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Merci, monsieur le président.
Aujourd'hui, je suis accompagné de Mme Lara Ives, directrice générale par intérim, Vérification et revue, et de Mme Rebecca Shepherd, conseillère juridique.
D'abord, je vous remercie de l'invitation à venir vous parler du projet de loi et de l'Initiative sur les entrées et les sorties.
Dans le plan d'action Par-delà la frontière, le Canada et les États-Unis se sont engagés à établir et à coordonner des systèmes de données sur les entrées et les sorties de tous les voyageurs qui traversent la frontière terrestre. En ce qui a trait aux voyages par voie aérienne, le Canada s'est aussi engagé à établir un système de données sur les sorties similaire à celui des États-Unis.
Le Commissariat a tenu des consultations constructives et suivies avec l'Agence des services frontaliers du Canada, Sécurité publique Canada et plusieurs autres ministères fédéraux participant aux différentes phases de l'Initiative sur les entrées et les sorties.
Depuis 2013, l'Agence des services frontaliers recueille des données biographiques et l'historique de voyage des non-Canadiens et des résidents permanents, principalement pour assurer l'application de la loi sur l'immigration et l'intégrité des frontières.
Le projet de loi à l'étude vise à autoriser la collecte de données sur les sorties des citoyens canadiens lorsqu'ils quittent le pays. Cette mesure permettra de mener à bien les dernières phases de l'Initiative.
D'après le gouvernement, lorsque le système sera pleinement opérationnel, les données sur les entrées et les sorties aideront les autorités canadiennes à mieux gérer notre frontière, à lutter contre la criminalité transfrontalière, notamment les enlèvements d'enfants et la traite de personnes, à réagir aux menaces à la sécurité nationale, à assurer l'intégrité de notre système d'immigration et à réduire la fraude et l'utilisation abusive de certains programmes fédéraux assortis d'exigences en matière de résidence, par exemple les prestations d'assurance-emploi ou de la Sécurité de la vieillesse.
La collecte de renseignements sur les voyageurs qui traversent la frontière terrestre entre le Canada et les États-Unis à un bureau frontalier repose sur l'échange systématique des données entre les deux pays. L'enregistrement d'une entrée dans un pays est considéré comme l'enregistrement d'une sortie de l'autre pays.
En ce qui a trait aux voyages par avion, le Canada établira un système similaire à celui des États-Unis. Les sociétés aériennes devront communiquer à l'Agence des services frontaliers du Canada les renseignements figurant sur le manifeste des passagers pour tous les vols internationaux en partance du Canada.
Comme le prévoit le projet de loi, les renseignements sur les sorties comprendront premièrement les noms et prénoms, la date de naissance, la citoyenneté ou la nationalité ainsi que le sexe de la personne. Deuxièmement, ces renseignements comprendront le type de document de voyage qui identifie la personne, le nom du pays ou de l'organisation qui a émis le document de voyage ainsi que le numéro du document. Enfin, ces renseignements comprendront la date, l'heure et le lieu de départ du Canada de la personne et, si celle-ci arrive aux États-Unis, la date, l'heure et le lieu de son arrivée.
[Traduction]
Pendant les premières phases de l’initiative, le Commissariat a constamment demandé au gouvernement fédéral de faire preuve de transparence quant à la manière dont il utilise les renseignements personnels recueillis auprès des voyageurs. Il lui a aussi demandé de veiller à ce que la collecte et l’utilisation de ces renseignements soient justifiées du point de vue de la protection de la vie privée. À la lumière des discussions que nous avons eues jusqu'à présent avec les institutions concernées et de l’information qui nous a été fournie, je suis généralement convaincu des importants objectifs d'intérêt public visés par l’initiative lorsqu'il s'agit de ces renseignements personnels, qui ne sont pas particulièrement sensibles.
Cela dit, les périodes de conservation proposées par les diverses institutions qui comptent utiliser les renseignements varient grandement. Dans certains cas, les renseignements n'atteignant pas un certain seuil seront éliminés immédiatement. D'après ce que je comprends, pour les besoins de l'assurance-emploi, par exemple, les données biographiques sur les sorties seront communiquées à Emploi et Développement social Canada, mais on les détruira immédiatement s'il n'y a aucun recoupement. Dans d'autres cas, les données pourraient être conservées pendant de très longues périodes — plus de 100 ans dans certains cas —, selon l’institution qui les reçoit et l’utilisation qu'elle en fait. Nous n'avons pas toujours été en mesure de comprendre les raisons qui justifient le choix des différentes périodes.
