[Français]
Monsieur le président, je vous remercie de nous donner l'occasion de discuter du projet de loi portant sur la Loi sur les douanes. Je suis accompagné de Martin Dompierre et de Nicholas Swales, les directeurs principaux chargés de nos deux récents audits qui portaient sur des sujets dont il est question dans ce projet de loi.
En 2016, nous avons publié un rapport sur le plan d'action Par-delà la frontière et, en 2015, nous avons publié un rapport sur le contrôle des exportations à la frontière.
[Traduction]
Monsieur le président, je vais résumer au Comité ce que nous avons constaté en ce qui concerne la Loi sur les douanes. II est important de noter que nous avons terminé nos travaux d'audit sur le plan d'action Par-delà la frontière en septembre 2016 et ceux sur le contrôle des exportations en août 2015. Nous n'avons pas exécuté d'autres travaux sur ces questions depuis.
En décembre 2011, le Canada et les États-Unis ont publié le plan d'action sur la sécurité du périmètre et la compétitivité économique, qui est mieux connu sous le nom de plan d'action Par-delà la frontière. Le plan d'action comprenait 34 initiatives visant à établir un partenariat à long terme entre les deux pays pour renforcer la sécurité et accélérer la circulation légitime des personnes, des biens et des services à la frontière.
Selon nos estimations, le total des dépenses prévues pour ces initiatives a dépassé 1,1 milliard de dollars, dont environ 585 millions avaient été déboursés en mars 2016. L'audit a examiné les progrès réalisés par les ministères et les organismes pour respecter les engagements énoncés dans le plan d'action et obtenir les résultats voulus concernant les avantages attendus. Nous avons aussi examiné comment les progrès réalisés, le rendement et les coûts étaient présentés dans les rapports annuels de Sécurité publique Canada.
Le plan d'action comprenait plusieurs initiatives visant à renforcer la sécurité. Sur les 700 millions de dollars que les ministères et organismes avaient prévu de dépenser pour ces initiatives, environ 410 millions avaient été déboursés en mars 2016. Toutefois, les ministères et organismes ont été confrontés à des défis lors de la mise en œuvre d'un certain nombre d'initiatives, et ils ne pouvaient pas démontrer qu'ils avaient renforcé la sécurité à la frontière canadienne. Même lorsque les ministères et organismes avaient respecté leurs engagements pour certaines initiatives dans le cadre du plan d'action, ils avaient obtenu des résultats mitigés relativement aux avantages attendus. De plus, ils avaient peu d'indicateurs de rendement pour évaluer les résultats obtenus.
L'une des initiatives en faveur de la sécurité qui n'a pas été achevée est l'initiative sur les entrées et les sorties. Cette initiative, dotée d'un budget de 121 millions de dollars, avait pour objectif de permettre à l'Agence des services frontaliers du Canada de savoir qui entrait au pays et en sortait. Elle devait à l'origine se terminer en juin 2014. En mars 2016, 53 millions de dollars avaient été déboursés, mais l'initiative ne pouvait pas être mise en œuvre entièrement en vertu de la loi actuelle, qui ne permet pas la collecte, l’utilisation et la diffusion de données sur les citoyens canadiens qui sortent du pays.
Sans nouvelle autorisation législative, l'Agence des services frontaliers du Canada ne peut pas réaliser l'initiative et démontrer les bienfaits qu'elle apporte en matière de sécurité. Par exemple, la capacité actuelle de l'Agence et des forces d'application de la loi d'identifier les voyageurs qui présentent un risque élevé et de les empêcher de quitter ou de tenter de quitter le Canada est limitée.
[Français]
Permettez-moi maintenant d'aborder les questions relatives au contrôle des exportations.
Les exportations sont essentielles à la vie économique du Canada, mais certaines d'entre elles sont contrôlées dans le but de réaliser une série d'objectifs stratégiques, comme celui de protéger la sécurité de la population canadienne. Même si plusieurs entités fédérales interviennent dans le contrôle des exportations, l'Agence des services frontaliers du Canada est la dernière ligne de défense du Canada contre l'envoi hors du pays de marchandises qui contreviennent aux lois du Canada en matière d'exportation.
