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Mesdames et messieurs, soyez les bienvenus.
Avant de reprendre notre étude et l'audition de nos témoins – deux d'entre eux ne sont pas encore arrivés, mais je veux néanmoins débuter la séance à l'heure – j'ai de l'information sur quelques sujets à communiquer au comité.
D'entrée de jeu, je vous informe que notre proposition de déplacement a été présentée plus tôt cette semaine au comité de liaison, qui l'a rejetée. Voilà pour la mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle, c'est que le comité de liaison nous a demandé de lui présenter une nouvelle version, moins coûteuse, que nous avions déjà préparée, si vous vous souvenez bien. Notre greffière avait ébauché un projet de déplacement de l'ensemble du comité, projet que le comité a entériné et que j'ai présenté en son nom. Mais il y avait aussi une proposition moins ambitieuse qui prévoyait le déplacement d'une partie seulement des membres du comité et un budget moindre. Selon la rétroaction que j'ai reçue du comité de liaison, je serais bien avisé de lui revenir avec une proposition plus modeste, qui aurait de bonnes chances d'être mieux accueillie.
Il appartient donc au comité de décider quelle voie il voudrait que je suive à cet égard. Nous devons nous occuper de cette question, ainsi que de trois autres.
D'abord, vous avez peut-être entendu dire que les comités devront faire la transition à un mode de fonctionnement sans papier. Nous aurons une trentaine de jours pour nous conformer à cette exigence. Nous devons donc en discuter et nous y préparer collectivement.
Ensuite, quatre motions de membres du comité ont été portées à ma connaissance qui ont trait aux affaires du comité. Enfin, nous devrons nous pencher de nouveau sur le projet de la flamme perpétuelle. Nous serons appelés à discuter de ce sujet et à décider de notre orientation.
Je mentionne ces questions au début de notre séance d'aujourd'hui simplement à titre d'information, pour que vous sachiez qu'elles seront portées à l'ordre du jour de notre prochaine séance, celle du 24 mars. J'ai demandé à notre personnel de soutien de structurer cette séance de façon à nous laisser, après la table ronde des témoins, amplement de temps, peut-être jusqu'à une heure, pour nous occuper des affaires du comité.
Y a-t-il parmi vous, chers collègues, quelqu'un qui voudrait que nous fassions les choses autrement? Comme je ne vois personne, nous nous procéderons comme je viens de le dire.
Bon après-midi, mesdames et messieurs, et de nouveau bienvenue à la 47e séance du Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées. Nous poursuivrons aujourd'hui notre étude intitulée « exploration du potentiel de la finance sociale au Canada ».
Nous avons aujourd'hui une autre table ronde partagée de témoins. Au cours de la première heure, nous entendrons le président national du Syndicat canadien de la fonction publique. Non, je viens d'apprendre qu'il n'a pas pu se libérer. Il ne sera donc pas des nôtres, mais nous accueillons madame Margot Young, recherchiste en chef du même syndicat. Je ne suis pas sûr du nom du deuxième témoin, mais je le saurai sous peu.
Comparaît également devant nous monsieur Andrew McNeill, qui est le représentant national du Syndicat national des employés et employées généraux du secteur public. Pour revenir au Syndicat canadien de la fonction publique, c'est madame Rampure qui remplace aujourd'hui le président. Merci beaucoup.
J'informe les témoins que chaque organisme dispose de 10 minutes pour livrer son témoignage.
Monsieur McNeill, je vous demanderai de partir le bal, et nous passerons ensuite aux questions.
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Je vous remercie chaleureusement de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole devant le comité aujourd'hui.
Le Syndicat national des employés et employées généraux du secteur public est un regroupement de 11 syndicats de toutes les provinces sauf le Québec. Le SNEGSP représente 340 000 personnes dans neuf provinces. Nos membres proviennent du secteur public, du secteur sans but lucratif et du secteur privé et leur travail consiste notamment à assurer la prestation de services publics de tous genres aux citoyens de leur province.
Nous reconnaissons que la finance sociale a un rôle très important à jouer pour ce qui est de l'apport de fonds à investir dans les entreprises sociales et de prêts pour le développement économique communautaire. En fait, le mouvement syndical a participé à la finance sociale dans le passé. Nous sommes également d'avis que la finance sociale peut être un outil beaucoup plus efficace de création d'emplois que bon nombre des méthodes traditionnelles.
Ce qui préoccupe le SNEGSP est le recours à la finance sociale pour financer des services publics. Bien que l'intention soit louable, nous craignons qu'elle devienne, dans la pratique, un autre moyen de privatiser les services publics.
L'une des idées erronées qui court au sujet de la finance sociale fait, c'est qu'elle est vue comme des fonds gratuits, et trop souvent, quand nous entendons discuter de finance sociale pour les services publics, elle est présentée comme étant une nouvelle source de recettes. Ce qu'on passe sous silence, c'est que les gens, même s'ils sont disposés à investir dans la finance sociale et à recevoir un taux de rendement plus faible afin d'atteindre des objectifs sociaux, s'attendent néanmoins à un certain rendement et que les outils de la finance sociale, tels que les obligations à impact social, mis en œuvre pour financer les services publics ajouteront au coût de la prestation des services publics.
Le moyen de financement social dont ont parle le plus pour les services publics étant les obligations à impact social, il vaut la peine de se pencher sur la façon dont elles influeront vraisemblablement sur les coûts, la qualité et l'obligation redditionnelle.
En premier lieu, il faut signaler que les obligations à impact social sont un moyen coûteux d'emprunter. Par exemple, on s'attend à ce que le taux de rendement annuel de la première émission d'obligations à impact social, à Peterborough, en Angleterre, qui vise à réduire le récidivisme, oscillera entre 7,5 % et 13 %. D'après une enquête menée par le MaRS Centre for Impact Investing et Deloitte Canada, les attentes des investisseurs éventuels dans les obligations à impact social ici au Canada sont du même ordre. Par contraste, le gouvernement fédéral a payé en moyenne 2,37 % ses emprunts en 2013-2014, soit à peu près le tiers du rendement minimal que les investisseurs de Peterborough devraient obtenir.
Les obligations à impact social entraîneront également la création de nouvelles strates d'administration. Tout d'abord, il y a les intermédiaires chargés de trouver des investisseurs et un organisme ou une entreprise pour assurer la prestation du service et sa supervision. Les ententes de mise en œuvre des projets financés au moyen d'obligations à impact social représentent une deuxième strate d'administration.
L'examen par le ministère britannique de la Justice de la première émission d'obligations à impact social souligne la longueur du processus de montage de l'émission et sa complexité analytique. Il a fallu 18 mois pour préparer l'émission d'obligations à impact social de Peterborough. Au Massachusetts, la première émission d'obligations à impact social a exigé 17 mois de négociations. Il semble donc y avoir là une constante.
