Bienvenue à la réunion no 31 du Comité spécial sur la relation entre le Canada et la République populaire de Chine de la Chambre des communes. Conformément à l'ordre de renvoi du 16 mai 2022, le Comité se réunit pour étudier les relations entre le Canada et la République populaire de Chine. Aujourd'hui, la réunion portera plus particulièrement sur la Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique.
Je vais faire quelques observations à l'intention des témoins et des membres du Comité. La réunion d'aujourd'hui se déroule en mode hybride. Certains participants y assistent en personne, et d'autres, au moyen de l'application Zoom. Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole. Si vous participez par vidéoconférence, vous devez cliquer sur l'icône du microphone pour l'activer. Il vous faudra le désactiver après votre intervention.
Pour accéder aux services d'interprétation dans l'application Zoom, vous pouvez sélectionner le parquet, l'anglais ou le français. Si vous êtes dans la salle, utilisez l'oreillette qui a été mise à votre disposition et sélectionnez le canal voulu. Je vous rappelle que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence.
Pour demander la parole, vous devez lever la main si vous êtes dans la salle. Utilisez la fonction « Lever la main » levée si vous êtes sur Zoom. La greffière et moi-même ferons de notre mieux pour respecter l'ordre d'intervention.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à Mme Damoff, qui remplace M. .
Je vais à présent accueillir le premier groupe de témoins.
Une modification a été apportée à l'ordre du jour. M. Dominique Caouette, professeur et titulaire de la Chaire d'études asiatiques et indo-pacifiques à l'Université de Montréal, ne peut pas assister à la réunion en raison de moyens de pression dans son établissement.
Nous recevons M. Fen Osler Hampson, professeur chancelier et professeur à la Norman Paterson School of International Affairs de l'Université Carleton. Nous avons également M. Gordon Houlden, professeur et directeur émérite du Chinese Institute de l'Université de l'Alberta.
Messieurs, vous avez chacun cinq minutes pour votre déclaration liminaire. Nous passerons ensuite à la période de questions.
Souhaitez-vous commencer, monsieur Hampson?
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Je vais commencer avec plaisir.
[Français]
J'aimerais remercier le président et les membres du Comité de m'avoir donné l'occasion de comparaître ce soir.
[Traduction]
Mes observations porteront essentiellement sur la stratégie de la Chine à l'égard de la gouvernance mondiale et sur les répercussions au Canada.
Les fondations de l'ordre actuel ont été construites après la Seconde Guerre mondiale. Elles sont ancrées, comme nous le savons, dans le système des Nations unies et de Bretton Woods. Pendant de nombreuses années, la politique étrangère canadienne sous les gouvernements libéraux et conservateurs s'est fondée sur la prémisse voulant que l'inclusion de la Chine dans les institutions de la gouvernance mondiale encourage cette dernière à devenir un membre responsable de la communauté internationale et favorise sa socialisation aux normes et aux valeurs occidentales.
Aujourd'hui, nous devons revoir cette prémisse. En plus de prendre des mesures dans le but apparent de détenir une position dominante dans le monde sur le plan militaire et économique, la Chine aspire également à jouer un rôle dominant dans la gouvernance mondiale.
Le premier pilier de cette stratégie est le renforcement de la position et du leadership de la Chine au sein des institutions internationales existantes, en particulier les institutions spécialisées du système des Nations unies.
Le deuxième pilier est la quête plus ambitieuse menée pour ériger un nouvel ordre économique centré sur les pays du BRICS, qui un jour — je dis bien « un jour » — pourraient mettre en place un système parallèle au système monétaire et commercial des accords de Bretton Woods.
La Chine compte atteindre cet objectif au moyen de sa richesse et de sa puissance incarnées dans son initiative des nouvelles routes de la soie, ou Belt and Road en anglais, à laquelle il faut ajouter bon nombre d'autres initiatives, dont l'initiative de développement mondial et l'initiative pour la sécurité mondiale, qui s'inscrivent dans le plan visant à établir un nouvel ordre mondial, et récemment l'initiative pour une civilisation mondiale — annoncée en grande pompe — ainsi que l'initiative de la communauté avec une vision commune. Mais les ambitions de la Chine ne s'arrêtent pas là.
Le Conseil des droits de l'homme, nous le savons, est une des cibles que vise la Chine dans le système des Nations unies. Les opérations de maintien de la paix des Nations unies constituent un autre domaine où la Chine élargit son rôle et son influence. Au cours des trois dernières décennies, ce pays a fourni 50 000 Casques bleus dans le cadre d'une trentaine de missions de maintien de la paix. Elle est le deuxième bailleur de fonds de ces missions et fournit aujourd'hui un nombre de Casques bleus plus élevé que n'importe quel autre membre permanent du Conseil de sécurité.
Les membres du personnel chinois occupent également de nombreux postes très importants au sein du Conseil économique et social des Nations unies. Les Chinois aimeraient également mettre la main sur le poste de chef du Département des opérations de paix. Or, ce poste est occupé par un ressortissant français, conformément à une politique qui ne risque pas de changer dans un avenir prévisible.
Pourquoi est‑ce important?
Au fil des ans, les opérations de consolidation et de maintien de la paix des Nations unies ont joué un rôle essentiel dans la promotion de la démocratie, l'avancement des droits de la personne et l'ouverture des marchés. La réputation et l'influence que la Chine exerce dans ces missions risquent de faire dévier les opérations des objectifs de démocratisation et de bonne gouvernance. La Chine étend également son influence sur des organismes comme l'Union internationale des télécommunications, l'Organisation internationale de normalisation, la Commission électrotechnique internationale et le projet de partenariat de troisième génération. Ces organismes essentiels chargés d'établir des normes pour un grand éventail de technologies hautement innovantes basées sur Internet se trouvent actuellement au centre d'une concurrence féroce à laquelle se livrent les États‑Unis — et leurs alliés occidentaux — et la Chine.
Pourquoi est‑ce important?
Une position dominante dans des organisations comme celles‑là, surtout les grandes organisations internationales de normalisation des technologies, confère aux pays un contrôle sur les éléments de pointe de la frontière technologique, particulièrement sur l'établissement de protocoles techniques et de normes sur l'échange de données, de même qu'un contrôle sur le formatage et la sécurité et le rendement des réseaux de communication, ce qui procure au bout du compte un avantage concurrentiel au secteur technologique de ces pays.
Le deuxième pilier de la stratégie de gouvernance mondiale de la Chine consiste pour cette dernière à mettre sur pied ses propres institutions internationales et forums mondiaux distincts, à commencer par l'expansion du BRICS, auquel se sont joints six autres membres. La Chine voudrait également substituer sa devise au dollar américain comme monnaie de réserve mondiale et s'arroger ainsi le poids économique qui y est associé.
