Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Bonjour et bienvenue à la 10e réunion du Comité de la sécurité publique.
Nous accueillons aujourd'hui Me Michel Bastarache, juge à la retraite de la Cour suprême, qui est coauteur d'un rapport intitulé Rêves brisés, vies brisées: Les effets dévastateurs du harcèlement sexuel sur les femmes au sein de la GRC. C'est un rapport très profond et très troublant.
Monsieur le juge Bastarache, bienvenue au Comité. Nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à dire. De manière générale, nous vous demandons de faire une déclaration préliminaire d'une dizaine de minutes et nous passerons deux heures complètes avec vous.
Je suis désolé pour le retard, mais c'est la nouvelle façon de procéder pour les votes à la Chambre. Encore une fois, je m'en excuse.
Bienvenue à notre comité. Nous avons très hâte d'entendre ce que vous avez à dire.
J'ai été heureux de recevoir cette invitation parce que je pense que ce rapport est très important. Je crois que c'est un rapport dévastateur pour une importante institution de notre pays. Tout le monde veut que la GRC soit ce que nous pensions qu'elle serait, ou ce qu'elle devrait être, et avant tout, il s'agit d'un appel à la réforme.
Lorsque j'ai commencé à travailler sur ce projet, je savais que des études antérieures avaient abordé directement le problème...
Excusez-moi, monsieur le juge Bastarache. Les interprètes ont un peu de mal à vous entendre. Si vous pouviez rapprocher un peu votre micro de votre bouche, cela fonctionnerait un peu mieux.
Je disais donc que lorsque j'ai commencé à travailler sur le projet, je savais, bien sûr, que des études avaient déjà été réalisées et que certaines d'entre elles avaient précisément examiné le problème de l'intégration des femmes à la GRC. Cependant, je n'avais aucune idée de la situation actuelle ni des mesures qui avaient été prises pour corriger les problèmes mis en lumière par ces études.
Les parties à l'accord ont dit que le harcèlement était toujours répandu et que je recevrais 1 000 demandes d'indemnisation. J'en ai reçu plus de 3 000 et je sais pertinemment que de nombreuses femmes qui sont encore harcelées aujourd'hui n'ont pas déposé de demande. Cela montre à quel point le problème est profond.
Mais certaines questions sont encore plus préoccupantes: le harcèlement est systémique et découle d'une culture très toxique; le problème est si important qu'il remet en question la capacité de la GRC à réellement accomplir sa mission; et le harcèlement était si violent qu'il a mis en péril la santé et la sécurité de milliers de femmes sur une période de 30 ans.
De nombreuses femmes rencontrées en entrevue par les évaluateurs avaient reçu un diagnostic de blessures psychologiques graves, notamment un trouble dépressif majeur, un trouble de stress post-traumatique, un trouble anxieux généralisé, des crises de panique et la dépendance à une substance. Les réclamantes ont également signalé avoir un manque de confiance à l'égard de la GRC; un manque de confiance vis-à-vis des hommes qui travaillent avec elles; un sentiment d'isolement; un retrait des activités sociales, des amitiés et des relations sexuelles; un sentiment d'humiliation; un manque d'estime de soi et un manque de confiance. Si vous regardez tout cela et que vous constatez que cela concerne plus de 1 000 femmes, vous penseriez qu'il s'agit d'une crise.
Il était aussi préoccupant que les événements décrits dans ces réclamations n'étaient pas simplement historiques, devenus choses du passé en raison de la mise à jour des politiques. Bien que le processus de réclamation n'ait pas porté sur les actes commis après le 30 mai 2017, certaines réclamantes ont fait savoir qu'elles continuaient à vivre des incidents similaires malgré les initiatives prises par la GRC pour lutter contre le harcèlement fondé sur le sexe et l'orientation sexuelle.
Malgré de nombreuses enquêtes et les nombreux examens, le harcèlement reste présent dans de nombreux services de l'organisation. Pire encore, des comportements irrespectueux ont eu lieu et ont été tolérés à tous les niveaux de la hiérarchie.
J'ai souvent entendu dire qu'il y a beaucoup de membres corrects qui essaient de faire du bon travail dans un environnement difficile. Je suis sûr que c'est vrai et que beaucoup de membres sont bien intentionnés et essaient de faire ce qu'il faut. Toutefois, la réalité est que même les membres respectables et les dirigeants bien intentionnés ont dû se conformer, ou du moins accepter la culture sous-jacente. Pour la plupart, ils ont été contraints de l'adopter pour réussir dans leur carrière. La direction et les membres de la GRC en ont tous souffert.
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Je pense que la GRC souffre d'une certaine dissonance cognitive. Pourquoi? Parce que de nombreux membres sont bien intentionnés et pensent se comporter de manière éthique. Par conséquent, ils sont persuadés que le racisme systémique ou les désavantages et la discrimination systémiques fondés sur le sexe ne peuvent exister à la GRC. Ils se justifient en évoquant « quelques brebis galeuses ». Cette approche permet à l'organisation de poursuivre ses activités, car elle a l'impression qu'il suffit de trouver ces brebis galeuses pour résoudre le problème. La direction et les membres ne sont pas disposés à admettre la nature systémique et culturelle du harcèlement sexuel et de la discrimination fondée sur le sexe et l'orientation sexuelle au sein de la GRC.
J'ai une liste des hommes qui ont été accusés de harcèlement et une liste de ceux qui ont été trouvés coupables de harcèlement dans le cadre des diverses procédures de règlement des griefs. On ne parle pas de quelques brebis galeuses. Il y a des centaines de brebis galeuses.
Sur la base des 3 086 réclamations que j'ai lues et des 644 entrevues que nous avons menées, les deux autres évaluatrices et moi-même, j'ai conclu que la GRC baigne dans une culture toxique qui tolère la misogynie et l'homophobie dans ses rangs et au sein de sa direction.
D'après la description des réclamantes, la culture de la GRC est caractérisée par le sexisme, l'homophobie, les commérages et les médisances, les représailles pour avoir semé le trouble et la propagation de rumeurs. Si de nombreuses réclamantes ont pris soin…[Difficultés techniques]
D'après la description des réclamantes, la culture de la GRC est caractérisée par le sexisme, l'homophobie, les commérages et les médisances, les représailles pour avoir semé le trouble et la propagation de rumeurs. Si de nombreuses réclamantes ont pris soin de mentionner qu'elles avaient travaillé avec quelques membres corrects, elles ont indiqué que même ces derniers se sentaient souvent contraints d'accepter la culture dominante et restaient silencieux face à l'injustice.
L'inconduite sexuelle au sein de la GRC semble se produire avec une fréquence surprenante, du recrutement jusqu'à la retraite. Les évaluateurs ont conclu, par exemple, qu'il y avait des preuves que 131 cas de viol pur et simple avaient été signalés et pour lesquels une seule personne a été traduite en justice. Les formes moins graves de harcèlement et d'abus sexuels — bien que tous les abus et inconduites sexuels soient graves — semblent être endémiques.
Toutes les candidates qui souhaitent se joindre à la GRC doivent d'abord suivre une période de formation de six mois à la Division Dépôt, le centre de formation de la GRC à Regina. Les abus commençaient immédiatement à ce moment. Bon nombre des femmes interrogées par les évaluateurs ont rejoint la GRC à un jeune âge, soit 19 ou 20 ans. Maintenant, c'est autour de 24 ans.
Elles étaient souvent naïves et, dans de nombreux cas, la GRC était leur premier emploi et c'était la première fois qu'elles étaient loin de leur famille. Beaucoup ont raconté avoir été choquées par le langage et le caractère ouvertement sexuel de la conduite à laquelle elles étaient confrontées à la Division Dépôt par les instructeurs et les autres candidats.
Les instructeurs s'en sont pris aux jeunes femmes pendant au moins 20 ans à cet endroit. Le harcèlement était également fréquent de la part des cadets qui apprenaient rapidement à imiter leurs instructeurs. On disait aux femmes qu'elles n'étaient là que pour avoir des relations sexuelles avec les hommes. Les évaluateurs ont entendu dire qu'avec le temps, l'atmosphère s'était améliorée à la Division Dépôt. Cependant, ils ont encore entendu des histoires récentes de harcèlement sexuel et de discrimination de la part d'instructeurs masculins. Il y a de la consommation excessive d'alcool. Il y a des agressions sexuelles et des commentaires désobligeants envers les femmes, et particulièrement sur leur place au sein de la GRC.
Après avoir réussi la formation à la Division Dépôt, les cadettes doivent ensuite suivre le programme de formation pratique des recrues — une période de formation sur le terrain de six mois — pendant lequel un gendarme plus ancien est chargé de former le nouveau gendarme qui vient de quitter la Division Dépôt. Le but est de former le nouveau gendarme sur le tas, de lui enseigner les compétences et les procédures nécessaires pour exercer en tant que membre régulier.
Le moniteur est chargé de rédiger une évaluation du nouveau gendarme.
Monsieur le juge Bastarache, aussi hésitant que je sois à interrompre un juge de la Cour suprême, nous allouons généralement 10 minutes, une période que nous avons largement dépassé, mais si vous pouviez conclure, je sais que les membres du Comité ont hâte de vous poser quelques questions.
D'accord. Ce que je voulais ajouter, c'est qu'il faut d'abord suivre une formation pratique. Pendant cette période, il y avait des invitations sexuelles constantes, pourrait-on dire, de la part des dirigeants envers ces jeunes femmes qui dépendaient de l'évaluation de ces personnes et se trouvaient dans une situation où elles n'avaient pas le choix, ont-elles dit. La situation ne s'est pas beaucoup améliorée lorsqu'elles ont commencé leur nouvelle carrière dans un nouveau détachement, parce qu'au début, elles sont envoyées dans le Nord. Elles sont affectées dans des régions où il y a très peu de femmes. Où elles sont souvent les seules femmes. En soi, cela produit un groupe de personnes très vulnérables. Il y a eu d'énormes abus dans ces régions.
L'autre forme de harcèlement, bien sûr, consiste à priver les femmes de l'égalité des chances. Elles n'ont pas bénéficié de l'égalité des chances en matière de formation ou de promotion parce qu'il n'existe pas de véritable plan de carrière pour les diplômés de la Division Dépôt. J'ai formulé 52 recommandations. Je ne pense pas qu'aucune d'entre elles n'apporterait un changement très fondamental, mais je pense qu'en étant mises en œuvre en même temps, elles pourraient changer les choses. Il faut rétablir la confiance dans le système et dans la gouvernance de la GRC pour qu'un changement positif se produise au cours des trois prochaines années.
Avant de donner la parole à mes collègues, je veux non seulement parler de votre rapport, mais aussi de sa conclusion, dans laquelle vous dites:
Je ne vois pas de solution sans avoir recours à une certaine forme de pression extérieure, indépendante et soutenue. Des mesures peuvent être prises pour régler des problèmes précis, mais je ne suis pas convaincu que cela permette de corriger les problèmes fondamentaux de la GRC.
À mon avis, le moment est venu de poser quelques questions difficiles sur la structure et la gouvernance de la police fédérale au Canada. Le passé a démontré que le changement ne peut pas venir de l'intérieur de la GRC. Il doit y avoir un examen rigoureux de la GRC suivi de changements qui garantiront que les services de police fédérale sont offerts de manière efficace et conforme à la valeur d'égalité de la Charte et à l'engagement du gouvernement du Canada en matière d'égalité des sexes, y compris dans le milieu de travail.