La dernière strate administrative est celle nécessaire pour évaluer le rendement des projets en regard des critères convenus.
Étant donné que beaucoup des modalités des ententes d'obligation à impact social ne sont pas divulguées, il est difficile d'obtenir des chiffres précis sur les coûts. Ils ne sont tout simplement pas publiés. Cependant, le Department of Legislative Services du Maryland a réalisé, il y a quelques années, une étude sur le coût des obligations à impact social. Cette étude postulait la mise en œuvre au Maryland d'un projet de la même taille que celui de Peterborough, en Angleterre, et concluait à une augmentation de 22 % des coûts en raison de l'ajout des strates administratives qu'il faudrait mettre en place. Autrement dit, le recours aux obligations à impact social pour un service déterminé ajouterait 22 % à son coût.
L'étude du Maryland a aussi déterminé que, bien que les obligations à impact social soient censées se traduire par des économies du fait qu'elles financent des programmes de prévention de problèmes sociaux, les économies sont de beaucoup inférieures aux coûts. L'auteur de l'étude a comparé économies et coûts et a conclu que, même dans le plus optimiste des scénarios, avec les coûts au plus bas et les résultats les meilleurs possibles, les coûts dépasseraient les économies.
Alors même que les obligations à impact social sont vendues comme moyen de réduire la demande de fonds publics, on constate une tendance de plus en plus forte à les subventionner, ce qui paraît contradictoire. Parmi les formes de subvention proposées, il y a les crédits d'impôt aux investisseurs dans la finance sociale et le financement des organismes intermédiaires chargés de réaliser les projets financés à partir des obligations à impact social.
Le fait de subventionner le recours au financement social pour les services publics signifie que, outre le coût direct du service, le public aura à payer une deuxième fois pour, au fond, subventionner les investisseurs et les organismes chargés de réaliser les projets financés à même les obligations à impact social. Aux États-Unis, nous avons même vu des cas où il a été demandé à des organismes de bienfaisance de subventionner de tels projets.
Goldman Sachs, comme cela a été largement publié, a investi dans des obligations à impact social de la ville de New York et du Utah. Dans les deux cas, des organismes de bienfaisance se sont portés garants de ses investissements by. En d'autres termes, si Goldman Sachs ne faisait pas de bénéfices, cette entreprise se ferait rembourser par des organismes de bienfaisance à même l'argent des dons qu'ils ont recueillis, qui représentent, bien entendu, un allégement fiscal. En 2013, Goldman Sachs a déclaré des gains nets de 8 milliards de dollars. Que des organismes de bienfaisance garantissent un taux de rendement à une entreprise gagnant 8 milliards de dollars par an, voilà qui semble quelque peu bizarre.
L'érosion de la reddition de comptes est un autre sujet de préoccupation. Les contrats de services financés au moyen d'obligations à impact social sont rarement rendus publics. De fait, il n'y en a pas eu un seul, à ma connaissance. Le public ne peut pas connaître le détail des services fournis, ni des coûts. Ainsi, le public n'a aucun moyen de savoir s'il reçoit ou non les services qu'il paie.
Certains se préoccupent du fait que le public finira par payer, peu importe les résultats du projet financé au moyen d'obligations à impact social. En principe, aux termes des obligations à impact social, le gouvernement est censé payer les services seulement si le projet atteint les buts convenus et parvient à atténuer les problèmes ou à diminuer les coûts supportés par le gouvernement. Plusieurs raisons portent à penser que cela est d'un optimisme excessif.
La première de ces raisons tient au fait que, même si le projet produit effectivement les résultats convenus, il est très vraisemblable que les économies seront inférieures aux coûts. Même si les obligations à impact social n'atteignent pas ce niveau de réussite, il est quand même probable que le gouvernement finira par avoir à payer. Les investisseurs n'accepteront d'investir dans des projets que si les chances sont bonnes de faire fructifier leur argent. Ça ne prend pas la tête à Papineau pour le comprendre. Si la barre est placée trop haut, personne ne sera intéressé à investir; si elle est trop basse, le gouvernement aura alors à payer pour des projets dont les réalisations sont très minces.
L'atténuation du risque signifie également que les investisseurs seront peu disposés à financer les innovations dans la prestation des services. Selon le modèle des obligations à impact social, si les résultats convenus ne sont pas atteints les investisseurs perdent leur investissement initial. Dans ce cas également, il sera difficile de trouver quelqu'un qui soit disposé à placer de l'argent dans un projet s'il pense qu'il risque de perdre cet investissement.
La négociation du contrat offre également la possibilité de s'assurer que le projet sera tenu pour une réussite, quel qu'en soit le résultat. Dans le projet de Peterborough, par exemple, les participants choisissaient eux-mêmes d'y participer, ce qui constitue de toute évidence un avantage pour un projet ayant pour objet de réduire le récidivisme.
Une dernière préoccupation tient à ce que c'est la rentabilité, et non le besoin, qui détermine qui recevra de l'aide. La priorité des projets financés au moyen d'obligations à impact social sera de produire un bénéfice. Si le service ne paraît pas rentable, les investisseurs ne seront pas disposés à le financer. Le danger qui se pose alors est que les services publics nouveaux ou élargis, s'ils dépendent du bon vouloir des investisseurs, auront pour effet d'exclure certaines des personnes les plus vulnérables de notre société.
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Bonjour. Je m'appelle Margot Young et je parle aujourd'hui au nom du SCFP, le Syndicat canadien de la fonction publique, qui compte plus de 630 000 membres dans le secteur public élargi. Nous nous intéressons à cette question depuis le tout début, et c'est pourquoi nous sommes heureux d'avoir l'occasion de partager avec vous ce que nous avons appris jusqu'à présent.
D'après les statistiques que nous avons compilées – et nous avons travaillé de près avec le SNEGSP si bien que vous que vous constaterez sans doute des similitudes – la finance sociale c'est en quelque sorte l'application du modèle du capital-risque dans le domaine de la prestation de services sociaux, de santé et d'éducation. À la différence des obligations, ce modèle comporte un risque considérable quant aux résultats. En effet, si le projet de donne pas les résultats convenus, les investisseurs risquent de perdre leur investissement initial. Comme Andrew l'a signalé, dans bien des cas, ces investisseurs sont les organismes de bienfaisance qui s'en sont portés garants.