Nous reconnaissons la nécessité de recueillir et d'échanger des renseignements pour atteindre certains objectifs d'intérêt public, mais il faudrait détruire ces renseignements lorsque les objectifs en question ont été atteints. J'ai l’intention d'examiner attentivement les périodes de conservation proposées et de demander que l'on fournisse des justifications claires.
Je sais pertinemment que, dans ce genre d'initiative, les individus ont parfois de la difficulté à bien comprendre qui détient leurs renseignements personnels, pendant combien de temps et à quelles fins. J'exhorte donc le gouvernement du Canada à faire preuve d'ouverture et de transparence, à limiter l'utilisation de ces renseignements à ce qui est nécessaire et à s'assurer que les institutions concluent des ententes d'échange de renseignements, évaluent les facteurs relatifs à la vie privée et réduisent le plus possible les périodes de conservation.
Je suis ravi de dire que toutes les institutions se sont engagées à présenter au Commissariat une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée 120 jours avant la mise en oeuvre. Nous nous attendons à obtenir des renseignements plus complets sur les utilisations particulières des données par les programmes, les mesures de protection et la justification des périodes de conservation proposées. J'aimerais également que notre organisme soit consulté dès que possible sur les mesures de protection de la vie privée à prévoir dans les ententes d'échange de renseignements.
En conclusion, depuis 2013, 20 millions de fiches de sortie ont été générées, et les échanges entre les États-Unis et le Canada se déroulent maintenant en « temps quasi réel ». Les objectifs sous-jacents de cet échange de renseignements sont raisonnables, à mon point de vue, mais les moyens à prendre pour s'assurer que la collecte, l'échange et la conservation des renseignements respectent la vie privée sont très importants. C'est pourquoi nous nous attendons à être consultés en temps opportun en ce qui concerne les évaluations des facteurs relatifs à la vie privée et les ententes d'échange de renseignements.
Je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole devant le Comité. Je suis maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui, dans le cadre de l'étude du projet de loi .
Je m'appelle Jean-Pierre Fortin, et je suis le président national du Syndicat des Douanes et de l'Immigration.
Notre syndicat représente les agentes et agents des douanes et de l'immigration canadienne travaillant aux points d'entrée, les agents d'enquête, les agents du renseignement et les agents d'audience, de même que le personnel de soutien qui travaille à l'Agence des services frontaliers du Canada.
Le SDI intervient depuis fort longtemps au nom de ses membres dans les questions liées à l'exécution de la loi en matière de sécurité frontalière et d'immigration. Nous cherchons à mettre à profit les connaissances opérationnelles de nos membres pour cerner les éléments préoccupants et, quand c'est possible, pour proposer ce que nous croyons être des améliorations fondées sur de solides connaissances.
Depuis au moins 10 ans, le SDI transmet ces préoccupations et présente des suggestions à la direction de l'ASFC et aux ministres du gouvernement, ainsi que lors de comparutions devant des comités de la Chambre et du Sénat. C'est dans ce contexte que le SDI est ravi de comparaître devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes, concernant le projet de loi .
Comme les membres du Comité le savent, le projet de loi englobe les mesures législatives qui vont compléter la mise en oeuvre de l'initiative Canada-États-Unis des entrées et des sorties, laquelle faisait elle-même partie de l'Entente Par-delà la frontière et du plan d'action connexe.
Il faut préciser d'entrée de jeu qu'en tant que syndicat national représentant les agents opérationnels d'exécution de la loi travaillant aux points d'entrée, nous reconnaissons que les changements dans les mesures législatives et les politiques peuvent avoir des répercussions sur nos membres et le public que nous servons. Nous nous concentrons sur les répercussions opérationnelles à prévoir et sur notre capacité d'accomplir ce qui est maintenant autorisé. Nous examinons aussi les changements de politiques et déterminons s'ils appuient et rehaussent notre double mandat, soit d'assurer la sécurité et de faciliter le commerce et les déplacements.
