:
La séance est ouverte. C'est notre toute première réunion sur la thalidomide.
Je souhaite la bienvenue à nos témoins. Toutes nos excuses pour le retard, surtout pour les témoins qui comparaissent par vidéoconférence. L'image est très nette. Nous sommes heureux de vous accueillir. Je suis sûr que nous apprendrons beaucoup sur la question à l'étude aujourd'hui.
Nous avons, de la société Crawford, Michael Mooney, vice-président, Class Action Services, et Brenda Weiss, gestionnaire de projet, Programme d'indemnisation des survivants de la thalidomide.
Du ministère de la Santé, nous avons Cindy Moriarty, directrice exécutive, Programmes de santé et initiatives stratégiques, et Theressa Bagnall, gestionnaire principale, Élaboration des programmes, Bureau des services et innovations des subventions et contributions.
Comparaissent également par vidéoconférence, à titre personnel, M. Martin Johnson, ancien directeur du United Kingdom Thalidomide Trust, et M. Neil Vargesson, maître de conférences, École de médecine, de sciences médicales et de nutrition, Institut des sciences médicales, Université d'Aberdeen.
Nous allons commencer par des exposés préliminaires de 10 minutes, d'abord de la société Crawford, puis du ministère de la Santé et des témoins comparaissant à titre personnel.
À vous, monsieur Mooney, vous avez 10 minutes.
Je suis heureux d'avoir l'occasion de prendre brièvement la parole au nom de Crawford Class Action Services.
Je voudrais tout d'abord vous remercier de nous avoir donné l'occasion de comparaître. C'est toujours un plaisir pour nous de participer au processus, surtout quand notre travail assure d'importants avantages à des personnes qui y ont droit en vertu soit d'un règlement judiciaire soit, comme dans le cas présent, de la mise en oeuvre d'un programme.
Les services Crawford relatifs aux recours collectifs ont été mis sur pied vers 1999. Nous nous sommes occupés de 90 à 100 règlements judiciaires qui ont fait suite à des recours collectifs ainsi que de la mise en oeuvre de programmes gouvernementaux de subventions ou d'autres prestations, lorsque les autorités souhaitaient désigner un administrateur tiers.
Nous avons eu le plaisir de participer à des affaires d'une grande importance, comme le règlement relatif aux pensionnats indiens, les cas d'hépatite C dus à des transfusions de sang contaminé, la crise de l'eau de Walkerton, en Ontario, et de nombreux autres cas mettant en cause des dispositifs médicaux, des maladies d'origine alimentaire, des fraudes boursières, des règlements d'affaires antitrust et anti-coalitions, bref, dans tous les domaines ou presque. Bien sûr, nous nous sommes également occupés de cas d'obligation de diligence de la part de différents établissements dans des situations où des incidents malheureux se sont produits, exposant des personnes à des abus ou les privant de leurs droits.
Nous sommes heureux de collaborer avec Santé Canada dans le cadre du Programme d'indemnisation des survivants de la thalidomide. Nous avons commencé notre travail en octobre 2015. Crawford remplit les fonctions d'administrateur tiers chargé d'exécuter le programme tel que Santé Canada l'a conçu et nous l'a transmis. À ce titre, nous nous sommes efforcés d'appliquer le processus établi et d'offrir des services aux survivants et à de nouveaux membres possibles de la catégorie de personnes souhaitant se prévaloir du programme.
Je n'irai pas plus loin dans cet exposé préliminaire. En fait, je n'ai pas grand-chose à ajouter, sauf pour dire que nous serons heureux de faire de notre mieux pour répondre à toute question relative à notre participation à l'administration du programme.
Nous sommes heureux de participer à ce processus qui, j'en suis sûr, nous permettra à tous d'apprendre les uns des autres.
:
Bonjour. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de présenter des renseignements sur le soutien que le gouvernement assure aux survivants canadiens de la thalidomide. Je vais surtout m'adresser à vous en anglais.
[Français]
Je peux également répondre en français.
[Traduction]
Je serais heureuse de répondre à des questions dans la langue de votre choix.
Dans mes fonctions actuelles à Santé Canada, je suis chargée de la surveillance d'un certain nombre de programmes de financement, dont le Programme de contribution pour les survivants de la thalidomide.