Le rôle du gouvernement se réduit dans les faits à payer une fois remplies les conditions du contrat. En fait, ce modèle externalise non seulement la prestation des services, mais aussi les éléments clés que sont l'élaboration des politiques et les activités de mise en œuvre et d'évaluation. Même la détermination de l'objectif à atteindre est externalisée. Par exemple, dans un projet au Utah, le financement des services de garde d'enfants est lié au rendement scolaire futur des enfants et à la diminution future du taux d'incarcération. C'est ainsi qu'on a décidé de mesurer la réussite. Mais on voit bien que si on externalise la définition même de ce qu'est la réussite…
Il existe une abondante documentation sur l'importance de la participation des femmes au marché du travail, qui montre que ce qui est bon pour le marché du travail est bon pour l'économie et constitue également une mesure utile de lutte contre la pauvreté pour les services de garde d'enfants. Mais cet aspect des choses est perdu si l'on ne fait que mesurer la réduction du coût de l'éducation et du taux d'incarcération.
Les grands établissements financiers privés, comme Goldman Sachs, montrent un vif intérêt pour le financement social. Dans une certaine optique, on peut dire, je pense, que Goldman Sachs et les cabinets de consultants sont heureux d'avoir enfin trouvé une formule pour tirer des bénéfices des services publics.
L'efficacité et les gains escomptés des initiatives de financement social paraissent factices. Dès le départ, les entreprises sont mises sur pied en vue d'écrémer la clientèle de façon à choisir les personnes qui présentent le moins de difficulté et à laisser celles qui ont besoin de plus qu'une aide minimale de la part du gouvernement. En d'autres termes, elles trient sur le volet leurs clients, ceux qui sont les plus susceptibles de réussir. En bout de ligne, c'est le gouvernement qui finit par payer pour les uns comme pour les autres, parce qu'il verse une prime à l'entreprise pour obtenir tels ou tels résultats avec le groupe de personnes choisies, mais c'est à lui qu'incombe, en définitive, la charge d'assurer les services pour les cas plus lourds. Aussi, nous ferions valoir que, si vous avez un système de services publics dans lequel la prestation des services est assurée par le gouvernement, conservez-le, ne serait-ce que parce qu'il fonctionne.
Nous jugeons également très sévèrement les entreprises qui en font la promotion. Le fait que la financialisation des services sociaux publics aggrave la situation sur le terrain a pour résultat de permettre à certaines personnes de s'enrichir à la faveur de programmes publics destinés à venir en aide aux personnes les plus défavorisées de la société.
À notre sens, le pire aspect de l'initiative de la finance sociale est ce qu'on appelle l'obligation à impact social. Celle-ci a été créée en 2008, durant la récession, comme moyen permettant aux gouvernements de reporter à quelque moment futur le paiement de services sociaux nécessaires. Il s'agit d'une espèce de mariage cynique entre l'opportunisme financier des investisseurs et la volonté des gouvernements de rayer des comptes publics de l'exercice en cours des coûts pourtant engagés pendant cet exercice.
Les obligations à impact social misent sur des fonds du secteur privé pour investir dans des services sociaux avec la promesse d'un remboursement par le gouvernement quatre ou cinq ans plus tard, assorti de rendements alléchants. Ces rendements peuvent atteindre jusqu'à 12 % par an. C'est le cas de l'obligation Newpin, en Australie.
Dans cette logique tordue, on cherche à ancrer des idées périmées et discréditées selon lesquelles le secteur privé a quelque chose à offrir qui lui permet de trouver des moyens plus efficaces pour assurer la prestation des services nécessaires. Nous ferions valoir au contraire que l'innovation ne fait aucunement défaut dans le secteur public et que la formule utilisée par les tenants de cette logique pour mesurer le degré d'atteinte des résultats a, en réalité, pour effet d'inhiber l'innovation parce qu'ils appliquent des méthodes basées sur des études de ce qui s'est déjà passé affirmant que si telle chose se produit, telle autre s'ensuivra. Ils intègrent cette trame causale comme moyen de mesure.
Ces stratagèmes, qui ne sont d'ailleurs pas tellement novateurs, aboutissent à la financialisation des services sans but lucratif existants. Une étude ontarienne de la rémunération au rendement, menée en 2007, a comparé une administration municipale et le service d'une entreprise privée, appelée JobsNow, les deux ayant une clientèle avec les mêmes niveaux de besoins, et a conclu que l'entreprise privée avait, en bout de ligne, obtenu exactement les mêmes résultats que les services municipaux, mais à un coût supérieur. C'est ça le modèle de la rémunération au rendement, et il coûte plus cher.
Nous pensons qu'il s'agit d'une tentative d'appliquer ce modèle censément novateur, mais il faut bien constater qu'il n'y a pas de moyen vraiment attrayant pour assurer la prestation de ces services tellement nécessaires. Il existe peut-être d'autres moyens d'innover et de trouver des idées, par exemple en discutant de ces nouveaux moyens avec les participants, les responsables de la prestation de ces services et les décideurs, mais il est douteux que l'application du modèle du capital-risque soit le meilleur moyen.
Il existe des moyens d'inclure la prestation des services publics, mais ce n'est pas celui-là. Les promoteurs des obligations à impact social font couramment valoir l'argument que seul le secteur privé est novateur, mais sans jamais documenter cette assertion. Ils fondent leurs arguments sur leur croyance que le processus décisionnel axé sur les forces du marché est intrinsèquement supérieur aux autres approches. En affirmant la vérité de ces idées comme étant l'évidence même, et en l'absence de toute preuve à l'appui, leur prédilection pour les OIS devient un acte de foi inspiré d'un parti pris idéologique.
Notre position est simple : la finance sociale se traduira par une diminution des ressources disponibles pour les services sociaux et les services aux particuliers, une fragmentation accrue du milieu social et une réduction de la qualité des services au public.
Merci de votre attention.
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Merci, monsieur le président.
Merci aux témoins présents ici aujourd'hui.
Je veux simplement ajouter un petit mot à ce que Rodger a dit quant à la vision négative qui caractérise l'ensemble de votre témoignage, alors qu'à la séance de la semaine dernière nous avons entendu beaucoup de positif. L'un des témoins qui a comparu plus tôt cette semaine nous a parlé de son expérience de partenariat avec un groupe, partenariat dont le mandat prescrivait, entre autres, l'embauche de personnes handicapées, dans une proportion de 20 %, je crois. Si elle répondait à cette exigence, l'entreprise bénéficierait d'un taux d'intérêt réduit sur ses emprunts de capital. Il y a aussi, bien sûr, un rendement social.
Les obligations à impact social constituent une question particulière, mais la finance sociale, dans une optique plus large, consiste à voir si, entre le secteur privé et éventuellement le secteur public, nous pouvons avoir un rendement représentant la valeur sociale de l'investissement. Un bon exemple est le logement abordable, où le gouvernement pourrait peut-être fournir les fonds, sans intérêt, à un promoteur immobilier et où la municipalité renoncerait aux redevances d'aménagement ou autres frais dans le but de fournir des logements à plus bas coût aux gens qui n'ont pas actuellement les moyens de payer les loyers du marché.
