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Je déclare ouverte la 71
e réunion du Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Bienvenue à tous.
Bienvenue, monsieur Nicholson et madame Gallant. C’est un plaisir de vous avoir avec nous.
Conformément à l’ordre de renvoi du vendredi 9 juin, c’est-à-dire il y a 10 jours, notre étude d’aujourd’hui porte sur le projet de loi , Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada et le Code criminel (protection des sources journalistiques).
Nous entendrons deux groupes de témoins. Le premier est composé du parrain du projet de loi à la Chambre, de l’auteur du projet de loi au Sénat et d'une personne ayant collaboré à son élaboration. Le second est composé de membres de la Coalition des médias canadiens. Le greffier vient de me dire que M. Tom Henheffer, directeur exécutif de Journalistes canadiens pour la liberté d’expression, a malheureusement été retardé. Des vols ont été annulés, si bien qu’il est peu probable qu’il se joigne à nous aujourd’hui.
J’aimerais aussi signaler aux membres du Comité que nous avons essayé d’avoir des témoins de la GRC, de la Police provinciale de l’Ontario et de l’Association canadienne des chefs de police. Cependant, en raison principalement du court préavis que nous leur avons donné, ils ne sont pas en mesure d’être avec nous aujourd’hui. L’Association canadienne des chefs de police nous a présenté un mémoire, plus complet que celui qu’ils ont pu présenter aux audiences du Sénat sur ce projet de loi, alors je le porte aussi à votre attention.
Nous allons entendre notre premier groupe, celui du sénateur Carignan, du sénateur Pratte et de M. Deltell. Je crois savoir que nous pouvons nous attendre à ce que la sonnerie retentisse à un moment donné pour un vote à la Chambre des communes. À ce stade, je vais demander le consentement unanime pour envisager de prolonger un peu la séance. Nous verrons où nous en sommes quand la sonnerie se fera entendre.
Qui va commencer?
Monsieur Carignan.
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Oui, je peux commencer. Merci.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, je veux d'abord vous remercier d'avoir accepté aussi rapidement d'étudier le projet de loi .
Ce projet de loi concerne un enjeu de taille, soit la liberté de presse, un des piliers de notre démocratie protégé par l'article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés. Comme le mentionneront mes collègues, je suis profondément attaché aux valeurs canadiennes qui se reflètent dans notre charte.
À titre d'avocat, certes, mais également à titre de parlementaire et de citoyen engagé, j'ai vraiment été estomaqué lorsque les révélations sur l'espionnage de journalistes ont été rendues publiques l'automne dernier. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de mettre la main à la pâte afin de déposer le projet de loi , avec l'intention de combler le vide législatif, vide qui crée un anachronisme entre nos règles actuelles et nos expectatives de pays développé régi par les plus hauts standards de règles démocratiques.
Les effets concrets et bénéfiques de ce projet de loi sont multiples.
[Traduction]
Premièrement, le projet de loi reconnaît le rôle fondamental que jouent les journalistes dans notre démocratie; il protège la confidentialité des sources journalistiques, qu’aucune mesure législative n’a encore reconnue explicitement; et il cherche à protéger les lanceurs d’alerte. Une fois que le projet de loi aura été adopté, seul le juge d’une cour supérieure — et, au Québec, le juge d’une cour du Québec au sens de l’article 552 — pourra délivrer un mandat de perquisition à l’encontre de journalistes.
[Français]
Dès qu'une enquête aura été complétée à la suite d'un mandat dûment autorisé, toute l'information recueillie sera placée sous scellés de la Cour et aucune des parties ne pourra la consulter sans l'autorisation d'un juge.
Dès qu'un fonctionnaire voudra consulter l'information recueillie et sous scellés à l'encontre d'un journaliste, un avis devra être signifié au journaliste en question et à son organe de presse. Ces derniers auront un délai de 10 jours pour faire opposition, s'ils estiment que cette information pourrait permettre d'identifier une source anonyme du journaliste. Si le journaliste s'oppose à la consultation de cette information, il appartiendra alors à la personne qui sollicite cette information de faire la preuve que l'obtention de celle-ci est cruciale pour la suite de l'enquête. Il s'agit donc d'un renversement du fardeau de la preuve.
[Traduction]
Il est possible de soulever une objection auprès de tout tribunal ou organisme sous réglementation fédérale. L’organisme ou le tribunal peut soulever une objection de sa propre initiative. Le projet de loi protège les droits de toutes les parties. Il permet aux journalistes de protéger l’identité de leurs sources et aux autorités policières de mener à bien leurs enquêtes. Enfin, cette mesure législative mettra fin aux éventuelles recherches à l’aveuglette ou chasse aux sources.
[Français]
En terminant, je dirai ceci: les médias jouent un rôle essentiel en diffusant l'information et en suscitant des débats sur des questions d'intérêt public. Si les journalistes n'ont plus de sources ni de lanceurs d'alerte, ils ne pourront plus jouer ce rôle essentiel dans notre démocratie. Les Canadiennes et les Canadiens seront les plus grands perdants, car ils seront privés d'un de leurs droits fondamentaux, soit le droit à l'information. Les personnes qui abusent de leur pouvoir ou de l'utilisation de fonds publics pourront continuer à agir en toute impunité, encore une fois au détriment de l'intérêt des Canadiennes et des Canadiens.
C'est à nous, les parlementaires, de mettre en place les mesures qui s'imposent pour protéger les sources journalistiques et ainsi préserver la liberté de presse et le droit du public à l'information.
Merci de votre écoute.
Merci, monsieur le président.
« La démocratie meurt dans l’obscurité »: c’est le slogan The Washington Post depuis maintenant quelques mois. Comme tous les slogans, il n’a pas vraiment besoin d’explication. Il dit tout. Sans l’éclairage que jettent les médias sur les institutions publiques et privées — sur ceux qui nous gouvernent — les citoyens manquent de renseignements et ne sont donc pas en mesure de jouer adéquatement leur rôle. La démocratie s’effondre.
Malheureusement, même les principaux médias d’information, ceux qui disposent du plus grand nombre de ressources pour mener des enquêtes, ceux qui sont équipés des projecteurs les plus puissants, ne peuvent pas tout voir. Il leur faut d’abord savoir où regarder. Ensuite, il y a toujours les zones d’ombre, les endroits où les gens incompétents ou malhonnêtes se cachent pour faire leur basse besogne.