Ce changement ne risque pas de se produire de sitôt, car la Chine devrait pour ce faire lever ses restrictions sur les capitaux pour le renminbi. N'empêche: il ne faut jamais dire jamais, car le monde change. L'utilisation mondiale du renminbi est favorisée par les banques de compensation en renminbi, les accords de swap bilatéraux de la Banque populaire de Chine et le système chinois de paiement interbancaire transfrontalier.
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Quelles sont les conséquences de cette stratégie pour le Canada et les intérêts canadiens?
Premièrement, il faut redoubler d'efforts pour contrebalancer l'influence chinoise, non seulement ici au Canada, mais aussi à l'échelle internationale et dans les institutions où les Chinois font de réels progrès dans leur quête de pouvoir et d'influence.
Deuxièmement, de nombreux pays en développement souhaitent faire partie du BRICS en raison de l'insatisfaction généralisée dans ces pays à l'égard des structures de gouvernance des institutions internationales actuelles. Par conséquent, le Canada devrait se faire le champion d'une réforme de la gouvernance pour contrer l'influence chinoise dans ces institutions.
Troisièmement — et ce sera mon dernier point, monsieur le président —, nous ne devrions pas nous bercer d'illusions en pensant que la Chine pourrait soutenir nos positions et nos aspirations pour le leadership aux Nations unies ou dans d'autres organisations. Il ne faut pas pour autant jeter l'éponge ou se soustraire à nos responsabilités et à nos engagements internationaux. Il faut plutôt multiplier les efforts pour se faire de nouveaux amis et pour bâtir des coalitions internationales avec d'autres pays que les alliés occidentaux traditionnels afin de promouvoir les valeurs et de faire avancer les intérêts du Canada.
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Merci, monsieur le président, de me donner l'occasion de parler de la Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique devant le Comité spécial sur la relation entre le Canada et la Chine de la Chambre des communes.
[Français]
Je pourrai répondre aux questions en français ou en anglais.
[Traduction]
La Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique a été annoncée il y a tout juste un an, mais nous observons déjà des changements notables dans l'environnement stratégique.
Avant de traiter de la stratégie en tant que telle, je vais examiner quelques-uns des risques de conflit ouvert dans le contexte actuel de la région indo-pacifique, qui est complexe à plusieurs égards.
Tout d'abord, la région se caractérise — aussi surprenant que cela puisse être — par l'absence de conflits armés entre États. Le seul conflit majeur qui a cours en ce moment est interne. Il s'agit de la guerre civile au Myanmar. Par contre, une course à l'armement se poursuit en Asie. Une proportion de 26 % du total des armes dans le monde est achetée par les pays de la zone indo-pacifique, comparativement à 65 % pour les États‑Unis. Ces armes sont destinées aux bataillons lourds, ce qui veut dire qu'un état de guerre ouverte qui se déclarerait en Asie de l'Est ou en Asie du Sud‑Est donnerait lieu à des affrontements particulièrement violents et destructeurs.
L'Indo-Pacifique est le théâtre de nombreux conflits latents, dont certains pourraient se transformer en guerres majeures qui auraient une incidence profonde sur le Canada et les Canadiens. Comme dans l'Europe de 1913, l'absence de guerres entre les États pourrait entraîner un faux sentiment de sécurité. Si vous le permettez, je vais exposer très brièvement les risques en question.
D'abord, à Taïwan, un conflit résiduel persiste depuis la guerre civile chinoise de 1946‑1949. Ce régime autrefois autocratique devenu aujourd'hui une démocratie est vulnérable aux agressions de la République populaire de Chine, que ce soit sous forme d'attaques directes ou de diverses tactiques de dissuasion en zone grise.
Même si le président Biden a déclaré publiquement que les États‑Unis se porteraient à la défense de Taïwan si la Chine perpétrait une attaque contre cet État insulaire, certains doutes persistent au sein de la population taïwanaise sur la volonté de Washington d'intervenir. Le retrait précipité des États‑Unis d'Afghanistan et le refus du Congrès américain d'autoriser un financement additionnel pour l'Ukraine et Taïwan entretiennent le flottement.
Les députés de la Chambre des communes savent que les sondages sont plus ou moins fiables. Il reste que certains sondages ont indiqué qu'une faible majorité d'Américains n'appuieraient pas une intervention militaire des États‑Unis pour défendre Taïwan. Contrairement à la situation en Ukraine, où la Russie détient un avantage démographique de quatre contre un, la Chine compte une population 60 fois plus grande que Taïwan. Seule une intervention directe des États‑Unis pourrait, à mon avis, éviter que Taïwan soit envahie à la suite d'une attaque.
Il faut mentionner, évidemment, l'insécurité et l'instabilité qui règnent aux États‑Unis en cette année électorale. Historiquement, que ce soit sous l'Empire romain ou dans des contextes plus modernes, les métropoles, au centre, deviennent chaotiques ou s'affaiblissent lorsque des provinces ou des États alliés éloignés sont envahis.
Il y a le conflit gelé dans la péninsule coréenne. La séparation des deux Corées il y a 80 ans demeure une menace larvée, mais de plus en plus sérieuse. L'arsenal nucléaire de Pyongyang augmente en qualité et en quantité et compte toute une gamme de technologies de détonation.
Il m'arrive de croire, selon ce que j'ai constaté lors de mes rares visites en Corée du Nord, que Kim et ses généraux veulent mourir dans leur lit comme l'ont fait la plupart des dictateurs, mais la portée grandissante de la République populaire démocratique de Corée a incité la République de Corée, le Japon et les États‑Unis à planifier une stratégie de défense contre une attaque conventionnelle que pourrait commettre Pyongyang dans la péninsule coréenne ou même contre des cibles régionales plus ambitieuses.
Le consensus au Conseil de sécurité des Nations unies sur l'isolement du régime est rompu. Ajoutons l'achat d'armes massif qu'effectue la Russie auprès du régime nord-coréen et le harcèlement de la Chine à l'encontre des efforts déployés par le Canada pour appliquer les sanctions. Il est difficile pour le Canada d'obtenir des résultats, puisque certains membres du Conseil de sécurité des Nations unies minent directement le régime de sanctions ou son application.
Je peux parler également de la mer de Chine méridionale — un sujet sur lequel j'ai probablement passé trop de temps, mois qui vient d'une province de l'intérieur des terres — ou de la frontière entre la Chine et l'Inde. La situation ne pose pas un grand risque à mon avis parce que je ne vois pas quels avantages nets pourraient retirer les deux parties concernées en déclenchant un conflit frontalier.
Les relations entre les États‑Unis et la Chine demeurent houleuses. Les deux pays se voient mutuellement comme une menace à moyen ou à long terme. Leurs forces armées et leurs systèmes d'armement sont prêts à l'éventualité d'une guerre entre les deux plus grandes puissances militaires de la planète. Toutefois, nous avons observé en 2023 un effort de la part de Washington et de Pékin pour rétablir un dialogue de haut niveau visant à réduire les risques d'hostilités.