Nous nous intéressons aussi à la clarté des dispositions législatives concernant tout nouveau pouvoir d'application de la loi. Nos membres comprennent qu'ils veillent au respect de la réglementation publique visant des activités définies dans l'intérêt public. Selon notre expérience, la clarté contribue à susciter la confiance du public.
Permettez-moi maintenant de parler d'enjeux particuliers qui méritent qu'on s'y arrête.
Comme vous le savez, le projet de loi va créer, dans la partie V de la Loi sur les douanes, de nouveaux articles qui vont expressément autoriser les agents de l'ASFC à recueillir de l'information biographique auprès de toutes les personnes qui quittent le Canada, y compris les Canadiens. L'article 94 qui est proposé obligera légalement les personnes qui quittent le Canada, de quelque manière que ce soit, à se présenter devant un agent sur demande et à répondre véridiquement à toutes les questions que l'agent lui pose dans l'exercice des fonctions qui lui sont conférées.
La façon dont cette information est recueillie ou fournie à l'Agence n'est pas précisée dans le projet de loi . Cela se fera plutôt par règlement. Nous ne comprenons pas pourquoi le gouvernement a choisi cette approche. Cela semble signifier que ces détails potentiellement importants ne seront pas soumis au même examen parlementaire que le projet de loi . Le Comité voudra peut-être préciser la raison de cette approche.
L'alinéa 92(1)c) qui est proposé semble aussi limiter la collecte de l'information concernant l'arrivée des passagers au départ vers les États-Unis. Le Comité voudra peut-être confirmer cela avec le nouveau ministre et vérifier si le nouvel alinéa entraînera une interdiction de la collecte et de la conservation d'information concernant l'arrivée des passagers au départ vers d'autres pays, car il s'agit d'un enjeu qui a plus d'importance dans l'environnement de sécurité actuel.
Le Comité devrait aussi essayer de déterminer comment — ou si — l'ASFC compte utiliser le pouvoir proposé à l'article 94 concernant les personnes qui partent du Canada en passant par des postes frontaliers terrestres. On présume que l'objectif de cela n'est pas de créer des files d'attente pour les personnes qui partent du Canada. Il y a déjà des files d'attente pour ceux qui arrivent ou reviennent au Canada, principalement à cause des pénuries d'employés qui persistent, et c'est un autre problème sérieux sur lequel le Comité devrait se pencher.
Nous exhortons le Comité à se pencher sur la question de savoir si l'ASFC utilisera les renseignements qu'elle recueille et reçoit dans le cadre du programme de contrôle des entrées et des sorties. Comme vous vous en rappellerez peut-être, un rapport antérieur du vérificateur général a relevé qu'environ 44 000 mandats d'arrestation sont en suspens aux termes de la LIPR pour des personnes qui ont omis de comparaître. Ces renseignements seront-ils utilisés maintenant, comme nous le suggérons, pour établir que ces personnes ont quitté le Canada et éviter que l'agence gaspille les maigres ressources dont elle dispose à chercher des gens qui ont déjà quitté le pays?
De plus, ces renseignements seront-ils utilisés pour créer une base de données de surveillance plus fiable pour les personnes qui sont interdites de territoire au Canada à l'avenir, surtout pour des antécédents criminels ou des motifs liés à la sécurité? Nous exhortons le Comité à soulever cette question auprès de l'ASFC.
Le Comité devrait également demander à l'ASFC des détails concernant les ententes de liaison avec l'application des lois nationales et américaines pour veiller à ce que les renseignements potentiellement importants qui peuvent être recueillis dans le cadre de l'initiative sur les entrées et les sorties créée en vertu du projet de loi soient communiqués, comme l'autorise la législation canadienne, dont la Loi sur la protection des renseignements personnels, afin d'apporter des améliorations à la sécurité publique. Nous croyons savoir que le gouvernement s'est engagé à exiger la tenue d'évaluations des répercussions sur la vie privée pour tous les ministères et organismes concernés, ce que le Comité voudra peut-être confirmer.
Un autre secteur important dans le projet de loi est ce qui semble être un élargissement du pouvoir de l'ASFC d'examiner les biens destinés à l'exportation. Des lacunes dans ce secteur opérationnel ont été également relevées par le vérificateur général, et le SDI appuie sans réserve cette clarification du mandat d'exécution. Le Comité souhaite interroger l'ASFC sur les changements opérationnels qu'elle compte apporter et sur la façon dont ces changements auront une incidence sur les lacunes relevées par le vérificateur général du Canada.