Monsieur le juge Bastarache, vous savez peut-être que le Comité a mené une étude sur le racisme dans les services de police qui fait étrangement écho à certains des témoignages que nous avons entendus. Je vais maintenant céder la parole à mes collègues, mais à mon avis à titre de président, il soulève une question fondamentale. Nous avons reçu rapport après rapport; nous avons entendu la commissaire à plusieurs reprises; nous avons entendu le ministre à plusieurs reprises — en fait, nous avons entendu plusieurs ministres — et vous remettez vraiment en question s'il est possible de corriger le problème.
Je ne vais pas vous demander de répondre, mais du point de vue du président, c'est la question fondamentale à poser.
Sur ce, monsieur Motz, vous avez six minutes, et Mme Damoff, Mme Michaud et M. Harris suivront avec six minutes chacun.
Monsieur le juge Bastarache, au nom du Comité et certainement de mes collègues, je tiens à vous remercier pour votre travail et celui des évaluateurs dans cet exercice incroyablement troublant que vous avez fait, et pour votre rapport.
J'aimerais aborder deux ou trois points pendant le temps dont je dispose et vous citer sur certains problèmes qui ont été exposés:
Je doute fort que les modifications apportées en 2014 à la Loi sur la GRC (voir le chapitre 4) règlent les problèmes que les autres évaluatrices et moi-même avons constatés. Les procédures sont encore largement basées sur un mécanisme interne, la responsabilité de la prise de décision étant déléguée à un niveau relativement bas, avec peu de supervision indépendante.
Une deuxième citation est:
... la plupart des femmes ont déclaré qu'elles n'utiliseraient jamais le système de règlement des griefs ou de plaintes pour harcèlement, car elles n'avaient tout simplement aucune confiance en son efficacité ni en son équité.
Vous décrivez trois grands problèmes qui ont été mentionnés à maintes reprises par les réclamantes, soit le manque d'équité, la crainte de représailles et l'absence de sanctions.
Vous avez écrit que « les plaintes sont plus préjudiciables à la victime qu'au harceleur », et qu'une femme qui déposait une plainte serait considérée comme une fautrice de troubles ou une plaignarde.
Dans de nombreux cas, les réclamantes ont fait l'objet d'accusations criminelles et, dans certains cas « plus le nombre de plaintes [de harcèlement] contre le membre [superviseur] est élevé, plus il obtiendra une promotion importante ».
Il y a de toute évidence un problème.
Pourriez-vous nous expliquer, en quelques secondes, exactement... Si je suis membre de la GRC et que je veux déposer une plainte contre un autre membre de la GRC — superviseur ou autre —, quel mécanisme dois-je utiliser pour faire cette plainte?
À l'heure actuelle, il existe deux processus de règlement des griefs. Un de ces processus s'applique précisément au harcèlement sexuel, et c'est la nouvelle approche. L'autre, bien sûr, c'est d'utiliser le code de conduite et de tenir une enquête en vertu de ce code, mais ce qui se passe, c'est que des agents de la même région sont nommés pour entendre la plaignante. Il n'y a peut-être pas de conflit direct en ce sens qu'il s'agit d'un membre de la famille ou de quelque chose du genre, mais ce que les femmes disent, c'est qu'il y a un « club réservé aux hommes » et que les enquêteurs défendent leurs amis. C'est pourquoi le processus devient essentiellement injuste.
L'autre chose est qu'ils ne respectent pas leurs propres règles. Il peut y avoir une règle qui stipule que vous allez recevoir un rapport dans les trois mois, certaines femmes attendent depuis trois ans, et d'autres n'ont jamais reçu de copie du rapport.
Les deux principaux éléments, c'est qu'il n'y a pas de sanction efficace et qu'en l'absence de sanction, essentiellement ça va continuer. Mais aussi, comme plusieurs l'ont dit, comme dans l'Église catholique — les responsables sont simplement déplacés dans une autre paroisse. J'ai une liste de personnes qui ont été reconnues coupables jusqu'à 15 fois. Ces personnes ont été promues.
Merci, monsieur le juge. Je sais que nous pourrions continuer longtemps, et j'aimerais aborder d'autres points qui me semblent cruciaux et dont nous devons également parler aujourd'hui.
Je suppose que je vais vous demander de répondre simplement par oui ou non. Selon votre évaluation, diriez-vous que la défaillance apparente, c'est-à-dire le processus que vous venez de décrire, contribue au problème qui nous occupe aujourd'hui?
J'ai été intrigué par plusieurs d'entre elles. Vous recommandez — je vais paraphraser — de:
créer un organisme efficace, externe et indépendant auquel les employés de la GRC peuvent signaler les cas de harcèlement sexuel ou de mauvaise conduite, qui a le pouvoir d'enquêter et de tirer des conclusions de fait exécutoires et de recommander des sanctions.
C'est une recommandation louable, mais comment pensez-vous qu'elle se traduira en termes pratiques ou opérationnels, monsieur?
Eh bien, vous pouvez concevoir un comité de façon à ce qu'il soit formé par des gens d'autres services de police ou d'autres régions, ou par des personnes qui ne sont pas des membres de la GRC, mais qui ont une certaine expérience dans le milieu policier. Essentiellement, ces personnes auraient le pouvoir d'enquêter. Je pense qu'elles devraient aussi pouvoir mener des enquêtes sans qu'une plainte ait été déposée si elles savent qu'il se passe quelque chose dans un district...
... mais le plus important, ce sont les représailles. Si une femme se plaint, qu'elle gagne ou qu'elle perde, il y aura des représailles. C'est pourquoi même un très bon comité ne recevra pas beaucoup de plaintes: à cause des représailles.
Vous en avez déjà parlé trois ou quatre fois dans votre déclaration préliminaire et en répondant à mes questions, et je cite ce que vous dites à la page 47 de votre rapport:
… il est également apparu clairement que plusieurs hommes (à tous les niveaux d'ancienneté) ont harcelé ou agressé sexuellement des femmes à plusieurs reprises.
Pas par moi, mais certains d'entre eux ont été identifiés par les femmes qui ont été agressées et, dans quelques cas, par des hommes qui ont été témoins.
Monsieur le juge Bastarache, je ne pourrai jamais vous remercier suffisamment, et remercier suffisamment l'équipe qui a travaillé avec vous, pour avoir préparé ce rapport. J'ai eu de la difficulté à le lire. Je n'ai pas pu le lire en une seule soirée parce que j'étais trop bouleversée, et je ne peux pas imaginer ce que vous avez vécu en faisant les entrevues et en le préparant.
Le Comité m'a déjà entendu faire cette comparaison, mais il y a quelques années, j'ai lu un rapport sur l'Établissement Edmonton, l'Edmonton Max, au sujet des problèmes de harcèlement sexuel qu'il y avait là-bas, et les auteurs comparaient la situation à un film des années 1950 intitulé The Blob: beaucoup de ceux qui en font partie sont de bonnes personnes, mais elles sont démunies devant sa puissance. Comment peut-on se débarrasser de quelque chose d'aussi intense? En lisant votre rapport, je n'ai pu m'empêcher de penser exactement la même chose.
Vous avez fait toutes ces recommandations. Pensez-vous que la GRC a la capacité de les mettre en œuvre? Le ministre a publiquement dénoncé ce qui s'est passé, et je sais qu'il veut que les choses changent, mais la GRC est-elle capable de le faire et de régler ce qui s'y passe?
Le vrai problème, c'est que les femmes ne sont pas convaincues que c'est possible, parce que 15 rapports ont déjà été publiés et chaque fois la GRC a dit qu'elle acceptait les recommandations. Certains changements ont été apportés, mais ce sont surtout de changements de politique et organisationnels, alors que ce les femmes veulent, bien sûr, c'est que les hommes soient tenus responsables de ce qu'ils font et que les gestionnaires — leurs superviseurs — qui ne supervisent pas soient aussi sanctionnés.
Il est possible d'y arriver avec un véritable leadership. Cela ne peut pas être fait par une seule personne. Je pense que beaucoup de femmes seraient prêtes à appuyer fermement la commissaire si elles la voyaient prendre des mesures vraiment draconiennes, et je pense que certains des hommes qui sont dans l'ombre se manifesteraient et joueraient leur rôle dans la formation d'une équipe. On ne devrait pas diviser la GRC en deux groupes: les policières et les policiers — il devrait s'agir d'une seule et même équipe.
À mon avis, il n'est pas correct de dire régulièrement en anglais woman corporal ou woman supervisor. Pourquoi parler ainsi? Parce qu'une distinction est faite, les femmes ont l'impression d'être discréditées.
J'aimerais vous poser une question au sujet du Conseil consultatif de gestion de la GRC. Vous avez parlé de responsabilisation, et dans le cadre de notre étude sur le racisme systémique, c'est une question qui a été soulevée à plusieurs reprises — le manque de responsabilisation et l'absence de conséquences pour les agents qui ne se comportent pas correctement.
Je viens de lire un article aujourd'hui dans lequel Robert Gordon, de l'Université Simon Fraser, affirme que la GRC est « accro au secret ». Pensez-vous que les rapports du Conseil consultatif de gestion devraient être rendus publics, et pensez-vous aussi qu'ils devraient être mis à la disposition du ministre?
Oui. Je pense qu'ils doivent l'être. Je n'ai jamais vu le rapport. Je l'ai demandé, car comment voulez-vous que je sache si ces personnes savent ce qui se passe et sont prêtes à exercer des pressions sur l'administration pour qu'elle règle les problèmes?
Pourquoi avons-nous un conseil consultatif si personne ne sait ce qu'il fait? Je ne pense pas que ce soit efficace.
J'ai remarqué que dans cet article, le président du conseil consultatif était très évasif dans ses réponses aux questions et disait simplement qu'il fallait demander à la GRC pourquoi les rapports n'étaient pas publiés.
Je suis vraiment troublée. Pour revenir à ce dont parlait mon collègue, M. Motz, 130 femmes ont révélé avoir été victimes d'agressions sexuelles avec pénétration. Comment diable cela a-t-il pu se produire sans conséquence pour ces personnes? C'est absolument effarant.
Le fait que cela se soit produit a entraîné une perte totale de confiance dans l'administration, en ce sens qu'elle supervisait et devait offrir un milieu de travail sécuritaire à ces femmes.
Je pense qu'il ne s'agit pas seulement d'une question de conséquences pour un employé de la GRC. Ce sont aussi des choses pour lesquelles des accusations criminelles devraient être portées.
Oh, oui, et certaines des femmes m'ont demandé si je pouvais faire quelque chose, mais j'ai dit que lorsqu'il est question d'un comportement criminel, c'est la victime qui doit agir. Je leur ai dit: « Vous avez participé à ce processus, mais vous pouvez quand même porter des accusations criminelles. » Elles m'ont répondu que même si elles le faisaient, même si elles gagnaient, au bout du compte elles seraient perdantes parce qu'elles perdraient leur emploi. Elles perdraient leur emploi parce qu'elles seraient attaquées par tous ceux qui...
C'est caractéristique des femmes qui ont survécu à la violence sexuelle. Ce sont elles qui sont pénalisées, et les responsables s'en sortent continuellement. Votre rapport est l'une des choses les plus troublantes que j'ai lues dans ma vie.
C'est la raison pour laquelle il est écrit ainsi. Je pense qu'il faut prendre des mesures immédiatement et que ces mesures entraînent des conséquences. Je suis heureux que la commissaire se soit engagée en ce sens. Elle doit seulement trouver un moyen d'obtenir l'appui des bons éléments de la GRC.