Pour détecter ces zones d’ombre et les éclairer, les journalistes ont besoin de l’aide de ceux que nous appellerons des « allumeurs de lanterne », les personnes à l'intérieur qui allument en secret une lanterne dont la lumière perce l’obscurité et alerte les médias pour qu’ils allument leurs projecteurs. Ces allumeurs de lanterne sont les sources, qui prennent souvent de grands risques en trahissant les incompétents et les tricheurs. S’ils sont percés à jour, ils pourraient perdre leur emploi. La punition pourrait même être plus sévère si une organisation criminelle est impliquée.
Il faut donc protéger les sources des journalistes. C’est donc dire que les journalistes doivent être en mesure de garder l’identité de leurs sources confidentielle, sauf dans des circonstances très spéciales, même devant un tribunal et dans une enquête policière. C’est la seule façon dont les journalistes peuvent rassurer leurs sources et faire en sorte qu’elles se manifestent.
[Français]
Aujourd'hui, il n'existe dans la loi aucune protection précisément pour les sources des journalistes. Les événements récents survenus en particulier au Québec, où l'on a vu des journalistes faire l'objet de vastes opérations de surveillance, ne sont pas seulement préoccupants pour les journalistes, ils le sont surtout pour leurs sources et pour la société, car si les sources n'ont pas l'assurance qu'elles peuvent se confier aux médias, elles se tairont, et si elles se taisent, la noirceur tombe sur la cité.
Ce qui s'est passé montre que la loi actuelle n'est pas suffisante pour protéger les sources des journalistes. Les mandats de surveillance sont obtenus trop facilement. La jurisprudence quant à la protection de l'identité des sources devant les tribunaux gagnerait à être clarifiée. C'est l'objectif du projet de loi .
Je sais qu'ici, sur la Colline, il est assez commun de critiquer les médias et les journalistes, mais il faut prendre garde d'oublier le rôle essentiel qu'ils jouent dans notre démocratie. Bien sûr, comme dans tous les domaines de notre société, il y a de bons et de moins bons journalistes. Bien sûr, les journalistes sont très critiques à l'égard du travail que font les parlementaires, mais heureusement qu'ils le sont, car s'ils ne l'étaient pas, qui tiendrait la classe politique sur ses gardes? Bien sûr, les journalistes sont toujours à l'affût de ce qui va mal. C'est souvent très frustrant, mais s'ils ne l'étaient pas, qui ferait part aux citoyens de ce qui effectivement ne tourne pas rond dans la machine gouvernementale?
[Traduction]
Malgré tous leurs défauts, les médias jouent un rôle fondamental dans notre démocratie. Sans sources confidentielles, ils ne pourraient pas le faire. J’insiste pour dire que le projet de loi vise à protéger non pas les journalistes, mais bien leurs sources. Ce sont elles qui ont besoin de protection, car ce sont elles qui risquent leurs amitiés, et parfois leurs familles et leurs emplois, car elles estiment avoir le devoir d’informer les Canadiens de ce qu’elles savent.
L’adoption du projet de loi représenterait une avancée historique pour la liberté de la presse au Canada — il s'agirait, en fait, de l’avancée la plus marquée depuis des décennies. À une époque où la presse chez nos voisins du Sud se fait attaquer comme jamais auparavant, le Canada transmettrait un message clair concernant l’importance qu’il accorde à ce droit fondamental que garantit notre Charte canadienne des droits et libertés.
De façon plus concrète, les sources journalistiques, ces allumeuses de lampes courageuses et solitaires, seraient enfin protégées pour le plus grand bien de la démocratie canadienne. La flamme d’une simple lanterne est fragile, mais du moment qu’elle est protégée de la tempête et des extincteurs, elle suffit à éclairer, et c’est à la lumière que brille la démocratie.
Merci.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
C'est avec grand plaisir et bonheur que je vous retrouve une année après notre passage commun au comité parlementaire conjoint du Sénat et de la Chambre des communes, soit le Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir.
Chers collègues, bonjour et bienvenue.
C'est avec beaucoup d'honneur et de fierté que je témoigne devant vous aujourd'hui à titre de député et de parrain du projet de loi à la Chambre des communes, mais également à titre d'ancien journaliste.
[Traduction]
Monsieur le président, permettez-moi de présenter mes respects à nos collègues du Sénat: le sénateur Claude Carignan, qui a travaillé si fort, si rapidement et si bien avec le concours de collègues comme le sénateur André Pratte et tous les autres membres du Sénat qui ont oeuvré pour que puisse être déposée cette importante mesure législative.
En ce qui me concerne, ce projet de loi est très correct, car il respecte chaque aspect de notre société.
[Français]
Tout d'abord, le projet de loi définit ce qu'est un journaliste de façon tout à fait correcte, à mon point de vue. Il repose sur le principe de la protection de la source, et non pas sur le principe de la protection du journaliste lui-même. C'est une distinction qui nous apparaît évidente. Le journaliste n'est pas à l'abri d'erreurs, mais la source qui veut communiquer avec lui, elle, doit être protégée, et c'est ce que vise ce projet de loi.
Parmi les mérites de ce projet de loi, nous reconnaissons le fait que, dorénavant, ceux qui pourront définir si oui ou non une enquête peut procéder, ce sont des juges d'une cour supérieure. L'expérience nous a tristement appris que parfois cela se faisait un peu vite avec les juges de paix. Selon ce processus, dans le cas du SPVM, 98 % des demandes étaient acceptées.
Il y a aussi le renversement du fardeau de la preuve et le fait que, si une enquête a cours sur un journaliste, il faut que ce soit vraiment le dernier recours.
[Traduction]
Certains de mes collègues se rappelleront peut-être que, au Québec, au cours du dernier mois, la situation des journalistes était vraiment trouble.
[Français]
En octobre dernier, nous avons appris que le journaliste Patrick Lagacé avait été l'objet de 24 mandats de surveillance policière au cours des années précédentes.
Pour vous représenter le personnage — appelons-le comme cela aux fins de la discussion —, je souligne que c'est un journaliste chevronné, établi depuis plus de 20 ans et reconnu par tous les Québécois comme étant un journaliste bien implanté. Pour utiliser des termes militaires, je dirais qu'il agit sous les trois armes, c'est-à-dire à la télévision, à l'écrit et à la radio, où il a une chronique quotidienne. C'est un journaliste chevronné qui a été l'objet de 24 mandats de surveillance, ce qui a évidemment soulevé beaucoup d'interrogations au Québec.
