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Monsieur le président, mesdames les vice-présidentes, membres distingués du Comité, je vous remercie de votre invitation et de cette occasion de discuter avec vous de ce sujet très important. Je serai heureux de répondre à vos questions dans l'une ou l'autre des deux langues officielles.
[Traduction]
Je vais suivre le texte que j'ai remis en anglais.
Au Canada, l'extrémisme violent est un phénomène marginal, et les situations qui naissent de l'extrémisme violent à caractère idéologique retiennent une grande attention du public. Et c'est sans compter les engagements ou les occasions politiques, comme nos audiences d'aujourd'hui, de promouvoir certaines politiques.
La détection et la perturbation de l'extrémisme violent à caractère idéologique, l'EVCI, supposent des coûts élevés, qui sont disproportionnés par rapport à l'avantage recherché. Il y a bien d'autres menaces, comme les cybermenaces, l'ingérence étrangère et l'espionnage étranger, qui portent beaucoup plus à conséquence pour la sécurité, la prospérité et la démocratie au Canada, mais elles sont difficiles à quantifier publiquement en l'absence de victimes humaines. Pour peu que nous le fassions mieux et de façon plus systématique, le rééquilibrage de la situation du Canada en matière de police, avec un accent plus net sur la cybersécurité, le crime organisé, le blanchiment d'argent et la protection des Canadiens contre les acteurs étrangers malveillants, représenterait un avantage beaucoup plus important pour la sécurité publique et pour la neutralisation des ressources et des instruments d'habilitation de l'EVCI, car l'approche actuelle ne semble pas avoir donné de résultats particulièrement efficients ni particulièrement efficaces.
Qui est susceptible de sympathiser avec l'extrémisme violent, de lui assurer un soutien ou de s'y livrer, et pourquoi est-il devenu un des enjeux de sécurité nationale les plus pressants de notre temps? La question est rendue plus difficile par le très faible nombre de personnes qui entrent dans cette catégorie, d'une part, et par la vaste majorité des personnes se trouvant dans des circonstances comparables qui sont très résilientes à la radicalisation, d'autre part. Je donne des chiffres que je vais sauter. Mais je signale quand même tout simplement que, comme il ressort des témoignages rendus devant votre comité, les attaques et les incidents terroristes, bien qu'extrêmement tragiques, sont très rares comparativement à de nombreux autres incidents de violence, notamment de violence inspirée par l'idéologie.
Nous devons faire la distinction entre l'extrémisme violent à caractère idéologique et la violence extrémiste à caractère idéologique. L'un concerne le discours, et l'autre, l'action. Nous pouvons illustrer cela par deux pyramides: la pyramide du discours et la pyramide de l'action. Ces deux pyramides sont distinctes l'une de l'autre. Dans la pyramide de l'action, nous avons les terroristes au sommet, puis les radicaux et, en dessous, les sympathisants activistes. Tim Hahlweg, du SCRS, le Service canadien du renseignement de sécurité, a donné une description semblable en parlant de l'engagement passif, de l'engagement actif et de la mobilisation pour la violence.
La relation entre la pensée et l'action n'est pas claire. Elle n'est pas un tapis roulant, et elle n'est pas causale. Voilà qui soulève une foule de questions. Comment se retrouve-t-on dans l'une de ces trois catégories de l'action radicale? Y a-t-il trois types différents de personnes qui se retrouvent dans ces différentes catégories? Quels sont les déterminants de la transition entre ces catégories? Qu'est-ce qui motive l'individu à franchir les frontières, à passer de non radical à radical ou de radical à terroriste? Quels sont les obstacles à ces transitions? Pourquoi si peu de gens se radicalisent-ils? Ces quelques personnes ont-elles quelque chose de spécial? Les catégories d'action et les transitions entre les différentes catégories dépendent-elles de la cause épousée ou est-ce que tous les mouvements et les problèmes présentent des points communs dans la structure de radicalisation?
Dans la perspective du renseignement et de l'application de la loi, pourrions-nous également demander s'il est possible de prévoir vers quelle catégorie d'action se dirigera une personne en observant ses attitudes? Plus généralement, ses attitudes d'aujourd'hui sont-elles un prédicteur de sa trajectoire politique de demain?
Il se trouve que la relation entre le discours et l'action est indéterminée. Peu de gens dans la pyramide du discours passent à l'action, et l'action n'est pas nécessairement motivée par la croyance au discours. J'ai esquissé 12 mécanismes — aux niveaux micro, méso et macro — que nous avons cernés. Il se trouve que l'idéologie est l'un de ces 12 mécanismes et, dans bien des cas, elle n'est même pas là. On se livre à la violence pour une foule de raisons qui n'ont rien d'idéologique; l'idéologie n'est donc pas une condition nécessaire ni suffisante de la violence.
Lorsque l'idéologie est présente, la plupart du temps, elle devient la justification plutôt que la cause de la violence comme telle.
Aux fins de la politique, nous devons traiter le problème du discours et le problème de l'action comme des problèmes distincts. On voit qu'au Canada, le problème de la radicalisation de masse — c'est-à-dire la radicalisation de collectivités entières — est un faux problème. Nous voyons des individus qui sont radicalisés. Le problème concerne ceux qui sympathisent avec la violence.
En ce qui concerne ces enquêtes — comme je l'ai expliqué dans mon mémoire —, notre bilan des succès de la Gendarmerie royale du Canada, la GRC, n'est pas particulièrement reluisant.
La démocratie est sur une pente glissante lorsque nous nous contentons d'adhérer à des convictions politiques qui, aussi choquantes soient-elles, finissent par être assimilées à un comportement criminel. À l'exception de quelques infractions comme l'incitation à la haine et le discours haineux qui entrent dans le domaine criminel, la marque de commerce de la démocratie est de surveiller les actes criminels, pas les opinions.
De façon générale, la radicalisation en soi — un changement des croyances, des sentiments et des actions vers un soutien accru d'un côté ou de l'autre — n'est pas un problème. Le défi et le test pour la démocratie se situent toujours à la marge.
Je conclurai en disant que l'exagération de l'importance et la politisation de la menace de l'EVCI, en cherchant une aiguille dans une botte de foin... Une meilleure approche serait que le gouvernement commence par améliorer la position du Canada en matière de détection, de perturbation, de confinement et de dissuasion contre tout l'éventail des menaces à la sécurité nationale. À cette fin, nous pouvons nous concentrer sur la réforme de la police fédérale pour la rendre plus fonctionnelle, avec un service du renseignement humain étranger et un service du renseignement criminel spécialisé.
Les collectivités canadiennes sont confrontées tous les jours à de nombreux vecteurs de menace beaucoup plus dangereux pour la sécurité publique. Ils proviennent de menaces non traditionnelles de la part d'acteurs étatiques et autres, telles les cybermenaces et les menaces traditionnelles comme le crime organisé, le blanchiment d'argent, etc. contre lesquelles un gouvernement préoccupé par la sécurité nationale pourrait prendre des mesures concertées qui auraient des effets beaucoup plus directs et immédiats que l'EVCI sur la sécurité publique.
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Merci beaucoup de m'avoir invitée à comparaître. J'ai très hâte de vous faire part de mes réflexions et de participer à la discussion.
Je vous ai remis deux graphiques pour illustrer mon propos d'aujourd'hui. Le premier est une sorte de typologie que nous avons construite pour illustrer la diversité du mouvement d'extrême droite. C'est vraiment là-dessus que je me concentre, en particulier sur l'extrémisme de droite. Je veux esquisser très rapidement certains des contours associés à l'extrême droite que nous avons cernés dans notre étude de 2015 financée par Sécurité publique Canada, mais qui ressortent aussi de l'étude sur laquelle nous travaillons actuellement, elle aussi financée par la Sécurité publique, et qui est une mise à jour de la première.
