Soyez tous les bienvenus à la 34e séance du Comité permanent de l'environnement et du développement durable de la Chambre des communes. Conformément à un ordre de renvoi daté du mardi 4 mai 2021, le Comité se réunit pour étudier le projet de loi .
La réunion d'aujourd'hui est notre troisième et dernière avec audition de témoins. La semaine prochaine, nous entamerons le processus d'amendement article par article.
Comme les membres du Comité connaissent les règles à suivre pour le bon déroulement d'une séance, c'est à l'intention des témoins qui n'ont jamais comparu encore devant un comité parlementaire pendant la COVID que je précise qu'ils doivent désactiver leur micro entre leurs prises de parole et, quand ils prennent la parole, ils doivent s'adresser au Comité par l'entremise de la présidence.
Aujourd'hui, nous entendrons quatre témoins pendant la première moitié de la séance, puis cinq pendant la deuxième.
Viennent témoigner à titre personnel M. David Wright, professeur adjoint à la faculté de droit de l'Université de Calgary, et la professeure Corinne Le Quéré, de l'Université d'East Anglia, qui, je crois, est en train d'entrer en communication avec nous.
Nous sommes en contact également avec Mme Tara Peel, du Congrès du travail du Canada, et nous attendons M. Toby Heaps, de Corporate Knights inc.
Monsieur Wright, nous commençons par vous. Vous disposez de cinq minutes.
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Merci, monsieur le président. Bonjour à tous les membres du Comité.
Je me nomme David Wright. Je suis professeur adjoint à la faculté de droit de l'Université de Calgary. Je vous remercie de votre invitation à venir témoigner sur le sujet d'aujourd'hui.
Permettez-moi de dire, d'entrée de jeu, qu'il est réconfortant de parler de climat avec vous, parce que le temps, ici, à Calgary, est absolument pourri, avec des précipitations solides et des températures à un seul chiffre. Aujourd'hui, il est donc préférable de seulement s'occuper de climat.
Pour la placer dans son contexte, ma recherche est axée sur le droit de l'environnement et des ressources naturelles, compte tenu, particulièrement, du changement climatique. Je suis professeur, mais également avocat. On m'a invité à faire partie des barreaux de la Nouvelle-Écosse, du Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest.
J'ai également fait partie du Commissariat fédéral à l'environnement et au développement durable pendant cinq ans, de 2011 à 2016, ce qui me fait remarquer, avec un intérêt certain, le souffle nouveau que donne le projet de loi au rôle du commissaire.
Sur ce , je dirai d'abord qu'il représente un grand pas en avant dans le droit et les politiques du climat au Canada, dont la cohérence, dont le besoin se faisait grandement sentir, sera plus grande grâce à lui. Mais, visiblement, on peut encore faire mieux.
Mes courtes remarques préliminaires s'attacheront à trois points: le partage des compétences entre Ottawa et les provinces; la justiciabilité; le rôle de la commission.
Sur le plan pratique du partage des compétences, vous savez tous que notre constitution est silencieuse sur les questions d'environnement, y compris le changement climatique, ce qui aboutit à un chevauchement de compétences entre les provinces et le gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral possède amplement de compétences pour agir contre le changement climatique, qu'il exerce actuellement d'un certain nombre de façons, notamment par la tarification du carbone, comme en témoigne l'arrêt de la Cour suprême d'il y a à peine quelques semaines.
Le gouvernement fédéral occupe également une position avantageuse pour la coordination de l'action de tous les détenteurs de compétences dans la fédération. Mais, comme le vous l'a fait remarquer dans sa déclaration préliminaire, lundi dernier, le gouvernement fédéral ne peut pas imposer un programme de décarbonation. Par exemple, il ne peut pas obliger les provinces à adopter des objectifs précis de réduction des émissions.
À proprement parler, un projet de loi de responsabilisation en matière de climat ne peut pas aller plus loin que de détailler ce que toute la fédération peut faire pour honorer les engagements de réduction des émissions du Canada. Il est manifeste que le projet de loi a été soigneusement rédigé, compte tenu de ces contraintes constitutionnelles et de ces compétences alors que ses dispositions se focalisent presque entièrement sur les mesures fédérales. Mais, même avec ces contraintes, on peut l'améliorer de plusieurs manières tout en continuant de respecter les compétences de chacun.
D'abord, on devrait l'amender pour faire des renseignements sur les mesures entreprises par les provinces et les territoires un élément obligatoire du plan de réduction des émissions exigé à l'article 10 — ce sur quoi je pourrai m'étendre pendant la période de questions.
Ensuite, et semblablement, je propose d'ajouter des obligations explicites de production de rapports d'avancement des travaux et d'évaluation qui englobent la contribution des provinces et des territoires pour réduire les émissions gazeuses en question. Précisons que ça n'imposerait aucune obligation aux provinces, seulement celle de rassembler l'information à l'administration fédérale. Il est certain que la Constitution ou le partage des compétences n'empêchent aucunement cette activité. Encore une fois, je pourrai expliquer, en réponse à vos questions, ce qui motive cette proposition.
Sur la justiciabilité, la question centrale est vraiment la mesure dans laquelle le projet de loi englobe la responsabilité ou l'invite grâce à un examen judiciaire et un recours, en plus de la responsabilité manifeste d'ordre politique, parlementaire et public mêlée au régime proposé. Bref, vu la forme actuelle du projet de loi, c'est une source d'imprévisibilité. La question centrale à laquelle votre comité doit répondre ainsi que ceux qui sont déterminés à revoir le projet de loi — et je ne vous envie certainement pas de faire ce travail, ligne par ligne, la semaine prochaine —, c'est dans quelle mesure on devrait gérer cette imprévisibilité et on peut la gérer.
Autrement dit, il est assez simple de dissiper l'ambiguïté par une disposition explicite qui propose une révision judiciaire et des recours pour toutes les obligations découlant de la loi, et il paraît que votre comité a reçu plusieurs propositions à ce sujet. Je recommande cette option assez simple. Elle supprimerait toutes les inquiétudes qu'on entretiendrait au sujet de la justiciabilité, dont vous entendez parler.
À partir de ce point, cependant, les choses se compliquent — les solutions de rechange sont compliquées — et il s'agit réellement d'introduire des amendements de dispositions précises pour, au moins, réduire les motifs pour lesquels un tribunal pourrait trouver la loi, en tout ou en partie, susceptible d'être portée devant les tribunaux. Comme vous le savez peut-être, une cour fédérale a rendu un jugement sur ce point, qui concernait la Loi de mise en oeuvre du Protocole de Kyoto, jugement confirmé par la Cour fédérale d'appel.
Dans le souci d'aller plus vite, je n'entrerai pas dans les détails — c'est à voir pendant la période des questions —, mais le résultat est vraiment que les devoirs énoncés dans le projet de loi doivent l'être dans un langage clair et contraignant, qui donne aux tribunaux des critères juridiques objectifs à appliquer. Le projet de loi s'en acquitte assez bien, mieux que la Loi sur la mise en oeuvre du Protocole de Kyoto, mais on pourrait faire mieux dans plusieurs dispositions.
Enfin, en guise de conclusion dans les quelques secondes qui me restent, une caractéristique appréciée du projet de loi est d'apporter un souffle nouveau au rôle de supervision indépendante du commissaire.
Le commissariat est un organisme puissant, crédible, capable de beaucoup, qui peut profiter et contribuer beaucoup au régime proposé de transparence et de responsabilité. J'ai quelques petites idées à ce sujet, mais relativement à l'article 24.
Bref, d'après moi, le projet de loi , s'il était adopté, constituerait une étape importante et louable pour améliorer la cohérence de l'ensemble du droit et des politiques canadiennes en matière de climat. Mais, son architecture actuelle risque de ne pas lui permettre de résister entièrement aux vents changeants de la politique — et c'est en réalité l'intention de cette initiative. Voilà pourquoi, dans sa version actuelle, le projet de loi risque de décevoir les attentes.
Merci, monsieur le président.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je suis désolée, mais j'étais aux prises avec des problèmes techniques.
[Traduction]
Merci beaucoup de bien vouloir m'entendre aujourd'hui. Je voudrais dire quelques mots sur la gouvernance de l'action climatologique au Canada, qui, dans le passé, n'a pas donné de bons résultats.
Ayant travaillé au Royaume-Uni, je possède un point de vue international sur la question. Le projet de loi doit garantir l'atteinte des objectifs actuels en matière de climat. Vous vous rappellerez sans doute que, en mars dernier, devant votre comité, j'ai fait remarquer que le Canada était le seul membre du G7 dont les émissions n'aient pas diminué dans la décennie antérieure à la COVID. La crise de la COVID aura donné lieu à une diminution temporaire des émissions, mais, comme la baisse n'est pas structurelle, dès que le confinement prendra fin, les émissions rebondiront, peut-être même au-dessus des niveaux antérieurs.