L'audit visait à déterminer si l'Agence avait l'information, les méthodes et les contrôles nécessaires pour mettre en oeuvre ses priorités en matière d'exécution de la Loi, prévenir l'exportation de marchandises qui contreviennent aux lois du Canada en matière d'exportation et faciliter le commerce légitime.
Nous avons constaté des lacunes dans l'information, les méthodes et les pouvoirs de l'Agence pour ce qui est d'évaluer les risques liés à l'exportation, d'allouer ses ressources et d'atteindre ses priorités. Par conséquent, l'Agence a manqué des occasions d'empêcher l'envoi hors du pays de marchandises qui n'étaient pas conformes aux lois de contrôle des exportations du Canada.
Les limites des pouvoirs de l'Agence lui ont posé une difficulté particulière en ce qui a trait à l'examen des envois qui n'étaient pas mentionnés dans une déclaration d'exportation. L'Agence ne pouvait pas ouvrir les envois au hasard comme elle pouvait le faire pour les importations ou les exportations mentionnées dans des déclarations. Les représentants de l'Agence estimaient que les limites de leurs pouvoirs d'examen réduisaient leur efficacité à empêcher l'exportation de drogues illégales. L'incapacité d'ouvrir les envois au hasard signifiait également que l'Agence ne pouvait pas évaluer le niveau global de conformité des envois non déclarés.
Le projet de loi qui est devant vous aujourd'hui contient des dispositions au sujet des deux contraintes législatives que nous avons soulevées dans nos rapports.
[Traduction]
Monsieur le président, je termine ainsi ma déclaration d'ouverture.
J'espère que les conclusions de nos audits aideront les membres du Comité à effectuer leur examen de ce projet de loi.
Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du Comité.
Merci.
:
Merci, monsieur le président.
Je n'ai que quelques questions brèves, et je vais céder la parole à M. Paul-Hus, si c'est possible, lorsque j'aurai terminé.
Je veux d'abord faire écho à ce que mon collègue a dit. Je pense que je travaillais dans les finances à l'époque, monsieur Ferguson, et personne n'a remis en doute vos titres de compétences, mais on a vraiment critiqué le fait que vous ne parliez pas français. Toutes les personnes nées au cours de la même décennie que nous savent à quel point il est difficile d'apprendre une autre langue, et je veux vous féliciter. Je pense que vous avez accompli une chose assez extraordinaire.
On a posé une question, et je ne sais pas si nous avons obtenu des précisions, du moins pas dans mon cas. Sur Google, j'ai cherché « commander de la marijuana au Canada », et on m'a suggéré 10 sites. Il y avait par exemple Ganja Express, « une entreprise canadienne établie en Colombie-Britannique qui offre un accès légal et sécuritaire à de la marijuana de haute qualité à des fins médicales et récréatives d'un bout à l'autre du Canada ». C'est le message publicitaire qui est donné même si nous n'avons pas encore légalisé la marijuana.
Compte tenu des complications à la frontière, je me demande où vous voyez cela dans un autre... Si les libéraux légalisent la marijuana d'ici le 1er juillet, comme ils disent qu'ils le feront, comment pensez-vous que le projet de loi à l'étude sera touché par cette mesure législative?
:
Encore une fois, je ne peux pas vraiment parler de l'autre loi.
Ce que nous avons souligné dans l'audit, c'est que, de façon générale, il y a des restrictions concernant l'exportation de certains produits. On s'attend à ce que l'Agence des services frontaliers du Canada — comme tout autre organisme gouvernemental concerné — s'assure que toutes les restrictions applicables à l'exportation de produits seront respectées.
En ce qui concerne la marijuana, cela dépendra bien sûr des règles et des restrictions qui seront fixées pour son exportation — comment ces règles et restrictions pourraient changer, le cas échéant. Bien entendu, lorsque nous avons effectué notre examen, l'exportation de drogues illégales n'était pas permise. Ces exportations devaient être gérées et contrôlées à la frontière.
