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Mesdames et messieurs, bonjour.
Bienvenue à la 45e séance du Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées. Nous poursuivons aujourd'hui l'étude intitulée « Exploration du potentiel de la finance sociale au Canada ».
Nous accueillons avec plaisir un premier groupe de témoins, composé de François Vermette, directeur du développement de l'organisme Chantier de l'économie sociale, et, par vidéoconférence, David LePage, président du Conseil pour les entreprises sociales du Canada, qui se trouve à Vancouver. Messieurs, bienvenue au comité et merci d'avoir accepté d'y témoigner.
Nous disposons de 50 minutes pour vos témoignages. Vous disposerez d'un maximum de 10 minutes chacun pour faire votre présentation.
Pourquoi ne pas commencer par M. Vermette?
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Bonjour. Il me fait plaisir d'être ici aujourd'hui.
Nous sommes venus vous parler de ce que nous faisons au Chantier de l'économie sociale en finance sociale.
Le Chantier de l'économie sociale est un regroupement de réseaux d'entreprises d'économie sociale. Pour nous, les entreprises d'économie sociale sont des entreprises collectives ayant une mission sociale qui se servent d'activités économiques pour arriver à leurs fins. Il y en a plusieurs milliers au Québec et encore plus à l'échelle du Canada.
Après notre création en 1996, nous avons constaté assez rapidement la difficulté de trouver du financement pour ce type d'entreprises. Peu après, en 1997, nous avons donc créé un fonds qui s'appelle le Réseau de l'investissement social du Québec — le RISQ —, lequel est doté de 12 millions de dollars. Ce fonds accorde des prêts à risque à des entreprises d'économie sociale, un peu comme son acronyme l'indique, c'est-à-dire des investissements sans aucune forme de garantie. Au départ, ce fonds a été constitué par des dons d'entreprises privées et par un prêt du gouvernement du Québec. Ce prêt a été renouvelé une fois depuis, mais il nous a permis de constituer un capital et de financer des entreprises dont la mission est sociale.
Les divers prêts que le RISQ accorde sont relativement petits. Il y a des prêts de prédémarrage qui commencent à 5 000 $, et qui peuvent aller jusqu'à 200 000 $. Ce sont des prêts que les institutions financières, les banques et les caisses populaires ont de la difficulté à consentir, car même s'ils sont petits, ils requièrent une analyse presque aussi grande qu'un prêt plus important. Donc, la rentabilité de ces prêts est difficile pour les banques normales.
Nous nous sommes rapidement rendu compte que la limite de 200 000 $ n'était pas assez élevée. Nous avons alors créé un autre outil d'investissement qui s'appelle la Fiducie du Chantier de l'économie sociale. Dans ce cas-ci, il s'agit d'une fiducie qui peut consentir des prêts jusqu'à 3,5 millions de dollars. La fiducie a été capitalisée en partie grâce au gouvernement fédéral par l'entremise d'un programme qui n'existe plus, mais qui nous avait permis de capitaliser une partie. Quant au reste, ce sont des contributions des fonds de travailleurs, donc des fonds des syndicats au Québec, dont les plus grands sont le Fonds des travailleurs de la FTQ et le Fonds d'action de la CSN. Les deux ensemble ont mis 20 millions de dollars dans le fonds.
La fiducie finance le même type d'entreprises, soit celles ayant d'abord une mission sociale, mais elle a ceci de particulier: elle accorde des prêts en capital patient. Autrement dit, les entreprises n'ont pas à rembourser de capital pour les 15 premières années. De plus, elles ne remboursent qu'une partie de l'intérêt, et à la 15e année, elles doivent rembourser le prêt au complet, habituellement en trouvant du financement sur le marché normal. Comme cela ne fait pas 15 ans que la fiducie existe, cela n'est pas encore arrivé. Les entreprises remboursent leurs prêts au fil du temps.
Il y a un fait intéressant à noter. Ceux qui ont contribué au fonds par un investissement, entre autres les fonds de travailleurs et le gouvernement du Québec, ont accepté de ne recevoir leurs intérêts et leur capital qu'après 15 ans. Pour les fonds de travailleurs surtout, c'est une forme d'investissement dans leur portefeuille. Nous comprenons qu'ils ne pourraient pas investir tout leur argent de cette façon, mais cela nous permet quand même de soutenir des entreprises. Le fait que ce soit du capital patient dégage plus de liquidités dans les entreprises pendant la période cruciale des premières années.
Nous avons créé tous ces outils. Nous continuons à être à l'écoute des besoins des entreprises. Nous travaillons à développer d'autres fonds pour essayer de répondre à d'autres besoins, quand ils nous sont exprimés. Évidemment, nous avons pu le faire grâce au soutien gouvernemental, lequel nous a permis de donner le premier élan.
Cela a permis de lever des capitaux privés de manière assez importante dans un créneau qui, habituellement, est assez négligé par les grandes institutions.
La fiducie va bientôt avoir investi tout son argent. Il faudra soit recapitaliser ou attendre la 15e année pour retoucher de l'argent. Quelque cinquante millions de dollars ont été investis dans des entreprises et cela fonctionne très bien. Nous pouvons parler d'une réussite. Cela pourrait être reproduit ailleurs.
Voilà qui termine ma présentation. Je suis disposé à répondre à vos questions.
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Monsieur le président, membres du comité, je vous remercie.
Je vous sais gré de me donner l'occasion de m'exprimer à propos de ce dossier opportun et de première importance, la finance sociale et l'entrepreneuriat social.
Nous tous ici présents convenons de l'existence d'un enjeu majeur dont a fait état le gouvernement fédéral dans le budget de 2014: l'État ne saurait résoudre à lui seul les problèmes sociaux et économiques actuels. À notre avis, cependant, la finance sociale et l'entrepreneuriat social sont deux outils susceptibles de nous aider à régler les problèmes sociaux complexes qui s'aggravent, à nous adapter à l'évolution démographique et à composer avec des budgets gouvernementaux en baisse.
D'entrée de jeu, je me dois de vous féliciter. En quelques années seulement, les gouvernements de partout au pays, toutes allégeances confondues, ont trouvé des moyens concrets de faire passer le Canada du rôle d'observateur à celui de partenaire et de facilitateur à l'égard du nouveau secteur international de la finance sociale et de l'entrepreneuriat social. En 2013, le Conseil pour les entreprises sociales du Canada, ou CESC, a eu le plaisir de tenir conjointement, avec le gouvernement, le Forum mondial des entreprises sociales, à Calgary. À cette occasion, Jason Kenney, alors ministre de l'Emploi et du Développement social du Canada, a exprimé l'appui du gouvernement pour la finance sociale et l'entrepreneuriat social, ce qui nous a ravis. Votre rôle structurant et l'excellent travail des loyaux fonctionnaires ont des résultats et des retombées manifestes.
