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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de l'invitation. J'aimerais souligner que je comparais devant votre comité le jour même du 85e anniversaire de la Force aérienne du Canada.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m'avoir invité à parler du commandement du NORAD en général, plus particulièrement des événements du 18 février 2009, date à laquelle des avions militaires russes se sont approchés du Canada et des États-Unis.
Les militaires canadiens qui occupent une myriade de postes au sein du système de défense de l'Amérique du Nord apprécient votre intérêt et votre soutien continus.
[Traduction]
Avant d'entrer dans les détails de l'incident du 18 février, je crois qu'il est important que je rappelle brièvement ce qu'est le NORAD, quelle est ma mission en tant que commandant de la région canadienne du NORAD et quelles sont les différences entre l'espace aérien souverain et la zone d'identification de la défense aérienne du Canada, CADIZ.
[Français]
Le NORAD a une longue histoire de succès en tant que commandement binational intégré remplissant sa mission d'alerte aérospatiale et de contrôle aérospatial de l'Amérique du Nord. Le NORAD fêtera ses 51 ans et il demeure un excellent exemple de l'étroite collaboration qui unit le Canada et les États-Unis pour la défense de l'Amérique du Nord.
Avant les événements du 11 septembre 2001, le NORAD s'attachait principalement à surveiller les approches aériennes de l'Amérique du Nord, portant une attention particulière à la défense du Canada et des États-Unis contre les menaces militaires étrangères. Cependant, comme l'ont démontré les attaques terroristes du 11 septembre, des organisations et des acteurs autres que des États représentent des menaces et utilisent des tactiques et des armes non conventionnelles. C'est ce que nous appelons une menace asymétrique. Ce type de menace retient désormais davantage notre attention à l'intérieur même de l'Amérique du Nord, même si nous restons vigilants à l'égard des menaces militaires symétriques classiques provenant de l'extérieur de nos frontières.
Lors de la dernière reconduction de l'Accord du NORAD, les gouvernements du Canada et des États-Unis ont décidé de renforcer le NORAD et de lancer une mission de surveillance maritime, en plus du rôle de surveillance et de défense de l'espace aérien. La mission de surveillance maritime utilise les systèmes de commandement et de contrôle qui existent depuis longtemps au NORAD et repose sur des ententes de partage de l'information de longue date entre le Canada et les États-Unis, pour assurer la sécurité des approches maritimes de l'Amérique du Nord.
[Traduction]
Je commande la région canadienne du NORAD, et je travaille en partenariat avec mes homologues de la région de l'Alaska et de la région continentale américaine du NORAD. Je relève du commandant du NORAD, le général Gene Renuart, qui rend compte au gouvernement du Canada par l'intermédiaire du Chef d'État-major de la Défense et au gouvernement des États-Unis par l'intermédiaire de la Défense.
La mission d'alerte aérospatiale du NORAD consiste à détecter, confirmer et avertir les attaques par aéronefs, missiles et engins spatiaux contre l'Amérique du Nord. À cette fin, les activités aérospatiales dans le monde sont traitées et analysées. Nos zones d'intérêt ne sont pas limitées géographiquement car les menaces peuvent provenir de toutes parts. La mission de défense de l'espace aérien du NORAD consiste notamment à surveiller et à intercepter tout engin indésirable ou non autorisé s'approchant de l'Amérique du Nord ou s'y trouvant. Le NORAD dispose pour cela d'un arsenal ayant des capacités de détection, de suivi, d'interception, d'identification, d'observation en vol et, dans le cas extrême, de déroutement ou de destruction d'engins aériens habités ou non, perçus comme représentant une menace pour l'Amérique du Nord.
Lorsqu'on détecte des engins aériens qui s'approchent du Canada ou des États-Unis sans informations de vol correspondantes, des mesures instantanées permettent de vérifier si les systèmes du NORAD fonctionnent correctement, puis de trouver l'identité du contact en temps réel. Ces opérations sont effectuées en coordination avec des organismes civils comme NAV CANADA, avec l'U.S. Federal Aviation Authority, et avec des organismes d'exécution de la loi et des alliés militaires. Si ces méthodes ne permettent pas de déterminer l'origine ou l'objectif d'un engin, des avions de chasse militaires sont chargés de procéder à une identification visuelle. Lorsque le NORAD identifie un aéronef qui approche, il le fait suivre ou l'observe depuis le sol afin de vérifier ses intentions, l'objectif étant d'empêcher tout aéronef non autorisé et indésirable de pénétrer dans l'espace aérien nord-américain ou de mettre en danger la circulation aérienne commerciale.
Dans les cas les plus extrêmes, le NORAD peut employer la force mortelle pour détruire des engins ou des aéronefs qui approchent ou sont dangereux, après en avoir obtenu l'autorisation expresse.
[Français]
L'espace aérien souverain du Canada comprend l'espace aérien situé au-dessus du territoire canadien, de ses eaux territoriales, pélagiques et intérieures. Conformément au droit international, le Canada et les États-Unis considèrent que leurs eaux territoriales s'étendent jusqu'à 12 milles marins de leurs côtes.