Toutefois, ce que nous avons constaté, encore une fois, c'est que l'agence avait l'impression — et cela s'explique surtout par le fait qu'elle n'avait pas la capacité d'ouvrir au hasard les envois non déclarés — qu'elle n'avait pas l'autorité voulue pour signaler systématiquement les occurrences possibles d'exportation de drogues illégales.
Je le répète, la question fondamentale est d'établir si l'exportation de certains produits est interdite aux termes des lois et règlements canadiens et, le cas échéant, de voir comment les organismes gouvernementaux s'y prennent pour s'assurer que ces restrictions à l'exportation sont respectées.
:
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Mesdames et messieurs membres du Comité, bonjour. Je vous remercie de votre invitation et de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui.
Je m'appelle Elise Boisjoly et je suis sous-ministre adjointe à la Direction générale des services d'intégrité à Emploi et Développement social Canada, ou EDSC.
Aujourd'hui, j'aimerais vous parler de l'information que nous allons recueillir à la suite de l'adoption du projet de loi et de la façon dont nous allons utiliser cette information au sein de notre ministère.
[Traduction]
Tout d'abord, j'aimerais parler du ministère que je représente, EDSC.
Notre ministère a pour mandat d’améliorer le niveau et la qualité de vie de l’ensemble de la population canadienne. Nombre de Canadiens bénéficient des programmes de la Sécurité de la vieillesse et de l’assurance-emploi, que vous connaissez probablement. Permettez-moi de vous dire quelques mots sur ces deux programmes.
L’assurance-emploi fournit un soutien du revenu temporaire aux particuliers qui ne peuvent travailler à la suite d’événements particuliers. Par exemple, des prestations d'assurance-emploi peuvent être offertes aux personnes mises à pied par leur employeur, aux femmes qui ne peuvent pas travailler pendant leur grossesse et aux parents qui prennent soin d'un nouveau-né ou d'un enfant nouvellement adopté.
Vous connaissez probablement aussi la Sécurité de la vieillesse, qui s'adresse aux aînés. Le programme offre des prestations aux personnes de plus de 65 ans, le Supplément de revenu garanti aux aînés qui ont un faible revenu ainsi que des allocations à l'intention des personnes de 60 à 64 ans qui sont l'époux ou le conjoint de fait d'un bénéficiaire du Supplément de revenu garanti.
Il incombe à notre ministère d'assurer l'intégrité de ces programmes et la saine gérance de nos fonds, et de veiller à ce que ces prestations ne soient versées qu'aux Canadiens qui y ont droit. Il est extrêmement important pour nous de repérer les erreurs et les abus et de veiller à ce que ces programmes de prestations soient viables pour les générations futures. Je suis ici aujourd'hui pour parler du projet de loi , car certains de ces programmes sont assortis d'exigences en matière de résidence et que ces exigences rendent nos relations avec l'Agence des services frontaliers du Canada particulièrement importantes.
Dans le cas de l'assurance-emploi, les prestataires doivent être au Canada parce qu'ils doivent être prêts à travailler. Les personnes qui sortent du pays ne sont pas admissibles à l'assurance-emploi. Il y a cependant des exceptions. Par exemple, un prestataire peut être autorisé à quitter le pays pour subir un traitement médical ou pour assister à des funérailles. Il y a des raisons bien précises, mais elles sont très limitées. Un prestataire qui sortirait du pays sans nous avertir et qui continuerait à toucher ses prestations pourrait se voir imposer des sanctions en plus d'être tenu de rembourser toutes les prestations versées en trop. Quoi qu'il en soit, nous nous assurerons de nous faire rembourser.