Je consacre maintenant quelques minutes à vous fournir un peu de contexte avant de formuler cinq suggestions pour l'avenir.
Une entreprise d'économie sociale, c'est une entreprise communautaire qui accorde la priorité à l'accomplissement d'une mission sociale plutôt qu'au rendement des investissements des actionnaires. Les profits sont réinvestis intégralement dans l'élargissement de la mission sociale. Les entreprises d'économie sociale visent à optimiser la valeur intégrée du rendement de l’investissement, un rendement à la fois social et financier. Elles sont exploitées par des organismes à but non lucratif ou de bienfaisance, par des sociétés hybrides ou même par des coopératives sans but lucratif. On en retrouve dans tous les secteurs commerciaux, de la fabrication à la vente de détail en passant par les services de nettoyage, les soins de santé, les arts et le recyclage. Leurs missions sociales ciblent tout un éventail d'enjeux, comme l'intégration sociale, la formation professionnelle, la réduction de la pauvreté, les jeunes à risque, l'itinérance ou l'accès à l'emploi des personnes qui se heurtent à divers obstacles, notamment en raison d'une incapacité.
Voici quelques exemples. À Vancouver, l'Association de la déficience développementale exploite Starworks Packaging, qui compte parmi sa clientèle des sociétés telles que Finning International, Caterpillar et BC Hydro. Tout en offrant des services commerciaux de qualité dans les domaines de l'industrie légère et de l'assemblage, Starworks Packaging fait travailler 45 personnes ayant un trouble du développement.
Pour sa part, BUILD est une entreprise d'économie sociale de Winnipeg qui évolue dans le domaine de la construction et qui vise la formation et l'emploi des jeunes à risque. La majorité des participants sont de jeunes Autochtones. Logement Manitoba est l'un de ses plus gros clients. Selon le chef de police local, BUILD est un modèle efficace d'intervention à l'égard des problèmes que vivent concrètement les jeunes à risque. Alors que les tribunaux et les forces de l'ordre ne peuvent qu'incarcérer de nouveau les jeunes qui ont déjà un casier judiciaire, BUILD leur donne l'occasion de suivre une formation et d'éventuellement exercer un métier manuel.
Le Toronto Enterprise Fund soutient pour sa part 15 entreprises d'économie sociale axées sur les besoins en matière de formation et d'emploi qu'éprouvent les jeunes, les adultes et les nouveaux arrivants menacés par l'itinérance.
Comme toujours lorsqu'il est question d'innovation, il importe de mesurer concrètement les retombées qu'elle engendre. Grâce au financement du CESC, Peter Hall, de l'Université Simon-Fraser, et Peter Elson, de l'Université de Victoria, ont pu sonder des entreprises de partout au pays. Leur dernier sondage a montré que les 757 entreprises sociales réparties dans six provinces et trois territoires en cause faisaient travailler pas moins de 20 000 personnes, dont 75 %, soit 15 000 personnes, avaient été ciblées en fonction de la mission de l'organisme à but non lucratif. Les entreprises d'économie sociale qui ont répondu au sondage avaient tiré 480 millions de dollars, soit 75 % de leurs revenus, de la vente de biens ou de services.
J'entends maintenant porter cinq stratégies possibles à l'attention du comité.
Alors que certaines de ces idées ne coûteraient rien à l'État, d'autres nécessiteraient la prolongation ou l'élargissement de programmes actuels ou encore la définition ou la redéfinition de priorités. Quelques cas, enfin, impliqueraient potentiellement de nouveaux investissements.
Primo, bon nombre d'organismes sans but lucratif et d'adeptes potentiels de l'épargne solidaire ont l'habitude d'évoluer dans leur propre sphère axée strictement sur le service social ou le commerce, mais dans un contexte commercial à valeur intégrée — l'entrepreneuriat social et la finance sociale —, il faut aiguiser le sens des affaires du secteur sans but lucratif et mieux sensibiliser les investisseurs traditionnels aux retombées sociales. Autrement dit, il faut créer des programmes qui accroîtront les compétences en affaires des travailleurs sociaux et qui élargiront les perspectives des investisseurs potentiels sur la valeur sociale des projets.
Nous avons en effet découvert qu'une bonne partie des programmes fédéraux qui appuient actuellement les activités des PME n'excluent pas les entreprises sans but lucratif, que ce soit aux termes d'une loi ou d'un règlement; simplement, leurs responsables ne sont pas préparés à interagir avec le secteur social ou n'ont pas reçu de directives à cet effet. Il faut absolument maintenir et élargir les initiatives gouvernementales actuelles de manière à reconnaître l'entrepreneuriat social et la propriété sans but lucratif en tant que modèles commerciaux. L'octroi d'une enveloppe budgétaire modeste pour soutenir durablement le Réseau Entreprises Canada d'Industrie Canada et d'autres programmes gouvernementaux générerait des retombées considérables.
Secundo, les entreprises d'économie sociale sont axées sur l'approvisionnement et la valeur sociale. Or, elles doivent pouvoir accéder aux marchés, à la demande, car l'élargissement de leur clientèle leur permet de prendre de l'expansion et, ce faisant, d'accroître leurs retombées sociales. Nous recommandons l'adoption et la mise en oeuvre des politiques d'approvisionnement à vocation sociale qui figurent dans le document de recherche sur ce type d'approvisionnement qu'a commandé l'an dernier le CESC. Grâce aux programmes d'achat à vocation sociale, les gouvernements peuvent susciter des retombées sociales majeures sans coût additionnel ni perte de qualité, tout en générant une valeur réelle et des profits pour le contribuable canadien.
Tertio, au fur et à mesure que les entreprises sociales se multiplient, croissent et prennent de l'expansion, elles doivent pouvoir accéder à un financement adéquat, au moment voulu. Il faut donc élaborer d'autres modèles à l'égard des subventions, de l'endettement et des garanties.
Quarto, pour soutenir le marché et la finance sociale tout en favorisant la mobilisation des entreprises d'économie sociale, il faut harmoniser les politiques et les programmes gouvernementaux pertinents des divers ministères. L'ARC et sa Division des organismes de bienfaisance doivent projeter une image de soutien et d'encouragement et non limiter le recours approprié des organismes sans but lucratif et de bienfaisance aux entreprises d'économie sociale.
Enfin, le gouvernement occupe une position de choix pour ce qui est de favoriser et d'initier un engagement intersectoriel et d'agir comme partenaire à cet égard. La participation et la collaboration de l'État et des secteurs privé et communautaire est essentielle au succès des efforts en ce sens.
