Passer au contenu
;

SECU Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
Passer à la navigation dans le document Passer au contenu du document






Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la sécurité publique et nationale


NUMÉRO 014 
l
2e SESSION 
l
43e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 1er février 2021

[Enregistrement électronique]

(1610)

[Traduction]

    Je crois savoir qu'il y a deux personnes dans la salle, mais je ne les vois pas. Je dois vous rappeler de maintenir une distanciation physique de deux mètres, de porter un masque non médical et d'adopter de bonnes pratiques d'hygiène.
    Avant de passer au témoignage de Josianne Grenier et de Sandra Wesley, je voudrais qu'on présente une motion. Lors de sa réunion, le Sous-comité a pris quatre décisions, et son rapport a été distribué aux membres du Comité. Je demande que quelqu'un présente une motion visant à adopter le rapport du Sous-comité. Mme Damoff en fait la proposition.
    (La motion est adoptée.)
    Le président: Je vous remercie infiniment. Je n'entrerai pas dans les détails puisque nous avons très peu de temps.
    Je vais maintenant souhaiter la bienvenue à Mmes Wesley et Grenier. Je vous invite à prendre la parole suivant l'ordre de l'Avis de convocation.
    Vous pouvez constater que nous avons beaucoup de retard, de sorte que nous aurons 45 minutes plutôt qu'une heure. Je décide arbitrairement de retirer une minute au temps de parole de chacun. Je tiens à présenter mes excuses aux témoins. Je sais qu'il est difficile de venir ici, mais nous devons composer avec la réalité des travaux parlementaires virtuels.
    Madame Grenier, vous avez la parole six minutes, je vous prie.

[Français]

    Je représente le Projet intervention prostitution Québec, ou PIPQ. Nous travaillons précisément sur les questions de l'exploitation sexuelle et de la prostitution, et ce, sur trois plans.
    Tout d'abord, nous offrons un milieu de vie où les gens viennent nous voir pour répondre à des besoins de base.
    Nous travaillons également en matière de prévention de l'exploitation sexuelle chez les jeunes. Nous organisons des ateliers dans les écoles, mais aussi dans des milieux où il y a des jeunes plus vulnérables, comme les centres jeunesse, où nous allons parler davantage des facteurs de protection, comme la connaissance de soi et les relations saines.
    Par ailleurs, nous travaillons directement sur le terrain, c'est-à-dire dans la rue, pour aller rejoindre les personnes désaffiliées des institutions, que nous accompagnons en fonction de leurs besoins. Nous travaillons aussi directement dans les milieux liés à l'industrie du sexe, comme les bars de danseuses, les agences d'escortes et les salons de massage, y compris celui où travaillait Marylène Levesque.
    L'organisme travaille aussi beaucoup en collaboration avec d'autres organismes communautaires, les milieux scolaires et le milieu de la santé et des services sociaux, mais aussi avec des procureurs, le Service de police de la Ville de Québec et des chercheurs. Cela nous permet de mettre à contribution nos expertises et de porter un regard à 360 degrés sur le phénomène de la prostitution.
    Nous maintenons une position neutre, c'est-à-dire dénuée d'idéologie, sur la prostitution. Nous considérons qu'il existe un spectre allant de l'exploitation au plein consentement et reconnaissons l'existence de toutes les réalités d'un bout à l'autre du spectre. C'est à la personne qui vit la situation de nous nommer sa réalité, et nous l'aidons selon sa perception. Si elle veut sortir de la prostitution, nous l'accompagnons là-dedans. Si elle veut pratiquer la prostitution, nous nous assurons qu'elle peut le faire de la façon la plus sécuritaire possible.
    C'est le respect de ces différentes réalités et le souci envers la sécurité des personnes que nous accompagnons qui nous amènent à prendre position en faveur de la décriminalisation de la prostitution.
    C'est dans ce sens que j'avais fait des démarches pour être entendue. En effet, il me semble essentiel, dans le cas qui nous rassemble aujourd'hui, de pousser la réflexion au-delà de ce qui s'est passé dans le cadre de la libération conditionnelle.
    Le meurtre de Marylène Levesque a été fortement médiatisé, d'abord parce qu'elle était une très belle blonde aux yeux bleus, mais aussi parce qu'il y avait un meurtrier et de potentielles lacunes institutionnelles qui sautaient aux yeux. Il y a cependant au Canada beaucoup de meurtres de travailleuses du sexe, qu'elles soient autochtones, racisées, trans ou en situation de pauvreté, qui ne reçoivent pas la même attention et pour lesquels on se donne peut-être moins la peine de chercher des responsables. Cela nous indique clairement qu'il y a forcément d'autres facteurs à évaluer si on est soucieux d'assurer la sécurité de toutes les travailleuses. L'un de ces facteurs est la loi qui encadre la prostitution, car force est de constater qu'elle n'atteint pas son objectif, qui est de protéger ces personnes.
    La Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation est empreinte d'une idéologie déjà perceptible à même son titre. Son existence et certains des objectifs qu'elle se fixe entretiennent la stigmatisation en laissant croire que le travail du sexe est forcément mal et honteux, qu'il devrait être caché ou même qu'il ne devrait pas exister du tout. Pourtant, la stigmatisation est l'une des causes directes du danger associé au travail du sexe. En soi, si l'on met de côté les préjugés, le travail du sexe n'est pas intrinsèquement dangereux. Le danger vient du fait qu'on en parle moins à sa famille ou à ses amis. Personne ne sait ce qu'on fait ni où on est, de sorte que le cercle de protection est limité. De plus, les gens vont souvent considérer les travailleuses du sexe comme des objets plutôt que comme des femmes. Cela crée une sorte d'acceptabilité sociale, pour ainsi dire, quant à la violence commise envers elles. Enfin, cela peut également nuire aux tentatives de réinsertion dans le marché du travail.
     La Loi donne aussi à penser qu'il est impossible de pratiquer le travail du sexe sans être exploité, ce qui constitue quand même un gros jugement de valeur. Je reviens au spectre dont je parlais tantôt. Si les lois, les politiques et la variété de programmes qu'on finance nient tout un pan de ce qui constitue une réalité, peu importe les valeurs des gens, c'est un échec assuré, parce qu'on abandonne une partie de la population concernée. On préfère se mettre des œillères et croire qu'elle n'existe pas. En faisant cela, on se conforte dans un jugement de valeur qu'on fait passer avant la sécurité des personnes.
    La Loi présente deux éléments particulièrement problématiques sur le plan de la sécurité.
    La criminalisation des clients, premièrement, n'a absolument pas mis fin à la demande, pas plus qu'elle ne l'a diminuée, d'ailleurs. À vrai dire, elle met les travailleuses du sexe en danger, parce que les clients apeurés vont souvent les emmener dans des endroits plus isolés, où il n'y a pas d'aide disponible et d'où il est plus difficile de s'enfuir, au besoin. Cela les empêche aussi de prendre le temps de trier les clients avant de monter dans une voiture, parce que ceux-ci sont plus pressés.
    À cela s'ajoute le fait que la Loi n'est pas souvent appliquée. Au Québec, par exemple, seulement 233 clients ont été accusés depuis 2014, ce qui revient à moins de 40 clients par année. On ne peut pas dire que cela ait un effet positif. Cela ne fait qu'empêcher les travailleuses du sexe d'augmenter leurs facteurs de protection.
    C'est la même chose pour la criminalisation des tierces personnes qui pourraient tirer profit du travail du sexe. C'est d'ailleurs un aspect de la Loi qui a été déclaré inconstitutionnel par un juge ontarien, il y a moins d'un an.
    À ce sujet, une étude réalisée par Anna-Louise Crago, de l'Université de la Colombie-Britannique, est parue jeudi dernier. On y apprend vers qui les travailleuses du sexe se tournent quand elles sont en danger. Les réponses, situées aux deux extrémités, sont intéressantes.
(1615)
    Premièrement, plus de 40 % des travailleuses du sexe interrogées se tournent vers d'autres travailleuses du sexe ou des personnes du milieu, comme les gardiens de sécurité ou les gérants d'établissement où elles travaillent. C'est donc en présence de collègues ou de tierces personnes, que la Loi considère pourtant comme des criminels, qu'elles se sentent le plus en sécurité.
    Par exemple, si Marylène avait pu recevoir son client au salon en présence d'une tierce personne à l'affût de la situation, on peut croire qu'elle n'aurait pas eu le temps de recevoir les 30 coups de couteau qui ont mené à sa mort, peu importe le passé de l'individu ou ses conditions de libération.
    Toujours selon la même étude, la volonté de protéger ces tierces personnes est l'une des raisons pour lesquelles seulement 5 % des travailleuses du sexe se tournent vers la police en cas de danger.
    La criminalisation des tiers oblige les travailleuses du sexe à choisir entre deux options: ou bien elles renoncent à la protection de la police en cas d'urgence, ou bien elles se mettent elles-mêmes, ainsi que leurs collègues ou leurs patrons, en danger aux termes de la Loi.
    Les clients violents ne sont donc pas dénoncés. Sachant qu'ils ne seront pas dénoncés, les clients ressentent un sentiment d'impunité qui peut devenir extrêmement dangereux pour ces travailleuses.
    C'étaient donc quelques...

[Traduction]

    Je regrette de vous interrompre, madame Grenier, mais les six minutes sont écoulées. Veuillez m'en excuser, mais nous sommes un peu pressés.
    Je vous serais reconnaissant de bien vouloir conclure votre exposé. Est-ce correct?
    Oui.
    Je suis désolé.
    Madame Wesley, je vous invite à regarder le président de temps à autre, et je vous indiquerai le temps qu'il vous reste.
    Madame Wesley, allez-y, je vous prie.

[Français]

    J'avais prévu parler en français, mais, étant donné le temps limité, je vais parler en anglais. Cela me permettra de présenter mes remarques plus rapidement.

