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Je déclare la séance ouverte.
Je crois savoir qu'il y a deux personnes dans la salle, mais je ne les vois pas. Je dois vous rappeler de maintenir une distanciation physique de deux mètres, de porter un masque non médical et d'adopter de bonnes pratiques d'hygiène.
Avant de passer au témoignage de Josianne Grenier et de Sandra Wesley, je voudrais qu'on présente une motion. Lors de sa réunion, le Sous-comité a pris quatre décisions, et son rapport a été distribué aux membres du Comité. Je demande que quelqu'un présente une motion visant à adopter le rapport du Sous-comité. Mme Damoff en fait la proposition.
(La motion est adoptée.)
Le président: Je vous remercie infiniment. Je n'entrerai pas dans les détails puisque nous avons très peu de temps.
Je vais maintenant souhaiter la bienvenue à Mmes Wesley et Grenier. Je vous invite à prendre la parole suivant l'ordre de l'Avis de convocation.
Vous pouvez constater que nous avons beaucoup de retard, de sorte que nous aurons 45 minutes plutôt qu'une heure. Je décide arbitrairement de retirer une minute au temps de parole de chacun. Je tiens à présenter mes excuses aux témoins. Je sais qu'il est difficile de venir ici, mais nous devons composer avec la réalité des travaux parlementaires virtuels.
Madame Grenier, vous avez la parole six minutes, je vous prie.
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Bonjour. Je vous remercie de l'invitation.
Je représente le Projet intervention prostitution Québec, ou PIPQ. Nous travaillons précisément sur les questions de l'exploitation sexuelle et de la prostitution, et ce, sur trois plans.
Tout d'abord, nous offrons un milieu de vie où les gens viennent nous voir pour répondre à des besoins de base.
Nous travaillons également en matière de prévention de l'exploitation sexuelle chez les jeunes. Nous organisons des ateliers dans les écoles, mais aussi dans des milieux où il y a des jeunes plus vulnérables, comme les centres jeunesse, où nous allons parler davantage des facteurs de protection, comme la connaissance de soi et les relations saines.
Par ailleurs, nous travaillons directement sur le terrain, c'est-à-dire dans la rue, pour aller rejoindre les personnes désaffiliées des institutions, que nous accompagnons en fonction de leurs besoins. Nous travaillons aussi directement dans les milieux liés à l'industrie du sexe, comme les bars de danseuses, les agences d'escortes et les salons de massage, y compris celui où travaillait Marylène Levesque.
L'organisme travaille aussi beaucoup en collaboration avec d'autres organismes communautaires, les milieux scolaires et le milieu de la santé et des services sociaux, mais aussi avec des procureurs, le Service de police de la Ville de Québec et des chercheurs. Cela nous permet de mettre à contribution nos expertises et de porter un regard à 360 degrés sur le phénomène de la prostitution.
Nous maintenons une position neutre, c'est-à-dire dénuée d'idéologie, sur la prostitution. Nous considérons qu'il existe un spectre allant de l'exploitation au plein consentement et reconnaissons l'existence de toutes les réalités d'un bout à l'autre du spectre. C'est à la personne qui vit la situation de nous nommer sa réalité, et nous l'aidons selon sa perception. Si elle veut sortir de la prostitution, nous l'accompagnons là-dedans. Si elle veut pratiquer la prostitution, nous nous assurons qu'elle peut le faire de la façon la plus sécuritaire possible.
C'est le respect de ces différentes réalités et le souci envers la sécurité des personnes que nous accompagnons qui nous amènent à prendre position en faveur de la décriminalisation de la prostitution.
C'est dans ce sens que j'avais fait des démarches pour être entendue. En effet, il me semble essentiel, dans le cas qui nous rassemble aujourd'hui, de pousser la réflexion au-delà de ce qui s'est passé dans le cadre de la libération conditionnelle.
Le meurtre de Marylène Levesque a été fortement médiatisé, d'abord parce qu'elle était une très belle blonde aux yeux bleus, mais aussi parce qu'il y avait un meurtrier et de potentielles lacunes institutionnelles qui sautaient aux yeux. Il y a cependant au Canada beaucoup de meurtres de travailleuses du sexe, qu'elles soient autochtones, racisées, trans ou en situation de pauvreté, qui ne reçoivent pas la même attention et pour lesquels on se donne peut-être moins la peine de chercher des responsables. Cela nous indique clairement qu'il y a forcément d'autres facteurs à évaluer si on est soucieux d'assurer la sécurité de toutes les travailleuses. L'un de ces facteurs est la loi qui encadre la prostitution, car force est de constater qu'elle n'atteint pas son objectif, qui est de protéger ces personnes.
La Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation est empreinte d'une idéologie déjà perceptible à même son titre. Son existence et certains des objectifs qu'elle se fixe entretiennent la stigmatisation en laissant croire que le travail du sexe est forcément mal et honteux, qu'il devrait être caché ou même qu'il ne devrait pas exister du tout. Pourtant, la stigmatisation est l'une des causes directes du danger associé au travail du sexe. En soi, si l'on met de côté les préjugés, le travail du sexe n'est pas intrinsèquement dangereux. Le danger vient du fait qu'on en parle moins à sa famille ou à ses amis. Personne ne sait ce qu'on fait ni où on est, de sorte que le cercle de protection est limité. De plus, les gens vont souvent considérer les travailleuses du sexe comme des objets plutôt que comme des femmes. Cela crée une sorte d'acceptabilité sociale, pour ainsi dire, quant à la violence commise envers elles. Enfin, cela peut également nuire aux tentatives de réinsertion dans le marché du travail.
La Loi donne aussi à penser qu'il est impossible de pratiquer le travail du sexe sans être exploité, ce qui constitue quand même un gros jugement de valeur. Je reviens au spectre dont je parlais tantôt. Si les lois, les politiques et la variété de programmes qu'on finance nient tout un pan de ce qui constitue une réalité, peu importe les valeurs des gens, c'est un échec assuré, parce qu'on abandonne une partie de la population concernée. On préfère se mettre des œillères et croire qu'elle n'existe pas. En faisant cela, on se conforte dans un jugement de valeur qu'on fait passer avant la sécurité des personnes.