Mais, il y a quand même lieu de se réjouir, parce que l'expérience des 15 dernières années montre que beaucoup de pays ont réussi à mettre en œuvre des réductions durables des émissions. J'ai travaillé au Royaume-Uni, mais en France aussi et dans d'autres pays. Pour me préparer à la réunion d'aujourd'hui, j'ai comparé le projet de loi et des lois analogues en vigueur au Royaume-Uni, le Climate Change Act et, en France, la loi « énergie-climat ». J'ai ainsi découvert des façons pour considérablement renforcer le projet de loi pour permettre, en 2021, une réduction des émissions au Canada.
On pourrait le renforcer principalement selon deux axes: d'abord en le dotant d'un sentiment d'urgence et en y intégrant des signaux clairs pour la population; enfin, en renforçant l'indépendance des avis reçus par le gouvernement.
Pour commencer, le ne parvient pas à communiquer un sentiment important d'urgence et rate son coup sur la clarté de ses intentions. Ce sont des paramètres vraiment importants si on veut orienter les investissements du secteur privé. Les objectifs et le rythme de gouvernance sont trop lents pour produire des résultats sur les objectifs de 2030, notamment, mais aussi les plus éloignés. On pourrait y remédier par des rapports annuels de situation, pour maintenir un portrait clair et actualisé des progrès réalisés ou manqués. Vous pourriez fixer une échéance pour la décennie, pour 2025 ou 2026. N'attendez pas 2030, ce qui pourrait être trop éloigné pour être parlant. Vous devriez déterminer les échéances au moins 10 ans d'avance. La France et le Royaume-Uni fixent les leurs 12 ans d'avance, et le secteur privé connaît longtemps d'avance le cap qu'on veut garder. Enfin, vous devriez fonder les objectifs de l'échéancier sur les conseils du groupe consultatif sur la carboneutralité.
Ensuite, des avis experts, indépendants, fondés sur les faits sont essentiels à l'efficacité du projet de loi. Les avis fondés sur les faits essentiels tiennent compte, non seulement des contraintes mondiales, comme le fait l'objectif de la carboneutralité pour 2050, mais également des circonstances nationales. Quel est le point de départ? Le Canada est une fédération, ce qui introduit un ensemble de contraintes. Au Canada, le bouquet de carburants et de combustibles est très particulier, différent de celui des États-Unis, du Royaume-Uni et de beaucoup d'autres pays. Ce peut être favorable à la mise en œuvre de mesures par le gouvernement et le Parlement et ce le sera. Le pourrait renforcer considérablement cet aspect, notamment en obligeant à fonder le choix des membres du groupe consultatif sur la carboneutralité sur leurs compétences et non leur représentativité — on les veut pour leurs idées —, et en accordant des ressources suffisantes et protégées au fonctionnement du commissariat, qui évalue ce qui s'est produit jusqu'à maintenant, et à l'organisme consultatif, qui recommandera une politique.
Je termine en affirmant que le Canada a franchi un pas important avec ce nouvel objectif climatique pour 2030 et l'objectif de la carboneutralité pour 2050, mais, parmi tous les pays, il n'a pas obtenu de bons résultats dans l'atteinte des objectifs contre le changement climatique. Ce piètre bilan très visible le fait mal paraître. Le projet de loi et la mise en œuvre de mesures climatiques qu'il permettra arrivent à point bien nommé pour corriger le tir.
Merci beaucoup.
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Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, bonjour. Je vous remercie de votre invitation.
Le Congrès du travail du Canada est le plus gros syndicat du pays. Il se prononce sur les questions d'intérêt national au nom de plus de trois millions de syndiqués de tout le pays. Le changement climatique est un enjeu important pour les syndicats et tous les actifs Canadiens. Voilà pourquoi le Congrès et les syndicats du Canada se réjouissent du dépôt du .
Dans le peu de temps dont je dispose, mes observations sur le se borneront à trois domaines: les mécanismes de responsabilisation, la transition équitable et l'organisme consultatif sur la carboneutralité.
D'abord, en ce qui concerne la responsabilisation, le Canada, comme d'autres l'ont dit avant moi, n'a jamais atteint un seul objectif qu'il s'était fixé pour lui-même en matière de climat. Pour casser cette habitude d'objectifs ratés de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il faut une loi qui responsabilise les gouvernements pour le respect de leurs échéances et non pour avoir essayé de les respecter. Le projet de loi exige un cycle continu de planification et de production de rapports calés sur les échéanciers quinquennaux et les objectifs à long terme. Mais il offre trop de latitude à des objectifs imprécis et à des plans peu détaillés.
Il devrait fixer des obligations claires et fermes au ministre pour le respect ou le dépassement de normes minimales robustes pour les objectifs et les plans de réduction des émissions. Ces plans doivent renfermer des modèles robustes qui montrent clairement les modalités d'atteinte des objectifs. La responsabilité doit se fonder sur les résultats et non sur les processus.
De plus, le nombre de points de contrôle des responsabilités dans la décennie à venir qui est cruciale est insuffisant. Le projet de loi emploie des objectifs assortis d'échéances plutôt que des bilans du carbone. Pour aggraver la situation, le commissaire à l'environnement et au développement durable serait tenu de produire des rapports sur la mise en œuvre des mesures seulement une fois tous les cinq ans. Maintenant que le gouvernement s'est fixé un objectif pour 2030, il n'y a pas de raison pour justifier de ne pas le tenir responsable en 2025.
Enfin, pour ne pas s'écarter de la limite de 1,5 °C, le projet de loi doit exiger des réductions absolues des émissions de gaz à effet de serre plutôt que de compter sur des compensations des émissions de carbone et des solutions technologiques porteuses d'espoir qui permettront à l'industrie de continuer à produire des émissions croissantes.
La transition équitable maintenant. Le Congrès comprend que l'élaboration du projet de loi ait privilégié la création d'emplois, et nous ne nous attendons pas à ce que ce projet de loi atteigne tous les objectifs de la loi promise sur la transition équitable. Mais, d'après nous, il devrait renfermer des renvois précis à cette transition comme moteur important de l'ambition climatique. Il est essentiel de nous doter de plans concrets pour une transition équitable, pour les travailleurs et les communautés touchés, non seulement pour amplifier cette ambition, mais, également, pour assurer l'adéquation entre elle et nos actions. Le projet de loi devrait reconnaître que l'atteinte des échéances en matière climatique exigera des plans robustes pour une transition équitable de la main-d'œuvre.
Enfin, l'organisme consultatif sur la carboneutralité. Incontestablement, c'est un atout important du projet de loi. Il est constitué de représentants de diverses communautés, notamment Autochtones, fonctionnaires, syndicats, organismes écologistes, industrie et universités, tous possédant leurs propres compétences. Nous sommes heureux que notre président, M. Hassan Yussuff, y représente les travailleurs.
D'après nous, l'organisme doit être en mesure de fournir des avis convaincants, fondés sur la science, sur les marches à suivre pour atteindre les échéances quinquennales. Malgré ses conseils importants sur les mesures et les stratégies pour respecter les échéances du Canada en matière de réduction des émissions, aucun rôle clair ne lui est confié pour la surveillance, l'évaluation et la production de rapports sur les progrès réalisés vers l'atteinte des objectifs du Canada. D'après nous, il devrait y avoir une évaluation indépendante et fréquente des progrès du Canada vers l'atteinte de ses objectifs.
Le Congrès se réjouit de ce projet de loi susceptible de mettre fin aux habitudes du Canada de ne jamais avoir atteint ses objectifs climatiques. Le renforcement de certaines dispositions du projet de loi permettrait au Canada de contribuer sensiblement aux efforts essentiels de limitation du réchauffement planétaire à pas plus de 1,5 °C.
Merci beaucoup. J'attends avec impatience vos questions.
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Ce n'est pas un aspect que je m'attendais à aborder aujourd'hui, mais je vous remercie de cette question.
Pour être tout à fait franc, je n'ai pas suivi cet aspect de l'élaboration du projet de loi. Je me souviens que a mentionné des discussions avec certains des organismes et organisations autochtones représentatifs lundi, dans une certaine mesure, mais je n'ai pas suivi cet aspect du dossier, alors je ne peux rien dire.
D'un point de vue juridique, la jurisprudence est quelque peu inégale, mais elle est relativement claire sur le fait qu'il n'y a pas d'obligation de consultation dans la formulation de projets de loi. Nous ne sommes probablement pas hors du champ de la loi. Cependant, comme vous le dites, les engagements visant à mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies vont au-delà de ce que la loi actuelle exige au Canada. Cette déclaration évolue pour devenir une loi.
Au fur et à mesure de l'élaboration et de l'affinement du projet de loi, et en particulier lorsque les plans sont émis en vertu de la loi, si elle est adoptée, je m'attends à une collaboration, une coopération et une consultation solides avec les communautés autochtones et les organisations autochtones représentatives.
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Monsieur le président, c'est moi qui le ferai.
Je remercie d'abord les témoins d'être parmi nous cet après-midi.