Je voudrais d'abord vous présenter un bref historique des événements qui ont mené à l'établissement du programme ainsi que certains renseignements sur sa conception et sa mise en oeuvre. Vous avez probablement déjà vu une partie de ces renseignements dans la lettre de l'honorable Jane Philpott, ministre de la Santé.
Je vais commencer par l'historique. Vers la fin des années 1950 et le début des années 1960, la thalidomide était prescrite comme sédatif. On avait également constaté qu'elle était efficace dans le traitement des symptômes liés aux nausées matinales des femmes enceintes. Des échantillons de comprimés de thalidomide ont commencé à être distribués le 17 juillet 1959. Le 1er avril 1961, le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, aujourd'hui Santé Canada, a autorisé la vente de la thalidomide sur ordonnance. Elle est restée légalement disponible jusqu'au 2 mars 1962, date à laquelle elle a été retirée du marché. Par conséquent, les premières naissances à terme touchées par la thalidomide auraient eu lieu après avril 1960.
[Français]
En 1991, le gouvernement du Canada a créé le Régime d'aide extraordinaire de 8,5 millions de dollars pour les personnes nées avec des handicaps attribuables à la thalidomide. Les fonds ont été distribués au début des années 1990, puis le programme a pris fin.
À l'heure actuelle, 97 survivants canadiens connus ont reçu une indemnisation par l'intermédiaire de ce régime. De nombreuses années plus tard, soit le 1er décembre 2014, la Chambre des communes a adopté à l'unanimité une motion visant à offrir du soutien aux survivants canadiens. Par la suite, au printemps 2015, le gouvernement a annoncé un ensemble de mesures de soutien fédérales à l'intention des survivants. Ces mesures sont offertes par le Programme de contribution pour les survivants de la thalidomide.
[Traduction]
L'objet du programme est de contribuer à répondre aux besoins des survivants de la thalidomide pendant le reste de leur vie pour qu'ils puissent continuer à vivre avec dignité. Le programme a également permis d'établir un processus d'évaluation des personnes qui n'avaient pas été identifiées en 1991 pour déterminer s'il s'agit effectivement de survivants canadiens de la thalidomide.
Chaque année, des enfants naissent avec des malformations spontanées ou inexpliquées. En l'absence d'un test scientifique objectif, il est difficile de faire la distinction entre les difformités causées par la thalidomide et celles qui sont attribuables à d'autres facteurs.
Il était donc important de veiller à ce que le programme soit fondé sur des critères objectifs et vérifiables. Par conséquent, les responsables ont décidé, puis ont annoncé le 22 mai 2015, que les critères d'admissibilité au programme seraient déterminés en fonction des critères de 1991 de la manière suivante: présentation de renseignements vérifiables établissant qu'on a reçu une indemnité d'une société pharmaceutique, preuve documentaire — par exemple, dossier médical ou compte de pharmacie — de l'utilisation par la mère de thalidomide — nom de commerce Kevadon ou Talimol — au Canada pendant le premier trimestre de la grossesse et inscription sur une liste gouvernementale existante de victimes de la thalidomide.
Cette approche a permis d'établir un processus objectif pour évaluer des personnes qui n'avaient pas été identifiées auparavant afin de déterminer s'il s'agit bien de survivants de la thalidomide. Elle assurait en même temps la cohérence des critères utilisés dans le cadre du Régime d'aide extraordinaire de 1991 et des critères appliqués lors de l'évaluation des nouveaux demandeurs.
Je voudrais noter que l'absence de paramètres de temps dans les critères d'admissibilité permet de présenter des preuves ne s'inscrivant pas dans la période pendant laquelle la thalidomide était disponible au Canada. De plus, les critères n'empêchent pas une personne de présenter une demande si sa mère a absorbé de la thalidomide après que le médicament a été retiré du marché.
J'aimerais maintenant dire quelques mots de la mise en oeuvre du programme.
Au terme d'un processus concurrentiel, Santé Canada a choisi Crawford & Company (Canada) Inc., société expérimentée et bien établie dans le domaine des services de réclamation, comme administrateur tiers indépendant du Programme de contribution pour les survivants de la thalidomide. À part la gestion des paiements de soutien courants et du fonds d'aide médicale extraordinaire, Crawford est chargé d'évaluer l'admissibilité de tous les nouveaux demandeurs.
