Soyez les bienvenus à la 17e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
Je souhaite la bienvenue à nos deux nouveaux membres, Mme Élizabeth Brière et M. Randeep Sarai. Votre arrivée nous réjouit beaucoup.
[Français]
Bonjour, je vous souhaite la bienvenue.
[Traduction]
Malgré le caractère hybride de la séance, je constate qu’aucun membre du Comité n’est présent dans la pièce, ce qui est excellent. Nous appliquerons des mesures rigoureuses si vous décidez plus tard d’aller dans la salle de réunion. Je me réjouis qu’elle soit inoccupée. Tous participent en virtuel, sauf le greffier. Je surveillerai vos distances.
Voici quelques règles pour le bon déroulement de la séance. La plupart d’entre vous les connaissent sûrement déjà. Vous pouvez vous prévaloir des services d’interprétation en activant la fonction de sélection dans le bas de votre écran.
Vous verrez le bouton de désactivation du son et celui d’arrêt de l’enregistrement vidéo. La caméra de chaque membre doit toujours être en marche. N’activez votre microphone que pour prendre la parole. Avant, veuillez attendre que je vous l’accorde nommément, pour le bon déroulement de la séance. Lorsque vous n’exercez pas votre droit de parole, veuillez désactiver votre microphone.
Je rappelle aux membres et aux témoins de toujours s’adresser à la présidence. Pour établir la liste des personnes qui veulent prendre la parole, le greffier et moi-même ferons de notre mieux pour respecter l’ordre des interventions.
Dans le bas de votre écran, vous remarquerez la fonction « lever la main ». Je vois que M. Fortin l’a déjà trouvée. Quand on l’active, elle crée à mon intention une liste des personnes qui veulent intervenir. Veuillez, s’il vous plaît, utiliser ce bouton.
Avant de commencer, nous devons adopter le procès-verbal de la séance de la semaine dernière.
Monsieur Fortin, s’agit-il d’un rappel au Règlement?
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Je comprends, mais M. Virani a proposé d’ajourner le débat sur cette motion. C’est une motion dilatoire, ce qui signifie qu’il n’y a pas de débat après qu’elle a été proposée. En ma qualité de présidente, je dois la mettre immédiatement aux voix. Si elle est rejetée, alors, manifestement, nous poursuivrons le débat sur votre motion.
(La motion est adoptée par 6 voix contre 5.)
La motion est adoptée, et le débat sur la motion de M. Fortin est remis à plus tard.
Je suis heureuse de présenter nos témoins du ministère de la Justice et de celui des Femmes et de l’Égalité des genres. Les représentantes du ministère de la Justice sont Mmes Nathalie Levman, Stéphanie Bouchard et Claire Farid, respectivement avocate-conseil à la Section de la politique en matière de droit pénal, Secteur des politiques; avocate-conseil et directrice; directrice et avocate générale.
Le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres est représenté par la directrice générale de la Recherche, des résultats et de la livraison, Mme Lisa Smylie.
Mesdames, soyez les bienvenues.
Nous entendrons deux déclarations préliminaires d’une durée de cinq minutes chacune, puis nous passerons aux questions.
Entendons d’abord la représentante du ministère de la Justice.
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À Justice Canada, je suis la directrice de l’équipe du droit de la famille et de l’enfance. Je vous remercie de m’avoir invitée à prononcer quelques mots sur l’inclusion, dans la loi fédérale sur la famille, de la notion de comportement contrôlant et coercitif.
Les modifications apportées à la Loi sur le divorce, qui entreront en vigueur le 1er mars 2021, comprennent une définition large, fondée sur des observations factuelles, de la violence familiale qui nomment expressément le comportement contrôlant et coercitif.
Pour les besoins de la Loi sur le divorce, on définira la violence familiale comme une conduite violente ou menaçante, qui constitue par son caractère répétitif un comportement coercitif et contrôlant qui amène un membre de la famille à craindre pour sa propre sécurité ou celle d’une autre personne.
Le comportement n’a pas besoin d’être une infraction criminelle pour être considéré comme une violence familiale sous le régime de cette loi. À la différence du droit criminel qui s’attache à déterminer la culpabilité ou l’innocence, la définition de violence familiale dans la Loi sur le divorce vise à aider à la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant en ce qui concerne les arrangements parentaux, c’est-à-dire le temps de parentage et les responsabilités décisionnelles.