[Traduction]

     Je suis la directrice générale de Stella, l'amie de Maimie. Notre organisation est faite par les travailleurs du sexe et pour eux. Elle a vu le jour à Montréal il y a 25 ans. Chaque année, nous avons des interactions avec une moyenne de 5 000 à 8 000 travailleurs du sexe de Montréal. L'organisation est entièrement faite par les travailleurs du sexe et pour eux, ce qui signifie que notre personnel, notre conseil d'administration et nos membres sont eux-mêmes des travailleurs du sexe. Nous représentons notre communauté et lui sommes redevables.
    Comme vous le savez probablement, la Cour suprême a déclaré dans l'affaire Bedford que la criminalisation du travail du sexe est inconstitutionnelle, au motif qu'elle porte atteinte à nos droits à la santé et à la sécurité.
    Le droit à la sécurité dont parlait la Cour suprême comprend justement le droit de ne pas se faire assassiner, comme l'a été Marylène Levesque. La réponse du gouvernement de l'époque a été de criminaliser totalement le travail du sexe pour la première fois dans l'histoire du Canada, et de créer un ensemble de lois qui ne visent ni à nous protéger, ni à améliorer nos conditions de travail, ni à nous permettre de sélectionner les clients convenablement. Cette loi a uniquement pour objectif d'éradiquer les travailleurs du sexe du Canada. Lorsqu'un gouvernement se fixe pour objectif d'éliminer les travailleurs du sexe, nous ne devons pas être surpris que des agresseurs décident d'être violents à notre égard et de contribuer à éradiquer les travailleurs du sexe au pays.
    Il est assez rare que le Parlement se soucie des travailleurs du sexe et nous invite à prendre la parole. Nous savons toutefois qu'il n'y a eu aucun comité semblable pour les dizaines d'autres travailleurs du sexe qui ont été assassinés depuis le changement législatif.
    Dans le cas de Marylène Levesque, de nombreux éléments de l'histoire sont très manifestement attribuables à la criminalisation du travail du sexe. Prenons le fait que cet homme avait été le client d'un salon de massage à plusieurs reprises, et qu'on lui en avait interdit l'accès parce qu'il était violent. À ce moment, le salon de massage était dans l'impossibilité d'appeler la police ou la Commission des libérations conditionnelles étant donné que le travail du sexe est criminalisé. Appeler la police pour dénoncer un client violent signifie généralement que des personnes sont arrêtées, que d'autres perdent leur source de revenus, et que nos milieux de travail font l'objet d'une répression policière accrue. En tant que travailleurs du sexe, nous ne pouvons pas faire appel aux autorités. Si le salon de massage avait pu communiquer avec les services de police ou l'agent de libération conditionnelle la première fois que le délinquant a été violent à l'égard d'un travailleur du sexe, celui-ci aurait été renvoyé en prison et n'aurait pas eu l'occasion d'intensifier ses actes de violence jusqu'à l'assassinat de Marylène Levesque.
     Nous savons également que les hôtels ont été la cible de répression policière ayant trait au travail du sexe. À l'été 2019, les forces policières de tout le Québec ont lancé le programme RADAR pour encourager les hôtels et autres entreprises touristiques à repérer les travailleurs du sexe et à les dénoncer à la police sous prétexte de les protéger contre l'exploitation. Nous savons que lorsque Marylène Levesque est entrée dans l'hôtel ce soir-là, elle était soucieuse de ne pas être reconnue en tant que travailleuse du sexe. Elle ne pouvait pas dire à la réceptionniste qu'elle allait voir un client, et lui demander d'envoyer quelqu'un si elle n'était pas revenue après une heure ou deux. Elle ne pouvait pas prendre de dispositions pour assurer sa protection, car elle aurait alors été repérée, expulsée de l'hôtel et possiblement arrêtée, ou bien son argent aurait été saisi.
    En tant que travailleurs du sexe, lorsque nous sommes victimes de violence et que la situation avec un client est effrayante, nous ne pouvons pas crier. Il se peut que nous tentions de désamorcer la situation par nous-mêmes, car si nous faisons une scène dans un lieu comme un hôtel, nous savons que nous subirons les conséquences de la criminalisation du travail du sexe.
    Il est évident que les lois pénales en vigueur contre le travail du sexe ont fait en sorte que Marylène Levesque n'a pas pu sélectionner ses clients. Aucun client n'acceptera de fournir une pièce d'identité et de se soumettre à une vérification de ses antécédents avant de prendre un rendez-vous dans un contexte où il peut être arrêté pour avoir acheté les services sexuels.
    En réaction à ce meurtre, nous constatons également que le Service correctionnel du Canada et la Commission des libérations conditionnelles ont principalement dit être contre l'objectif des services sexuels, un point c'est tout. Ici encore, le préjudice serait attribuable au travail du sexe, plutôt qu'à la véritable violence qu'une personne a subie.
     Je n'ai pas beaucoup de temps, mais je tiens à souligner que ce n'est pas une tragédie; ce n'est pas un geste irrationnel ou difficile à prévoir. C'est directement attribuable à la décision de criminaliser le travail du sexe que le gouvernement a prise en 2014. C'est l'effet qui se fait encore sentir, et il faut s'y attendre. D'autres travailleurs du sexe seront assassinés si ces lois restent en vigueur.
     La seule recommandation dont le Comité a besoin pour commencer est de procéder à la décriminalisation complète du travail du sexe.
    Je représente des milliers de femmes. Beaucoup d'entre nous ont été victimes de violence. Beaucoup d'entre nous auraient pu être à la place de Marylène Levesque.
(1620)
    Nous savons pertinemment que si Mme Marylène Levesque était assise devant vous aujourd'hui pour revendiquer son droit de travailler en toute sécurité, vous ne la prendriez pas au sérieux, au même titre que vous écartez d'un revers de la main les travailleurs du sexe depuis plus de 40 ans, en nous privant des droits dont nous devrions bénéficier.
    Je vous enjoins de veiller à ce que les travaux du Comité permettent de respecter les travailleurs du sexe comme il se doit, de comprendre que nous allons toujours exister et travailler, et d'abandonner cette quête ridicule et problématique qui vise à nous éradiquer du Canada. Nous devons discuter de nos droits en tant que travailleurs.
     Il faut éviter d'imputer la responsabilité à la Commission des libérations conditionnelles du Canada et au Service correctionnel du Canada seulement, car ce meurtre aurait très bien pu se produire sans l'intervention du Service, un peu comme les nombreux travailleurs du sexe qui ont été assassinés ces dernières années. J'ajouterais même que la nuit où Marylène Levesque a été assassinée à Québec, une autre jeune travailleuse du sexe a été tuée à Montréal. Personne n'a parlé de sa mort, et il n'y a même pas eu d'enquête en bonne et due forme.
    C'est la réalité de tous les travailleurs du sexe marginalisés d'un bout à l'autre du Canada. Nous perdons la vie. Nous organisons des vigiles pour les nôtres et essayons de faire preuve de résilience, mais le Parlement reste convaincu que nous devons être criminalisés.
    Je vous remercie, madame Wesley.
    Monsieur Motz, vous avez cinq minutes, je vous prie.
    Je vous remercie, monsieur le président. Je remercie les témoins d'être avec nous aujourd'hui.
    Madame Grenier, il semble que le gouvernement est très peu disposé à rendre public ce rapport complet. Votre organisation a-t-elle demandé à voir le document, et souhaite-t-elle le lire intégralement?

[Français]

    Bien sûr, nous aimerions lire le rapport. Par contre, en ce qui nous concerne, les libérations conditionnelles représentent vraiment un seul aspect de ce qui se passe. Comme nous l'avons déjà mentionné, il est beaucoup plus important pour nous de continuer à parler de décriminalisation.
(1625)

[Traduction]

    Je vous remercie.
    La Commission a pris la décision de libérer ce délinquant malgré ses antécédents de violence, ce qui a mis des gens en danger. Même si c'est facile à dire avec le recul, les experts que j'ai entendus, y compris d'anciens membres de la Commission des libérations conditionnelles, ont déclaré que ce délinquant n'aurait jamais dû être remis en liberté conditionnelle sans un examen approfondi de ces risques. Il aurait notamment fallu évaluer les risques qu'il présentait pour l'établissement fréquenté, et aussi pour les femmes qui s'y trouvaient.
     Madame Grenier, trouvez-vous qu'il serait raisonnable que le Service correctionnel et la Commission des libérations conditionnelles tentent de déterminer si le délinquant a été violent avant de renouveler sa semi-liberté?

[Français]

    C'est difficile à dire. Ce que j'en sais, c'est ce qui a paru dans les journaux. Étant donné que certaines informations parues dans les journaux sur d'autres sujets n'étaient pas nécessairement véridiques, je ne sais pas si l'information que j'ai me permet de me prononcer sur cette question. Cela dit, cet homme, comme n'importe qui ayant commis un féminicide, aurait effectivement dû faire l'objet d'une évaluation des risques, selon moi.

[Traduction]

    Puis-je ajouter une chose?
     Allez-y.
    J'ai pris le temps de lire la décision de la Commission des libérations conditionnelles. J'ai également lu tous les rapports sur la situation que j'ai pu trouver. Dans cette affaire, il semble évident que cet homme n'a pas bénéficié de services de réadaptation convenables pendant toute la durée de son incarcération, et que l'évaluation de son risque de récidive n'a pas été réalisée comme il se doit.
    La décision était principalement fondée sur son comportement avec les autres détenus en prison. Nous savons que les hommes qui sont violents envers les femmes, et uniquement envers elles dans un contexte intime et sexuel ont tendance à bien se comporter avec les hommes. Cela ne donne donc aucune idée de leur risque de récidive.
    Il semble assez clair que cet homme représentait un risque particulièrement élevé. Or, il a été jugé acceptable d'exposer les travailleurs du sexe à ce risque, alors que les autres femmes ne devaient pas être en présence de cet homme.
    Voilà qui m'amène à ma prochaine question. Croyez-vous que la Commission des libérations conditionnelles ou le Service correctionnel ont tenu compte de la menace réelle que représentait le délinquant pour les travailleurs du sexe lorsqu'ils ont recommandé que l'individu achète des services sexuels, malgré ses antécédents de violence contre les femmes, ou lorsqu'ils ont pris des mesures et des décisions subséquentes?
     De toute évidence, madame Wesley, vous croyez qu'ils n'en ont pas tenu compte.
    Madame Grenier.
     J'invoque le Règlement, monsieur le président. La Commission des libérations conditionnelles n'a pas dit que cet homme pouvait solliciter des services sexuels. Je veux simplement rectifier le tir.
    La Commission des libérations conditionnelles lui a accordé la libération conditionnelle, tout en sachant fort bien qu'une telle chose allait se produire. Elle a le dernier mot en matière de libération…
    Elle n'a toutefois pas autorisé cela, monsieur le président.
    Monsieur le président, serait-il possible d'arrêter mon chronomètre, je vous prie?
    C'est fait.
    Je trouve que vous posez des questions qui dépassent peut-être un peu la compétence des deux témoins, et qu'il serait préférable de les adresser à des personnes qui connaissent bien la Commission des libérations conditionnelles et les services carcéraux. Je vais autoriser les questions dans les circonstances, mais je demande simplement aux témoins de répondre à la lumière de leurs connaissances plutôt que d'émettre des hypothèses ou de commenter les rumeurs.
    Je vais maintenant laisser M. Motz continuer.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Il semble que personne n'a avisé le salon de massage fréquenté par le délinquant que celui-ci représentait une menace pour les travailleuses sur place. Compte tenu de votre travail à toutes les deux et de votre expérience dans l'aide aux personnes, croyez-vous que cela aurait dû être fait? L'établissement aurait-il dû être averti, puisque les décideurs savaient que le délinquant fréquentait un lieu donné? N'auraient-ils pas dû dire au salon que l'individu avait des antécédents et représentait une menace pour les travailleurs, et plus particulièrement les travailleuses?
     Oui, tout à fait. Le salon aurait dû être avisé, mais là encore, le travail du sexe est entièrement criminalisé au Canada. C'est un obstacle de taille qui empêche les travailleurs du sexe de recevoir l'information et d'être traités avec dignité et respect. Nous pouvons maintenant le constater dans la déclaration générale du Service correctionnel du Canada et de la Commission des libérations conditionnelles, selon laquelle aucun ex-détenu ne devrait acheter des services sexuels. Ils n'ont aucunement l'intention de régler le problème et de trouver comment les travailleurs du sexe peuvent être avertis pour assurer leur propre sécurité.
    Je trouve que la décision de la Commission des libérations conditionnelles ne tenait aucunement compte de la vie des travailleuses du sexe. Je dirais même que les objections de la Commission entourant l'achat de services sexuels par cet individu découlaient d'une impression générale que le travail du sexe est déplorable, et non du fait que les travailleuses du sexe sont des femmes qui pourraient être en danger si elles interagissent avec lui.
(1630)
    Je vous remercie, monsieur Motz.
    Je vais maintenant céder la parole soit à Mme Khera, soit à M. Lightbound.
    C'est moi qui vais prendre la parole.
    Je vous remercie, monsieur le président. Je remercie nos témoins pour leur présence, et pour l'ensemble de leur travail aussi.
    Je tiens encore une fois à exprimer mes condoléances à la famille et aux proches de Mme Levesque.
    Ma question s'adresse à vous deux, mesdames Grenier et Wesley.
    Selon Statistique Canada, il y aurait eu environ 294 homicides de travailleurs du sexe au Canada entre 1991 et 2014. Le Service correctionnel a dit ne pas tolérer que des délinquants cherchent à obtenir des services sexuels; il n'y a pas de stratégie, mais il n'y a eu aucune autre affaire comparable à celle-ci. La Commission des libérations conditionnelles du Canada a également déclaré que 99,9 % des personnes en semi-liberté ne récidivent pas avec violence.
     Compte tenu des lois dont vous avez parlé ayant trait plus particulièrement aux travailleurs du sexe, se pourrait-il que les incidents ne soient pas signalés en raison des répercussions juridiques auxquelles s'exposent ces travailleurs?
    Oui, tout à fait.
    Nous savons que les travailleurs du sexe ne signalent pas à la police la plupart des actes de violence. Chez Stella, nous tenons une liste des mauvais clients et des agresseurs depuis 25 ans. Les travailleuses du sexe nous signalent les incidents de violence afin que nous puissions diffuser l'information à la communauté et nous protéger. Depuis le changement qui a été apporté à la loi en 2014, nous savons qu'il est encore plus difficile de dénoncer quoi que ce soit à la police, et que la police ne nous aidera pas forcément.
    Il est aussi important de souligner qu'une grande partie des femmes incarcérées sont des travailleuses du sexe, l'ont été ou le seront un jour. Nous sommes très inquiets du sentiment général contre le travail du sexe qui émane des enquêtes sur ce meurtre. Il pourrait avoir une incidence sur les femmes qui obtiennent également la libération conditionnelle, et qui pourraient être punies si elles s'adonnent au travail du sexe en raison de cette mentalité généralisée contre ces travailleurs.
    Comme vous l'avez dit, la grande majorité des délinquants ne sont pas violents et ne posent pas de risque pour les travailleurs du sexe. Or, cet individu représentait une menace pour les travailleuses du sexe, non pas parce qu'il aimait acheter des services sexuels, mais plutôt parce que c'était un homme violent qui ciblait expressément les femmes. En tant que travailleurs du sexe, nous avons besoin de clients. Nous aimons les clients. Toute tentative visant à empêcher les bons clients de retenir nos services fait en sorte que les bons clients sont rares et que le besoin d'argent est grandissant. Nous finissons alors par compromettre notre santé et notre sécurité.
    Merci.
    Madame Grenier, avez-vous quelque chose à ajouter?