Je vous remercie, Me Bastarache, de votre important travail et de votre rapport qui est assez percutant et difficile à lire par moment, particulièrement pour une femme.
Vous parliez de la culture toxique, de ce boy's club qui se règne à la GRC, mais aussi dans sa gouvernance. J'ai l'impression que c'est un peu le message qu'on envoie aux femmes qui veulent s'enrôler dans la police; c'est un milieu d'hommes dans lequel elles ne sont pas les bienvenues et c'est ce genre de choses qui vont leur arriver si elles osent y aller. C'est absolument déplorable.
Comme vous le disiez dans vos conclusions, cela va prendre une véritable transformation pour changer cette culture toxique, et cela doit venir de l'extérieur de la GRC. On a vu plusieurs rapports et études sur le sujet, plusieurs changements législatifs et administratifs ont été apportés, mais rien qui a réellement changé les choses.
Je vais reprendre la question que soulevait le M. le président tout à l'heure: d'où peut venir ce changement et qui peut agir à ce stade-ci?
On m'a dit que le gouvernement et les ministres responsables ne sont intéressés que par la question financière. Ils veulent savoir combien cela coûte, quels sont les besoins financiers et si les problèmes sont liés au sous-financement.
On peut bien parler d'argent s'il le faut, mais, d'après ce qu'on me dit, on ne veut jamais débattre de questions comme celle-ci.
Pourtant, il y a une incidence financière. Des centaines de femmes sont en congé de longue durée et plusieurs personnes que l'on a formées prennent leur retraite à 40 ans parce qu'elles ne peuvent plus endurer le harcèlement. Il y a certainement une corrélation entre la question financière et cela.
Comment le gouvernement devrait-il faire cela? D'abord il doit s'informer et suivre ce qui se passe vraiment. Il doit insister sur la nécessité de réaliser des projets de réforme.
Votre rapport soulève que quelque 125 millions de dollars d'indemnités ont été versés pour dédommager les femmes ayant subi des préjudices. Il y a six niveaux de compensations qui vont de 10 000 à 220 000 $, je crois. C'est tout un système déjà pensé qui a l'air de fonctionner mieux que ce qui s'offre aux femmes pour porter plainte en cas de préjudice, selon ce que vous décriviez plus tôt. Cela semble complètement illogique que la façon dont on dédommage les femmes est mieux structurée.
Il est tout à fait normal que les victimes soient indemnisées, mais j'ai l'impression que le gouvernement tente de réparer les pots cassés en sortant le chéquier pour dédommager les femmes, au lieu de régler le problème à la source. Cet argent pourrait justement être utilisé à la source, en offrant des formations, ou en trouvant une manière quelconque d'utiliser cet argent pour s'assurer que cela n'arrive pas en premier lieu et que des gens ne puissent abuser de leur pouvoir au sein de la GRC.
J'aimerais vous entendre là-dessus. Que pourrait-on faire avec l’argent?
Je crois que cela prend une réforme de la gestion.
Il faut commencer en créant un plan de carrière pour chacun. Il faut aussi leur montrer comment aspirer à la direction. Pour diriger, il faut avoir des valeurs et une réelle communication avec les personnes qui dépendent de vous, afin qu'elles sentent qu'elles font partie d'une équipe. Ainsi, elles auront la volonté de mettre en œuvre des projets de réforme.
Toutefois, si on ne fait confiance aux gens qui mènent, parce que beaucoup d'entre eux, surtout au niveau inférieur de la hiérarchie, ont abusé de leur pouvoir, il devient très difficile de faire quoi que ce soit.
Par contre, dans une énorme organisation comme celle-là, il est difficile d'identifier les coupables dans la gestion et de s'en défaire rapidement. Cette réforme est un ouvrage majeur et je pense que cela va prendre plusieurs années.
Selon les témoins que nous avons reçus dans le cadre de notre étude sur le racisme systémique au sein des corps policiers, le ministre de la Sécurité publique portait peut-être trop de chapeaux, la GRC devrait être gérée par quelqu'un d'autre, et la commissaire devrait rendre plus de comptes. On sait qu'elle a essuyé plusieurs critiques dans les derniers mois.
Qu'en pensez-vous? Le ministre en a-t-il trop à gérer pour que la GRC fonctionne bien?
Je ne suis pas assez bien informé sur les différentes fonctions du ministre ni sur l'organisation de son bureau. À mon avis, il faut que le gouvernement s'implique de façon beaucoup plus profonde dans la réforme qui doit être faite.
On ne veut peut-être pas démanteler la GRC et recréer trois organismes plutôt qu'un, mais il est quand même possible de spécialiser les policiers. On peut avoir une police fédérale distincte de celle qui a des contrats avec les municipalités et les provinces. Selon moi, on ne peut pas s'occuper d'affaires générales dans un service de police municipal et, le lendemain, se retrouver dans un poste où l'on fait du travail très spécialisé sur la cybercriminalité, par exemple. C'est pour cela qu'il faut avoir des plans et former les gens. Il faut les spécialiser.
Merci à vous, monsieur le président, et à vous aussi, monsieur le juge, pour avoir produit ce rapport, pour les commentaires que vous nous faites ici aujourd'hui ainsi que pour votre contribution à cette évaluation.
Je tiens tout d'abord à rendre hommage à Mmes Janet Merlot et Linda Davidson, qui sont à l'origine de ce recours collectif. Je tiens également à signaler leur persévérance et leur courage pour parvenir à un règlement, mais je crois que nous devrions convenir que l'objet de votre rapport ne couvrait qu'une partie de l'ensemble des problèmes. À une certaine époque, on s'est intéressé à une catégorie particulière de problèmes, à un certain nombre de personnes et à des types d'incidents précis. Votre rapport ne couvre donc pas l'ensemble des types de plaintes. Cela me paraît important. Vous n'avez procédé qu'à l'évaluation des cas de personnes qui se sont manifestées, ce qui veut bien dire qu'il y en a eu d'autres qui sont restés dans l'ombre, ou pour lesquels les victimes, pour diverses raisons, n'ont pas souhaité suivre la même voie.
Je dois vous dire que la lecture de votre rapport, comme l'a dit madame Damoff, est particulièrement déprimante. C'est le sentiment général qui s'en dégage. On a du mal à imaginer comment régler tout cela quand tant de personnes sont impliquées dans cette évaluation, et que celles qui ont harcelé des collègues sont toujours en poste dans la Gendarmerie.
Trouveriez-vous envisageable, pour résoudre ces problèmes, de mettre en place une procédure extérieure à la GRC qui permettrait aux gens de se plaindre et de faire évaluer leur situation? Vous nous avez dit qu'il est encore possible aujourd'hui que les plaignants ou les plaignantes soient victimes de représailles. Il y a donc encore des modifications fondamentales à apporter au sein de la Gendarmerie. Si cela ne s'avère pas possible ou que vous ne croyez pas vraiment que les personnes en poste puissent le faire, comment devrions-nous nous y prendre pour corriger la situation?
Je crois qu'il serait possible de mettre en place une procédure efficace de griefs. Cela suppose toutefois de faire confiance à la procédure et d'avoir la conviction que les personnes responsables seront punies et que les plaignants n'auront pas à craindre de représailles. C'est à la GRC qu'il incombe d'instaurer cette confiance et de s'assurer qu'il n'y ait pas de représailles par la suite. Instaurer cette confiance ne peut être fait de l'extérieur de la GRC.
Vous avez indiqué plusieurs fois qu'il y a un certain nombre de harceleurs en série et une multiplicité de victimes d'une ou de plusieurs personnes identifiées, dont certaines ont été promues et sont toujours en poste. Une personne qui a survécu à ce harcèlement m'a indiqué que son bourreau est toujours là et que vous avez une liste de harceleurs. Vous en avez parlé plusieurs fois. Certains de ces harceleurs peuvent occuper des postes très élevés au sein de la Gendarmerie. Faudrait-il faire quelque chose avec cette liste? J'ai un peu l'impression que vous nous invitez à vous demander de l'aide. Ces personnes devraient peut-être être licenciées.
J'ai relevé que vous avez proposé dans vos recommandations qu'une personne qui a été convaincue de harcèlement soit punie, mais aussi que, si elle récidive une fois, elle soit renvoyée de la Gendarmerie. Vous avez identifié des gens dont on sait qu'ils ont plusieurs fois harcelé des collègues. Quel devrait être leur sort? Faudrait-il les nommer et les inciter à quitter la Gendarmerie d'une façon ou d'une autre? Faudrait-il poser un geste qui signale qu'on tente de faire le ménage?
Pour moi, je ne peux divulguer aucun nom, parce que c'est une condition qui m'était imposée lors de l'attribution de mon mandat. On m'a expliqué que, si je donnais les noms, alors la plupart des femmes refuseraient de participer. Elles auraient peur de représailles. Il fallait que ce soit un processus très ouvert pour leur permettre de venir témoigner.
Il me paraît assez facile d'en identifier quelques-uns. Comme je l'ai dit, lorsqu'ils sont reconnus coupables de harcèlement, on les mute ailleurs. Il est facile d'observer qui a été muté trois ou quatre fois à la suite de problèmes récurrents.
Je suppose que vous imaginez que la haute direction de la GRC sait probablement assez bien de qui il s'agit. Si elle voulait vraiment faire quelque chose pour résoudre ce problème, elle aurait trouvé une façon de se débarrasser de ces personnes.
Ce n'est probablement pas le cas pour tous les harceleurs. Pour certains d'entre eux, c'est sûr. Je pense que ceux qui ont eu les comportements les plus graves sont plus faciles à identifier. Il se peut aussi que les femmes avec qui je me suis entretenu puissent maintenant parler aussi à quelqu'un d'autre. Il se peut qu'elles aient moins peur qu'auparavant.
La même personne a proposé qu'un nombre important d'employés civils de la GRC soit, à un moment donné, autorisé à relever de la fonction publique ou soit considéré comme en relevant. Ces gens pourraient alors poser leur candidature avec succès à des emplois dans la fonction publique. Il semble que la commissaire ait mis fin à ce mécanisme.
Si ces personnes, traumatisées mais travaillant toujours pour la GRC et baignant encore dans la même culture, avaient la possibilité de se trouver un emploi ailleurs, seriez-vous partisan d'une telle solution, ou au moins de leur fournir l'occasion de quitter cette culture si les problèmes ne sont pas corrigés ou ne peuvent pas l'être facilement, comme vous l'avez suggéré?
Monsieur Harris, vous avez largement déposé le temps dont vous disposiez, mais c'est une question d'une très grande importance.
Vous pourrez, d'ici peu, reprendre la parole lors de la seconde série de questions. Cela m'arrangerait si le témoin ne répondait à cette question qu'à ce moment-là. Cela nous faciliterait dans une certaine mesure le respect de notre horaire.
Cela dit, je donne la parole pour cinq minutes à monsieur Van Popta. Nous vous écoutons.
Je vous remercie, monsieur le juge Bastarache, d'être venu nous rencontrer aujourd'hui. Nous vous en sommes vraiment reconnaissants. Merci aussi de votre rapport.
Je partage l'avis de mes collègues qui ont pris la parole auparavant: c'est un rapport très difficile à lire. En lisant ce qui est arrivé à certaines femmes, à certaines plaignantes, je compatis à leur sort. J'imagine que cela a été aussi difficile pour vous d'entendre ces histoires.