Le premier graphique, les catégories de l'extrême droite au Canada, est très important pour nous rappeler la diversité du mouvement lorsque nous pensons à l'extrême droite. Même en 2015, lorsque nous nous intéressions au mouvement, nous mettions vraiment l'accent sur les groupes très traditionnels que vous voyez en haut — les skinheads, les néo-nazis, les suprémacistes blancs et ainsi de suite. Depuis, il y a eu une diversification du mouvement dans différentes directions, non pas tant un fractionnement qu'un regroupement en catégories beaucoup plus nettes, si bien qu'il y a des branches identifiables qui sont spécifiquement antimusulmans, spécifiquement anti-immigrants ou spécifiquement misogynes, par exemple.
De plus, nous avons les accélérationnistes. Je pourrai vous donner plus de détails sur chacun de ces groupes pendant la période de questions, si vous voulez, mais l'objet de ce graphique n'est que de mettre en lumière la diversité que nous observons dans le mouvement.
Mon deuxième graphique illustre la distribution telle que nous la voyions en 2015. Vous y voyez les concentrations en Ontario, au Québec et en Alberta en particulier, et dans une certaine mesure en Colombie-Britannique, qui donnent un total estimatif conservateur d'un peu plus d'une centaine de groupes actifs associés à une branche quelconque d'idéologies extrémistes d'extrême droite.
Dans l'étude en cours, nous avons constaté, au cours des quatre ou cinq dernières années, une croissance extraordinaire de ces groupes, qui sont aujourd'hui au moins 300, toujours à l'échelle du pays. Il y a plus d'activité dans l'Est, par exemple, mais à part cela, les concentrations sont demeurées plutôt stables, c'est-à-dire qu'elles sont plus élevées en Ontario, au Québec et en Alberta.
Je vais vous faire part de quelques-unes des autres tendances que nous relevons dans l'étude en cours. J'ai mentionné la croissance des nombres que nous observons, et je dois dire qu'il s'agit de la croissance du nombre de groupes et de la croissance du nombre d'individus attirés par divers éléments d'idéologies extrémistes d'extrême droite. Tout comme nous observons une dispersion du mouvement même, pour ce qui est du nombre de zones d'intérêt, nous observons aussi une diffusion, presque une atomisation, du mouvement même — c'est-à-dire que plus d'individus sont attirés par les petits éléments, un peu comme dans une sélection parmi les récits de divers groupes et de diverses idéologies pour répondre à leurs propres besoins, quels qu'ils soient.
Nous voyons beaucoup plus de ces butineurs, comme nous pourrions les appeler, mais nous voyons aussi davantage de groupes, c'est-à-dire de nouveaux chapitres de groupes qui existaient en 2014 et en 2015, ainsi que de nouveaux groupes qui ont fait leur entrée en scène, tout particulièrement les Proud Boys et les Soldiers of Odin.
Nous observons également un changement démographique associé aux groupes. Tout comme nous avons tendance à associer l'extrême droite aux skinheads et aux néo-nazis, je pense que nous avons tendance à y voir un mouvement de jeunes. C'est certainement encore le cas. Il y a énormément de jeunes de 16 ou 17 à 24 ans, ou peut-être même en début de trentaine, qui militent dans le mouvement, mais nous voyons beaucoup plus de gens d'âge moyen et de personnes plus âgées rallier le mouvement également.
Cela s'accompagne d'un changement dans d'autres variables démographiques, comme l'instruction, le revenu ou la profession en particulier. Il y a plus de revenus moyens ou supérieurs. Par exemple, les événements du 6 janvier aux États-Unis nous apparaissent comme une sorte d'illustration gonflée de ce que nous voyons ici. Une très forte proportion de ces gens-là étaient des professionnels — des comptables, des médecins et des avocats — et c'est un peu la même chose ici, si bien que cela s'applique également au fait que beaucoup ont un niveau d'instruction plus élevé, un diplôme universitaire, voire un diplôme d'études supérieures parfois.
Je pense que c'est particulièrement le cas au sein de l'élément qui se dit l'alternative de droite. C'étaient en quelque sorte les idéologues du mouvement, si vous voulez, par opposition aux troupes de choc, qui sont davantage des nazis ou des skinheads plus traditionnels dans les rues.
L'une des autres tendances que nous observons est l'augmentation de la création de coalitions ou d'alliances, et au début de cette phase de l'étude, en 2015-2016, 2016-2017, voire 2018, nous voyions beaucoup plus de coalitions se former entre les groupes, de stratégies s'exercer entre les groupes au sein du mouvement, de planification et d'organisation conjointe de protestations, de rassemblements, de concerts et de tout un éventail d'autres activités. Nous en avons vu beaucoup, mais nous constatons également aujourd'hui, dans le contexte de la COVID, surtout en ce qui concerne le confinement et les activités anti-masque et anti-vaccination, qu'on fait des efforts pour exploiter ces griefs très courants et les intégrer dans le discours d'extrême droite afin d'élargir l'auditoire, de saisir les gens et de leur mener un bateau en quelque sorte.
La dernière tendance que je veux faire ressortir est probablement l'une des plus dangereuses, c'est-à-dire que nous observons une plus grande fascination pour les droits relatifs aux armes à feu et le fait d'être armé jusqu'aux dents dans le groupe. Même pour les Proud Boys, l'un de leurs mantras est « nous aimons nos fusils ». C'est la même chose dans plusieurs autres groupes. Nous les voyons sur les réseaux sociaux, avec des stocks d'armes, se livrer à des entraînements paramilitaires. Nous savons qu'ils sont lourdement armés.
Ce que nous constatons également — et il s'agit d'un autre projet auquel nous participons avec le ministère de la Défense nationale —, c'est que nous examinons les contours de l'extrême droite dans le contexte des Forces armées canadiennes, les FAC, parce que nous avons eu un certain nombre de cas très médiatisés dernièrement. Encore une fois, si l'on considère les événements du 6 janvier aux États-Unis, il y a des preuves de liens entre des membres des FAC, actuels ou anciens, et le mouvement d'extrême droite. Nous avons les armes, nous avons l'entraînement et le troisième type dangereux de l'élément éventuellement létal est les idéologies xénophobes qui guettent souvent ces groupes. Selon moi, c'est une tendance à surveiller de près.
Je m'arrête là, quitte à revenir tantôt plus en détail sur tout ce qui pourrait être d'intérêt.
Merci de votre temps.
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C'est une très bonne question à la lumière de ce que mon éminente collègue, Mme Perry, vient de présenter.
Dans la pyramide que nous pourrions imaginer, nous avons au sommet les personnes qui se livrent à des actes illégaux et violents. Ce sont les personnes que nous appelons communément les terroristes. En dessous, nous avons les radicaux, qui se livrent peut-être à une ou plusieurs formes d'actes illégaux, qu'il s'agisse de protestations illégales, peut-être de violations liées aux armes à feu, et ainsi de suite, mais qui ne sont pas violentes comme telles à l'endroit des tierces parties ou du public. En bas, vous avez les activistes. Ce sont les personnes qui, par exemple, pourraient sympathiser avec les radicaux ou avec les terroristes, mais qui ne commettent pas d'actes illégaux, ne tiennent pas de discours illégaux, ne font pas d'incitation, ne font rien de haineux et ainsi de suite.
Souvent, nous les confondons dans le discours public, et je pense qu'il est important, aux fins du renseignement, de l'application de la loi et des politiques, de les traiter comme trois problèmes distincts. L'un pourrait être un problème de résistance à la radicalisation, de persuasion. L'autre pourrait nécessiter la mise en place des bonnes incitations afin que les gens susceptibles de se livrer à des actes illégaux ne commettent pas d'actes violents; et nous devons en même temps nous doter des capacités de renseignement en matière criminelle pour déceler et perturber ceux qui sont prédisposés ou qui se livrent à des actes violents, avant qu'ils ne passent à l'action.
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Ce sont toutes de très bonnes questions. Elles ne sont pas faciles, loin de là.