La marge de manoeuvre laissée à l'administrateur dans l'exécution du programme a été délibérément réduite. Crawford devait s'en tenir strictement aux paramètres du programme, y compris les critères d'admissibilité.
Crawford a confirmé la désignation de 25 nouveaux survivants, qui s'ajoutent aux 97 déjà identifiés au début des années 1990. Cela porte à 122 le nombre total de survivants confirmés. Sur les 25 nouvelles personnes, 16 ont présenté des preuves documentaires de l'absorption de thalidomide par leur mère. Il s'agit du deuxième des trois critères que je viens d'énumérer.
Quatre personnes ont demandé une révision judiciaire de la décision de l'administrateur. La semaine dernière, le 2 mai, une décision a été rendue dans la première de ces affaires: la cour a jugé qu'elle n'avait compétence ni pour examiner la prérogative de la Couronne ni pour reformuler ou ajouter un critère d'admissibilité. Elle a statué en outre que la décision de l'administrateur était équitable du point de vue de la procédure.
Pour terminer, je voudrais vous remercier de m'avoir accordé le temps de vous présenter ces explications aujourd'hui. Comme Michael l'a dit, je crois que nous avons tous quelque chose à apprendre de cet échange. J'espère que vous aurez trouvé ces renseignements utiles.
[Français]
Il me fera plaisir de répondre à vos questions.
:
Je peux vous dire, pour situer le contexte, que j'ai été directeur du Thalidomide Trust de juillet 2000 à mai 2014. Jusqu'à la fin de 2006, nous n'acceptions comme nouveaux bénéficiaires de notre fiducie que les personnes qui étaient parvenues à un règlement au sujet des dommages causés par la thalidomide avec Diageo plc, à titre d'héritiers et successeurs de la société Distillers Co. (Biochemicals) Ltd.
Le processus faisait intervenir deux experts britanniques, le Dr Richard Smithells et le Dr Claus Newman, qui s'étaient spécialisés séparément dans le traitement des enfants victimes de la thalidomide dans les années 1960 et qui avaient conjointement rédigé l'article « Recognition of Thalidomide Defects » paru en octobre 1992 dans le Journal of Medical Genetics.
Il s'agissait d'un processus contradictoire ordinaire. Après le décès du Dr Smithells en 2002, les avocats qui représentaient Diageo avaient encore une douzaine de réclamations qui n'avaient pas été réglées parce que les Drs Smithells et Newman ne s'étaient pas entendus sur le diagnostic. J'ai aidé les avocats à trouver des experts auxquels ils n'avaient pas eu recours auparavant, à savoir le Dr Hans-Georg Willert, de l'Université de Göttingen, et la Dre Janet McCredie, de Sydney.
Grâce à ces deux experts, il a été possible de régler les cas restants. C'est essentiellement par suite de cette expérience que Diageo a déclaré qu'elle mettrait fin au processus discrétionnaire d'indemnisation à compter de la fin de 2006, après l'avoir annoncé dans la presse nationale pendant 12 mois.
Le Dr Willlert est décédé en septembre 2006. À part le Dr Newman, les seuls experts de la thalidomide qui restaient en Europe étaient le Dr Marquardt de Heidelberg, qui était alors très âgé et très fragile, le Dr Jürgen Graf de Nuremberg, qui avait été formé par le professeur Marquardt, et le Dr Peter Kohler de Stockholm, qui a pris sa retraite peu après.
Devant cette situation, les responsables du Thalidomide Trust ont décidé de prendre les mesures nécessaires pour être en mesure d'examiner directement les demandes présentées à la fiducie par des victimes possibles de la thalidomide vendue par la société Distillers.
Du début janvier 2007 jusqu'à ma retraite fin mai 2014, plus de 600 demandeurs ont pris contact avec nous, mais moins d'une trentaine ont satisfait à nos critères. Seuls trois d'entre eux ont pu produire une preuve documentaire établissant que de la thalidomide avait été prescrite à leur mère.