La Loi présente deux éléments particulièrement problématiques sur le plan de la sécurité.
La criminalisation des clients, premièrement, n'a absolument pas mis fin à la demande, pas plus qu'elle ne l'a diminuée, d'ailleurs. À vrai dire, elle met les travailleuses du sexe en danger, parce que les clients apeurés vont souvent les emmener dans des endroits plus isolés, où il n'y a pas d'aide disponible et d'où il est plus difficile de s'enfuir, au besoin. Cela les empêche aussi de prendre le temps de trier les clients avant de monter dans une voiture, parce que ceux-ci sont plus pressés.
À cela s'ajoute le fait que la Loi n'est pas souvent appliquée. Au Québec, par exemple, seulement 233 clients ont été accusés depuis 2014, ce qui revient à moins de 40 clients par année. On ne peut pas dire que cela ait un effet positif. Cela ne fait qu'empêcher les travailleuses du sexe d'augmenter leurs facteurs de protection.
C'est la même chose pour la criminalisation des tierces personnes qui pourraient tirer profit du travail du sexe. C'est d'ailleurs un aspect de la Loi qui a été déclaré inconstitutionnel par un juge ontarien, il y a moins d'un an.
À ce sujet, une étude réalisée par Anna-Louise Crago, de l'Université de la Colombie-Britannique, est parue jeudi dernier. On y apprend vers qui les travailleuses du sexe se tournent quand elles sont en danger. Les réponses, situées aux deux extrémités, sont intéressantes.
Premièrement, plus de 40 % des travailleuses du sexe interrogées se tournent vers d'autres travailleuses du sexe ou des personnes du milieu, comme les gardiens de sécurité ou les gérants d'établissement où elles travaillent. C'est donc en présence de collègues ou de tierces personnes, que la Loi considère pourtant comme des criminels, qu'elles se sentent le plus en sécurité.
Par exemple, si Marylène avait pu recevoir son client au salon en présence d'une tierce personne à l'affût de la situation, on peut croire qu'elle n'aurait pas eu le temps de recevoir les 30 coups de couteau qui ont mené à sa mort, peu importe le passé de l'individu ou ses conditions de libération.
Toujours selon la même étude, la volonté de protéger ces tierces personnes est l'une des raisons pour lesquelles seulement 5 % des travailleuses du sexe se tournent vers la police en cas de danger.
La criminalisation des tiers oblige les travailleuses du sexe à choisir entre deux options: ou bien elles renoncent à la protection de la police en cas d'urgence, ou bien elles se mettent elles-mêmes, ainsi que leurs collègues ou leurs patrons, en danger aux termes de la Loi.
Les clients violents ne sont donc pas dénoncés. Sachant qu'ils ne seront pas dénoncés, les clients ressentent un sentiment d'impunité qui peut devenir extrêmement dangereux pour ces travailleuses.
C'étaient donc quelques...
J'avais prévu parler en français, mais, étant donné le temps limité, je vais parler en anglais. Cela me permettra de présenter mes remarques plus rapidement.
[Traduction]
Je suis la directrice générale de Stella, l'amie de Maimie. Notre organisation est faite par les travailleurs du sexe et pour eux. Elle a vu le jour à Montréal il y a 25 ans. Chaque année, nous avons des interactions avec une moyenne de 5 000 à 8 000 travailleurs du sexe de Montréal. L'organisation est entièrement faite par les travailleurs du sexe et pour eux, ce qui signifie que notre personnel, notre conseil d'administration et nos membres sont eux-mêmes des travailleurs du sexe. Nous représentons notre communauté et lui sommes redevables.
Comme vous le savez probablement, la Cour suprême a déclaré dans l'affaire Bedford que la criminalisation du travail du sexe est inconstitutionnelle, au motif qu'elle porte atteinte à nos droits à la santé et à la sécurité.
Le droit à la sécurité dont parlait la Cour suprême comprend justement le droit de ne pas se faire assassiner, comme l'a été Marylène Levesque. La réponse du gouvernement de l'époque a été de criminaliser totalement le travail du sexe pour la première fois dans l'histoire du Canada, et de créer un ensemble de lois qui ne visent ni à nous protéger, ni à améliorer nos conditions de travail, ni à nous permettre de sélectionner les clients convenablement. Cette loi a uniquement pour objectif d'éradiquer les travailleurs du sexe du Canada. Lorsqu'un gouvernement se fixe pour objectif d'éliminer les travailleurs du sexe, nous ne devons pas être surpris que des agresseurs décident d'être violents à notre égard et de contribuer à éradiquer les travailleurs du sexe au pays.
Il est assez rare que le Parlement se soucie des travailleurs du sexe et nous invite à prendre la parole. Nous savons toutefois qu'il n'y a eu aucun comité semblable pour les dizaines d'autres travailleurs du sexe qui ont été assassinés depuis le changement législatif.
Dans le cas de Marylène Levesque, de nombreux éléments de l'histoire sont très manifestement attribuables à la criminalisation du travail du sexe. Prenons le fait que cet homme avait été le client d'un salon de massage à plusieurs reprises, et qu'on lui en avait interdit l'accès parce qu'il était violent. À ce moment, le salon de massage était dans l'impossibilité d'appeler la police ou la Commission des libérations conditionnelles étant donné que le travail du sexe est criminalisé. Appeler la police pour dénoncer un client violent signifie généralement que des personnes sont arrêtées, que d'autres perdent leur source de revenus, et que nos milieux de travail font l'objet d'une répression policière accrue. En tant que travailleurs du sexe, nous ne pouvons pas faire appel aux autorités. Si le salon de massage avait pu communiquer avec les services de police ou l'agent de libération conditionnelle la première fois que le délinquant a été violent à l'égard d'un travailleur du sexe, celui-ci aurait été renvoyé en prison et n'aurait pas eu l'occasion d'intensifier ses actes de violence jusqu'à l'assassinat de Marylène Levesque.