Je peux vous dire que le fier Canadien que je suis s'est senti personnellement offensé, parce que j'ai toujours été fier de la GRC. Alors que j'étais encore un jeune garçon, mes parents, qui venaient d'immigrer d'Europe, nous ont élevés pour que nous devenions de fiers Canadiens. Ils nous emmenaient voir le Carrousel de la GRC. Le voir nous donnait à chaque fois un sentiment de fierté.
Était-ce une fierté mal placée? Est-il même possible de corriger les choses à la GRC?
Je dois vous dire, et c'est assez surprenant, que je crois que malgré tout ce qui s'est produit, tout ce qui a fait les manchettes, et même avec la publication de ce rapport, la plupart des Canadiens estiment encore que la GRC est un élément très important de notre démocratie, et ils croient qu'elle peut encore être la meilleure police dans le monde. Ils en sont convaincus. En tenant compte de cette attitude, je crois qu'il sera plus facile de regagner la confiance du grand public là où elle a été perdue. C'est au sein de la Gendarmerie que cela sera plus difficile, étant donné tous les échecs du passé pour s'attaquer à ces problèmes sérieux, en particulier avec le rôle et la place des femmes dans la Gendarmerie.
J'en conviens. Vous devez aussi être optimistes puisque vous avez formulé 54 recommandations reposant sur l'hypothèse que la GRC peut vraiment être remise d'aplomb.
À la page VII du Sommaire exécutif, vous écrivez « avoir de fortes raisons de douter que la GRC ait la capacité ou la volonté d’effectuer les changements nécessaires pour s’attaquer aux aspects toxiques de sa culture. » Cela me donne l'impression que vous avez fait preuve d'un excès d'optimisme lorsque vous avez rédigé ces recommandations. Qu'en dites-vous?
Je me suis trouvé dans une situation très difficile, parce qu'il y a encore beaucoup de gens dans l'administration qui sont favorables au statu quo et qui ne croient pas beaucoup à la nouvelle approche. Ils vont constituer une pierre d'achoppement. Il y en a par contre qui veulent des réformes, et c'est bien évidemment le cas des femmes. Si vous parvenez à canaliser toutes ces forces dans la même direction et à exercer un leadership énergique pendant quelques années, il sera possible de faire beaucoup de choses. Ce qui m'a conduit à une conclusion de ce genre, c'est que les réformes ont échoué 15 fois et qu'il est difficile de croire qu'elles vont fonctionner la 16e fois. Il est vrai que ce ne seront pas les mêmes dirigeants qui seront à la manoeuvre, et cela peut faire une grande différence.
Ne vaudrait-il pas mieux tout simplement démanteler la GRC et mettre en place une nouvelle structure? La ville de Surrey, proche de ma circonscription, laisse tomber la GRC, qui y hébergeait son plus important détachement au Canada. Elle met en place son propre corps de police. Pourquoi pas? Ne serait-ce pas une meilleure solution?
J'ignore si le résultat pourrait être meilleur, mais la ville aura bien évidemment un meilleur contrôle sur le maintien de l'ordre. Je crois que la GRC s'expose, si Surrey mène à bien son projet, à ce que deux, trois ou quatre municipalités, voire même plus, fassent la même chose ou qu'une province décide de se doter d'un corps de police provinciale. Cela créerait une crise réelle au sein de la GRC, qui devrait alors changer de modèle.
J'ai discuté avec l'agent de la GRC responsable de ma circonscription, celle de Langley. Il m'a dit qu'il y a environ un millier de nouveaux diplômés à sortir de Depot chaque année, et entre 750 et 850 départs en retraite. La croissance des effectifs sera insuffisante, et vous nous dîtes maintenant que nous devrions imposer, en sus de la formation actuelle, deux années d'université. Comment cela se passerait-il concrètement?
Tout d'abord, je crois que la situation a évolué. En moyenne, les candidats sont maintenant plus âgés et plus instruits. Je mettrai la barre assez haute parce que je pense que la police a changé et qu'il vous faut des gens capables d'apprendre les nouvelles techniques, de maîtriser Internet et toutes les technologies rendues possibles par les nouveaux développements scientifiques.
Je vous remercie de votre présence parmi nous, monsieur le juge Bastarache, et encore plus du travail essentiel que vous avez fait avec ce rapport.
Pour être honnête avec vous, tout comme mes collègues, j'ai trouvé la lecture de ce rapport très perturbante, poignante et épouvantable. Il met en relief une culture toxique au sein de la GRC, une culture qui tolère les comportements misogynes et homophobes chez ses dirigeants et chez ses membres. On a du mal à imaginer que cela se produit au sein d'une des grandes institutions du Canada.
Ce qui est encore plus choquant est que cela fait trois décennies que des rapports internes et externes ont été remis à la GRC et au gouvernement, et je trouve sincèrement qu'il est absolument honteux qu'aucun résultat significatif n'ait été obtenu.
La voie à suivre est pourtant claire. Il faut qu'il y ait une volonté politique de réagir. Je suis d'avis que tous les types de harcèlement doivent tout simplement cesser. À mes yeux, vous avez fourni au gouvernement le plan pour procéder à ce changement, et je sais que le ministre a également condamné cette situation.
Vous avez parlé d'instaurer un climat de confiance. Comment voulez-vous procéder pour y arriver, et qu'est-ce que les membres de ce comité, et peut-être le ministre, peuvent faire tout de suite, immédiatement, pour s'attaquer à ce problème?
Il faut que la commissaire établisse un véritable plan de réforme et qu'elle prenne quelques mesures draconiennes dès maintenant. Je veux dire par là qu'elle doit changer certaines structures ou certains dirigeants. Je pense qu'elle sait qui sont les dirigeants compétents et ceux qui ne le sont pas à tous les niveaux. Les gens s'attendent à des changements visibles et qui démontrent la volonté de prendre des décisions difficiles, d'aller de l'avant, et d'essayer de faire participer les gens aux changements. C'est ainsi que l'on rétablira la confiance. Maintenant, est-ce possible d'y arriver? Je sais qu'elle a, personnellement, remplacé pas mal de monde dans son entourage. Je suppose qu'elle s'est débarrassée de ceux qui visaient à maintenir le statu quo. Donc, ce sont les choses à faire. Il faut que les changements soient visibles, parce que sinon, si les changements ne semblent toucher que les politiques, personne à l'intérieur ne croira qu'il y aura de vrais changements.
Vous avez accordé passablement d'attention à la formation, surtout à la Division Dépôt. Bon nombre de personnes ont raconté qu'après leur embauche elles avaient été démolies et coulées dans un nouveau moule. Est-ce que ce procédé est au cœur du harcèlement systémique, de la culture toxique, ainsi que de l'usage de la force? Vous proposez des exigences sur le plan des études, un meilleur filtrage des médias sociaux et d'autres mesures. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet et sur la façon de procéder?
Les recruteurs qui choisissent les nouveaux candidats doivent être prêts à accepter que la force doit changer. Sinon, elles vont faire entrer des personnes qui leur ressemblent, des personnes qui se satisfont très bien de la manière actuelle de former les gens et de les recruter. Si on souhaite élaborer un plan de carrière pour tous les employés, cela signifie aussi qu'il faudra accorder beaucoup plus d'attention à la manière dont on dispense la formation et les promotions. La formation et les promotions se confondent pratiquement parce que la majorité des promotions découlent du fait que vous avez suivi tel et tel cours et que vous avez acquis les compétences requises pour occuper une nouvelle fonction. C'est pourquoi je ne pense pas qu'il soit logique de mettre en place un tel programme et de recruter ensuite des personnes qui n'ont qu'un diplôme d'études secondaires. Elles ne vont pas se développer assez rapidement.
Me Bastarache, vous disiez plus tôt que vous préfériez que la GRC accepte des personnes avec une formation universitaire plutôt que secondaire. La GRC elle-même dit que cela l'empêcherait d'embaucher des personnes de groupes cibles, telles que les femmes, les personnes autochtones, des personnes des minorités ethniques ou des personnes handicapées.
Que pensez-vous de cela?
Est-ce que cela empêcherait vraiment ces groupes d'accéder à la profession?
Si l'on est capable de le faire en Angleterre, en Suède et aux États-Unis, pourquoi ne peut-on pas le faire ici?
Je ne crois pas que cela soit une véritable réponse. Je crois que l'on se prive soi-même de gens capables de nous aider si l'on a des normes d'emploi qui sont trop faibles. Si ces gens arrivent et qu'ils ne sont pas capables de suivre des programmes de développement de façon satisfaisante, on a nui à la police plus qu'on l'a aidée. Je crois donc que non.
Par ailleurs, cela pourrait vouloir dire qu'il y aura deux catégories d'employés: les gens ordinaires qui ont de l'éducation dans l'une et, dans l'autre, les Autochtones qui n'en ont pas, les immigrants récents qui n'en ont pas. On crée ainsi un genre de ghetto à l'intérieur de la police. J'aurais très peur de cela.
La GRC dit qu'elle offre la possibilité à ses membres de poursuivre des études universitaires, néanmoins, on constate dans votre rapport que certaines femmes qui ont vécu des préjudices, justement, se faisaient refuser des promotions parce qu'on ne voulait pas leur offrir la formation nécessaire.
Pensez-vous qu'il y a un manque de cohérence entre ce que dit la GRC et ce qu'elle fait réellement?
Il est certain qu'il y a un manque de cohérence entre les politiques, les valeurs de la GRC et ce qui s'y passe. Cela veut dire qu'il y a une faiblesse sur le plan de la gestion et de la supervision. Ce sont deux choses sur lesquelles il faut que la commissaire porte son attention.
Monsieur le juge Bastarache, peut-être pourriez-vous répondre à ma question si je la pose rapidement. Est-ce que les membres civils de la GRC, plus particulièrement les femmes qui vivent toujours un traumatisme et qui continuent de travailler dans un milieu traumatisant, à leur avis, pourraient être mutées dans un service public général sans pénalité, comme cela s'est déjà fait dans le passé?
Je ne sais pas du tout, parce que j'ignore quelles seraient les répercussions sur leurs salaires ou sur leurs fonctions. Si elles sont mutées, il faut qu'il y ait des changements plus importants que simplement...
Je veux dire, est-ce qu'elles pourraient obtenir une mutation ou postuler pour un emploi dans la fonction publique sans subir de pénalité. Je pense que c'est la question que je voulais poser.
Nous devrions peut-être examiner cette possibilité. J'ai cru comprendre que cela avait été annulé, du moins pour le moment.
Monsieur le juge Bastarache, la GRC et la commissaire Lucki semblent avoir répondu dans une certaine mesure. Si vous consultez leur site Web, vous verrez qu'il est question du programme Vision150. La commissaire a déclaré que cela visait à répondre en partie aux problèmes de racisme et aux conclusions du procès. On y voit la liste complète de ce que la GRC entend faire, et on peut y suivre l'état d'avancement des initiatives qui sont, soit terminées, en cours ou en cours et sur la bonne voie. On semble dire que ces problèmes ont été corrigés.
La GRC a mis sur pied une équipe chargée d'une « analyse comparative entre les sexes plus » qui est terminée et selon laquelle:
Les comités consultatifs sur l'égalité des sexes et le harcèlement visent à conseiller la commissaire... sur des questions touchant l'égalité des sexes, l'orientation sexuelle, le harcèlement, l'équité et l'inclusion.