Il s'en est suivi d'autres révélations, qui nous ont appris que près d'une quinzaine de journalistes québécois tout aussi chevronnés les uns que les autres, la plupart spécialisés dans des enquêtes, faisaient l'objet de surveillance policière. Patrick Lagacé, Vincent Larouche, Marie-Maude Denis, Alain Gravel, Isabelle Richer, Éric Thibault, Denis Lessard, André Cédilot, Nicolas Saillant, Félix Séguin, Monic Néron, Joël-Denis Bellavance, Gilles Toupin, Daniel Renaud et Fabrice de Pierrebourg, pour ne nommer que ceux-là, ont fait l'objet d'une enquête policière de la Sûreté du Québec, du SPVM ou de la GRC.
Nous voyons une situation tout à fait intolérable qui commandait une réaction juste et équilibrée, et c'est ce que propose le projet de loi .
[Traduction]
En terminant, monsieur le président, permettez-moi de vous rappeler qu’il y a 45 ans et un jour, un journal appelé The Washington Post a publié un petit article sur un vol commis au bureau central du Parti démocratique à Washington. Ce bureau se situait dans l’immeuble Watergate. Deux ans plus tard, le monde entier a reconnu ce qui s’y était passé et il a aussi reconnu l’importance des lanceurs d’alerte. Voilà ce que le projet de loi vise à protéger.
:
Je vous remercie de votre question.
Au départ, la notion de ce qu'est un journaliste était plus large. Des commentaires ont été émis par la Coalition des médias canadiens, mais également par des services de police qui trouvaient que cette définition était trop large. Celle-ci pouvait inclure des blogueurs qui travaillaient gratuitement dans leur sous-sol. Cela posait problème aux policiers relativement à l'application de la loi. Ils ne savaient pas vraiment quand demander un mandat de perquisition. Ils ne pouvaient pas deviner qu'il s'agissait d'un journaliste, même en utilisant des moyens raisonnables pour vérifier cette identité. Des organisations policières ont donc fait des commentaires relativement à l'applicabilité de la loi.
Par ailleurs, certains médias voulaient s'assurer qu'on allait protéger le journaliste qui gagne sa vie en travaillant pour un média, qui pourrait être un hebdo local ou un média sur le Web, mais avec un certain niveau de professionnalisme. On veut s'assurer que n'importe qui ne puisse pas revendiquer le droit à cette protection. Ils ont donc suggéré une définition de ce qu'est un journaliste. Cette définition, qui a fait consensus, a été reprise par certaines associations, dont le Conseil de presse du Québec, je crois. J'ai appuyé cette revendication.
J'ai devant moi un passage du texte du jugement de la Cour suprême dans le cas de la cause R. c. National Post. Les juges de la Cour suprême ont établi jusqu'où on peut aller en ce qui a trait à la notion de journaliste.
Il est aussi écrit ceci:
[...] Conférer une immunité constitutionnelle aux interactions entre un groupe de rédacteurs et d’orateurs aussi hétérogène et mal défini et toute « source » que ces derniers estiment digne d’une promesse de confidentialité, assortie des conditions qu’ils déterminent (ou, comme en l’espèce, modifient par la suite), aurait pour effet de miner considérablement l’application de la loi et d’autres valeurs constitutionnelles, comme le respect de la vie privée. [...]
Ce passage faisait référence au poids à accorder à la source dans le cas d'un blogueur comparativement à un journaliste professionnel. Même la Cour suprême y voyait un problème. C'est pourquoi j'ai accepté d'apporter les corrections nécessaires au projet de loi.
:
Je pense qu’il y a eu un énorme débat au cours de la dernière campagne électorale, et nous reconnaissons tous que l’ensemble des partis avaient des positions bien définies.
C’est assez délicat quand on parle de financer Radio-Canada/CBC car, comme nous le savons, il s’agit d’un groupe de presse, et un groupe de presse doit être indépendant de tout pouvoir politique.
En conséquence, la responsabilité se trouve entre les mains de tous les journalistes, et quand je parle des mains, je parle des doigts, de ceux qui tiennent le crayon, qui affinent la machine, qui écrivent ou disent quelque chose au sujet du gouvernement en place. Il ne faut jamais oublier cela lorsque vous travaillez pour la SRC/CBC — en 20 ans de carrière, j’y ai passé deux ans, et je sais de quoi je parle — vous devez penser aux intérêts des gens, point.
Nul besoin d’ajouter la moindre intention politique. Cependant, il est clair que lorsqu'on tient un important débat sur le financement de cette institution publique — car il s’agit d’une institution publique —, il revient à chaque journaliste d’être franc, honnête, égal et non partisan.
:
C’est vraiment une bonne question, madame Gallant. Je vous sais gré de l’avoir posée. Je vais commencer à vous répondre, mais je suis sûr que mon collègue, le sénateur Carignan, sera plus précis que moi.
Le projet de loi vise à protéger les lanceurs d’alerte, mais à laisser les journalistes faire leur travail. Cela dit, si un policier doit enquêter sur un journaliste, la première chose est que ce doit être la dernière étape de son enquête et la seconde est qu’il doit convaincre un juge, un juge d’une cour supérieure et non un juge de paix, comme nous avons maintenant au Québec. Comme je l’ai dit dans ma présentation, il faut tenir compte du fait que — si nous adoptons le projet de loi — dans 98 % des enquêtes menées par le SPVM, c'est-à-dire le service de police municipale de Montréal, les policiers obtiennent l'autorisation d’un juge de la paix.
Voilà pourquoi nous avons fait en sorte qu’il soit plus difficile pour un policier d’enquêter sur un journaliste, pour s’assurer, dès le départ, que c’est la dernière étape de son travail et, ensuite, qu’il a reçu l’autorisation d’une cour supérieure.
C’est mon ébauche de réponse personnelle, mais je suis certain que le sénateur Carignan vous en donnera une plus précise que la mienne.
:
Merci, monsieur le président.
Messieurs les sénateurs, monsieur Deltell, merci d'être ici.