[Français]

    J'abonde dans votre sens. Les chiffres sont assurément sous-estimés, d'abord en raison du faible taux de dénonciation, mais aussi parce qu'on n'associe pas toujours certains meurtres au travail du sexe alors qu'en réalité, ils y sont reliés.
    J'entremêle peut-être les questions dans ma réponse. Pour ce qui est de la question précédente, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'empêcher tous les ex-détenus de fréquenter des travailleuses du sexe. Comme l'a mentionné Mme Wesley, dans le cas du meurtrier de Marylène Levesque, il présentait un problème particulier.
    Même si les salons avaient été prévenus contre cet homme, qu'auraient-ils fait? Il faut comprendre que les salons n'entretiennent pas de liens avec la police, parce que cela peut entraîner la fermeture des salons, des arrestations ou des pertes d'emplois pour les filles qui y travaillent. Il est là, le problème.
    Nous savons par ailleurs que, la même journée, cet homme a fréquenté un autre salon de la Rive-Sud, dans la région de Québec, et il ne s'y est absolument rien passé.
(1635)

[Traduction]

    Je vous remercie.
    Pourriez-vous nous faire part de vos suggestions quant à la manière dont le système de justice pénale...? Vous avez parlé de la décriminalisation, et je sais que le ministère de la Justice a pour mandat de revoir la Loi. Pourriez-vous suggérer des façons d'améliorer les systèmes du Service correctionnel du Canada et de la Commission des libérations conditionnelles du Canada de manière à protéger tout particulièrement la vie et la sécurité des travailleuses du sexe que des délinquants violents peuvent mettre en danger?
    Vous avez environ 30 secondes.
    Tant que le gouvernement du Canada a pour objectif de faire disparaître les travailleuses du sexe du Canada, il est vraiment difficile de concevoir quoi que ce soit qui puisse être fait dans une institution gouvernementale pour nous protéger. Le gouvernement doit, au contraire, avoir pour objectif de nous donner de bonnes conditions de travail et de protéger notre sécurité. Une fois que cela sera en place, des lois et des politiques pourront suivre. À l'heure actuelle, dans le contexte où l'achat et la vente de sexe et tout ce qui s'y rattache constituent un acte criminel, il est difficile de penser à ce que le Service correctionnel du Canada peut faire pour remédier à ce problème, si ce n'est simplement nous respecter en tant qu'êtres humains.
    Merci, madame Khera.

[Français]

    Madame Michaud, vous avez la parole pour cinq minutes.
    Je remercie les témoins de leur présence. Je leur en suis très reconnaissante.
    Je vais d'abord m'adresser à Mme Grenier.
    Au début de votre allocution, vous avez dit qu'on avait beaucoup médiatisé le cas de Marylène Levesque probablement parce qu'elle était une belle blonde aux yeux bleus. Malheureusement, c'est probablement vrai. Or c'est aussi parce que les institutions gouvernementales ont fait des erreurs flagrantes dans ce dossier. C'est la raison pour laquelle nous nous intéressons à la question. Que ce soit à la Commission des libérations conditionnelles du Canada ou au Service correctionnel du Canada, il y a eu des erreurs. Peu importe le cas, il est nécessaire que les parlementaires s'intéressent davantage aux drames auxquels peuvent faire face les travailleuses du sexe.
    J'aimerais revenir plus particulièrement sur la question de mon collègue M. Motz.
    Vous dites qu'en général, les équipes de gestion de cas n'avertissent pas les salons de massage même si elles sont au courant de certaines habitudes de fréquentation. C'est probablement parce que les salons craignent des représailles de la part de la police.
    Est-ce commun que des individus en semi-liberté ou en liberté conditionnelle fréquentent des travailleuses du sexe? Avez-vous ce genre d'information?
    Vous avez parlé de la possibilité que les femmes soient accompagnées par des tierces personnes. Comment cela pourrait-il fonctionner?
    J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
    Je suis certaine que Mme Wesley en aura beaucoup à dire là-dessus.
    Tout à l'heure, je ne disais pas que les services correctionnels ne devaient pas avertir les salons, mais plutôt que ces derniers, même s'ils étaient prévenus qu'une telle personne rôdait et risquait de fréquenter leur établissement, n'auraient pas nécessairement de ressources pour intervenir. Ils n'iraient pas vers la police, parce que c'est dangereux pour eux de le faire.
    Il faut vraiment donner aux femmes la liberté de décider comment se protéger. On voit souvent l'image d'un proxénète qui exploite les femmes; on croit que le travail du sexe est violent et est effectué contre leur gré. Toutefois, cela n'a vraiment pas besoin d'être ainsi. Il y a des travailleuses du sexe qui font ce travail parce qu'elles le veulent et qui s'organisent entre elles. Par exemple, elles peuvent engager quelqu'un pour les protéger ou encore partager les frais et les revenus de leur établissement. Elles ont le droit de dire non à certaines demandes des clients. Bref, elles ont vraiment le droit de faire leurs propres choix et d'établir leurs conditions de travail. Bien sûr, quand on travaille pour quelqu'un d'autre, il n'y a pas toujours cette ouverture à la négociation. Quoi qu'il en soit, ce sont toutes des façons d'améliorer les conditions de travail. L'important, c'est que cela vienne d'elles.
    Avant que Mme Wesley réponde, j'aimerais poser une autre question à ce sujet.
    Si Marylène Levesque avait su que cet homme avait des antécédents de violence sexuelle ou de violence tout court envers les femmes, elle aurait peut-être refusé de le prendre comme client, justement. C'est ce qui m'amène à me poser certaines questions.
    Puisque l'équipe de gestion de cas de M. Gallese avait cette information, aurait-elle dû la transmettre au salon de massage? Ainsi, tout le monde aurait eu accès à l'information et Marylène Levesque aurait pu refuser de voir ce client.
    Elle aurait alors pu refuser de le voir dans un hôtel, effectivement. C'est certain que la transmission de l'information ne peut pas nuire, mais ce n'est pas miraculeux, non plus.
    Merci.
    J'aimerais entendre l'opinion de Mme Wesley là-dessus.
    D'accord, je peux répondre à vos nombreuses questions.
    En ce qui concerne les tierces parties, les lois criminelles actuelles définissent un proxénète comme toute personne qui nous aide à travailler. Donc, si je travaille avec une amie, on peut considérer que l'une est la proxénète de l'autre. Il peut également s'agir d'un chauffeur ou d'une réceptionniste. Bref, toutes les personnes qui contribuent à notre travail sont considérées comme des criminels selon la définition du proxénétisme, et ce, même si elles ne font pas d'argent. Le fait de tirer de l'argent de cette activité constitue une infraction criminelle distincte.
    Bien sûr, les tierces parties sont souvent des personnes très aidantes dans le cadre de notre travail. Grâce à elles, nous pouvons établir des mesures de sécurité de toutes sortes et créer un rapport de pouvoir avec un agresseur potentiel qui se présenterait comme client. Ce dernier voit que nous sommes protégées et que des personnes le sauront si quelque chose nous arrive.
    Dans le cas de Marylène Levesque, je pense que l'homme en question était très conscient que c'était primordial pour elle de ne pas être détectée à l'hôtel en tant que travailleuse du sexe. On peut imaginer toutes sortes de situations. Par exemple, si elle est nue, va-t-elle courir dans le couloir et ainsi risquer de se faire détecter, pour finalement se rendre compte que le danger n'était pas si grand? On sait que ces éléments pèsent énormément dans la balance.
    Pour ce qui est du nombre d'ex-détenus qui fréquentent des travailleuses du sexe, c'est impossible de le savoir. Nous n'avons pas de statistiques à ce sujet. Il faut noter que des personnes de toutes les sphères de la société et de tous les milieux de travail fréquentent des travailleuses du sexe, pour toutes sortes de raisons. Autant des parlementaires que des ex-détenus ont recours à des services sexuels, et ce, dans toutes sortes de contextes. Ce ne sont généralement pas des contextes d'exploitation ou de violence.
(1640)

[Traduction]