Nous savons également que les hôtels ont été la cible de répression policière ayant trait au travail du sexe. À l'été 2019, les forces policières de tout le Québec ont lancé le programme RADAR pour encourager les hôtels et autres entreprises touristiques à repérer les travailleurs du sexe et à les dénoncer à la police sous prétexte de les protéger contre l'exploitation. Nous savons que lorsque Marylène Levesque est entrée dans l'hôtel ce soir-là, elle était soucieuse de ne pas être reconnue en tant que travailleuse du sexe. Elle ne pouvait pas dire à la réceptionniste qu'elle allait voir un client, et lui demander d'envoyer quelqu'un si elle n'était pas revenue après une heure ou deux. Elle ne pouvait pas prendre de dispositions pour assurer sa protection, car elle aurait alors été repérée, expulsée de l'hôtel et possiblement arrêtée, ou bien son argent aurait été saisi.
En tant que travailleurs du sexe, lorsque nous sommes victimes de violence et que la situation avec un client est effrayante, nous ne pouvons pas crier. Il se peut que nous tentions de désamorcer la situation par nous-mêmes, car si nous faisons une scène dans un lieu comme un hôtel, nous savons que nous subirons les conséquences de la criminalisation du travail du sexe.
Il est évident que les lois pénales en vigueur contre le travail du sexe ont fait en sorte que Marylène Levesque n'a pas pu sélectionner ses clients. Aucun client n'acceptera de fournir une pièce d'identité et de se soumettre à une vérification de ses antécédents avant de prendre un rendez-vous dans un contexte où il peut être arrêté pour avoir acheté les services sexuels.
En réaction à ce meurtre, nous constatons également que le Service correctionnel du Canada et la Commission des libérations conditionnelles ont principalement dit être contre l'objectif des services sexuels, un point c'est tout. Ici encore, le préjudice serait attribuable au travail du sexe, plutôt qu'à la véritable violence qu'une personne a subie.
Je n'ai pas beaucoup de temps, mais je tiens à souligner que ce n'est pas une tragédie; ce n'est pas un geste irrationnel ou difficile à prévoir. C'est directement attribuable à la décision de criminaliser le travail du sexe que le gouvernement a prise en 2014. C'est l'effet qui se fait encore sentir, et il faut s'y attendre. D'autres travailleurs du sexe seront assassinés si ces lois restent en vigueur.
La seule recommandation dont le Comité a besoin pour commencer est de procéder à la décriminalisation complète du travail du sexe.
Je représente des milliers de femmes. Beaucoup d'entre nous ont été victimes de violence. Beaucoup d'entre nous auraient pu être à la place de Marylène Levesque.
Nous savons pertinemment que si Mme Marylène Levesque était assise devant vous aujourd'hui pour revendiquer son droit de travailler en toute sécurité, vous ne la prendriez pas au sérieux, au même titre que vous écartez d'un revers de la main les travailleurs du sexe depuis plus de 40 ans, en nous privant des droits dont nous devrions bénéficier.
Je vous enjoins de veiller à ce que les travaux du Comité permettent de respecter les travailleurs du sexe comme il se doit, de comprendre que nous allons toujours exister et travailler, et d'abandonner cette quête ridicule et problématique qui vise à nous éradiquer du Canada. Nous devons discuter de nos droits en tant que travailleurs.
Il faut éviter d'imputer la responsabilité à la Commission des libérations conditionnelles du Canada et au Service correctionnel du Canada seulement, car ce meurtre aurait très bien pu se produire sans l'intervention du Service, un peu comme les nombreux travailleurs du sexe qui ont été assassinés ces dernières années. J'ajouterais même que la nuit où Marylène Levesque a été assassinée à Québec, une autre jeune travailleuse du sexe a été tuée à Montréal. Personne n'a parlé de sa mort, et il n'y a même pas eu d'enquête en bonne et due forme.
C'est la réalité de tous les travailleurs du sexe marginalisés d'un bout à l'autre du Canada. Nous perdons la vie. Nous organisons des vigiles pour les nôtres et essayons de faire preuve de résilience, mais le Parlement reste convaincu que nous devons être criminalisés.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur présence. Je leur en suis très reconnaissante.
Je vais d'abord m'adresser à Mme Grenier.
Au début de votre allocution, vous avez dit qu'on avait beaucoup médiatisé le cas de Marylène Levesque probablement parce qu'elle était une belle blonde aux yeux bleus. Malheureusement, c'est probablement vrai. Or c'est aussi parce que les institutions gouvernementales ont fait des erreurs flagrantes dans ce dossier. C'est la raison pour laquelle nous nous intéressons à la question. Que ce soit à la Commission des libérations conditionnelles du Canada ou au Service correctionnel du Canada, il y a eu des erreurs. Peu importe le cas, il est nécessaire que les parlementaires s'intéressent davantage aux drames auxquels peuvent faire face les travailleuses du sexe.
J'aimerais revenir plus particulièrement sur la question de mon collègue M. Motz.
Vous dites qu'en général, les équipes de gestion de cas n'avertissent pas les salons de massage même si elles sont au courant de certaines habitudes de fréquentation. C'est probablement parce que les salons craignent des représailles de la part de la police.
Est-ce commun que des individus en semi-liberté ou en liberté conditionnelle fréquentent des travailleuses du sexe? Avez-vous ce genre d'information?
Vous avez parlé de la possibilité que les femmes soient accompagnées par des tierces personnes. Comment cela pourrait-il fonctionner?
J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
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D'accord, je peux répondre à vos nombreuses questions.
En ce qui concerne les tierces parties, les lois criminelles actuelles définissent un proxénète comme toute personne qui nous aide à travailler. Donc, si je travaille avec une amie, on peut considérer que l'une est la proxénète de l'autre. Il peut également s'agir d'un chauffeur ou d'une réceptionniste. Bref, toutes les personnes qui contribuent à notre travail sont considérées comme des criminels selon la définition du proxénétisme, et ce, même si elles ne font pas d'argent. Le fait de tirer de l'argent de cette activité constitue une infraction criminelle distincte.
Bien sûr, les tierces parties sont souvent des personnes très aidantes dans le cadre de notre travail. Grâce à elles, nous pouvons établir des mesures de sécurité de toutes sortes et créer un rapport de pouvoir avec un agresseur potentiel qui se présenterait comme client. Ce dernier voit que nous sommes protégées et que des personnes le sauront si quelque chose nous arrive.