Je suppose que ma question vous paraîtra comme une espèce de défi. Qu'est-ce que syndicat a fait pour aider à régler les problèmes sociaux dans le cadre de son action sur le marché du travail? Avez-vous aidé à financer l'embauche de personnes handicapées? Avez-vous contribué à des projets présentant une valeur dans l'ensemble du marché du travail et à d'autres activités du genre? Voilà ce –
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vous ai envoyé un bref aperçu de notre organisme, et vous devez l’avoir en main, dans les deux langues. Je n’y reviendrai donc pas, mais je vous en rappellerai l’essentiel.
Je fais partie de cet organisme depuis un peu plus de 30 ans, et l’organisme existe depuis environ 33 ans à London en Ontario. Depuis une vingtaine d’années, nous nous sommes taillé une place plutôt unique dans le milieu de l’entreprise sociale. La raison en est notre modèle traditionnel de préparation au travail par le truchement de placements, d’ateliers, etc. Nous avons compris il y a un certain temps que ce modèle ne fonctionne pas très bien pour les gens qui ont des besoins très lourds. Par exemple, les sans-abri, notamment il y a 20 ans, qui n’avaient pas accès à un téléphone et qui ignoraient tout des moyens de trouver un employeur s’ils n’avaient jamais travaillé, étaient toujours à la traîne. Vous voulez aussi convaincre d’autres gens de vos aptitudes et capacités, mais vous ne pouvez pas en faire la preuve sur un marché du travail qui exige des preuves de compétences.
Nous avons créé des entreprises sociales parce que nous avions vraiment besoin d’un support. Nous voulions un support qui soit une entreprise fonctionnelle, où les jeunes puissent être préparés à la gérer et à y assumer tous les rôles de premier plan. Ainsi, nous ne les préparons pas nécessairement à travailler dans les domaines où ils ont déjà travaillé. Nous pouvons les placer en fonction de ce qu’ils veulent faire, des compétences qu’ils aimeraient acquérir, des aptitudes qu’ils pensent avoir et de la façon dont nous pouvons les y préparer à l’aide d’une formation informelle et de certifications formelles.
Vous pouvez voir devant vous les diverses entreprises sociales que nous exploitons. La toute première a été un programme de recyclage au bureau. Nous avons également eu un atelier de menuiserie pendant presque 20 ans. Nous produisons une gamme de confitures et conserves appelée Market Quality Preserves: elles se vendent à notre boutique et dans des points de vente au détail établis. Ceux d’entre vous qui viennent d’Ottawa connaissent Farm Boy. Je sais que son siège social s’y trouve. Aujourd’hui est en fait une journée importante puisqu’il ouvre son deuxième magasin à London. Farm Boy distribue nos produits dans tous ses magasins, en plus de certains produits spécialisés réservés à ses magasins de London, tous fabriqués par des jeunes dans le cadre d’un programme de formation qui est une entreprise sociale. Nous avons aussi un café, mais c’est Courtney qui vous en parlera dans un instant. Nous avons un kiosque au marché Covent Garden de London en Ontario.
Tout ça, ce sont des supports, parce qu’ils servent à préparer des jeunes au travail en leur donnant du travail. Aux jeunes qui ont peu d’instruction et aucune expérience professionnelle, nous pouvons expliquer ce que le marché du travail attend d’eux. Quand on parle d’esprit d’initiative, de ponctualité, de faire preuve de dynamisme, de passion et d’intérêt dans le cadre professionnel, cela n’a aucun sens pour quelqu’un qui n’a encore jamais travaillé. Ce qu’ils comprennent par contre est que, si on fait une erreur, on est renvoyé. Les gens qui n’ont encore jamais travaillé concluent généralement qu’il vaut mieux attendre qu’on vous dise quoi faire, parce que, si on se trompe, on est renvoyé. Franchement, le fossé est très large. Pour nous, l’entreprise sociale est un investissement important dans la possibilité de les aider à comprendre.
À la page 2 de l’aperçu, vous verrez les victoires que nous avons remportées. Désormais, nous plaçons 71 personnes par an grâce à nos entreprises sociales. Vous pouvez constater que Youth Opportunities accueille environ 3 000 personnes par an. L’entreprise sociale est un volet important de nos activités, mais ce n’est pas le principal moteur d’accès des jeunes à notre organisme. Mais je dois dire que, pour les jeunes à risque élevé et les jeunes sans qualifications, c’est certainement, et de loin, le moyen le plus valable par lequel nous avons pu les faire entrer sur le marché du travail. L’aperçu vous donne les taux de succès que nous avons enregistrés.
J’étais présent lorsque vous avez interrogé vos premiers témoins au sujet du rendement du financement social. On peut bien sûr en parler brièvement, mais vous verrez que nous mesurons ce rendement de trois façons différentes. L’un de ces critères est le succès. Vous pouvez le constater dans le document: 91 % des jeunes qui s’inscrivent à notre programme réussissent.
Selon le critère des revenus gagnés, à chaque dollar de fonds publics investi, nous ajoutons, dans les faits, 2 $. Le financement fédéral représente actuellement environ un tiers des fonds investis dans nos entreprises sociales.
Le critère de l’impact communautaire est essentiel à nos yeux. J’ai retenu ce que je peux voir et partager avec vous brièvement à cet égard. Il y a en réalité beaucoup plus à dire. Les retombées sociales se traduisent par l’expérience des jeunes qui ont pris part au programme et par l’investissement communautaire et public dans Youth Opportunities Unlimited en raison de nos entreprises sociales. Farm Boy en est un exemple.
Je pense que je vais passer la parole à Courtney maintenant. Elle va vous parler de sa propre expérience.
Je m’appelle Courtney. J’ai 24 ans et je fais partie de YOU depuis l’âge de 18 ans. C’a été une longue route, et pas toujours brillante, mais YOU ne m’a pas lâchée. J’ai commencé à suivre le programme de formation axée sur les compétences en septembre dernier et j’ai terminé en février. Pendant tout ce temps, ils m’ont enseigné les compétences dont j’avais besoin. Je n’avais jamais travaillé dans une cuisine, et maintenant je vais diriger la mienne. J’ai mon propre restaurant local.
Sans YOU, je serais probablement encore sans abri et vivrais de prestations sociales. Ils m’ont donné les compétences dont j’avais besoin. Comme Steve l’a dit tout à l’heure, on peut faire des erreurs au café, et ça, c’est formidable. On sait que si on fait des bêtises sans le vouloir, ça va aller, on va s’en sortir. Les gens n’en font pas une histoire. C’est fantastique.