Cette initiative est terminée. On y apprend aussi que toute une série d'initiatives sont en cours ou sur la bonne voie. Les « valeurs fondamentales de la GRC » ont été revues et mises à jour, et tout cela a été fait au nom de la modernisation de la force de police.
Êtes-vous convaincu que ces initiatives ou que ce genre de démarches vont résoudre le problème? En avez-vous pris connaissance? Êtes-vous sceptique quand on vous dit que les problèmes sont en cours de règlement ou ont déjà été réglés?
Oui, j'ai appris l'existence de ces initiatives, mais sous la forme d'un programme, d'un objectif, et je trouve que c'est une très bonne chose parce que l'organisation reconnaît ainsi l'existence de problèmes et de certains moyens de les corriger.
La difficulté de l'organisation, à mon avis, c'est le manque de confiance. Les personnes qui seront touchées par ces changements doivent y croire, et y croire signifie faire confiance à la direction...
Le président: Merci...
L'hon. Michel Bastarache: [Inaudible]... un problème de leadership...
J'aimerais dire d'entrée de jeu à quel point je suis choquée du manque de soutien qui a été fourni aux victimes de ces crimes à toutes les étapes, de toutes les manières, et partout dans ce pays. Et ce qui me frappe, à bien des égards, c'est que dans votre rapport aussi vous mentionnez le manque de soutien qui a été fourni aux victimes de ces crimes dans de nombreux cas. Lorsque vous citez des cas de viol et d'agression, il n'est pas surprenant que la confiance soit minée après la publication de 15 rapports sur une période de plus de 30 ans qui faisaient état de ce genre de choses.
J'abonde dans votre sens lorsque vous dites dans le sommaire exécutif de votre rapport qu'il est grand temps que le gouvernement du Canada prenne des mesures significatives et radicales, et je ne suis pas surprise de votre conclusion à savoir que le changement ne viendra pas de l'intérieur.
J'espère que ma question est raisonnable. Pourriez-vous nous dire si vous avez reçu une réponse en privé ou une réponse quelconque vous rassurant quant à la prise de mesures concrètes et réelles en vue d'un changement de la part de la personne qui est véritablement responsable devant chacun d'entre nous, je veux nommer le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile?
J'ai parlé à la commissaire, et c'était la première fois que j'en avais l'occasion. Je ne la connaissais pas du tout. Et je n'en avais pas entendu parler non plus. Mais j'ai été impressionné par le fait qu'elle reconnaissait le problème. Elle a reconnu le manque de leadership dans le passé, et m'a assuré de sa volonté de s'attaquer à tous les problèmes. Elle a ajouté qu'elle s'efforçait d'obtenir plus de soutien à son endroit de la part de l'administration centrale, et même dans la supervision des différents districts — les grands districts, comme les provinces. En ce sens, j'ai senti une meilleure compréhension, au sein de la GRC, de ce qu'il faut faire.
Je suis heureuse de vous l'entendre dire, et je ne peux certainement pas parler pour toutes ces personnes qui devront s'en charger. Je soupçonne qu'au cours de sa longue carrière au sein de la GRC, elle a pu faire l'expérience elle-même de certains de ces problèmes. Donc, je suis heureuse d'entendre vos commentaires, mais ma question portait en réalité sur la reddition de comptes et sur la personne qui a le pouvoir de décision finale et d'ordonner des changements au bout de 30 ans. Encore une fois, pourriez-vous nous dire si le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a répondu, soit en privé ou en public, ou encore si vous avez l'impression qu'il a un plan concret quelconque pour apporter des changements? Je sais qu'il a lui aussi condamné la situation. Je suis sûre que tout le monde ressent la même chose que nous, autour de la table, mais quelle est sa responsabilité dans la correction de ce problème?
Je n'ai rien entendu de sa part, sauf pour l'entrevue que vous avez mentionnée, quelques minutes à la télévision, au cours desquelles il a déclaré reconnaître l'extrême gravité du problème et l'urgence de s'en occuper. Il a ajouté qu'il avait confiance dans la présente administration de la GRC pour reprendre le contrôle de la situation et corriger le problème. C'est sa position. Si c'est le cas, il doit s'asseoir avec la commissaire pour déterminer si elle a à sa disposition les outils nécessaires. Elle aura besoin d'un budget, et aussi d'une forme de soutien politique si elle veut apporter des changements importants dans la structure ou dans l'administration. Il doit lui apporter son soutien s'il affirme que c'est elle qui est responsable de la mise en œuvre de tous les changements requis.
Merci beaucoup de cette réponse. Je dois dire que jusqu'ici il s'est montré étonnamment passif dans ses commentaires. Mais je vous remercie d'indiquer au moins la feuille de route de quelques mesures concrètes qu'il devrait prendre à court terme.
Monsieur le président, j'invoque le Règlement. Je suppose qu'à un moment donné nous allons commencer une deuxième heure. Mais, nous ne l'avons pas encore fait, n'est-ce pas?
Permettez-moi de dire que vous êtes un peu en avance, avec votre rappel au Règlement. Terminons l'heure avec M. Iacono. Ensuite, je ferai à notre comité une proposition qui devrait vous plaire, monsieur Harris.
Monsieur Iacono, nous allons remettre l'horloge à zéro. Vous avez cinq minutes, je vous en prie.
Merci, monsieur le président, de me donner cette occasion.
Je vous remercie, maître Bastarache, de votre présence aujourd'hui pour répondre à nos questions sur votre rapport concernant la culture toxique au sein de la Gendarmerie royale du Canada.
Le modèle du fromage suisse a été créé il y a plus de 20 ans par le professeur James Reason et repris par le virologiste Ian Mackay pour vaincre la pandémie. En bref, cette théorie veut qu'un seul type d'intervention ne soit pas suffisant, car chaque mesure individuelle comporte des trous; c'est pourquoi on a besoin de plusieurs tranches de fromage, ou d'interventions, pour rendre le fromage plus étanche. Plus il y a de couches de mesures, plus il y a de protection et moins il y a de cas qui tombent dans les trous.
En fonction de ce modèle, pourriez-vous nommer vos cinq à dix principales recommandations qui pourraient, malgré les trous de chaque mesure, être complémentaires pour créer une meilleure étanchéité?
Vous pouvez toujours nous les proposer plus tard si vous avez besoin d'un temps de réflexion.
Oui. Je cherchais justement la liste des recommandations. Vous me demandez lesquelles sont les plus importantes.
Je crois que la recommandation la plus importante est de recruter les bonnes personnes et d'avoir un bon programme de formation. Cela veut dire une réforme à l'intérieur de la division Dépôt et l'établissement d'un plan de carrière pour chaque personne. C'est fondamental.
Pour qu'on fasse confiance à l'administration, il faut absolument imposer des sanctions aux gens qui ne satisfont pas aux normes ou qui font du harcèlement. Il faut aussi sanctionner les gestionnaires qui ont un rôle de supervision et qui ferment les yeux ou ignorent simplement ce qui se passe, prétextant que ce n'est pas si grave. C'est l'autre chose absolument fondamentale.
Je crois aussi qu'il faut réorganiser la force policière pour la spécialiser. Personnellement, je ne crois pas que cela ait beaucoup de bon sens de former tous les gens qui sont supposés faire de la police routière, de la police générale et ensuite les sortir de là et les mettre dans des postes spécialisés d'un coup sec. Pendant qu'ils font de la police routière, ils ne sont pas en train d'étudier ou d'être formés pour faire autre chose. Je crois que les choses sont mal organisées sur ce plan.
En revanche, je crois aussi qu'il est important que la police ait des secteurs spécialisés. Par exemple, il faut avoir un corps policier fédéral qui s'occupe des lois fédérales et qui est équipé pour réussir dans ce domaine. Si on veut faire de la police provinciale, bien que l'on fasse de la police provinciale, à condition de choisir des candidats qui veulent faire de la police provinciale au lieu de dire que tout le monde va faire cela. Par défaut, on va créer une unité avec une femme qui mesure cinq pieds deux pouces et un homme de six pieds deux pouces parce que ce sont tous des officiers et qu'ils doivent être capables de faire les mêmes choses.
Êtes-vous d'accord alors que, dans le cadre d'une restructuration de la direction et de l'organisation de la GRC, il pourrait être viable et envisageable que la gestion soit faite par un conseil d'administration composé autant de membres de la GRC que de membres des domaines juridique, social et communautaire plutôt que par un seul et unique commissaire?
Je crois qu'on a besoin d'un commissaire qui est responsable, mais cela ne veut pas dire qu'on n'a pas besoin d'un conseil d'administration.
Le conseil d'administration a été réformé cette année par la commissaire. Je crois qu'il y a maintenant 7 femmes sur 15 personnes dans le comité de gestion et je sais aussi qu'il y a des membres des minorités visibles. Des changements sont apportés sur ce plan.
Maintenant, quel est le rôle d'un conseil d'administration? Il y a plusieurs façons d'envisager cela. Je ne sais pas quel serait le meilleur modèle pour la GRC, parce que je ne suis pas un spécialiste de la police, mais je sais que l’on continue de dire qu'il faut, au départ, défaire [inaudible]. C'est un modèle du XVIIIe siècle.
Mesdames et messieurs, voilà qui met fin à deux séries de questions.
Le témoin reste avec nous encore 40 ou 45 minutes, en supposant qu'il puisse survivre aux questions que vous allez lui poser au cours des prochaines 40 ou 45 minutes.
J'aimerais tout d'abord vous demander, monsieur le juge Bastarache, si vous pensez avoir besoin d'une pause. Si la réponse est non, nous allons tout simplement poursuivre nos travaux. Et si la réponse est oui, nous allons suspendre la séance pendant une minute ou deux. Souhaitez-vous faire une pause?
Mesdames et messieurs, je propose de continuer avec des séries de questions de cinq minutes, et s'il reste du temps, nous entreprendrons une quatrième série de questions, et à ce moment-là, nous déciderons si ce seront des questions de deux minutes ou de trois minutes, et tout ceci devrait nous mener à 18 h 10.
J'allais suggérer — et je voulais le faire dans le cadre d'un rappel au Règlement — d'adopter le même système que l'autre soir avec le comité des affaires étrangères lorsque le ministre nous a accordé deux heures. Pendant la première heure, nous avons tenu la première série habituelle de questions, puis la deuxième série de questions de deux minutes et demie au milieu. Au deuxième tour, nous avons recommencé depuis le début, comme si la réunion commençait. Étant donné que nous tenons une réunion double avec un seul témoin, en l'occurrence le juge Bastarache, je suggère de suivre la même procédure et de tenir une deuxième série de questions d'ouverture pendant six minutes ou cinq minutes en accordant le même temps de parole aux quatre partis.
Oui, je comprends. Mais ce n'est pas un précédent dans notre comité de la sécurité publique. Lorsque nous avons reconstitué le Comité, au début de la présente session, nous avons envisagé que la troisième série de questions seraient de cinq minutes, cinq minutes, deux minutes et demie et deux minutes et demie. C'est ce que je propose. J'ai bon espoir que nous parviendrons à poser quelques questions de plus en procédant ainsi.
Cela étant dit, monsieur Kurek, vous avez cinq minutes. Je vous en prie.
Monsieur le juge, merci beaucoup de vos efforts dans la production de ce rapport. La lecture du rapport lui-même est bouleversante, et je peux facilement imaginer que le processus de compilation de ces renseignements n'a pas dû être facile non plus. C'est pourquoi je vous remercie de votre travail.