Dans le cas de Marylène Levesque, je pense que l'homme en question était très conscient que c'était primordial pour elle de ne pas être détectée à l'hôtel en tant que travailleuse du sexe. On peut imaginer toutes sortes de situations. Par exemple, si elle est nue, va-t-elle courir dans le couloir et ainsi risquer de se faire détecter, pour finalement se rendre compte que le danger n'était pas si grand? On sait que ces éléments pèsent énormément dans la balance.
Pour ce qui est du nombre d'ex-détenus qui fréquentent des travailleuses du sexe, c'est impossible de le savoir. Nous n'avons pas de statistiques à ce sujet. Il faut noter que des personnes de toutes les sphères de la société et de tous les milieux de travail fréquentent des travailleuses du sexe, pour toutes sortes de raisons. Autant des parlementaires que des ex-détenus ont recours à des services sexuels, et ce, dans toutes sortes de contextes. Ce ne sont généralement pas des contextes d'exploitation ou de violence.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je tiens à remercier les deux témoins de leurs très importants témoignages. Je pense que le Comité n'avait pas encore entendu ce point de vue sur cet enjeu.
Il semble bien que, dans une certaine mesure, nous fassions fausse route en ce qui concerne le type de questions que nous posons au SCC et à la Commission des libérations conditionnelles, par exemple. Je trouve bon qu'il y ait un point de vue que nous n'avions pas encore pris en considération dans ce contexte.
Je vous remercie beaucoup toutes les deux de vos déclarations.
Je sais qu'il peut être très difficile de fournir une réponse à partir de vos points de vue, mesdames Wesley et Grenier, mais y a-t-il quelque chose que la Commission des libérations conditionnelles ou le SCC auraient dû faire différemment? Comme on l'a souligné, des erreurs ont été commises, des décisions ont été prises, lesquelles ont mené à de très regrettables conséquences pour Mme Levesque, et il est clair qu'il faut blâmer le SCC et la Commission des libérations conditionnelles pour leurs actions.
Pouvez-vous suggérer quelque chose qui aurait pu ou aurait dû être fait différemment pour éviter cette mort?
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Oui, il y a beaucoup de choses.
Je pense que les premières erreurs dans cette affaire remontent à la toute première fois que cet homme a été arrêté pour violence contre des femmes et à chaque fois par la suite. D'après ce que nous avons vu dans le dossier, il a essentiellement été entreposé dans une prison pendant 15 ans, puis libéré sans aucune véritable réhabilitation. Nous ne croyons pas en une approche carcérale punitive. Nous croyons en une réhabilitation sérieuse et efficace et en la nécessité de trouver des moyens de veiller à ce qu'une personne qui a été incarcérée se trouve dans une situation différente le jour de sa sortie.
La violence contre les femmes est un phénomène qui est particulièrement malmené à chaque étape du système de justice pénale. Nous sommes solidaires d'un grand nombre de demandes des femmes qui subissent la violence de leur partenaire intime, le système de justice pénale n'étant tout simplement pas en mesure d'y répondre. Beaucoup d'hommes sont violents envers les femmes et seulement envers les femmes, et cela n'est pas pris en compte.
Nous sommes contentes de la formation qu'il y aura sur la violence conjugale. Cependant, cela ne règle pas les situations comme celle de Marylène Levesque, une travailleuse du sexe qui a été assassinée au travail, donc pas dans le contexte d'une relation avec un partenaire intime. Nous pensons que cela devrait être inclus. Quand j'ai entendu parler de cette formation, la première chose que j'ai pensée, c'est qu'évidemment, encore une fois, ils vont parler de nous sans jamais nous consulter sur ce qui devrait être dit dans cette formation et sur la façon dont cela devrait être mis en œuvre.
Je pense que cela dépasse la formation. Nous avons besoin de véritables changements de politique. Nous devons revoir les raisons pour lesquelles nous incarcérons les gens, ce que nous faisons avec eux pendant leur incarcération, la façon dont nous identifions ceux qui ne peuvent pas être réadaptés, et les conditions que nous pouvons leur imposer.
Je crains fort que l'une des conséquences de cette mesure soit de rendre plus difficile la libération conditionnelle des détenus. Nous savons que la majorité des personnes qui tentent d'obtenir une libération conditionnelle sont en prison à cause de la pauvreté, du colonialisme et du racisme. Nous savons que les Autochtones sont surreprésentés et que les Noirs sont surreprésentés. Est-ce que les actions de cet homme blanc vont conduire à des incarcérations plus problématiques pour les Noirs et les Autochtones? Cela nous inquiète beaucoup.
Nous avons besoin d'une véritable réforme, et pas seulement d'une formation et de déclarations contre l'industrie du sexe.
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Tout d'abord, la loi criminalise non seulement l'achat de services sexuels, mais aussi l'ensemble des activités liées au travail du sexe. La travailleuse du sexe commet donc un acte criminel chaque fois qu'elle vend ses services sexuels. C'est beaucoup plus large que la simple criminalisation des clients.
Les conséquences sont énormes. Toutes sortes de données existent pour démontrer les conséquences.
Ce que l'on peut voir très clairement dans notre communauté, c'est que cela nous met grandement à risque de contracter le VIH. On sait que la décriminalisation du travail du sexe au Canada réduirait les nouvelles infections d'environ 33 % chez les travailleuses du sexe.
Par ailleurs, en raison de la loi, il est d'autant plus difficile de dénoncer la violence et d'avoir accès à de la protection.
Il y a aussi beaucoup de répression du travail du sexe. On a vu des cas extrêmes et très traumatisants de répression policière, par exemple 10, 20 ou 30 policiers qui débarquent dans nos établissements de travail pour cataloguer nos tatouages et nos perçages en disant qu'ils pourront alors identifier nos corps quand ils nous retrouveront mortes. Les policiers ont maintenant pour mandat de nous convaincre d'arrêter de travailler dans l'industrie du sexe.
La criminalisation du travail du sexe a également accentué la crise des surdoses.
En ce qui a trait aux femmes autochtones assassinées ou disparues, on a vu que la criminalisation du travail du sexe créait des vulnérabilités. Les femmes dans nos communautés qui sont le plus susceptibles d'être arrêtées ou d'avoir des contacts hostiles avec la police sont également celles qui sont le plus à risque d'être victimes de meurtre, de violence ou d'autres actes criminels.