L'une des choses les plus troublantes que nous avons constatées au cours de cette ronde de travail — l'Institute for Strategic Dialogue effectue une grande partie de notre analyse en ligne —, c'est que, dans deux années consécutives, les internautes canadiens étaient parmi les plus actifs dans l'écosystème d'extrême droite, si vous voulez.
Du simple point de vue quantitatif, c'est déjà problématique. Nous avons tendance à nous croire à l'abri de ce genre de discours, mais voilà. En particulier, au cours de la première ronde — celle du rapport de 2019 que nous avons fait avec l'ISD —, nous avons appris qu'ils venaient aux deuxième et troisième rangs dans deux des plateformes les plus extrêmes, Fascist Forge et Iron March. Ce sont celles qui font le plus souvent la promotion de la violence, et de la violence de masse en particulier.
Encore une fois, quantitativement parlant, c'est là le problème. Mais c'est aussi un problème sur le plan qualitatif, compte tenu de la portée du discours, du discours vicieux qui s'adresse à des individus particuliers ou à des collectivités particulières, soit par courriel, soit par des messages destinés à un individu ou dénigrant des groupes particuliers. De toute évidence, c'est omniprésent en ligne.
Je pense que nous devons tenir compte de l'impact que cela peut avoir sur le sentiment de collectivité, le sentiment d'appartenance et le sentiment de sécurité, également. Cela réduit au silence total les collectivités. Cela les rend moins disposées à se mettre en ligne, pour s'aligner sur notre nouvelle façon de communiquer — surtout maintenant, avec la COVID.
Comment y faire face et comment réglementer cela? Le défi est énorme. Nous explorons la question à l'échelle mondiale depuis cinq ou six ans. Nous essayons aussi de limiter les discours les plus odieux.
Par discours haineux, je veux dire un discours dangereux, un discours qui fait la promotion de la violence et la promotion explicite de la diffamation et qui cible des groupes particuliers. Warman c. Kouba a fait de ces types d'éléments du discours la marque de la haine.
Je pense que nous devons exercer des pressions beaucoup plus intenses pour forcer les géants des médias sociaux à appliquer leurs normes communautaires, dont la plupart sont au moins aussi rigoureuses que nos définitions fédérales. Nous devons encourager leur utilisation. J'entends tellement de [...] venant de la recherche, mais aussi des personnes avec qui je travaille. On dénonce le discours qui semble déborder ces limites, qui... Les plaintes restent sans suite, et je pense que nous devons les talonner et les mettre sur la sellette.
Quant aux autres plateformes, c'est là que se situe le vrai défi, car l'accès aux coins les plus sombres est plus difficile pour les chercheurs, pour la police, pour les journalistes et pour quiconque veut savoir ce qui se passe. Il y a des défis à relever de ce côté-là, parce qu'elles sont spécifiquement conçues pour contourner toutes les normes communautaires. La plupart d'entre nous ne savent pas comment y réagir. Là encore, faut-il mettre des pressions sur les domaines pour qu'ils ne les hébergent pas, comme ce fut le cas avec Parler. Je crois que c'était après les événements du 6 janvier.
Je pense que c'est un nouveau défi qui se présente.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais remercier les deux témoins présents aujourd'hui de nous entretenir sur un sujet si important.
Monsieur Leuprecht et madame Perry, vos remarques préliminaires ont été très instructives.
J'aimerais poser ma première question à Mme Perry.
Si j'ai bien compris, dans vos remarques préliminaires, vous avez expliqué le lien qu'il y aurait entre l'extrême droite et le mouvement contre les femmes. J'aimerais que vous m'en disiez davantage là-dessus.
Vous avez aussi terminé vos remarques en abordant la question de la radicalisation dans les Forces armées canadiennes. Je sais que, en novembre 2020, l'Université du Nouveau-Brunswick a octroyé une somme de 750 000 $ à vous et à David Hofmann, qui est chercheur, afin de vous permettre d'entreprendre une étude de trois ans sur les idéologies haineuses et extrémistes au sein des Forces armées canadiennes. Selon l'annonce qui a été faite, vous auriez eu des échanges avec le général Jonathan Vance, qui était alors chef d'état-major et qui aurait fait appel à vos conseils et à votre expertise.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le chef d'état-major de l'époque a fait appel à votre expertise?
J'aimerais surtout savoir quels conseils et recommandations vous avez donnés à l'ancien chef d'état-major de la Défense. Comme l'indiquent vos recherches, le sexisme et la misogynie sont des caractéristiques courantes dans les groupes d'extrême droite.
Qu'avez-vous conseillé au chef d'état-major, qui voulait se pencher sur ces problèmes au sein des Forces armées canadiennes?
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Je vais répondre brièvement à la première. C'était la question de la misogynie dans le mouvement. Il ne fait aucun doute que la misogynie, au départ, est ancrée dans le mouvement d'extrême droite. Elle est enracinée dans le racisme, oui, et l'antisémitisme, mais aussi dans le patriarcat.
L'un des mantras est le symbole « fourteen words », qui est bien connu, je crois. En français, il veut dire: nous devons assurer l'existence de la race blanche et un avenir à nos enfants. Pour y arriver, nous devons contrôler nos femmes, et en particulier leur sexualité. Cela s'applique également à d'autres éléments du mouvement.
Nous constatons que cela se poursuit au sein du mouvement. Il y a donc un certain chevauchement. Je devrais dire que, dans tous ces domaines, il y a un certain chevauchement entre ce que nous considérons comme le mouvement de l'incel et le mouvement de l'extrême droite, mais que tous les activistes de l'incel ne sont pas nécessairement d'extrême droite.
Quant au travail concernant les Forces armées canadiennes, c'est très tôt pour nous. Nous attendons toujours l'approbation pour l'éthique de la recherche au niveau universitaire. Nous avons un chercheur postdoctoral qui mène un travail indépendant avec une subvention ciblée d'engagement du ministère de la Défense nationale également, qui porte plus précisément sur les interventions de politique.
Je m'en tiendrai aux domaines, sans entrer dans les détails, parce que nous voyons des problèmes ceux qui sont déjà dans le mouvement et qui s'enrôlent dans les Forces armées, souvent dans la réserve, pour avoir l'entraînement dont ils estiment avoir besoin et qu'ils peuvent ramener dans le mouvement. Nous constatons déjà des problèmes au fur et à mesure de l'enrôlement. Nous voyons des problèmes avec le recrutement pendant qu'ils sont dans les forces, puis nous voyons des problèmes avec les anciens combattants, des gens qui ont quitté l'armée et qui cherchent un endroit familier où se réfugier. Très souvent, ils sont séduits par les promesses du mouvement.
Nous étudions les stratégies dans chacun de ces trois domaines pour ce qui est des outils de dépistage précoce, ainsi que des moyens de surveiller et de repérer la radicalisation après le recrutement. Il y a aussi un écart entre le ministère des Anciens Combattants et les Forces armées canadiennes après qu'ils les ont quittées, pour ce qui est du soutien qu'ils obtiennent dans ce domaine en particulier; c'est donc un autre aspect à développer, je pense.
Comme vous le savez, le ministère de la Défense nationale et toutes les directions générales ont désigné ou créé de nouvelles ordonnances concernant la conduite haineuse et la participation à des groupes identifiables — je n'ai pas dit groupes « identifiés », mais « identifiables » — caractérisés par une conduite haineuse, et notre tâche consistera notamment à aider à opérationnaliser ces ordonnances ou à trouver des moyens de le faire également.
Merci de vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier Mme Perry et M. Leuprecht de leur analyse et de leur exposé.
Permettez-moi de commencer par M. Leuprecht.
Merci de votre analyse, comme toujours concise et incisive. Vous nous avez dit que les ressources que la société consacre à la protection du public seraient plus profitables pour des choses plus traditionnelles que la douzaine de causes de radicalisation des particuliers. Cela nous aide.