Je m'adresserai d'abord à vous, madame Le Quéré.
Vous présidez le Haut Conseil pour le Climat en France, vous êtes membre du Climate Change Committee, au Royaume-Uni et vous êtes l'auteure de rapports du GIEC. Selon moi, vous faites certainement partie des experts que l'on doit consulter et écouter.
J'ai eu le plaisir de vous entendre à de nombreuses reprises au cours des derniers mois, et vous êtes également venue nous parler, en mars dernier, de la possibilité de faire du commissaire à l'environnement et au développement durable un agent du Parlement indépendant.
Or il ne semble y avoir aucun intérêt pour cela actuellement. Ma question va dans ce sens. Le rôle du commissaire est de regarder en arrière et celui du comité d'experts est de se projeter vers l'avant. Madame Le Quéré, quels périls entrevoyez-vous si le comité qui est prévu au projet de loi reste tel quel et que le commissaire ne change pas de statut pour avoir l'indépendance requise? Dans quelle mesure les progrès seraient-ils compromis?
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Je vous remercie de cette question.
Il est difficile de parler de ressources, et je dirai ouvertement que je suis quelque peu subjectif et que je pense que le bureau mérite plus de ressources. Je pense que son rôle d'organe de surveillance indépendant est précieux et qu'il bénéficierait de ressources supplémentaires.
Mais je pense que ce à quoi vous voulez peut-être en venir, c'est au rôle relativement limité du bureau, comme on l'a mentionné précédemment. Il joue un rôle rétrospectif. Il répond réellement à la question de savoir comment les choses se sont passées et ne répond pas à la question de savoir comment les choses devraient se passer. Le bureau n'a pas le pouvoir d'examiner le bien-fondé des voies à suivre.
Il y a une question plus vaste de structure institutionnelle. Franchement, cet aspect nécessiterait des modifications plus étendues à la Loi sur le vérificateur général de manière à modifier ce rôle et à adopter une approche axée sur la remise en question du bien-fondé. Cela fait l'objet de débats depuis la création du bureau dans les années 1990. Encore une fois, il s'agit d'une question plus vaste, qui pourrait être abordée ici ou non.
La dernière chose que je dirais est qu'il y a peut-être une pièce manquante. L'aspect rétrospectif est assez bien couvert, bien que je suggère également des rapports plus fréquents, probablement deux par période de cinq ans — c'est l'un des amendements à l'article 24 — plutôt qu'un seul par période de cinq ans. La pièce manquante est ce rôle prospectif, ce qui signifie peut-être un peu plus de distance par rapport au ministre, pour revenir au point précédent.
Ce rôle, en vertu de la Loi de mise en œuvre du Protocole de Kyoto, était assumé par la Table ronde nationale sur l'environnement et l'économie. L'actuel Institut canadien pour des choix climatiques remplit une partie de ce rôle, mais pas la totalité. Il y a donc une pièce institutionnelle manquante dont le Comité devrait discuter et à laquelle il devrait réfléchir, car les institutions ont leur importance lorsqu'il s'agit de demander des comptes aux gouvernements.
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Il y a deux niveaux de réflexion sur la définition de « contraignant » dans ce contexte. Ce n'est pas un concept particulièrement utile, mais abordons la question.
Premièrement, cette loi est légalement applicable, et cela est représenté ou énoncé par les dispositions obligatoires que l'on trouve dans tout le libellé. Cependant, comme toute loi adoptée par le gouvernement fédéral, un prochain gouvernement fédéral peut l'abroger, comme nous l'avons vu avec la loi fédérale initiale sur l'évaluation environnementale. Par ailleurs, les futurs gouvernements peuvent l'abroger, tout comme la Loi de mise en œuvre du Protocole de Kyoto, ou LMOPK, a été abrogée.
En ce qui concerne cette loi, à un niveau peut-être plus intéressant et plus pratique, elle a ses limites, car elle ne peut pas imposer des objectifs de réduction des émissions ou des budgets précis province par province. Au contraire, l'éléphant dans la pièce au Canada depuis des décennies est l'absence d'accord officiel entre toutes les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral pour établir qui va réduire les émissions de combien.
Une option est d'adopter ce que l'Union européenne a adopté, qui est, dans certains secteurs, appelé un accord de partage de la charge, mais de nos jours, on l'appelle généralement un accord de partage des efforts, ce qui peut paraître un peu moins effrayant, un peu moins contraignant. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un accord négocié dans le cadre duquel toutes les instances — au Canada, nous avons les instances nationales et les provinces — indiquent explicitement quelles seront leurs contributions à la réduction des émissions. Une autre façon de voir les choses est qu'il s'agit presque d'un mini Accord de Paris au sein de la fédération canadienne.
Vous ne pouvez pas l'énoncer dans le projet de loi , mais vous pouvez créer une sorte de portail qui reconnaît que cela pourrait se produire. Ce pourrait être inclus, par exemple, dans le paragraphe 10(1), avec des renseignements sur les provinces et les territoires. On peut au moins créer la plateforme et assurer une harmonisation pour ce type d'accord de partage de la charge.
La dernière chose que je dirais est que c'est presque comme un cadre pancanadien qui a été adopté aux environs de décembre 2015, mais avec des objectifs de réduction des émissions signés par toutes les instances.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci aux témoins d'être ici aujourd'hui. J'aimerais adresser mes questions à M. Wright également.
Monsieur, je veux vraiment poursuivre dans la même veine que ce dont vous venez de parler. Plus tôt, en réponse à une question de l'un des autres membres du Comité, vous avez parlé de cet accord de partage de la charge ou d'un accord de Paris canadien, comme vous y avez fait allusion. J'aime cette analogie. Pour moi, l'une des choses qu'elle met en évidence, ce sont les défis à relever pour parvenir à cet accord. Nous savons tous à quel point il a été difficile de conclure ces accords mondiaux sur le climat et comment, dans de nombreux cas, beaucoup de gens ont estimé qu'ils n'avaient pas placé la barre assez haut.
Avez-vous des idées quant à la façon dont nous pourrions élaborer cet accord? Je pose cette question en tenant compte du fait que nous avons récemment assisté à des contestations judiciaires de la part de certaines provinces dans le cadre de la tarification de la pollution, qui se sont retrouvées devant la Cour suprême.
Je me demande comment vous pensez que nous pourrions, d'un point de vue pratique, parvenir à un accord qui serait suffisamment ambitieux pour soutenir ce que nous devons faire pour réduire les émissions.
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C'est la quintessence de la situation « plus facile à dire qu'à faire », mais nous n'avons pas vraiment essayé de manière significative, du moins pas au cours de la dernière décennie. Entamer cette conversation entre les gouvernements fédéral, territoriaux et provinciaux est la première étape importante pour mettre ces chiffres de l'avant. On pourrait même commencer par un système d'engagement semblable à celui de Kyoto, dans lequel tout le monde viendrait à la table et dirait: « Regardez, voici ce qui est possible. »
Ce qui est différent aujourd'hui par rapport à il y a une dizaine d'années, y compris dans le cadre de la Loi de mise en oeuvre du Protocole de Kyoto, c'est que vous avez une politique fédérale claire et des intentions fédérales qui sont alignées sur cette loi, mais vous avez aussi une reconnaissance émergente dans tout le pays, y compris dans l'Ouest, que nous sommes, que cela plaise ou non, sur la voie de la décarbonisation. Il suffit de regarder le rapport de l'AIE qui a été publié il y a quelques jours.
La différence fondamentale entre le Canada et l'Union européenne, par exemple, est la composition économique du pays. Le secteur pétrolier et gazier du Canada représente une part tellement importante de l'économie qu'il a rendu cette conversation vouée à l'échec. La situation est en train de changer, et tout le monde le reconnaît d'un bout à l'autre du pays, de sorte que la table est vraiment mise pour tenir cette conversation sur ce genre d'accord de partage des efforts comme jamais auparavant.
Cela peut sembler un peu optimiste, mais en réalité, il n'y a pas beaucoup d'autres options. Il est temps de s'attaquer aux véritables problèmes qui nuisent à la mise en oeuvre des engagements relatifs à la lutte contre les changements climatiques du Canada depuis des décennies.
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Bienvenue à la deuxième partie de notre réunion d'aujourd'hui.
Nous accueillons parmi nous, à titre personnel, Mme Madhur Anand, professeure, School of Environmental Sciences, et directrice, Guelph Institute for Environmental Research, University of Guelph, et Mme Sarah Burch, professeure agrégée, Department of Geography and Environmental Management, University of Waterloo, et directrice générale, Interdisciplinary Centre on Climate Change. De la Chambre de commerce du Canada, nous recevons M. Aaron Henry, directeur principal, Ressources naturelles et croissance durable.