Merci beaucoup de m'avoir consacré du temps. Je serai heureux de répondre à vos questions et de continuer à collaborer avec l'État dans ce dossier de première importance.
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De plus en plus d'organismes communautaires réalisent des activités d'économie sociale, ce qui ne change pas leur nature pour autant. Ils offrent des services, qui peuvent être de toutes sortes, contre rémunération. Par exemple, un centre communautaire peut décider de rentabiliser les espaces dont il dispose en les louant à des fins autres que sociales. Ces revenus lui permettent alors de mieux remplir sa mission. C'est une situation fréquente. Les entreprises que décrit M. LePage sont également tout à fait courantes. J'aurais pu faire sa présentation. En effet, je pense que nous sommes à 100 % sur la même longueur d'ondes.
Beaucoup d'entreprises au Canada, par exemple des entreprises adaptées, offrent du travail à des personnes handicapées. Des entreprises dites d'insertion embauchent des gens qui sont très loin du marché du travail et leur dispensent une formation dans le cadre de travaux qui, bien que minimaux dans bien des cas, aident ces personnes à s'insérer dans le marché du travail. Cela donne d'excellents résultats.
Comme le disait M. LePage, il est certain que si on parle de l'ouverture des marchés de l'approvisionnement gouvernemental, il s'agit de sommes très importantes. En effet, les gouvernements — et pas seulement le gouvernement fédéral, mais aussi les villes et les provinces — dépensent des montants très importants pour l'achat de biens et de services, dont plusieurs sont déjà offerts par des entreprises d'économie sociale.
Les appels d'offres sont conçus de façon telle que ces entreprises ne peuvent pas y accéder. En revanche, certains efforts rendraient la chose possible, et ce, à un coût égal voire inférieur. Cela permettrait du même coup à ces organismes de répondre à leurs objectifs sociaux.
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J'aime beaucoup l'exemple qu'a utilisé M. LePage, mais on pourrait le voir de différentes façons.
De plus en plus, il existe ce qu'on appelle des « clauses sociales » dans d'autres pays, en Europe et aux États-Unis. Il s'agit donc d'un contrat comme celui dont M. LePage parlait, c'est-à-dire faire le ménage dans tous les immeubles fédéraux, par exemple. On comprend qu'il y avait des charges, et qu'on disait ce qu'on voulait comme ménage, mais on pourrait aussi ajouter qu'on veut intégrer en emploi des personnes qui sont loin du marché du travail ou des personnes handicapées. L'entreprise privée peut le faire elle-même, ce qui serait un atout pour la société mais, dans beaucoup de cas en Europe, elle a engagé des sous-traitants, des entreprises d'économie sociale dont c'était la mission de faire cela. Que ce soit l'un ou l'autre, je pense que la société est gagnante. Ce marché reste ouvert pour tous.
C'était un exemple, mais on pourrait aussi dire, quand on fait un contrat pour tout le Canada, qu'on est à peu près sûr que seules des multinationales vont être capables d'y répondre et que le nombre d'entreprises qui vont pouvoir soumissionner est limité. Souvent, si on fractionne le contrat et le limite à une ville, ou parfois même à un immeuble, on n'aura pas de moins bons prix et cela va permettre à des entreprises locales ou des entreprises d'économie sociale de soumissionner, ce qu'elles ne peuvent pas faire pour des contrats qui sont trop gros. On doit toujours avoir cela en tête quand on fait les appels d'offres. La façon même dont on définit notre appel d'offres a un impact.
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Je crois qu'il y a trois ou quatre aspects essentiels dont M. Vermette a parlé, y compris le fractionnement des marchés et les clauses sociales.
Ce qu'il y a de fascinant dans notre travail à l'étranger, c'est que nous constatons que l'ajout de clauses sociales ne va pas du tout à l'encontre des accords commerciaux conclus par le gouvernement fédéral, que ce soit l'ALENA ou d'autres accords plus récents, à condition que les clauses sociales soient claires, transparentes et ouvertes à tous.
Il y a donc le fractionnement des clauses sociales et, encore une fois, la collaboration. Comme M. Butt l'a souligné, lorsque les gens comprennent la valeur... Les gouvernements consacrent 685 milliards de dollars à l'achat de biens et services. Nous devons tirer parti de cela afin d'obtenir de meilleurs résultats pour les citoyens canadiens. Nous pouvons faire cela en commençant à prendre en compte les valeurs sociales. Je peux envoyer à la greffière de votre comité une copie du rapport que nous avons produit l'année dernière pour le ministère de l'Emploi et du Développement social, puisqu'on y parle expressément de la dimension sociale des marchés.
Nous apprenons de ce qui se fait dans d'autres pays, mais également de ce qu'on fait au Canada, que ce soit ce qui a été fait à Vancouver pour les Jeux olympiques, ou ce que l'on fait maintenant pour les Jeux panaméricains. Comment tirer parti des marchés actuels pour créer une valeur sociale?
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Les projets sont extrêmement variés.
Cela peut aller d'une brasserie coopérative à un dépanneur de village. Dans la région d'où vous venez, le Saguenay—Lac-Saint-Jean, il y a le Groupe Coderr, par exemple, qui fait de la gestion des matières résiduelles. C'est une entreprise d'économie sociale. Il y en a dans le domaine de la restauration, par exemple les buffets à emporter et les repas pour personnes âgées.
Il y en a beaucoup dans le domaine de l'habitation, ce qui inclut les résidences pour personnes âgées. Par contre, étant donné que nous ne touchons pas à l'habitation, nous n'appuyons pas ces entreprises. Elles sont extrêmement diversifiées. Certaines sont presque des usines écoles. On peut penser ici à l'entreprise Formétal, qui est établie à Montréal. Des jeunes décrocheurs y sont initiés au travail du métal et fabriquent toutes sortes d'objets en métal: poubelles, bureaux, etc. C'est le genre d'entreprise que nous appuyons. Cela dit, il peut tout aussi bien s'agir d'entreprises culturelles, de salles de spectacles ou d'une école de cirque. Ces projets, dont seule l'imagination est la limite, sont tout de même issus des besoins des communautés.
Nous ne soutenons pas un projet s'il n'est soutenu que par une, deux ou trois personnes. Nous devons sentir que le projet est soutenu par la communauté, par un vrai groupe. En effet, c'est ce qui est pour nous la garantie du succès et c'est ce qui diminue nos risques, en tant qu'investisseurs.
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Je vous remercie infiniment de cette réponse.
Cela met fin à la première table ronde.