À regarder les gens qui passent par le café, je dirais que huit personnes sur dix — à part moi — qui réussissent au café trouvent du travail ailleurs. Ça m’a aussi donné la force de faire ce que je suis en train de faire maintenant. Je ne m’aimais pas il y a un an, et maintenant je suis heureuse de ma réussite. Je ne dépendrai plus de l’aide sociale et j’ai un bel avenir devant moi. Il y a un an, je ne pensais même pas que je pourrais réussir, et maintenant je pense à donner des conférences. Ça m’ouvre des possibilités fantastiques. Si ça a pu faire ça pour moi, imaginez combien d’autres gens on pourrait aider.
Je ne peux pas vous dire combien cet endroit m’a aidée, ça m’a vraiment sortie du bois. J’ai appris à faire des choses comme l’inventaire, par exemple. J’ai appris la gestion. J’ai formé des gens. Tout ça grâce à YOU.
Quand je suis allée me présenter à mon nouveau travail cette semaine, je suis arrivée et, comme le disait Steve, je ne voulais pas tout gâcher. Je me tenais là, et on ne m’a pas donné la formation dont j’avais besoin. Chez YOU, on vous donne cette formation. Et puis, le deuxième jour, je me suis dit: bon, il faut juste y aller… je sais ce que j’ai à faire. Je sais ce que c’est de travailler dans une cuisine. YOU m’a aidée, tout va bien.
Là, je ne sais plus où j’en suis. Vous pouvez parler. Je ne sais pas...
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Je vous remercie, monsieur le président.
[Traduction]
Bonjour mesdames et messieurs. Merci beaucoup, monsieur le président, de m’avoir invitée ici aujourd’hui. Cet après-midi, j’aimerais vous présenter rapidement ABC Life Literacy et vous parler de notre démarche dans l’exploration d’un modèle d’entreprise sociale pour une partie de nos activités.
Tout au long de ses 25 années d’existence, ABC Life Literacy Canada a fonctionné à même un éventail très sain de revenus provenant de la participation du secteur public et du secteur privé et de dons. Tous les fonds sont investis dans la mission de veiller à ce que tous les Canadiens aient les connaissances en lecture et écriture et les compétences essentielles dont ils ont besoin pour participer pleinement à la vie sociale.
Compte tenu de la décision du gouvernement fédéral, en juin dernier, de modifier et de réaligner le financement accordé aux activités d’alphabétisation et d’acquisition des compétences essentielles, nous avons cherché un autre mode de financement pour la partie de notre travail qui porte sur la formation au travail visant à recycler les travailleurs canadiens. ABC a adopté un modèle permettant d’offrir de la formation de qualité en milieu de travail dans tout le pays tout en évaluant la validité du modèle de l’entreprise sociale en milieu de travail et dans le domaine de l’alphabétisation et de l’acquisition des compétences essentielles. Ce projet, que nous appelons « UP », abréviation de « upskill », a été lancé peu après la décision du gouvernement fédéral et à même les seules ressources d’ABC Life Literacy Canada. On peut consulter le site Web upskill.ca.
Depuis, et avec l’aide de la Fondation McConnell, nous avons embauché un coach d’entreprise sociale, Norm Tasevski. Il nous aide à réaliser notre projet. Je sais que Norm est venu vous parler plus tôt cette semaine.
Nous avons décidé d’adopter le modèle de l’entreprise sociale pour le projet UP, car il y a une corrélation directe entre l’investissement et l’impact social qui en découlera. Grâce au projet UP, des adultes peu alphabétisés acquièrent et consolident des connaissances de base et des compétences essentielles. Il y a en outre un rendement sur investissement immédiat pour les entreprises qui donnent de la formation à cet égard. En intégrant cette formation au milieu de travail, nous savons qu’elle a un impact positif direct sur la réussite de l’employeur et, par voie de conséquence, sur l’économie. Lorsque la main-d’oeuvre est plus compétente, plus adaptable et résiliente, c’est la compétitivité du Canada qui augmente d’autant.
À titre d’organisme de bienfaisance sans but lucratif, ABC offre des programmes et réalise des projets qui ont un impact social durable sur le niveau de littératie au Canada. Le modèle de l’entreprise sociale convient naturellement à l’objectif de transformation sociale tout en offrant des services très nécessaires. Elle produit, du moins en partie, les fonds nécessaires à la gestion des programmes d’ABC Life Literacy Canada.
Monsieur le président, j’aimerais parler des difficultés réelles que nous affrontons actuellement dans la concrétisation du modèle de l’entreprise sociale. Il y en a quatre que je voudrais souligner cet après-midi, bien que le lancement d’une entreprise sociale en soulève beaucoup d’autres.
La première est le décalage temporel, que d’autres, je crois, appellent le « capital patient », entre le lancement de l’initiative et la production de revenus. Le lancement d’une entreprise sociale, tout comme celui de n’importe quelle entreprise, suppose que le personnel et le conseil d’administration y consacrent beaucoup de temps et appelle un investissement financier. Durant cette période sans production de revenus, il faut quand même payer les factures.
La deuxième a trait à l’apprentissage de ce que le marché assumera ou non financièrement. Certains aspects ne seront pas pris en charge d’emblée par le marché, mais ils sont indispensables au succès de l’entreprise: ce sont par exemple les coûts de sensibilisation, de commercialisation et de communication.
La troisième est la nécessité de créer un marché là où il n’y en avait pas. Lorsque des gouvernements se désistent, ceux qui continuent de défendre la cause en question doivent développer un marché pour cette cause. C’est un processus à la fois lent et coûteux. Et cela suppose beaucoup d’expertise et des campagnes de commercialisation et de publicité sur un marché surpeuplé.
La quatrième est la conjugaison des besoins d’une entité sans but lucratif bien établie comme ABC, florissante depuis 1990, et ceux d’une entreprise sociale à l’étape du démarrage. Comme vous pouvez l’imaginer, ça peut être compliqué. Il y faut un sens aigu du leadership, et de la souplesse de la part des membres du personnel et de nos partenaires actuels comme la Banque TD et la Great-West Life. Il faut aussi savoir très bien tolérer l’ambiguïté. Notre orientation est claire, mais, lorsqu’on crée un marché en même temps qu’on offre des services, on voit émerger beaucoup d’impondérables.
Enfin, il faut faire preuve d’adaptation. À mesure que les possibilités se sont révélées, nous avons appris à « pivoter » comme dit notre coach. Nous devons relever tous ces défis tout en nous initiant à ce qu’est réellement une entreprise sociale, et tout cela au profit du Canada et des Canadiens.