[Français]
De la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, nous recevons M. Denis Bolduc, secrétaire général, et M. Patrick Rondeau, conseiller syndical, Environnement et Transition juste. De l'Institut de l'énergie Trottier, nous accueillons M. Normand Mousseau, qui est directeur scientifique et professeur au Département de physique, à l'Université de Montréal. Évidemment, M. Heaps est avec nous. Je vais d'ailleurs commencer par M. Heaps, parce qu'il attend depuis un certain temps pour nous transmettre son allocution d'ouverture.
Monsieur Heaps, vous avez la parole pour cinq minutes.
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Je remercie tous les membres du Comité de l'occasion de comparaître. Je voudrais saluer en particulier le député Lloyd Longfield.
Je m'appelle Madhur Anand. Je suis professeure à l'École des sciences environnementales de l'Université de Guelph. Mes travaux de recherches portent sur les répercussions des changements climatiques sur les écosystèmes au Canada et dans le monde entier, et sur l'incidence du comportement humain et de la dynamique sociale sur le succès des mesures d’atténuation des changements climatiques. Nos recherches, dont certaines ont été publiées hier seulement, montrent qu'un nombre accru d'accords nationaux sur le climat peut faire pencher la balance vers l'atteinte des objectifs mondiaux.
Je suis aussi directrice du Guelph Institute for Environmental Research, où des chercheurs de nos sept collèges — ingénieurs, écologistes, mathématiciens, artistes et économistes — travaillent tous sur le défi interdisciplinaire de l'atténuation des changements climatiques. Aucun groupe ou secteur ne pourra résoudre ce problème à lui seul.
Le Canada n'a pas respecté son obligation de réduire ses émissions conformément aux accords internationaux sur le climat, ce qui pourrait très bien être attribuable à l'absence d'une mesure législative comme le projet de loi . Des recherches portant sur plus d'une centaine de pays établissent une corrélation entre l'adoption d'une nouvelle mesure législative sur le climat et la réduction des émissions. Donc, il y a de l'espoir. Cette loi est essentielle.
Mes autres commentaires portent sur l'article 10 du projet de loi, qui décrit le contenu du plan de réduction des émissions, car nous devons à tout prix éviter d'en arriver à l'article 16 du projet de loi, qui porte sur l'échec de l'atteinte des cibles. Nous savons qu'il reste peu de temps pour éviter une cascade de changements climatiques critiques et que le pays n'aura pas une deuxième occasion de bien faire les choses.
Pour revenir aux cibles, le projet de loi précise, à l'alinéa 10(1)a), qu'il faut utiliser « les meilleures données scientifiques disponibles ». Les cibles d'émissions seront très difficiles à établir sans un travail scientifique soutenu de mesure, de surveillance et de modélisation. Les données non agrégées collectées par les différents secteurs doivent être accessibles aux scientifiques et au public.
Concernant la planification de scénarios pour l'atteinte des objectifs, les hypothèses sur le comportement humain et l'acceptation sociale des changements technologiques doivent être très explicites et réalistes. Nos recherches montrent que l'apprentissage social, l'incitation aux changements de comportement et l'évolution des normes sociales peuvent infléchir de près d'un degré Celsius le sommet prévu de la température mondiale.
Les cibles de réduction des émissions doivent à la fois tenir compte des processus socioculturels et des obstacles politiques. Cela pourrait comprendre les conséquences de l'incapacité d'atteindre les premières cibles, ce qui aura des effets cumulatifs et encore plus difficiles à atténuer.
Concernant l'alinéa 10(1)b), qui est « une description des principales mesures de réduction des émissions », le Canada doit se rendre à l'évidence: une économie mondiale sans combustibles fossiles est inévitable. Plus vite le Canada agira, plus facilement il pourra participer à l'économie de l'avenir au lieu de s'accrocher au passé. Plus d'une dizaine de mesures utilisées dans d'autres pays ont fait leurs preuves et se sont montrées efficaces pour réduire les émissions dans le secteur énergétique. Beaucoup de ces technologies existent déjà.
J'aimerais maintenant parler d'autres mesures habituellement négligées, soit les changements d'utilisation des sols, notamment dans les secteurs agricole et forestier. Les mesures doivent non seulement inclure les nouvelles émissions, mais aussi les puits de carbone. Autrement dit, c'est une question de gestion des cultures de couverture, des prairies, des tourbières et des forêts, et d'éviter la dégradation des sols. Tous ces aspects peuvent nous aider à atteindre nos cibles.
Hélas, aucune nouvelle mesure politique ou scientifique ne peut réussir sans l'approbation sociale. Cela m'amène à mes commentaires sur les alinéas 10(1)c) et 10(1)d), lesquels portent sur les stratégies.
Un changement sociétal rapide est possible. La pandémie a démontré à quel point les secteurs public et privé sont prêts à travailler ensemble dans un but commun et à adopter de nouveaux comportements lorsqu'ils comprennent les risques et les avantages. Les stratégies doivent donc démontrer les avantages économiques, sociaux et environnementaux de la réduction des émissions afin que la population et les acteurs des divers secteurs puissent en connaître les avantages nets pour le Canada.
Dans l'élaboration de ses stratégies, le gouvernement doit non seulement consulter les spécialistes en sciences naturelles et les économistes, mais aussi les spécialistes en sciences sociales, les acteurs du secteur des arts — tant en milieu universitaire qu'à l'extérieur — et les groupes autochtones, qui peuvent tous nous aider à changer le langage, la culture et le discours entourant l'atténuation des changements climatiques.
Je vous remercie.
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Monsieur le président, membres du Comité, bonjour. Je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui à ce moment critique de la lutte aux changements climatiques au Canada.
Je m'appelle Sarah Burch. Je suis professeure agrégée et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la gouvernance de la durabilité et l’innovation à l'Université de Waterloo. Je viens d'être nommée directrice générale du Centre interdisciplinaire sur les changements climatiques, qui regroupe plus de 100 professeurs, scientifiques et étudiants qui étudient les conséquences des changements climatiques et les solutions à ce problème.
Je suis une auteure principale du sixième rapport d'évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies, qui, comme vous le savez, est en cours. Il s'agit de la plus importante collaboration scientifique en son genre. Nos évaluations alimentent directement les négociations internationales sur les changements climatiques, ainsi que la planification en matière de changements climatiques à l'échelle nationale, provinciale, étatique et même municipale dans le monde entier.
J'aimerais, en tant que spécialiste de la transition vers des communautés résilientes à faibles émissions de carbone, prendre le temps d'ajouter ma voix au chœur d'universitaires, de militants, de chefs d'entreprise, de jeunes, de détenteurs du savoir autochtone et de décideurs, qui savent tous que le Canada peut être un véritable chef de file dans ce domaine.
Rien de tout cela ne sera nouveau pour vous, mais j'aimerais préciser ce que nous savons avec certitude.
Nous savons que le climat est déjà en train de changer. Ce n'est pas un problème appelé à toucher d'autres personnes, ailleurs, dans un avenir lointain. Nous savons que nos propres activités et la combustion de combustibles fossiles sont largement responsables de ces changements, dont les impacts — inondations, stress sur les écosystèmes, perte d'espèces, sécheresses, phénomènes météorologiques extrêmes, vagues de chaleur et incendies — se font déjà sentir ici même, au Canada.
Ce n'est pas seulement un enjeu environnemental, mais un enjeu humain. Les collectivités marginalisées seront les plus touchées par les changements climatiques. Nous l'avons constaté durant la pandémie de COVID-19, qui a exposé et exacerbé les inégalités préexistantes.
Que devons-nous faire?
Les cibles ambitieuses définies dans l'Accord de Paris ne seront pas atteintes sans une réduction des gaz à effet de serre à des niveaux transformateurs, en synergie avec des mesures visant à nous protéger des répercussions des changements climatiques. La réduction progressive des GES, comme celle que nous avons obtenue grâce aux modestes gains d'efficacité dans un système toujours fondamentalement dépendant des combustibles fossiles, ne nous donnera pas une réduction suffisamment rapide et importante pour contenir la hausse de la température à 2 °C maximum.
Comme nous le savons, les émissions totales de GES du Canada ont augmenté d'environ 21 % entre 1990 et 2019, et elles ont baissé d'environ 1 % seulement entre 2015 et 2019. Or, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat a clairement démontré que nous devons réduire nos émissions de moitié d'ici 2030 si nous voulons éviter les effets les plus coûteux et irréversibles des changements climatiques. Étant donné le bilan du Canada en matière d'émissions de gaz à effet de serre et nos émissions par habitant excessivement élevées, il nous incombe d'atteindre et de dépasser l'objectif fixé par le GIEC.
Le Royaume-Uni s'est engagé à réduire ses émissions de GES de 78 % d'ici 2035, conformément aux obligations énoncées dans sa Climate Change Act de 2008. C'est une excellente nouvelle, mais ce n'est pas ce qui suscite mon intérêt. Le plus important, ce sont les progrès réalisés jusqu'à maintenant. Les émissions du Royaume-Uni ont diminué de 51 % depuis 1990. De même, l'Allemagne s'est engagée à réduire ses émissions de 65 % d'ici 2030, et les États-Unis se sont récemment engagés à réduire leurs émissions de 52 % par rapport aux niveaux de 2005 d'ici 2030. Évidemment, l'histoire des progrès réalisés dans ces pays est plus complexe que ne le laissent entrevoir ces objectifs, mais collectivement, ils reflètent l'ambition et le sentiment d'urgence.