Je tiens à vous remercier tous les deux, messieurs, de votre présence, et d'avoir pris le temps de nous faire part de votre expertise.
Je sais que vous avez mentionné deux choses.
Monsieur Vermette, je crois que vous avez proposé d'envoyer au comité un guide stratégique. Je pense que les membres du comité qui se penchent sur cette question aimeraient le recevoir, si c'est possible. S'il est en français, nous serons en mesure de le faire traduire en anglais pour les membres anglophones. Nous vous en serions reconnaissants.
Monsieur Lepage, je crois que vous avez fait allusion à une étude que vous avez proposé d'envoyer au comité. Nous serions également ravis de la recevoir.
Encore une fois, je vous remercie de nous avoir consacré du temps.
Chers membres du comité, nous allons suspendre la séance un moment en attendant la comparution du deuxième groupe de témoins.
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Bienvenue de nouveau, mesdames et messieurs.
Dans la deuxième heure, nous allons continuer notre étude visant à explorer le potentiel de la finance sociale au Canada.
Se joint à nous M. Brian Emmett, économiste en chef du Secteur des organismes sans but lucratif chez Imagine Canada.
Nous accueillons également M. Preston Aitken, directeur des programmes chez Enactus Canada.
Enfin, M. Al Etmanski est présent par vidéoconférence, depuis Surrey, en Colombie-Britannique. Il est cofondateur et partenaire fondateur de l'organisme Social Innovation Generation, et il représente le réseau Planned Lifetime Advocacy Network. M. Etmanski est accompagné de Mme Vickie Cammack, cofondatrice et directrice générale fondatrice de Tyze Personal Networks. Nous vous remercions d'être avec nous cet après-midi.
Bienvenue à tous.
Nous avons prévu une période de 10 minutes pour chacun de vos exposés. Il y en aura trois. Je ne sais pas si nos témoins qui participent par vidéoconférence ont l'intention de se partager le temps qui leur est accordé, mais nous verrons quand ce sera leur tour.
Pourquoi ne pas commencer avec M. Emmett?
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je voudrais commencer par dire quelques mots sur le secteur caritatif en général. Les organismes de bienfaisance ou sans but lucratif constituent un secteur économique important et en pleine expansion au Canada. Les données recueillies par Imagine Canada et par le centre d'étude de la société civile de l'Université Johns Hopkins, aux États-Unis, nous montrent que le secteur des organismes de bienfaisance ou sans but lucratif a connu une croissance plus importante que le PIB pendant les 10 dernières années environ, au Canada et dans la plupart des pays en développement. Il importe de souligner, je crois, que cette croissance rapide est le résultat de la demande sur le marché et de la valeur de la production. Elle est mue par les tendances économiques et démographiques sous-jacentes. Fondamentalement, la population du Canada vieillit et se diversifie. À mesure que notre économie s'enrichit et est de plus en plus axée sur les services, les gens ont de plus en plus besoin de ce que les organismes de bienfaisance ont à offrir, comme les soins de santé et les services sociaux, les loisirs et la culture, la lutte contre la pauvreté ainsi que la préservation de l'environnement naturel, entre autres activités de grande valeur. Nous prévoyons que la croissance de notre secteur se poursuivra.
Aujourd'hui, les organismes de bienfaisance ou sans but lucratif constituent environ 8 % de l'économie canadienne, dont la valeur totale est de 2 billions de dollars. Ils génèrent donc au total des revenus de 160 milliards de dollars par année et emploient deux millions de personnes. Leur contribution à la prospérité du Canada est impressionnante.
Évidemment, en contrepartie, ces organismes ont besoin de 160 milliards de dollars pour financer leurs activités et si, comme nous le prévoyons, leur secteur continue de croître plus rapidement que l'économie dans son ensemble pour répondre aux besoins grandissants, il nous faudra davantage de ressources. Par exemple, si la demande croît de 4 % par année — soit un peu plus rapidement que la croissance prévue du PIB —, les organismes de bienfaisance ou sans but lucratif auront besoin de 4,8 milliards de dollars de plus l'année prochaine, plus de 5 milliards de dollars de plus l'année suivante, et ainsi de suite en appliquant le même pourcentage à la somme précédente. Les chiffres sont énormes et représentent une progression colossale. Il faut évidemment se demander d'où viendra l'argent.
Les études réalisées par Imagine Canada nous indiquent qu'à l'heure actuelle, environ 50 % des revenus des organismes de bienfaisance — qui comprennent, au sens large du terme, les organismes de bienfaisance et les organismes sans but lucratif, comme les hôpitaux et les universités — proviennent des subventions et d'autres formes de paiements issus de l'État, en particulier des provinces. Environ 35 % des revenus viennent des activités des organismes de bienfaisance générateurs de revenus, de la vente de produits et de services, des adhésions des membres, des abonnements aux bulletins, et ainsi de suite. Une proportion additionnelle de 10 % des revenus vient des dons des particuliers, qui peuvent demander en retour un crédit d'impôt. Une proportion relativement petite des revenus, soit moins de 0,5 %, vient des dons des entreprises.
Des difficultés risquent de survenir à l'avenir concernant chacune de ces sources de revenus. L'État, notre principale source de revenus, subira des pressions en raison des difficultés économiques et démographiques qui nous touchent tous. Dans un avenir prévisible, les gouvernements devront probablement lutter contre les pressions financières. Vu ces conditions, il est important de souligner la nécessité de maintenir à tout le moins les niveaux actuels de financement public des organismes de bienfaisance si l'on veut que le Canada demeure un pays prospère sur le plan économique et qu'il y règne une vraie justice sociale.
Deuxièmement, les organismes de bienfaisance chercheront à obtenir plus d'argent sous forme de dons et devront accroître leur bassin de donateurs. Toutefois, les dons des particuliers n'augmentent pas. En pourcentage du PIB, ils connaissent une diminution à la fois légère et préoccupante. Les organismes de bienfaisance s'inquiètent de voir que leurs donateurs âgés ne sont pas remplacés par des donateurs plus jeunes aussi rapidement qu'on le souhaiterait. C'est pourquoi les organismes de bienfaisance s'emploient à obtenir des changements dans les incitatifs fiscaux, comme une bonification du crédit d'impôt pour les dons de charité, une mesure qu'ils continuent de défendre vigoureusement en vue du prochain budget.
Troisièmement, en raison des contraintes qui s'exercent sur les dépenses de l'État et du plafonnement des dons, les organismes de bienfaisance se tournent naturellement vers des activités génératrices de revenus et cherchent de nouveaux moyens de financer leurs activités, ce qui correspond en fait aux souhaits du comité. Ces nouveaux moyens deviennent de plus en plus importants au fil du temps, et leur croissance sera nécessaire pour répondre à la demande, même si les dons et l'aide de l'État demeurent à leurs niveaux actuels. Il est important, de notre point de vue, de souligner que les entreprises sociales et les investissements à retombées sociales sont deux concepts distincts , mais quand même liés l'un à l'autre.