La pension de la Sécurité de la vieillesse est payable à l'extérieur du Canada si le pensionné a résidé au Canada pendant au moins 20 ans après avoir atteint l'âge de 18 ans ou qu'il a vécu et travaillé dans un pays avec lequel le Canada a conclu un accord permettant le partage de la pension. Ces critères s'appliquent à la majorité des Canadiens. Sans égard pour ces deux conditions, vous avez le droit de quitter le Canada à condition que votre absence ne dure pas plus que six mois. Encore une fois, c'est une condition qui s'appliquerait à la majorité des Canadiens. Les prestations dont j'ai parlé et le Supplément du revenu garanti ne sont pas versés aux personnes qui sont à l'extérieur du pays pendant plus de six mois. L'admissibilité à ces programmes est assortie d'exigences en matière de résidence.
Il est important de mentionner que les renseignements recueillis à l'entrée et à la sortie sont des renseignements que nous demandons déjà à nos prestataires. Cela est prévu aux termes de notre loi. Nous avons déjà le droit de demander ces renseignements. Les prestataires sont tenus de fournir ces renseignements à Service Canada lorsqu'ils quittent le pays. C'est une exigence qui s'applique à tous les prestataires. Nous nous efforçons d'appliquer ces exigences avec transparence et clarté. Lorsque les gens ont droit à ces prestations, nous leur donnons cette information. Elle est sur notre site Web. Nous communiquons de façon soutenue avec les prestataires afin de nous assurer qu'ils comprennent bien leurs droits et leurs obligations.
Cela dit, notre ministère n'a aucun moyen de vérifier les renseignements que les prestataires lui fournissent. Nous croyons que la majorité des prestataires sont honnêtes. Cependant, il peut parfois y avoir des erreurs ou de la fraude. Les dispositions annoncées nous permettront de valider les renseignements fournis par les bénéficiaires.
La modification de la Loi sur les douanes nous permettra d'utiliser les renseignements sur les entrées et les sorties pour vérifier le respect des conditions d'admissibilité à l'assurance-emploi et à la Sécurité de la vieillesse.
Sachez que nous recevons déjà des renseignements au titre de l'assurance-emploi par l'intermédiaire du formulaire E311 des douanes — c'est ce formulaire que les gens doivent remplir lorsqu'ils rentrent au pays. Le projet de loi permettra d'étendre cette information aux personnes qui quittent le pays par avion et aux voyageurs qui franchissent les frontières dans un sens ou dans l'autre par voie terrestre.
Ces renseignements sont importants pour nous. En effet, jusqu'ici, nous avons eu de bons résultats en nous servant de l'information que nous avions pour repérer les erreurs ou les abus potentiels. Nous avons été en mesure de récupérer entre 15 et 20 millions de dollars en trop-payés avec l'information que nous avions et nous sommes d'avis que ces nouveaux renseignements sur les entrées et les sorties nous aideront probablement à récupérer quelque 5 millions de dollars de plus. Cette estimation est prudente, mais je le répète, il est ici question d'assurer l'intégrité du programme et de veiller à ce que les prestations aillent à ceux qui y ont droit.
De plus, comme je l'ai dit, nous ne pouvions utiliser cette information que pour l'assurance-emploi. Désormais, nous pourrons aussi l'utiliser pour contrôler l'admissibilité à la Sécurité de la vieillesse. Selon des estimations prudentes, le ministère pourrait récupérer jusqu'à 47 millions de dollars en trop-payés. La valeur potentielle de ces dispositions législatives est considérable pour nous. Cette information nous permettra d'améliorer l'intégrité de nos programmes.
Permettez-moi d'ajouter quelques éléments. Dans l'éventualité de son adoption, ce projet de loi n'aurait aucune incidence sur les personnes qui sont censées recevoir ces prestations ou qui y ont droit. Il n'aurait aucune incidence sur les règles des programmes existants. Cela fait déjà partie de notre loi-cadre. Ces règles, nous en informons déjà les prestataires. Si le projet de loi est adopté, nous informerons nos prestataires que ces renseignements seront désormais échangés entre nos deux ministères.