Les États‑Unis sont fortement distraits par les guerres en Europe et au Moyen‑Orient, malgré les efforts qu'ils déploient depuis des décennies pour se désengager du Moyen‑Orient et de l'Asie de l'Ouest en faveur de l'Indo‑Pacifique. Ils avaient presque terminé leur intervention au Moyen‑Orient, mais ils ont dû faire marche arrière. Cette trame rejoue constamment.
Je vais à présent vous faire part de cinq conclusions que j'ai tirées et qui sont directement liées à la Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique.
Premièrement, la stratégie aurait dû être établie beaucoup plus tôt, mais sa publication il y a un an a eu une incidence positive nette.
Deuxièmement, même si les conflits dans la région sont seulement latents, ils sont profonds et la pression s'intensifie particulièrement à Taïwan, dans la péninsule coréenne et en mer de Chine méridionale.
Troisièmement, en 2024, les bouleversements politiques constituent un risque réel — un risque, et non une certitude — aux États‑Unis. La politique étrangère sera sûrement modifiée. Des signes de paralysie dans ce pays ou une baisse de l'intérêt dans la nouvelle administration pourraient encourager l'aventurisme.
Quatrièmement, le Canada restera, en définitive, un facteur mineur dans la région indo-pacifique, mais il pourrait subir de profondes répercussions advenant des événements majeurs dans la région. Notre dure réalité, c'est que notre influence modeste est combinée à la possibilité de subir de grandes répercussions.
Finalement, en raison de la dynamique dans la zone indo‑pacifique — les changements que j'ai décrits sont survenus dans la région au cours des 12 derniers mois — et du risque que des problèmes de sécurité latents se métamorphosent à court préavis en problèmes de sécurité immédiats, une mise à jour publique de la Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique devrait être effectuée tous les ans, ou au moins tous les deux ans.
Merci.
:
La réponse courte est que nous avons beaucoup de chemin à faire. Ce que l'essai sur l'Indo-Pacifique propose est ambitieux.
L'une de mes préoccupations... Oui, le milieu des affaires commence soudainement à accorder beaucoup d'attention à la question, car je pense qu'on voit ce qui s'en vient en matière de protectionnisme au sud de la frontière. De nouvelles occasions pourraient effectivement se présenter, mais au bout du compte, si nous voulons vraiment améliorer notre situation économique, nous devons dialoguer avec les économies émergentes de l'Indo-Pacifique. C'est une chose que d'autres personnes et moi-même avons commencé à dire de nombreuses années avant l'annonce de la stratégie pour l'Indo-Pacifique, laquelle, comme M. Houlden l'a dit, se faisait attendre depuis longtemps, mais cela ne se fera pas du jour au lendemain.
Un engagement important sera nécessaire de la part non seulement du milieu des affaires, mais aussi des dirigeants du Canada. Il faudra aller au‑delà des missions d'Équipe Canada et faire un véritable suivi. L'une de mes préoccupations, c'est qu'à mesure que nous voyons la situation évoluer au sud de la frontière et la possibilité qu'un ancien président reprenne le pouvoir, l'enthousiasme envers la stratégie pour l'Indo-Pacifique va diminuer. Il sera difficile pour nos dirigeants, qui devront courtiser les Américains, de prendre l'avion au même moment pour se rendre au sud et à l'ouest. C'est également vrai, en passant, pour le milieu des affaires.
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La coopération concernant les changements climatiques est logique. La Chine compte 20 % de la population mondiale, et il y aura donc des questions pour lesquelles nous trouverons des terrains d'entente.
La santé en serait un autre. Malheureusement, c'est un domaine de coopération qui a souffert aux yeux de la population canadienne compte tenu de certains facteurs liés à la pandémie: des vaccins qui n'ont pas été obtenus, des soupçons à propos de l'origine de la COVID et ainsi de suite. Cela demeure un domaine que nous ne pouvons pas ignorer. La prochaine pandémie est plus susceptible de survenir en Chine qu'ailleurs.
J'étais chef de mission adjoint pendant la crise du SRAS, et nous n'avions pas d'expert en médecine. J'assistais tous les jours aux séances d'information de l'organisation de la santé, et j'essayais de comprendre les termes techniques. Quand je suis revenu quelques années plus tard pour être directeur général à Ottawa, j'ai dit que nous avions besoin sur place d'un médecin de l'agence de la santé qui parle chinois. C'est ce qui a été fait, mais la personne a été démise de ses fonctions avant la pandémie. Nous avions quelqu'un là‑bas à un moment utile, mais non essentiel, et nous ne l'avions pas par la suite. Ce genre de petites choses peuvent être extrêmement importantes.
Je pense qu'il y a aussi des domaines touchant la biodiversité dans cette vaste catégorie environnementale. La Chine couvre presque la même superficie que nous. On y trouve beaucoup d'espèces en péril, et le pays a beaucoup d'influence dans le système des Nations unies. Je pense que la réunion de la Conférence des Parties à Montréal a somme toute été une réussite. On ne s'en souvient peut-être pas, mais même dans une période de relations bilatérales semées d'embûches, je crois comprendre que cela a raisonnablement bien fonctionné.
Une évaluation rigoureuse de nos domaines d'intérêt pour savoir lesquels concordent avec ceux de la Chine — ce n'est pas toujours le cas — peut fonctionner. Il n'est pas toujours facile de trouver ces domaines, mais c'est possible. C'est la raison pour laquelle j'ai hâte de voir au moins un meilleur dialogue aux échelons supérieurs. Cela peut se faire à huis clos ou publiquement. Nous ne pouvons toutefois pas continuer ainsi indéfiniment.
Nos alliés, le premier ministre australien, les Allemands, les Français, les Américains, les Britanniques et les autres — tous nos partenaires du G7 et du Groupe des cinq — entretiennent un dialogue aux échelons supérieurs avec la Chine. Je ne dis pas que c'est entièrement de notre faute si les Chinois nous punissent, mais nous devons corriger la situation.
L'analogie n'est pas parfaite, mais nous avons maintenu ouverte notre ambassade à Berlin jusqu'au 1er septembre 1939. Autrement dit — et j'ai déjà été diplomate —, il faut dialoguer. Si cela échoue lamentablement, il faut s'en remettre à l'autre option, à l'armée, mais nous devons dialoguer. Cela ne fonctionne pas à distance avec un porte-voix. Il faut être sur le terrain, avoir des contacts réguliers de part et d'autre.
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Merci, monsieur le président.
Bonsoir, messieurs les témoins, je suis très heureux de votre présence. Je vous remercie de contribuer à notre réflexion sur la Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique, et je vais poser des questions auxquelles j'invite l'un ou l'autre de vous à répondre.
Dans la Stratégie, le Canada affirme qu'il continuera à défendre les droits universels de la personne, évoquant nommément les Ouïghours, les Tibétains et autres minorités religieuses et ethniques, sans toutefois dire comment il s'y prendra pour défendre les droits des Ouïghours, des Tibétains et des autres minorités religieuses. On imagine qu'on fait référence expressément à la Chine.