Les entreprises sociales sont des organismes ou des entreprises appartenant à un organisme qui vendent des produits et des services comme moyen d'atteindre des objectifs bénéfiques pour la société. De nombreux organismes de bienfaisance ou sans but lucratif participent à des entreprises sociales depuis des dizaines d'années. Ils ont parfois recours au financement social, qui se présente sous forme d'une vaste gamme d'instruments: le secteur du bien social et les obligations d'amélioration sociale, les fonds pour projets pilotes créés par certaines provinces, le financement collectif et en particulier le financement collectif par emprunt, les investissements d'amélioration sociale et les incitatifs fiscaux pour les investissements à rendement inférieur au taux du marché.
Remarquez que les obligations d'amélioration sociale — bien qu'elles nous viennent tout de suite à l'esprit et qu'elles soient à la mode — ne sont qu'un instrument parmi beaucoup d'autres. Imagine Canada a défini quatre conditions à respecter pour que les organismes de bienfaisance ou sans but lucratif puissent tirer parti de ces nouvelles formes de financement. Premièrement, ils doivent évidemment avoir accès au capital. Deuxièmement, ils doivent disposer du capital humain et des compétences pour faire un bon usage de l'argent. Troisièmement, ils doivent répondre à une demande réelle sur le marché. Quatrièmement, ils doivent bénéficier d'un environnement réglementaire qui leur facilite la tâche.
Les nouveaux instruments d'investissement peuvent être utiles pour répondre aux besoins en capitaux, mais ce ne sera le cas que si l'environnement réglementaire permet aux organismes de bienfaisance ou sans but lucratif de tirer parti de ces instruments et de s'investir dans une gamme plus étendue d'activités génératrices de revenus. Ce sera le cas aussi uniquement si ces organismes disposent de ressources humaines ayant les compétences et les capacités pour se servir judicieusement des nouveaux instruments de financement, pour en comprendre le potentiel et pour façonner des interactions nouvelles avec les pouvoirs publics et les investisseurs.
Pour pouvoir réunir toutes ces conditions préalables, les organismes auront besoin de se doter des moyens nécessaires pour attirer des investissements et bâtir leurs capacités, alors qu'ils subissent de fortes pressions pour réduire leurs dépenses de fonctionnement jusqu'à des niveaux qui ne sont pas réalistes.
Compte tenu de la taille et de l'étendue des difficultés financières auxquelles nous faisons tous face, il n'y aura pas de solution magique ou de remède miracle pour assurer la viabilité financière du grand secteur en pleine croissance dont nous parlons. Nous devons plutôt trimer dur pour essayer de maintenir à leur niveau actuel le financement public et les dons des particuliers, pour développer des partenariats avec les entreprises ainsi que pour explorer et développer de nouveaux instruments, comme les investissements d'amélioration sociale.
Notre objectif en matière de mesures de financement social devrait être d'accroître la quantité totale de ressources disponibles pour les organismes de bienfaisance ou sans but lucratif, et non de remplacer des ressources par d'autres, par exemple, lorsque l'État se déleste de ses responsabilités en les confiant à d'autres secteurs. Dans le tableau que nous envisageons, l'État continue de jouer un rôle vital. C'est la plus grosse source de financement pour les organismes de bienfaisance, et il est crucial qu'il maintienne l'appui qu'il leur accorde. Il est également crucial qu'il les aide à développer leurs capacités et qu'il leur fournisse un environnement réglementaire facilitant.
L'enjeu dépasse largement le domaine de compétence d'un seul comité permanent ou d'un seul ministère. Compte tenu de la vaste gamme de questions de réglementation et de législation qui doivent être considérées pour que le financement social puisse répondre aux besoins et aux objectifs de l'État, du secteur privé et des organismes de bienfaisance ou sans but lucratif, il serait intéressant que vos collègues des comités des finances et de l'industrie prennent note de votre travail et s'efforcent de trouver des moyens de poursuivre sur la même lancée.
Merci beaucoup, monsieur le président.
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Merci de m'accueillir aujourd'hui.
Je me nomme Preston Aitken et je suis le directeur national des programmes pour Enactus Canada.
Aujourd'hui, je voudrais vous donner un aperçu d'Enactus et de son apport à la finance sociale et à l'entrepreneuriat social. Je voudrais aussi, dans un deuxième temps, vous offrir quelques idées afin de favoriser la croissance de la finance sociale au Canada.
Au cas où vous ne le sauriez pas, Enactus Canada est un organisme de bienfaisance national et le plus gros programme au Canada de formation de dirigeants et d'entrepreneurs dans le secteur postsecondaire. Presque 3 000 étudiants y participent, en provenance de 66 établissements universitaires ou collégiaux de tout le pays. Notre mission consiste à former une nouvelle génération d'entrepreneurs et de chefs de file ayant la passion du progrès économique, social et environnemental au Canada.
Nous sommes fiers de dire que nous bénéficions de l'appui de nombreuses entreprises au Canada, notamment Tim Hortons, la Banque Scotia, Capital One et la BDC.
Nous faisons en outre partie du réseau mondial Enactus, qui est à l'oeuvre dans 36 pays avec des programmes auxquels 70 000 étudiants sont inscrits.
Nous avons formé une équipe Enactus dans chaque université et chaque collège où nous sommes présents. L'équipe est dirigée par des étudiants et guidée par des conseillers issus du milieu universitaire et de l'entreprise privée. Ces équipes ont comme objectif de cerner des besoins sociaux et environnementaux dans leur milieu et de mettre en oeuvre une solution qui repose sur l'entrepreneuriat et qui permet à la population cible de se prendre en main. Une fois son projet réalisé, l'équipe doit en mesurer et en consigner les effets sur les vies de ceux qui sont censés en bénéficier.
L'année dernière seulement, les équipes Enactus du Canada ont réalisé 259 projets ayant eu des effets directs ou indirects sur plus de 640 000 personnes. Les étudiants participants ont consacré 225 000 heures de bénévolat à la réalisation de ces projets.
Voici un échantillon des statistiques recueillies concernant les projets de l'année dernière. Ces projets ont fourni un emploi à 1 600 personnes grâce au développement des compétences et à la création d'entreprises. Ils ont réduit la production de déchets de plus de 600 000 kilogrammes. Ils ont fourni à presque 10 000 personnes une formation financière. Ils ont aidé 99 personnes à hisser leur revenu au-dessus du seuil de pauvreté. Ils ont permis d'accroître de 1,6 million de dollars la richesse des participants.
