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Un vieux dicton dit que si on ne sait pas faire des noeuds, il faut en faire beaucoup.
Je tiens tout d'abord à remercier le comité de me permettre de vous présenter le point de vue de l'industrie, si on veut, sur les questions liées à la souveraineté dans l'Arctique, et sur les activités menées dans les régions arctiques du Canada, et de vous parler également un peu des activités menées dans d'autres pays et dans d'autres régions du monde.
Ma carrière en mer m'a amené à voyager aux quatre coins du monde. Elle m'a également amené à parcourir une bonne partie de l'Arctique canadien. Je peux donc, de ce point de vue, vous parler de l'expérience de quelqu'un qui travaille sur le pont d'un navire et qui est en charge d'un navire dans les régions très éloignées de l'Arctique canadien, où les eaux sont couvertes de glaces, et de vous parler aussi des difficultés qui s'y rapportent.
J'aimerais tout d'abord vous raconter l'histoire de deux villes ou de deux passages. Vous avez sans doute entendu parler que l'été dernier, deux porte-conteneurs allemands ont emprunté la route maritime du Nord de la Russie. C'est un fait très intéressant, car c'est la première fois que des navires commerciaux étrangers obtenaient la permission d'emprunter cette voie maritime que la Russie a aménagée, probablement au cours des 40 dernières années. La Russie y a investi beaucoup de ressources. On y trouve notamment plusieurs ports d'importance et une infrastructure considérable.
Fait intéressant, un navire qui part du Japon pour se rendre en Europe et qui passe par la route maritime du Nord parcourt environ 8 500 milles, comparativement à 13 000 s'il passe par le canal de Suez. On voit donc que cette route présente un intérêt commercial important.
Les porte-conteneurs avaient des coques renforcées et ont été escortés par des brise-glaces russes pendant tout le trajet. Ils sont partis du Japon et se sont rendus à Rotterdam. C'est intéressant. La compagnie qui est propriétaire des navires a été très impressionnée par le service et très heureuse de la traversée dans son ensemble. Le voyage a été très rentable pour elle et elle cherche activement d'autres contrats dans cette région. Voilà donc ce qui se passe dans la route maritime du Nord de la Russie.
En ce qui concerne le passage du Nord-Ouest — ou le passage du Nord-Ouest canadien, comme je l'ai vu dans le journal ce matin —, il y a environ 200 navires qui naviguent dans les eaux de l'Arctique. Pour ce qui est du nombre de navires qui le traversent — je ne me souviens pas du nombre exact —, il n'est pas très élevé. À mon avis, il n'y aura pas de flot continu de navires qui emprunteront ce passage. Je ne conteste pas l'idée que les glaciers sont en train de fondre ou que certains passages sont maintenant navigables. Le passage du Nord-Ouest en compte plus d'un. Il en compte en fait plusieurs.
Pour traverser de l'Extrême-Orient en Europe par le passage du Nord-Ouest, il faut parcourir environ 8 000 milles, comparativement à 15 000 si on passe par le canal de Panama. Toutefois, il n'y aura pas autant de navires qui emprunteront cette route que celle du Nord de la Russie. La tendance n'est pas en ce sens. La plupart des navires qui partent de l'Extrême-Orient pour se rendre en Europe empruntent le canal de Panama. Il a été construit à cette fin. On est en train de l'élargir. On construit une deuxième série d'écluses pour accueillir les gros navires et, à moins de présenter un avantage commercial ou économique direct, je ne crois pas que l'on verra de nombreux navires lui préférer le passage du Nord-Ouest — à moins encore une fois qu'il y ait un avantage économique viable. Si les compagnies arrivent à prouver qu'elles pourront ainsi économiser de l'argent et augmenter leurs tarifs, alors elles envisageront cette solution.
Elles doivent ensuite examiner les sommes qu'elles devront investir pour construire les navires qui seront utilisées à cette fin, et même la possibilité de s'y rendre et de transiter par cette voie, malgré la présence des glaces.
Le problème, c'est que la fonte des glaciers inonde les chenaux de glaces pluriannuelles, et c'est un phénomène imprévisible. La couverture glaciaire change d'année en année. Si une voie est relativement libre de glaces une année, rien ne garantit qu'elle le sera l'année suivante. Par le passé, on pouvait presque être assuré de trouver une couverture de glace permanente. On le savait. On le tenait pour acquis. C'était une chose avec laquelle il fallait composer.