La Stratégie évoque également la possibilité d'ouvrir le dialogue avec des États qui ne partagent pas nos valeurs. Voyez-vous là une contradiction entre une politique plus ferme et agressive à l'égard de la Chine et une politique plus permissive à l'égard d'autres pays de la région qui pourraient, eux aussi, se montrer plus ou moins respectueux des valeurs qui sont les nôtres?
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Il est toujours tentant de discuter seulement avec les pays qui ont les mêmes valeurs que nous, un peu comme une conversation qui a lieu entre les membres d'une même famille. Selon moi, cela s'explique par le fait que la majorité du monde n'est pas démocratique. Environ une centaine de pays ont des politiques en matière de droits de la personne qui sont pénibles ou, du moins, qui ne sont pas excellentes.
Curieusement, selon moi, il est plus important d'avoir un dialogue avec des pays qui ont des lacunes ou des difficultés, même si, au bout du compte, on n'est pas sur la même longueur d'onde. Le simple fait d'engager une discussion avec ces pays donne au moins une chance de faire progresser le dialogue.
Pour sa part, la Chine est un pays dont la culture est difficile. C'est un pays qui a un grand poids international, une longue tradition.
[Traduction]
J'en ai encore des ecchymoses et des cicatrices.
[Français]
C'est dû à des années d'interactions avec les Chinois sur des sujets difficiles comme les droits de la personne.
Il reste que c'est nécessaire. De temps en temps, nous trouvons une façon de communiquer, même avec les Chinois. Par exemple, il y a une vingtaine d'années, avec l'Agence canadienne de développement international, des échanges sur la gestion des prisons ont eu lieu, auxquels je n'ai pas participé directement même si je faisais partie de la mission en Chine. Comment cela a-t-il pu être possible? Il s'est avéré qu'une partie du problème était liée à un manque de connaissances. La Chine était prête à envisager une amélioration de certains aspects de son système pénal. Cependant, je ne suis pas naïf. Les Chinois vont toujours mettre en prison des gens qui ne seraient pas incarcérés au Canada. La liste des infractions est longue, en Chine.
Je suis toutefois optimiste. En effet, dans le cas de la Chine, si on peut changer 1 % ou même une fraction de 1 % de la politique, un très grand nombre de gens sera touché. Cela dit, est-ce que je crois que, demain ou après-demain, la situation des Ouïghours, des Tibétains et des minorités religieuses sera nettement meilleure? Pas du tout.
Par contre, on peut au moins maintenir le contact, le dialogue, en espérant voir des changements. Si on ne communique pas, qu'on ne s'engage pas, on ne verra assurément pas d'améliorations.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Bonne année à tous mes collègues, que je vois pour la première fois depuis le Nouvel An.
Merci beaucoup à vous deux d'être ici. Vos observations sont très intéressantes.
L'une des choses que je vous entends dire, c'est que la Chine renforce son influence partout dans le monde, tant sur le plan diplomatique qu'en matière de développement et en utilisant les outils au sein des institutions multilatérales. Elle gagne en influence, au moment même où l'influence du Canada dans le monde diminue.
Nous avons vu — et je ne jette pas uniquement le blâme sur le gouvernement actuel — au cours des 20 dernières années une diminution de nos ressources diplomatiques, de ce que nous faisons sur le plan diplomatique. Nous voyons une diminution des fonds que nous consacrons au développement, dans notre façon de dépenser l'argent, dans la forme que cela prend, et même, comme vous l'avez dit, une diminution de notre participation dans des institutions multilatérales comme les Nations unies, dans des domaines où le Canada ne peut même pas obtenir un siège au Conseil de sécurité. J'aimerais me faire une meilleure idée des conséquences de cela.
Je vais vous demander à tous les deux d'en parler. Puis, si vous le voulez bien, vous pourrez parler du fait que c'est dans le contexte actuel, mais qu'il est possible que nous ayons une présidence de Trump, ce qui ferait en sorte que les États-Unis se retireraient encore davantage. De plus, pour être honnête, nous avons la possibilité d'avoir au Canada un gouvernement fédéral qui a parlé de se retirer de la scène internationale de plusieurs façons. Quelles en seraient les conséquences? Que voit la Chine lorsque ces choses se produisent?
Je pourrais peut-être commencer par vous, monsieur Houlden.
Je suis désolée, monsieur le professeur, mais en tant qu'Albertaine, je dois faire un signe de la tête à mes concitoyens albertains malgré mes origines.
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On peut me sortir de l'Alberta, mais on ne peut pas sortir l'Alberta de moi. C'est très vrai.
Le monde change profondément. Le fait que ce soit plutôt graduel ne signifie pas que cela ne se fait pas rapidement. Lorsque je suis parti de Pékin en 2004 pour me rendre à Taïwan — on dirait que cela fait une éternité —, l'économie chinoise était environ 12 fois moins importante qu'elle ne l'est aujourd'hui. Elle est 12 fois plus grande qu'il y a environ 20 ans. Même s'il y a beaucoup de sérieux doutes quant à l'avenir de l'économie chinoise, la possibilité qu'elle s'effondre et cesse de croître, en supposant que l'économie mondiale est stable, n'est tout simplement pas envisageable.
Nous avons observé une diminution relative de la force des États-Unis et des pays occidentaux de manière générale. Lorsqu'on regarde le pourcentage du PIB des pays du G7, rien n'indique que ce changement va... Nous allons vivre dans un monde différent. Nous sommes dans un monde différent où cette force diminue, et la région de l'Asie-Pacifique n'a pas d'OTAN. Les groupes auxquels nous appartenons, que ce soit la francophonie ou le Commonwealth, n'ont pas beaucoup d'influence là‑bas. Nous exerçons une influence, mais notre culture, à mon avis, est encore grandement orientée vers l'Europe et les États-Unis. Il est facile de dire, comme dans la stratégie pour l'Indo-Pacifique, que les deux tiers des secteurs d'activité en Asie affichent une croissance rapide, mais je crois que l'on sous-estime la croissance de la Chine.
Oui, nous pouvons envoyer nos gens d'affaires en Asie du Sud-Est et dans les pays de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est si nous le souhaitons, mais une fois sur place, ils constateront que l'infrastructure est souvent construite par la Chine. La Chine est le principal partenaire commercial de la grande majorité de ces pays indo-pacifiques, à l'exception des États-Unis. Par conséquent, on peut partir de Burlington pour ouvrir un bureau à Kuala Lumpur, et on pourra peut-être y faire beaucoup plus souvent affaire avec la Chine.