La loi modifiée énonce une liste de facteurs dont les juges doivent tenir compte pour déterminer les répercussions de la violence familiale sur les arrangements parentaux. Elle exige expressément d’eux qu’ils prennent en considération le caractère répété du comportement coercitif et contrôlant à l’égard d’un membre de la famille. Les tribunaux devront tenir compte de tous les facteurs utiles à l’intérêt supérieur de l’enfant et privilégier la sécurité et le mieux-être physiques, émotifs et psychologiques de l’enfant.
La violence coercitive et contrôlante est plus susceptible que les autres formes de violence entre partenaires intimes de se poursuivre et de s’aggraver après la séparation. Le risque augmente souvent après la séparation, parce que l’agresseur sent le relâchement de son contrôle. Les auteurs de violences coercitives et contrôlantes peuvent être incapables de distinguer leur rôle de conjoint de leur rôle de parent. Ils peuvent se servir des enfants comme moyens de conserver le contrôle sur l’ex-conjoint. Il s’ensuit, d’après une analyse globale de l’intérêt supérieur de l’enfant, que les tribunaux peuvent ordonner des mesures correctrices telles que le temps de parentage sous supervision pour protéger les membres de la famille.
Merci. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
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Bonjour. Ma collègue Nathalie Levman était censée faire l'exposé. Je la remplace, en raison de difficultés de connexion. Nous présentons nos excuses pour le dérangement.
Je suis la directrice du Centre de la politique concernant les victimes, à la Section du droit criminel de Justice Canada.
Je vous remercie de nous avoir invitées à participer à votre étude sur les comportements contrôlants ou coercitifs dans les relations intimes.
Le contrôle coercitif dans le contexte de la violence entre partenaires intimes s'entend d'un comportement contrôlant, répété au fil du temps, pour prendre les victimes au piège, ce qui supprime le sentiment de liberté dans la relation.
Malgré la large gamme de comportements contrôlants que le partenaire adopte, l'important est la manière par laquelle, grâce à leur répétition, et non à chaque incident particulier, il parvient à dominer l'autre.
Plus précisément, le contrôle coercitif concerne l'effet cumulatif des comportements violents sur la victime.
Les systèmes juridiques se débattent, depuis des décennies, pour trouver une réponse à la violence entre partenaires intimes et d'autres formes de violence familiale.
Traditionnellement, le droit criminel a réagi aux incidents de violence et aux autres formes de violence et non aux comportements répétitifs. Dans le contexte de la violence entre partenaires intimes, la gamme des infractions est large, selon la conduite adoptée. Mentionnons notamment l'agression physique, l'agression sexuelle, les menaces, l'intimidation, la séquestration, la fraude, le harcèlement au téléphone, l'intrusion nocturne et les méfaits.
Le Code criminel exige aussi que les tribunaux qui déterminent la peine considèrent comme circonstance aggravante la violence à l'égard du conjoint ou d'un enfant.
De plus, à compter de 2015, la distribution non consensuelle d'images intimes constitue également une infraction criminelle. Les conjoints violents risquent également d'adopter ce type de comportement, pour exercer un contrôle.
Les modifications du Code criminel édictées à la faveur de l'adoption de l'ancien projet de loi , en 2019, ont renforcé la sévérité du droit criminel contre la violence entre partenaires intimes, en reportant sur le prévenu récidiviste, pour le cautionnement, le fardeau de la preuve, précisant que la violence contre un conjoint ou un ex-conjoint, un conjoint de fait ou une fréquentation, dans la commission d'une infraction, constitue une circonstance aggravante qui commande une peine maximale dans les cas de violences répétées contre le partenaire intime.
En reconnaissance du risque qu'une conduite violente épouse une série de comportements susceptibles de dégrader le sentiment de sécurité physique ou psychologique de la victime, le Parlement a édicté, en 1993, l'infraction de harcèlement criminel. Elle vise à répondre aux conséquences d'une série d'incidents interdépendants sur les victimes, particulièrement dans le contexte d'une violence familiale, pour une application élargie de l'infraction. Elle criminalise l'adoption d'une conduite précisée devant laquelle une personne raisonnable craindrait toujours pour sa sécurité physique ou psychologique ou celle d'une connaissance.
Cette infraction vise les conséquences cumulatives de la violence pour la victime et non celles d'incidents distincts de violence.
Compte tenu de ses circonstances particulières, le harcèlement criminel peut, en même temps que des infractions distinctes, faire l'objet d'accusations, .
Pour protéger les victimes, notamment celles de violence entre partenaires intimes, le Code criminel prévoit aussi la prise d'engagements à ne pas troubler l'ordre public. Ces engagements peuvent être imposés avant la commission de l'infraction, dans les cas où quelqu'un craint, pour des motifs raisonnables, qu'un autre ne le blesse, lui, sa conjointe, son conjoint ou son enfant ou qu'il n'endommage ses biens.