Maintenant, si vous permettez, monsieur le président, j’aimerais parler brièvement du rôle du gouvernement dans tout ça. Dans le modèle traditionnel, le gouvernement joue un rôle important dans les partenariats avec des organismes sans but lucratif comme le nôtre. En principe, lorsque nous collaborons avec le gouvernement, nous circonscrivons les objectifs convenus, nous décidons des moyens de mesurer le succès, nous réalisons, puis nous rendons compte des résultats.
Par contre, quand on investit dans une entreprise sociale, comme c’est le cas de n’importe quelle entreprise au stade de démarrage, les objectifs sont clairs, mais les moyens de mesurer le succès peuvent évoluer. Ils ne peuvent pas être fixés d’emblée, car la valeur du produit et du service, les prix et les consommateurs changeront progressivement. Comme dans le cas d’une entreprise ordinaire, la valeur du produit ou du service sera déterminée par le marché et traduira l’évolution du produit en fonction de ce que pour quoi les consommateurs sont prêts à payer. Ça peut, ou non, coïncider avec nos hypothèses de départ.
Pour que le gouvernement adopte des modèles d’entreprise sociale, il faut adapter des modèles de financement propres à faciliter cette innovation. Nous découvrons également que l’entreprise sociale n’est pas toujours une solution de rechange viable au financement traditionnel du secteur public, parce qu’il y a beaucoup de produits et de services que les entreprises ne sont pas ou pas encore disposées à payer. Nous nous heurtons également à l’idée très enracinée qu’il ne revient pas au secteur privé, mais bien au secteur public, de financer le perfectionnement des compétences.
L’un des problèmes associés aux progrès de la cause de l’alphabétisation et de la formation est qu’on pointe aussitôt du doigt le système d’éducation. Je pense qu’on évite ainsi d’accepter le fait, que cela plaise ou non, que la main-d’œuvre canadienne est ce qu’elle est, avec ses atouts et ses faiblesses. Trop de Canadiens ne sont pas outillés pour affronter l’évolution constante des exigences d’une économie concurrentielle du XXIe siècle.
Il faut se rappeler que nous sommes en mesure de lancer une entreprise sociale parce que nous pouvons compter sur une base de financement diversifiée grâce à nos donateurs et à nos partenariats et nos commandites. Comme je l’ai dit, la Banque TD parraine notre programme de littératie financière intitulée « Question d’argent ». HSBC finance notre programme de littératie familiale, et Great-West Life finance notre programme d’innovations en littératie.
Nous sommes convaincus que l’amélioration du niveau de littératie de tous les Canadiens a des répercussions sociales à long terme, et c’est un projet que nous n’avons pas les moyens de ne pas soutenir. Nous construisons une société fondée sur l’hypothèse que les gens ont le degré de littératie de quelqu’un qui a terminé, selon le cas, ses études secondaires, collégiales ou universitaires. La réalité que révèle le programme d’évaluation internationale des compétences des adultes, c’est-à-dire les résultats de l’étude de l’OCDE publiés l’an dernier, est que 40 % des répondants n’ont pas ce niveau de littératie, même s’ils ont terminé leurs études à l’un ou l’autre de ces trois niveaux. Nos compétences deviennent rapidement obsolètes, et nous n’avons pas de systèmes d’apprentissage permanent.
Nous espérons que les gouvernements continueront de faire partie de la solution, puisque, malgré le fort potentiel de retombées positives pour les entreprises qui investissent dans des programmes de formation en littératie et compétences essentielles, il existe également beaucoup de gens peu alphabétisés dans les collectivités plus marginalisées.
En conclusion, monsieur le président, nous félicitons le comité et le gouvernement du Canada de s’engager dans l’exploration et l’élaboration de modèles de financement social pour trouver des solutions aux enjeux et problèmes urgents de notre pays. Nous sommes convaincus qu’on peut attirer plus de ressources grâce à des modèles de financement nouveaux et adaptés. Le financement social est l’un des instruments qui peuvent nous aider à répondre aux besoins des Canadiens en matière de formation en littératie et en compétences essentielles en milieu de travail. Notre expérience et nos analyses attestent sans équivoque que la littératie en milieu de travail présente un potentiel. Mais ce n’est pas une panacée applicable à tous nos problèmes.
Pour l’avenir, nous continuerons d’adapter notre modèle d’entreprise pour y inclure le financement social dans le but de relever les défis liés à la littératie et à l’acquisition des compétences essentielles par une formation au travail et de proposer des solutions propres à développer une main-d’œuvre plus productive et plus concurrentielle au Canada. Nous invitons instamment le gouvernement à continuer de reconnaître la valeur intrinsèque de l’investissement dans les programmes de perfectionnement de la main-d’œuvre, notre véritable ressource naturelle, et les retombées sociales positives que ces programmes peuvent produire. Nous sommes disposés à collaborer avec le gouvernement et le secteur privé pour résoudre, dans toute leur ampleur et leur complexité, l’ensemble des questions liées à l’amélioration du niveau de littératie et à l’acquisition des compétences essentielles au Canada, aujourd’hui et demain.
Merci, monsieur le président, de m’avoir invitée. Je suis à votre disposition si vous avez des questions. Merci.
Nous tenons d’abord à remercier le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de nous avoir donné la possibilité de vous faire part de notre expérience au nom des petits organismes sans but lucratif.
Crossing All Bridges Learning Centre est un organisme de bienfaisance sans but lucratif qui fonctionne très bien sous forme d’entreprise sociale depuis plus de 10 ans à Brantford en Ontario. Sa mission est d’offrir des programmes et possibilités dynamiques visant à optimiser le potentiel individuel d’adultes affectés de troubles du développement.
L’organisme a été créé dans le but de remplir un vide: il manquait de services pour ce groupe marginalisé à la sortie des études secondaires. Pour beaucoup de ces personnes, la sortir du système scolaire représente la fin d’un certain type de rapport avec leurs amis, leur vie sociale et leur avenir, avec tout ce que cela suppose de déconcertant.
Depuis l’ouverture du centre en 2003, nous nous sommes heurtés à beaucoup d’obstacles. Nous avons notamment eu de la difficulté à obtenir de l’aide financière. Au démarrage de notre organisme, il a fallu que les prêts personnels soient garantis par des actifs de membres du conseil d’administration. Les familles fondatrices n’avaient pas les moyens de placer leurs maisons et leurs fonds de retraite en garantie. Ce groupe de familles a trouvé partout des gens très favorables à l’objectif de l’organisation, mais personne pour engager des fonds dans le démarrage du projet.