La Chine représente la moitié de l'économie asiatique. La réalité, pour toute personne adulte depuis 1945, c'est que l'Occident — les États-Unis — occupe une position dominante de chef de file, et je ne pense pas que nous pouvons automatiquement le supposer. La Chine ne s'en va nulle part. Elle ne sera pas toute-puissante, mais nous sommes maintenant dans une situation où la dominance des États-Unis peut être remise en question. Les États-Unis peuvent décider de ne pas entretenir de dialogue, ce qui créerait de réelles difficultés pour nous qui vivons confortablement le long de la frontière américaine et qui dépendons grandement du marché américain. Nous n'avons pas l'option de ne pas dialoguer.
Les États-Unis sont tributaires du commerce extérieur à hauteur de 24 %. En ce qui nous concerne, nous le sommes presque à hauteur de 60 %. La Chine est quelque part entre les deux. Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas nouer de dialogues à l'échelle mondiale. Si c'est là que la croissance se trouve, c'est là que nous devons être.
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Le Canada a profité d'un énorme coup de pouce pendant la période unipolaire qui a suivi la fin de la guerre froide. Notre puissance discrète, si je peux utiliser ce terme, a bien fonctionné à l'étranger parce qu'elle s'est opposée à peu de résistance.
De nos jours, les institutions internationales sont devenues des arènes très influentes et concurrentielles pour exercer une puissance discrète. J'ai essayé de le souligner dans mes observations, de parler de la façon dont les Chinois élargissent leur influence dans ces institutions. Bref, pour répondre à la première question qu'on m'a posée, nous devons investir dans notre puissance coercitive, mais nous devons aussi investir dans notre puissance discrète. Nous devons procéder de manière beaucoup plus intelligente à cet égard. Ce n'est pas l'un ou l'autre. Ce sont les deux. Comme je l'ai dit, c'est motivé par des forces géopolitiques. Oui, nous sommes une puissance intermédiaire, mais de nombreux pays comptent encore sur nous pour faire preuve de leadership, car c'est une tradition.
Pour revenir à un point soulevé par M. Houlden, notre sort économique se trouve dans ces régions du monde où nous ne sommes traditionnellement pas intervenus, et l'Indo-Pacifique en fait partie. Ces pays s'attendent à ce que nous soyons un partenaire actif, non seulement dans les nouvelles institutions émergentes de la région de l'Indo-Pacifique, mais aussi plus particulièrement en Asie du Sud-Est, où il y a selon moi d'énormes débouchés pour le Canada. Ce sont des démocraties avec lesquelles nous pouvons travailler, même si elles sont imparfaites.
À un moment donné, nous étions un des plus importants partenaires de l'Indonésie en matière d'aide. Ce pays ne l'a pas oublié, contrairement à nous. Une occasion s'offre à nous là‑bas, mais nous devons redoubler d'efforts, tant pour ce qui est de la puissance discrète que de la puissance coercitive. Cela signifie qu'il faut investir dans les deux à un moment où les Canadiens ne le veulent pas. Une partie du leadership politique consiste à dire, comme M. Houlden l'a mentionné, que le monde est vraiment important pour assurer notre prospérité et notre sécurité.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie nos témoins d'être avec nous.
Je veux poser une question contre-intuitive et avoir vos réactions à tous les deux.
Au cours des deux dernières décennies, on a parlé de l'ascension de la République populaire de Chine et du relatif déclin des États-Unis. Se pourrait‑il, toutefois, que nous entrions dans une ère où c'est le contraire qui se produit?
L'année dernière, la population chinoise a diminué de 2,1 millions de personnes, et nous savons qu'il est impossible d'inverser le déclin démographique. Nous l'avons constaté dans de nombreux pays. Lorsqu'on entre dans une période de déclin démographique — en particulier dans un pays comme la République populaire de Chine, qui n'est pas ouvert aux nouveaux arrivants et est quelque peu xénophobe sur ce plan —, ce déclin est presque impossible à inverser. Dans sept ans à peine, la population aura diminué de 1 %, et dans 15 ans, de 2 %. C'est une vague démographique assez difficile à contrer économiquement.
En outre, selon la Banque mondiale, le PIB par habitant des États-Unis s'élevait à 76 000 $ l'année dernière. En République populaire de Chine, il était de 12 720 $. L'économie américaine s'est donc développée à un rythme effréné l'année dernière, à partir de cette base beaucoup plus élevée. D'après les données récentes que j'ai vues, sur une base nominale, le PIB américain a augmenté l'année dernière de 6,3 %, et le PIB nominal de la Chine, de 4,6 %. En Chine, le chômage chez les jeunes monte en flèche. Il est aujourd'hui plus élevé que dans le Sud de l'Europe, et dépasse les 20 %, je crois. En fait, il est si élevé qu'en août dernier, les autorités de Pékin ont déclaré qu'elles n'allaient plus publier les données sur le chômage des jeunes.
Si l'on met tout cela ensemble... Nous entrons peut-être dans une ère où la République populaire de Chine est en déclin économique, ce qui pourrait entraîner une instabilité intérieure. Dans ce contexte, quelle devrait être la position des pays occidentaux face à la République populaire de Chine? Nous sommes en quelque sorte en position défensive depuis une dizaine d'années en raison des menaces croissantes qu'elle représente. Il se pourrait que la Chine se replie sur elle-même, comme dans les années 1950, 1960 et 1970, et devienne vulnérable à l'instabilité intérieure.
Quelle devrait être notre position dans ce contexte, si c'est l'ère dans laquelle nous sommes sur le point d'entrer?
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Si cela ne vous dérange pas, je vais commencer.
Je pense à un article récent de M. Ibbitson, qui a abordé ces questions. Je suis d'accord avec sa description du problème. Je ne suis pas sûr d'être entièrement d'accord avec les conclusions.
Il est assurément vrai que la population chinoise va irrévocablement diminuer. Il n'y a pas d'usine qui fabrique des jeunes de 18 ans. Le pourcentage du groupe économiquement improductif, âgé de plus de 64 ans ou de moins de 15... Cela me gêne un peu, car j'ai plus de 64 ans. Suis‑je économiquement improductif? Toutefois, plus de la moitié de l'argent dépensé en robotique l'est en Chine. Cela peut‑il compenser? Oui, mais en partie seulement.
Toutefois, si je regarde le Japon, qui est un peu plus loin sur cette courbe, je ne vois pas l'économie japonaise s'effondrer. Ce que je vois, ce sont deux décennies de croissance très lente. L'idée que la Chine va... Il était un temps, vous vous en souviendrez, où on s'attendait à ce que le Japon s'approprie le monde et à ce que le coût de l'immobilier à Tokyo soit plus élevé que partout aux États-Unis sur papier. Ce n'est pas le cas. Ce que l'on a vu, c'est une croissance lente et une stagnation.
La Chine ne va pas disparaître. Des éléments comme le chômage des jeunes et le déclin de la population en âge de travailler peuvent être rééquilibrés. On n'y enseigne pas les bonnes compétences. Les parents veulent orienter les jeunes dans certaines voies. Ce ne sont pas nécessairement les emplois qui les attendent. Il s'agit d'une inadéquation entre le marché du travail et l'économie, mais cela peut être corrigé.