On peut imposer une large gamme de conditions, notamment des ordonnances de non-communication, dont la violation constitue une infraction criminelle passible d'une peine maximale de quatre années de prison.
Les provinces et les trois territoires ont édicté des lois contre la violence familiale qui complètent ces mesures du droit criminel.
Par exemple, ces lois autorisent la reddition d'ordonnances d'intervention d'urgence qui accordent à la victime le droit de demeurer dans le foyer et d'utiliser le véhicule familial. Des conditions peuvent également empêcher l'agresseur de communiquer avec la victime ou les membres de sa famille.
La stratégie fédérale cherche à mieux faire entendre la voix des victimes dans le système de justice criminelle, y compris des survivants d’actes criminels au Canada. Un élément déterminant en est la mise au point et l’exécution du programme avec le concours du Fonds d’aide aux victimes du ministère de la Justice du Canada. Ce fonds met à la disposition des victimes de la violence entre partenaires intimes une gamme de mesures de soutien. Notamment, depuis 2016, le gouvernement du Canada a rendu accessible aux provinces et aux territoires le financement, par ce fonds, de projets pilotes de prestation de conseils juridiques indépendants aux victimes de violence sexuelle.
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Merci, madame la présidente. Je remercie également les témoins d’être ici pour traiter de ce sujet très important.
J’ai exercé le droit familial pendant de nombreuses années. Je suis donc bien au courant de ces enjeux. Nous devrions tous savoir que la violence physique et verbale dans les couples a des effets négatifs chez tous les sexes et chez tous les enfants, qu’ils soient victimes ou témoins.
Je suis heureuse de constater que le critère de l’intérêt supérieur de l’enfant demeure. Nous savons, grâce à des procédés de diagnostic médical comme les scanographies du cerveau — qui n’ont jamais existé à mes débuts dans l’exercice du droit — que la victime ou le témoin de violences peuvent subir des conséquences nuisibles toute leur vie. Les tribunaux ne le reconnaissaient pas vraiment à mes débuts en droit. Ils croyaient à tort que, après la séparation du couple, ces effets disparaissaient.
Je m’inquiète notamment, du fait de la COVID-19, des mesures de confinement et des échos de ma circonscription, pour les victimes, notamment quelques femmes qui me viennent à l’esprit, piégées dans ce genre de relation et qui ne connaissent pas vraiment toutes leurs options. Autrement dit, elles ne savent pas ce qui est confiné. Les refuges le sont-ils? Les centres d’accueil de femmes? Peuvent-elles y aller? Y sont-elles en sécurité?
Je ne suis pas certaine que le gouvernement fédéral et les provinces en aient fait assez pour leur faire connaître leurs options. Je me demande si nos témoins peuvent dire dans quelle mesure les auteurs de violences peuvent se servir de la COVID et du confinement pour exploiter l’incapacité des femmes d’appeler à l’aide ou d’échapper à leur situation. Pouvez-vous, mesdames, donner vos impressions sur le degré général de conscientisation des victimes et sur les mesures d’appui qu’on leur offre?
Je vous remercie de cette question importante. Elle a fait l’objet de vastes discussions sur l’impact de la COVID-19 sur la violence fondée sur le sexe, en général, et sur la violence entre partenaires intimes en particulier, comme vous l’avez fait remarquer.
La recherche et les données que nous avons en main sur la COVID-19 [Difficultés techniques] montrent que, à l'instar des crises, en général, la pandémie augmente le taux de violence entre partenaires intimes et de violence fondée sur le sexe. Une étude de Statistique Canada, au début de la pandémie, a révélé qu'une femme sur dix était soit très inquiète, soit extrêmement inquiète de la violence dans le foyer familial pendant la pandémie. Depuis le début de la pandémie, d’après Statistique Canada [Inaudible] des services de police, il y a eu augmentation d'environ 10 % des appels pour querelles de ménage. Ce n'est que la partie visible de l'iceberg, parce qu'environ 64 % des violences familiales ne sont pas signalées à la police.
Les organisations communautaires de tout le pays signalent des augmentations de la violence familiale et de la violence entre partenaires intimes. Par exemple, une étude d’Hébergement Femmes Canada, en novembre 2020, a révélé que 52 % de ses refuges, au Canada, accueillaient des victimes de formes de violence plus graves et plus fréquentes qu’avant la pandémie.
Dans un autre exemple, en Ontario, la ligne d’aide Assaulted Women’s Helpline a constaté des augmentations notables du nombre d’appels depuis le début de la pandémie. Plus précisément, de l’ordre de 72 % de mai 2019 à mai 2020.