Si le passage ne présente pas un intérêt commercial important, notamment pour le transport des conteneurs ou des marchandises, on assistera par contre à une exploitation croissante des minerais dans la région de l'Arctique et à une exploration gazière et pétrolière croissante. Une chose qui m'inquiète est de voir l'industrie des croisières se développer au fur et à mesure que les glaces fondent. Cela m'inquiète, car la couverture glaciaire et l'état des glaces sont imprévisibles. D'autres éléments entrent également en compte et je vais tenter de vous les expliquer.
Lors de mes voyages dans l'Arctique, en tant que capitaine de navire qui devait naviguer dans les glaces, ce qui me préoccupait toujours, en plus de la glace elle-même, c'était l'absence d'installations et l'éloignement des secours en cas de catastrophe. On manque également de bonnes cartes, de bonnes données de sondage et de bonnes images. Environ 20 p. 100 de l'Arctique est cartographié, mais seulement 10 p. 100 des cartes sont à jour. Lors d'un voyage du Labrador à l'Arctique, j'ai eu le plaisir d'utiliser une carte dressée à partir de données répertoriées par le capitaine Cook. Cette carte n'avait pas été mise à jour depuis, à part l'ajout de quelques renseignements. Nos renseignements de base datent d'aussi longtemps.
Le manque de cartes et d'installations met à l'épreuve les compétences de l'équipage, du capitaine et des officiers supérieurs. L'idée de voir des navires de croisière ou de passage naviguer dans ces eaux est inquiétante. Ils naviguent dans des eaux qui n'étaient pas couvertes de glaces, et ils pourraient y naviguer encore. S'ils ne connaissent pas la région, et qu'ils n'ont pas embauché un pilote de glaces, s'ils se servent de cartes dont les sondages ne sont pas exacts, s'ils n'ont jamais navigué dans les glaces... Je ne peux pas imaginer pire tragédie, sauf un déversement de pétrole, qu'un navire de croisière en train de couler dans la région. Même s'il s'agissait d'un petit navire ne comptant à son bord que 500 ou même 1 000 passagers — des passagers de tout âge —, imaginez le temps qu'il faudrait pour organiser les secours.
Le centre pour lequel je travaille et que je représente est très engagé dans les activités exercées dans les eaux couvertes de glace, car nos principaux clients appartiennent à l'industrie gazière et pétrolière. Ces gens poussent toujours plus loin l'exploration dans le Grand Nord. Ils projettent d'explorer le détroit de Davis, celui de Beaufort, et peut-être même le détroit du Groenland et les eaux au large du Groenland. Il y a un intérêt économique bien sûr derrière tout cela, et tant que le prix du baril de pétrole demeurera élevé, ils regarderont de ce côté. Ils commenceront à explorer ces régions. Et ils ont l'avantage d'avoir beaucoup d'argent à investir dans la recherche pour le faire.
C'est pour répondre à ce besoin que des installations comme les nôtres et la grappe de technologies océanologiques ont été créées à St. John's. Nous cherchons des moyens d'accroître la sécurité des navires et des gens. Comment les formons-nous? Comment nous assurons-nous qu'ils sont conscients des difficultés? Comme je l'ai déjà mentionné, les navires ont un rôle à jouer, et les gens ont aussi un rôle à jouer, et c'est notre principale source d'intérêt.
L'industrie des croisières, ou les navires de passage, n'a pas manifesté un très grand intérêt pour ces questions. En revanche, ce sont des questions auxquelles s'intéresse activement l'industrie gazière et pétrolière, car les déversements sont désastreux et les compagnies veulent les éviter à tout prix. Elles ne veulent pas que cela arrive et c'est donc tout à leur avantage de s'associer avec des gens comme nous.
Du côté de la Russie, et aussi de la Norvège et de la Finlande, on sait qu'un champ pétrolifère entièrement couvert de glaces, le Varandey, est en activité dans l'Arctique russe. Les activités se déroulent très bien, et on utilise des navires et une plateforme conçus à cette fin. Le champ pétrolifère est entièrement couvert de glaces. Cette technologie pourrait sans doute être importée ici.
St. John's a été l'hôte, au début du mois, d'une grande conférence sur le transport maritime international dans l'Arctique, au cours de laquelle des représentants de compagnies de transport, de sociétés de classification et de l'industrie du transport dans son ensemble se sont penchés sur les questions entourant la sécurité dans l'Arctique, et également sur les occasions à saisir. Ils sont venus pour examiner les défis que doit relever Terre-Neuve pour encourager l'industrie pétrolière à travailler dans un environnement de glaces, mais ils étaient aussi très intéressés par ce que fait le Canada et par ses projets. Le Canada a-t-il la capacité de réagir en cas d'urgence? Quelle genre de situations pourraient se présenter? Il y avait beaucoup de monde et des idées très intéressantes.