Notre espace aérien souverain est différent de ce que nous appelons la zone d'identification de défense aérienne, ZIDA ou ADIZ en anglais. C'est un espace englobant la zone continentale du Canada et des États-Unis qui a été établi pour faciliter les activités de surveillance des approches de l'Amérique du Nord par le NORAD. C'est principalement dans cette zone que sont effectués l'identification, la localisation et le contrôle des aéronefs principalement inconnus ou non autorisés dans l'intérêt de la sécurité nationale.
La zone d'identification de la défense aérienne du Canada, ou CADIZ, s'étend généralement au-delà de la limite des 12 milles marins de notre espace aérien souverain. L'archipel arctique fait toutefois exception à la règle puisque la limite extérieure de la CADIZ suit le 72e parallèle, le situant entièrement en territoire souverain.
Les limites et les exigences de traversée de la CADIZ sont énoncées de façon transparente dans les publications de planification de vol reconnues et diffusées internationalement. Toutefois, au-delà de l'espace aérien souverain, ces exigences ne revêtent pas de caractère exécutoire. Nos actions dans la CADIZ, mais en dehors de la limite des 12 milles marins de notre espace souverain, ne peuvent contrer les activités d'un autre aéronef, sauf indication d'intention hostile.
[Traduction]
Cependant, le Canada et les États-Unis assument des responsabilités internationalement reconnues qui consistent à surveiller que les voies aériennes qui permettent d'approcher et de traverser l'Amérique du Nord sont empruntées de façon sûre et efficace. Ce n'est qu'en procédant à des activités de coordination préalables par les voies acceptées et selon les procédures reconnues qu'un aéronef peut voler en toute sécurité.
Les procédures internationalement reconnues — procédures de l'OACI et de la FAA, la Federal Aviation Administration — applicables pour notifier la présence d'un aéronef dans l'espace aérien international à proximité des frontières d'un autre pays s'effectuent en présentant un plan de vol à une autorité de la circulation aérienne. Au Canada, il s'agit de NAV CANADA. Le dépôt d'un plan de vol permet de prévenir les autres utilisateurs de l'espace aérien, qu'ils soient civils ou militaires, de l'activité aérienne. Pour un pilote, être au courant de la présence d'autres aéronefs est un facteur fondamental de sécurité.
S'il est possible de voler en toute sécurité dans l'espace international sans déposer de plan de vol, cette possibilité exige un appui technologique pour se préserver des autres aéronefs. Cet appui technologique peut consister en la présence à bord de systèmes de radar, comme dans le cas d'un avion de détection aérienne avancée ou d'un contrôle radar effectué par des unités d'appui, comme un porte-avions. On dit alors de ces aéronefs qu'ils volent sous la procédure « due regard », exigée par la loi; leur sécurité incombe aux organisations qui les utilisent. Lorsqu'un aéronef vole sans système de bord et n'a rien pour l'aider à rester à une distance de sécurité raisonnable des autres aéronefs, on dit qu'il a une conduite dangereuse.
La procédure « due regard » est une procédure reconnue qui a été promulguée pour la première fois à la Convention de Chicago en 1994, article 3, et ratifiée par l'OACIA, NAV CANADA et la FAA.
[Français]
Si aucun plan de vol n'a été déposé pour un aéronef qui vole à proximité des frontières de nos pays, il n'existe aucun moyen de s'assurer que tous les intervenants militaires et civils du contrôle de l'espace aérien et de la circulation aérienne ont connaissance des informations requises pour assurer sa sécurité.
Par exemple, le Traité sur la réduction des armements stratégiques START, signé en 1991 par les États-Unis et l'Union soviétique d'alors, contient une disposition qui prévoit que les États-Unis et la Fédération de Russie se préviennent l'un l'autre en cas de déplacement de plates-formes aérobies d'armes nucléaires, telles que les bombardiers à long rayon d'action, d'une base désignée à une autre, dans les deux pays et dans un certain délai suivant le déplacement de l'aéronef. Je répète: suivant le déplacement de l'aéronef, et non pas avant son déplacement.
Toutefois, il ne s'agit pas, dans ce cas, d'une situation d'avis de vol d'aéronef s'approchant de l'Amérique du Nord et cela ne constitue pas une nécessité d'améliorer la sécurité des vols, car les autres types d'aéronefs et les autres activités aériennes ne sont pas soumis aux avis en vertu du traité START. Celui-ci ne prévoit ni l'envoi d'avis préalable des vols ni les détails concernant les routes, les horaires, l'altitude et la vitesse nécessaires pour permettre d'identifier les vols et de sauvegarder l'activité aérienne. Ce traité ne visait pas à coordonner les actions en temps réel de chaque nation. Il s'agit d'un moyen de répertorier les forces nucléaires, conçu comme une mesure de rétablissement de la confiance au dernier jour de la guerre froide.