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Chers collègues, veuillez noter que nous avons cinq votes mercredi, ce qui, avec l'extraordinaire efficacité de notre système actuel, nous amènera probablement à 19 heures. Donc, à moins d'un changement, je propose de ne pas convoquer de réunion mercredi. Ce n'est pas définitif, et je suis ouvert à toute idée nouvelle. Je serais ouvert à toute suggestion ou solution de rechange, mais à ce stade, mercredi ne semble pas pouvoir fonctionner.
Je remercie les témoins de leur coopération. Comme vous pouvez le voir, nous avons un peu dépassé le temps dont nous disposions. Je propose que nous terminions à 17 h 45, car d'autres députés ont des réunions immédiatement après.
À titre d'information pour le greffier et les membres du Comité, je n'ai pas la liste des intervenants. Si vous pouviez me l'envoyer par messagerie texte avant le début des questions, cela me serait utile.
Je souhaite la bienvenue aux témoins. Nous allons commencer par M. Henry.
Je vous prie de m'excuser, monsieur Henry, mais je vais réduire votre temps de parole de sept à six minutes, et ce sera la même chose pour M. Stapleton ou M. Neufeld, quel que soit celui qui fera l'exposé. Nous allons également réduire d'une minute le temps de parole de chacun des intervenants.
Je dirais aussi aux témoins de jeter un coup d'œil à l'écran aux alentours des quatre minutes, car je vais essayer de vous donner une indication du temps qu'il vous reste.
Sur ce, monsieur Henry, vous disposez de six minutes. Nous vous écoutons.
Les organismes membres de l'Association offrent des services dans différents domaines. Presque toutes les maisons de transition du Québec sont membres de l'Association, soit une trentaine. Nous regroupons aussi des organismes spécialisés en employabilité, d'autres qui gèrent les programmes de travaux compensatoires, d'autres qui offrent des services spécialisés en santé mentale, en toxicomanie, auprès des femmes judiciarisées ainsi qu'en justice réparatrice, ou encore des services aux proches des personnes incarcérées, des services de défense des droits, et j'en passe.
La pierre angulaire de l'action de l'ASRSQ repose sur la prise en charge du problème de la délinquance par les citoyens, y compris les personnes contrevenantes, en partenariat avec l'État et d'autres groupes sociaux de la communauté. L'ASRSQ croit que la participation active de la communauté dans la résolution des problèmes liés à la délinquance contribue au développement social et, conséquemment, au mieux-être de notre collectivité. Les solutions se doivent d'être justes et satisfaisantes, à la fois pour la personne victime, pour la société et pour la personne contrevenante.
Les maisons de transition sont des organismes qui servent de pied-à-terre dans une communauté pour des personnes judiciarisées en démarche de réintégration sociale et s'inscrivant dans un processus de libération graduelle. Les maisons de transition permettent aux individus de combler leurs besoins de base; ils peuvent alors poursuivre leurs démarches de réintégration sociale, notamment la recherche d'emploi et le développement personnel. Elles offrent des programmes qui varient d'un organisme à l'autre: cela peut toucher la toxicomanie, la gestion de la colère, la violence conjugale, la délinquance sexuelle, les habiletés sociales, ou autres. Par exemple, la Maison Painchaud offre une dizaine de programmes à ses résidants.
Il existe trois types de maisons de transition au Québec: les CCC, soit les centres correctionnels communautaires, qui sont gérés par le Service correctionnel du Canada; les CRC, soit les centres résidentiels communautaires; et les CHC, soit les centres d'hébergement communautaires.
L'ASRSQ regroupe uniquement des CRC et des CHC.
Les CRC sont des organismes communautaires à but non lucratif issus de la communauté et gérés par un conseil d'administration constitué de bénévoles, eux-mêmes issus de la communauté qu'ils servent. Les maisons de transition sélectionnent leurs résidants et un processus d'évaluation est mis en place afin de déterminer si le CRC accepte d'accompagner et d'encadrer la personne dans la communauté.
Je tiens à préciser que l'ASRSQ n'a pas de pouvoir sur ses membres. Les organismes membres sont des organismes communautaires autonomes gérés par des conseils d'administration qui leur sont propres. L'ASRSQ n'est pas impliquée dans les activités quotidiennes de ses membres. Il ne faut pas non plus percevoir l'ASRSQ comme un syndicat; nous sommes un regroupement d'organismes. En tant qu'organe de concertation, l'ASRSQ est impliquée dans différents comités de travail avec les différents services correctionnels.
Tous les CRC et les CHC du Québec sont accrédités par les services correctionnels fédéraux et provinciaux, dans un processus de conformité. Les normes de conformité définissent tous les aspects liés à l'administration et aux activités des maisons de transition au Québec et viennent compléter les ententes contractuelles qui sont signées entre ces organismes et le Service correctionnel du Canada. Les normes régissent l'organisation des services, la qualification des intervenants communautaires, les programmes offerts par la maison, les procédures d'admission, les exigences relatives à l'hébergement, les normes d'encadrement clinique, et ainsi de suite.
Le succès des maisons de transition en matière de réinsertion sociale est indéniable. Une étude menée en 2014 par une étudiante de l'École de criminologie de l'Université de Montréal établit le taux de récidive, avec ou sans violence, à 1,25 % en cours de séjour.
J'invite d'ailleurs les membres du Comité qui le souhaitent à venir visiter une maison de transition. Il y en a une à Gatineau, pas très loin du Parlement. Je m'engage à organiser cette visite dès que les conditions sanitaires le permettront, si vous le souhaitez.
Je vais me permettre de faire un petit rappel historique, pour vous permettre de comprendre pourquoi et comment les principes de ce qu'on appelle la surveillance directe se sont mis en place au Québec.
Historiquement, le rapport Sauvé de 1977 nous rappelle que ce sont des organismes communautaires qui ont mis en place les premières structures de surveillance de personnes en libération conditionnelle au Canada.
Faisant directement écho à certaines recommandations du rapport Archambault de 1938 et du rapport Fauteux de 1956, le gouvernement fédéral procède, en 1959, à la création du Service national des libérations conditionnelles, organisation qui relève alors directement de la Commission nationale des libérations conditionnelles.