C’est à ce moment-là que la Fondation Ontario Trillium a commencé à s’intéresser à la région de Brantford, et c’est grâce à un partenariat avec un organisme de services sociaux financé par le gouvernement à Brantford que nous avons pu demander et obtenir des fonds pour lancer l’organisme qui, à ce jour, a aidé plus d’une centaine d’adultes affectés de troubles de développement et continue d’aider une soixantaine régulièrement.
En août 2014, le centre a reçu une lettre inattendue. Notre partenariat avec l’organisme de services sociaux était résilié, et l’organisme réclamait les 5 000 pieds carrés qu’il nous louait. Nous avons été contraints de chercher de nouveaux locaux et de nous réinstaller en l’espace de quatre mois. Nous avons formé un comité de relocalisation et, pendant que nous cherchions un nouvel espace, nous nous sommes également mis en quête de solutions de financement. Après avoir pris rendez-vous avec deux banques et une caisse populaire, nous avons compris que les institutions financières n’avaient guère évolué depuis la création de notre organisme en 2003. Dans le cadre de son rôle comme organisme de bienfaisance sans but lucratif, CAB n’a pas pu accumuler beaucoup de fonds de réserve non plus qu’obtenir de véritables notations de crédit. Nous avons procédé en gérant sainement nos ressources et nous avons réussi à vivre à même nos budgets tout en offrant des avantages sociaux aux personnes affectées de troubles du développement et aux personnes qui en prennent soin. Durant la période de relocalisation, nous nous sommes heurtés à diverses difficultés, dont les règlements de zonage, la recherche d’un espace fonctionnel et surtout les moyens de financement.
Compte tenu du passage d’un espace partagé à un espace autonome, nos coûts de fonctionnement ont augmenté d’environ 100 000 $. La charge de ces coûts sur les personnes handicapées vivant à même des revenus de pension fixes aura un impact important. Le financement social serait une solution bienvenue pour nous actuellement. Les petites entreprises sans but lucratif ont besoin d’un éventail de ressources financières, notamment dans les zones rurales et les petits centres urbains comme Brantford. Les zones urbaines sont dotées de plateformes d’entreprises sociales bien établies, comme Pillar à London, dont Steve fait partie, ou Social Enterprise Toronto et l’Ontario Nonprofit Network dans le secteur du Grand Toronto.
Ces plateformes sont une ressource importante pour les entreprises sociales qui cherchent du financement et des moyens de se développer. À l’heure actuelle, nous cherchons des solutions de financement pour absorber l’augmentation des coûts associée à la relocalisation. Nous explorons toutes les subventions possibles. Il faut du temps pour les trouver et faire des demandes. Les délais ne permettent pas toujours de répondre aux besoins, et les organismes ne réussissent pas toujours à les obtenir, car la demande dépasse l’offre.
Les intervenants se méfient beaucoup des demandeurs à risque élevé. On pourrait considérer que nous accordons toujours une grande valeur aux avantages sociaux que tirent les participants des services qu’on leur fournit. Ces retombées, bien souvent, n’entrent pas en ligne de compte, et l’énoncé de revenu et le bilan deviennent le facteur décisif de l’attribution des enveloppes financières. Les petites entreprises sans but lucratif ont besoin de solutions financières tenant compte d’une perspective dépassant les éléments de risque.
Parlons des options d’emprunt. Dans notre région, nous pouvons emprunter auprès des établissements bancaires, des caisses populaires et d’Enterprise Brant. Le prêt est accordé en fonction des trois derniers exercices de l’entreprise. Les taux d’intérêt sont fonction du marché actuel, et les modes de remboursement sont rigides, sans égard à l’impact social de l’organisme. Les petites entreprises sans but lucratif ont besoin de modes de remboursement et de taux d’intérêt convenant à leur objectif social et aux résultats escomptés du prêt.
Les campagnes de financement supposent beaucoup d’heures de travail, et le marché est très concurrentiel. Les petites entreprises doivent prendre des décisions difficiles en terme de gestion du temps. Elles doivent décider comment utiliser leur temps limité. Consacrera-t-on ce temps à une campagne de financement pour la cause ou à de la planification stratégique pour bâtir l’organisme de demain? Il est parfois difficile de trouver l’équilibre qui convient. Les campagnes de financement supposent beaucoup de planification et, dans certains cas, comme dans le nôtre, la recherche de nouveaux locaux a pris du temps. Les petites entreprises sans but lucratif ont besoin d’avoir accès à des ressources susceptibles d’être accordées rapidement.
Notre expérience de 12 années de programmes d’apprentissage permanent atteste la nécessité d’élargir la portée de nos programmes pour y inclure de la formation de préparation à l’emploi pour que nous puissions offrir d’autres possibilités de croissance personnelle aux personnes affectées de troubles du développement. Une étude récente, réalisée par des personnes qui en prennent soin, a permis de confirmer la nécessité de la formation en préparation à l’emploi et l’idée que les bénéficiaires, qui sont leur personne à charge ou leur fille, pourraient un jour faire du bénévolat ou travailler dans leur collectivité. C’est pourquoi Crossing All Bridges souhaite lancer des entreprises sociales ayant le double objectif de créer des possibilités d’expérience professionnelle et de l’emploi à temps plein offrant un avantage social aux personnes affectées de troubles du développement tout en produisant des revenus susceptibles d’être réinvestis dans l’organisme pour qu’il puisse élargir sa mission.
L’emploi est une étape normale dans le plan de vie d’une personne. Pour les personnes affectées de troubles du développement, la formation en emploi traditionnelle n’est pas toujours très fructueuse. Nous sommes convaincus qu’une méthode de transition à l’emploi serait plus adaptée à la démarche de la recherche d’emploi.
Nous souhaitons créer des entreprises sociales non pas pour remplacer les programmes d’emploi actuels, mais pour aider les personnes affectées de troubles du développement qui ne peuvent pas s’adapter au marché de l’emploi concurrentiel en leur offrant de la formation permanente et la possibilité de gagner un revenu dans leur collectivité. En créant ces entreprises sociales, nous espérons offrir à ces personnes la possibilité de suivre une formation dans le cadre du module d’apprentissage de CAB, tout en s’approchant de la formation payée au sein des entreprises sociales et, pour certains, de passer aux programmes de soutien à l’emploi traditionnel, comme le programme ontarien de soutien à l’emploi des personnes handicapées, ou au marché de l’emploi concurrentiel. Cela permettrait également d’instaurer une forme de pérennité par laquelle les profits peuvent être réinvestis dans les activités et l’organisme.
Mais, pour faire tout cela, Crossing All Bridges a besoin de fonds de démarrage. Nous poursuivons notre recherche de fonds. Nous avons commencé par les modules d’ateliers et les subventions d’Innoweave et la Canadian Alternative Investment Foundation. Nous en sommes à l’étape d’élaboration du plan d’activité.