Pour vous montrer concrètement ce que signifient ces chiffres, permettez-moi de vous donner quelques exemples de projets. À l'Université de Windsor, notre équipe a constitué un fonds d'investissement social pour les jeunes souhaitant démarrer localement une microentreprise ayant des effets sur le plan social. L'année dernière, ils ont fourni 10 000 $ en microprêts de 200 $ à ces jeunes. L'équipe exigeait un rendement de 15 %, c'est-à-dire un remboursement de 230 $. Elle a établi le fonds grâce à un partenariat avec une caisse populaire locale. Parmi les entreprises ayant vu le jour se trouvent entre autres un fabricant d'assainisseur d'air écologique et un fabricant de meubles faits de bois recyclé. Ces entreprises génèrent ensemble des revenus de 60 000 $, et l'équipe Enactus de Windsor affiche un taux de remboursement des prêts de 100 %. Elle a donc pu réinvestir l'argent pour donner de l'ampleur au programme et permettre à un plus grand nombre de jeunes de participer et d'apprendre à connaître l'entrepreneuriat social et la finance sociale.
Notre équipe locale de l'Université d'Ottawa est, elle aussi, un bon exemple de réussite. Elle a cerné un besoin important lorsqu'elle s'est aperçue que les déchets visibles dans le monde sont constitués à 37 % de mégots de cigarette. Ils ont décidé de lancer une entreprise sociale qui ramasse les mégots de cigarette et les transforme en plastique pouvant être revendu sur le marché des matières brutes. De plus, cette entreprise a fourni des emplois à des personnes atteintes de maladie mentale. À sa première année d'existence, elle a déjà embauché trois personnes et elle est bien partie pour accumuler des revenus de 50 000 $ d'ici le mois de mai. Les étudiants participants ont trouvé le moyen de financer le démarrage de cette entreprise grâce à divers concours de planification des activités et à diverses subventions.
Ce ne sont là que deux projets parmi les 259 qui ont été réalisés l'année dernière. Ils vous permettent de voir un peu comment les équipes Enactus se servent de l'entrepreneuriat social pour améliorer les vies des gens dans le besoin au Canada. L'accès à la finance sociale joue un rôle essentiel dans la réussite de ces projets et leur capacité à prendre de l'expansion.
Pour vous aider à bien connaître les réalisations de nos équipes, nous vous invitons à assister à l'un de nos concours régionaux ou nationaux, qui prennent l'allure de véritables Olympiques de l'entrepreneuriat. Les équipes se rencontrent et mettent en valeur les résultats qu'elles ont obtenus. Chaque année, nous envoyons la meilleure équipe canadienne représenter le pays à la Coupe du monde Enactus, qui a lieu à un endroit différent chaque fois. L'année dernière, c'était à Beijing et, cette année, ce sera à Johannesburg, en Afrique du Sud. Je suis heureux de pouvoir vous annoncer que nous venons de nous voir confier l'organisation de la Coupe du monde Enactus de 2016, qui se tiendra à Toronto.
En somme, Enactus Canada constitue une plate-forme d'apprentissage expérientiel permettant aux étudiants de réaliser leur potentiel. Notre personnel compte seulement 10 employés et il s'affaire à constituer un collectif d'experts et de mentors capable d'encadrer les étudiants et de leur permettre de réaliser des progrès économiques, sociaux et environnementaux au Canada, grâce à leurs projets faisant appel à la population locale.
Ce cadre ne permet pas seulement d'obtenir des résultats incroyables dont bénéficie la population locale. Il sert aussi à outiller les jeunes participants de notre programme pour qu'ils deviennent les chefs de file responsables de demain, dans le secteur privé et dans la société en général. Nous leur permettons de développer leurs talents et d'acquérir les compétences, la perspective et les connaissances dont ils ont besoin pour entreprendre les projets économiques, sociaux et environnementaux de demain.
Je vous fais maintenant quelques réflexions sur la finance sociale au Canada, du point de vue de mon organisme, Enactus. Comme nous sommes principalement un organisme de développement des capacités, nos deux recommandations concernent le rôle de l'État dans le développement des capacités.
La première recommandation que je voudrais vous faire porte sur la mesure des résultats. S'il peut être assez difficile d'attirer les détenteurs privés de capitaux à investir dans le secteur social, c'est que les deux secteurs ne parlent pas le même langage quand vient le temps de mesurer les résultats sociaux et environnementaux au Canada. Notre organisme a conçu sa propre échelle de mesure à partir des résultats de la recherche sur les cadres existants comme IRIS et le modèle des moyens de subsistance durables. Cette échelle de mesure s'est révélée d'une grande utilité, et nos équipes Enactus se servent d'un cadre et d'un langage communs pour décrire les résultats que nous obtenons. Nous sommes en mesure de compiler nos données à l'échelle nationale et de mieux les interpréter. Cependant, nos normes ne correspondent pas nécessairement à celles des autres organismes, car il n'existe pas de normes communes. La tâche est par conséquent d'autant plus difficile pour les bâilleurs de fonds et les organismes cherchant à financer des entreprises et des organismes de bienfaisance que les comparaisons sont compliquées à faire. Par conséquent, nous recommandons au gouvernement de s'employer à favoriser le recours à des normes communes pour mesurer et présenter les résultats sociaux et environnementaux au Canada.
Deuxièmement, le domaine de l'entrepreneuriat social et de la finance sociale est nouveau et il évolue rapidement. Donc, il est mal connu et mal compris parmi les investisseurs classiques et les organismes qui pourraient bénéficier d'un financement social. Nous constatons que de nombreux établissements postsecondaires ne suivent pas l'évolution de ce domaine et ne l'incluent pas dans la formation de leurs étudiants. Il existe quelques programmes nouveaux, mais ils sont rares. Alors que la finance et l'entrepreneuriat sociaux continuent de croître et d'occuper une place de plus en plus importante au Canada, parmi les solutions prometteuses pour résoudre les problèmes sociaux, il est important que les chefs de file de demain soient prêts à innover dans ce domaine. Par conséquent nous recommandons au gouvernement de favoriser la mise en oeuvre de programmes et de mesures pour former la prochaine génération de chefs de file de l'entrepreneuriat et de la finance sociaux. Nous croyons que les connaissances et l'expertise sur le secteur se développeront de cette manière, ce qui engendrera une augmentation des investissements par la suite.
Je voudrais remercier le comité permanent de m'avoir donné l'occasion de lui adresser la parole aujourd'hui. J'espère que mes suggestions seront utiles à certains égards.