Nous savions que près de la moitié des cas d'origine compris dans les règlements de 1968 et 1973, dans lesquels l'exposition à la thalidomide était considérée comme une quasi-certitude, ne se fondaient pas sur des preuves documentaires. Cela était dû au fait que le médicament avait été très largement distribué par les hôpitaux, à l'occasion de chirurgies dentaires et sous forme d'échantillons gratuits envoyés aux omnipraticiens. J'ai même entendu parler d'un cas où une mère avait reçu des comprimés de son vétérinaire.
Dès le départ, il était évident qu'on ne pourrait pas maintenir ce niveau de preuve dans tous les cas. Nous savions aussi, d'après les études épidémiologiques, que le nombre de personnes atteintes de dysmélie non attribuable à la thalidomide entre 1959 et 1962 était susceptible d'atteindre le double ou le triple du nombre de survivants de la thalidomide. Nous nous attendions donc à voir de nombreux cas qui s'écartaient du schéma type des dommages causés par la thalidomide.
Mon rôle a consisté en premier à éliminer les demandeurs nés soit avant que la thalidomide ne soit disponible soit après son retrait, en tenant compte des périodes appropriées de gestation. Nous avons informé les personnes nées après le retrait du médicament que leur cas ne serait examiné que si elles pouvaient produire des preuves documentaires de l'absorption tardive de thalidomide par leur mère.
Deuxièmement, nous avons déterminé l'endroit où vivait la mère au moment approprié afin de déterminer si elle se trouvait dans un territoire où nous savions que la thalidomide de Distillers était disponible. Nous savions aussi que des médecins avaient apporté avec eux le médicament à des endroits plutôt imprévus. Toutefois, si une réclamation était présentée à l'égard des territoires où, à notre connaissance, le produit n'avait pas été distribué, nous exigions, avant d'aller plus loin, une preuve documentaire de la présence à l'endroit en cause de la thalidomide de Distillers.
La troisième étape de l'évaluation portait sur les cas atypiques, et particulièrement les malformations unilatérales et transversales. Nous avons averti les personnes atteintes de telles anomalies que nous ne pourrions examiner leur demande que si elles produisaient des preuves documentaires établissant que le médicament avait été administré à leur mère. J'avais reçu de la formation à ce sujet de la plupart des experts que j'ai mentionnés, de sorte qu'en 2007, j'avais déjà vu plusieurs centaines de victimes de la thalidomide de différents pays et que les fiduciaires considéraient que mes connaissances étaient suffisantes pour les fins visées.
Le dossier des personnes qui franchissaient les trois étapes d'évaluation était présenté à un comité de nos fiduciaires, qui comprenait toujours des médecins et des juristes. La décision prise était presque invariablement de charger le Dr Newman de rédiger un rapport médical d'expert. Je ne peux pas penser à des cas où la recommandation du Dr Newman n'a pas été suivie. Il y a cependant eu un cas où la personne s'était établie en Australie dans son enfance. Nous avions alors demandé à la Dre McCredie de l'examiner. Ensuite, son rapport accompagné des radiographies avait été soumis au Dr Newman afin qu'il l'examine pour le compte des fiduciaires.
Le fiduciaire qui présidait notre comité des réclamations, comme nous l'appelions, était toujours un juge très expérimenté de la Haute Cour de justice. Le niveau de la preuve exigée pour prendre une décision se fondait sur la prépondérance des probabilités.
Parallèlement, nous avons commencé à nous occuper du transfert et de la mise à jour des connaissances du Dr Newman, surtout afin de regrouper ce qu'on avait appris au fil des ans au sujet des différentes conditions génétiques. C'est le contexte dans lequel s'est tenue la réunion de l'OMS à Genève, où le travail des équipes de généticiens a été examiné par un groupe d'experts mondiaux du domaine. On espérait alors élaborer un algorithme pouvant faciliter l'évaluation. Je ne connais pas l'état d'avancement de ce projet, mais il serait facile de se renseigner. J'ai fait des démarches à ce sujet depuis vendredi après-midi, lorsque j'ai été contacté au sujet de cette séance du Comité, mais je n'ai pas pu obtenir une réponse. Je sais seulement que l'algorithme n'est pas encore utilisé.