C'est rare que je fais cela quand nous avons des témoins, mais vous allez me laisser un petit instant pour éditorialiser un peu, ce qui serait peut-être à propos, étant donné la nature de la conversation.
J'entends parler du fait que, à cause d'un contretemps, nous n'avons pas pu entendre de témoins de la police. Je pense que c'est un point intéressant. En effet, depuis trop longtemps au Canada, le balancier penche beaucoup trop vers le pouvoir policier dans les dossiers des journalistes, et je pense que c'est pour cela qu'on voit des dérapages. Contrairement à ce qu'on prétend, ces dérapages n'ont pas lieu seulement à Montréal ou ailleurs au Québec. On a des cas avec la GRC également. M. Bellavance, de La Presse, peut en témoigner, entre autres.
[Traduction]
L’autre point qui, selon moi, vaut la peine d’être soulevé est qu’on a publié aujourd'hui un article dans lequel il était écrit que le Canada avait encore baissé de quatre places au classement mondial de la liberté de la presse, passant au 22e rang, après être tombé de 10 places l’an dernier, ce qui est très édifiant. Étant donné que les États-Unis et le Royaume-Uni ont déjà adopté ce type de loi de protection des journalistes il y a de nombreuses années, je veux dire officiellement que j’estime que nous devons en faire autant dès que possible.
[Français]
Cela étant dit, j'ai quelques questions qui s'adressent surtout à vous, messieurs les sénateurs, puisque vous avez déjà entendu les témoins au Sénat concernant certaines dispositions du projet de loi.
Monsieur Carignan, vous avez parlé un peu du cas d'un journaliste qui ferait l'objet d'une enquête dans une affaire qui n'est pas nécessairement liée à l'identification de la source. Selon ce que vous avez entendu, par exemple, de l'Association canadienne des chefs de police, considérez-vous que le projet de loi, dans sa forme actuelle, donne suffisamment de flexibilité? En fait, il faut s'assurer qu'on ne crée pas une échappatoire qui permettrait de dire qu'on enquête sur le journaliste pour une tout autre cause, qu'il s'agisse d'une affaire de fraude ou de n'importe quoi d'autre, alors qu'on se sert de ce genre d'enquête pour découvrir une source par la bande, si vous me permettez l'expression.
Le projet de loi, dans sa forme actuelle et en ce qui concerne cet aspect, est-il considéré comme adéquat par les corps policiers ou par les autres intervenants que vous avez entendus?
:
Je ne veux pas vous bousculer, mais je dispose d'un temps de parole limité. Je n'ai droit qu'à un seul tour.
Je voulais aussi examiner l'article 2. Il propose d'ajouter le paragraphe 39.1(2), ce que nous appelons la disposition de dérogation:
(2) Le présent article s'applique malgré les autres dispositions de la présente loi et toute autre loi fédérale.
En fait, j'aimerais entendre ce que vous avez à dire sur l'importance de cet article. Lorsque se produit un acte terroriste, une forme de violence ou une crise quelconque dans un pays, peu importe lequel, on peut constater une volonté de resserrer la sécurité. Je suis un peu partial, mais c'est du moins ce que j'ai constaté au cours du débat au sujet du projet de loi . L'exemple de la crise d'octobre, au Québec, me vient aussi en tête.
Considérez-vous que cette disposition est importante pour nous assurer que, dans des circonstances comme celles-là, on ne pourra pas commencer à brimer la liberté de la presse sous prétexte d'assurer la sécurité nationale?
J'aimerais entendre l'opinion de tous là-dessus, si cela est possible.
:
C’est très gentil. Merci, monsieur le président.
Je tiens à vous remercier tous les trois d’avoir été les maîtres d’oeuvre de ce projet de loi et de nous l’avoir présenté. C’est un sujet très important.
Sénateur Carignan, vous avez dit avec éloquence que le journalisme est un pilier de notre démocratie. C’est une institution qui fait partie intégrante de la démocratie canadienne, mais pas sans difficulté. C’est un sujet complexe. Il concerne autant le projet de loi à l’étude que les aspects financiers de la profession, les difficultés financières, les changements structurels et la relation d’emploi à laquelle les journalistes font face aujourd’hui. Le milieu médiatique se transforme avec la quantité d’informations qui nous arrive maintenant par l'intermédiaire des médias sociaux.
Je veux aussi vous faire remarquer qu’il y a aussi la perspective que des gens se servent du journalisme pour nous causer du tort. En plus du présent comité, je siège aussi au comité de la défense, et le paradigme des fausses nouvelles et des fausses déclarations intentionnelles par l’intermédiaire des médias est quelque chose que nous devons prendre très au sérieux. Comme ma collègue Pam Damoff, je trouve préoccupant que nous n’ayons aucun représentant des forces policières avec nous cet après-midi, même si nous avons un mémoire écrit.
Le sujet est complexe. En plus de viser à faire adopter rapidement ce projet de loi, le Comité doit aussi tenir compte des divers aspects et facettes de cette importante mesure législative.
Sénateur Pratte, j’aimerais vous demander de donner au Comité, ainsi qu'aux Canadiens, votre aperçu de la profession telle qu’elle existe en 2017, et comment vous la voyez évoluer à court terme, disons, sur les cinq prochaines années. En quoi consiste le journalisme de nos jours? De quoi le Comité doit-il tenir compte lorsqu’il discute d’un projet de loi comme celui-ci, même s’il est possible que ce ne soit que la première étape, comme mon collègue vient de le faire remarquer?
:
Monsieur le président, distingués membres du Comité, bonjour.
Je m'appelle Jennifer McGuire, et je suis directrice générale et rédactrice en chef de CBC News. Je tiens à vous remercier tous de me donner l'occasion de parler, encore une fois, de ce sujet important.
J'aimerais souligner d'entrée de jeu que le projet de loi est, pour nous, de la plus haute importance. Je peux dire, au nom de notre coalition d'organisations médiatiques, que l'adoption et la mise en oeuvre rapides du projet de loi S-231 rendraient un grand service au pays.
Pourquoi dis-je cela? Parce que le journalisme d'enquête est un élément essentiel d'une saine démocratie. Cela permet de faire la lumière sur des enjeux qui comptent, qu'il s'agisse des agressions sexuelles sur les campus canadiens, des paradis fiscaux douteux à l'étranger ou des pratiques immobilières contraires à l'éthique — le genre d'histoires qui amènent les législateurs à améliorer les politiques publiques.