Du reste, nous ne nous attendons pas à ce que cela touche un grand nombre de prestataires de la Sécurité de la vieillesse. Comme je l'ai dit, bon nombre des prestataires de la Sécurité de la vieillesse font partie de la catégorie de ceux dont les pensions peuvent être transférées, même s'ils ne vivent plus au pays. Par conséquent, cela pourrait représenter peut-être 0,01 % des 5,7 millions de personnes qui traversent la frontière. Néanmoins, comme je l'ai dit tout à l'heure, le montant des trop-payés pourrait quand même être considérable, et il est important pour nous d'assurer l'intégrité de nos programmes et de veiller à ce qu'ils soient viables pour les générations futures.
Nous ne nous attendons pas à ce que ces nouvelles dispositions créent un fardeau additionnel pour les prestataires. Nous demandons déjà ces renseignements aux Canadiens, et les Canadiens nous les fournissent déjà. Cela ne servira qu'à optimiser l'intégrité de nos programmes.
Je tiens à rassurer les membres du Comité: nous n'allons pas nous servir de ces renseignements pour mettre un terme au versement de telle ou telle prestation. Les prestataires pourront toujours venir nous voir si certaines anomalies sont détectées, et ils auront toujours la possibilité de nous soumettre des documents justificatifs. La réclamation du remboursement d'un trop-payé à un prestataire non méritant est une mesure de dernier recours.
Je sais que votre comité accorde une grande importance à la protection des renseignements personnels et à la façon dont nous protégeons ces renseignements. Le ministère est l'intendant des deniers publics, mais aussi des renseignements personnels. C'est quelque chose que nous prenons très au sérieux. La première chose que le ministère fera, c'est une évaluation exhaustive de l'incidence sur la protection des renseignements personnels. Les résultats de ces évaluations seront communiqués au Commissaire à la protection de la vie privée aux fins de validation. Toute préoccupation soulevée par ce dernier sera considérée avec le plus grand sérieux et prise en compte dans le cadre de la mise en oeuvre.
Ensuite, nous conclurons une entente avec l'Agence des services frontaliers du Canada afin d'établir des règles claires concernant les échanges de renseignements et de bien délimiter les responsabilités en la matière. C'est une pratique courante, et c'est quelque chose que nous avons déjà pour l'échange des renseignements issus du formulaire E311. L'échange de renseignements se fera par l'intermédiaire de dispositifs technologiques, et nous allons veiller à ce que des mesures de sécurité appropriées soient mises en place. De plus, nous ne recevrons que les renseignements qui concernent directement nos programmes. Les renseignements seront jumelés à ceux qui se trouvent dans notre système, et les renseignements non jumelés seront supprimés. L'accès à ces renseignements sera réservé aux personnes autorisées. Nous n'allons pas communiquer ces informations à d'autres ministères.
En terminant, je tiens à affirmer que nos deux grandes préoccupations sont de protéger l'intégrité de nos programmes et d'offrir un service de qualité aux Canadiens. Dans cette optique, nous avons besoin d'un système d'information robuste qui nous permettra de veiller à ce que les bonnes prestations soient versées aux bonnes personnes au bon moment.
Merci encore.
[Français]
Encore une fois, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de présenter cette information au Comité, aujourd'hui.
Il me fera plaisir de répondre à vos questions.
:
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de m'avoir invitée à prendre la parole au sujet du projet de loi , Loi modifiant la Loi sur les douanes. Je m'appelle Cyndee Todgham Cherniak. Je suis une avocate canadienne spécialisée en commerce international, et je me spécialise dans les domaines de la législation douanière, du contrôle des exportations et des sanctions économiques.
Le projet de loi modifie la Loi sur les douanes afin de mettre en oeuvre l’initiative Par-delà la frontière entre le Canada et les États-Unis. Il comporte trois grands volets.
Dans un premier temps, le projet de loi autorise l'ASFC à recueillir des données limitées sur les personnes et les véhicules qui entrent au Canada ou qui en sortent. Ensuite, il ajoute une nouvelle disposition à la Loi sur les douanes, soit l'article 94, selon lequel la personne quittant le Canada est tenue, à la demande de tout agent de l'ASFC, de se présenter devant un agent et de répondre véridiquement aux questions qu’on lui pose. Le projet de loi C-21 modifie également l'article 95 de la Loi sur les douanes, lequel exige que toutes les marchandises exportées soient déclarées. Enfin, le projet de loi ajoute au paragraphe 159(2) de la Loi sur les douanes une nouvelle infraction pour l'exportation par contrebande.