Ces objectifs sont toutefois insuffisants, comme nous l'avons vu, et ne sont pas une action en soi. Des politiques et des actions à la fois précises et évolutives sont nécessaires pour atteindre ces objectifs. Il faut aussi des mécanismes clairs pour déterminer si nous faisons réellement ce qui est prévu. Nous devons assumer nos responsabilités à cet égard.
En outre, le coût des changements climatiques incontrôlés dépasse largement toutes les estimations des coûts d'une transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Il faut toutefois reconnaître que certains secteurs et certaines collectivités assumeront une plus grande part du fardeau de cette transition. Dans une transition équitable, les coûts liés à l'atténuation des changements climatiques sont partagés au lieu de peser lourdement sur les collectivités marginalisées et les travailleurs de certains secteurs. Ces collectivités peuvent tirer parti de la transition vers une économie résiliente à faibles émissions de carbone au lieu d'en faire les frais.
Concernant le projet de loi , mes suggestions sont les suivantes.
Le projet de loi C-12 devrait fixer un objectif clair et réalisable pour 2025 afin que nous sachions si nous faisons des progrès le plus tôt possible. Il devrait inscrire dans la loi une cible plus ambitieuse de réduction des émissions d'au moins 50 % d'ici 2030 qui s'harmonise aux recommandations du GIEC.
Il devrait préciser clairement qui est responsable de l'atteinte des objectifs et la façon précise de les atteindre. Il y a un important chaînon manquant entre les objectifs et les mesures.
Il doit définir clairement un rôle plus robuste pour Groupe consultatif pour la carboneutralité pour l'établissement de cet objectif ainsi que l'examen et l'évaluation des progrès, et de la production de rapports à cet égard.
Il devrait viser à assurer une transition équitable appuyée par le gouvernement fédéral, en recherchant explicitement des synergies entre l'adaptation, qui consiste à nous protéger des conséquences des changements climatiques, et l'atténuation, qui consiste à s'attaquer aux causes, tout en déchargeant les communautés marginalisées du fardeau de la transition.
Merci.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, je suis heureux de témoigner devant le Comité permanent de l'environnement et du développement durable pour vous donner mon opinion au sujet du projet de loi . Je vous remercie de m'avoir invité.
Pour ceux qui ne me connaissent pas, je m'appelle Aaron Henry. Je suis le directeur principal des ressources naturelles et de la croissance durable à la Chambre de commerce du Canada, dont le réseau représente plus d'un quart de million d'entreprises.
J'aimerais commencer par dire que la Chambre de commerce appuie le projet de loi en principe. Toutefois, nous croyons que certains détails du projet de loi, tel qu'il est proposé, en plus de certains mécanismes d'exécution, pourraient être améliorés et clarifiés afin d'accroître la confiance de la communauté des affaires du Canada à son égard.
J'aimerais commencer par vous parler de la valeur du projet de loi . Je crois qu'à de nombreux égards, mes commentaires rejoignent ceux des autres témoins que vous avez entendus aujourd'hui.
S'il est bien élaboré, en consultation avec la communauté des affaires du Canada, je crois que le projet de loi pourrait améliorer les politiques, surtout au Canada. Je crois qu'il pourrait accroître la confiance mutuelle entre le gouvernement, les entreprises et les Canadiens, dans le cadre de nos efforts en matière de décarbonisation.
Comme l'ont fait valoir bon nombre d'autres témoins devant le Comité, nous avons tendance à fixer des objectifs en matière de climat, sans jamais les atteindre. Non seulement cette tendance nuit-elle à notre contribution aux efforts mondiaux de lutte contre les changements climatiques, mais elle risque aussi de nuire au leadership du Canada sur la scène internationale, et à sa réputation. De plus, sur le plan des affaires, elle risque d'entraîner un changement de paradigme en ce qui a trait à l'environnement stratégique du Canada. C'est ce qui se produit lorsque l'un après l'autre, les gouvernements présentent de nouvelles mesures et des règlements plus stricts pour atteindre les cibles ratées, ce qui crée un climat d'incertitude en matière d'investissement. Ainsi, il est plus difficile pour les entreprises de s'adapter et de savoir à quoi s'en tenir, ce qui entraîne des risques financiers et politiques supplémentaires pour elles.
À ce titre, en principe, les mesures législatives qui améliorent la transparence et la reddition de comptes associées à nos efforts pour atteindre la carboneutralité ont une valeur importante, surtout parce que nous discutons de choix stratégiques qui prennent forment sur des dizaines d'années.
Cela étant dit, la Chambre croit qu'il serait judicieux d'apporter quelques améliorations ou changements au projet de loi. En premier lieu, nous reconnaissons que les changements climatiques ont plusieurs dimensions. Notre façon d'atteindre la carboneutralité aura une incidence qui dépassera la simple réduction des émissions. Elle aura une incidence sur l'inclusion sociale, de même que sur la prospérité économique du Canada, la main-d'œuvre et les collectivités rurales. Comme le confirmeront certains des témoins qui ont comparu devant vous hier, elle aura même une incidence sur la santé publique.
En bref, tous les chemins vers la carboneutralité ne sont pas égaux. Certains nécessiteront de plus grands compromis que d'autres. Certains nous permettront d'atteindre les résultats environnementaux souhaités, mais aux dépens d'autres facteurs sociaux et économiques.
Bien que l'objectif de réduction des émissions relève d'Environnement et Changement climatique Canada, je crois que l'intervention d'autres ministres, dont le portefeuille vise ces enjeux connexes, est nécessaire. Pour cette raison, nous proposons de confier au gouverneur en conseil, en collaboration avec le cabinet, la tâche d'approuver le plan quinquennal, plutôt que de la laisser au ministre.
De plus, nous craignons que le projet de loi, tel qu'il est décrit, ne tienne pas pleinement compte des possibilités et conséquences économiques associées à l'atteinte de la carboneutralité. L'objectif visant à élaborer des stratégies de décarbonisation sectorielles pourrait entraîner une collaboration plus étroite entre le gouvernement et l'industrie afin d'accroître la certitude à l'égard des politiques, mais il faudrait combler deux lacunes pour ce faire.
Premièrement, la loi doit comprendre une vision économique claire, et doit établir des paramètres, comme la compétitivité économique, la création d'emplois, les possibilités de réduction des émissions à l'échelle internationale et les avantages possibles en matière d'exportation des biens et des technologies propres sur lesquels peut miser le Canada. Elle doit veiller à ce que les stratégies sectorielles élaborées par le conseil consultatif respectent ces paramètres. À tout le moins, la loi doit comprendre une vision économique qui établit clairement les critères de sélection des diverses stratégies de décarbonisation sectorielles pour tous les intervenants.
Deuxièmement, nous croyons que le conseil consultatif sur la carboneutralité est chargé d'une tâche colossale. C'est un défi imposant pour 15 personnes que d'élaborer des plans de décarbonisation pour plusieurs secteurs économiques, sur de nombreuses années. Je crois que le défi est encore plus grand en raison de l'absence d'une expertise directe de l'industrie au sein du conseil consultatif ou par l'entremise d'autres mécanismes prévus par la loi pour élaborer ces stratégies sectorielles.
Nous recommandons la modification du projet de loi afin de veiller à ce que les intervenants de l'industrie — les intervenants qui connaissent le mieux les possibilités technologiques et commerciales pour la réduction des émissions dans leur secteur — aient un rôle clair et officiel à jouer dans l'élaboration des stratégies de décarbonisation sectorielles.
Enfin, nous nous préoccupons de la portée du projet de loi — je crois que d'autres en ont parlé également — et de la façon dont il s'harmonisera aux administrations provinciales et aux objectifs en matière de climat établis par les gouvernements provinciaux. Il serait utile de modifier le projet de loi afin d'expliquer clairement comment les cibles établies par les provinces y seront intégrées. Ce sera essentiel pour étalonner la politique de compensation et la création de crédits de carbone. Il faudra une plus grande certitude au sujet des technologies admissibles à la compensation et qui répondent au critère de l'additionnalité. Sans une importante coordination...
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je m'appelle Denis Bolduc et je suis le secrétaire général de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, ou FTQ. M. Rondeau, qui est conseiller syndical en Environnement et Transition juste, m’accompagne. C’est moi qui vais faire la présentation.
Je salue tous les membres du Comité.
La FTQ regroupe 600 000 membres répartis dans tous les secteurs d’activité économique et dans toutes les régions du Québec. Nos membres travaillent au sein d'industries dont l'intensité carbonique est parmi les plus élevées, notamment les cimenteries, les aciéries et les mines, et plusieurs travaillent directement dans le secteur de l’énergie.