L'économie américaine n'est pas sur le point de s'effondrer. Les États-Unis resteront la plus grande économie dans un avenir prévisible. Il y aura deux grandes économies. Je suis sceptique par rapport au déclin, mais il faut être prêt à toute éventualité. Il faut se méfier de l'inattendu. Le système politique chinois semble remarquablement stable. Il est remarquablement stable, mais à mes yeux — et j'ai vécu dans des pays communistes sur trois continents différents —, c'est la force du fer et non celle de l'acier. Il peut se fissurer. J'ai servi en Europe de l'Est au début de l'effondrement de l'Union soviétique. Je ne l'ai pas vu venir. Mon travail consistait à suivre les mouvements dissidents en politique, et je me suis trompé. Aujourd'hui, je crains de me tromper à nouveau, mais je suis sceptique quant à un effondrement.
Je pense que la croissance sera plus lente et plus difficile. Très franchement — et j'ai eu cette conversation avec de nombreux Chinois —, une Chine de 700 millions d'habitants serait beaucoup plus vivable qu'une Chine de 1,4 milliard d'habitants, et la plupart des Chinois sont d'accord. Elle serait plus respectueuse de l'environnement, disposerait de plus d'espace et offrirait une meilleure qualité de vie à ses habitants. Il serait donc bon qu'elle soit moins dynamique, qu'elle ne nous dépasse pas tous, mais qu'elle soit relativement stable et à un niveau où son PIB brut reste le deuxième au monde.
L'influence s'exerce de différentes manières. Nous ne sommes que 40 millions d'habitants. Encore une fois, les gros bataillons se trouvent en Asie, où les provinces chinoises comptent, dans certains cas, trois fois plus d'habitants. L'Inde aussi, évidemment, et l'Indonésie... Nous avons ce que nous appelons la physique du pouvoir, une question d'échelle. Cela ne s'applique pas autant à l'Europe occidentale, nécessairement, mais cela s'applique largement à l'Asie.
Il y a aussi la tyrannie de la distance. Il y a cette grande distance avec une empreinte plus faible, et puis il y a la taille. Cela implique des dépenses pour surmonter cette distance et des dépenses suffisantes pour exercer une influence à distance. L'Asie aura plus d'incidence sur nous que nous en aurons sur elle, mais ce n'est pas une excuse pour ne pas agir et ne pas faire d'efforts. On soutient — un peu de parti pris ici — nos établissements d'enseignement à l'étranger, mais ce n'est pas et ne devrait pas être un rôle qu'assume seul le gouvernement. Les entreprises aussi peuvent jouer un rôle important sur la scène internationale. Nous sommes plus ou moins invisibles aux États-Unis, mais nous sommes présents, nos entreprises, en particulier, en grand nombre. Ce n'est pas aussi vrai en Asie.
La distance n'est parfois qu'une excuse. Les gens regardent un globe terrestre et voient l'Australie juste à côté. J'ai parlé à des Australiens aujourd'hui à leur haut-commissariat. Sydney est plus loin de Shanghai que Vancouver, mais la différence est que, pour les Australiens, la distance psychologique est beaucoup plus courte. En d'autres termes, ils ont décidé que l'Asie était importante pour eux, alors ils se mobilisent et s'attendent à ce qu'il en soit ainsi. Ils sont présents sur le terrain en grand nombre dans toute l'Asie du Sud-Est en particulier, mais aussi en Asie de l'Est.
Pour nous qui sommes à Toronto ou même dans ma province natale de l'Alberta, la Chine n'a pas une grande importance. Pour la communauté de la diaspora, elle en a, bien sûr, mais l'expertise sur l'Asie, l'intérêt pour l'Asie ou le rôle en Asie ne devraient pas s'y limiter. Il faut de l'argent et des efforts soutenus. Je dirais que les efforts soutenus sont l'élément clé.
Au cours des dernières décennies, nous avons connu des périodes d'enthousiasme à l'égard de l'Asie, puis une crise ou une situation est survenue et nous avons changé d'avis. Ces pays le remarquent. Si vous vous y rendez deux ou trois fois et que six ans se sont écoulés depuis votre visite, votre influence s'en trouvera amoindrie, qu'il s'agisse de puissance douce ou simplement de promotion commerciale.
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Compte tenu de la réaction de la Chine, je dirais que c'est un facteur déstabilisant. Les autorités espéraient un résultat différent.
Cela signifie-t‑il qu'elles vont faire ce qu'elles ont menacé de faire? Cela dépend en grande partie de la manière dont les nouveaux dirigeants de Taïwan gèrent leurs relations avec la Chine, ainsi que des messages dissuasifs que les États-Unis et leurs partenaires occidentaux envoient à la Chine.
Certains experts en stratégie affirment que nous devrions nous préparer, compte tenu de ce qui se passe dans le monde, à une offensive militaire que les Chinois lanceront en mars ou en avril contre Taïwan, parce qu'ils en ont tout simplement assez. Je suis quelque peu sceptique à cet égard.
Cependant, l'autre facteur à prendre en compte est le risque d'erreur, ce que l'on appelle parfois « l'escalade involontaire ». Il peut s'agir d'un incident en mer. Il y en a eu plusieurs où les forces américaines ou les forces de leurs alliés sont entrées en conflit avec un navire chinois. Un navire est coulé, et que fait‑on alors?
Nous avons vu ce qui s'est passé en 1914 lorsque les communications sont rompues. On a assisté alors à une mobilisation et à une contre-mobilisation des forces dans une guerre que personne ne souhaitait vraiment. Je ne pense pas que quiconque veuille — y compris les Chinois, d'ailleurs — entrer en guerre avec les États-Unis au sujet de Taïwan. Les Chinois ont tout simplement trop investi dans l'économie mondiale et dans leur propre prospérité pour le faire, mais s'ils sentent que les Américains sont distraits, qu'ils regardent ailleurs, ils pourraient faire preuve d'opportunisme. Comme je l'ai dit, des actions involontaires résultant d'une perte de contrôle sur les forces militaires peuvent également entraîner une guerre ouverte.
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Au cours de ma longue carrière, je me suis vraiment trompé sur certaines choses, en particulier sur l'Union soviétique. Je voyais les fissures dans le mur. Je pensais que tout allait s'écrouler. Je pensais que cela prendrait 50 ans. Dix-huit mois après la fin de ma mission, tout s'était effondré. Prenez cela comme un avertissement. Je n'ai pas de boule de cristal magique.
En fait, j'ai trouvé que la réaction chinoise était beaucoup plus modérée que ce que j'avais prévu et que ce que beaucoup de gens avaient pensé, et cela me porte à croire qu'ils vont vouloir passer à l'offensive dans un avenir proche. J'ai trouvé que la réaction était relativement modérée. Ils font voler des jets presque tous les jours qui sont visibles de l'île. Je n'ai pas vu de réaction forte, et ils ont beaucoup d'outils qu'ils peuvent utiliser, et pas seulement une invasion réelle, mais toutes sortes d'autres outils, des boycottages et l'exclusion de Taïwan des marchés. Le principal marché de Taïwan reste la République populaire de Chine.