Chaque fois qu'une nouvelle infraction est créée, le gouvernement doit être prudent. Lorsqu'on interprète une disposition, on doit se demander quelle était l'intention du Parlement au moment où il l'a adopté. Les règles relatives à l'exportation par contrebande doivent être très claires. Il serait injuste que les Canadiens et les voyageurs apprennent l'existence de ces règles que lorsqu'ils les ont enfreintes. Le nouveau paragraphe 159(2) de la Loi sur les douanes se lit comme suit:
Constitue une infraction le fait de faire sortir ou de tenter de faire sortir du Canada par contrebande, clandestinement ou non, des marchandises passibles de droits ou dont l’exportation est prohibée, contrôlée ou réglementée sous le régime de la présente loi ou de toute autre loi fédérale.
Qu'entend-on par « contrebande »? Ce terme n'est pas défini dans le projet de loi ni dans la Loi sur les douanes.
Le paragraphe proposé 159(2) de la Loi sur les douanes stipule ce qui ne peut être sorti du Canada par contrebande: premièrement, « des marchandises passibles de droits », et deuxièmement, des « marchandises dont l’exportation est prohibée, contrôlée ou réglementée » sous le régime de la présente loi ou de toute autre loi fédérale.
Commençons par les marchandises qui sont passibles de droits. Le terme « droits » est défini à l'article 2 de la Loi sur les douanes relativement aux marchandises importées. On ne définit pas le terme en question dans le contexte des marchandises exportées. Le projet de loi ne modifie pas la définition législative du terme « droits » dans la Loi sur les douanes.
L'expression « passibles de droits » doit avoir un sens. Quel est l'objectif visé ici? Est-ce qu'on souhaite que toutes les marchandises qui ne sont pas exemptes de droits au moment de leur importation au Canada soient visées par la nouvelle disposition sur la contrebande lorsqu'elles sont exportées? Ou est-ce qu'en modifiant le paragraphe 95(1) de la Loi sur les douanes, qui exige que toutes les marchandises soient déclarées, on veut plutôt que toutes les marchandises soient considérées comme étant réglementées et, par conséquent, soient déclarées, et que si des marchandises dans vos valises ou dans les miennes ne sont pas déclarées, elles seront considérées comme ayant été introduites par contrebande?
Qu'envisage-t-on ici? Est-ce qu'on fera le dédouanement à l'exportation aux aéroports canadiens pour tous les passagers, de sorte qu'ils doivent déclarer les marchandises dans leurs valises? Y aura-t-il un nouveau point de contrôle de l'ASFC? Lorsque les voyageurs font l'objet d'un précontrôle aux douanes américaines, devront-ils également se soumettre au contrôle de l'ASFC, ou est-ce que ce sera comme avec la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, qui oblige les personnes à déclarer toutes les exportations dont la valeur est supérieure à 10 000 $? Les voyageurs sont-ils censés trouver le petit bureau de l'ASFC à l'aéroport et remplir un formulaire avant de quitter le Canada?
En ce qui concerne la deuxième catégorie de marchandises visées par cette nouvelle infraction, savez-vous ce que sont les « marchandises dont l’exportation est prohibée, contrôlée ou réglementée » sous le régime des milliers de lois et de règlements que nous avons? Qu'est-ce que cela signifie exactement? Les termes « prohibée », « contrôlée » ou « réglementée » ne sont pas définis dans le projet de loi ni dans la Loi sur les douanes actuelle. D'après mon expérience en tant qu'avocate, je peux vous dire que la plupart des gens ne connaissent pas les restrictions qui s'appliquent aux exportations en vertu des lois et des règlements canadiens.