Pour m'assurer que ces renseignements seront consignés au compte rendu, je tiens à remercier toutes les agentes de la GRC et toutes les policières qui travaillent avec diligence et qui ont relevé des défis immenses. Je les remercie pour les services qu'elles rendent dans leur collectivité et dans notre pays — car c'est à mon avis quelque chose que l'on doit souligner — ainsi que pour leur bravoure, et ce, dans le contexte d'un rapport comme celui-ci. Je voulais m'assurer que ce serait au compte rendu.
Je représente une circonscription en grande partie rurale de l'Alberta où la GRC est le corps policier contractuel. Et j'ai appris que des situations comparables se produisent dans les régions rurales et éloignées un peu partout au pays.
Les services de police affrontent des difficultés importantes et je sais que ces petits détachements connaissent un taux de roulement élevé. Je me demandais si vous pourriez nous fournir un peu de contexte relativement aux difficultés particulières qu'éprouvent les femmes qui travaillent dans les services de police dans les régions rurales et éloignées de notre pays.
Une situation ayant causé de nombreux problèmes entre autres est le fait que l'on a envoyé de nouvelles recrues, de jeunes recrues dans des régions très éloignées de leur foyer et de tout endroit où elles avaient d'étroites relations sociales. On les envoie dans des régions inconnues. On les envoie dans des endroits où elles sont complètement isolées. Si c'est dans le Nord et s'il s'agit d'un petit poste de police, elles peuvent éprouver de nombreuses difficultés, et n'avoir personne à qui en parler. Cela crée de gros problèmes.
L'autre chose, bien entendu, est le fait que bon nombre de ces femmes ont des enfants. Le système n'a pas fait grand-chose pour répondre aux besoins de ces femmes. Il a beaucoup été question du fait que les femmes en congé de maternité ne sont pas remplacées. Cela crée des problèmes avec les collègues masculins qui voient leur tâche s'alourdir pour compenser le départ des femmes. Mais il y a d'autres genres de problèmes, par exemple, lorsque les deux conjoints sont dans la GRC, et qu'on ne les affecte pas au même endroit. Ou alors, lorsqu'on les affecte au même endroit, mais qu'il n'y a pas de services de garde pour les enfants.
Tous les aspects sociaux jouent un rôle très important si on veut que les femmes qui travaillent dans les services de police soient satisfaites de leurs conditions de travail. Il ne s'agit pas seulement d'éliminer le harcèlement, il faut aussi tenir compte du fait que, d'après moi, ce doit être très difficile pour une femme de travailler dans la police et d'élever de jeunes enfants. Si vous l'éloignez de son cercle de soutien social, si vous ne l'affectez pas au même endroit que son mari pendant des mois d'affilée, il me semble que vous ne gérez pas la situation correctement.
Toutes mes excuses, monsieur le président. Je viens de perdre ma connexion Internet. Il me manque probablement les 60 dernières secondes du témoignage. On dirait que mon ordinateur vient de redémarrer.
Je disais qu'il est très important de répondre aux besoins des femmes qui travaillent dans la GRC, parce qu'elles éprouvent des problèmes qui leur sont particuliers lorsqu'elles décident de fonder une famille. L'un des problèmes qui n'a pas été réglé encore, je pense, est le fait que l'organisation ne remplace pas les femmes qui partent en congé de maternité. Cette situation entraîne un surcroît de travail pour leurs collègues masculins. Ils en sont contrariés et nourrissent du ressentiment envers ces femmes plutôt qu'envers la GRC.
L'autre problème, bien sûr, tient au fait que les agents changent très souvent d'affectation. Cela crée des situations très compliquées pour ceux qui ont de jeunes enfants.
Je vous remercie, monsieur le juge Bastarache de votre présence ici aujourd'hui pour répondre à nos questions. Je tiens à vous remercier aussi pour le travail incroyablement important que vous continuez de faire et que vous avez accompli dans le cadre de ce rapport.
[Français]
Plus tôt, vous avez dit que recruter de bonnes personnes est une des meilleures recommandations que vous avez faites. Vous avez aussi dit qu'il y a de bonnes personnes ayant de bonnes valeurs dans la GRC qui sont forcées de changer pour faire avancer leur carrière. Certaines bonnes personnes sont forcées de changer à cause de certaines autres qui occupent un rôle de leadership.
[Traduction]
Comme nous le savons, dans toutes les institutions ou les organisations, la culture est créée au sommet, par les dirigeants. Si les dirigeants avaient eu une tolérance zéro pour ce genre de comportements et d'attitudes, alors les conséquences auraient été beaucoup plus graves pour leurs auteurs, et ils se seraient produits moins souvent.
Auriez-vous des recommandations à formuler par rapport à ce que je viens de dire — si ce sont les dirigeants qui doivent réellement changer?
Ma prochaine question porte sur la formation, mais nous y reviendrons.
Je pense qu'il faut préparer les gens à l'exercice d'un rôle de leadership. Il faut leur enseigner comment gérer du personnel, comment établir des priorités et comment agir avec équité envers les personnes qui souhaitent obtenir la même promotion ou suivre la même formation.
Rien n'indique, dans ce système, que l'on prépare les employés à occuper des postes de gestion. Si nous les préparons, ils fonctionneront mieux. Si on met en poste des individus qui ne possèdent pas les qualités requises, je pense que l'expérience montre qu'ils deviennent des intimidateurs parce qu'ils souhaitent établir leur pouvoir. Ils veulent préserver leur pouvoir sur différents types de personnes. Ils ignorent comment gérer, et c'est ainsi qu'ils deviennent brutaux et prennent des décisions sans fondement.
Si vous avez une personne comme celle-ci au sein d'une organisation, c'est un problème. Mais si vous avez une centaine de personnes de ce genre, la situation est très différente, parce qu'alors c'est toute l'organisation qui est menacée.
Je pense que c'est ce qui s'est produit à la GRC. Trop de personnes se sont vu confier des postes de décision sans posséder les qualités requises, et elles ont abusé de leur autorité. Mais bien entendu, il y a des remèdes à cette situation.
C'est pourquoi vous avez indiqué que le recrutement est un moyen très puissant de changer la donne.
Vous avez formulé deux ou trois recommandations concernant la forme que devrait prendre le recrutement et les compétences que les recrues devraient posséder, notamment quelques années de formation universitaire. Quels autres types de compétences les recruteurs devraient-ils rechercher?
Je pense que l'on devrait instaurer des tests psychologiques afin d'éviter de recruter des personnes susceptibles de se montrer violentes, qui éprouvent de la difficulté à travailler avec les femmes ou qui n'ont aucun respect pour les personnes avec lesquelles elles travaillent, que ce soit des hommes ou des femmes.
L'image que l'on donne d'un policier devrait être différente de celle qu'elle était dans le passé. Et je ne pense pas que ce soit le cas en ce moment. Je crois que les gens sont conscients du fait que l'on doit adopter une perspective différente lorsque l'on recrute des employés et qu'on les met dans un continuum de formation qui leur permettra d'obtenir des promotions et les rendra aptes à exercer des rôles de leadership.
Concernant la formation — j'ai dit tout à l'heure que je vous poserais une question à ce sujet — vous avez dit que l'on essaie de briser les cadets en vue de les fondre dans le moule de la GRC et de leur inspirer un esprit de corps, mais que les femmes sont souvent exclues. Comment pourrait-on créer un environnement plus inclusif pour plus de femmes?
En fin de compte, je suis fermement convaincue que l'on change vraiment la culture lorsque l'on invite plus de femmes. Par ailleurs, les femmes ne sont pas bien traitées une fois qu'elles ont joint les rangs, aussi je ne voudrais pas qu'on leur fasse subir ce genre de traitement.
Cependant, ajouter plus de femmes dans l'effectif pourrait contribuer à changer les choses. Comment pourrions-nous rendre ce milieu plus sûr pour les femmes, et comment pourrions-nous faire en sorte que plus de femmes veuillent...
Malheureusement, Mme Lambropoulos a largement dépassé le temps qui lui était imparti. Vous allez voir que le président est très à cheval sur ce genre de choses.
Si vous pouviez répondre très brièvement, monsieur le juge Bastarache.
La solution consiste à abandonner ce modèle dans lequel on brise les gens pour ensuite essayer de les reconstruire. Je pense qu'il faut évaluer les qualités des gens, déterminer où et comment ils devraient être formés, établir un plan de carrière avec un échéancier et une liste de cours à suivre et leur offrir des possibilités de promotions dans l'avenir. En procédant ainsi, on crée un continuum selon lequel, si un employé quitte, il y a quelqu'un d'autre prêt à prendre la relève.
Maître Bastarache, je vous entendais parler des congés de maternité et des jeunes enfants qui, pour les femmes au sein de la GRC, peuvent être perçus comme un problème. Cela me dépasse complètement. Il va falloir que la GRC arrive en 2020 et change ses façons de faire à un moment donné. Même en politique, où c'est un milieu composé majoritairement d'hommes, les choses ont changé: les élus ont accès à des garderies et un certain congé de maternité est offert. En fait, je pense que c'était plus un commentaire qu'une question.
Pour ma question, je vais poursuivre sur l'analogie avec le fromage que faisait M. Iacono plus tôt. Vous parliez des recommandations prioritaires dans votre rapport. Vous avez mentionné qu'il faudrait sanctionner les gens qui abusent de leurs pouvoirs et qui commettent des préjudices aux femmes.
Quels genres de sanctions pourraient être mises en place pour ces personnes-là?
Par exemple, il y a des gens que l'on met en congé pour deux ou trois mois, avec salaire. Ils devraient être sans salaire. Je pense que, en cas d'abus répétés, il doit y avoir des congédiements plutôt que des transferts.
De plus, si une personne abuse de son pouvoir sur des femmes, surtout en commettant des agressions physiques, cette personne ne devrait plus avoir le droit de superviser des femmes, plus du tout. On devrait la placer là où elle ne peut plus exercer aucune autorité sur des femmes. Je sanctionnerais aussi les superviseurs qui laissent les choses durer et qui ferment les yeux.
Souvent, on dit que les gestionnaires laissent aller les choses parce qu'ils ne veulent pas de problèmes dans le district ou dans l'organisation sous leur direction. S'il y a des problèmes là et que des gens se plaignent, ils seront vus comme de mauvais gestionnaires et cela nuira à leur propre promotion. Il y a bien des échelons à gravir au sein de la GRC.
Monsieur le juge Bastarache, les femmes appartenant au mouvement syndical ont accompli d'importants progrès au fil des années pour la cause de l'égalité entre les sexes et pour les programmes visant à faire cesser le harcèlement en milieu de travail. Nous savons que la GRC est syndiquée et qu'elle a un processus de négociation collective. Janet Merlo a récemment déclaré publiquement que les femmes qui travaillent dans la GRC devraient être plus actives au sein du syndicat et travailler avec lui pour obtenir des changements visant à empêcher ce genre de harcèlement de continuer. Faites-vous confiance à cette approche? On pourrait aussi dire, pourquoi leur reviendrait-il de régler le problème? Ne serait-ce pas être un changement que l'on devrait pouvoir obtenir par des sources externes?