Avec la mise sur pied de cette organisation, on souhaitait rendre disponibles ces activités de surveillance sur l'ensemble du territoire canadien. Néanmoins, cela n'a pas empêché le système de faire encore largement appel aux services offerts par des organismes communautaires qu'on appelle alors des agences postpénales.
Dans les années qui suivent, un certain nombre de ces organismes communautaires choisissent de délaisser ce champ d'activité. En effet, ils considèrent qu'ils ont atteint leur objectif d'assurer un accès universel à la libération conditionnelle. D'autres continuent toutefois à offrir ce type de services. À ce propos, rappelons qu'en 1971, le ministre Jean-Pierre Goyer parle d'un partage moitié-moitié entre la CNLC et les ONG.
Dans les années 1980, l'arrivée de nouveaux acteurs...
Le SESJ représente tous les agents de libération conditionnelle, les agents de programme, les enseignants et les autres employés des services correctionnels fédéraux qui occupent des fonctions de sécurité non actives partout au pays dans les 43 pénitenciers fédéraux, les 92 bureaux de libération conditionnelle et bureaux secondaires dans la collectivité, les 14 centres correctionnels communautaires et les quatre pavillons de ressourcement.
Le meurtre de Marylène Levesque a évidemment été une tragédie, un événement dévastateur, non seulement pour la famille de la victime, mais aussi pour les employés du système correctionnel qui s'emploient chaque jour à la réhabilitation des délinquants. Je dirais, respectueusement, que le SESJ ne peut discuter de détails de cette affaire aujourd'hui en raison du processus disciplinaire en cours, mais nous parlerons de façon plus générale du rôle des agents de libération conditionnelle dans le système correctionnel fédéral.
En tout temps, au pays, on compte quelque 9 000 délinquants sous surveillance dans la collectivité dont la surveillance relève des agents de libération conditionnelle et des équipes de gestion des cas. Beaucoup de gens pensent, à tort, que les agents de libération conditionnelle travaillent uniquement dans la collectivité, à l'instar des agents de probation provinciaux. Toutefois, en réalité, la réinsertion en toute sécurité des délinquants dans la collectivité commence dès leur évaluation par un agent de libération conditionnelle, ce qui a lieu à leur arrivée dans un établissement fédéral. Le processus de mise en liberté dans la collectivité d'un détenu sous responsabilité fédérale commence donc dès son évaluation, qui porte sur les éléments suivants: antécédents criminels, risque pour la sécurité et potentiel de réhabilitation.
Très peu de délinquants entrent dans un établissement fédéral sans perspective d'en sortir. Cela vaut aussi pour les délinquants ayant des antécédents d’infractions avec violence. Ces règles ne sont pas établies par les agents de libération conditionnelle, mais par les juges qui prononcent les peines. En outre, comme vous le savez, c'est la Commission des libérations conditionnelles du Canada qui est chargée d'examiner avec soin la demande de libération conditionnelle d'un délinquant. C'est la Commission des libérations conditionnelles qui impose les conditions de surveillance des délinquants dans la collectivité.
Il ne fait aucun doute que les agents de libération conditionnelle fédéraux qui travaillent directement auprès des délinquants pendant leur incarcération jouent un rôle essentiel en présentant des recommandations sur les conditions de mise en liberté du délinquant, mais ce ne sont que des recommandations, en fin de compte. Cela dit, les agents de libération conditionnelle jouent un rôle essentiel dans la préparation des délinquants et la promotion de la sécurité publique, mais on n'en tient malheureusement pas toujours compte. On pourrait penser que les agents de libération conditionnelle ont plus de temps pour évaluer soigneusement les antécédents et la situation des délinquants violents, ceux qui ont commis un homicide, comme l'assassinat d'un conjoint. Ce n'est pas le cas. Dans les établissements correctionnels fédéraux, la charge de travail est extrêmement lourde, et on ne fait aucune distinction selon la complexité du dossier ou du passé violent du délinquant.
On pourrait aussi penser qu'un agent de libération conditionnelle aurait du soutien administratif pour obtenir les documents judiciaires essentiels, souvent des centaines, voire des milliers de pages. Ce n'est pas le cas non plus. En 2016, le Service correctionnel du Canada a supprimé de nombreux postes de personnel administratif; ces postes n'ont pas été rétablis. En fait, les agents de libération conditionnelle attendent parfois des mois pour obtenir ces documents, voire des années, dans certains cas. La communication de documents provenant des services de police et d'autres organismes concernés, comme les services d'aide aux victimes et d'aide à l'enfance, notamment, est parfois entravée par des questions de protection de la vie privée. Par conséquent, beaucoup d'agents de libération conditionnelle doivent se débrouiller seuls dans des processus administratifs complexes pour obtenir les renseignements pertinents, et leurs demandes ne font pas l'objet d'une attention particulière. Ils doivent attendre leur tour comme les autres acteurs du système de justice pénale. Malheureusement, ils n'obtiennent pas toujours ce dont ils ont besoin au moment opportun.
On peut aussi supposer que les agents de libération conditionnelle reçoivent chaque année une formation de pointe pour avoir les meilleurs outils d'évaluation et l'occasion d'échanger sur les pratiques exemplaires avec leurs pairs. Cela n'est pas vrai non plus. En fait, presque toutes les formations sont offertes en virtuel depuis plusieurs années en raison des réductions budgétaires, et elles ne sont pas toujours adaptées aux besoins des agents de libération conditionnelle fédéraux, qui considèrent d'ailleurs que cela a gravement nui à leur profession.
Il s'agit d'une des nombreuses raisons pour lesquelles le SESJ a publié en 2019 son rapport percutant intitulé « Protection de la sécurité publique: Défis auxquels font face les agents et agentes de libération conditionnelle du système de justice pénale canadien hautement stressé ». Pour cette étude, le SESJ a invité des agents de libération conditionnelle de partout au pays à exprimer leur point de vue sur l'état du système correctionnel et sur leur rôle dans ce système. Des centaines d'agents ont répondu; la plupart d'entre eux n'avaient jamais été actifs au sein de notre syndicat. Ils ont en grande majorité brossé le tableau d'un système correctionnel canadien stressé et près du point de rupture. La majorité des agents de libération conditionnelle ont indiqué que leurs conditions de travail les empêchent souvent d'évaluer, de superviser et de préparer correctement les délinquants à réintégrer la collectivité en toute sécurité.