Il n'y a pas que la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et la liste des marchandises d’exportation contrôlée qui imposent des restrictions. Il y a des centaines de restrictions qui ne sont pas évidentes, et toutes sortes de lois et de règlements différents. Avez-vous une liste complète? Est-ce que cette liste existe au moins?
La liste des marchandises d’exportation contrôlée n'est qu'une liste parmi d'autres, et ce n'est pas une liste facile à utiliser pour le citoyen moyen ou même le propriétaire d'une PME. Les marchandises à double usage, les marchandises diverses, les marchandises fabriquées aux États-Unis, les ordinateurs, les logiciels de chiffrement — la liste des marchandises d’exportation contrôlée est très compliquée. En outre, elle exclut beaucoup d'autres articles réglementés, tels que les diamants bruts, les matières dangereuses, les feux d'artifice, les animaux vivants, les biens culturels, les poissons, les fruits de mer, les médicaments réglementés, les produits chimiques précurseurs et ainsi de suite.
Saviez-vous qu'il y a des restrictions sur l'exportation de miel, des produits de l'érable et du beurre d'arachide en vertu de différents règlements? Ces produits et bien d'autres sont visés par d'autres lois et d'autres règlements.
Personnellement, je considère qu'il faut définir clairement les marchandises qui doivent être déclarées, à défaut de quoi elles seraient considérées comme étant sorties du Canada par contrebande. Il doit y avoir une liste unifiée des marchandises qui font l’objet de restrictions à l’exportation, et s'il n'y a pas qu'une seule base de données interrogeable et unifiée des restrictions à l'exportation et des règlements connexes, d'honnêtes citoyens commettront des erreurs.
Il y a des incohérences dans la réglementation. Une deuxième recommandation serait d'assurer une certaine uniformité. Comme vous le savez, la ministre des Affaires étrangères n'a pas le pouvoir de délivrer des licences d’exportation à des non-résidents, mais les non-résidents du Canada quittent le pays par toutes sortes de moyens, que ce soit en train, en navire et en avion. Comment va-t-on appliquer cette nouvelle disposition sur la contrebande aux millions de visiteurs étrangers qui ne peuvent pas obtenir de licence d'exportation? Comme vous le savez, lorsqu'un résident canadien utilise une licence d'exportation générale pour exporter des marchandises contrôlées en vertu de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, on doit se reporter au numéro de la licence qui figure sur son document. Comment l'ASFC va-t-elle appliquer cette exigence dans le cas d'un voyageur qui n'a pas son document d'exportation avec lui au moment de quitter le pays avec les marchandises dans sa valise?
Je peux comprendre que le gouvernement du Canada aimerait pouvoir porter des accusations contre les personnes qui enfreignent les règles en matière de contrôle des exportations en exportant eux-mêmes des marchandises, mais j'estime que cette disposition ratisse beaucoup trop large. De plus, la Loi sur les licences d'exportation et d'importation et d'autres lois prévoient des peines pour les individus qui n'obtiennent pas les permis et les licences d’exportation nécessaires. Qu'est-ce que la disposition sur l'exportation par contrebande est censée couvrir qui n'est pas déjà couvert par une autre loi?
Qu'en est-il des dispositifs électroniques? Le 27 septembre 2017, M. Martin Bolduc de l'ASFC a témoigné devant le comité ETHI et a indiqué que, conformément à la Loi sur les douanes, le terme « marchandises » englobe les registres électroniques sur les appareils électroniques. Il a soutenu que l'ASFC pouvait examiner tous les documents électroniques qui sont importés. La même chose s'appliquerait donc aux marchandises exportées.
Aux termes du paragraphe 95(1) modifié de la Loi sur les douanes, tous les documents électroniques consignés sur votre ordinateur, mon ordinateur et nos appareils électroniques doivent être déclarés. Il faut prendre un règlement pour appuyer cette disposition. J'ose espérer qu'on en fera mention dans ce règlement et qu'on prévoira une exemption. Les ordinateurs portatifs contiennent des centaines de milliers de courriels et de documents, et il faudrait beaucoup de temps pour en dresser la liste à l'aéroport. En fait, ce serait impossible.