Puis-je vous poser une question au sujet des militaires, même si vous n'en avez pas parlé? J'ai des questions pour Mme Perry, mais étant donné que vous êtes professeur au Collège militaire royal, qu'avez-vous à nous dire sur le fait que des personnes ont été identifiées lors de certains événements, notamment à Rideau Hall, impliquant des militaires? Mme Perry vient de mentionner qu'un problème au niveau du recrutement est que parfois certains se font militaires pour cette raison, mais j'ai entendu récemment des dirigeants militaires dire que le problème est plus répandu qu'ils ne le croyaient.
Que pensez-vous de cela, dans votre perspective d'enseignant au collège militaire, et de ce que l'armée devrait faire pour cela?
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Quelle belle question, monsieur Harris!
Bien entendu, les Forces armées canadiennes sont une institution chargée de défendre notre mode de vie. Il y a des comportements qui ne sont pas acceptables dans les Forces armées canadiennes, mais qui pourraient l'être dans la société civile. Ils pourraient être choquants, mais acceptables. Voilà mon premier point au sujet des forces armées.
Le deuxième point est que nous savons, au fond, qu'il y a un effet de sélection dans les Forces armées canadiennes, et que cet effet de sélection comporte certaines dimensions idéologiques, certaines dimensions régionales, et ainsi de suite. Mais, selon moi, il ne convient pas de voir et de représenter sans nuances les Forces armées canadiennes — une institution qui a démontré son engagement total envers la défense de notre mode de vie — et d'associer l'ensemble de l'institution à une forme quelconque d'idéologie de droite.
Oui, l'institution a un défi à surmonter avec certains aspects de la culture institutionnelle, mais je m'oppose personnellement à ce qu'on associe cela aux idiosyncrasies et à l'idéologie de droite. De nombreux enjeux sont à prendre en compte dans la culture institutionnelle des Forces armées canadiennes.
Je rappellerais également que les particuliers membres des Forces armées canadiennes dont nous parlons sont, sauf erreur, tous des réservistes. Ce sont des réservistes de divers types qui ont fait des séjours variables dans les Forces armées canadiennes. Certains en sont sortis puis sont revenus. Dans l'ensemble, les forces armées ont fait un assez bon travail d'identification de ces personnes ou n'ont pas tardé à intervenir à leur égard, lorsqu'elles ont pris connaissance de ces problèmes.
Il y a certainement un problème qui commande une intervention proactive. Je sais que l'Australie et les États-Unis ont intensifié leurs efforts pour identifier les personnes justement pour les raisons que Mme Perry a exposées: la propension de certains d'entre eux à s'enrôler précisément pour recevoir le genre d'entraînement que nous ne voudrions jamais donner à quelqu'un qui a cette perspective de la vie. Mais je pense que nous nous sommes montrés raisonnablement résilients et que l'organisation s'est montrée résiliente également face aux personnes qui s'enrôlent pour des raisons antidémocratiques.
Je séparerais la question de la culture institutionnelle de celle de l'idéologie.
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Si vous considérez la quantité de recherches que Mme Perry a réunies, s'il y avait un lien, même faible, entre bravade et violence, nous pourrions nous attendre à voir beaucoup plus de violence au Canada. Cela nous indique qu'il nous faut une approche beaucoup plus nuancée.
Nous pouvons intervenir à quatre niveaux différents. Il y a d'abord la question des enquêtes criminelles sur les personnes qui se livrent à ce genre de comportement. Les trois autres sont des conversations que nous devrons avoir de façon plus agressive.
Quels sont les obstacles économiques et psychologiques que notre société a mis en place pour empêcher les gens, ceux qui font de la bravade, etc., de passer à l'acte?
Que pouvons-nous faire de certains éléments de la collectivité, où l'on trouve de petits groupes et que nous pouvons identifier, pour leur tenir un contre-discours, pour leur raconter un meilleur récit? C'est une occasion à saisir, en particulier avec les jeunes que nous croyons pouvoir influencer.
Nous devons aussi retourner la situation: s'il y a si peu de « 1 », mais d'innombrables « 0 », qu'est-ce que notre société fait de bien pour se rendre résiliente aux consommateurs de cette prolifération de haine en ligne? Sur ce plan, le Canada a mieux fait que certains de nos pays partenaires, par exemple, et nous devons nous concentrer sur les mesures proactives que nous avons mises en place en tant que société.
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Merci, monsieur le président.
Selon les rapports du SCRS, depuis 2014, 21 personnes ont été tuées et 40 autres ont été blessées en sol canadien à cause de l'idéologie extrémiste. De toute évidence, le SCRS a un problème avec ce qui se passe.
Madame Perry, le mois dernier, vous avez déclaré que l'extrême droite est devenue plus habile à intégrer les doléances de la population dans son propre discours et à les exploiter pour accroître le nombre de ses disciples. J'ai récemment lu White Fragility, dont l'auteur cite le neveu de David Duke. Celui-ci estime que le mouvement doit changer son discours traditionnel, qui consiste à réclamer la fin de toute forme d'immigration, la mobilisation contre l'action positive et la fin de la mondialisation, puisque ces positions sont plus acceptables aux yeux de la population à condition qu'elles ne soient pas dénoncées comme étant celles de nationalistes blancs.
Vous avez parlé plus tôt du sentiment anti-. On entend parler de tyrannie et de corruption. Souvent, les gens qui utilisent cette terminologie se disent « patriotes ». Pourriez-vous nous parler un peu de vos préoccupations à ce sujet.
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Merci beaucoup, monsieur le président, de m'avoir invité aujourd'hui, comme vous l'avez dit, selon un préavis plutôt court. J'ai reçu la nouvelle tout à l'heure, un peu avant midi, mais je suis très touché d'être invité à témoigner aujourd'hui. J'ai eu l'occasion d'écouter les témoignages des personnes qui m'ont précédé, et j'aimerais faire quelques remarques préliminaires et quelques observations de fond dans les sept minutes qui me sont imparties.
J'ai travaillé pendant 32 ans dans le domaine du renseignement de sécurité au Canada, tant pour le Centre de la sécurité des télécommunications, ou CST, que pour le Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS. Les remarques que je vais vous faire aujourd'hui sont fondées sur cette expérience. Je ne suis pas un universitaire, même si j'ai écrit six livres sur le terrorisme depuis mon soi-disant départ à la retraite du SCRS en 2015. Mon expérience de l'examen de l'extrémisme violent, de la radicalisation et du terrorisme découle du fait que j'ai travaillé à plusieurs centaines d'enquête quand j'étais au SCRS, à titre d'analyste stratégique.
Cela dit, je suis à la retraite depuis six ans, ce qui signifie que je n'ai pas eu quotidiennement accès au renseignement depuis plus d'une demi-décennie. Je demanderais cependant aux membres du Comité de considérer que mes connaissances ne sont pas aussi dépassées que cela. Je ne pense pas que beaucoup de choses ont changé depuis 2015, mais il est important de comprendre que les remarques que je vais vous faire aujourd'hui sont en partie fondées sur mon expérience historique des enquêtes en contre-terrorisme au Canada et à l'étranger, et qu'elles datent d'un peu moins de six ans.
Pour vous dire bien franchement, j'ai été un peu surpris en apprenant de la bouche des témoins précédents — que je connais très bien et pour lesquels j'ai beaucoup de respect — qu'en 2021, on ne parle plus du problème on ne peut plus évident qu'est celui de l'extrémisme islamiste. Si vous lisez les manchettes dans la presse quotidienne du monde entier — et je ne parle pas seulement de l'Afghanistan, de la Somalie, du Nigeria ou du Sahel, mais aussi de l'Europe de l'Ouest et d'autres pays comme les États-Unis, etc. —, vous constaterez qu'il ne se passe pas une seul jour sans qu'il y ait une attaque ou une arrestation en lien avec le terrorisme islamiste.