Le Comité devrait également connaître la cause sous-jacente de ces lacunes opérationnelles au sein de l'ASFC, étant donné que la question requiert une attention immédiate. À la suite du Plan d'action pour la réduction du déficit de 2011, du PARD, on a accusé une perte de 1 200 postes à l'ASFC, dont des agents de contrôle, des agents d'application et des agents du renseignement. Ces compressions ont réduit les capacités opérationnelles, ce qui a entraîné la fermeture de points d'entrée, des réductions des heures d'ouverture, ainsi qu'une hausse des pressions sur les agents pour traiter plus de dossiers. On en a un exemple au Québec et au Manitoba à l'heure actuelle, où l'on demande aux membres de contrôler plus rapidement les gens qui entrent illégalement au Canada entre les points d'entrée, afin d'éviter des arriérés.
Nous sommes inquiets que même si le projet de loi crée de nouveaux outils de contrôle et d'application appropriés, le résultat visé ne pourra pas être atteint efficacement sans rétablir les 1 200 postes qui ont été supprimés dans le cadre du PARD. Nous exhortons le Comité à soulever la question de la pénurie de personnel opérationnel auprès de la direction de l'ASFC et du .
Pour conclure, j'espère que cet exposé aidera le Comité dans le travail important qu'il accomplit, surtout pour ce qui est de réintégrer le personnel nécessaire qui travaille pour les Canadiens et dont je suis fier de représenter.
Merci. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
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Il faut examiner ce programme sur les entrées et les sorties dans une perspective historique plus large.
Il est important de se rappeler que, par le passé, les pays démocratiques ne recueillaient pas de renseignements sur les sorties de leurs citoyens. Cela était lié à la liberté de circulation des citoyens, et l'État ne contrôlait pas ce genre d'activité.
À la suite des événements de septembre 2001, plusieurs pays ont imposé la cueillette de renseignements ou ont recueilli des renseignements à des fins de gestion de la frontière et de sécurité nationale. Le Canada a été parmi les derniers à le faire.
Jusqu'à présent, les renseignements recueillis portaient sur les non-Canadiens, à des fins de gestion de la frontière et de sécurité nationale. Selon le projet de loi , la cueillette de renseignements et l'échange d'information vont également s'appliquer aux citoyens.
Il est important de comprendre qu'il s'agit d'une frontière qu'on traverse. Historiquement, les pays démocratiques ne recueillaient pas ce genre de renseignements au sujet de leurs citoyens. Cependant, les choses ont évolué à la suite des événements de septembre 2001 et c'est maintenant une pratique étendue qui vise également à assurer l'intégrité des programmes sociaux. Nous évoluons donc dans ce sens.
Étant donné l'importance de combattre la fraude relative à ces programmes et l'aspect relativement limité et non délicat des renseignements, cela nous semble raisonnable. Toutefois, il faut comprendre qu'il y a eu cette évolution dans l'histoire des pays démocratiques.
Merci beaucoup de me donner l'occasion de vous rencontrer et de faire un exposé ce matin. Je m'appelle Abram Benedict, grand chef du Conseil des Mohawks d'Akwesasne, une communauté qui se trouve à environ une heure au sud-est d'ici, directement à la frontière entre le Canada et les États-Unis, et entre le Québec, l'Ontario et le Nord de l'État de New York. Je considérais qu'il était important de demander à vous rencontrer. Je tiens à remercier le secrétaire et le président d'avoir répondu rapidement et de nous avoir donné l'occasion de traiter d'une question qui a, à mon avis, d'importantes répercussions sur notre communauté.
Je suis accompagné ce matin par Dwight Bero. Il travaille à titre de chercheur au bureau de recherche sur les droits des Autochtones, lequel aide mon bureau, la communauté et l'organisation du Conseil des Mohawks quant aux questions relatives à la frontière, aux recherches relatives aux revendications territoriales et à d'autres sujets. Je suis heureux qu'il ait pu se joindre à moi aujourd'hui.
J'ai quelques notes d'allocution, que je vous ai remises. Je ne suis pas certain si vous les avez reçues. Je m'en servirai un peu à titre de référence, mais je tiens à dialoguer un peu ou à répondre aux questions que vous pourriez avoir.