N'importe qui ici pourrait commettre une infraction de contrebande si les dossiers électroniques consignés dans son ordinateur devaient être déclarés à l'ASFC, et tout titulaire d'une carte NEXUS risquerait de perdre cette carte s'il omettait de déclarer un document.
Nous devrions également protéger le secret professionnel à la frontière. Le secret professionnel est essentiel au bon fonctionnement du système juridique canadien. Par conséquent, il faut prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que le secret professionnel qui lie un avocat à son client soit protégé dans les aéroports canadiens et dans les ports d'entrée au Canada lorsque des avocats et des clients quittent le pays. Il est essentiel que l'ASFC, dans le cadre de ses activités, observe une politique et un processus transparents lorsqu'il s'agit du secret professionnel qui lie un avocat à son client.
Enfin, en ce qui concerne la question de la vie privée et de la communication de renseignements, sachez que les renseignements de l'ASFC peuvent être erronés. Nous devons avoir un mécanisme qui permet aux voyageurs de rectifier les réponses qu'ils ont données à l'ASFC et lorsqu'ils ont quitté le pays.
Je serai heureuse de répondre à vos questions.
:
Merci beaucoup, monsieur le président. Je partagerai mon temps avec Mme Dabrusin.
Je tiens à remercier les témoins pour leurs mémoires très détaillés. Vos exposés ont été très intéressants.
Dans nos circonscriptions, l'immigration et la citoyenneté sont habituellement des enjeux pour beaucoup de nos électeurs qui s'adressent à nous. Viennent ensuite l'assurance-emploi, la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti. Certaines de ces questions de commerce et de frontière dont nous discutons, maître Todgham Cherniak, ne se présentent pas aussi souvent, mais j'ai quelques questions pour vous.
Comme ces lois et ces règles changent, il serait génial, madame Boisjoly, d'avoir un dossier de communication pour nos bureaux de circonscriptions. Comme nous entendons parler plus souvent de problèmes par nos électeurs qui traversent souvent la frontière, nous avons besoin de renseignements et de marches à suivre clairs pour répondre à leurs inquiétudes. Je sais que je mets la charrue devant les boeufs, mais c'est seulement pour que nous conservions une longueur d'avance.
Ma première question s'adresse à Emploi et Développement social Canada. L'une des études du vérificateur général a porté sur l'état des infrastructures des technologies de l'information à l'Agence des services frontaliers du Canada. Est-ce que votre ministère est prêt pour la troisième étape de l'Initiative sur les entrées et les sorties? De votre côté, avez-vous mis en place des mesures convenables de cybersécurité pour protéger les renseignements des Canadiens?
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Merci, monsieur le président.
Merci beaucoup, mesdames, d'être ici.
Maître Cherniak, si vous permettez, je ferai une déclaration puis une demande, avec l'indulgence de la présidence.
Alors que nous examinions le projet de loi et que, en général, nous semblions nous diriger vers un accord entre tous les partis sur les lacunes qu'il permettrait de combler — nous avons proposé des amendements indispensables —, j'ai d'abord pensé que nous étions sur la bonne voie. Après vous avoir entendue, je n'en suis plus si sûr. Vous avez dit que nous passions à côté de certaines définitions essentielles qui n'existent nulle part ailleurs dans les lois, pour nous aider à reconnaître et à dissiper certaines ambiguïtés. Nous savons que ceux qui devront, dans la pratique, appliquer cette loi éprouveront des difficultés.
Auriez-vous la bienveillance de nous communiquer de vos recommandations sur des amendements que nous prendrons en considération en plus du rapport que vous nous avez communiqué, des recommandations propres aux problèmes que vous avez cernés, et qui laissent encore des lacunes béantes dans ce projet de loi, pour que nous, le Comité, nous allions jusqu'au bout de son intention, ce que nous ambitionnons de faire. Vous êtes libre de répondre. Personnellement, j'apprécierais de recevoir ces renseignements, alors que nous nous préparons à commencer l'étude article par article. Ils nous permettraient de combler certaines lacunes.