Merci beaucoup.
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Vickie et moi revenons tout juste d'Europe, où nous sommes allés parler de notre travail, plus particulièrement à Barcelone, une ville très intéressante. Elle va d'ailleurs vous en parler dans quelques minutes.
Nous allons faire la présentation ensemble. Nous sommes les cofondateurs du Planned Lifetime Advocacy Network, et nous avons aussi fondé les organisations que vous avez mentionnées lorsque vous nous avez présentés. Par ailleurs, nous ne sommes pas à Surrey en ce moment, mais bien à Vancouver.
Je vais vous parler brièvement du PLAN.
Le PLAN, ou si vous préférez, le Planned Lifetime Advocacy Network, existe maintenant depuis plus de 25 ans. Le réseau a été créé dans l'objectif de répondre à une question à laquelle personne n'avait jamais été tenu de répondre par le passé: qu'arrive-t-il aux personnes handicapées lorsque leurs parents meurent? Lorsque nous avons créé cette organisation à Vancouver, nous pensions que ce serait un modeste projet pilote. À l'heure actuelle, des projets similaires sont menés dans plus de 40 villes partout dans le monde. Pour la première fois de l'histoire, les personnes handicapées vivent plus longtemps que leurs parents.
Le PLAN a d'abord été créé grâce à une modeste subvention du gouvernement fédéral. Une fois que l'argent a été épuisé, le PLAN a poursuivi ses activités sans recevoir aucune somme du gouvernement. Le réseau fonctionne depuis plus de 25 ans sans recevoir d'argent du gouvernement, et donc, il s'agit d'une entreprise sociale.
J'aimerais vous parler de deux aspects particuliers du financement social: premièrement, je vais souligner le travail que nous avons accompli pour créer le régime enregistré d'épargne-invalidité, et deuxièmement, je vais parler d'une entreprise à vocation sociale que Vickie a démarrée, l'entreprise Tyze.
Cela dit, avant d'aborder cet aspect, j'aimerais parler de certaines idées préconçues. La première, c'est que nous ne nous intéressons pas véritablement à la finance si celle-ci ne s'attaque pas aux causes de nos problèmes sociaux. Au Canada, nous dépensons énormément d'argent pour lutter contre la pauvreté et l'itinérance et éliminer les problèmes auxquels se heurtent les personnes handicapées, entre autres. Nous n'avons pas particulièrement envie de nous contenter de restructurer les choses et de trouver d'autres sources de financement. Nous sommes d'avis que la finance sociale peut être utilisée pour aller à la source du problème, pour s'attaquer à ses causes, pour travailler en amont et pour faire de la prévention. C'est la première idée préconçue.
La deuxième idée préconçue, c'est que nous sommes moins tentés d'obtenir de nouvelles sources de financement, même si ce serait là un effort louable. Nous ne pensons pas qu'à court terme, le secteur privé versera beaucoup de fonds supplémentaires. Nous estimons que ce processus sera beaucoup plus lent. Nous nous intéressons surtout à la finance sociale, car elle donne aux gens la possibilité de mettre à profit les ressources existantes et de recevoir des fonds de différentes sources qui fonctionnent mieux ensemble.
Tout cela m'amène au troisième point que je voulais souligner. Nous estimons que la finance sociale doit être ancrée dans un contexte bien précis, que bien des gens partout dans le monde appellent maintenant l'innovation sociale. L'innovation sociale nous invite tous à examiner différemment les problèmes sociaux les plus persistants et les plus difficiles à régler. L'innovation sociale nous incite à faire cinq choses.
Premièrement, elle nous invite à repenser nos solutions, à faire preuve d'une plus grande ouverture d'esprit et à ne pas nous concentrer uniquement sur la façon dont nous avons toujours fait les choses. Deuxièmement, elle nous incite à collaborer d'une manière différente. Troisièmement, elle nous invite à utiliser la technologie lorsqu'il est approprié de le faire, sans toutefois être obnubilés par celle-ci. Quatrièmement, elle nous incite à utiliser notre argent plus judicieusement, ce qui, bien sûr, nous amène à la finance sociale. Cinquièmement, elle nous donne l'occasion d'appliquer le tout à grande échelle. D'ailleurs, Vickie et moi entretenons une autre idée préconçue, soit qu'au Canada, il existe des solutions à nos problèmes sociaux les plus complexes: le problème, c'est qu'il s'agit de solutions orphelines, qui ne sont tout simplement pas appliquées à grande échelle. La finance sociale nous donne l'occasion d'agir.
J'aimerais maintenant parler brièvement du régime enregistré d'épargne-invalidité. Si une famille ou une personne handicapée économisait chaque jour la somme qu'il faut débourser pour acheter un café deux crèmes, deux sucres et un beigne au Tim Hortons, après 30 ans, elle aurait accumulé plus de 350 000 $ — selon les taux d'intérêt applicables —, une somme qu'elle pourrait dépenser comme bon lui semble. Le régime enregistré d'épargne-invalidité est le seul régime de ce type au monde. Il permet d'optimiser les contributions du gouvernement, des fondations, des familles et des particuliers afin que les personnes handicapées puissent enfin avoir un compte en banque et des fonds qu'elles peuvent utiliser à leur guise, au lieu d'être à la merci d'un régime de prestations de services qui a été établi par le secteur à but non lucratif.
Je ne donnerai pas énormément de détails à ce sujet, mais je répondrai aux questions avec plaisir. À l'heure actuelle, plus de 2 milliards de dollars ont été déposés par des personnes handicapées dans un régime enregistré d'épargne-invalidité et, en gros, ces gens cherchent à révolutionner notre vision des mesures de soutien offertes aux personnes handicapées. La majorité des provinces et des territoires éliminent la disposition de récupération. D'ailleurs, la plupart permettent maintenant aux particuliers de gagner et d'accumuler des actifs.
Enfin, je pense que cela nous donne l'occasion de revoir notre façon d'aborder la pauvreté, non seulement pour les personnes handicapées, mais aussi pour les dizaines de milliers d'autres Canadiens qui vivent dans la pauvreté.
À notre avis, il s'agit d'un exemple montrant que le gouvernement, le secteur privé et le secteur communautaire peuvent travailler en collaboration pour régler un tout nouveau problème social, c'est-à-dire ce qui arrive aux personnes handicapées lorsque leurs parents meurent. Cet exemple nous offre également certaines suggestions, et peut-être même un modèle, en ce qui concerne la façon dont nous pouvons nous attaquer à d'autres problèmes sociaux difficiles.
Je vais maintenant donner la parole à Vickie, qui vous parlera d'une autre invention découlant du travail accompli par le PLAN.