Ces tendances ne sont pas propres au Canada. On les a signalées à l’échelle du globe, pour ce qui concerne les indices de violence entre partenaires intimes, et nous pouvons imaginer pourquoi. Les femmes sont isolées avec leurs agresseurs qui, par exemple, se comportent de façon contrôlante, confisquent les produits des technologies, le téléphone, déterminent les personnes à qui elles sont autorisées de parler, les isolent de leurs amis, de leur famille et des organisateurs communautaires.
Je n’en dirai pas plus.
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Je vous remercie, madame la présidente.
[Français]
Bonjour à tous.
Je remercie les témoins de leur présence aujourd'hui.
J'ai eu la chance de siéger au conseil d'administration de la maison d'hébergement l'Escale de l'Estrie, à Sherbrooke, qui fait un travail remarquable auprès des femmes victimes de violence conjugale.
Un constat se dessine: compte tenu de l'omniprésence des médias sociaux et des technologies qui permettent la communication instantanée, il est de plus en plus complexe pour les victimes de trouver un espace où se sentir en sécurité, libre des influences et du contrôle d'un partenaire intime. Même si ce dernier n'est pas en présence de la victime, il a toujours le moyen d'entrer en contact avec elle.
Y aurait-il lieu que le projet de loi englobe la cyberviolence, qu'elle soit directe — c'est-à-dire par la surveillance, le contrôle et le harcèlement avec l'utilisation des technologies dans un contexte privé — ou indirecte — c'est-à-dire par la publication de contenus au sujet d'un partenaire?
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Merci, madame la présidente.
Je remercie les témoins qui sont ici. La violence conjugale est une question importante, et tout ce qui s'en approche de près ou de loin dans notre société est préoccupant. Je suis donc content de vous entendre ce matin.
La principale question que je me pose, quand je regarde l'ensemble de cette situation, concerne la façon dont on va distinguer les infractions de violence conjugale, de harcèlement et de conduite coercitive. Je comprends qu'il y a une définition dans le projet de loi . En passant, ce matin, nous étudions une motion de M. Garrison, et non ce projet de loi, mais je comprends qu'il y a des liens et une certaine définition.
Idéalement, j'aimerais que vous m'en parliez toutes les trois, mais, puisque Mme Farid est avocate générale, elle pourrait peut-être me répondre. Cela dit, vous êtes toutes avocates-conseils, alors je n'ai pas d'objection à ce que l'une d'entre vous veuille particulièrement répondre à ma question. J'aimerais vraiment savoir ce que vous avez à dire sur la distinction qu'un tribunal devra faire entre chacune de ces trois situations.
Madame Farid, vous pourriez peut-être débuter.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Puisque c’est le premier jour de notre étude sur les comportements contrôlants et coercitifs, je voudrais prendre un instant pour expliquer comment nous en sommes arrivés là. Si nous faisions l’étude normale d’un projet de loi d’initiative parlementaire, en tant que parrain du projet de loi , j’aurais l’occasion de faire une brève déclaration. Permettez-moi donc de dire quelques mots.
Au début de la pandémie, j’ai téléphoné aux deux forces de police indépendantes et aux deux détachements de la GRC de ma circonscription. Lorsque nous leur avons demandé la première chose qu’ils ont constatée pendant la pandémie, ces quatre commandants de police ont parlé avant tout de l’augmentation des appels pour violence familiale. Il était intéressant de constater que le problème touchait toute la circonscription, et que c’était la réponse immédiate des quatre commandants.
Lorsque je leur ai demandé ce que la police pense du phénomène, ils ont très vite exprimé leur frustration du fait qu’ils ne peuvent intervenir que dans les cas de violence physique les plus graves. Ils étaient exaspérés de ne pas pouvoir s’attaquer aux comportements contrôlants et coercitifs, qui sont assez souvent — voire presque toujours — accompagnés de violence physique plus directe.
J’ai ensuite appelé les fournisseurs de services de ma circonscription, comme les groupes de femmes et les refuges pour femmes, où j’ai bien sûr constaté la même chose. Les responsables ont signalé une très forte augmentation de la demande pour leurs services. Il est intéressant de noter qu’ils ressentaient la même frustration. Alors qu’ils tentent d’assurer la sécurité de leurs clients, ils sont mécontents que la police soit incapable d’agir avant que la relation n’aille beaucoup plus loin.
À la suite de ces échanges, j’ai commencé à me demander ce que nous pourrions faire de plus en tant que société pour résoudre ce problème. L’exemple de la Colombie-Britannique a été porté à mon attention par Mitzi Dean, une députée locale qui est maintenant la ministre provinciale de l’Enfance et du Développement de la famille.