Si vous consultez le Global Terrorism Index, qui est la meilleure source d'information au monde — il publie un rapport annuel sur le terrorisme —, vous verrez que 99,4 % de toutes les attaques terroristes perpétrées annuellement dans le monde sont attribuables à ce que nous appelons des adeptes de l'extrémisme islamiste. Vous remarquerez que j'utilise le terme « extrémisme islamiste ». Je ne suis pas un grand partisan du nouveau concept d'EVCI ou extrémisme violent à caractère idéologique. Je pense qu'on sacrifie ainsi l'exactitude sur l'autel de je ne sais trop quoi, mais à mon avis, on ne peut pas régler un problème à moins de le nommer correctement. C'est pourquoi nous parlons d'extrémisme d'extrême droite, d'extrémisme d'extrême gauche. C'est pourquoi nous parlons d'extrémisme islamiste, d'extrémisme hindou en Inde ou même d'extrémisme bouddhiste, terme qui devrait être un oxymore. Et pourtant, il y a bien des terroristes bouddhistes dans le monde.
J'aimerais revenir un peu en arrière. Cette terminologie n'existait pas quand je travaillais au SCRS. Elle a fait son apparition après ma retraite. Je ne vais pas tirer de conclusions à partir de cela, mais je recommande que nous appelions un chat un chat et que nous soyons aussi précis que possible.
Je ne suis pas en désaccord avec Christian Leuprecht du CMR — que je connais depuis très longtemps — quand il dit que c'est un problème secondaire. Il a tout à fait raison, dans une certaine mesure. Il est vrai que le Canada n'a pas beaucoup été confronté au terrorisme au cours de ses 154 années d'existence. En fait, je viens de publier un livre intitulé « A history of terrorism in Canada from Confederation to the present », et je peux vous dire que les attaques de cette nature ont été rares chez nous.
D'un autre côté, la raison pour laquelle il y a eu si peu d'attaques, c'est que le SCRS et la GRC ont réussi à déjouer des complots très importants. Le week-end dernier, vous avez peut-être vu les articles du Global Media et du National Post au sujet d'un certain Zakaria Amara qui a demandé une libération conditionnelle. Il était membre des 18 de Toronto, une affaire que j'ai suivie du tout premier jour jusqu'à l'arrestation du groupe en juin 2006. Rien ne s'est passé grâce à la GRC et au SCRS. Si ce groupe avait réussi à mener son attaque, probablement en août 2006, il aurait tué des centaines de personnes et en aurait blessé des milliers, mais nous les avons tous arrêtés.
S'agissant de statistiques, nous devrions, je pense, nous réjouir du fait que notre pays ne souffre pas régulièrement d'attaques terroristes réussies, ce qui est vrai. Nous n'avons tout simplement pas les chiffres critiques des autres pays, mais ne perdons pas de vue le fait que beaucoup de complots ont été déjoués. Quand on travaille dans le domaine du renseignement de sécurité, on se rend compte que personne ne se soucie de savoir quand on fait bien les choses. Personne ne se soucie de savoir quand on arrête une attaque. Les gens s'en soucient seulement quand l'attaque n'a pas été arrêtée, et c'est à ce moment-là qu'ils pointent du doigt. Pourquoi ne l'avez-vous pas arrêté? Pourquoi n'avez-vous pas recruté de sources?
Je suis d'accord avec les témoins précédents pour dire que, s'agissant de terrorisme considéré en tant que priorité nationale, nous n'avons pas le niveau de criticité de beaucoup de nos partenaires dans le monde. Je vais vous citer une statistique qui devrait fort bien illustrer cela, à mon avis. L'équivalent du SCRS au Royaume-Uni est le MI5, le British Security Service. Au cours des dernières années, le MI5 a déclaré publiquement que 23 000 personnes d'intérêt et 30 complots simultanés de menace à la vie étaient inquiétants. Imprégnons-nous de ces chiffres pendant une seconde: 23 000 personnes capables de commettre un acte de terrorisme et 30 complots réels. Quand j'étais au SCRS, nous menions en permanence quelques centaines d'enquêtes de front. Nos statistiques ne correspondent tout simplement pas à celles de nos alliés.
Plus important encore, l'un des témoins précédents a dit que les gens parlent plus qu'ils n'agissent, et c'est vrai. Il y a beaucoup plus de bravaches, de fanfarons que de gens qui passent aux actes. Beaucoup parlent et ne joignent jamais le geste à la parole, mais on ne sait d'ailleurs pas qui va joindre le geste à la parole tant qu'il n'y a pas eu enquête. Il n'y a pas de prédicteurs fiables à cet égard, et c'est pourquoi on fait des enquêtes. C'est pourquoi on étudie les individus, c'est afin de déterminer si c'est du sérieux ou simplement des menaces en ligne ou en personne pour se donner un air important, pour présenter ses doléances ou pour faire part de sa colère envers la société. C'est pourquoi il y a le SCRS et la GRC.
Vous ne serez pas surpris d'apprendre que je suis un grand partisan du SCRS. J'y ai travaillé pendant 15 ans. Je suis un ardent défenseur de la GRC. Je pense que ces organisations font un excellent travail en notre nom. Je pense qu'en fin de compte, elles doivent disposer de ressources adéquates. Même si le problème n'est pas aussi aigu que dans de nombreux autres pays, cela ne veut pas dire qu'il a disparu.
Mme Perry a parlé de l'extrême droite. Je n'ai pas grand-chose à dire sur l'extrême droite, car ce n'était pas ma spécialité. Il existe divers courants d'extrémisme violent, de mouvements terroristes, au Canada et à l'étranger, qui représentent toujours une menace pour la sécurité nationale des pays.
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Je pense que ma collègue Barbara Perry, qui s'intéresse comme moi à l'extrême droite, a fait des recherches portant surtout sur l'apparition de l'extrême droite en ligne. Récemment, mon centre de recherche, le Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation, ou CEFIR, qui est situé à Longueuil, près de Montréal, a publié une recherche sur l'extrême droite au Québec.
Or ce n'était pas une recherche sur l'extrême droite en ligne. En effet, on fait beaucoup de recherche à ce sujet, mais on en fait très rarement sur des événements liés à l'extrême droite qui ont eu lieu dans la réalité, c'est-à-dire dans la rue. Quand j'ai commencé cette recherche, j'ai été fasciné de voir qu'avant la recherche que nous avions faite au CEFIR, il n'y avait pratiquement jamais eu d'ouvrages scientifiques, notamment sur le Québec, dans lesquels on tentait de déterminer combien d'événements liés à l'extrême droite étaient survenus au Québec. C'est ce que nous avons fait dans le cadre de cette recherche. Nous avons établi une chronologie des événements liés à l'extrême droite survenus au Québec au cours des 10 dernières années, soit de 2010 à 2020.
Comme je l'ai dit, la plupart des recherches qui ont été faites portent sur les apparitions en ligne. Cela représente une difficulté. Comme mon collègue M. Gurski le disait tout à l'heure,
[Traduction]
... beaucoup parlent et ne joignent jamais le geste à la parole.
[Français]
Tenir des propos haineux en ligne est une chose, mais passer à l'acte, dans la réalité, en est une autre. C'est ce que nous avons voulu mesurer. Nous en avons surpris plusieurs en révélant qu'il y avait eu au Québec, au cours des 10 dernières années, 521 événements liés à des groupes d'extrême droite. Je pourrai répondre à vos questions plus en détail tout à l'heure, étant donné que c'est une vaste étude que nous avons menée et que le processus a été assez long. Nous vous avons remis quelques documents qui traitent des groupes les plus actifs. Les courbes indiquent une augmentation en 2017 en raison notamment de l'attentat à la grande mosquée de Québec et des événements entourant la charte des valeurs québécoises. Il y a eu une remontée de l'extrême droite pendant cette période.
La courbe statistique que nous avons établie permet de constater qu'il y a eu une légère baisse en 2019. Il y a eu une très importante remontée en 2020, pendant la pandémie. La « nébuleuse » de l'extrême droite, au Québec, a un peu profité de la pandémie.