Pour ce qui est de l'avenir, je pense que l'Ukraine a peut-être servi d'avertissement. Lorsque l'on commence une guerre, il n'est pas forcément facile de la terminer. Elle ne se termine pas nécessairement dans les délais que vous souhaitez ou de la manière que vous espérez. Un débarquement maritime dans des conditions hostiles est l'un des exercices militaires les plus difficiles que l'on puisse imaginer. Il n'y a pas de défense à moyen terme — disons quelques semaines après le début d'un conflit — sans l'aide directe des États-Unis. Cependant, je pense qu'un autre facteur entre en ligne de compte. Xi Jinping et les Chinois sont-ils prêts à s'engager dans un éventuel conflit militaire ouvert avec les États-Unis?
La priorité du parti communiste chinois est de rester au pouvoir. Oui, sur leur courte liste figure l'unification, l'accueil de Taïwan dans l'étreinte de la mère patrie. Cependant, ce n'est pas la priorité, qui est de rester au pouvoir. La deuxième serait, ensuite, de savoir comment procéder, en utilisant principalement des moyens économiques.
Oui, ils veulent le faire. S'il y avait un moment de faiblesse, comme mon ami l'a suggéré, ils pourraient aller de l'avant. Nous n'en sommes pas encore là, toutefois. Je pense qu'à l'heure actuelle, une certaine forme de collaboration avec les États-Unis — pour réduire le risque de conflit ouvert et maintenir l'accès au marché et une économie mondiale stable — est plus importante que le retour de Taïwan.
Xi Jinping est dans une position où il peut redéfinir ces objectifs à tout moment. Cela dépend vraiment de lui et des médias chinois, qui jouent un rôle important dans la formation de l'opinion publique. Il ne dit pas dans 12 ou 24 mois. Il est évident qu'il aimerait le faire le plus tôt possible, mais je constate une certaine hésitation et une certaine prudence.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Dans le même ordre d'idées, de nombreuses personnes ont suggéré que, si quelque chose se passe avec Taïwan, la réponse des États-Unis sera similaire à celle qu'ils ont apportée à l'Ukraine, en d'autres termes, elle sera non cinétique et non militaire.
Dans ce contexte, vous pourriez peut-être nous décrire, sur la base de vos connaissances et de votre analyse, les types de réponses non cinétiques que nous pourrions voir, comme des sanctions, et les répercussions que cela aurait pour le Canada et les intérêts canadiens. Dites-nous seulement une dernière chose à ce sujet.
L'économie américaine est relativement autarcique. Les États-Unis exportent environ 1 % de leur PIB vers la Chine et importent environ 1 % de leur PIB, en gros. La Chine exporte entre 5 % et 10 % de son PIB vers les consommateurs américains et importe également beaucoup, bien plus que 1 % de son économie, des États-Unis, de sorte qu'elle est beaucoup plus dépendante du commerce américain que les États-Unis. La relation que nous entretenons avec les États-Unis est du même ordre. Environ un cinquième de notre PIB est exporté vers les États-Unis, alors qu'ils n'exportent qu'environ 1 % de leur PIB chez nous.
Dans ce contexte, si les États-Unis apportent une réponse économique à une menace contre Taïwan, quelles seront les répercussions sur notre économie et nos intérêts?
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Pour revenir à la question de savoir ce que les Américains feraient s'ils imposaient des sanctions, cela dépend en grande partie de la nature de ces sanctions. S'il s'agit de restrictions commerciales, à vrai dire, nous achetons plus de produits à la Chine que nous lui en vendons, ce qui nuira au consommateur. Une grande partie des produits que nous importons sont des biens de consommation durables. Les produits que nous achetons sur Amazon proviennent en grande partie de la Chine. Nous assisterons à une hausse des prix de certains biens de consommation durables. Est‑ce catastrophique? Non, car comme M. Houlden l'a dit, la majorité de nos échanges se fait avec les États-Unis et le Mexique.
Je pense que nous pourrions nous inquiéter, à vrai dire, d'une sorte de répétition — Trump 2 — sous une administration Trump, où elle impose des droits de douane à la Chine, mais nous devenons les dommages collatéraux parce que ce sont des droits de douane généraux contre les partenaires commerciaux de l'Amérique. M. Trump a pratiquement déclaré qu'il allait imposer des droits de douane de 10 % sur toutes les importations qui arrivent aux États-Unis, ce qui, soit dit en passant, nous inclut. S'il décide ensuite d'être gentil avec les Chinois, comme il l'a fait, et de conclure un accord sur l'agriculture, cela nous désavantage ou pourrait nous désavantager, parce qu'il s'agirait d'un accord préférentiel avec les Chinois.
S'il s'agit de sanctions économiques ou financières, cela aurait probablement une incidence sur nos investissements avec la Chine, qui sont considérables, mais pas énormes. En ce qui concerne notre empreinte mondiale, la majorité de nos investissements sont réalisés au sud de la frontière, et c'est certainement le cas de nos institutions financières.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Houlden, je vous remercie d'être parmi nous ce soir pour nous faire part de votre expertise.
Pendant que nous étions dans nos circonscriptions, j'ai rencontré quelques groupes avec lesquels j'ai parlé d'économie. Nous avons discuté de tout ce qui se passe sur la scène mondiale, et tout cela inquiète énormément mes concitoyens.
Nous avons également parlé de la Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique. Comme je l'ai déjà dit au Comité, la Chine est un partenaire dont le Nouveau‑Brunswick ne peut malheureusement pas se passer, surtout pour l'exportation de ses fruits de mer tels le crabe et le homard, entre autres.
Comment cette stratégie pourrait-elle aider les exportateurs du Nouveau‑Brunswick, pas seulement dans le domaine que je viens de nommer, mais également les entreprises de nos régions? Comment une stratégie qui n'est pas exactement faite sur mesure pourrait-elle au moins apaiser la situation que nous vivons sur le plan mondial à l'heure actuelle?
Voyez-vous la stratégie pour l'Indo-Pacifique comme une solution qui pourrait aider nos entreprises à diversifier leurs exportations? Comment voyez-vous cette stratégie?
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Quand je regarde la Stratégie du Canada pour l'Indo‑Pacifique, je n'y vois pas nécessairement de détails qui pourraient s'appliquer à la situation au Nouveau‑Brunswick. En principe, par contre, on doit faire un plus grand effort pour aider les exportateurs de fruits de mer, par exemple.