Ce type de journalisme dépend souvent des gens qui sont assez courageux pour raconter leur vécu et révéler des histoires qui, autrement, resteraient plongées dans le silence: des sources et, plus particulièrement, des sources confidentielles. Le journalisme d'enquête dépend aussi de la capacité des journalistes de protéger ces sources. Aujourd'hui, au Canada, cette capacité est compromise parce qu'il est trop facile pour les policiers d'obtenir un mandat leur permettant de mener des missions de surveillance sur des journalistes.
L'année dernière, nous avons appris que certains des meilleurs journalistes d'enquête de Radio-Canada étaient espionnés par la Sûreté du Québec. Leurs registres d'appels ont fait l'objet d'une surveillance, et ce, sur une période de cinq ans; on a également suivi les déplacements de certains des journalistes. Il s'agit là d'une atteinte aux libertés individuelles, et tout cela parce que la Sûreté voulait découvrir leurs sources.
L'espionnage de ces journalistes par les autorités est déjà déplorable, mais il faut aussi penser à l'impact de cette révélation sur leur capacité de faire leur travail. Dans ces conditions, quelle source confidentielle acceptera de divulguer de l'information si le journaliste ne peut pas assurer sa protection? Quel lanceur d'alerte décidera de se taire pour ne pas risquer d'être happé dans une enquête policière? Nous ne saurons jamais combien d'actes répréhensibles sont passés sous le radar et combien d'affaires ont été étouffées parce que des sources confidentielles ont eu peur de parler.
À l'heure actuelle, les critères d'émission de mandats pour effectuer ce type de surveillance sont loin d'être assez exigeants. D'ailleurs, les témoignages frappants des dernières semaines à la Commission Chamberland, au Québec, ont montré que même des insinuations sexuelles non fondées peuvent suffire.
En effet, jeudi dernier, Marie-Maude Denis de Radio-Canada a dévoilé que pour pouvoir l'espionner, les policiers avaient évoqué une relation intime qu'elle aurait eue avec un autre agent de police, ciblé par l'enquête. Je tiens à souligner que cette allégation était totalement fausse et qu'elle n'était fondée sur aucune information crédible. Il est scandaleux qu'un policier ait pu l'utiliser devant un juge de paix. Bien franchement, je suis découragée que ce dernier ait trouvé cela suffisant.
Dans cette histoire, on suggère clairement qu'une femme journaliste respectée utilise la séduction pour obtenir de l'information. Inutile de chercher plus loin la preuve que les critères pour obtenir un mandat doivent être resserrés.
Je tiens à préciser que nous sommes conscients qu'il doit y avoir des exceptions. Lorsqu'un journaliste est légitimement soupçonné d'avoir commis un crime, la police a toutes les raisons du monde de suivre ses allées et venues. Si on peut attester qu'il n'existe aucun lien entre l'enquête et les activités professionnelles du journaliste, alors celui-ci ne devrait pas pouvoir invoquer sa profession pour se soustraire au travail des policiers, mais dès que la nature d'une enquête met en cause la pratique journalistique, tous les dispositifs de protection prévus dans le projet de loi devraient s'appliquer. La décision relève alors d'un juge de la Cour supérieure.
Merci de votre attention. Je vais maintenant céder la parole à mon collègue, Michel Cormier.
:
Bonjour. Merci de nous recevoir.
Je suis Michel Cormier, directeur général de l'information des Services français de Radio-Canada. Je suis le patron de Marie-Maude Denis et des autres journalistes de Radio-Canada qui ont été surveillés électroniquement par la Sûreté du Québec.
Radio-Canada et la Coalition des médias canadiens se réjouissent du soutien qu'accorde le gouvernement à ce projet de loi piloté par le .
Les sources confidentielles, dont la protection est au coeur du présent projet de loi, sont essentielles au journalisme d'enquête. Personne ne conteste ce fait reconnu depuis plusieurs années par la Cour suprême du Canada. Cependant, les derniers mois nous ont démontré que le système policier et judiciaire actuellement en place n'est pas en mesure de protéger adéquatement les sources journalistiques.
Depuis quelques semaines, les auditions de la Commission Chamberland nous ont donné l'occasion d'entendre ce qui a motivé les policiers à obtenir les registres téléphoniques de journalistes, notamment trois des plus éminents journalistes d'enquête de Radio-Canada. Leurs motifs étaient insuffisants et leurs démarches étaient vouées à l'échec.
Devant la Commission, le témoignage de certains policiers impliqués dans la surveillance des journalistes a démontré, quant à nous, l'abus dont ont été l'objet les journalistes et leurs sources. Il a été reconnu que l'ordonnance émise par un juge de paix magistrat pour avoir accès à cinq ans d'appels entrants et sortants des téléphones des journalistes, ainsi que, dans deux des cas, à leur localisation physique lors des appels, ne démontrait rien quant au crime faisant l'objet de l'enquête, à savoir une possible divulgation d'écoute électronique. Pourtant, cela mettait grandement en péril l'identité des sources des journalistes.
Il s'agissait, selon nous, d'une évidence depuis le début. Comme l'ont reconnu plusieurs policiers qui ont témoigné à la Commission, beaucoup trop de gens avaient eu accès à l'écoute électronique, et on ne pouvait rien démontrer par de simples contacts téléphoniques entre des policiers et des journalistes. Alors, pourquoi avoir demandé accès à cinq ans de registres? Ces questions auraient pu être posées par le juge de paix magistrat, en fait elles auraient dû être posées par celui-ci, mais force est de constater que cela n'a pas été fait, puisque les ordonnances ont été émises sans autre formalité.
Je vous invite à réfléchir quelques secondes à ce que cela signifie. Ces policiers ont obtenu des registres pouvant révéler l'identité de sources confidentielles, alors que tous pouvaient réaliser dès le départ que ces registres ne serviraient absolument à rien. La violation de la confidentialité des sources des journalistes à coup d'ordonnances judiciaires était non seulement totalement inutile, mais grave et abusive.
Les policiers savaient ou devaient connaître ce fait avant de solliciter la première des ordonnances, mais le système a complètement failli à les arrêter.
Selon l'organisme Reporters sans frontières, comme l'a bien souligné le député, le Canada se classe cette année en dehors des 20 premiers pays pour ce qui est de la défense de la liberté de la presse. Plusieurs autres démocraties et même des États américains disposent d'une loi sur la protection des sources journalistiques.