J'affirme sans vantardise que la FTQ est l’organisation syndicale au Québec qui est la plus engagée dans la lutte contre les changements climatiques. Dès 2013, nous avons ouvert un chantier de réflexion sur les changements climatiques; nous avons un comité permanent sur l’environnement qui existe depuis plusieurs années; nous avons aussi pris part à quelques travaux parlementaires à Québec et à plusieurs événements marquants qui ont porté sur les changements climatiques et la transition juste; depuis 2015, une délégation de la FTQ est présente aux rencontres de la COP. Nous y serons encore cette année, en Écosse, pour la COP26.
Le Canada s’est engagé à atteindre la carboneutralité en 2050 et il s’est aussi engagé à prendre des mesures pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius à l’échelle de la planète. La FTQ se réjouit de la volonté du gouvernement fédéral d'agir sérieusement afin de respecter ses engagements. C'est du moins l’intention exprimée par le projet de loi , on le comprend. Par contre, nous doutons que les mesures contenues dans ce projet de loi permettent d’atteindre les objectifs de carboneutralité. Un changement de cap est nécessaire.
L’Agence internationale de l’énergie a publié cette semaine un rapport très intéressant. Ce rapport nous apprend qu’il est possible d’atteindre l’objectif de contenir l’élévation du réchauffement climatique en deçà de 1,5 degré Celsius sans compromettre l’économie — ce qui est important — si les États s’engagent vers une sortie de nouveaux projets de production des hydrocarbures.
Selon nous, la transition énergétique et l’atteinte de la carboneutralité visée par le projet de loi passent systématiquement par une transformation de notre économie, mais également de nos emplois. La transition doit être planifiée et elle doit inclure ceux et celles qui en subissent directement les effets. On doit s’assurer du respect des droits économiques et sociaux des travailleurs et des travailleuses, de la pérennité et de la viabilité des emplois et de la durabilité des communautés dans la transition. Les gouvernements doivent mettre en place des mécanismes de transition juste dans l’ensemble des milieux de travail qui sont concernés. La loi sur la carboneutralité doit nécessairement être accompagnée de mécanismes de transition juste qui reposent sur le dialogue social. À notre avis, l'un ne va pas sans l’autre.
Pour ce qui est des compétences provinciales, les questions concernant le respect des compétences, l’engagement et les contraintes avec les provinces sont souvent complexes. On peut facilement penser que ce ne sera pas différent cette fois-ci. Le Canada doit donc s'attaquer à cette question rapidement, tout en respectant les champs de compétences des provinces. La mise en action ne doit surtout pas être retardée à cause de chicanes constitutionnelles. Nous vous suggérons donc d’entamer dès maintenant une discussion avec les provinces.
Je vais dire un mot sur le comité consultatif proposé dans le projet de loi. Il faut que le gouvernement soit conseillé dans sa prise de décisions par un comité consultatif crédible et compétent, mais surtout exempt de conflits d’intérêts.
Au Québec, le Comité consultatif sur les changements climatiques regroupe 12 personnes, dont neuf sont issues de la communauté scientifique. C'est neuf personnes sur douze et il s'agit donc des trois quarts du comité. C’est totalement différent de ce qui est proposé dans le projet de loi C-12. Selon ce qu'il propose, une seule personne sur quatorze proviendrait de la communauté scientifique, alors que quatre personnes proviendraient d’entreprises du secteur des énergies fossiles. Cela nous inquiète.
Nous croyons que la science doit guider les décisions du gouvernement, et non les intérêts des entreprises. La constitution actuelle du comité ouvre la porte aux conflits d’intérêts. Il faudra des règles robustes pour parer à cette éventualité.
En ce qui a trait à la reddition de compte, le projet de loi prévoit des jalons d’évaluation aux cinq ans. Nous nous interrogeons sur la date du premier jalon. Selon nous, un premier bulletin en 2030, c'est vraiment trop loin.
Je conclurai en vous disant que, ce qui inquiète le plus la FTQ, c'est l'absence totale de planification de transition. On y voit un indice du fait que la carboneutralité se fera sans les travailleurs et les travailleuses et leur communauté. Or, sans eux, cela ne peut pas fonctionner. Il est nécessaire d'inclure dès maintenant des mécanismes de transition justes dans le projet de loi.
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Bonjour. Je suis professeur de physique et directeur scientifique de l'Institut de l'énergie Trottier, ou IET. C'est vraiment un honneur pour moi d'être ici. Je salue tous les membres de ce comité et son président.
Je me penche depuis plus de 15 ans sur les questions de gouvernance énergétique et climatique. J'ai été coprésident de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec en 2013-2014. J'ai été coauteur de la proposition qui a mené à la fondation de l'Institut canadien pour des choix climatiques, et je siège d'ailleurs à son conseil d'administration.
L'IET pilote, au niveau fédéral, l'Initiative de modélisation énergétique avec l'aide de Ressources naturelles Canada. Cette initiative vise à structurer la capacité de modélisation au Canada pour appuyer les décideurs. Je travaille beaucoup à toutes sortes d'initiatives qui essaient d'instaurer une structure dans la capacité du Canada à avancer.
L'IET publie aussi les « Perspectives énergétiques canadiennes ». Nous sommes en train de travailler à notre deuxième édition, qui modélise des scénarios de carboneutralité. Ces rapports seront disponibles dans quelques semaines. Ce qui en ressort, ce sont d'abord les défis immenses que représentent l'atteinte des objectifs de carboneutralité et l'insuffisance absolue des mesures en place, tant au fédéral que dans les provinces. En gros, il est impossible d'avancer dans cette direction avec les mesures en place aujourd'hui. Je dirais aussi que la carboneutralité change beaucoup la donne sur la façon de faire de la transformation par rapport à des objectifs intermédiaires. Il faut absolument garder en tête le but final, donc zéro émission; toute trajectoire et toute décision doivent être compatibles avec cette fin.
Il y a quelques années, j'ai piloté l'initiative « Le climat, l'État et nous », qui visait à transformer la gouvernance environnementale du Québec. Rassurez-vous, j'ai complètement échoué. La gouvernance environnementale au Québec n'est malheureusement pas en voie d'atteindre ses objectifs non plus.
J'ai travaillé, entre autres, avec plusieurs intervenants. Nous avons regardé plusieurs modèles à l'étranger, vous ne serez donc pas surpris de retrouver quelques similarités avec l'allocution que Corinne Le Quéré a présentée un peu plus tôt. En effet, j'ai travaillé avec elle à plusieurs reprises au fil des ans.
D'abord, le projet de loi est essentiel, mais nettement insuffisant. Il y a des trous importants qui font en sorte que cela ne nous permet pas d'atteindre nos objectifs ou d'aller là où on veut, même si ces éléments sont importants. Je ne veux pas revenir sur cela, donc je vais parler de quelques enjeux.
D'abord, le premier enjeu concerne les données. Il importe de faire des rapports d'étape pour dire où on en est. Or les données au Canada sur les émissions de gaz à effet de serre sont spécifiquement publiées au moins deux ans après le fait. Il est absolument impossible de piloter une transition et une évaluation avec des données qui sont toujours trop vieilles. Il faut absolument, dans ce projet de loi, inclure une obligation de produire des données sur une base mensuelle ou trimestrielle, au maximum, comme on le fait avec les données sur l'emploi et avec d'autres données essentielles au Canada. Sans cela, on travaille dans le noir absolu. Il est impossible d'évaluer la qualité des mesures qu'on met en place. On va se planter complètement.
Ensuite, il faut un horizon plus clair. J'abonde complètement dans le même sens que la professeure Le Quéré sur le fait qu'il faut fixer des jalons intermédiaires à plus long terme, donc 5 ans, 10 ans, 15 ans à l'avance. Cela permettra à l'industrie et aux investisseurs de comprendre où on en sera sur le plan de la réglementation en matière de transformation. Ces jalons doivent inclure des cibles sectorielles qui faciliteront les orientations. Trente ans en avance, c'est vraiment trop loin pour beaucoup de décideurs, d'investisseurs et d'industries.
De plus, il nous faut absolument avoir une meilleure reddition de comptes. Si ce projet de loi a une faille majeure, c'est bien là. En effet, si on n'est capable d'évaluer, ni la capacité, ni où l'on s'en va ni ce qu'on a fait jusqu'à présent, on ne peut pas y arriver.
L'enjeu suivant est similaire à l'une des recommandations que nous avions faites au niveau du Québec il y a quelques années. Il faut absolument élever le statut du commissaire à l'environnement et au développement durable à celui de haut fonctionnaire répondant directement au Parlement. Le commissaire pourra ainsi utiliser des approches et des outils différents de ceux du Bureau du vérificateur général, liés entre autres à la capacité d'évaluer non seulement les programmes, mais la pertinence de ceux-ci pour l'atteinte des objectifs. Il pourra procéder à une évaluation beaucoup plus intégrée des mesures environnementales, et non seulement basée sur une approche comptable telle que celle mise sur pied au Bureau du vérificateur général.