La frontière internationale a d'importantes répercussions sur la communauté d'Akwesasne. Cette dernière est notamment touchée par les répercussions législatives de la Loi sur les douanes et de certaines des modifications que l'on entend y apporter.
Comme je l'ai souligné plus tôt, notre communauté est dans une situation sans pareille, car elle se trouve au Canada, aux États-Unis, en Ontario et au Québec. Le Conseil des Mohawks d'Akwesasne est l'organe autochtone reconnu par le gouvernement fédéral qui gouverne la partie canadienne d'Akwesasne, où habitent quelque 12 500 personnes.
Nous sommes géographiquement enclavés par le fleuve Saint-Laurent, comme vous pouvez le voir sur la carte que nous avons ici. Deux parties de notre communauté, qui figurent en jaune sur la carte, sont enclavées par la frontière avec les États-Unis. Pour nous rendre dans ces deux parties, nous devons passer par les États-Unis avant de revenir au Canada. Les deux autres parties de la communauté sont situées au Québec. La partie orange fait partie de l'Ontario, alors que la partie verte fait partie de l'État de New York.
Lors de leurs déplacements quotidiens, les membres de notre communauté traversent la frontière plusieurs fois par jour. Pour ma part, je dois la traverser à de multiples reprises. Je vis dans la partie orange et je dois quotidiennement traverser la partie verte pour me rendre à mon bureau, qui se trouve dans la partie jaune. Il n'y a pas de poste d'inspection à la frontière pour les deux parties jaunes, simplement parce qu'elles sont enclavées par le fleuve Saint-Laurent et les États-Unis. Il n'y a nulle part où aller: on peut y entrer, mais on ne peut pas aller plus loin en territoire canadien.
Quand je traverse chaque jour la frontière, comme je l'ai indiqué, je dois présenter un papier d'identité aux postes d'inspection du Canada ou des États-Unis pour pouvoir passer. Il y a plusieurs années, quand j'ai amené ma fille, qui a maintenant 16 ans, à un des postes frontaliers de la région de Windsor-Detroit, j'ai présenté mon passeport à l'agent d'inspection américain. Il l'a examiné et, avec un regard dénué d'expression, il m'a demandé pourquoi je traversais si souvent la frontière. Dans les quelques instants dont je disposais pour lui parler, je lui ai expliqué que je vis en Ontario et que je travaille au Québec, mais que je dois passer par l'État de New York chaque jour pour me rendre au bureau. Vous savez que les systèmes en place permettent de savoir combien de fois on traverse la frontière. N'étant pas habitué à voir des gens traverser aussi souvent la frontière, l'agent s'étonnait que le système lui indique que je traverse probablement la frontière trois fois par jour, six jours par semaine. Mais c'est là la réalité de notre communauté.
Les amendements que l'on envisage d'apporter aux alinéas 92(1)a), b) et c) ne tiennent pas compte des difficultés géographiques particulières que notre communauté doit affronter, d'autant plus qu'Awesasne est une communauté frontalière dont les résidants doivent traverser régulièrement la frontière pour se rendre au travail, à l'école ou à des activités récréatives.
Le point d'entrée de Cornwall figure au 10e rang au chapitre de l'achalandage au pays. Environ deux millions de véhicules y passent chaque année, mais 70 % des gens qui y passent sont des résidants d'Akwesasne. Soixante-dix pour cent de ceux qui traversent ce poste frontalier sont des Mohawks d'Akwesasne, des Autochtones canadiens.
Dans les deux districts dont j'ai parlé, ce sont 1,4 million de passages qui s'effectuent au point d'entrée de Cornwall, et comme je l'ai souligné, il s'agit souvent de résidants d'Akwesasne. Prenez les deux districts dans lesquels les communautés d'Akwesasne sont considérées. Cela représente trois millions de passages si on tient compte du nombre de fois où il faut passer par les États-Unis pour se rendre au Québec ou en Ontario au cours de la vie quotidienne à Akwesasne.