Pour en revenir à l'infrastructure, je me souviens qu'un jour, au cours d'un ravitaillement dans l'Arctique, nous avons dû utiliser un bouledozeur comme canon d'amarrage. Il n'y avait rien d'autre sur place. C'est un peu la même situation qui se produit dans les collectivités et les villages partout dans l'Arctique. C'est ce que je veux dire par un manque d'infrastructure. Les navires qui vont leur livrer les marchandises et les denrées de base dont elles ont besoin n'ont aucun endroit pour s'amarrer ou pour effectuer le ravitaillement de manière sécuritaire.
J'ai des amis qui s'occupent du transport du mazout qui est utilisé pour les déplacements et le chauffage dans l'Arctique, et qui doivent continuellement composer avec les marées et le fait qu'ils n'ont aucun endroit sécuritaire pour s'amarrer. Ils ancrent habituellement leur navire et tentent de déployer les tuyaux jusqu'aux installations sur la rive. Ils sont passés experts en la matière, mais ils doivent constamment être vigilants. Ils peuvent être appelés à tout instant à interrompre le ravitaillement et à ramener les tuyaux. Si les choses tournent mal, nous avons alors un problème. Il se produit soit un déversement, soit quelque chose d'autre et ce n'est pas très bon.
C'est donc ce qui se passe dans de nombreuses collectivités et dans de nombreux endroits qui sont en train de se développer dans l'Arctique. Dans le secteur minier, si on regarde aux projets dans l'île de Baffin...
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C'est un bon point et une excellente question.
Pour en revenir à la compagnie dont les navires sont passés par la route maritime du Nord de la Russie, ces navires ont pu profiter de la capacité de navigation dans les glaces des Russes qui étaient bien disposés à collaborer. Comme je l'ai mentionné, ils tentent activement d'accroître l'intérêt à l'égard de cette route, car ils veulent en faire une route commerciale.
Si on situe cela dans le contexte canadien, il y a plusieurs compagnies importantes — Fednav étant la plus importante — qui exploitent les ressources, le minerai d'or, dans l'Arctique. Ils ont fait un très bon travail pour s'assurer d'avoir de bons navires. Je pense que ce qu'il faut, c'est que le comité qui aura le mandat, disons, de surveiller l'Arctique devra s'asseoir avec les compagnies qui travaillent dans la région parce qu'elles possèdent une vaste expérience. Elles sont sur place. Elles s'y trouvent pour des raisons financières et elles voudront être présentes autour de la table. Si je fais de l'argent dans le Nord actuellement, si mes navires sont en activité dans la région, s'ils transportent l'or qu'on y trouve, je veux être à la table où se prendront les décisions concernant les procédures d'exploitation, les installations ou l'infrastructure, ou concernant qui sera ou ne sera pas autorisé à s'y rendre, la composition des équipages, les exigences de fabrication des navires, etc.
C'est ce que je recommanderais. Il faut assurément mettre à profit le savoir-faire et l'expérience des gens qui connaissent la région. Je ne parle pas de l'aspect défense, mais uniquement de l'aspect commercial. Ce sont ces groupes qui détermineront les exigences auxquelles devront satisfaire, à titre d'exemple, les navires de croisière ou de passage qui n'ont jamais navigué dans les glaces pour pouvoir s'y aventurer.
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Concernant votre première question, « navire de passage » est avant tout un terme utilisé dans le domaine pour parler de navires qui peuvent être donnés en location. Si je suis un opérateur minier et que j'ai besoin d'expédier mon minerai, je choisis soit d'embaucher une entreprise qui possède des navires pour faire le travail — c'est-à-dire un service de ligne —, soit d'avoir recours à un navire qui n'appartient pas à une telle entreprise et qui sera utilisé pour une ou deux charges. Il s'agit d'un navire de passage, un navire qui peut être donné en location et qui peut être amené sur le champ afin que le travail soit accompli.
Pour ce qui est de votre deuxième question, je crois que la formation devrait être obligatoire pour les opérations dans les glaces. Il s'agit de pratiques précises qui nécessitent une formation spécialisée.