Il faut adopter le projet de loi pour changer les choses, pour permettre que la protection des sources confidentielles soit prise en compte et que plus jamais un corps policier au Canada ne soit autorisé à espionner des journalistes sans égard à leurs sources et au rôle crucial qu'elles jouent en démocratie.
La Coalition tient cependant à souligner qu'un des amendements proposés ouvre une brèche dans la protection des sources confidentielles. Le nouveau paragraphe 488.01(4.1) proposé soustrait du champ d'application de la loi toute demande d'ordonnance dès qu'il est allégué qu'une infraction a été commise par un journaliste. Si cet amendement est adopté, il suffira qu'un enquêteur prétende qu'il soupçonne le journaliste d'avoir agi comme complice d'un sonneur d'alerte pour que l'ensemble des protections prévues dans le projet de loi soient totalement évacuées et que l'identité des sources soit dévoilée.
Cette brèche encouragera des allégations non justifiées contre les journalistes, alors que, par le passé, aucune des enquêtes impliquant des journalistes n'a mené à des accusations contre eux.
Notre proposition offre une solution que nous croyons équitable à ce problème. Elle veille à ce que, quand il s'agit de travail journalistique, le juge applique le test prévu dans le projet de loi avant d'autoriser le mandat, tout en excluant de ce régime particulier les enquêtes pour des crimes de droit commun.
Nous sommes très satisfaits du projet de loi, non seulement pour mettre un terme aux abus et redonner confiance aux sources journalistiques dans le système, mais pour permettre au Canada de faire partie du club qui protège légalement tous ces gens courageux qui dénoncent des situations inacceptables et dont les gestes contribuent à une société plus libre et démocratique. Cela dit, nous vous demandons de porter une attention particulière aux suggestions détaillées dans notre factum.
Merci.
Veuillez excuser mon retard. Je crois que nous avons tous vécu ce genre d'expérience avec Porter Airlines. Je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant vous .
Je vous parle aujourd'hui en ma qualité de directeur exécutif de Journalistes canadiens pour la liberté d'expression, ou CJFE, une organisation non gouvernementale à but non lucratif qui vise à promouvoir et à protéger la liberté de la presse et la liberté d'expression dans le monde entier. Nous aimerions utiliser notre temps aujourd'hui pour discuter de l'importance d'adopter le projet de loi immédiatement, dire un mot sur les définitions incluses dans le projet de loi et aborder les modifications proposées par le gouvernement.
Notre organisation appuie fermement le projet de loi , la loi sur la protection des sources journalistiques. S'il est adopté aujourd'hui dans sa forme actuelle, le projet de loi S-231 sera la première loi-bouclier journalistique du pays, ce qui nous rapprochera de la conformité aux normes internationales en matière de protection des sources. Il s'agit d'une mesure législative dont nous avons grandement besoin, et son entrée en vigueur marquerait un pas important pour la liberté de la presse au Canada.
Comme l'ont démontré les récents événements survenus au Québec et ailleurs au Canada, les journalistes sont susceptibles d'être traités de façon arbitraire et sommaire en ce qui concerne les mandats de perquisition et les ordonnances de communication quand il est question de sources confidentielles. Le projet de loi a été présenté pour la première en novembre dernier, à la suite de révélations consternantes selon lesquelles la police avait obtenu des mandats pour épier le téléphone de Patrick Lagacé, un journaliste de La Presse, et pour surveiller les appels téléphoniques de plusieurs autres journalistes.
Le Canada a besoin de ce projet de loi, et ce, plus que jamais. Outre les cas d'espionnage par la Sûreté du Québec, pas moins de quatre journalistes canadiens ont été arrêtés au cours de la dernière année. Ben Makuch, de VICE News, continue de lutter contre une décision judiciaire l'obligeant à remettre à la GRC ses communications avec une source. Justin Brake, de l'Independent, risque jusqu'à 10 ans de prison pour avoir fait un reportage sur une manifestation. Cori Marshall, une journaliste pigiste de Montréal, a été faussement accusée de séquestration pour avoir simplement couvert une manifestation à l'intérieur d'un édifice gouvernemental, mais ces accusations ont été retirées, en grande partie, grâce à l'intervention de notre organisation. Le photographe David Ritchie et le vidéaste de Global News, Jeremy Cohn, ont été arrêtés par le service de police de Hamilton pour leur couverture d'une collision avec une piétonne. On vient d'apprendre aujourd'hui dans les nouvelles que David Ritchie a été renvoyé, mais il devra quand même comparaître devant le tribunal le 20 juillet prochain au sujet de ces accusations.
Le Canada a perdu quatre places dans le classement mondial de la liberté de la presse de cette année, selon Reporters sans frontières. Au cours des dernières années, nous sommes passés du 10e au 22e rang mondial, en partie, parce que les journalistes du pays ne sont pas actuellement protégés par une loi-bouclier.
Malgré nos suggestions en vue d'améliorer le projet de loi — j'y reviendrai dans un instant —, nous croyons qu'il s'agit d'une mesure législative importante et nécessaire, et nous tenons à bien faire comprendre aux membres du Comité l'importance de cette adoption rapide. Soyons clairs: le Canada a besoin que cette mesure législative entre en vigueur aujourd'hui. Toutefois, l'adoption du projet de loi, dans sa forme actuelle, n'est qu'un premier pas pour régler les nombreux problèmes auxquels font face aujourd'hui les journalistes au Canada. C'est parce que bon nombre des définitions sont encore trop restrictives. D'autres réformes s'imposeront à l'avenir pour que ces protections tiennent compte de la réalité du paysage médiatique moderne du Canada, mais nous ne croyons pas que cela doive empêcher l'adoption du projet de loi au cours de cette session.
Par exemple, le projet de loi prévoit une définition étroite de ceux qui sont légalement considérés comme des journalistes. Nous proposons que la définition soit ultérieurement élargie afin de tenir compte de l'émergence de nouvelles formes de journalisme, comme les blogueurs, et d'inclure les nombreux journalistes qui ne déclarent pas ce métier comme leur occupation principale: par exemple, les journalistes étudiants et les pigistes. Ils méritent, eux aussi, d'être protégés en vertu de cette loi.