    Malheureusement, je dois vous arrêter là, madame Michaud.
    Monsieur Harris, vous disposez de cinq minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je tiens à remercier les deux témoins de leurs très importants témoignages. Je pense que le Comité n'avait pas encore entendu ce point de vue sur cet enjeu.
    Il semble bien que, dans une certaine mesure, nous fassions fausse route en ce qui concerne le type de questions que nous posons au SCC et à la Commission des libérations conditionnelles, par exemple. Je trouve bon qu'il y ait un point de vue que nous n'avions pas encore pris en considération dans ce contexte.
    Je vous remercie beaucoup toutes les deux de vos déclarations.
    Je sais qu'il peut être très difficile de fournir une réponse à partir de vos points de vue, mesdames Wesley et Grenier, mais y a-t-il quelque chose que la Commission des libérations conditionnelles ou le SCC auraient dû faire différemment? Comme on l'a souligné, des erreurs ont été commises, des décisions ont été prises, lesquelles ont mené à de très regrettables conséquences pour Mme Levesque, et il est clair qu'il faut blâmer le SCC et la Commission des libérations conditionnelles pour leurs actions.
    Pouvez-vous suggérer quelque chose qui aurait pu ou aurait dû être fait différemment pour éviter cette mort?
    Oui, il y a beaucoup de choses.
    Je pense que les premières erreurs dans cette affaire remontent à la toute première fois que cet homme a été arrêté pour violence contre des femmes et à chaque fois par la suite. D'après ce que nous avons vu dans le dossier, il a essentiellement été entreposé dans une prison pendant 15 ans, puis libéré sans aucune véritable réhabilitation. Nous ne croyons pas en une approche carcérale punitive. Nous croyons en une réhabilitation sérieuse et efficace et en la nécessité de trouver des moyens de veiller à ce qu'une personne qui a été incarcérée se trouve dans une situation différente le jour de sa sortie.
    La violence contre les femmes est un phénomène qui est particulièrement malmené à chaque étape du système de justice pénale. Nous sommes solidaires d'un grand nombre de demandes des femmes qui subissent la violence de leur partenaire intime, le système de justice pénale n'étant tout simplement pas en mesure d'y répondre. Beaucoup d'hommes sont violents envers les femmes et seulement envers les femmes, et cela n'est pas pris en compte.
    Nous sommes contentes de la formation qu'il y aura sur la violence conjugale. Cependant, cela ne règle pas les situations comme celle de Marylène Levesque, une travailleuse du sexe qui a été assassinée au travail, donc pas dans le contexte d'une relation avec un partenaire intime. Nous pensons que cela devrait être inclus. Quand j'ai entendu parler de cette formation, la première chose que j'ai pensée, c'est qu'évidemment, encore une fois, ils vont parler de nous sans jamais nous consulter sur ce qui devrait être dit dans cette formation et sur la façon dont cela devrait être mis en œuvre.
    Je pense que cela dépasse la formation. Nous avons besoin de véritables changements de politique. Nous devons revoir les raisons pour lesquelles nous incarcérons les gens, ce que nous faisons avec eux pendant leur incarcération, la façon dont nous identifions ceux qui ne peuvent pas être réadaptés, et les conditions que nous pouvons leur imposer.
    Je crains fort que l'une des conséquences de cette mesure soit de rendre plus difficile la libération conditionnelle des détenus. Nous savons que la majorité des personnes qui tentent d'obtenir une libération conditionnelle sont en prison à cause de la pauvreté, du colonialisme et du racisme. Nous savons que les Autochtones sont surreprésentés et que les Noirs sont surreprésentés. Est-ce que les actions de cet homme blanc vont conduire à des incarcérations plus problématiques pour les Noirs et les Autochtones? Cela nous inquiète beaucoup.
    Nous avons besoin d'une véritable réforme, et pas seulement d'une formation et de déclarations contre l'industrie du sexe.
(1645)
    Je vous remercie de cette réponse très complète.
    Oui, nous avons besoin de programmes dans les prisons. Nous savons tous que les détenus finiront par sortir, et il faut que les gens soient en sécurité lorsqu'ils sortiront. Cela implique des programmes qui sont souvent absents.
    Madame Grenier, voulez-vous ajouter quelque chose en réponse à ma question?

[Français]

    Je pense que Mme Wesley a tout dit.
    Il faut de la formation, et il faut s'assurer qu'une portion de cette formation porte précisément sur les travailleuses du sexe. Il faut aussi tenir compte de l'intersectionnalité qu'il peut y avoir.
    Au-delà de la formation, l'être humain qui a pris cette décision...

[Traduction]

    Cette formation dont il a été question dans notre comité était une formation pour les agents correctionnels, et non pour les détenus pendant leur incarcération.
    Pensez-vous qu'il soit possible de mettre en place des programmes efficaces dans les établissements pénitentiaires pour ce type de personnes?

[Français]

    Dans ce cas, une formation ne me semble pas suffisante. Cela demande beaucoup de travail.
    Pour ma part, je parlerais de formation destinée aux employés du Service correctionnel du Canada et de la Commission des libérations conditionnelles du Canada.
    En fait, la personne qui a accordé à cet homme la permission de fréquenter des travailleuses du sexe aurait dû réaliser que cela n'avait pas de bon sens. Au-delà de la formation, comme le disait Mme Wesley, il faut travailler à instaurer un changement de culture de façon globale.

[Traduction]

    Je pense que nous allons devoir en rester là, monsieur Harris.
    Chers collègues, j'avais prévu de terminer cette réunion à 17 heures. Avec un peu de discipline de la part des témoins et de notre part, je pense que je pourrais faire un autre tour de deux minutes, si mes collègues sont intéressés.
    Cela vous intéresse-t-il? D'accord.
    Pourrais-je avoir un intervenant conservateur pour une question de deux minutes, s'il vous plaît?
    Je crois que je suis le suivant, monsieur le président.
    Monsieur Van Popta, vous avez deux minutes.
    Je vais essayer de m'en tenir à deux minutes.
    Merci beaucoup aux deux témoins d'être là et de nous faire profiter de leur sagesse et de leur professionnalisme.
    Je veux aussi réfléchir à la difficulté que cela doit représenter pour les amis et la famille de Mme Levesque et de toutes les travailleuses du sexe qui sont assassinées. Les statistiques au Canada sont terribles.
    Rétrospectivement, tout cela semble si évident lorsque nous regardons les rapports qui montrent que M. Gallese était un homme dangereux et qu'il n'aurait pas dû être autorisé à se trouver sans surveillance avec Mme Levesque. La commission d'enquête a constaté qu'il y avait dans la vie de cet homme de nombreux antécédents indiquant qu'il était dangereux.
    Madame Wesley, vous êtes peut-être la mieux placée pour répondre à cette question. Vous dites qu'il n'est pas utile de jeter tout le blâme sur la Commission des libérations conditionnelles ou le Service correctionnel du Canada. Leur attribuez-vous un quelconque blâme? Ils auraient pu empêcher cela.
    Ils auraient pu prévenir cela dans une certaine mesure. Dans ce cas, il est évident que cet homme n'aurait jamais dû être autorisé à côtoyer des femmes, mais cela aurait pu être un cas moins net. Il aurait pu s'agir de quelqu'un qui n'est pas particulièrement violent envers les femmes.
    Il est important de faire une distinction. Ils ont commis une erreur en permettant à cet homme en particulier de fréquenter des travailleuses du sexe. Ils ont également fait une erreur en présumant que le travail du sexe est généralement condamnable. Les raisons pour lesquelles ils s'opposaient à ce qu'il fréquente des travailleuses du sexe — les mêmes raisons que l'on continue d'évoquer — sont que le travail du sexe lui-même est inacceptable et qu'aucun délinquant ne devrait en aucun temps fréquenter une travailleuse du sexe. C'est une autre grosse erreur qui a été commise.
    Très bien.
    Je dispose de très peu de temps et j'aimerais que notre autre témoin réponde à la même question. Y a-t-il des reproches à faire?
    Malheureusement, si nous voulons terminer nos 10 minutes en 10 minutes, nous allons devoir renoncer à une réponse.
    Monsieur Lightbound, vous avez la parole pour deux minutes.
(1650)

[Français]

    Je remercie les deux témoins de leurs présentations et de leur travail très important.
    Le rapport indique clairement que le fait d'avoir inclus dans la stratégie de M. Gallese la visite d'un salon de massage était complètement inapproprié. C'était une erreur de la part de l'équipe de gestion de cas. Il y a même une enquête disciplinaire en cours.
    Je comprends aussi de vos propos que, plus largement, vous souhaitez un changement des politiques.
    À ce chapitre, je serais curieux d'entendre vos commentaires à propos des conséquences du projet de loi C-36, qui a notamment eu pour effet de criminaliser l'achat de services sexuels. Si ma mémoire est bonne, ce projet de loi a été adopté il y a six ou sept ans. Quelles en ont été les conséquences, pour vous?
    Tout d'abord, la loi criminalise non seulement l'achat de services sexuels, mais aussi l'ensemble des activités liées au travail du sexe. La travailleuse du sexe commet donc un acte criminel chaque fois qu'elle vend ses services sexuels. C'est beaucoup plus large que la simple criminalisation des clients.
    Les conséquences sont énormes. Toutes sortes de données existent pour démontrer les conséquences.
    Ce que l'on peut voir très clairement dans notre communauté, c'est que cela nous met grandement à risque de contracter le VIH. On sait que la décriminalisation du travail du sexe au Canada réduirait les nouvelles infections d'environ 33 % chez les travailleuses du sexe.
    Par ailleurs, en raison de la loi, il est d'autant plus difficile de dénoncer la violence et d'avoir accès à de la protection.
    Il y a aussi beaucoup de répression du travail du sexe. On a vu des cas extrêmes et très traumatisants de répression policière, par exemple 10, 20 ou 30 policiers qui débarquent dans nos établissements de travail pour cataloguer nos tatouages et nos perçages en disant qu'ils pourront alors identifier nos corps quand ils nous retrouveront mortes. Les policiers ont maintenant pour mandat de nous convaincre d'arrêter de travailler dans l'industrie du sexe.
    La criminalisation du travail du sexe a également accentué la crise des surdoses.
    En ce qui a trait aux femmes autochtones assassinées ou disparues, on a vu que la criminalisation du travail du sexe créait des vulnérabilités. Les femmes dans nos communautés qui sont le plus susceptibles d'être arrêtées ou d'avoir des contacts hostiles avec la police sont également celles qui sont le plus à risque d'être victimes de meurtre, de violence ou d'autres actes criminels.
    Merci.

[Traduction]

    Madame Michaud, vous disposez de deux minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président. Je serai brève.
    Comme vous l'avez dit un peu plus tôt, mesdames, le cas de Marylène Levesque n'est pas isolé; plusieurs travailleuses du sexe ont été victimes d'homicide au cours des dernières années.
    Ma question va dans le même sens que celle de M. Lightbound. Vous avez très bien souligné que les lois pénales canadiennes exposent les femmes à la violence en les faisant exercer leur travail dans des endroits isolés, par exemple. La décriminalisation du travail du sexe en général serait une avenue, selon vous.
    De manière plus détaillée, quels changements législatifs seraient nécessaires pour que les femmes soient moins exposées à la violence?
    Notre organisme est membre de l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe. Il y a trois ans, on a publié un rapport, que j'ai d'ailleurs fait parvenir à votre greffier, contenant des recommandations très détaillées et très claires. On y propose de tenir des consultations auprès d'une trentaine de groupes de partout au Canada créés par des travailleuses et des travailleurs du sexe et pour ceux-ci. Les recommandations formulées pourraient très facilement servir d'ébauche de projet de loi.
    Nous demandons la décriminalisation totale, c'est-à-dire que soient retirées complètement du Code criminel toutes les mentions du travail du sexe. En tant que travailleuses, nous voulons plutôt avoir accès aux normes du travail et aux autres protections. Nous demandons que, dans les situations où il y a violence, ce soient les autres dispositions du Code criminel qui s'appliquent.
    Il y a aussi toutes sortes de recommandations quant aux répercussions à l'échelle provinciale.

