dès qu'ils terminent leurs études secondaires. Ils ont bénéficié de services d'aide tout au long de leur parcours scolaire, et ils ont sans doute encore besoin d'aide sur le plan des compétences linguistiques, des compétences en lecture et en informatique, etc., mais tout d'un coup, on les abandonne.
Lorsque je m'entretiens avec mon député provincial, qui est aussi le Président de l'Assemblée législative de l'Ontario, il admet ouvertement qu'il n'existe pas suffisamment de programmes gouvernementaux pour continuer à aider ces personnes.
Ces gens finissent donc habituellement par rester à la maison avec leurs parents. Ils deviennent d'abord des jeunes adultes, puis des adultes plus âgés. On voit souvent par exemple à l'épicerie, dans ma communauté, un parent âgé de 70 ou 80 ans accompagné de son enfant de 50 ou 60 ans.
Quand je pense aux solutions que certains outils pourraient apporter, je pense à la finance sociale, car les gouvernements provinciaux ne sont pas prêts à adopter des initiatives pour répondre aux besoins qui existent. Il y a des groupes de parents qui se réunissent pour essayer de créer un milieu d'apprentissage pour ces personnes dans le cadre de programmes de jour. Parce qu'ils sont conscients qu'ils ne survivront pas à leurs enfants, ils ont besoin de soutien pour amener leurs enfants à vivre en tant qu'adultes dans un milieu abordable pour qu'ils puissent y continuer leur vie.
Je vous décris tout cela, car j'aimerais obtenir les commentaires de chacun sur le fait que la finance sociale pourrait constituer un autre outil pouvant permettre aux organismes et aux parents dans ces situations d'unir leurs efforts pour élaborer de nouveaux modèles en vue de créer non seulement un milieu d'apprentissage, mais éventuellement un milieu de vie, car les fonds publics permettent seulement de financer les services actuels, et il est donc facile de constater qu'il y a des lacunes.
Je crois que la finance sociale pourrait à tout le moins être envisagée pour ces groupes de personnes qui ne reçoivent pas actuellement de fonds publics pour ces services.
Puis-je obtenir un bref commentaire de la part de ceux qui souhaitent intervenir là-dessus?