Même si nos experts en médecine disent toujours qu'aucun aspect des dommages causés par la thalidomide n'était inconnu avant la mise en marché de ce produit, il y a des schémas distincts des dommages types attribuables à la thalidomide, notamment la phocomélie. Dans une communication présentée dans les années 1960, un médecin allemand, qui rendait compte de nombreux cas qu'il avait traités, avait écrit qu'avant la thalidomide, il avait vu plus de bébés bicéphales que de bébés phocomèles. Tout le travail réalisé par Smithells, Newman, McCredie, Willert, Marquardt et d'autres se fondait sur des rapports complets venant d'Allemagne sur des cas où aucun doute n'était permis quant au rôle de la thalidomide.
La réunion de l'OMS a essentiellement confirmé les résultats de l'ensemble des premières recherches allemandes, qui avaient été étudiés et recueillis un peu partout dans le monde dans les années qui ont suivi. Différentes théories ont été avancées, suggérant par exemple que la thalidomide agissait principalement en réduisant la croissance des vaisseaux sanguins. Cette théorie a été rejetée sur la base de ce qu'on connaissait de la période où les dommages se produisaient, c'est-à-dire essentiellement avant le développement du système circulatoire, et des abondantes preuves contemporaines montrant que l'ingestion du médicament par les mères après la période sensible, qui se situe entre 20 et 42 jours après la conception, ne causait aucun dommage décelable à l'embryon.
Nous avons eu à nous occuper d'un certain nombre de réclamations présentées par des cabinets d'avocats britanniques qui concernaient surtout des cas atypiques. Pour notre comité, les cas atypiques nécessitaient, pour être acceptés, des preuves encore plus concluantes sous forme de documents contemporains. À ma connaissance, de telles preuves n'ont été présentées que dans un seul cas. Il s'agissait d'un trouble extrêmement rare, le syndrome de Roberts. Les cas typiques étaient acceptés sans difficulté.
D'après les notes que j'ai reçues vendredi, je crois savoir que vous essayez de déterminer s'il y a des moyens d'évaluer les dommages causés par la thalidomide. Je dois répondre oui, parce que nous l'avons fait. Il est possible d'évaluer les dommages dus à la thalidomide à un niveau de confiance élevé. C'est une question médicolégale. Je suppose que le Dr Newman, qui est largement octogénaire, remplit encore cette fonction pour le compte du Thalidomide Trust, mais il est maintenant appuyé par la Dre Sahar Mansour, des hôpitaux de l'Université St. George de Londres. Je note aussi que la Dre Schuler-Faccini du Brésil est encore attelée à cette tâche. Elle a signalé à Genève qu'elle étudiait des cas de bébés nés en 2010.
Je vous recommande de lire le rapport de Genève. Il mentionne une annexe 3 de nature technique, qui n'a pas encore été annexée au rapport. Je pense qu'il serait possible de l'obtenir en prenant contact avec l'équipe de l'Université St. George ou peut-être avec le Thalidomide Trust. Le rapport de l'OMS dit que les théories avancées sur le mécanisme causal ne sont pas en fait très utiles pour régler le problème de diagnostic, mais les experts tiennent beaucoup à ce que la recherche se poursuive dans ces domaines parce qu'elle pourrait un jour ajouter énormément à la masse des connaissances humaines.
En résumé, non, nous ne savons pas comment la thalidomide agit sur l'embryon, mais nous connaissons ses effets ainsi que le moment du cycle de gestation où ces effets se produisent. Cela étant, nous avons confiance dans les décisions prises.
J'espère que ces renseignements vous seront utiles.
Je suis biologiste du développement. Je suis un scientifique, et non un clinicien. J'étudie depuis 15 ans le mode d'action de la thalidomide sur l'embryon.
Le produit lui-même est très compliqué. C'est un énantiomère, c'est-à-dire un produit qui peut se retrouver dans l'organisme sous deux formes différentes. On croit que l'une des formes est positive: c'est ce qui donne des effets bénéfiques grâce à son action anti-inflammatoire. L'autre forme serait tératogène et causerait des dommages à l'embryon.