[Traduction]

    Je m'excuse d'interrompre les gens. Je gère étroitement le temps pour que nous puissions finir avant d'accueillir notre prochain groupe de témoins.
    Monsieur Harris, c'est à vous pour une minute.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Madame Wesley, je vais vous poser une question concernant le projet de loi C-36. Je parle en tant que personne qui a voté contre ce projet de loi lorsqu'il a été étudié par la Chambre en 2014.
    Est-ce qu'une plainte, par exemple, adressée à votre organisation par le salon de massage et identifiant M. Gallese comme représentant une menace pour les femmes aurait pu fonctionner? En vertu de cette loi, est-ce que cela aurait pu être signalé sans que les circonstances et la vulnérabilité de Mme Levesque et des autres personnes qui travaillaient dans ce salon soient exposées?
    Nous ne recevons que des signalements de travailleuses du sexe et les diffusons à d'autres travailleuses du sexe. Nous n'allons pas à la police, car la plupart des travailleuses du sexe ne le font pas. Dans le contexte actuel, même si le salon de massage avait contacté la police, cela risquait très peu d'être pris au sérieux et de donner lieu à des mesures valables. Parce que la loi est si hostile aux travailleuses du sexe et que l'attitude de la police est si hostile aux travailleuses du sexe, les policiers ne nous traitent généralement qu'avec mépris et dédain.
    Il est évident que notre objectif, dans un contexte de décriminalisation, serait de pouvoir signaler ces choses. Nous travaillons très, très dur dans des organisations comme la mienne pour essayer d'accompagner les femmes qui veulent porter plainte, qui veulent dénoncer la violence à la police. Il est assez rare que la police prenne des mesures sérieuses.
(1655)
    Merci, monsieur Harris.
    L'intervenant conservateur suivant est M. Kurek.
    Nous vous écoutons. Vous avez deux minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je tiens à remercier nos deux témoins d'être avec nous aujourd'hui.
    J'aimerais poursuivre avec la question que M. Van Popta a posée à Mme Grenier concernant les reproches à faire à la Commission des libérations conditionnelles et au Service correctionnel du Canada.
    Vous n'avez pas eu l'occasion de répondre avant...
    Madame Grenier, c'est à vous que la question de M. Kukek s'adresse.

[Français]

    Pouvez-vous répéter la question, monsieur Kurek?

[Traduction]

    Bien sûr, monsieur le président, si je pouvais avoir quelques instants de plus.
    Madame Grenier, j'aimerais vous donner l'occasion de répondre à la question de M. Van Popta, à savoir s'il faut blâmer ou non la Commission des libérations conditionnelles — et j'étendrais la question au Service correctionnel du Canada — et s'il a une part de responsabilité dans cette terrible tragédie.

[Français]

    Je trouve le mot « blâmer » un peu fort.
    Ce qui est sûr, c'est que des erreurs ont été commises, entre autres celle d'avoir laissé sortir cet homme trop tôt et celle de lui avoir laissé croire qu'il était possible de fréquenter ces établissements. Je crois d'ailleurs qu'on lui avait déjà retiré la permission de le faire, au moment du meurtre. Effectivement, cet homme n'aurait pas dû être en liberté à ce moment.
    Au-delà de ces considérations, beaucoup d'autres actions doivent être faites si l'on veut vraiment assurer la sécurité des travailleuses du sexe.
    Le Service correctionnel du Canada et la Commission des libérations conditionnelles du Canada ne portent pas seuls le blâme. Voilà ce que je vous réponds.

[Traduction]

    Madame Wesley, les observateurs du système judiciaire ont critiqué, en particulier, le système judiciaire et correctionnel.
    Est-ce que les circonstances qui ont mené à cette tragédie sont un exemple de réadaptation à tout prix?
    C'est tout le contraire. Absolument rien n'indique qu'il y ait eu une quelconque réadaptation dans cette affaire. Je sais qu'il semble y avoir un désir de transformer la mort de la travailleuse du sexe en une sorte d'accusation du système de justice pénale, et d'avoir une approche plus répressive et punitive. Les travailleuses du sexe ne préconisent pas cela.
    Nous sommes contre les approches carcérales et punitives, même pour les personnes qui nous font subir des actes de violence. Nous croyons à la réadaptation, non pas à tout prix, mais d'une manière constructive, intelligente et résolue, pour réduire au minimum l'incarcération et pour arriver finalement à un point où nous réduisons considérablement le nombre de crimes commis et la quantité de violence qui existe dans notre collectivité. Nous savons que la punition n'est pas la solution.
    S'il vous plaît, n'utilisez pas nos morts et la violence que nous subissons pour faire avancer un programme visant à augmenter notre incarcération dans notre collectivité.
    Merci.
    Qui est la prochaine personne à intervenir pour les libéraux?
    C'est moi, monsieur le président.
    Madame Damoff, vous disposez de deux minutes.
    Merci, monsieur le président, et merci à nos deux témoins pour ce témoignage.
    Je pense que nous devons préciser que prévenir le salon de massage n'est pas la solution. Il n'aurait jamais dû être autorisé et on n'aurait jamais dû lui permettre de s'y rendre pour commencer.
    Je veux vous adresser mes questions, madame Wesley, parce que je comprends très bien ce dont vous parliez en ce qui concerne les travailleuses du sexe et les restrictions qui ont été mises en place à leur égard.
    L'une des choses qui ont changé dans le système correctionnel, pendant le règne des conservateurs, c'est le type de programmes offerts en prison. Si nous attendons des gens qu'ils sortent de prison et qu'ils puissent fonctionner dans la société...
    Tout d'abord, je me demande si vous pensez que c'est une chose vraiment importante que le Service correctionnel doit examiner. Deuxièmement, avez-vous déjà été consultée sur ce genre de choses et est-ce que vous aimeriez l'être, s'ils entreprenaient d'améliorer leurs programmes?
(1700)
    Nous serions absolument disposées à être consultées. Chez Stella, nous travaillons dans les prisons avec des femmes incarcérées depuis le début de notre organisation dans les années 1990. Nous constatons de première main la surreprésentation des personnes marginalisées et le manque de réadaptation sérieuse. Cela s'applique à tout le monde. Cela s'applique aux délinquants violents, y compris les femmes violentes que nous soutenons. Cela s'applique également aux personnes non violentes qui sont là pour des raisons de pauvreté.
    La plupart des gens sortent de prison dans un état pire que celui dans lequel ils étaient avant d'y entrer, et c'est un très gros problème. Nous aimerions beaucoup être consultées sur les programmes, les politiques et tout ce qui peut être mis en place, afin qu'à leur sortie de prison, les gens puissent mener une vie plus saine et ne pas représenter un danger pour les autres, mais aussi trouver une sorte de paix et de bonheur.
    Je crois que mon temps est écoulé, monsieur le président.
    Oui. Vous avez parfaitement géré votre temps, madame Damoff.
    Mesdames, au nom du Comité, je tiens à vous remercier toutes les deux d'être venues. Encore une fois, je m'excuse de ma précipitation, mais nous sommes en pleine pandémie et notre Parlement virtuel ne fonctionne pas nécessairement aussi efficacement que le Parlement réel. Néanmoins, je tiens à vous remercier pour le temps que vous nous avez consacré.
    Sur ce, nous allons suspendre la séance pendant que nous réunissons le deuxième groupe de témoins.
    La séance est suspendue.
(1700)

(1705)
    Chers collègues, veuillez noter que nous avons cinq votes mercredi, ce qui, avec l'extraordinaire efficacité de notre système actuel, nous amènera probablement à 19 heures. Donc, à moins d'un changement, je propose de ne pas convoquer de réunion mercredi. Ce n'est pas définitif, et je suis ouvert à toute idée nouvelle. Je serais ouvert à toute suggestion ou solution de rechange, mais à ce stade, mercredi ne semble pas pouvoir fonctionner.
    Je remercie les témoins de leur coopération. Comme vous pouvez le voir, nous avons un peu dépassé le temps dont nous disposions. Je propose que nous terminions à 17 h 45, car d'autres députés ont des réunions immédiatement après.
    À titre d'information pour le greffier et les membres du Comité, je n'ai pas la liste des intervenants. Si vous pouviez me l'envoyer par messagerie texte avant le début des questions, cela me serait utile.
    Je souhaite la bienvenue aux témoins. Nous allons commencer par M. Henry.
    Je vous prie de m'excuser, monsieur Henry, mais je vais réduire votre temps de parole de sept à six minutes, et ce sera la même chose pour M. Stapleton ou M. Neufeld, quel que soit celui qui fera l'exposé. Nous allons également réduire d'une minute le temps de parole de chacun des intervenants.
    Je dirais aussi aux témoins de jeter un coup d'œil à l'écran aux alentours des quatre minutes, car je vais essayer de vous donner une indication du temps qu'il vous reste.
    Sur ce, monsieur Henry, vous disposez de six minutes. Nous vous écoutons.

[Français]

    Bonjour à tous. Je m'appelle David Henry. Je suis directeur général de l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec. Il s'agit d'un regroupement de 68 organismes communautaires sans but lucratif qui oeuvrent dans les domaines de la réintégration sociale et communautaire des personnes judiciarisées adultes et de la prévention de la criminalité. L'ASRSQ voit à la promotion de l'action communautaire en justice pénale et soutient le travail de ses membres.
    Chaque année, les organismes membres de l'ASRSQ offrent des services à plus de 35 000 personnes judiciarisées au Québec. Les organismes membres de l'Association offrent des services dans différents domaines...

[Traduction]

    Excusez-moi, monsieur Henry. Je suis désolé.
    Je suis conscient d'avoir réduit votre temps de parole, et je ne sais pas si vous avez l'habitude de parler si rapidement, mais nous avons à l'autre bout du fil une interprète qui traduit vers l'anglais. Je crains qu'elle ne s'évanouisse après trois minutes parce qu'elle n'arrive pas à vous suivre.
    Veuillez parler plus lentement pour que l'interprète puisse suivre. Merci.

[Français]