J’ai préparé le projet de loi d’initiative parlementaire , qui s’inspire de la loi de la Colombie-Britannique, afin que nous puissions voir si cet ajout au Code criminel peut offrir un outil de plus pour s’attaquer aux problèmes de violence familiale au pays.
Le deuxième volet visait à amener plus de gens à discuter et à prendre conscience de ce que certains appellent la « pandémie de l’ombre ». J’ai alors décidé de présenter une motion à notre comité visant à mener cette étude.
À mes yeux, l’étude comporte deux volets. Le premier consiste à braquer les feux sur cette augmentation considérable de la violence familiale et conjugale pendant la pandémie. Le deuxième vise à chercher des solutions, ce qui peut passer par mon projet de loi d’initiative parlementaire. Il y a peut-être d’autres solutions que nous pourrions adopter pour contribuer à résoudre ce problème.
Voilà selon moi comment nous en sommes arrivés là ce matin. Je suis très heureux que les représentantes du ministère soient ici pour nous aider à trouver des solutions. Je me réjouis certainement à l’idée du large éventail de témoins qui viendront comparaître dans les séances à venir.
Le gouvernement fédéral a tenté de proposer une stratégie visant à réduire la violence sexiste et à s’y attaquer.
Madame Smylie, cette stratégie a-t-elle pris en compte le phénomène des comportements contrôlants et coercitifs?
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Comme le député l'a fait remarquer, le gouvernement du Canada a bel et bien une stratégie fédérale qui vise à prévenir et à contrer la violence fondée sur le sexe. À ce jour, plus de 200 millions de dollars ont été investis, et le gouvernement s'engage à verser 40 millions de dollars par année.
Dans cette stratégie, nous prenons en considération diverses formes de violence fondée sur le sexe, y compris celles qui supposent un comportement contrôlant et coercitif. Une des choses essentielles que nous faisons, et qui se rapporte à la présente étude, c'est d'investir plus de 24 millions de dollars à ce jour dans de nouvelles données et recherches. L'objectif est notamment de mieux comprendre le phénomène et les différentes formes de violence conjugale. C'est un problème fort complexe qui, pour diverses raisons, est très difficile à mesurer.
Nous investissons également dans des programmes. À ce jour, près de 17 millions de dollars ont été versés dans 54 projets d'un bout à l'autre du pays, qui visent à aider les fournisseurs de services et les organisations à mieux soutenir les survivants et leurs familles. Cela comprend les victimes des comportements qui nous intéressent, à savoir les comportements contrôlants ou coercitifs.
Dans le cadre de cette stratégie, le ministère de la Défense nationale a également investi 1,5 million de dollars à ce jour dans les services de soutien aux familles, les services aux militaires et les centres d'aide aux victimes d'agression sexuelle, qui sont situés à proximité des bases des Forces armées canadiennes.
Ce ne sont là que quelques-unes des mesures que nous prenons dans le cadre de la stratégie. Je pense qu'une autre chose importante a été mentionnée: 4,6 millions de dollars ont été investis dans les opérations policières et les services de soutien, par l'intermédiaire de la GRC. Les agents suivent une formation sur la compétence culturelle pour être en mesure de soutenir adéquatement les victimes et les survivants.
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Je remercie les représentantes des deux ministères d'être ici. Nous vous remercions de prendre le temps de discuter avec nous.
Je voudrais reprendre là où Mme Smylie s'est arrêtée. Je pense qu'il y a une phase prépandémique, puis une phase pandémique. Je suis étonné de constater le manque de financement qui est attribuable au gouvernement fédéral précédent, et la façon dont les choses ont évolué entre 2015 et 2019.
Je crois savoir que le financement des organisations de défense des femmes et de l'égalité des genres est passé de 20 millions à environ 65 millions de dollars par année. C'est le premier point important à souligner.
En deuxième lieu, si je comprends bien, les chiffres montrent qu'en 2019-2020, nous avons investi près de 66 millions de dollars dans 533 organisations de défense des femmes et de l'égalité des genres, ce qui est essentiel. Comme Mme Smylie l'a répété, rien que cette année, ce chiffre atteindra 110 millions de dollars.
Arrive ensuite la pandémie. Pour une personne comme moi, une grande partie des données sont empiriques. Je suis ravi des chiffres qui nous sont maintenant fournis. Ils sont fort utiles en ce qui concerne la hausse des demandes et la hausse des incidents de violence. Le financement a été augmenté de 40 millions de dollars supplémentaires pendant la pandémie pour répondre à cette préoccupation.