L'un des deux principaux objectifs du PLAN consistait à garantir la sécurité financière des personnes handicapées, tandis que l'autre consistait à aborder un problème fondamental touchant ces personnes, en l'occurrence leur isolement. Le PLAN a donc créé un processus très stratégique et ciblé pour favoriser la création de réseaux personnels. Pour que ce processus puisse être étendu aux personnes handicapées, aux membres de leur famille et à d'autres personnes, nous avons déterminé qu'il serait préférable d'avoir recours à une entreprise à vocation sociale, que nous avons appelée Tyze Personal Networks. En fait, nous avons tiré parti de la tendance consistant à utiliser les technologies, et plus précisément les réseaux sociaux, pour créer Tyze. Ainsi, Tyze ressemble en quelque sorte au réseau Facebook, mais il s'agit d'un réseau très personnel et privé qui permet à des gens de coordonner les soins offerts à une personne vulnérable risquant d'être isolée. Lorsque nous avons créé Tyze, nous nous sommes rendu compte que l'isolement est l'un des problèmes propres au XXIe siècle et qu'il est coûteux. En effet, bon nombre d'études indiquent que l'isolement est l'un des déterminants de la santé et qu'il aurait, par exemple, des effets encore plus néfastes que le tabagisme. Donc, la solution Tyze a été créée pour les personnes handicapées, les personnes qui vieillissent et les personnes qui ont une maladie très éprouvante, bref, pour toutes les personnes qui risquent de souffrir d'isolement.
Le financement ayant donné lieu à la création de cette entreprise a d'abord été accordé par le secteur à but non lucratif. Ainsi, nous avons reçu des fonds de plusieurs fondations des États-Unis et du Canada. Nous avons élaboré un plan d'entreprise ainsi qu'un modèle, puis nous avons démarré l'entreprise en tant qu'entreprise privée appartenant non seulement au secteur à but non lucratif, mais aussi à des investisseurs providentiels du secteur privé. En fait, nous avons pu lancer cette entreprise grâce au financement mixte.
Notre modèle d'entreprise a toujours été conçu de façon à ce que la solution puisse être offerte de façon inclusive, accessible et abordable. L'objectif de ce modèle était de vendre Tyze aux entreprises ou aux organismes sans but lucratif qui offrent des services aux personnes risquant de souffrir d'isolement. Lorsque nous avons commencé à prendre de l'expansion, nous avons traité tant avec le secteur des affaires qu'avec le secteur à but non lucratif, ce qui nous a amenés à faire affaire non seulement avec quelques autres investisseurs privés, mais aussi avec certaines fondations, par exemple, qui voulaient investir, mais qui ne pouvaient pas le faire parce qu'il s'agissait d'une entreprise privée.
En ce qui concerne le modèle d'entreprise, encore une fois, puisqu'il s'agit d'un modèle inclusif, accessible et abordable, celui-ci ne cadrait pas vraiment avec le milieu des affaires traditionnel permettant d'avoir accès au financement mezzanine. Nous ne cherchions pas une solution facile et nous ne voulions pas non plus connaître la croissance économique rapide habituelle. Le plus important pour nous était d'avoir un grand rayonnement. Le financement mezzanine, un terme bien connu dans le milieu des affaires, était vraiment très limité pour une entreprise comme la nôtre. Notre entreprise a fini par compter 20 employés. En fait, il a été question que le gouvernement nous accorde des fonds, mais encore une fois, notre statut d'entreprise posait problème. Un organisme sans but lucratif peut aisément avoir accès à des fonds pour mener un projet de ce type, mais on ne peut pas en dire autant d'une entreprise.
Tyze a été acquis il y a un an et demi par un organisme sans but lucratif canadien, Saint Elizabeth Health Care, ce qui est très positif, car cet organisme continue de soutenir Tyze. La principale leçon que nous avons tirée de cette aventure, c'est que le potentiel de la finance sociale est immense et que les possibilités d'établir un partenariat avec le gouvernement pour assurer un rayonnement à grande échelle sont extraordinaires. Le défi réside en fait dans la capacité qu'ont ces diverses organisations et structures de travailler en collaboration. Comment une entreprise à vocation sociale peut-elle travailler avec le gouvernement, des investisseurs du secteur privé et des fondations pour avoir un énorme rayonnement? Il s'agit d'un aspect particulièrement important lorsqu'il est question d'un réseau comme Tyze, qui travaille en amont afin que nos systèmes de soins puissent faire des économies.
Merci.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leurs propos forts intéressants.
Je vais poursuivre avec vous, monsieur Etmansky. Je respecte votre point de vue et votre travail. Selon moi, le crédit d'impôt pour personnes handicapées est une excellente mesure. Mon frère, décédé il y a 10 ans, était atteint de paralysie cérébrale. Mes parents ont passé la plus grande partie de leur vie adulte à s'inquiéter du sort de mon frère après leur mort.
Ils auraient sans doute profité du crédit d'impôt pour personnes handicapées, quoiqu'ils travaillaient tous les deux. Bien des personnes handicapées au pays...Je l'ai entendu à maintes reprises. Vous ne prétendez pas que le crédit d'impôt est le remède à tous les maux — j'aimerais avoir votre opinion à ce sujet. Pensons à l'âge de l'admissibilité à la Sécurité de la vieillesse, qui est passé de 65 à 67 ans, une mesure qui a disproportionnellement touché les personnes handicapées et les petits salariés au pays.
Vous ne préconisez pas que le gouvernement abolisse toute forme de soutien pour ces personnes, n'est-ce pas? Vous soulignez simplement le mérite du financement social.
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C'est terminé, monsieur Wallace.
Merci, monsieur Emmett. J'ai l'impression que vous allez avoir des choses à vous dire par après, tous les deux.
Le comité tient à vous remercier tous de vous être déplacés aujourd'hui.
J'aimerais ajouter quelque chose. J'ai moi-même un fils handicapé intellectuellement de 28 ans. À notre âge, ma femme et moi nous demandons sérieusement ce qui va arriver à notre fils quand nous ne serons plus là, parce qu'il va être encore là après notre mort, ça c'est sûr.
J'ai beaucoup aimé les commentaires en provenance de Surrey et de Vancouver. M. Flaherty et moi en parlions souvent, parce que sa femme et lui avaient eux aussi un fils handicapé.
Je tiens à remercier personnellement chacun d'entre vous de tout ce que vous faites et de la manière dont vous le faites. Je suis convaincu que notre étude sera très utile pour le pays, parce que, quand des gens de votre qualité font votre travail et voient à tous les aspects connexes, ça peut seulement produire de bons résultats.
Merci d'être venus nous voir.
La séance est levée.