    Bien sûr.
    Les organismes membres de l'Association offrent des services dans différents domaines. Presque toutes les maisons de transition du Québec sont membres de l'Association, soit une trentaine. Nous regroupons aussi des organismes spécialisés en employabilité, d'autres qui gèrent les programmes de travaux compensatoires, d'autres qui offrent des services spécialisés en santé mentale, en toxicomanie, auprès des femmes judiciarisées ainsi qu'en justice réparatrice, ou encore des services aux proches des personnes incarcérées, des services de défense des droits, et j'en passe.
    La pierre angulaire de l'action de l'ASRSQ repose sur la prise en charge du problème de la délinquance par les citoyens, y compris les personnes contrevenantes, en partenariat avec l'État et d'autres groupes sociaux de la communauté. L'ASRSQ croit que la participation active de la communauté dans la résolution des problèmes liés à la délinquance contribue au développement social et, conséquemment, au mieux-être de notre collectivité. Les solutions se doivent d'être justes et satisfaisantes, à la fois pour la personne victime, pour la société et pour la personne contrevenante.
    Les maisons de transition sont des organismes qui servent de pied-à-terre dans une communauté pour des personnes judiciarisées en démarche de réintégration sociale et s'inscrivant dans un processus de libération graduelle. Les maisons de transition permettent aux individus de combler leurs besoins de base; ils peuvent alors poursuivre leurs démarches de réintégration sociale, notamment la recherche d'emploi et le développement personnel. Elles offrent des programmes qui varient d'un organisme à l'autre: cela peut toucher la toxicomanie, la gestion de la colère, la violence conjugale, la délinquance sexuelle, les habiletés sociales, ou autres. Par exemple, la Maison Painchaud offre une dizaine de programmes à ses résidants.
    Il existe trois types de maisons de transition au Québec: les CCC, soit les centres correctionnels communautaires, qui sont gérés par le Service correctionnel du Canada; les CRC, soit les centres résidentiels communautaires; et les CHC, soit les centres d'hébergement communautaires.
    L'ASRSQ regroupe uniquement des CRC et des CHC.
    Les CRC sont des organismes communautaires à but non lucratif issus de la communauté et gérés par un conseil d'administration constitué de bénévoles, eux-mêmes issus de la communauté qu'ils servent. Les maisons de transition sélectionnent leurs résidants et un processus d'évaluation est mis en place afin de déterminer si le CRC accepte d'accompagner et d'encadrer la personne dans la communauté.
    Je tiens à préciser que l'ASRSQ n'a pas de pouvoir sur ses membres. Les organismes membres sont des organismes communautaires autonomes gérés par des conseils d'administration qui leur sont propres. L'ASRSQ n'est pas impliquée dans les activités quotidiennes de ses membres. Il ne faut pas non plus percevoir l'ASRSQ comme un syndicat; nous sommes un regroupement d'organismes. En tant qu'organe de concertation, l'ASRSQ est impliquée dans différents comités de travail avec les différents services correctionnels.
    Tous les CRC et les CHC du Québec sont accrédités par les services correctionnels fédéraux et provinciaux, dans un processus de conformité. Les normes de conformité définissent tous les aspects liés à l'administration et aux activités des maisons de transition au Québec et viennent compléter les ententes contractuelles qui sont signées entre ces organismes et le Service correctionnel du Canada. Les normes régissent l'organisation des services, la qualification des intervenants communautaires, les programmes offerts par la maison, les procédures d'admission, les exigences relatives à l'hébergement, les normes d'encadrement clinique, et ainsi de suite.
    Le succès des maisons de transition en matière de réinsertion sociale est indéniable. Une étude menée en 2014 par une étudiante de l'École de criminologie de l'Université de Montréal établit le taux de récidive, avec ou sans violence, à 1,25 % en cours de séjour.
    J'invite d'ailleurs les membres du Comité qui le souhaitent à venir visiter une maison de transition. Il y en a une à Gatineau, pas très loin du Parlement. Je m'engage à organiser cette visite dès que les conditions sanitaires le permettront, si vous le souhaitez.
    Je vais me permettre de faire un petit rappel historique, pour vous permettre de comprendre pourquoi et comment les principes de ce qu'on appelle la surveillance directe se sont mis en place au Québec.
    Historiquement, le rapport Sauvé de 1977 nous rappelle que ce sont des organismes communautaires qui ont mis en place les premières structures de surveillance de personnes en libération conditionnelle au Canada.
    Faisant directement écho à certaines recommandations du rapport Archambault de 1938 et du rapport Fauteux de 1956, le gouvernement fédéral procède, en 1959, à la création du Service national des libérations conditionnelles, organisation qui relève alors directement de la Commission nationale des libérations conditionnelles.
(1710)
    Avec la mise sur pied de cette organisation, on souhaitait rendre disponibles ces activités de surveillance sur l'ensemble du territoire canadien. Néanmoins, cela n'a pas empêché le système de faire encore largement appel aux services offerts par des organismes communautaires qu'on appelle alors des agences postpénales.
    Dans les années qui suivent, un certain nombre de ces organismes communautaires choisissent de délaisser ce champ d'activité. En effet, ils considèrent qu'ils ont atteint leur objectif d'assurer un accès universel à la libération conditionnelle. D'autres continuent toutefois à offrir ce type de services. À ce propos, rappelons qu'en 1971, le ministre Jean-Pierre Goyer parle d'un partage moitié-moitié entre la CNLC et les ONG.
    Dans les années 1980, l'arrivée de nouveaux acteurs...

[Traduction]

    Monsieur Henry, veuillez conclure, s'il vous plaît.
    D'accord.

[Français]

    Dans les années 1980, l'arrivée de nouveaux acteurs dans la région du Québec permettra la mise en place de la surveillance directe comme nous la connaissons actuellement dans cette région.
    J'ai pris connaissance du rapport d'enquête, et l'Association pense que les cinq recommandations permettront d'améliorer les pratiques de surveillance en communauté. La stratégie communautaire entérinée par le Service correctionnel du Canada et autorisant le contrevenant à fréquenter un salon de massage à trois reprises était inusitée et unique, à ma connaissance. Je n'avais jamais vu une telle stratégie être appliquée ni même entendu parler d'une stratégie semblable.
    En terminant, je veux dire que nous sommes déçus que le SCC soit allé au-delà des recommandations du comité d'enquête. Celui-ci proposait de réviser l'ensemble de la surveillance directe, mais le SCC a choisi de supprimer la surveillance directe, alors que c'est une pratique ancrée dans le temps.

[Traduction]