Si l'on examine ce qui devrait se faire concernant les navires, comme les navires de croisière par exemple, les Russes ont 75 brise-glaces, 16 de classe polaire, dont 4 sont des brise-glaces nucléaires, ainsi que 6 brise-glaces réservés pour la route maritime du Nord. C'est un potentiel remarquable. Les Russes en on fait leur coutume et ils en ont fait quelque chose qui les intéresse principalement. Ils ont donc beaucoup de capacités.
Si l'on regarde le contexte canadien immédiat, il est évident que nous aimerions voir des brise-glaces répartis dans différentes zones de l'Arctique. La Garde côtière est évidemment chargée de la recherche et du sauvetage, et de l'offre des services de déglaçage. Donc, si des entreprises peuvent fournir, et prouvent qu'elles peuvent fournir des brise-glaces qui sont performants, qui satisfont aux normes canadiennes, qui sont utilisés par un équipage canadien, un brise-glace loué pourra peut-être être utilisé. Mais je crois que, pour tout navire qui passe ou qui est en service dans l'Arctique canadien, le Canada doit s'assurer, soit par l'intermédiaire de Transports Canada ou d'un organisme similaire, qu'il y a à bord des personnes ayant des compétences en navigation dans les glaces, que ce soit une tierce partie, comme un pilote des glaces. Ce n'est pas encore obligatoire — une entreprise n'est pas tenue de retenir les services d'un pilote des glaces. La présence d'un expert qui aide le commandant à prendre des décisions afin que la navigation se fasse en toute sécurité devrait être obligatoire.
Concernant la formation, notre établissement croit fermement qu'elle est essentielle. Le facteur humain est presque toujours l'élément qui cause un accident maritime. Nous travaillons de façon très intensive à améliorer, à promouvoir et à élargir notre programme de formation en navigation dans les glaces actuel. Notre établissement, qui est le seul au Canada à offrir une formation en navigation dans les glaces, fait surtout affaire avec l'industrie pétrolière, mais également avec des services de ligne qui ont des activités dans l'Arctique.
Il faut examiner avant tout les pays situés dans la partie nord de la planète. La Russie, la Suède, la Norvège, la Finlande et le Canada offrent de la formation. Notre établissement est essentiellement la ressource en ce qui a trait à la formation en navigation dans les glaces.
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Les Russes en comptent plusieurs, mais le plus important qui se rapprocherait du nôtre quant à son intérêt pour la navigation dans les glaces serait l'académie de l'amiral Makarov.
Nous ne nous considérons pas vraiment comme des compétiteurs; nous commençons même à envisager un mode de collaboration. J'ai rencontré plusieurs responsables russes et je compte me rendre là-bas au printemps.
Les Russes font partie de ce groupe de travail dont je vous ai parlé qui s'efforce, au niveau de l'OMI, d'établir une série de lignes directrices ciblées. Comme c'est typique de ce pays, je dirais, les Russes ont leur propre opinion sur ce qui devrait être fait. Les autres pays membres du groupe de travail, dont la Norvège, le Canada et le Danemark, se sont en quelque sorte entendus pour laisser les Russes agir de leur côté pour autant qu'ils comprennent bien la nécessité que leur travail soit intégré dans la quête des objectifs globaux.
Nos plans d'avenir prévoient l'établissement d'un partenariat un peu plus étroit. Chaque pays alimente son propre silo de connaissances, si je puis m'exprimer ainsi, alors que nous visons tous le même objectif, à savoir assurer la sécurité de l'environnement, des personnes et des opérations dans les eaux prises par les glaces, entre autres. Nous avons tous le même mandat.
Lors de cette récente réunion, nous avons convenu que nous allions travailler ensemble. Nous comptons bien trouver des façons de le faire. Leurs considérations opérationnelles sont un peu différentes des nôtres. Nous cherchons principalement pour l'instant à répondre aux besoins de nos clients du secteur de l'exploration pétrolière et gazière au large des côtes, lesquels doivent composer d'une certaine manière avec la glace glaciaire, un élément qui n'est pas problématique en Russie. Je parle ici des icebergs, des bourguignons et de la glace qui se détache du Groenland pour se retrouver jusque dans les gisements en mer. Cette glace complique considérablement les opérations pétrolières et gazières sur la côte Est.
Nous nous concentrons surtout sur ces facteurs pour le moment et au fur et à mesure que les Russes se déplaceront vers des secteurs où ils seront confrontés à ce genre de situation, ils ne manqueront pas de s'intéresser vivement aux connaissances que nous avons acquises ici. Pour leur part, les Russes se livrent à certains exercices que j'estime très intéressants. Nous avons donc tout intérêt à procéder à certains échanges.