Nous avons travaillé avec diligence pour réduire les répercussions à la frontière internationale. Par exemple, certains élèves traversent la frontière chaque jour pour passer de la partie jaune à la partie orange et inversement. Nous avons pu nous entendre avec les points d'entrée locaux pour qu'ils n'aient pas à présenter de papiers d'identité quotidiennement. Il est très difficile de gérer un autobus plein de petits enfants transportant des certificats de statut d'Indien ou des passeports. Ces autobus traversent la frontière au moins deux fois par jour et transportent une trentaine d'enfants. Environ 600 enfants traversent quotidiennement la frontière internationale.
Les services d'urgence ont pu conclure une entente pour que les voitures de police, les ambulances et les camions d'incendie puissent entrer dans les districts concernés sans que les employés aient à présenter de papier d'identité, comme l'exige la Loi, puisqu'ils doivent pouvoir fournir les services nécessaires aux personnes en détresse. Ils répondent à la situation d'urgence et se soumettent aux exigences de la Loi par la suite.
À titre d'employeur, le Conseil des Mohawks compte neuf départements et jusqu'à 1 000 employés. En outre, 80 % des gens qui travaillent pour le Conseil et offrent des services quotidiennement sont des Mohawks d'Akwesasne.
Les règlements élaborés doivent tenir compte de la situation géographique de notre communauté. Akwesasne continue de subir des désagréments parce qu'elle est la seule communauté située dans un corridor de circulation mixte. En raison de l'emplacement peu idéal des douanes canadiennes dans la ville de Cornwall, des gens qui arrivent de la partie verte, c'est-à-dire des États-Unis, et qui entrent dans notre communauté doivent se présenter au point d'entrée de Cornwall. Ce faisant, ils passent par le corridor de circulation mixte. En vertu de la Loi, Akwesasne est l'hôte d'un des quatre programmes pilotes de passage frontalier au Canada. Nous avons exercé des pressions pour que l'Agence des services frontaliers du Canada applique un autre processus.
Si je soulève le sujet du corridor de circulation mixte, dont il n'est pas question dans les amendements, mais dont traite le projet de loi que vous examinez, c'est parce que notre communauté est la seule à en subir des effets considérables. Les gens qui n'ont pas encore quitté le Canada, mais qui passent par les douanes canadiennes parce qu'ils doivent se rendre à Cornwall peuvent faire l'objet d'une inspection en raison des pouvoirs prévus par la Loi sur les douanes. Plus précisément, l'alinéa 99(1)f) permet à un agent des douanes de fouiller des véhicules. Une disposition autorise également l'examen des voyageurs nationaux, alors qu'à la plupart des passages frontaliers du Canada, les agents n'examinent que les voyageurs internationaux. Au poste frontalier de Cornwall, les agents examinent les voyageurs tant nationaux qu'internationaux, qui sont fort nombreux.
Je ne saurais trop insister sur le fait que le pays compte un grand nombre de communautés frontalières. Cela ne fait aucun doute. Dans le cas de notre communauté, toutefois, la situation est aggravée par le fait que la population est autochtone et que 70 % des utilisateurs sont mohawks. De plus, deux millions de voitures passent par là chaque jour. Il ne s'agit pas d'un petit poste peu achalandé.
Les Mohawks d'Akwesasne doivent être consultés expressément sur les mesures législatives relatives à la frontière entre le Canada et les États-Unis qui auront des effets néfastes sur leurs droits et les accords existants. Si nous témoignons aujourd'hui, c'est notamment pour vous expliquer les répercussions que les renseignements sur les entrées et les sorties auront sur notre communauté.
Nous comprenons parfaitement qu'il existe une raison pour laquelle ces amendements sont proposés, mais comme les résidants de deux parties de notre communauté ne sont pas examinés par les agents des douanes, en théorie, on pourrait quitter la partie d'Akwesasne qui se trouve en Ontario, dans le secteur orange figurant sur notre carte, pour se rendre dans la partie qui se trouve au Québec, que vous voyez en jaune, et ce, sans être examiné par l'Agence des services frontaliers du Canada pendant des mois. On pourrait simplement décider de se rendre aux États-Unis dans le cadre de ses activités quotidiennes, que ce soit pour magasiner, obtenir des services ou faire autre chose, et ne jamais être examiné à un poste frontalier de l'Agence.
Si ces amendements sont adoptés, le système considérerait qu'on quitte le pays pour longtemps, alors qu'en fait, on pourrait résider continuellement dans la partie canadienne d'Akwasasne, qui est enclavée.