Il faut également qu'il y ait des rapports d'étape annuels. Encore une fois, cinq ans, ce n'est pas suffisant. On le voit à l'étranger. Quand il nous reste simplement 30 ans pour atteindre nos objectifs, il faut s'assurer que les milliards dépensés année après année nous permettent vraiment d'aller dans la direction souhaitée. Ces rapports doivent non seulement inclure les progrès du fédéral, mais l'ensemble de ce qui se passe au point de vue canadien.
Il nous faut des conseils plus indépendants et mieux adaptés. Présentement, il y a, au Canada, l'Institut canadien pour des choix climatiques. On a créé aussi le Groupe consultatif pour la carboneutralité. Ces deux appareils pourraient travailler ensemble, mais ils sont tous les deux insuffisants présentement. L'Institut canadien pour des choix climatiques n'a pas suffisamment de souplesse ni de mordant. Il n'a pas d'existence garantie par la loi ni d'accès direct au Parlement.
Je pense que mon temps de parole est écoulé.
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Oui, c'est notre point de vue. Je crois que tous s'entendent pour dire que c'est l'objectif à atteindre: nous voulons atteindre la carboneutralité d'ici 2050.
Il existe de meilleures façons de le faire, et des façons plus rentables de le faire. Nous voulons nous assurer que ces considérations sont intégrées au projet de loi.
Ce qui est évident, d'après le rapport de l'Agence internationale de l'énergie et d'après d'autres sociétés ou intervenants qui se sont exprimés sur le sujet, c'est que bien que nous devions faire la transition et que les coûts associés au défaut de le faire soient très élevés, la réalité est que les investissements en capitaux nécessaires pour faire la transition économique sont considérables. On parle de 5 billions de dollars au cours de cette période. Selon certaines estimations, ce sont 15 billions de dollars pour la nouvelle capacité énergétique et 14 billions de dollars supplémentaires pour la modernisation du réseau à l'échelle mondiale d'ici 2030 seulement.
La clé ici, c'est la capacité d'élaborer des politiques qui permettent d'investir dans tous ces projets. Dans de nombreux cas, les gains sur les investissements de départ sont réalisés plus tard. Ils sont sensibles aux taux d'intérêt. Il faut tenir compte d'un éventail d'éléments en vue de mobiliser les capitaux.
Je crois que nous voulons cette certitude sur le plan stratégique, afin de veiller à aller au-delà des ambitions et à nous rendre 60 000 pieds sous terre pour nous permettre de créer les circonstances favorables à cet égard. Certains chemins vers la carboneutralité nous permettront d'atteindre cet objectif et d'autres non, à mon avis.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins de s'être joints à nous aujourd'hui. Nous avons beaucoup de sujets à aborder et beaucoup de choses à apprendre dans le cadre de ce processus, alors je vous remercie pour vos interventions.
J'ai beaucoup aimé les commentaires de Mme Burch et de Mme Anand au sujet de l'acceptation sociale — si l'on veut — ou de la collaboration en vue de l'atteinte de la carboneutralité et des conséquences à prendre en compte en vue d'opérer les changements sociaux nécessaires pour l'atteinte de cet objectif. Nous sommes des êtres d'habitudes, comme je l'ai dit à maintes reprises au cours de cette étude, et il faut assurer une participation à tous les niveaux, à partir du niveau individuel jusqu'au niveau fédéral, pour atteindre la carboneutralité.
Le projet de loi répond au désir des Canadiens d'agir pour lutter contre les changements climatiques et au mandat qu'ils nous ont confié à cet égard, et nous espérons que le projet de loi C-12 démontre nos ambitions. Nous vous remercions pour vos contributions, qui nous permettent de veiller à ce que les demandes des Canadiens soient prises en compte.
Madame Anand, j'aimerais que vous nous parliez des conséquences déjà visibles des changements climatiques sur l'environnement et les écosystèmes. Quelles seront les conséquences écologiques du défaut d'atteindre la carboneutralité?
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Merci beaucoup de cette question.
Dans le cadre des échanges qui se tiennent au pays depuis une ou deux décennies sur ce qu'il faut faire pour lutter contre les changements climatiques, j'ai l'impression que nous avons tendance à nous focaliser sur ce que le gouvernement peut faire. Lorsque nous parlons du secteur privé, il s'agit des grandes entreprises, pour des raisons évidentes. Leurs émissions de gaz à effet de serre sont énormes et elles constituent une pièce vraiment importante du puzzle. Or, les émissions de gaz à effet de serre des petites et moyennes entreprises canadiennes sont faibles lorsqu'elles sont prises individuellement, mais énormes lorsque considérées collectivement. À moins que ces entreprises ne soient soutenues dans le processus de transition, nous n'aurons aucun espoir d'atteindre ces objectifs ambitieux.
Ce que nos recherches nous ont montré est plutôt encourageant. En effet, nous avons constaté que les petites entreprises qui considèrent le bien social et environnemental comme un élément central de leur objectif, au même titre que le profit — et parfois dans une mesure plus importante que la croissance et la motivation dominante du profit — mettent en œuvre des stratégies de réduction des gaz à effet de serre beaucoup plus ambitieuses et créatives que celles des grandes entreprises. Dans la petite entreprise, les réductions visées d'ici deux ans sont de l'ordre de 30 ou 40 %.
C'est épatant. Cependant, lorsque nous regardons le paysage des petites entreprises canadiennes, nous constatons qu'elles n'ont pas la capacité nécessaire. Leurs marges bénéficiaires sont souvent très minces. Elles n'ont peut-être pas les compétences techniques qu'il leur faudrait en dehors du domaine précis du bien ou du service qu'elles fournissent. Je pense qu'il est crucial d'interpeller ces petites entreprises à l'échelle du pays en renforçant la capacité de transition vers la durabilité et la décarbonisation afin qu'elles ne soient pas laissées pour compte, comme elles l'ont certainement été au cours de la dernière année et demie en ce qui concerne la COVID. Le renforcement des compétences techniques est vraiment crucial pour les petites entreprises, et je pense que c'est quelque chose qui aidera à accélérer la transition.
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Merci, monsieur le président.
Je souhaite la bienvenue aux témoins.
Je vous remercie d'être ici.
J'ai vraiment apprécié vos allocutions d'ouverture. Il est rafraîchissant d'entendre dire que l'économie et l'environnement sont intrinsèquement liés, surtout quand cela vient du secteur économique. Souvent, on craint que ce secteur ne veuille pas s'impliquer, mais vous êtes la preuve même qu'il le veut. Comme l'a dit M. Henry, un peu plus tôt, ne pas faire la transition énergétique aura un coût encore plus élevé que de la faire. Je vous remercie alors de vouloir faire la transition.
Je m'adresse à M. Bolduc pour commencer.
Monsieur Bolduc, vous avez dit que vous doutiez un peu de notre capacité d'atteindre les cibles nationales de réduction de GES. Je suis totalement d'accord avec vous. L'atteinte de la carboneutralité est une cible assez ambitieuse. Cela ne veut pas dire qu'il faut laisser tomber cette cible. Il faut absolument avoir des cibles ambitieuses, mais la façon dont nous agissons doit aller de pair avec l'atteinte de ces cibles. Vous l'avez mentionné très justement. Je me dois de le mentionner de nouveau. Le rapport d'étude publié un peu plus tôt cette semaine par l'Agence internationale de l'énergie, ou l'AIE, a souligné qu'il était louable que les pays veuillent atteindre la carboneutralité en 2050, mais qu'il faille, pour cela, mettre fin à tout projet gazier ou pétrolier. Nous savons que l'industrie gazière croîtra d'au moins 30 % d'ici 2040, au Canada. J'ai donc de la difficulté à concevoir la façon dont nous atteindrons nos cibles si nous continuons dans cette voie. Il est certain que, avec le projet de loi , le gouvernement a une responsabilité, mais l'industrie en a une aussi.
Comment voyez-vous alors cette collaboration entre les deux? Croyez-vous que le gouvernement adopte la bonne approche en proposant ce projet de loi?
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Merci. C'est une question difficile.
J'ai vraiment apprécié la conversation de tout à l'heure sur le partage du fardeau entre le gouvernement fédéral et les provinces. J'ajouterais à cela, bien sûr, les municipalités. Les villes ont un rôle crucial à jouer à cet égard puisqu'elles peuvent prendre des mesures à court terme pour aider à réduire les émissions liées au transport et aux résidences. Nous devons commencer à penser au fait que chaque nouvel immeuble que nous construisons a une durée de vie de 30 à 50 ans ou plus, et que chaque décision que nous prenons en matière de construction et qui nous enferme dans une voie à forte intensité de carbone est un échec. Il s'agit d'un problème auquel nous devrons remédier ultérieurement.