Nous appuyons l'amendement proposé par Matthew Dubé afin d'élargir la définition comme suit:
Personne qui contribue directement, soit régulièrement ou occasionnellement, à la collecte, à la rédaction ou à la production d'informations en vue de leur diffusion dans la presse quel qu'en soit le support, notamment la presse écrite, dont les journaux et les magazines, et la presse électronique, dont la télévision, la radio et la diffusion en ligne, ou quiconque assiste cette personne à cet égard.
Nous observons des problèmes similaires dans la définition actuelle de source journalistique, et je cite:
Source qui transmet confidentiellement de l’information à un journaliste avec son engagement, en contrepartie, de ne pas divulguer l’identité de la source, dont l’anonymat est essentiel aux rapports entre le journaliste et la source.
Les lacunes de cette définition sont démontrées de façon éclatante dans l'affaire en cours de Ben Makuch, de VICE News. Makuch cherche à faire appel, devant la Cour suprême, d'une ordonnance judiciaire l'obligeant à remettre à la GRC ses communications avec sa source. L'ordonnance rendue contre Makuch établit un précédent qui risque d'avoir des effets dévastateurs et qui est lourd de conséquences pour la liberté de la presse et l'intégrité du journalisme au Canada. En dépit de notre appui sans réserve au projet de loi , il faut dire que cette mesure législative ne fournira aucune protection dans le contexte de Ben Makuch parce que, même si sa source a refusé de divulguer son identité, cette personne ne correspondait pas à la définition stricte de source confidentielle, au sens du projet de loi. Ainsi, un jeune journaliste canadien pourrait bientôt se retrouver derrière les barreaux pour avoir simplement fait son travail.
De toute évidence, cela démontre qu'il faut renforcer les protections juridiques. Je le répète, nous croyons que ce problème pourra être réglé plus tard au moyen d'une mesure législative, mais cela ne devrait pas empêcher l'adoption du projet de loi dans sa forme actuelle. Exiger un engagement de confidentialité est problématique, car les sources, de par leur nature, sont confidentielles. Les journalistes et leurs éditeurs ont le droit de décider quelles parties d'une entrevue sera publiées, peu importe si l'entrevue a été menée avec une source confidentielle ou non.
Pour nous, une « source journalistique » désigne n'importe quelle source qui fournit des renseignements à un journaliste. C'est une définition plus large que celle qui est dans le projet de loi actuel, et cela s'explique de deux façons. Tout d'abord, étant donné qu'un tribunal ou qu'un service de police ne peut pas savoir d'avance si une source est bel et bien « confidentielle », cet élément ne devrait par être utilisé comme condition pour cautionner une attention particulière. En deuxième lieu, comme on a pu le voir dans l'affaire Makuch, les renseignements probants concernant n'importe quelle source — qu'elle soit conforme ou pas à la définition stricte d'une source confidentielle — ont un effet dissuasif. Bien que cette modification ne fait peut-être pas partie des aspects particuliers dont traite le présent projet de loi, la protection des sources qui ne sont pas anonymes devra faire partie des discussions à venir et elle devra être intégrée aux mesures qui seront mises de l'avant pour protéger la liberté de la presse au Canada.
Le gouvernement propose d'amender le libellé du sous-alinéa 39.1(8)b)(i) proposé en remplaçant le mot « essentiel » par le mot « important ». Nous sommes d'avis que cet amendement minera le principe du projet de loi et qu'il créera une rupture d'avec les protections existantes. La jurisprudence actuelle indique que l'évocation du caractère essentiel doit être le dernier recours pour forcer un média à divulguer des renseignements. Le fait de remplacer ce caractère essentiel par un caractère « important » marquerait un recul à l'égard de cette norme.
Le gouvernement propose que l'exigence voulant que « le tribunal, l’organisme ou la personne a envisagé tous les moyens de divulgation qui préserveraient l’identité de la source journalistique » devienne un critère distinct applicable à chaque étape de l'analyse, et qu'il cesse d'être une section particulière du test édicté au paragraphe 39.1(8) proposé. Nous sommes d'accord avec cette modification.
Le gouvernement dit que les conditions additionnelles pour cautionner une divulgation ne devraient pas s'appliquer lorsque les journalistes eux-mêmes sont soupçonnés d'activité criminelle. Cette disposition vise à prévenir que le projet de loi soit appliqué dans un contexte autre que celui d'une activité journalistique. La Coalition des médias canadiens a formulé des commentaires et a proposé un amendement à cet égard, commentaires et amendement que nous appuyons sans réserve.
Le gouvernement propose que les dispositions sur la préséance figurant aux paragraphes 39.1(2) et 488.01(2) proposés soient supprimées du projet de loi. Le gouvernement affirme que ces dispositions auraient une incidence indésirable sur les lois portant sur la protection des renseignements personnels et sur la sécurité nationale. Comme le libellé de la sous-section 39.1(8)b)(i) proposé porte déjà sur la divulgation d'un renseignement ou d'un document essentiel pour la sécurité, nous croyons que la proposition du gouvernement viendrait miner inutilement l'efficacité de la loi.
Nous remercions ceux qui ont piloté cette initiative, dont le sénateur Carignan et M. Deltell. Journalistes canadiens pour la liberté d’expression aimerait aussi féliciter le gouvernement libéral de son appui au projet de loi . C'est un suivi prometteur et encourageant aux déclarations bien senties que le Justin Trudeau a faites au sujet de la liberté de presse au Canada, et nous sommes d'avis que ce projet de loi aidera le Canada à devenir un leader mondial en la matière.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Je vais partager mon temps de parole avec mon collègue M. Arseneault.
Bienvenue aux témoins. Je les remercie d'être ici.
D'entrée de jeu, je veux dire que j'ai le plus grand respect pour le travail journalistique, pour avoir été, dans une ancienne vie, il y a plusieurs années, à la fois informateur, collaborateur et formateur d'un journaliste. C'est un métier essentiel, nécessaire, et il faut faire notre maximum pour soutenir le travail des journalistes.
Cela dit, le projet de loi porte sur la protection des sources. Nous avons passé une heure à discuter de la définition de « journaliste », mais je crois que l'essentiel devrait porter sur les sources elles-mêmes. Il faut aussi que notre approche soit actuelle et contemporaine.
De quelle manière évaluez-vous le travail actuel de la Commission Chamberland? Quelles sont vos attentes en ce qui concerne le rapport que publiera cette commission?