L'une des choses qui laisse songeur quant à l'efficacité de cette suggestion tient au fait qu'il est aussi question de femmes qui travaillaient avec la GRC, mais à titre de fonctionnaires syndiquées. J'ai demandé à chacune des femmes que j'ai rencontrées si leur syndicat s'était occupé de leur problème? Si leur syndicat les avait protégées, s'il avait fait quelque chose pour elles? Et elles ont toutes répondu non. J'ignore s'il s'agit d'un problème avec ce syndicat en particulier, mais une chose est sûre, c'est que les femmes que j'ai rencontrées n'avaient aucune confiance dans leur propre syndicat — pas de manière générale, mais en ce qui concerne la protection contre le harcèlement sexuel.
Vous avez parlé de la formation et de ce qui se passe à la Division Dépôt: la militarisation, la structure paramilitaire, la difficulté de passer d'un grade à un autre, l'obligation de respecter la chaîne de commandement. Quelle influence cela a-t-il sur la capacité de ce système et de cette culture de demeurer envahissante, et est-ce que l'on ne devrait pas faire quelque chose à ce sujet?
Les différents éléments de la militarisation de la GRC sont, à mon avis, difficiles à décrire à quelqu'un de l'extérieur, parce qu'on ne sait pas exactement ce qui provient de là ou d'ailleurs. On m'a confié quelque chose que j'ai trouvé significatif. Il paraît qu'ils ont coutume de dire, « Vous savez qu'il y a la loi, la justice, mais il y a aussi notre façon de voir les choses, et notre façon de faire les choses ». On ne cesse de répéter à la Division Dépôt... À une certaine époque, j'ignore combien de temps cela a duré, ou comment les choses se passent aujourd'hui, mais je sais qu'on leur disait, « Non, non, oubliez ce que vous pensez que la loi exige; pensez plutôt à ce que la GRC exige ».
Le président: Merci...
L'hon. Michel Bastarache: [Inaudible] la ligne qui est là.
Monsieur le juge Bastarache, j’aimerais vous poser deux ou trois questions au sujet des congés de maternité et des directives les concernant. J’ai été très scandalisé d’apprendre que dans une grande organisation comme la GRC, le service des ressources humaines ait fait preuve d’un aussi grand manque de professionnalisme.
Maintenant, est-ce qu’une partie du problème tient au fait qu’il s’agissait d’un service des RH formé de civils? Est-ce qu’il aurait été préférable que le service en question soit intégré à la GRC? Qu’en pensez-vous?
On m’a confié que beaucoup d’employés qui y travaillent n’ont pas reçu de formation professionnelle dans le domaine. C’est l’un des problèmes.
L’autre problème tient au fait qu’il semble que ces employés fassent l’objet de pressions de la part de divers membres de la direction. Il semble aussi que beaucoup de décisions soient prises sous la pression, et qu’elles ne soient pas toujours dans l’intérêt de la force ou de la personne qui subit cette pression.
Si j’ai bien compris les commentaires de votre rapport, des femmes pouvaient demeurer au travail plus longtemps que c’est normalement le cas pour une femme enceinte, et se retrouver ainsi dans des situations dangereuses. Et il semble qu’elles revenaient au travail trop tôt après leur accouchement, tout cela parce qu’elles s’inquiétaient au sujet de leur sécurité d’emploi. Je me demande si ces instructions étaient données au service des RH par la direction. Il me semble que le rôle du service des RH serait de servir de tampon et de se mettre à la défense des droits des femmes.
Oui. C’est ainsi que les choses devraient normalement se passer. Certaines femmes pensent qu’elles peuvent aller consulter le service des RH pour expliquer leur position et obtenir de bonnes recommandations ou pour être entendues avant qu’une décision soit prise. Mais beaucoup d’autres affirment que c’est faux, que cela ne reflète pas la réalité. Elles sont convaincues que le service des RH est au service de l’administration, c’est-à-dire des responsables de la province ou du district, et qu’il ne sert qu’à remplir les formulaires et à exécuter les instructions.
J’ignore comment les choses se passent aujourd’hui. En revanche, ce que je sais avec certitude, c’est qu’à un moment donné, il y avait un problème. Maintenant, peut-être que ce problème existe encore aujourd’hui, même si c’est à un degré moindre, mais la solution, bien entendu, c’est de mettre en place un service des RH indépendant et très professionnel. Il n’y a aucune raison pour qu’un tel service ne puisse être mis en place dès maintenant.
J’aimerais poser une question sur la possibilité d’entreprendre une action positive au sein de la force de police. D’un côté, vous dites que les femmes, les membres de la communauté LGBTQ et les personnes racialisées devraient être encouragés à joindre les rangs de la GRC à l’étape du recrutement, mais au chapitre des promotions, vous dites que les décisions à cet égard devraient être prises à l’aveuglette. Je peux comprendre que l’intention, dans ce cas, serait d’aider les femmes à obtenir de l’avancement, mais l’inverse pourrait aussi être vrai, si on ferme la porte ainsi à des programmes d’action positive éventuels.
Eh bien, je ne suis pas particulièrement favorable à ce genre de programmes. Ce que l’on devrait mettre en place, à mon avis, c’est l’égalité des chances. Si le recrutement se déroule bien, si l’effectif compte un nombre suffisant de femmes, et si on met en place un bon plan de perfectionnement, il ne sera pas nécessaire de recourir à l’action positive. Les femmes vont donner un aussi bon rendement que les hommes, et elles obtiendront des promotions, si elles sont plus compétentes. Je ne suis pas inquiet à ce sujet.
Il semble que nous ayons beaucoup parlé de formation et de recrutement, mais le rapport a présenté 53 recommandations. Elles portent sur un éventail d’éléments. Lorsque la commissaire Lucki a comparu, la semaine dernière, devant le Comité, je lui ai posé des questions au sujet de votre rapport. Voici ce qu’elle a dit:
... je ne parle pas d’un examen interne, mais bien d’actions internes visant à changer la culture, la gouvernance, l’intendance et la manière dont nous traitons ces questions à l’interne.
Il y a quelques années, lorsque l’ancien commissaire Paulson a comparu devant notre comité, mon collègue Nathaniel Erskine-Smith l’a interrogé au sujet des 37 mesures figurant dans le rapport que vous avez mentionné, le rapport de 2012, et il a répondu que les 37 mesures avaient été mises en place. La question que j’aimerais vous poser est celle-ci: pensez-vous réellement que la GRC possède la capacité d’effectuer ces changements à l’interne, ou faudra-t-il instituer un mécanisme de surveillance externe indépendant et un mécanisme de rapports sur les mesures soi-disant mises en place afin d’assurer qu’elles ont bien été prises? Ce ne sera pas facile, mais c’est une situation qui perdure. Pensez-vous que la solution peut venir de l’intérieur de la GRC, ou faudra-t-il mettre en place des mesures externes quelconques?
Si le gouvernement a confiance dans la commissaire, ce qui semble être le cas, eh bien, il devrait lui offrir son appui. Il devrait s’asseoir avec elle, lui demander quel est son plan et déterminer si elle dispose du financement suffisant pour qu’il fonctionne, et l’aider si elle doit apporter des changements structurels, et d’autres changements du même ordre. Rien ne va changer si elle est laissée à elle-même avec son projet. Il faut qu’elle gagne la confiance de son entourage et qu’elle puisse compter sur des hommes et des femmes déjà présents pour qu’ils mettent en place tous ces changements qu’elle préconise. On peut changer les choses lorsque l’on peux compter sur les bonnes personnes et que l’on a les moyens d’agir. Le problème, dans le passé, c’est que l’on n’avait que des idées. On a fait des promesses au sujet de ce qui devrait être fait, mais les responsables de l’époque ne semblaient pas avoir de plan pour les mettre en œuvre. Ou alors, s’ils avaient un plan, ce fut un échec, parce que des années plus tard, il y a encore des femmes qui se lèvent debout pour dire « nous faisons toujours l’objet de discrimination ».
Le commissaire Paulson nous avait dit qu’il avait un plan, et de toute évidence, il n’a pas fonctionné. Comme nous venons à peine d’achever une étude sur le racisme systémique, nous savons que la reddition de comptes était déficiente à la GRC. Sur ce, nous connaissons l’existence de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes contre la GRC et aussi du Conseil consultatif de gestion de la GRC. La majorité des services de police ont mis en place un certain type de surveillance de ce qui se passe. Vous semblez dire que la commissaire pourrait y arriver avec l’aide du gouvernement. Est-ce bien ce que vous dites?
Ce que je dis, c’est que la seule possibilité pour elle de réussir avec son plan, c’est de pouvoir compter sur un soutien de ce genre. Si le gouvernement décide que c’est la responsabilité de la commissaire d’apporter les changements, il faut qu’il s’implique et qu’il la soutienne. S’il veut réellement que les choses changent, et mettre en place un comité de supervision doté de pouvoirs réels, les choses seront très différentes pour elle. Le gouvernement doit prendre une décision et agir en conséquence.
Il ne me reste que 45 secondes. Vous avez mentionné la possibilité de tenir dans le futur un examen de la GRC en tant qu’organisation policière. Et les plaignantes ont elles aussi fait savoir que le moment était venu de remplacer le mandat de la GRC par quelque chose de plus restreint. Je me demandais si vous pourriez nous parler — vous avez effleuré le sujet — des services de police contractuels et des autres responsabilités que devrait assumer la GRC à titre de police fédérale.
Les services de police fédérale sont à mes yeux, des services spécialisés. Il faut dans leurs rangs des personnes plus instruites et mieux formées. Il faut aussi que ces personnes ne soient pas toujours en train de déménager et de changer de rôle. Elles devraient perfectionner leur expertise dans un domaine, et tabler là-dessus. Il faut aussi que les membres de la police fédérale fassent preuve de leadership. Il faudrait également prévoir la relève éventuelle. Selon moi, ces services sont très différents de ceux des services de police généraux.
Si on veut que la GRC offre des services de police généraux, il me semble que l’on ne devrait pas faire appel aux mêmes personnes, ayant reçu la même formation, pour leur demander ensuite d’assurer des services de police fédérale, provinciale et municipale efficaces. Il y a des gens qui aiment ça et qui veulent offrir ce genre de services policiers. Très bien, dans ce cas, engagez-les, formez-les et confiez-leur la tâche. Mais arrêtez de les promener et de leur confier d’autres fonctions comme la lutte à la cybercriminalité et d’autres activités semblables.
C’est ce que je voulais dire par là. Quelques femmes ont recommandé de scinder la GRC et de créer trois forces de police différentes. Mais il n’est pas nécessaire de faire ça si vous spécialisez les employés et leur confiez des mandats distincts au sein de la GRC.
Mesdames et messieurs, il nous reste un peu plus de 10 minutes. Je propose de poser une question moi-même, puis de passer à une série de questions éclair de deux minutes à commencer par Mme Stubbs. Ensuite, nous passons aux libéraux, s’ils veulent bien indiquer au greffier qui sera leur porte-parole; ensuite, nous passerons à Mme Michaud et puis, à M. Harris.
Monsieur le juge Bastarache, vous connaissez bien la loi, et vous jouissez d’une solide réputation en matière d’érudition. Les services de police reposent essentiellement sur un contrat social entre les citoyens et les représentants de la loi. Il est troublant d’entendre des choses comme, « il y a la loi, il y a la justice, mais il y a aussi notre façon de voir les choses ».
La GRC garde le silence sur littéralement des centaines d’infractions au Code criminel commises par des membres de son effectif, mais qui n’ont pas été poursuivis pour des infractions criminelles. Avez-vous réfléchi à cette situation et au fait que cela revient à rompre, au sens large, le contrat social établi entre les citoyens canadiens et la police?