    Merci.
    Encore une fois, je m'excuse d'interrompre les gens. Je n'y prends pas plaisir.
    Nous passons maintenant à M. Stapleton et M. Neufeld, ou une combinaison des deux, pour les six prochaines minutes.
    Le SESJ représente tous les agents de libération conditionnelle, les agents de programme, les enseignants et les autres employés des services correctionnels fédéraux qui occupent des fonctions de sécurité non actives partout au pays dans les 43 pénitenciers fédéraux, les 92 bureaux de libération conditionnelle et bureaux secondaires dans la collectivité, les 14 centres correctionnels communautaires et les quatre pavillons de ressourcement.
    Le meurtre de Marylène Levesque a évidemment été une tragédie, un événement dévastateur, non seulement pour la famille de la victime, mais aussi pour les employés du système correctionnel qui s'emploient chaque jour à la réhabilitation des délinquants. Je dirais, respectueusement, que le SESJ ne peut discuter de détails de cette affaire aujourd'hui en raison du processus disciplinaire en cours, mais nous parlerons de façon plus générale du rôle des agents de libération conditionnelle dans le système correctionnel fédéral.
    En tout temps, au pays, on compte quelque 9 000 délinquants sous surveillance dans la collectivité dont la surveillance relève des agents de libération conditionnelle et des équipes de gestion des cas. Beaucoup de gens pensent, à tort, que les agents de libération conditionnelle travaillent uniquement dans la collectivité, à l'instar des agents de probation provinciaux. Toutefois, en réalité, la réinsertion en toute sécurité des délinquants dans la collectivité commence dès leur évaluation par un agent de libération conditionnelle, ce qui a lieu à leur arrivée dans un établissement fédéral. Le processus de mise en liberté dans la collectivité d'un détenu sous responsabilité fédérale commence donc dès son évaluation, qui porte sur les éléments suivants: antécédents criminels, risque pour la sécurité et potentiel de réhabilitation.
    Très peu de délinquants entrent dans un établissement fédéral sans perspective d'en sortir. Cela vaut aussi pour les délinquants ayant des antécédents d’infractions avec violence. Ces règles ne sont pas établies par les agents de libération conditionnelle, mais par les juges qui prononcent les peines. En outre, comme vous le savez, c'est la Commission des libérations conditionnelles du Canada qui est chargée d'examiner avec soin la demande de libération conditionnelle d'un délinquant. C'est la Commission des libérations conditionnelles qui impose les conditions de surveillance des délinquants dans la collectivité.
    Il ne fait aucun doute que les agents de libération conditionnelle fédéraux qui travaillent directement auprès des délinquants pendant leur incarcération jouent un rôle essentiel en présentant des recommandations sur les conditions de mise en liberté du délinquant, mais ce ne sont que des recommandations, en fin de compte. Cela dit, les agents de libération conditionnelle jouent un rôle essentiel dans la préparation des délinquants et la promotion de la sécurité publique, mais on n'en tient malheureusement pas toujours compte. On pourrait penser que les agents de libération conditionnelle ont plus de temps pour évaluer soigneusement les antécédents et la situation des délinquants violents, ceux qui ont commis un homicide, comme l'assassinat d'un conjoint. Ce n'est pas le cas. Dans les établissements correctionnels fédéraux, la charge de travail est extrêmement lourde, et on ne fait aucune distinction selon la complexité du dossier ou du passé violent du délinquant.
    On pourrait aussi penser qu'un agent de libération conditionnelle aurait du soutien administratif pour obtenir les documents judiciaires essentiels, souvent des centaines, voire des milliers de pages. Ce n'est pas le cas non plus. En 2016, le Service correctionnel du Canada a supprimé de nombreux postes de personnel administratif; ces postes n'ont pas été rétablis. En fait, les agents de libération conditionnelle attendent parfois des mois pour obtenir ces documents, voire des années, dans certains cas. La communication de documents provenant des services de police et d'autres organismes concernés, comme les services d'aide aux victimes et d'aide à l'enfance, notamment, est parfois entravée par des questions de protection de la vie privée. Par conséquent, beaucoup d'agents de libération conditionnelle doivent se débrouiller seuls dans des processus administratifs complexes pour obtenir les renseignements pertinents, et leurs demandes ne font pas l'objet d'une attention particulière. Ils doivent attendre leur tour comme les autres acteurs du système de justice pénale. Malheureusement, ils n'obtiennent pas toujours ce dont ils ont besoin au moment opportun.
    On peut aussi supposer que les agents de libération conditionnelle reçoivent chaque année une formation de pointe pour avoir les meilleurs outils d'évaluation et l'occasion d'échanger sur les pratiques exemplaires avec leurs pairs. Cela n'est pas vrai non plus. En fait, presque toutes les formations sont offertes en virtuel depuis plusieurs années en raison des réductions budgétaires, et elles ne sont pas toujours adaptées aux besoins des agents de libération conditionnelle fédéraux, qui considèrent d'ailleurs que cela a gravement nui à leur profession.
    Il s'agit d'une des nombreuses raisons pour lesquelles le SESJ a publié en 2019 son rapport percutant intitulé « Protection de la sécurité publique: Défis auxquels font face les agents et agentes de libération conditionnelle du système de justice pénale canadien hautement stressé ». Pour cette étude, le SESJ a invité des agents de libération conditionnelle de partout au pays à exprimer leur point de vue sur l'état du système correctionnel et sur leur rôle dans ce système. Des centaines d'agents ont répondu; la plupart d'entre eux n'avaient jamais été actifs au sein de notre syndicat. Ils ont en grande majorité brossé le tableau d'un système correctionnel canadien stressé et près du point de rupture. La majorité des agents de libération conditionnelle ont indiqué que leurs conditions de travail les empêchent souvent d'évaluer, de superviser et de préparer correctement les délinquants à réintégrer la collectivité en toute sécurité.
(1715)
    Le nombre élevé de dossiers, le manque chronique de personnel et les changements importants apportés aux programmes et services correctionnels sont considérés comme des défis insurmontables pour la gestion des risques liés aux délinquants. Plus des deux tiers des agents de libération conditionnelle interrogés — 69 % — craignent d'être incapables de protéger suffisamment le public en raison de leur charge de travail actuelle, et 92 % d'entre eux estiment qu'une augmentation des effectifs améliorerait leur capacité d'assurer la sécurité des Canadiens. En outre, 85 % ont convenu qu'une diminution du nombre de dossiers de délinquants confiés aux agents de libération conditionnelle améliorerait la sécurité publique au pays.
    Nous présentons ce rapport dans le cadre de notre témoignage aujourd'hui, et nous demandons qu'il soit pris en compte dans la formulation de recommandations.
    On pourrait penser que ce rapport a servi de catalyseur pour la tenue d'un important dialogue au sein du SCC sur l'amélioration du système, mais il est plutôt tombé dans l'oreille de sourds. Le SESJ n'a reçu aucune réponse officielle à ce rapport depuis sa publication, en juin 2019.
    En conclusion, il serait approprié que le comité parlementaire et le comité mixte d'enquête, qui vient de publier le rapport, examinent les manquements dans la gestion de cas liée au meurtre de Marylène Levesque. Le SESJ craint qu'une autre tragédie risque de se produire si aucune analyse systémique n'est faite sur la façon de mieux outiller et habiliter les agents de libération conditionnelle et les employés des services correctionnels qui travaillent en première ligne, au quotidien, pour favoriser la réinsertion sociale des délinquants.
    Merci.
(1720)
    Merci, monsieur Stapleton.
    Avant de demander à mes collègues de commencer les questions, je tiens à mentionner que le greffier a reçu le rapport, mais qu'il n'a pas été traduit. Il vous sera transmis.
    Sur ce, nous passons à Mme Stubbs pour cinq minutes, s'il vous plaît.
    Merci, monsieur le président. Je vous remercie de m'accorder ce temps.
    Le témoignage que nous venons d'entendre est alarmant pour plusieurs raisons. Évidemment, cela renvoie à ce qui a mal tourné dans l'affaire du meurtre de Marylène Levesque, mais cela doit certainement préoccuper tous les Canadiens et les Canadiennes d'un bout à l'autre du pays.
    Monsieur Stapleton, j'aimerais vous inviter à donner plus de renseignements au Comité. Vous pourriez commencer là où vous vous êtes arrêté. Avez-vous 5 ou 10 recommandations à faire sur la façon de mieux habiliter les agents de première ligne qui font un travail si important et si difficile?
    Je vais laisser M. David Neufeld répondre à la question. Il est agent de libération conditionnelle.
    D'accord.
    Notre rapport publié en mai 2019 — il y a presque deux ans, rappelons-le —, contenait un certain nombre de recommandations. Nous avons interpellé les dirigeants du Service correctionnel du Canada et nous avons essayé d'avoir des discussions très sérieuses sur ces recommandations. Toutefois, très peu de choses ont changé à ce jour, et cela demeure extrêmement préoccupant pour notre syndicat et particulièrement nos membres.
    La répartition des cas parmi l'effectif est l'un des premiers points que nous avons soulevés. Cette répartition ne se fait pas selon la complexité des cas, mais est plutôt simplement fondée sur le nombre de dossiers attribué à chacun. Prenons l'exemple d'un délinquant présentant un risque et des besoins élevés qui arrive à l'établissement en début de peine. On ne vous accorde pas plus de temps pour travailler avec des délinquants ayant des besoins élevés complexes. En fait, vous auriez le même temps que ce que vous pouvez consacrer à tout autre détenu. Un point sur lequel nous insistons, c'est que la question de la charge de travail n'est pas seulement quantitative: il faut aussi tenir compte du temps réellement requis pour faire des évaluations des risques adéquates et des interventions appropriées auprès des délinquants.
    Une autre de nos demandes porte sur les besoins en santé mentale des délinquants. Les agents de libération conditionnelle en établissement ont maintes fois répété que la santé mentale des délinquants devrait être un facteur déterminant pour l'établissement de la charge de travail. Comme vous pouvez l'imaginer, il faut consacrer plus de temps aux gens qui présentent des besoins accrus en santé mentale lorsqu'ils arrivent dans le système carcéral. Ce que beaucoup d'agents de libération conditionnelle nous ont dit, essentiellement, c'est qu'il faut augmenter l'effectif si on veut consacrer plus de temps par délinquant. En réalité, cela n'a pas changé, et je sais que le Service correctionnel subit de fortes pressions pour réduire son budget depuis de nombreuses années. Cela remonte au Plan d'action pour la réduction du déficit. À cela s'ajoute, ces dernières années, la nécessité d'effectuer toutes les compressions possibles afin de ne pas dépasser le budget, ce qui est très difficile.
    En outre, d'autres changements de politique ont été extrêmement difficiles, notamment pour le travail avec les délinquants autochtones. Des postes supplémentaires ont été créés au fil des ans, mais pour ce qui est du travail des agents de libération conditionnelle et même des programmes, nous devons veiller à consacrer du temps à ces délinquants et les rencontrer afin de les comprendre, de connaître leurs antécédents, de savoir ce qui les a poussés vers la criminalité et ce qu'il faut faire pour qu'ils ne récidivent pas. C'est très important.
    En résumé, je dirais que les agents de libération conditionnelle ont besoin de temps pour faire leur travail correctement et intervenir de manière significative auprès de tous ceux dont ils ont la charge. Lorsque nous parlons de cas très complexes, cela sous-entend qu'il nous faut du temps pour des discussions approfondies afin de comprendre leur univers et déterminer leurs conditions de mise en liberté, s'ils devaient être mis en liberté dans la collectivité. Quelles relations seront importantes pour eux et pour leur réinsertion sociale? Quel genre de soutien auront-ils?
    Je vais m'arrêter ici; il y aura peut-être d'autres questions.
(1725)
    Il vous reste environ 30 secondes.
    Je cède ce temps aux témoins, s'ils veulent ajouter quelque chose.
    Je trouve un peu alarmant que l'augmentation générale des budgets ces cinq dernières années n'ait pas servi à accroître l'effectif, dont on a grand besoin pour le genre d'interventions dont vous parlez, ou qu'elle ait été insuffisante, en quelque sorte, mais...
    Nous devons en rester là.
    Merci, madame Stubbs.
    Madame Damoff, vous avez cinq minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie tous nos témoins de leur présence.
    Je vais commencer par le SESJ.
    En 2016, vous m'avez très gracieusement fait visiter un pénitencier pour la première fois. J'ai visité le bureau des libérations conditionnelles de Winnipeg. Je me souviens très bien que le directeur avait alors parlé du Plan d'action pour la réduction du déficit et des compressions qui avaient été faites. Je lui avais dit qu'il excellait dans son travail, comme en témoignait ce qu'il réussissait à faire malgré les compressions.
    Monsieur Stapleton et monsieur Neufeld, nous avons eu l'occasion de discuter de ce sujet. Dans quelle mesure est-il essentiel que nous investissions dans la communauté? Je crois savoir qu'environ 6 % ou 7 % du budget du Service correctionnel est destiné aux collectivités pour appuyer les délinquants lors de leur mise en liberté. En quoi cette aide communautaire est-elle importante, tant pour augmenter le nombre d'agents de libération conditionnelle que pour aider les gens après leur mise en liberté?
    Je pense que c'est probablement vous, monsieur Neufeld, qui voudra répondre à cette question.
    Concernant les ressources communautaires et la gestion des risques dans la communauté, il est absolument essentiel que nous établissions des partenariats avec divers organismes. Nous pouvons ainsi y diriger les délinquants qui ont besoin d'aide pour gérer les déficiences cognitives ou les facteurs qui déclenchent leur comportement criminel, afin qu'ils obtiennent l'aide dont ils ont besoin.
    Il y a quelques années, les services communautaires de consultation psychologique offerts aux délinquants ont été parmi les services les plus touchés par les compressions. Comme vous pouvez l'imaginer, dans les cas très complexes qui nécessitent une intervention psychologique, nos besoins ne se limitent pas aux contacts importants avec les agents de libération conditionnelle et les agents de programmes correctionnels qui offrent des programmes aux délinquants dans la communauté. Nous avons d'autres besoins, notamment l'accès à des programmes de traitement de la toxicomanie en pavillon de ressourcement.
    Ces éléments ont été supprimés en raison des nécessaires réductions de budget. Ces éléments sont absolument essentiels pour nos plans d'intervention en général et pour offrir aux délinquants l'aide dont ils ont besoin lorsqu'ils retournent dans la collectivité.
    Essentiellement, par rapport aux activités du Service correctionnel du Canada, nous comprenons que les gens peuvent changer et que nous avons la responsabilité de gérer les risques et l'obligation d'en rendre compte. Cependant, nous avons besoin de ces ressources pour faire un suivi rigoureux afin de savoir comment le délinquant utilise son temps dans la collectivité, peu importe la durée de son séjour et l'endroit où il habite — à côté de chez vous, de chez moi, de vos amis ou de votre famille —, veiller à ce qu'il reçoive l'aide dont il a besoin, savoir précisément ce qu'il fait, comment il utilise son temps et, évidemment, veiller à ce qu'il ne retombe pas dans ses schèmes de comportement criminel antérieurs.
    Je tiens à vous féliciter, ainsi que tous les agents de libération conditionnelle, de votre excellent travail. J'ai parlé à plusieurs agents de libération conditionnelle et je suis toujours impressionnée.
    Je commencerai par M. Henry, et vous pourrez peut-être aussi répondre, monsieur Neufeld.
    Dans quelle mesure la libération conditionnelle en soi est-elle importante pour une réinsertion réussie des délinquants? Est-il préférable de les garder en prison jusqu'au dernier jour de leur peine puis de les libérer simplement, ou la libération conditionnelle joue-t-elle un rôle important?
(1730)

[Français]

    Je pense que la libération conditionnelle est une mesure de réhabilitation sociale essentielle. Le fait d'offrir à quelqu'un une libération conditionnelle, de l'encadrement et de la supervision dans la communauté assure justement la sécurité de nos communautés. En effet, on peut évaluer la personne quand elle sort de détention et voir comment elle évolue dans la communauté. Si jamais elle se désorganise, si elle ne respecte pas son plan d'intervention, si elle ne s'implique pas dans sa réinsertion sociale, il est toujours possible de suspendre la libération conditionnelle.
    La libération conditionnelle permet de protéger nos communautés. D'ailleurs, les statistiques sont assez éloquentes. Le risque de récidive d'une personne à qui l'on accorde une libération conditionnelle est moindre que celui d'une personne à qui l'on accorde une libération d'office, soit aux deux tiers de sa peine. Pour sa part, le risque de récidive d'une personne libérée d'office est moindre que celui d'une personne qui est maintenue en incarcération jusqu'à la toute fin de sa peine.
    En tant que criminologue, ce qui m'inquiète le plus pour la communauté, ce ne sont pas les personnes à qui l'on accorde une libération conditionnelle. Ce sont plutôt les personnes qui sont maintenues en incarcération jusqu'à la toute fin de leur peine et qui, après 10, 12 ou 15 ans en pénitencier, réintègrent nos communautés sans aucune forme de supervision ou d'encadrement. Cela représente un réel problème. Une cinquantaine ou une centaine de personnes par année sont maintenues en incarcération dans les pénitenciers.
    Quand on essaie de s'attaquer à ce problème dans la communauté, on se retrouve devant un vide, parce que personne ne veut financer ces services. Ces ex-détenus ne relèvent plus des services correctionnels, alors ce n'est pas aux services correctionnels de payer pour les services. Ce n'est pas non plus à la sécurité publique de le faire. Pour leur part, les services de santé et les services sociaux ne veulent pas financer ce genre de programmes. Ces ex-détenus doivent donc se tourner vers les ressources pour personnes itinérantes, alors qu'ils ont fait 15 ans de pénitencier. Voilà ce qui m'inquiète.