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Je crois que c'est d'une importance cruciale. Je persiste à croire que le projet de loi dans sa forme actuelle mérite encore d'être adopté. Je recommanderais fortement au Comité d'adopter l'amendement que propose M. Dubé.
À de nombreuses reprises, j'ai entendu des gens dire que le simple fait qu'une personne passe des commentaires sur Twitter ne signifie pas qu'elle devrait obtenir une protection à cet égard. Le simple fait que quelqu'un tienne un blogue ne signifie pas qu'il est nécessairement un journaliste et qu'il ne devrait pas jouir de cette protection. Je fais confiance aux juges pour faire la distinction entre quelqu'un qui gazouille de temps à autre ou qui écrit un blogue ou quelque chose du genre et un journaliste. J'estime que les juges de notre pays sont suffisamment compétents pour être en mesure de faire cette distinction.
La vérité, c'est que la nature du journalisme a changé. De nos jours, beaucoup de journalistes travaillent à la pige. Souvent, ce n'est pas leur principale source de revenus. Beaucoup de journalistes tirent de 60 à 75 % de leurs revenus à écrire des manuels techniques, des discours ou des choses comme celles-là. Leur activité journalistique est plus une affaire de passion.
Il y a des organismes comme Discourse Media, sur la côte Ouest, le Halifax Examiner, sur la côte Est, VICE News, à Toronto, et CANADALAND, que tout le monde connaît, qui ne tournent qu'avec des pigistes. Nombre de ces pigistes n'écriront peut-être qu'un ou deux articles par année pour ces organismes, mais il arrive que ces articles aient une incidence extrêmement importante sur le Canada. Souvent, selon l'angle et les sujets abordés, les pigistes auront des sources confidentielles à qui ils devront parler pour obtenir l'information qu'il leur faut, mais cette définition étroite de ce qu'est un journaliste les empêcherait quand même d'être couverts. C'est la raison pour laquelle nous croyons que cette définition doit être élargie et que c'est un juge qui doit décider qui mérite cette protection. Nous sommes d'avis que les juges sont en mesure de prendre ce type de décision.
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Si vous me le permettez, j’aimerais fournir un peu plus de contexte, en ce qui concerne l’état du journalisme au Canada. Premièrement, en tant que représentant attitré de la génération du millénaire au sein du groupe d’experts, je suppose…
Des voix : Oh, oh!
M. Tom Henheffer: …que j’aimerais dire que ma génération consomme voracement les nouvelles. L’appétit pour les nouvelles est plus aiguisé que jamais. Le problème, c’est que, dans notre pays, l’industrie de l’information a été littéralement décimée, sinon pire. Et j’entends cela d’une manière littérale. Un dixième de l’industrie a été anéanti, et probablement beaucoup plus que cela.
Je me suis fait les dents en travaillant pour la revue Macleans. Lorsque j’étais là-bas, 50 personnes travaillaient du côté de la presse écrite de la salle des nouvelles. Maintenant, ils sont environ 15 personnes, et cela s’est produit en 10 ans. Il s’agit là d’un recul atterrant, un recul que nous avons observé à l’échelle nationale.
J’aime envisager le milieu du journalisme au Canada comme une forêt ou une jungle dont, malheureusement, une grande partie a été complètement rasée par le feu. Cependant, cet incendie a créé un sol fertile où l’on retrouve de nouvelles pousses. De nombreuses organisations font un excellent travail en dépit de ces difficultés. Je pense que CBC est un excellent exemple de ce qui existait avant, tout comme The Globe and Mail et le Toronto Star, c’est-à-dire des médias traditionnels.
Le problème, c’est qu’il y a toujours un immense vide au Canada. Si les gens dévorent avidement le contenu, les gens qui fournissent un contenu de qualité ne sont plus aussi nombreux. Il y a maintenant plus de bruit et une détérioration des signaux. De plus, comme les sources se tarissent, nous avons besoin de mesures législatives comme celle-ci pour donner aux journalistes une chance de survivre et pour renforcer autant que possible ce pilier de la démocratie. Il est problématique de perdre des sources en l’absence d’une loi bouclier.
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C'est peut-être à cause de cela. Je ne sais pas à quel moment ni à quel endroit cela s'est produit.
Nous commençons l'étude article par article du projet de loi. Bienvenue à MM. Wong et Noël, du ministère de la Justice, qui sont là pour répondre à nos questions au besoin. Monsieur Méla est ici en tant que greffier législatif, au cas où nous aurions des questions de procédure concernant le processus de l'étude article par article.
Commençons. Comme il est courant de le faire, nous allons reporter l'étude de l'article 1, soit le titre abrégé.
(Article 2)
Le président: Comme vous pouvez le voir dans le dossier des amendements, il y en a trois pour l'article 2.
Je souligne pour le Comité qu'il y a eu une discussion sur l'admissibilité de l'amendement NDP-1, à savoir s'il relève de la portée du projet de loi. Je l'ai lu et j'ai déterminé que oui, il relève de la portée du projet de loi, car le projet de loi porte généralement sur la protection des sources journalistiques. Je pense donc qu'il convient de commencer par cet amendement.
Monsieur Dubé, voulez-vous présenter l'amendement?
Est-ce qu'il y a des questions ou des observations?
(L'amendement est adopté. [Voir le Procès-verbal])
(L'article 3 modifié est adopté.)
Le président: Le titre abrégé est-il adopté?
Des députés: D'accord.
Le président: Le titre est-il adopté?
Des députés: D'accord.
Le président: Le projet de loi modifié est-il adopté?
Des députés: D'accord.
Le président: Puis-je faire rapport du projet de loi modifié à la Chambre?
Des députés: D'accord.
Le président: Je vais en faire rapport dès que nous sommes en mesure de peaufiner le texte.
Je crois que c'est tout pour les travaux du Comité.
Vous n'avez pas eu besoin de travailler trop fort aujourd'hui.
Des voix: Ah, ah!
Le président: Vous auriez dû voir les derniers fonctionnaires que nous avons reçus ici pour une étude article par article.
Des voix: Ah, ah!
Une voix: J'en ai entendu parler.
Le président: Vous l'avez eu facile. Vous leur en devez une.
C'est bon. Puisque l'ordre du jour est épuisé, la séance est levée.