Je m'intéresse beaucoup à la façon dont ce produit agit. Mon intérêt remonte déjà à un certain temps. D'après les travaux réalisés par Janet McCredie dans les années 1970, la thalidomide attaque les nerfs, causant diverses malformations congénitales. J'ai toujours porté un grand intérêt à ces travaux et à la manière dont un produit pharmaceutique comme la thalidomide peut provoquer des dommages aussi importants. Ce produit agit, dans un très court laps de temps, sur la quasi-totalité des tissus de l'organisme, à part le cerveau et le système nerveux central. La façon dont cela se produit est vraiment extraordinaire.
Comme l'a mentionné M. Johnson, le rapport de 1992 de Smithells et Newman dit qu'un seul comprimé suffit pour causer des dommages à l'embryon. Évidemment, plusieurs comprimés provoquent des dommages plus importants.
Nous avons analysé le produit. Nous en avons élaboré différentes versions, les avons décomposées, puis nous nous sommes interrogés sur l'action de chacune sur l'embryon. Nous avons utilisé à cette fin des embryons de poulet et de poisson-zèbre, qui se développent d'une façon très proche de celle des embryons humains. Ces embryons ont des compositions génétiques et moléculaires similaires et sont simples à utiliser. Il est possible de les exposer à une goutte du produit et de voir le résultat. Nous avons découvert, après avoir préparé différentes versions du produit, qu'il leur est possible de modifier la structure moléculaire. On peut trouver des versions de la thalidomide qui agissent sur les vaisseaux sanguins, sur le système inflammatoire ou encore sur le système immunitaire.
Voilà ce que le produit fait normalement. Si on en prend un comprimé, il agit contre le cancer parce qu'il détruit les vaisseaux sanguins. Il permet de traiter des maladies telles que la lèpre et le myélome multiple à cause de ses propriétés anti-inflammatoires.
Nous avons également constaté que c'est l'action anti-angiogénique plutôt que l'action anti-inflammatoire de la thalidomide qui a des effets sur l'embryon. Nous recherchons actuellement les cibles moléculaires de cette action. Si nous réussissons à les identifier, nous arriverons peut-être à mettre au point un outil qui permettrait de déterminer les personnes qui courent le plus de risques.
Nous étudions également la sécurité des produits pharmaceutiques. M. Johnson a mentionné qu'il y avait une nouvelle génération de bébés victimes de la thalidomide au Brésil. Je crois que vous auriez vraiment intérêt à prendre contact avec Lavinia Schuler-Faccini, au Brésil, parce que c'est elle qui s'occupe de tous les diagnostics là-bas. Il y a actuellement un problème de lèpre au Brésil. La thalidomide est très efficace dans le traitement de la lèpre, mais elle a eu comme effet secondaire de produire une nouvelle vague de bébés ayant des malformations du type thalidomide.
Nous avons essayé de produire des formes de thalidomide qui ne provoquent pas de malformations congénitales. Nous cherchons à mettre au point des versions qui ne soient pas anti-angiogénique, c'est-à-dire qui ne s'attaquent pas aux vaisseaux sanguins, leurs effets étant purement anti-inflammatoires. Nous avons réussi à en trouver quelques-unes. Nous essayons maintenant de les utiliser pour traiter d'autres conditions inflammatoires afin de déterminer s'il est possible de s'en servir à la place de la thalidomide.
Voici mon domaine d'expertise. Je ne suis pas clinicien, mais je peux dire, d'après les tests effectués sur des animaux entre les années 1960 et aujourd'hui, et notamment sur des primates ou des singes, que la thalidomide cause des dommages d'une étendue tout à fait extraordinaire. Dans le cas des singes, on peut avoir quatre ou cinq embryons par portée, mais chaque embryon est différent. Chaque embryon subit des effets différents. Certains sont atteints de phocomélie, comme M. Johnson l'a mentionné, avec des doigts sortant directement du sommet des épaules, tandis que d'autres ne subissent presque aucun dommage.
Comment le produit peut-il avoir de tels effets, comment peut-il agir sur une grossesse particulière en ayant des effets différents sur chaque embryon? Nous ne le savons pas encore, mais c'est un fait que la thalidomide a des effets différents sur chaque embryon.