Dans le secteur du bâtiment, la question ne se limite pas aux nouvelles constructions. Nous devons intensifier la modernisation des bâtiments existants et la porter à un rythme sans précédent. Qu'il s'agisse d'immeubles résidentiels ou commerciaux, le parc immobilier actuel doit être transformé au cours de la prochaine décennie. L'atteinte des réductions accrues projetées pour 2030 dépend aussi de ces transformations.
C'est un élément crucial. Pour cibler concrètement les émissions associées aux transports et aux immeubles, il est essentiel de soutenir les municipalités qui contrôlent des outils tels que l'aménagement du territoire et le zonage, ainsi que les provinces qui, elles, régissent les codes du bâtiment.
D'autres, comme M. Mousseau, pourraient parler davantage du système énergétique.
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Merci beaucoup de cette question.
Oui, absolument, en ce qui concerne la conception de la politique climatique du Canada, nous avons déjà vu qu'un certain nombre de politiques conçues à l'échelon fédéral ont des implications provinciales. Dans certains cas, il y a également des chevauchements. Parmi les exemples, on peut citer le travail qui a été fait pour créer des équivalences en matière de méthane. Il y a aussi eu la création d'une norme fédérale sur les carburants propres alors que les provinces avaient déjà leurs propres normes à cet égard. Il y a eu les différences entre le système fédéral de tarification en fonction de la production et les systèmes provinciaux pour les gros émetteurs.
Dans tous ces cas, il est très important de coordonner les cadres stratégiques mis en place dans les provinces. Faute de coordination, le grand risque est la duplication. Vous pourriez vous retrouver à réglementer et, essentiellement, à fixer le prix de la même molécule deux fois, ce qui, bien sûr, serait problématique. Cela renvoie également à ces principes de comptabilité qui faussent les choses.
L'autre question pour laquelle nous essayons de prévoir, c'est que les tentatives d'établissement de marchés du carbone sont en forte progression. Un élément clé des marchés du carbone est que nous avons besoin d'un protocole national qui précise les conditions à remplir pour créer un crédit compensatoire. Une chose qui entre en jeu, c'est la liste des technologies incluses dans un scénario de base de maintien du statu quo — il s'agit nommément de ces technologies qui ne sont pas considérées comme aptes à produire des crédits de carbone ou des émissions supplémentaires, simplement parce que ces émissions se produiront de toute manière étant donné que les technologies visées ont été étiquetées — par rapport aux technologies qui sont admissibles à la création de crédits.
En fait, l'absence de certitude à ce sujet entre le gouvernement fédéral et les provinces crée beaucoup de risques pour l'environnement d'investissement. Vous aurez du mal à attirer des entreprises à cause de cet aspect du modèle d'affaires, c'est-à-dire s'il n'y a pas la certitude que ces crédits de carbone peuvent être garantis et reconnus par les gouvernements provinciaux et fédéral. C'est un exemple des complexités potentielles.
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Absolument. Je pense que le fait d'envisager un projet de loi comme le reçoit un accueil favorable unanime dans le milieu des affaires. Les gens de ce milieu recherchent des certitudes au sujet de la forme que prendront ces stratégies de décarbonisation. Ils veulent être en mesure de savoir quels types de réductions on attend d'eux, tant à l'échelle de leur secteur qu'a celle de leurs entreprises individuelles.
Pour être honnête, je dirais que l'une des idées qui reviennent le plus souvent dans cette conversation est celle de mettre la barre le plus haut possible. Je pense que c'est une bonne chose du point de vue de l'ambition, mais que c'est une politique vraiment difficile pour toute entreprise qui cherche à savoir ce qu'elle doit faire pour respecter ces règles et réaliser ces réductions. Il s'agira tout simplement d'une cible fluctuante ou mouvante.
Je pense que le problème que nous pourrions avoir, ce serait bien sûr que les mesures ne soient pas en place et convenues, que nous ne puissions pas les atteindre et que nous nous retrouvions avec des mesures plus strictes qu'un prochain gouvernement imposerait pour rattraper le retard sur l'atteinte de l'objectif. Si nous entrons dans ce monde, le cadre stratégique va changer radicalement.
Nous avons été très heureux de voir une possible convergence parmi les partis fédéraux en ce qui concerne les types d'outils qui peuvent être utilisés dans le cadre d'une politique climatique efficace, tout en reconnaissant que différents partis pourraient utiliser ces outils de différentes manières. Ce genre de consensus est très utile pour les entreprises qui pensent à l'avenir.
Lorsque les entreprises se tournent vers quelque chose comme le projet de loi , elles souhaitent une plus grande clarté en ce qui concerne le cadre stratégique et elles espèrent qu'il n'y aura pas de changement soudain. Si nous ne sommes pas réalistes — cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas être ambitieux — en nous appuyant sur ce que nous pouvons faire dans ces secteurs et qu'au lieu de cela nous créons des objectifs flottants, nous allons miner considérablement la confiance des entreprises, ce qui signifie que les capitaux ne seront pas au rendez-vous pour faire fonctionner ces projets.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je veux simplement poursuivre sur le sujet. J'ai travaillé pendant de nombreuses années dans l'industrie, dans la fabrication de machinerie agricole, puis dans la construction domiciliaire. Si j'ai voulu être élu, c'est notamment parce qu'il est généralement admis que le gouvernement fait les choses de façon lente et inefficace. Il a sa raison d'être, je n'en doute pas, mais si on le compare à une entreprise... Les entreprises peuvent être expertes dans l'art de passer à l'action, comme on en parlait à l'instant.
Monsieur Henry, j'aimerais simplement avoir votre opinion sur ce qui suit. Vous avez parlé d'une lentille économique, et c'est ce dont Mme Burch parlait à l'instant. Elle a mentionné également que nous avons besoin d'accroître les compétences au sein de nos petites entreprises et d'avoir une grande diversité de points de vue. Par ailleurs, M. Bolduc a dit que ce ne sont pas les intérêts des entreprises qui devraient être représentés au sein de l'organisme consultatif, par exemple.
Lorsque nous aurons préparé ce plan que nous sommes tous des experts à préparer, lorsque viendra le temps d'obtenir les capitaux et de passer à l'action, de passer à la phase concrète de la mise en œuvre du plan, je pense que nous aurons besoin de gens du monde des affaires qui savent comment le faire et obtenir des résultats. Que pensez-vous du projet de loi de ce point de vue? Lui manque-t-il cet élément, en quelque sorte?
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Je dirais simplement que l'opposition entre intérêts et expertise est potentiellement erronée. Des gens peuvent être des experts et avoir aussi des intérêts et venir de divers horizons. Rien n'empêche un représentant des travailleurs d'être un expert. Rien n'empêche un représentant de l'industrie d'être un expert, etc., alors je veux le mentionner.
C'est ce qui est inquiétant. Je ne suis pas certain qu'il y ait un mécanisme qui permettra vraiment de faire en sorte que les stratégies de décarbonisation qui seront élaborées par l'organisme consultatif pourront être mises en place par les entreprises.
Il y a deux éléments à souligner. Pour pouvoir mettre en œuvre une stratégie, il faut s'assurer que cette stratégie est suffisamment détaillée pour se situer au niveau des entreprises, là où les possibilités se trouvent. Que peut-on réaliser? C'est la préoccupation constante que nous avons: il doit y avoir une façon de faire en sorte que les stratégies de décarbonisation qui sont élaborées, quelles qu'elles soient, le soient dans une optique de santé publique, dans une optique d'inclusion sociale, dans une optique du respect des droits des travailleurs, de même qu'en collaboration avec l'industrie, qui sera celle chargée de réaliser les progrès.
J'aimerais revenir sur ce point. Si on veut entrer dans ce niveau de détails, il faut vraiment qu'il y ait un mécanisme en place pour que l'organisme consultatif mène un processus de consultation rigoureux, ou que les industries soient, en fait, représentées au sein de l'organisme consultatif. Si, potentiellement, chaque groupe chargé d'une stratégie de décarbonisation devient son propre comité miniature, je ne sais pas à quoi pourrait ressembler le mécanisme, mais je sais qu'actuellement il n'y en a pas.
C'est maintenant la fin de notre séance d'aujourd'hui.
J'aimerais remercier les témoins de leurs points de vue et de leur expertise sur une question qui, comme nous le savons tous, est cruciale pour la planète et pour notre pays. Cela a donné lieu à une discussion très intéressante.
Chers membres du Comité, l'étape des témoignages dans le cadre de notre travail sur le projet de loi est maintenant terminée.
Nous prévoyions de tenir deux réunions de deux heures la semaine prochaine, mais, en raison de toutes sortes de contraintes et d'imprévus, nous allons tenir une seule réunion de quatre heures, mercredi de la semaine prochaine. Il y aura des pauses, évidemment, et la réunion se tiendra à 15 h 30, mercredi. Nous procéderons à l'étude article par article du projet de loi.
Sur ce, je suis prêt à recevoir une motion d'ajournement.