Madame Levman, pouvez-vous nous dire si les outils de la justice pénale qui sont actuellement à notre disposition sont suffisants? Nous avons beaucoup entendu parler des différentes rubriques — harcèlement, méfait, intrusion, et ainsi de suite. D'après vous, faut-il créer une nouvelle infraction criminelle qui s'apparente davantage à un modèle de comportement qu'à un incident précis? Dans l'affirmative, pour quelle raison?
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Je vous remercie, madame la présidente.
Madame Levman, comme c'est toujours à vous qu'on pose des questions, je ne voudrais pas que vous considériez la mienne comme du harcèlement. Le fait est que votre expertise est intéressante.
Je pense qu'à ce sujet, la distinction à faire entre les comportements qui font déjà l'objet d'une législation au criminel et ceux qui n'en font pas l'objet est le défi auquel nous faisons face. Prenons l'exemple d'une discussion entre des conjoints — même si les personnes pourraient ne pas être des conjoints. Il peut y avoir ce que l'on appelle de l'obstination. La discussion peut être relativement intense sans pour autant constituer une infraction criminelle. La discussion peut monter d'un cran, les gens peuvent s'entêter et tomber dans ce qu'on peut appeler du harcèlement. La situation peut aller encore plus loin. Les gens peuvent alors devenir violents, verbalement ou physiquement.
J'ai de la difficulté à voir à quel moment du processus un comportement sera considéré comme coercitif et contrôlant. Je sais qu'on vous a souvent posé la question, mais je pense qu'elle est d'une importance majeure. Comment fait-on la distinction entre un comportement acceptable, légal, un comportement coercitif et contrôlant, du harcèlement et de la violence? C'est ma première question.
Avant que vous y répondiez, je vais vous poser ma deuxième question, étant donné que le temps est compté. J'aimerais savoir comment, à votre avis, on devrait traiter chacune de ces trois situations, soit le harcèlement, la violence et le comportement coercitif et contrôlant. Si cela devenait un acte criminel, quelle différence devrait-il y avoir, en matière de sanctions, entre ces trois situations? Comment devrait-on définir ces situations de façon distincte pour qu'un juge saisi d'une telle question puisse facilement s'y retrouver?
Si vous pensez ne pas avoir suffisamment de temps pour répondre à mes questions maintenant, avec la permission de Mme la présidente, j'aimerais me prévaloir de ce qui a été accordé à mes collègues et vous demander de me fournir une réponse écrite.
Je vous laisse la parole, madame Levman.
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Vous avez parfaitement raison. Si les comportements coercitifs étaient considérés comme une infraction au Canada, nous verrions d'importants chevauchements. Même le cadre législatif du Home Office du Royaume-Uni — je vais également fournir le document au Comité — donne une liste de différents comportements qui devraient être considérés comme des facteurs de risque ou qui révéleraient des comportements coercitifs.
Vous remarquerez que certains comportements constituent sans aucun doute des infractions criminelles, comme la profération de menaces, les actes violents et les actes d'ordre sexuel. Même au Canada, la distribution non consensuelle d'images intimes constitue une infraction. Il y a d'autres types de comportements qui ne constituent pas vraiment des infractions criminelles en soi, mais qui témoignent d'un ensemble de comportements.
Ce que nous voyons souvent dans le contexte des infractions, qui englobent des ensembles de comportements pour un cas individuel, c'est un éventail d'accusations mises de l'avant pour différentes infractions. C'est très courant, et je suppose que ce serait le cas ici. Par exemple, au Royaume-Uni, une personne qui empêche quelqu'un de subvenir à ses besoins fondamentaux, l'empêche de voir ses amis ou sa famille ou qui surveille l'emploi du temps d'une autre personne, comme sa partenaire, est considérée comme ayant des comportements contrôlants et coercitifs. Si on ajoute à cela la profération de menaces, des infractions violentes, il est probable qu'un éventail d'accusations soient portées dans ce genre de dossier.
Je ne pense pas que ce qui distingue les infractions est nécessairement bien défini. Nous tentons certainement d'isoler le comportement sur le plan conceptuel, mais des infractions se chevauchent, et je pense qu'il y aurait des chevauchements importants dans un cas de comportement coercitif. Si nous en faisions une infraction et que des accusations étaient portées, je pourrais m'attendre à des accusations de harcèlement criminel, y compris d'agressions, d'agressions sexuelles et de profération de menaces, selon les faits du dossier.
Je ne sais pas si cela répond à votre question, monsieur Fortin. Vous en aviez trois.