[Traduction]

    Nous devons en rester là, madame Damoff.
    Merci, monsieur le président.
    Je sais que M. Neufeld tient à répondre. Vous devrez intégrer cela à une autre réponse.
    Sur ce, nous passons à Mme Michaud, pour cinq minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins de leur présence.
    Monsieur Henry, je tiens à vous remercier tout particulièrement. J'accepterai votre invitation avec plaisir dès que la situation sanitaire le permettra. Je pense qu'il est nécessaire que nous allions sur le terrain pour bien faire notre travail, particulièrement dans le cadre d'études comme celle-ci. Je vous remercie de nous en apprendre davantage sur les différents centres et sur les services qu'ils offrent. Je pense que c'est très important.
    À la fin de votre présentation, vous avez mentionné que le Service correctionnel du Canada avait annoncé que la surveillance des délinquants à la Maison Painchaud lui serait confiée à compter du 31 mars 2021 et que l'entente serait supprimée au lieu d'être révisée. Vous ne sembliez pas être d'accord sur cela. Quelles en sont les raisons? Pourquoi serait-il mieux de réviser cette entente, au lieu de la supprimer complètement?
    La surveillance directe s'inscrit dans une longue tradition. Ce n'est pas d'hier que des organismes communautaires participent à la surveillance de personnes contrevenantes dans la communauté. Le Service correctionnel du Canada doit s'appuyer sur des partenaires de la communauté pour assurer la sécurité des communautés et la réintégration sociale.
    Il y a plusieurs avantages à la surveillance directe. Elle peut notamment éviter que certaines tâches administratives soient exécutées en double. Elle peut aussi éviter certains clivages de la part du délinquant. En effet, certains délinquants, particulièrement ceux qui sont antisociaux, éprouvent parfois un grand ressentiment à l'endroit du personnel du SCC. Lorsque leur surveillance est assurée par des intervenants qui ne sont pas des employés du SCC, leur opposition est moins grande et certains clivages sont ainsi évités. La surveillance directe permet également une diversité d'approches, laquelle peut être nécessaire pour assurer la réintégration sociale des individus. Il n'existe pas d'approche uniforme qui fonctionne pour tous les individus; il faut s'adapter.
    Je trouve dommage que le SCC ait décidé d'aller au-delà des recommandations du comité d'enquête. Pour notre part, nous avions déjà commencé à revoir plusieurs éléments qui se sont retrouvés dans le rapport du comité d'enquête, notamment la clarification des rôles et des responsabilités des différents intervenants. Il est évident que nous n'avons pas attendu ce rapport d'enquête pour agir concrètement sur le terrain. En effet, quand un tel événement se produit, tous les intervenants, les conseillers cliniques, les maisons de transition et les agents de libération conditionnelle remettent en question leurs pratiques. Lors de rencontres avec le SCC au printemps et à l'été, nous avions clarifié ces rôles et ces responsabilités. Je trouve dommage que l'administration centrale du SCC n'ait pas tenu compte de ce travail.
(1735)
    Dans n'importe quelle institution, je pense qu'il faut habituellement avoir connu plusieurs échecs avant qu'on décide d'annuler complètement une façon de faire. Dans la situation qui nous occupe, vous avez dit qu'il s'agissait d'un cas isolé et que vous n'aviez jamais rien vu de tel dans votre carrière. Pourtant, on a décidé de supprimer immédiatement cette façon de faire.
    Peut-être que dans ce cas-ci, plutôt que de montrer du doigt les personnes qui ont pris une mauvaise décision, on cherche à discréditer les façons de faire du Québec, qui, comme on le sait, diffèrent de ce qui se fait ailleurs au Canada.
    Pensez-vous que le fait d'en attribuer la faute à la Maison Painchaud est une mauvaise excuse alors qu'on tente de trouver une solution à la situation?
    Comme vous l'avez dit, c'est un cas très particulier. Or, il n'est pas toujours possible de généraliser à partir d'un cas très particulier.
    Cela fait 53 ans que la Maison Painchaud existe. Vous pouvez imaginer les milliers de résidants qui ont été hébergés et encadrés par la Maison Painchaud au cours de ces 53 années. À ma connaissance, en 53 ans, une seule personne a commis un meurtre pendant son séjour à la maison de transition: Eustachio Gallese. Il s'agit vraiment d'un cas particulier, et je trouve dommage qu'on généralise à partir de cela.
    La surveillance directe est un modèle implanté dans la province de Québec et éprouvé depuis les années 1980. Année après année, les évaluations effectuées par le SCC auprès des organismes qui pratiquent la surveillance directe ont toujours été très bonnes et élogieuses quant au travail accompli. Ce travail se faisait grâce à la collaboration entre les employés du SCC, l'agent de libération conditionnelle et le responsable des agents de libération conditionnelle.
    Si la surveillance directe ne fonctionnait pas ou s'il y avait de graves manquements dans son fonctionnement, les taux de récidive seraient beaucoup plus élevés que ceux qu'on vous a présentés.

[Traduction]

    Merci, madame Michaud.
    Monsieur Harris, vous avez la parole pour les cinq dernières minutes.
    Merci, monsieur le président, et merci aux témoins.
    Ma question s'adresse aux agents de libération conditionnelle.
    Je regarde le rapport qui a été préparé en mai et publié en juin 2019, dont j'ai un exemplaire. Je constate que la charge de travail est un problème très important. Comme vous l'avez souligné dans votre témoignage, monsieur Stapleton, 70 % des agents de libération conditionnelle ont indiqué qu'ils ne pensaient pas être en mesure de protéger le public de manière adéquate compte tenu de la charge de travail actuelle.
    Je pense qu'il est important que tous ceux qui écoutent nos délibérations sachent qu'il y a, dans les établissements, des agents de libération conditionnelle chargés d'évaluer l'admissibilité d'une personne à la libération conditionnelle, et qu'il y a aussi des agents de libération conditionnelle dans la communauté. C'est probablement vous, plus que quiconque, qui êtes chargés d'évaluer le risque de récidive de chaque personne.
    Je constate, dans les réponses aux questions, que certains problèmes liés à la charge de travail ont été cernés: réductions de personnel, manque de ressources, postes d'agents de libération conditionnelle laissés vacants, soutien administratif insuffisant malgré l'augmentation de la charge de travail, autres postes de soutien laissés vacants et réductions du financement. Tous ces facteurs démontrent le manque d'effectif pour ce travail. Pourtant, selon l'enquêteur correctionnel, le ratio entre les agents correctionnels et les détenus dans nos pénitenciers est plus élevé que dans presque tous les autres établissements comparables.
    Pourriez-vous m'expliquer cela? Est-ce une mauvaise affectation des ressources? Manque-t-on de financement au bon endroit, ou manque-t-on d'argent tout court?
    Je répondrai brièvement.
    Plus tôt, Mme Damoff a indiqué qu'environ 6 % à 7 % du budget global du Service correctionnel du Canada sont dépensés dans la communauté, surtout pour la structure des établissements et, bien entendu, la sécurité dynamique. Je pense qu'il est très important de comprendre que le montant que nous investissons en réinsertion sociale est absolument déterminant. Concernant le travail général au sein du Service correctionnel du Canada, je dirais que chaque employé joue un rôle très pratique et important dans la réinsertion des délinquants, mais il est très important de comprendre que le manque d'investissements parallèles dans la communauté pose problème. La vie d'un délinquant qui vit en établissement est totalement différente de la vie à l'extérieur, et il est important de comprendre que tout le monde peut faire de la prison. Je ne sais pas si vous avez déjà entendu ce dicton, que tout le monde peut se retrouver en prison. Cela peut être très difficile, mais une personne qui retourne dans la collectivité doit reprendre le cours de sa vie, avoir un compte bancaire, travailler et subvenir aux besoins de sa famille, peut-être. Pour ceux qui font partie de votre vie, il y a toujours des problèmes.
    Des ressources mal utilisées représentent un problème important. Je suis convaincu que le SCC doit revoir ses investissements dans la collectivité. Les établissements sont importants, sans aucun doute, mais il faut investir davantage dans la surveillance dans la collectivité.
    Je cède la parole à M. Stapleton.
(1740)
    J'ajouterai simplement que lors de l'enquête, un des agents de libération conditionnelle a dit ce qui suit: « Je n’ai pas assez de temps pour voir les délinquants dont les dossiers me sont confiés et rédiger des rapports. Il est important de rencontrer régulièrement les délinquants […] pour mieux connaître la personne avec qui vous travaillez. La charge de travail ne le permet pas. »
    Monsieur Neufeld, cela semble très révélateur quant aux conséquences du soutien insuffisant des services communautaires, tant pour l'agent de libération conditionnelle et pour les risques pour la collectivité.
    Au lieu de vous demander à M. Stapleton un commentaire à ce sujet, j'aimerais aborder un autre point soulevé dans votre rapport. Il porte sur le manque de ressources pour l'évaluation du risque que présentent les délinquants. Parlant des délinquants, par exemple, la méthodologie du SCC en matière d'évaluation du risque entraîne une surreprésentation de certaines populations, surtout les délinquants autochtones, et une classification de sécurité plus élevée, ce qui nuit à leur accès à des programmes efficaces pendant leur détention. Cela a été mentionné dans un article du Globe and Mail publié ces derniers jours, et vous dites que trop de délinquants ne sont pas admissibles aux programmes dont ils ont tant besoin.
    Encore une fois, par rapport à l'évaluation des risques et à la capacité des gens de fonctionner dans la société, les gens doivent aussi avoir accès à des programmes en établissement.
    L'un d'entre vous aurait-il un commentaire au sujet du problème que pose le manque de programmes vraiment accessibles en établissement pour que les gens puissent se préparer à la vie à l'extérieur?
    Je pense que c'est une question très importante, mais M. Harris ne vous a malheureusement pas laissé de temps pour répondre. Toutefois, comme il nous reste une minute ou deux, j'aimerais bien entendre la réponse, si l'un d'entre vous peut répondre dans les 60 prochaines secondes. Une réponse des deux serait encore mieux.
    Je vais tenter une réponse.
    Premièrement, je tiens à préciser que nous ne représentons pas les agents correctionnels dans les pénitenciers. Nous représentons les agents de programmes et les agents de libération conditionnelle. Un des problèmes que nous avions auparavant dans le système carcéral, c'est que les nouveaux détenus devaient attendre avant de pouvoir suivre un programme. Avec le Modèle de programme correctionnel intégré, qui n'est pas aussi bon que l'ancien système, à mon avis, les délinquants peuvent être inscrits immédiatement à un programme, de sorte que les délinquants qui purgent une peine de courte durée y ont accès avant leur mise en liberté.
    Ces programmes sont malheureusement suivis par des gens qui purgent une peine de durée moyenne, et d'après les réponses des agents de programmes de partout au pays, je pense qu'il n'est pas aussi efficace que nos anciens programmes, qui étaient ciblés sur les problèmes propres à chacun des délinquants. Bien entendu, offrir autant de programmes que nécessaire à tous les délinquants exige une augmentation de notre effectif et de la capacité du système carcéral en matière de programmes.
    Merci, monsieur Stapleton.
    Nous devons malheureusement nous arrêter là. Il y a une autre réunion virtuelle après la nôtre, et les greffiers doivent avoir le temps d'organiser les choses, ici.
    Au nom du Comité, je tiens à vous remercier de votre temps, de votre patience et de votre coopération. Cette étude a été très difficile. Nous vous sommes reconnaissants des efforts que vous déployez tous les trois au quotidien pour renforcer la sécurité publique au Canada, alors je vous en remercie. Au nom du Comité, je vous remercie de votre présence ici aujourd'hui.
    Sur ce, chers collègues, nous allons lever la séance. À moins d'un changement, il n'y aura pas de réunion mercredi. Nous pourrions discuter de la suite des choses hors ligne.
    Cela dit, sauf indication contraire du greffier, la séance est levée.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication
ParlVU