En parallèle avec nos travaux sur l'extrême droite, nous faisons des études sur les mouvements qui s'opposent aux mesures sanitaires et qui prônent les théories du complot. Nous avons constaté, dans le cadre de nos recherches sur les groupes d'extrême droite, que la plupart d'entre eux s'étaient pour ainsi dire recyclés en 2020 en se joignant au mouvement antisanitaire. D'anciens membres de groupes d'extrême droite qui n'existent pratiquement plus aujourd'hui constituent une grande partie de ce que nous appelons les GAMS, soit les groupes contre les mesures sanitaires. C'est le cas, par exemple, des groupes Storm Alliance et La Meute. Beaucoup de gens qui faisaient partie des groupes La Meute ou Storm Alliance en 2018 ou 2019 sont maintenant parmi les leaders des groupes contre les mesures sanitaires.
Au fond, notre recherche indique qu'il y a une montée des événements liés à l'extrême droite, pas nécessairement en ligne, mais plutôt dans la réalité. Il peut s'agir de toutes sortes d'événements, aussi bien de manifestations que de graffitis haineux ou de harcèlement en ligne. Ce sont des gestes réels qui sont posés, et non des propos qui sont tenus en ligne. Il peut même s'agir d'actes terroristes. Très souvent, c'est du harcèlement qui implique des adversaires ou de l'intimidation. En 2018, j'en ai moi-même fait l'expérience alors que je donnais une conférence au cégep Édouard-Montpetit. En effet, pendant un colloque sur l'extrême droite, les groupes La Meute et les Soldats d'Odin sont venus chahuter et nous intimider. Nous avons passé toute une journée en leur compagnie. Il s'agit là de tactiques d'intimidation. C'est d'ailleurs indiqué dans notre répertoire qui fait état des 521 événements survenus.
Finalement, au Québec, on constate une augmentation des manifestations en personne liées aux groupes d'extrême droite, ainsi qu'une augmentation de la violence. En effet, l'année 2020 a été la plus violente.
J'ai été surpris d'entendre ma collègue Mme Barbara Perry dire, tout à l'heure, que les gens de la mouvance d'extrême droite obéissaient aux mesures sanitaires. Je ne sais pas si le Québec est encore une fois une société distincte en la matière, mais moi, je dirais plutôt que les gens de la mouvance d'extrême droite, au Québec, sont vraiment contre les mesures sanitaires. Ils ont même été les leaders des mesures antisanitaires. Ils n'obéissent systématiquement pas aux mesures sanitaires.
Les sept minutes sont-elles écoulées, monsieur le président?
Regardons les faits saillants. Au total, depuis 10 ans, il y a eu 113 événements impliquant de la violence, toutes catégories confondues, puisque nous avons recensé plusieurs types de violence. Au cours des 10 dernières années, au Québec, 22 % des événements liés à l'extrême droite ont été violents. On observe une tendance à la hausse de la violence depuis le début des années 2010, avec une accélération marquée dans la seconde moitié de la décennie. La moyenne annuelle est passée de 2,6 événements impliquant de la violence entre 2010 et 2015 à 19,4 événements impliquant de la violence entre 2016 et 2020. Alors, l'augmentation de la violence reliée aux groupes d'extrême droite au Québec est un problème.
Par ailleurs, la violence physique a fait un bond important durant la deuxième moitié de la décennie. La moyenne est passée de deux événements impliquant de la violence physique par année avant 2015 à neuf événements impliquant de la violence physique à partir de 2016. On observe des pointes de violence particulièrement saillantes. En 2017, il y a eu 23 événements violents, et en 2020, il y a eu 35 événements impliquant de la violence liés à des groupes d'extrême droite.
L'année 2020 a donc été la plus violente de la décennie.
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Quand nous parlons de terrorisme islamique et d'extrême droite sans parler de christianisme, nous véhiculons un préjugé culturel. Je m'explique. Lorsque nous parlons de terrorisme, nous l'associons à la religion islamique, ce que nous ne faisons pas avec la religion chrétienne, qui est la nôtre. Nous dissocions extrême droite, politique et religion chrétienne. Or tous les groupes d'extrême droite que j'étudie sont formés d'intégristes chrétiens.
Il faut donc faire la différence entre le fait de pratiquer sa religion en allant à la messe le dimanche, par exemple, et l'intégrisme religieux, qui se retrouve dans toutes les grandes religions monothéistes du monde, que ce soit l'islam, le christianisme, le bouddhisme, et ainsi de suite, comme l'a dit tantôt mon collègue M. Gurski. En Birmanie, les bouddhistes sont assez terroristes, merci.
Selon moi, ces catégories ne sont pas adéquates, parce qu'elles ne prennent pas en compte le fait que l'intégrisme, qu'il soit catholique ou chrétien, est associé de près aux mouvements politiques d'extrême droite.
Je vous donne quelques exemples pour le Québec. Parmi les groupes néo-fascistes qui existent à Québec, l'un des plus actifs, selon nos recherches, est Atalante. Il y a aussi la Fédération des Québécois de souche. Ces groupes sont très proches d'un groupe catholique de Québec appelé La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, qui possède une école intégriste catholique à Lévis. Ce groupe est la source d'inspiration d'un article que je prépare, qui sera bientôt publié dans un livre. Nous avons vu que la source d'inspiration intellectuelle et politique de tous ces groupes de Québec est le groupe religieux La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X.
En septembre, nous publierons un autre article sur des groupes de jeunes de Longueuil, inspirés par La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X et d'un autre groupe d'extrême droite, Tradition Québec, qui ont même lancé un nouveau groupe d'extrême droite formé de jeunes, que nous dévoilerons dans le même article, qu'on a appelés des « Zoomers » et des « Groypers ». Je ne définirai pas ces termes aujourd'hui, mais ils sont très liés à la culture des mèmes et à la culture des jeunes traditionalistes.
Je ne pensais pas voir dans ma carrière des jeunes étudiants traditionalistes, catholiques, intégristes d'extrême droite, mais ils existent. D'ailleurs, l'un d'eux provenait du cégep où j'enseigne. Heureusement, le phénomène est quand même assez marginal. En fait, ce n'est pas parce qu'un groupe n'est pas marginal qu'il n'est pas dangereux.
Pour répondre à votre question sur la catégorisation, je pense qu'il faut tenir compte que tous ces groupes, qu'ils soient d'extrême gauche ou l'extrême droite, sont associés de près aux mouvements intégristes de différentes religions monothéistes. Les groupes d'extrême droite du Québec sont liés de très près à des groupes intégristes, mais pas à la religion catholique.
Prenons l'exemple de La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X. Il ne s'agit pas d'un groupe qui fait partie de l'Église catholique, car il en a été excommunié en 1988. Il s'agit donc vraiment d'un groupe sectaire. La particularité des groupes extrémistes, qu'ils soient...
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J'offre mes excuses aux interprètes. Mon micro était mal branché. Le problème est résolu.
Monsieur Geoffroy, je vous remercie beaucoup de votre présence au Comité et de votre apport, qui confirme l'importance de l'étude que nous avons entreprise.
À la suite des témoignages que nous avons entendus, je ne peux m'empêcher de mentionner ce qui suit. Vous parliez d'une augmentation de plus de 6 000 % des activités liées à l'extrême droite depuis une décennie, et vous précisiez que l’augmentation annuelle était maintenant passée de 2 à 129. C'est une augmentation fulgurante.
Le plus récent rapport du SCRS sur la menace au pays mentionnait que l'extrémisme violent à caractère idéologique avait fait 21 morts et 40 blessés au Canada depuis 2014. Cette forme d'extrémisme a fait plus de victimes que l'extrémisme à caractère religieux ou politique. Cela confirme la pertinence de l'étude du Comité.