Les familles fondatrices souhaitent faire partie de la solution des problèmes auxquels se heurtent les personnes affectées de troubles du développement. L’une des questions dont notre groupe de travail ne s’est pas occupé et qui deviennent pressantes est celle du logement de cette population marginalisée, que les dispensateurs de soins ne peuvent plus assumer. Le principal obstacle à un projet de logement novateur est le manque de solutions de rechange en matière de financement qui risqueraient d’augmenter les coûts opérationnels. Les listes d’attente sont de plus en plus longues, les dispensateurs de soins vieillissent, et nous savons que les solutions sont de plus en plus urgentes. Les solutions de démarrage par du financement social pourraient mettre le mouvement d’innovation en route.
Nous aimerions conclure en rappelant que les petites entreprises sociales comme la nôtre et les organismes sans but lucratif ont besoin de solution de financement dont la perspective dépasse les éléments de risque. Nous avons besoin de modes de remboursement et de taux d’intérêt qui conviennent à l’objectif de nos emprunts et nous avons besoin d’avoir accès à du financement rapide, avec des possibilités qui englobent les petits centres urbains et les zones rurales.
Je crois que Sherrie aimerait vous parler de certaines entreprises sociales.
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Très volontiers. Merci.
Quand nous avons lancé ces programmes, il n'était pas question de finance sociale ou d'entreprise sociale. Nous parlions d'expérience de travail en cours d'emploi. Notre seule ressource était le financement fédéral offert dans le cadre de projets de Connexion compétences pour l'emploi jeunesse, qui étaient une nouveauté à l'époque, en 1993 ou 1996. Nous y avons vu une occasion de formation, quitte à savoir comment nous y prendre pour l'offrir à des jeunes qui n'auraient jamais pu en profiter autrement.
Pour nous, c'était une question d'engagement communautaire. Youth Opportunities Unlimited a participé à ces initiatives parce que nous savions que nous ne pouvions pas créer des emplois à nous seuls. Nous comptons sur le secteur privé pour embaucher des gens, sur les conseils scolaires pour réadmettre des anciens élèves, et ainsi de suite. Il faut donc que ces gens s'impliquent et s'intéressent à notre famille.
Le programme fédéral Connexion compétences nous a permis d'embaucher des jeunes. Il versait leur salaire, parce qu'ils avaient besoin de rémunération, en plus de petites sommes supplémentaires qui nous ont permis de faire appel à des experts pour nous aider avec les programmes de recyclage, par exemple.
Ensuite, nous avons énormément misé sur le secteur privé, essentiellement en demandant qu'on nous cède des bureaux pour pouvoir offrir une formation pratique sur les lieux. Pour nous, même si c'était plus difficile à lancer, la démarche a fini par créer un modèle beaucoup plus solide, car ces personnes s'intéressent tellement à l'organisation qu'elles font des dons sans hésiter. Ce n'est pas nécessairement désintéressé, mais c'est tout de même une ressource fondamentale pour nous. Nous nous tournons vers le secteur privé pour obtenir des emplois liés à nos programmes de stage et autres et la dynamique devient itérative puisque les gens font appel à nos services de recyclage tout en participant activement à Youth Opportunities Unlimited.
Mais utiliser les dollars destinés à la formation, c'est toujours un peu comme vouloir résoudre la quadrature du cercle, car ils ne sont pas censés constituer un fonds d'entreprise sociale. Nous pouvons toujours démontrer les résultats très facilement, mais le style de formation, par exemple, exige de nombreux efforts et discussions avec les agents chargés des projets. Nous nous retrouvons souvent dans une sorte de décalage. Nous obtenons une entente de 12 mois de durée mais au bout de six mois, il s'agit de recommencer à négocier la suivante, et il faut parfois jusqu'à huit mois pour ces négociations.
C'est l'expérience que nous vivons en ce moment-même, où nos entreprises sociales fonctionnent sans le moindre denier de la part du gouvernement. Quand il s'agit d'une occasion de formation conventionnelle, on peut se contenter de mettre un point final au tout. Mais nous ne pouvons pas mettre point final au service de recyclage, fermer le café et accrocher un écriteau disant que le financement du gouvernement s'est épuisé pour l'instant, car il nous faut desservir ces clients chaque jour. Nous nous tirons d'affaire sans le financement en ce moment, mais c'est tout un défi.
Est-ce que j'ai bien répondu à votre question?
C'est le côté rafraîchissant de notre organisme, vous savez. Les gens pensent parfois que quand un organisme à but non lucratif gère tellement d'affaires, il s'agit d'un restaurant, d'une entreprise de recyclage, d'une installation de production de confiture, etc. Mais pas du tout; ce que nous produisons ce sont des jeunes qui réussissent. Tous ces autres éléments ne sont qu'accessoires. Ce sont des accessoires très brillants et merveilleux, mais c'est tout ce qu'ils sont.
Pour nous, il s'agit de repenser chaque décision et de la faire passer par le filtre de notre mission, notre vision et nos valeurs, car si nous ne faisons pas attention, nous pourrions penser que nous sommes un restaurant et si nous pensons de la sorte, nous n'embaucherions pas des itinérants, nous ne permettrions pas aux gens qui ont fait une erreur de revenir le lendemain. Ou bien si une personne sensible fait affaire à un client mécontent et retourne à la cuisine en pleurant, comme il arrive parfois, elle ne reviendrait plus s'il s'agissait d'un restaurant. Ou encore si quelqu'un veut travailler comme gérant, nous leur dirions que nous avons une place mais uniquement à la plonge et nous allons leur montrer comment fonctionne le lave-vaisselle. C'est habituellement ce qui se passe, n'est-ce pas?
J'adore tout simplement le fait que nous puissions songer à la croissance, et c'est tellement palpable pour moi. Nous avons adopté le modèle d'entreprise sociale — je n'en ai pas parlé dans notre mémoire — et nous offrons un logement à 30 jeunes personnes dans le même bâtiment où se trouve le café. Il y a un conseil scolaire dans le bâtiment. Il y a aussi un service de santé. Tout cela n'a rien de conventionnel par rapport à ce que c'était. Il y a 30 ans, c'était très conventionnel; il fallait entrer, suivre une évaluation, quelques ateliers, un stage, et puis bonne chance pour le reste. La formule ne fonctionnait pas très bien pour les gens sans expérience et pas du tout pour les gens aux prises avec des questions de santé mentale et autres difficultés.
Pour moi c'est si rafraîchissant parce que nous faisons la même chose et nous tâchons de combler le même fossé au sein de notre communauté, mais nous le faisons beaucoup plus intensément que jamais auparavant. Notre façon de faire demeure très rafraîchissante.