Le nombre élevé de dossiers, le manque chronique de personnel et les changements importants apportés aux programmes et services correctionnels sont considérés comme des défis insurmontables pour la gestion des risques liés aux délinquants. Plus des deux tiers des agents de libération conditionnelle interrogés — 69 % — craignent d'être incapables de protéger suffisamment le public en raison de leur charge de travail actuelle, et 92 % d'entre eux estiment qu'une augmentation des effectifs améliorerait leur capacité d'assurer la sécurité des Canadiens. En outre, 85 % ont convenu qu'une diminution du nombre de dossiers de délinquants confiés aux agents de libération conditionnelle améliorerait la sécurité publique au pays.
Nous présentons ce rapport dans le cadre de notre témoignage aujourd'hui, et nous demandons qu'il soit pris en compte dans la formulation de recommandations.
On pourrait penser que ce rapport a servi de catalyseur pour la tenue d'un important dialogue au sein du SCC sur l'amélioration du système, mais il est plutôt tombé dans l'oreille de sourds. Le SESJ n'a reçu aucune réponse officielle à ce rapport depuis sa publication, en juin 2019.
En conclusion, il serait approprié que le comité parlementaire et le comité mixte d'enquête, qui vient de publier le rapport, examinent les manquements dans la gestion de cas liée au meurtre de Marylène Levesque. Le SESJ craint qu'une autre tragédie risque de se produire si aucune analyse systémique n'est faite sur la façon de mieux outiller et habiliter les agents de libération conditionnelle et les employés des services correctionnels qui travaillent en première ligne, au quotidien, pour favoriser la réinsertion sociale des délinquants.
Merci.
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Bonjour. Je vous remercie de cette question.
Notre rapport publié en mai 2019 — il y a presque deux ans, rappelons-le —, contenait un certain nombre de recommandations. Nous avons interpellé les dirigeants du Service correctionnel du Canada et nous avons essayé d'avoir des discussions très sérieuses sur ces recommandations. Toutefois, très peu de choses ont changé à ce jour, et cela demeure extrêmement préoccupant pour notre syndicat et particulièrement nos membres.
La répartition des cas parmi l'effectif est l'un des premiers points que nous avons soulevés. Cette répartition ne se fait pas selon la complexité des cas, mais est plutôt simplement fondée sur le nombre de dossiers attribué à chacun. Prenons l'exemple d'un délinquant présentant un risque et des besoins élevés qui arrive à l'établissement en début de peine. On ne vous accorde pas plus de temps pour travailler avec des délinquants ayant des besoins élevés complexes. En fait, vous auriez le même temps que ce que vous pouvez consacrer à tout autre détenu. Un point sur lequel nous insistons, c'est que la question de la charge de travail n'est pas seulement quantitative: il faut aussi tenir compte du temps réellement requis pour faire des évaluations des risques adéquates et des interventions appropriées auprès des délinquants.
Une autre de nos demandes porte sur les besoins en santé mentale des délinquants. Les agents de libération conditionnelle en établissement ont maintes fois répété que la santé mentale des délinquants devrait être un facteur déterminant pour l'établissement de la charge de travail. Comme vous pouvez l'imaginer, il faut consacrer plus de temps aux gens qui présentent des besoins accrus en santé mentale lorsqu'ils arrivent dans le système carcéral. Ce que beaucoup d'agents de libération conditionnelle nous ont dit, essentiellement, c'est qu'il faut augmenter l'effectif si on veut consacrer plus de temps par délinquant. En réalité, cela n'a pas changé, et je sais que le Service correctionnel subit de fortes pressions pour réduire son budget depuis de nombreuses années. Cela remonte au Plan d'action pour la réduction du déficit. À cela s'ajoute, ces dernières années, la nécessité d'effectuer toutes les compressions possibles afin de ne pas dépasser le budget, ce qui est très difficile.
En outre, d'autres changements de politique ont été extrêmement difficiles, notamment pour le travail avec les délinquants autochtones. Des postes supplémentaires ont été créés au fil des ans, mais pour ce qui est du travail des agents de libération conditionnelle et même des programmes, nous devons veiller à consacrer du temps à ces délinquants et les rencontrer afin de les comprendre, de connaître leurs antécédents, de savoir ce qui les a poussés vers la criminalité et ce qu'il faut faire pour qu'ils ne récidivent pas. C'est très important.
En résumé, je dirais que les agents de libération conditionnelle ont besoin de temps pour faire leur travail correctement et intervenir de manière significative auprès de tous ceux dont ils ont la charge. Lorsque nous parlons de cas très complexes, cela sous-entend qu'il nous faut du temps pour des discussions approfondies afin de comprendre leur univers et déterminer leurs conditions de mise en liberté, s'ils devaient être mis en liberté dans la collectivité. Quelles relations seront importantes pour eux et pour leur réinsertion sociale? Quel genre de soutien auront-ils?
Je vais m'arrêter ici; il y aura peut-être d'autres questions.
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Concernant les ressources communautaires et la gestion des risques dans la communauté, il est absolument essentiel que nous établissions des partenariats avec divers organismes. Nous pouvons ainsi y diriger les délinquants qui ont besoin d'aide pour gérer les déficiences cognitives ou les facteurs qui déclenchent leur comportement criminel, afin qu'ils obtiennent l'aide dont ils ont besoin.
Il y a quelques années, les services communautaires de consultation psychologique offerts aux délinquants ont été parmi les services les plus touchés par les compressions. Comme vous pouvez l'imaginer, dans les cas très complexes qui nécessitent une intervention psychologique, nos besoins ne se limitent pas aux contacts importants avec les agents de libération conditionnelle et les agents de programmes correctionnels qui offrent des programmes aux délinquants dans la communauté. Nous avons d'autres besoins, notamment l'accès à des programmes de traitement de la toxicomanie en pavillon de ressourcement.
Ces éléments ont été supprimés en raison des nécessaires réductions de budget. Ces éléments sont absolument essentiels pour nos plans d'intervention en général et pour offrir aux délinquants l'aide dont ils ont besoin lorsqu'ils retournent dans la collectivité.