Lors de la comparution de Mme Barbara Perry, qui est directrice du Centre sur la haine, les préjugés et l'extrémisme de l'Université Ontario Tech, nous avons appris que les mouvements d'extrême droite adhéraient à la culture pour les armes. Nous avons entendu la témoin citer en exemple l'une des devises des Proud Boys: « on aime nos guns ».
Ce genre de parallèle est-il aussi constaté au sein des groupes d'extrême droite au Québec, selon les observations que vous avez faites dans le cadre de votre recherche?
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Nous n'avons pas étudié particulièrement ces groupes. Toutefois, au Québec, certains groupes valorisent les armes, comme les Three Percenters et d'autres. Je doute par ailleurs qu'il y ait des Proud Boys au Québec, puisqu'ils sont beaucoup plus présents dans le Canada anglais.
En ce qui concerne l'extrême droite, il y a toute une culture d'affirmation de la masculinité et de la liberté d'expression, mais aussi de la liberté quant au port d'arme, qui provient des États-Unis. La valorisation des armes va parfois de pair avec la valorisation d'une masculinité plus traditionnelle.
Nous réaliserons bientôt des études en ce qui a trait au rôle des femmes dans les groupes d'extrême droite, puisque nous avons accordé plusieurs entrevues à des femmes appartenant à ces groupes. Le rôle des femmes y est très traditionnel. Par exemple, elles font la cuisine, mais elles ne prennent pas de décisions. Vous comprenez ce que je veux dire. Il est intéressant de constater qu'il y a de plus en plus de femmes dans ces groupes.
Pour répondre à votre question très brièvement, il y a effectivement des liens entre ces groupes et la valorisation des armes. Au Québec, les membres de certains groupes d'extrême droite se sont souvent présentés dans les rues alors qu'ils portaient des habits de soldats. Nous avons commencé à mener des études à cet égard, en collaboration avec le Collège militaire royal Saint-Jean. Nous tiendrons d'ailleurs un colloque sur l'extrême droite dans l'armée au mois de février prochain, au Cégep Édouard-Montpetit.
Nous remarquons aussi qu'il y a beaucoup d'anciens militaires dans les groupes d'extrême droite, ce qui est en lien avec la valorisation des armes, évidemment. L'un des fondateurs du groupe La Meute, qui a été l'un des groupes d'extrême droite les plus importants au Québec pendant un certain temps, était en fait un ancien soldat de l'armée canadienne qui avait combattu en Afghanistan. Il disait d'ailleurs avoir fondé ce groupe parce qu'il avait été traumatisé par la guerre en Afghanistan. La Meute est un groupe fascinant, car il adopte des structures de pouvoirs militaires, comme des groupes semblables le font souvent. Au sein de La Meute, les membres avaient entre autres des grades militaires, par exemple.
Bref, il y a un lien à faire entre ce genre de groupes et la valorisation des armes.
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Je trouve intéressante la façon dont vous avez fait la genèse de l'évolution de ces mouvements au cours de la dernière décennie, dans votre rapport. Vous parliez de la germination, de l'éclosion, de la croissance et du développement de ces groupes. Entre 2017 et 2019, nous avons vu sur la place publique beaucoup plus de groupes comme La Meute, que vous venez de mentionner. Nous avons aussi constaté que ces groupes ont été alimentés par différents événements dans l'actualité. Nous pouvons penser à l'élection américaine, au mouvement migratoire à la frontière et aux demandeurs d'asile.
Vous avez parlé de la charte des valeurs et de la Loi sur la laïcité. J'aurais ajouté le Pacte mondial pour les migrations. Il y a eu toutes sortes de théories de conspiration selon lesquelles le Canada cédait le contrôle de ses frontières à l'Organisation des Nations unies. Même certains de mes collègues conservateurs, à la Chambre des communes, ont laissé entendre que c'était le cas.
Vous disiez que, depuis 2020, une mutation s'opérait au sein des théories plus nativistes et basées sur une peur de l'immigration et sur des sentiments plutôt xénophobes, et qu'on y constatait davantage une mouvance contre les mesures sanitaires, contre les pouvoirs et contre les élites.
Jusqu'à quel point ces deux discours se recoupent-ils dans les mouvements d'extrême droite, en ce moment? Sont-ils tous deux alimentés, ou y a-t-il vraiment une migration de l'idéologie vers les mesures sanitaires et un abandon des sentiments plus xénophobes ou contre la migration?
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Je n'ai pas mené d'étude sur la femme dans l'armée canadienne. En revanche, nous avons mené une étude au Collège militaire royal Saint-Jean, qui est près de chez nous. Cette étude a porté sur les croyances et les connaissances qu'ont les élèves officiers par rapport aux différentes religions et à la radicalisation. C'est ce que nous allons présenter au colloque.
Par contre, des études ont déjà été faites sur l'extrême droite au sein de l'armée, et dont les résultats seront présentés également durant le colloque en février prochain. Je n'ai donc pas de résultats à vous présenter comme tels aujourd'hui, puisque nous ne les avons pas encore.
En outre, j'ai fait beaucoup d'entrevues avec des femmes qui ont été de hautes gradées dans différents groupes d'extrême droite québécois. Elles m'ont toutes dit la même chose; le rôle de la femme, dans ce groupe-là, est un rôle traditionnel. Elles sont là, finalement, pour servir les hommes.
Cependant, il y a parfois des exceptions. Je vous donne l'exemple d'un groupe comme les Soldats d'Odin, qui avait comme cheffe Katy Latulippe, une femme. Très souvent, ces femmes deviennent cheffes du groupe quand leur petit ami est en prison ou quand quelque chose du genre arrive. C'est un peu comme une passation des pouvoirs au sein de la famille. Souvent, les femmes se joignent à ces groupes en étant la blonde de quelqu'un, pour ainsi dire.
En règle générale, le rôle de la femme est assez traditionnel dans ces groupes, effectivement.
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Je dirais qu'il y a effectivement des liens avec la présence en ligne, mais je dirais surtout que c'est beaucoup plus profond que cela.
Les biais cognitifs sont au cœur du problème des théories du complot et de tous ces groupes extrémistes qui adhèrent aux théories du complot. Ces biais sont très importants, et pas seulement pour les extrémistes, qu'ils soient d'extrême gauche d'extrême droite. Ils ont été amplifiés par ce que Gérald Bronner, un collègue français avec lequel je travaille, appelle le marché cognitif des idées en ligne. Dans le marché des idées, on n'aurait pas de contrôle, et les propositions les plus alléchantes ne seraient pas les propositions véridiques ou scientifiques, mais plutôt celles qui tournent autour des théories du complot.
Le racisme et les questions d'immigration se trouvent souvent derrière ces théories de complot. On a beaucoup parlé de QAnon. En fait QAnon, c'est du recyclage de vieilles théories du complot qu'on modernise. Cela revient de manière cyclique et il s'agit toujours des mêmes théories du complot.
Dans le cas de QAnon, on parle de cabale pédosatanique mondiale. Or, je peux vous dire que, dans les années 1990, j'ai étudié un groupe d'intégristes catholiques qui s'appelle les Bérets blancs et qui se trouve à Rougemont. Je ne sais pas si vous le connaissez.
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Oui, il y a effectivement une migration. Un des meneurs du mouvement antisanitaire au Québec, Steeve L'Artiss Charland , est l'ancien numéro 2 du groupe La Meute. Il y a aussi Mario Roy , qui est maintenant en prison pour outrage au tribunal et qui est dans la mouvance des citoyens souverains. C'est un ancien membre de La Meute et de Storm Alliance. À cause d'une baisse de ces groupes au Québec, en 2019, beaucoup de ces gens-là ont migré vers les groupes de mesures antisanitaires. Ils en ont même pris la tête et ont réussi à cristalliser cela.