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Je peux répondre à cette question.
Je le répète, dans le domaine du droit de la famille — domaine duquel relèvent généralement les questions parentales —, comme Mme Levman l'a mentionné, l'expérience varie d'un endroit à l'autre, principalement en fonction des taux de COVID. À certains endroits, les tribunaux ont continué de fonctionner sans interruption, tandis qu'ailleurs, les effets ont été considérables. Certes, les tribunaux ont innové; nombre d'entre eux traitent maintenant beaucoup de dossiers de manière virtuelle. À n'en pas douter, la pandémie a donné lieu à de nombreux problèmes liés à la parentalité, notamment à des affaires de violence familiale particulièrement épineuses.
Nous avons eu des discussions avec nos collègues du fédéral, des provinces et des territoires au sujet des pratiques exemplaires utilisées par les différents territoires pour remédier à ces problèmes dans les tribunaux et au moyen des services offerts, dans le but de favoriser la mise en commun de l'information. Je le répète, les modifications à la Loi sur le divorce, par lesquelles la Loi reconnaît pour la première fois la violence familiale, entreront en vigueur le 1er mars prochain.
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Merci, madame la présidente.
Je remercie tous mes collègues, ainsi que nos invitées. C'est la première fois que je participe au comité de la justice. C'est un honneur pour moi d'être ici.
Le sujet à l'étude me tient profondément à cœur. Ma circonscription compte plusieurs refuges pour femmes, y compris la maison Nisa et le Surrey Women's Centre. Tous deux fournissent des services de grande qualité à l'un des groupes les plus vulnérables de notre société: les femmes menacées. J'ai été très heureux de pouvoir annoncer que des fonds leur avaient été octroyés au tout début de la pandémie, en avril. Je crois que ces fonds leur ont été utiles, bien qu'à ce moment-là, personne, probablement, n'aurait pu prédire la hausse brutale des cas.
Madame Smylie, quelles mesures le gouvernement peut-il prendre pour mieux prévenir la violence et pour réduire la fréquence des comportements contrôlants?
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C'est une question des plus ardues. Le problème de la violence fondée sur le sexe est très complexe de sorte qu'une seule mesure ne saurait y mettre fin. À l'heure actuelle, le gouvernement travaille notamment à l'élaboration d'un plan d'action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe. Comme vous l'avez tous entendu aujourd'hui, la pandémie a renforcé le besoin de mettre en place un tel plan. Nous devons coordonner les mesures à l'échelle du pays et des différents secteurs. La pandémie a amplifié l'urgence de ce besoin.
À cette fin, le gouvernement du Canada travaille très étroitement avec les gouvernements provinciaux et territoriaux afin de faire avancer le plan d'action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe. Depuis 2020, nous avons consulté plus de 1 500 personnes, y compris des survivantes et des survivants, des représentants d'organismes communautaires et des experts. Nous leur avons demandé ce que nous devions faire en vue de mettre en place un plan d'action national.
Je tiens à souligner que nous avons franchi une étape très importante par rapport au plan d'action national il y a à peine quelques semaines. En effet, les 21 et 22 janvier derniers, les ministres responsables de la condition féminine des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont entériné une déclaration ministérielle fédérale-provinciale-territoriale commune pour un Canada sans violence fondée sur le sexe. Cette déclaration présente une vision commune, des principes et des objectifs visant à lutter contre la violence fondée sur le sexe.
Ce travail se poursuit et il orientera nos efforts dans ce dossier.
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Je vous remercie, madame la présidente, et je salue mes collègues.
Je remercie également les témoins pour la discussion d'aujourd'hui, qui est si importante à divers égards.
Mes questions s'adressent à Mme Smylie.
Le moins qu'on peut dire, c'est que la pandémie a été difficile pour la population canadienne d'un océan à l'autre.
Les mesures d'isolement, comme l'apprentissage à distance, la distanciation physique, l'auto-isolement et la quarantaine, peuvent placer des enfants dans des situations où ils risquent de devenir victimes de négligence ou de violence physique, émotionnelle, sexuelle ou familiale. D'après vos recherches et vos connaissances, quelles mesures pourraient être prises pour trouver les enfants qui subissent de mauvais traitements ou de la négligence au foyer durant la pandémie et pour intervenir plus efficacement auprès d'eux?
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Merci beaucoup, madame la présidente.
J'aimerais me centrer sur le lien entre le comportement coercitif et dominant, et les formes plus graves de violence physique. Souvent, lorsqu'on entame la discussion, on cite des incidents que certaines personnes jugent insignifiants. Elles ne font pas le lien et ne comprennent pas le modèle de comportement qui mène à d'autres actes de violence.