Cette situation me préoccupe au plus haut point, parce que je trouve qu’elle entre en contradiction flagrante avec leur rôle et leur fonction. Ces policiers devraient administrer la loi, appliquer la loi, et non essayer d’inventer une série de règles parallèles qui servent leurs propres intérêts. Le fait de ne pas intenter de poursuites contre les auteurs d’infractions criminelles graves et réelles détruit non seulement le contrat social, mais aussi l’obligation morale.
À mes yeux, un bon policier doit avoir une boussole morale. Il doit avoir connaissance des valeurs fondamentales. Je pense que cela devrait leur être inculqué à la Division Dépôt, et aussi pendant toute leur affectation. Mais on m’a confié que c’est plutôt le contraire qui se produit. Les recrues arrivent à la GRC avec leur boussole morale, résultat de leur éducation à la maison ou à l’école. C’est alors qu’on leur dit de ne pas prendre cela trop au sérieux. On leur apprend en effet que la GRC a ses propres méthodes pour lutter contre la criminalité et qu’elle a sa propre définition de la justice.
Nous sommes vous et moi des fonctionnaires judiciaires. Nous avons juré de faire respecter la primauté du droit. Et nous apprenons que le principal organisme d’application de la loi au pays porte régulièrement atteinte à la primauté du droit. C’est plutôt difficile, pour ceux qui souhaitent respecter la primauté du droit, ou pour nous-mêmes d’encourager les autres à respecter la primauté du droit, de tolérer une atteinte aussi flagrante à la primauté du droit.
Non, en effet. Je pense que nous n’avons pas la police que nous méritons d’avoir, si c’est leur façon de voir les choses. Parce que ce n’est pas seulement leur façon d’agir, mais c’est aussi leur façon de penser et la manière dont ils abordent les choses qui a fait [Inaudible]. Comme je l'ai déjà dit, ce qui me trouble, c'est de savoir que ces choses se sont réellement produites. Je sais que ces paroles ont été dites, parce qu'elles m'ont été répétées par des centaines de femmes.
J’ignore dans quelle mesure les choses ont changé et si ce genre de choses continue de se produire encore aujourd’hui. Le problème que j’ai, c’est que lorsque j’ai rencontré et interrogé ces femmes, certaines n’avaient été recrutées que depuis quelques années, et étaient toujours à l’emploi de la GRC, tandis que d’autres avaient pris leur retraite il y a 15 ou 20 ans. On vous transmet des messages, mais ils ne sont pas nécessairement ancrés dans le temps, dans une sorte de continuum, pour vous permettre de savoir exactement où en sont les choses aujourd’hui. Mais c’est le genre de choses que la commissaire devrait pouvoir faire.
Finalement, vous avez, dans l'ensemble des preuves, qui n'est pas public, les noms des agresseurs en série, si on veut. Au cours de notre étude, nous avons entendu parler de policiers faisant un usage abusif de leur insigne. Ces policiers montraient leur insigne et déclaraient qu'ils faisaient la loi, malheureusement pour vous, et que les choses allaient se passer à leur manière. Avez-vous pu établir une corrélation entre les personnes dont vous connaissez l'existence, les preuves d'abus et leur conduite à l'extérieur envers les citoyens?
Dans le cas des agresseurs à répétition, les victimes membres de la police m'ont souvent dit que ces hommes agissaient aussi de manière abusive envers les femmes qu'ils arrêtaient ou qui faisaient l'objet d'une fouille à domicile, et autres choses de ce genre. Mais comme vous venez de le dire, ce ne sont que d'autres circonstances dans lesquelles ils ne respectent pas la loi, parce que ce sont eux qui font la loi. Cette situation est, bien entendu, un problème. Leur comportement rappelle certains personnages de policiers que l'on voit à la télé et qui donnent une certaine image de la façon de faire respecter la loi.
Monsieur le juge Bastarache, dans votre rapport vous avez aussi mentionné des médecins ayant commis divers genres d'agressions envers des patientes et que l'on autorisait à continuer d'exercer. Savez-vous si ces médecins exercent toujours la médecine aujourd'hui? Est-ce que vos constatations à ce sujet ont été signalées en vue de la tenue d'une enquête criminelle ou à un ordre professionnel en vue de la révocation de leur permis d'exercice?
Il y avait deux médecins, un à Toronto et l'autre à Halifax. Dans le cas de Halifax, il a été signalé à la police provinciale ou municipale. Et il y a eu enquête. La plainte s'est rendue à la société médicale. Mais elle est restée lettre morte. Les responsables ont déclaré essentiellement que ce qu'ils étaient autorisés à faire ou non n'était pas très clair. Quelque chose de ce genre. La raison pour laquelle ces victimes ne sont pas visées par mon étude, c'est parce que pour être admissibles, elles devaient être à l'emploi de la GRC. Dans cet exemple, elles postulaient pour obtenir un emploi à la GRC. Je l'ai mentionné dans le rapport afin que le gouvernement indemnise ces femmes au même titre que toutes les autres. Et je l'ai fait même si ces médecins ont été déplacés depuis trois ou quatre ans, parce que l'on n'avait toujours rien fait pour les victimes. Toutefois, des responsables du gouvernement m'ont dit qu'ils allaient mettre sur pied un autre processus semblable à celui-ci pour les victimes de ces deux médecins. J'espère que le gouvernement va le faire, parce qu'il doit le faire.
Me Bastarache, vous avez dit que la maladie mentale demeure aujourd'hui fortement stigmatisée. Comme vous l'indiquez dans votre rapport, plusieurs victimes nécessitant de l'aide évitent d'en demander de peur d'être stigmatisées.
Croyez-vous que le fait d'instaurer un système d'évaluation psychologique systématique permettra d'atténuer cette stigmatisation et de rattraper plus rapidement les dérapages?
Oui, absolument. J'ai recommandé cela. Je crois que si tout le monde est sujet à une évaluation, on va commencer à comprendre que c'est normal.
La deuxième chose est qu'il faut absolument que les dossiers médicaux de tout le monde demeurent confidentiels. Un des gros problèmes, c'est que les médecins embauchés par la GRC vont très souvent donner les résultats d'examen aux administrateurs de la GRC. Alors, les femmes se disent qu'elles ne doivent pas consulter le médecin de peur qu'il dise à quelqu'un qu'elle n'est pas qualifiée ou qu'elle a des problèmes psychologiques et ainsi de suite.
Il faut corriger ces deux éléments. Comme vous le dites, ce n'est pas compliqué: on n'a qu'à imposer une évaluation à tout le monde.
On en parlait plus tôt, une quinzaine de rapports ont été produits depuis une trentaine d'années et rien n'a véritablement changé. Je me questionne sur le rôle des instances externes qui font ce genre de rapport. En effet, même après que des recommandations sont faites, on constate qu'il ne peut pas y avoir de changements venant de l'interne, à la GCR, qu'on ne sait pas comment va agir le ministre ou s'il tient compte ou non des recommandations.
Un peu à l'image de l'enquêteur correctionnel qui fait des enquêtes et qui publie des rapports et des recommandations, ne serait-il pas temps de donner un peu plus de pouvoir à ces instances externes plutôt qu'un simple pouvoir de recommandation?
Je ne sais pas de quelles instances externes vous parlez. Il y a évidemment le ministre qui doit détenir certains pouvoirs qu'il peut exercer sur l'administration de la GRC, quoique je ne sais pas ce dont il s'agit. Il n'y a pas vraiment d'autre organisme externe en place.
On a créé un comité, mais ce n'est pas un comité de gestion, c'est un comité consultatif. Cela ne peut pas avoir énormément d'incidence sur les situations délicates dont nous discutons, ici.
Monsieur Bastarache, je suis troublé d'entendre qu'il s'agit d'un problème de politique. Les politiques peuvent être changées. Mais, sur le plan opérationnel, et d'après ce que vous nous avez révélé, il semble que ces infractions criminelles soient commises en toute impunité au sein d'une organisation chargée de faire respecter la loi pour tous les Canadiens.
Vous dites qu'il faudrait des pressions externes. Il me semble que si cette situation perdure, il faudrait peut-être envisager quelque chose de plus radical. Ne pensez-vous pas que cela justifierait la tenue d'une enquête? Vous avez évalué les dommages et présenté vos observations dans le rapport — et nous vous en sommes reconnaissants — mais pour ce qui est des pressions externes, demander à la commissaire de régler le problème ou lui adjoindre un comité consultatif ne m'apparaît pas comme une pression suffisante. Après tout, la culture toxique ayant mené à cette impunité est toujours présente. Ne pensez-vous pas que cela justifie la tenue d'une enquête publique?
J'ai indiqué dans le rapport que certaines des femmes que j'ai interrogées, et plus précisément celles qui occupaient des postes de direction, souhaitaient recommander la tenue d'une commission royale d'enquête ou d'une commission d'enquête quelconque. La raison pour laquelle je me suis contenté de dire que c'était ce qu'elles recommandaient, c'est parce que mon mandat englobait uniquement la question du harcèlement sexuel.
Je me disais que le ministre, une fois qu'il aurait lu mon rapport et compris ce qui devait être fait, prendrait certainement des mesures.
Si j'ai réussi à trouver une liste de personnes qui ne respectaient pas la loi et qui commettaient ces crimes sexuels, je suis convaincu que de l'intérieur, les responsables peuvent mettre la main sur ces mêmes personnes. Ils peuvent trouver les coupables, mais pour cela, il faudrait qu'ils aient la volonté politique de le faire.
Monsieur le juge Bastarache, les Canadiens ont une énorme dette envers vous. Je suis en politique depuis 23 ans, et je ne pense pas avoir siégé dans le passé à un comité ayant dû composer avec un rapport aussi dévastateur et approfondi. Vous avez été tout simplement extraordinaire et avez littéralement cloué les membres du Comité sur leurs sièges pendant deux heures.
Mesdames et messieurs, nous allons devoir demander conseil pour déterminer la suite à donner à cette étude.
Encore une fois, je vous remercie, monsieur, pour votre travail. Au nom de la population du Canada et de mes collègues, nous vous sommes très reconnaissants du temps que vous nous avez consacré.
Je voudrais seulement ajouter une dernière chose. Je ne m'attendais pas à une telle réponse politique lorsque j'ai préparé mon rapport et que je l'ai rendu public. C'est pourquoi je vous suis tellement reconnaissant de m'avoir accueilli ce soir, parce que j'ai au moins eu l'occasion de parler à quelques députés, qui pourront à leur tour en parler à des collègues et à leur propre parti, parce que, comme vous le savez, cela n'a rien à voir avec le travail que je devais accomplir. Il s'agit d'un problème qui concerne tous les Canadiens, et un problème suffisamment important à mon avis pour susciter une réaction plus forte à ce qui s'est passé. Il faut essayer de trouver exactement ce qui se passe maintenant, et où nous en sommes...
Cela étant dit, mesdames et messieurs, je vais lever la séance. Nous nous réunirons à nouveau lundi pour résumer notre étude sur le racisme et, durant la dernière heure, pour donner des instructions aux analystes. Aussi, peut-être, mesdames et messieurs, que nous devrions réfléchir aux paroles que vient de prononcer monsieur le juge ici présent, et nous tenir prêts à tenir une discussion à ce sujet.
Je vous remercie encore une fois de votre présence, monsieur.