Essentiellement, par rapport aux activités du Service correctionnel du Canada, nous comprenons que les gens peuvent changer et que nous avons la responsabilité de gérer les risques et l'obligation d'en rendre compte. Cependant, nous avons besoin de ces ressources pour faire un suivi rigoureux afin de savoir comment le délinquant utilise son temps dans la collectivité, peu importe la durée de son séjour et l'endroit où il habite — à côté de chez vous, de chez moi, de vos amis ou de votre famille —, veiller à ce qu'il reçoive l'aide dont il a besoin, savoir précisément ce qu'il fait, comment il utilise son temps et, évidemment, veiller à ce qu'il ne retombe pas dans ses schèmes de comportement criminel antérieurs.
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Je pense que la libération conditionnelle est une mesure de réhabilitation sociale essentielle. Le fait d'offrir à quelqu'un une libération conditionnelle, de l'encadrement et de la supervision dans la communauté assure justement la sécurité de nos communautés. En effet, on peut évaluer la personne quand elle sort de détention et voir comment elle évolue dans la communauté. Si jamais elle se désorganise, si elle ne respecte pas son plan d'intervention, si elle ne s'implique pas dans sa réinsertion sociale, il est toujours possible de suspendre la libération conditionnelle.
La libération conditionnelle permet de protéger nos communautés. D'ailleurs, les statistiques sont assez éloquentes. Le risque de récidive d'une personne à qui l'on accorde une libération conditionnelle est moindre que celui d'une personne à qui l'on accorde une libération d'office, soit aux deux tiers de sa peine. Pour sa part, le risque de récidive d'une personne libérée d'office est moindre que celui d'une personne qui est maintenue en incarcération jusqu'à la toute fin de sa peine.
En tant que criminologue, ce qui m'inquiète le plus pour la communauté, ce ne sont pas les personnes à qui l'on accorde une libération conditionnelle. Ce sont plutôt les personnes qui sont maintenues en incarcération jusqu'à la toute fin de leur peine et qui, après 10, 12 ou 15 ans en pénitencier, réintègrent nos communautés sans aucune forme de supervision ou d'encadrement. Cela représente un réel problème. Une cinquantaine ou une centaine de personnes par année sont maintenues en incarcération dans les pénitenciers.
Quand on essaie de s'attaquer à ce problème dans la communauté, on se retrouve devant un vide, parce que personne ne veut financer ces services. Ces ex-détenus ne relèvent plus des services correctionnels, alors ce n'est pas aux services correctionnels de payer pour les services. Ce n'est pas non plus à la sécurité publique de le faire. Pour leur part, les services de santé et les services sociaux ne veulent pas financer ce genre de programmes. Ces ex-détenus doivent donc se tourner vers les ressources pour personnes itinérantes, alors qu'ils ont fait 15 ans de pénitencier. Voilà ce qui m'inquiète.
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Merci, monsieur le président, et merci aux témoins.
Ma question s'adresse aux agents de libération conditionnelle.
Je regarde le rapport qui a été préparé en mai et publié en juin 2019, dont j'ai un exemplaire. Je constate que la charge de travail est un problème très important. Comme vous l'avez souligné dans votre témoignage, monsieur Stapleton, 70 % des agents de libération conditionnelle ont indiqué qu'ils ne pensaient pas être en mesure de protéger le public de manière adéquate compte tenu de la charge de travail actuelle.
Je pense qu'il est important que tous ceux qui écoutent nos délibérations sachent qu'il y a, dans les établissements, des agents de libération conditionnelle chargés d'évaluer l'admissibilité d'une personne à la libération conditionnelle, et qu'il y a aussi des agents de libération conditionnelle dans la communauté. C'est probablement vous, plus que quiconque, qui êtes chargés d'évaluer le risque de récidive de chaque personne.
Je constate, dans les réponses aux questions, que certains problèmes liés à la charge de travail ont été cernés: réductions de personnel, manque de ressources, postes d'agents de libération conditionnelle laissés vacants, soutien administratif insuffisant malgré l'augmentation de la charge de travail, autres postes de soutien laissés vacants et réductions du financement. Tous ces facteurs démontrent le manque d'effectif pour ce travail. Pourtant, selon l'enquêteur correctionnel, le ratio entre les agents correctionnels et les détenus dans nos pénitenciers est plus élevé que dans presque tous les autres établissements comparables.
Pourriez-vous m'expliquer cela? Est-ce une mauvaise affectation des ressources? Manque-t-on de financement au bon endroit, ou manque-t-on d'argent tout court?
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J'ajouterai simplement que lors de l'enquête, un des agents de libération conditionnelle a dit ce qui suit: « Je n’ai pas assez de temps pour voir les délinquants dont les dossiers me sont confiés et rédiger des rapports. Il est important de rencontrer régulièrement les délinquants […] pour mieux connaître la personne avec qui vous travaillez. La charge de travail ne le permet pas. »
Monsieur Neufeld, cela semble très révélateur quant aux conséquences du soutien insuffisant des services communautaires, tant pour l'agent de libération conditionnelle et pour les risques pour la collectivité.
Au lieu de vous demander à M. Stapleton un commentaire à ce sujet, j'aimerais aborder un autre point soulevé dans votre rapport. Il porte sur le manque de ressources pour l'évaluation du risque que présentent les délinquants. Parlant des délinquants, par exemple, la méthodologie du SCC en matière d'évaluation du risque entraîne une surreprésentation de certaines populations, surtout les délinquants autochtones, et une classification de sécurité plus élevée, ce qui nuit à leur accès à des programmes efficaces pendant leur détention. Cela a été mentionné dans un article du Globe and Mail publié ces derniers jours, et vous dites que trop de délinquants ne sont pas admissibles aux programmes dont ils ont tant besoin.
Encore une fois, par rapport à l'évaluation des risques et à la capacité des gens de fonctionner dans la société, les gens doivent aussi avoir accès à des programmes en établissement.
L'un d'entre vous aurait-il un commentaire au sujet du problème que pose le manque de programmes vraiment accessibles en établissement pour que les gens puissent se préparer à la vie à l'extérieur?