Les renseignements les plus impressionnants que j'ai vus provenaient d'une étude australienne, qui examinait les cas d'homicide d'un partenaire intime. Sur 112 homicides, l'étude a révélé que 111 cas impliquaient un comportement coercitif et dominant.
Dans un pays comme le nôtre, où — malheureusement — une femme est assassinée par son partenaire intime environ une fois par semaine, je crois qu'il est très important de trouver des façons d'intervenir plus tôt.
Est-il possible, pour ce type d'infraction criminelle, d'intervenir plus tôt et de prévenir les pires formes de violence?
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Je me permettrais d'ajouter quelques commentaires.
Je crois que cet enjeu souligne l'importance de la formation et de l'évaluation des risques. C'est ce qu'évoque la documentation que le ministère transmettra au Comité à des fins d'examen.
Sans égard aux infractions en place, si les organismes d'application de la loi n'arrivent pas à détecter les facteurs de risque plus tôt... Comme vous l'avez dit, à juste titre, parfois ces facteurs de risque sont considérés à titre « d'infractions de faible niveau », mais même s'il ne s'agit pas d'une infraction criminelle — ou d'une infraction criminelle moins grave —, elle peut être annonciatrice d'une infraction très grave.
C'est là où la formation des policiers et les outils d'évaluation des risques entrent en jeu, et cette question est abordée dans l'un des articles que nous voulons vous transmettre.
Cette conversation est d'une grande importance. Je vous remercie moi aussi pour vos contributions. Mme Levman n'était pas là lorsque j'ai commencé, mais je lui dis merci. Je suis heureuse de vous revoir.
J'aimerais revenir aux conséquences négatives associées à la violence. Bien sûr, les mesures qui ont été prises pour lutter contre la pandémie de COVID-19 sont importantes et nécessaires, mais je suis inquiète des conséquences invisibles. Je dis qu'elles sont invisibles, mais elles ne le sont peut-être pas pour vous qui travaillez dans ce domaine. Elles le sont toutefois pour la population en général.
En tant que députés, nous entendons beaucoup parler de la détresse que ces mesures ont engendrée, et de ses répercussions. C'est bien que les représentants nous disent de rester à la maison, mais même s'il s'agit d'un endroit sécuritaire pour bon nombre de personnes, ce ne l'est pas pour les personnes dont nous parlons aujourd'hui... Surtout pour celles qui sont victimes de violence familiale. La dépendance et d'autres problèmes de ce genre sont aussi des facteurs à prendre en compte.
En Colombie-Britannique, d'où je viens, la crise des opioïdes est très préoccupante, et le nombre de décès connexes est en hausse. On nous dit également que le nombre de suicides a augmenté. Les pressions et les facteurs de stress peuvent empirer la situation, mais parfois, le seul fait d'avoir été assujetti à la violence à l'enfance peut entraîner un tel comportement. Nous le savons également.
Vous avez dit qu'une somme importante d'argent était consacrée à la recherche, aux données, aux enquêtes et aux analyses, mais qu'en est-il de l'éducation de la population dans ces domaines? Que pourrions-nous faire pour sensibiliser davantage la population au sujet de ce que l'on peut déceler et des options qui sont offertes pour s'en sortir et pour guérir?
Quelles sont les mesures prises dans le domaine public?
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Merci, madame la présidente. Avec une telle présentation, je sens une grande pression sur mes épaules.
J'aimerais tout d'abord remercier les témoins pour leur introduction à ce sujet très important. J'ai travaillé avec la Catholic Children's Aid Society of Toronto par le passé, et j'ai vu des choses horribles, qui ne devraient pas exister. J'ai appris deux choses de mon expérience à cet endroit: premièrement, les gens qui participent à ce processus sont des héros; deuxièmement, le système est gravement sous-financé... Nous pourrons aborder cette question plus tard.
J'aimerais vous poser quelques questions sur des sujets qui ont été évoqués plus tôt. Je sais qu'on a discuté de la Loi sur le divorce et des changements associés au comportement coercitif et dominant, qui entreront en vigueur le 1er mars. Je n'ai pas bien compris le contexte associé à ces changements. Nous avons eu des problèmes avec l'interprétation des propos de Mme Farid, alors je ne sais pas si je vous demande de répéter une chose que vous avez déjà dite.
Selon ce que je comprends, la Loi sur le divorce ne tient pas compte de la responsabilité, alors je ne sais pas trop comment contextualiser la question. Si quelqu'un pouvait m'expliquer cela pour commencer, je vous en serais reconnaissant.