On a aussi vu d'autres groupes. Par exemple, dans les groupes contre les vaccins, il y a beaucoup de gens de la mouvance du nouvel âge, des gens qui pensent qu'on peut se guérir d'un cancer par le pouvoir de la pensée, entre autres. Avant la pandémie, on considérait ces groupes plus ou moins dangereux. Cependant, je ne sais pas si vous l'avez remarqué, mais avec la pandémie, le mouvement contre les vaccins est devenu dangereux. C'est une chose de refuser un vaccin, mais dans le cadre d'une pandémie, cela peut causer la mort.
On ne se souciait donc pas trop de ces mouvements avant la pandémie, mais ce qui est étrange, c'est qu'ils se sont cristallisés ensemble. Maintenant, ce que je vois, c'est que le mouvement contre les vaccins va se mêler aux discours d'extrême droite. Pendant la pandémie, ces discours ont trouvé une façon de se coaliser. Vont-ils se séparer ou se fragmenter de nouveau après la pandémie, ou vont-ils continuer à se coaliser? C'est une bonne question, et je ne suis pas futurologue.
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Voilà une excellente question, et je suis heureux que vous l'ayez posée. Ayant travaillé dans le domaine de la lutte contre le terrorisme aussi longtemps que je l'ai fait, je me pose souvent cette question moi aussi.
Au SCRS, nous étions guidés par le Code criminel et l'article 83.01 du Code définit l'activité terroriste comme étant un acte de violence grave planifié ou perpétré pour trois raisons principales: l'idéologie; la politique ou la religion. C'est dans le Code criminel.
Une bonne partie de ce que j'entends aujourd'hui ne serait pas, selon moi, considérée comme une activité terroriste, mais comme un crime haineux, comme la misogynie. Il pourrait s'agir du tout-venant, si je puis m'exprimer ainsi. Par exemple, j'entends beaucoup parler de l'attaque d'un incel à Toronto en 2018. J'ai déclaré publiquement dans les médias canadiens que ce n'était pas un acte de terrorisme. C'était un acte de misogynie violente.
Je pense qu'il est problématique de regrouper ces termes. C'est très problématique du point de vue de ceux qui doivent s'en servir. Le SCRS ne mène pas d'enquêtes criminelles. C'est le service du renseignement de sécurité qui recueille des renseignements pour aider la GRC et les organismes d'application de la loi.
Je pense qu'il faut faire très attention à la terminologie. Une bonne partie des propos de M. Geoffroy me préoccupe au plus haut point, mais ce n'est certainement pas le terrorisme. C'est une autre chose à laquelle la société canadienne a affaire. Je préfère délimiter très étroitement les contours du terme. J'ai même préconisé d'éliminer complètement le mot « terrorisme » du Code criminel, parce qu'il y a d'autres crimes, d'autres poursuites, qui sont possibles pour régler ces problèmes.
Vous savez, tout cela me paraît fort simple en ce sens que l'on va là où l'information nous guide. Le problème surgit quand on arrive avec des idées préconçues, et c'est là qu'on commence à faire des erreurs. J'ai beaucoup écrit à ce sujet dans mon tout premier livre, The Threat From Within. Si vous partez sur des a priori, que vous vous dites, par exemple, que le statut socioéconomique médiocre est un facteur important ou un prédicteur, vous constaterez que vous avez 50 % des chances d'avoir tort et 50 % d'avoir raison.
En fin de compte, nous confions à nos agents d'application de la loi et à nos agents du renseignement de sécurité le soin de recueillir l'information et de voir où elle va les mener, et nous leur demandons de prendre des décisions en fonction de ce qu'ils voient sur le terrain, plutôt que de leur fixer un cadre préétabli. En disant cela, je ne dénigre pas les travaux d'universitaires comme M. Geoffroy. Je pense qu'ils sont très utiles, mais, en toute honnêteté, ceux qui, comme moi, ont travaillé dans le domaine du renseignement de sécurité n'ont pas eu le temps d'intégrer ces théories, parce que nous étions trop occupés à faire des enquêtes. Ces théories ont-elles servi? Oui, mais elles n'ont ni encadré ni dicté le cours de nos enquêtes.
Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais vous avez raison de dire que c'est extrêmement complexe et que chaque cas est différent, malheureusement.
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Oui. Beaucoup de gens disent par exemple qu'Alexandre Bissonnette n'a pas commis un acte terroriste. Pour ma part, je considère qu'il s'agit d'un acte terroriste.
On n'a pas poursuivi Alexandre Bissonnette pour terrorisme, car cela n'aurait servi à rien. En effet, on savait déjà qu'il allait écoper d'une peine d'emprisonnement à perpétuité, ou presque. Puisqu'il est beaucoup plus difficile de poursuivre quelqu'un pour terrorisme que pour meurtre, on a abandonné les poursuites pour terrorisme, qui auraient constitué une perte de temps, mais si on l'avait fait, ces actes auraient pu être déclarés comme étant terroristes.
Cela a eu un effet dévastateur sur la communauté musulmane de Québec. Les gens de la grande mosquée de Québec considèrent qu'il s'agit d'un événement terroriste et ils ont été très blessés par le fait qu'on ne l'a pas déclaré comme tel et que M. Bissonnette n'a pas été accusé de terrorisme. Cela leur donne l'impression qu'il y a deux poids, deux mesures, parce que, lorsque de tels actes sont commis par un musulman, on déclare toujours qu'il s'agit de terrorisme, et non de folie.
D'ailleurs, selon la théorie du complot des groupes d'extrême droite du Québec, Alexandre Bissonnette n'est pas inspiré par l'extrême droite, mais souffre plutôt de folie. Pourtant, si Alexandre Bissonnette souffrait vraiment de folie ou de troubles mentaux, il serait à l'Institut Philippe-Pinel et non en prison. On ne peut donc considérer qu'il s'agit de folie. Or, comme je le disais plus tôt, on a souvent des biais culturels.
Je voudrais revenir sur ce que Mme Larouche et Mme Lambropoulos ont demandé plus tôt. Les recherches que nous faisons en ce moment sur des femmes de l'extrême droite nous montrent que la plupart de ces femmes ont été victimes d'abus physiques et sexuels dans leur vie. C'est une donnée importante que nous allons publier au cours des prochains mois et que je vous donne en primeur aujourd'hui. Ces groupes attirent un certain type de femmes qui sont fragiles et qui continuent à vivre des sévices au sein de ces groupes.
Avec le psychologue Louis Brunet, je travaille au récit de la vie d'une femme qui a fait partie d'un de ces groupes. Tout au long de sa vie, cette femme a été victime de violence conjugale et d'abus. Nous constatons que les groupes d'extrême droite que nous étudions sont des endroits parfaits pour commettre des abus sexuels sur des femmes.
J'étudie depuis plus de 20 ans les groupes sectaires, et cela ressemble beaucoup aux types d'abus commis au sein des groupes sectaires. Cela se passe le contexte d'une culture misogyne, au nom de laquelle on enferme des femmes dans des groupes dangereux en prétextant des raisons politiques.
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Nous allons devoir nous arrêter ici. Je vous en remercie.
Chers collègues, cela met fin à notre séance.
En votre nom, je tiens à remercier notre témoin de dernière minute, M. Gurski, ainsi que M. Geoffroy, pour ses renseignements manifestement passionnés et éclairés dans ce domaine.
Avant de lever la séance, je tiens à souligner qu'après notre réunion de mercredi, où nous accueillerons le ministre et la commissaire, je souhaite ajouter 10 à 15 minutes, afin que nous puissions avoir une idée de ce que nous voulons faire de notre point de vue au sujet du rapport Bastarache. Veuillez noter que la prochaine réunion sera un peu plus longue que d'habitude.
Les partis pourraient-ils indiquer au président et au greffier ce qu'ils veulent faire du Budget supplémentaire des dépenses (A)? Ce serait utile, puisque nous avons un programme ayant fait l'objet d'âpres négociations, et qui est très chargé.
Sur ce, je remercie encore une fois nos deux témoins.
La séance est levée.