[Traduction]
Des armées étrangères peuvent mener des opérations aériennes en dehors de leur espace aérien souverain à des fins de formation et dans le cadre de missions. Le Canada effectue lui-même des vols dans l'espace aérien international au-delà de la limite des 12 milles marins, à l'appui d'opérations en haute mer, en route vers des théâtres d'opération outre-mer, et dans le cadre de l'instruction militaire.
Comme je vous l'ai expliqué au début de mon témoignage, la mission du NORAD est de réagir à tout vol non identifié ou non autorisé s'approchant de l'Amérique du Nord, que ce vol se révèle accidentel ou intentionnel, militaire ou civil, allié ou ennemi. Tant que le vol n'a pas été identifié et l'intention déterminée, nous ne disposons pas d'une vue d'ensemble de la situation et nous devons aborder tous les incidents de la même manière. C'est la mission du NORAD.
[Français]
Le vol des deux Tupolev 95 Bear H du 18 février 2009 est typique des vols effectués par l'aviation stratégique de longue portée de la Fédération de Russie depuis l'annonce de la reprise des patrouilles hors zone en août 2007 par le président russe d'alors, Vladimir Poutine.
Les appareils sont entrés dans la CADIZ à environ 17 h 22, heure d'Ottawa, sans plan de vol ou information de coordination. Conformément à notre mission, les avions de chasse en état d'alerte CF-18 du NORAD ont été dépêchés pour procéder à l'identification des aéronefs. Généralement, les chasseurs du NORAD sont chargés de déterminer le type de l'aéronef et sa nationalité et de recueillir toute information permettant de déterminer s'il représente une menace.
L'interception a permis de confirmer qu'il s'agissait bel et bien de deux Tu-95 Bear H russes et de déterminer que les deux appareils volaient en formation tactique serrée, l'un derrière l'autre, le second à trois milles nautiques derrière le premier, et suivaient le cap menant en territoire canadien. Après avoir été identifiés, les CF-18 sont restés à une distance de sécurité de 10 milles nautiques. Puis, ils ont vite reçu l'ordre de rejoindre leur base. Alors que les chasseurs s'apprêtaient à quitter la zone, les contrôleurs au sol du NORAD leur ont demandé d'envoyer des appels radio prédéterminés à la formation d'appareils russes, conformément à l'Accord sur la prévention des activités militaires dangereuses établi entre le Canada et la Russie en 1991. Un appel radio « CLOSE TO TERRITORY » a été lancé à environ 17 h 33, heure d'Ottawa; après cet appel, les appareils russes ont modifié leur cap et se sont dirigés vers l'ouest.
Les CF-18 ont poursuivi leur vol vers leur base, et les Tu-95 H ont continué vers l'ouest par la CADIZ, suivis par les radars au sol. À 18 h 05, les aéronefs ont quitté l'ADIZ canadienne et sont entrés dans l'ADIZ de l'Alaska, et la région de l'Alaska du NORAD a pris le relais de leur surveillance.
[Traduction]
Après identification, il s'est avéré manifeste que ces appareils ne représentaient pas une menace pour l'Amérique du Nord. Ils se sont approchés, au plus près, à 41 milles nautiques, soit environ 76 kilomètres, du territoire canadien. Le comportement et la discipline aéronautique des pilotes ont révélé un grand professionnalisme.
Je dois signaler qu'à la vitesse des aéronefs Bear, 41 milles nautiques représentent entre trois à cinq minutes de vol depuis la zone aérienne continentale du Canada.
Cependant, nous souhaiterions qu'un même professionnalisme caractérise la communication opportune et transparente des activités aériennes à l'approche ou à l'intérieur du territoire souverain de l'Amérique du Nord. Avec l'appui des gouvernements canadien et américain, le commandant du NORAD a, par le passé, engagé ses homologues militaires russes à favoriser l'échange d'informations de vol. Aucune obligation légale internationale n'oblige la Fédération de Russie à fournir cette information, mais nous pensons que c'est dans l'intérêt de tous de renforcer la sécurité aérienne, particulièrement dans le cas des vols effectués dans un environnement aussi rude et austère que la région de l'Arctique.
La circulation aérienne commerciale s'intensifie dans cette zone et nos trois pays, ainsi que les autres pays de l'Arctique, partagent la responsabilité des activités de recherche et de sauvetage, ainsi que l'obligation morale de faire tout ce qui est dans leur pouvoir pour protéger cet environnement fragile. Les Forces canadiennes et leurs partenaires américains du NORAD espèrent pouvoir collaborer avec leurs homologues russes, à la poursuite de l'évaluation des effets des changements climatiques dans la région de l'Arctique. Cependant, toute décision de conclure un accord officiel sur l'échange des informations de vol relève du gouvernement concerné et n'appartient ni au NORAD ni aux Forces canadiennes.
Monsieur le président, mesdames et messieurs du comité, les hommes et les femmes qui travaillent au NORAD des deux côtés de la frontière sont prêts, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, à réagir en cas d'incident, quel qu'il soit, au nord, au sud, à l'est et à l'ouest, pour veiller à la sécurité et à la défense de l'Amérique du Nord.
Je vais avoir maintenant le plaisir de répondre à vos questions.