M. Johnson peut confirmer ou infirmer ce que j'ai dit, mais je crois que chaque survivant de la thalidomide a également une gamme différente de dommages. C'est l'une des raisons pour lesquelles il est tellement difficile de comprendre comment le produit agit: chaque personne semble être touchée à un degré différent. C'est l'un des problèmes que nous avons dans le domaine scientifique: essayer de comprendre comment un médicament agit.
Je vous remercie pour le temps que vous m'avez accordé. J'espère que vous avez trouvé ces renseignements utiles.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remplace ici mon collègue Don Davies. J'en suis très heureux parce que la maladie m'a frôlé de près, dans la mesure où j'ai exactement l'âge des gens qui en ont été atteints. J'ai assez bien connu deux personnes qui en sont atteintes. Il fallait voir l'émotion de ces gens lorsque, à la suite du dépôt de la motion de ma collègue Libby Davies, il y a eu une reconnaissance de cela à la Chambre. Le NPD travaille sur ce dossier depuis longtemps. Il faut saluer le travail de Libby Davies, qui était porte-parole en matière de santé sur ce sujet en particulier, et de Don Davies qui a pris le relais. Par pur hasard, ils ont le même nom de famille.
Je ne suis pas un expert dans ce domaine, alors je suis content de voir qu'il y a des experts anglais parmi nous. Quand un problème semble insoluble, on se reporte habituellement à ce qui s'est passé ailleurs et à l'expertise qui y a été acquise.
Comment l'évolution des dossiers des victimes de la thalidomide au Canada se compare-t-elle à ce qui se passe dans différents pays? J'adresse ma question aux deux experts britanniques qui témoignent aujourd'hui par vidéoconférence.
Madame Moriarty, comme vous êtes celle qui demande aux gens de Crawford d'administrer le programme, je vous pose aussi la question. Quelles sont les meilleures pratiques?
Comme l'a dit mon collègue M. Brown, ce médicament a entraîné chez les personnes touchées des difficultés de vie sans nom qu'une personne normalement constituée n'aurait pas à vivre. L'indemnisation de ces gens ne représente quand même pas des sommes faramineuses pour un État, d'autant plus que, dans ce dossier, tout le monde a clairement échoué à sa tâche, tant la compagnie pharmaceutique que les différents gouvernements qui ont approuvé ce médicament.
Madame Moriarty, quelle expertise a-t-on acquise à l'échelle internationale sur la façon dont on peut gérer cette situation et indemniser les victimes à long terme? Il y a quelques années, lors du dépôt de notre motion, nous avions fait valoir que, même si les gens touchés avaient été indemnisés et avaient reçu du soutien, leurs handicaps ou leurs malformations entraînaient de l'usure et un vieillissement prématurés, qui étaient particuliers à chaque cas.
Dans un tel contexte, quelles sont les meilleures pratiques à l'échelle internationale?
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Voyez-vous le lien que je tente de faire lorsque je demande s'il y a eu d'autres médicaments du genre, ou s'il y a eu des changements dans la façon d'approuver les médicaments avant de les rendre disponibles?
Je me pose une question. J'aimerais avoir votre opinion, en tant que spécialiste chez Crawford, ainsi que celle de Santé Canada, et peut-être celle de nos spécialistes d'ailleurs.
Je me rends compte que, jusqu'à maintenant, ce sont les victimes qui ont dû faire la preuve de leur condition. Il revient aux victimes de démontrer qu'il y a bien eu prise de médicaments, évidemment par la mère dans le cas de la thalidomide.
Selon le système de justice, au Canada, on n'est pas coupable jusqu'à preuve du contraire. Or, dans ce cas-ci, on remet la responsabilité de la preuve aux victimes. N'y aurait-il pas un autre moyen de les appuyer, jusqu'à un certain point, de les aider à satisfaire aux critères, comme j'ai entendu Mme Weiss le dire? N'y aurait-il pas moyen d'inverser la responsabilité de la preuve et de la remettre aux pharmaceutiques, et probablement à Santé Canada qui a approuvé le médicament à l'origine? Cela donnerait à Crawford un autre type de mandat, qui serait remis par ordonnance ministérielle, ou par Santé Canada.
Il ne me reste pas beaucoup de temps, mais j'aimerais avoir votre opinion à ce sujet.