Bien qu'il ne faille pas se limiter à cela, une des mesures possibles consiste à accroître les investissements chinois au Canada, dans les provinces atlantiques, mais cette approche présente une difficulté sur le plan politique. Je souligne que le China Institute de l'Université de l'Alberta a mené plusieurs études sur le niveau d'investissement au Canada, et celui-ci est maintenant beaucoup plus bas. En effet, la population s'oppose à ce que la République populaire de Chine investisse au Canada, même dans des domaines qui ne sont pas stratégiques, comme le secteur agricole, où il n'y a pourtant pas de grands risques.
La Chine est la deuxième plus grande économie du monde. Toutes les provinces du Canada dépendent des exportations. Le Canada a une tradition d'exportation de produits de luxe vers l'Europe, les États‑Unis et d'autres endroits qui ont des valeurs plus ou moins semblables aux nôtres et des institutions du même genre. C'est différent en Asie, surtout pour ce qui est de la Chine.
D'après moi, on doit avoir une politique un peu plus sophistiquée en matière d'investissement. Je suis d'accord sur le fait que chaque investissement chinois au Canada doit être analysé de près pour savoir s'il est nettement avantageux pour notre pays. Cependant, la réponse actuelle du Canada à cette question est presque toujours non, même dans des domaines qui ne sont pas stratégiques. Pourtant, une firme chinoise qui s'installe au Nouveau‑Brunswick doit suivre les règles et les lois canadiennes et provinciales. Si on se fie à cela, je crois qu'on peut trouver des solutions qui sont dans l'intérêt des deux parties. Présentement, par contre, c'est très difficile, tant du côté politique que de l'opinion publique.
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En ce qui concerne la Stratégie pour l'Indo-Pacifique, je pense que la vraie question est de savoir ce que nous vendons. Au final, notre avantage comparatif provient de la vente de produits de base.
En ce qui concerne la Chine, nous n'avons pas besoin d'accords de libre-échange pour cela, car les prix des produits de base sont fixés en fonction des marchés mondiaux. D'ailleurs, cela s'applique également au blé que nous vendons à l'Indonésie. Je pense que nous sommes le plus grand fournisseur de blé à l'Indonésie.
Nous ne rivalisons pas avec les Chinois. Nous exerçons le bon vieil avantage comparatif ricardien. Je ne vois pas la Chine comme étant un concurrent.
Comme nous l'avons déjà vu, si les Chinois décident de nous imposer des sanctions, comme ils l'ont fait pour notre boeuf, notre porc et notre canola, il existe des tiers à qui nous pouvons vendre ces produits qui les vendront aux Chinois. Je pense que les Émirats arabes unis ont joué le rôle d'intermédiaire dans cet échange. Nous avons continué à vendre du canola à la Chine, même si elle a déclaré qu'elle ne nous en achèterait plus à cause de l'affaire des deux Michael.
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Merci, monsieur le président.
Dans le cadre de la Stratégie pour l'Indo-Pacifique, il est question d'« examiner tous les mécanismes et toutes les structures » entre le Canada et la RPC, si bien que je veux poser une question au sujet de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures, ou BAII.
Monsieur Hampson, vous mentionnez que l'intention de la RPC est de construire ces institutions pour remplacer les institutions de Bretton Woods.
En ce qui concerne la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures, le gouvernement a investi massivement dans la banque et l'a considérée comme faisant partie de sa stratégie de politique étrangère. Aujourd'hui, il a des regrets. En juin de l'année dernière, il a annoncé qu'il gelait la coopération. Depuis, il n'y a eu aucune annonce sur ce qui se passe et sur la question de savoir si la banque se retirera ou non. Était-ce dans l'intérêt du Canada? La BAII est-elle une institution de remplacement pour tenter d'écarter les institutions de Bretton Woods?
J'adresse ma question à vous, monsieur Hampson, ainsi qu'à vous, monsieur Houlden.
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C'est un défi, un danger qui est constant. C'est un fait. L'histoire révèle que, au cours des 100 dernières années, les services de renseignement chinois se sont concentrés sur la diaspora chinoise, avec laquelle ils sont le plus à l'aise, puisque cette population parle mandarin ou un des dialectes chinois.
Le gouvernement chinois actuel — comme plusieurs de ses prédécesseurs au cours de l'histoire — semble considérer qu'une personne chinoise demeure toujours un citoyen ou une citoyenne de la Chine, même si, techniquement, ce n'est pas le cas. Le gouvernement chinois peut tout de même exercer une influence sur cette personne qui, selon lui, doit avoir une certaine allégeance, un certain respect envers Pékin. Il est très difficile de combattre cela. La majorité des membres des différentes diasporas du Canada, comme les Brésiliens ou les Grecs, entre autres, s'intéressent naturellement à leur pays d'origine. Quand le service de renseignement d'un pays a la capacité et la volonté de contrôler et d'utiliser sa diaspora contre les intérêts du Canada, même si ce n'est qu'une très petite minorité de cette diaspora qui est visée, nous devons surveiller cela de près.
Y a-t-il une façon d'y échapper? Non.
[Traduction]
Pour moi, c'est un peu comme la digitaire. On l'arrache et elle revient.
Il en sera toujours ainsi. Ils continueront d'utiliser leur pouvoir dans la diaspora pour servir leurs propres intérêts. Il est naïf de penser que cela va s'arrêter. On ne pourra pas l'arrêter. Nous n'avons qu'une influence mineure. Nous devons continuer de combattre cette situation et en être conscients.
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Je déclare à nouveau la séance ouverte.
Pour notre deuxième groupe de témoins, nous recevons Paul Evans, un professeur à la retraite, de l'École des politiques publiques et des affaires mondiales de l'Université de la Colombie‑Britannique. Je ne sais pas si l'expression « à la retraite » ou « en rétablissement » est une meilleure description pour quelqu'un qui exerce une profession aussi prenante que celles que bon nombre d'entre vous ont exercées ici.
Nous accueillons Victor Ramraj, professeur de droit et directeur des Relations juridiques Asie-Pacifique, Université de Victoria et Centre for Asia-Pacific Initiatives. Nous recevons un autre représentant de l'Alberta, Jia Wang, directrice adjointe du China Institute de l'Université de l'Alberta.
Vous disposerez chacun de cinq minutes et 20 secondes environ pour faire une déclaration liminaire.
Nous allons commencer avec vous, madame Wang.
[Traduction]
Je remercie le Comité de me donner l'occasion de comparaître dans le cadre de cette importante discussion sur la stratégie pour l'Indo-Pacifique. Plusieurs collègues estimés se sont déjà exprimés avant moi. Il n'est pas facile de les suivre, mais je vais essayer de faire de mon mieux pour vous faire part de mes observations.
Je constate également que je suis la seule à ne pas être un gentleman barbu ce soir.
Des députés: Oh, oh!
Mme Jia Wang: La stratégie pour l'Indo-Pacifique est une stratégie ambitieuse assortie d'un vaste éventail d'objectifs, allant du commerce et de l'investissement au développement durable, en passant par les relations interpersonnelles et la paix et la sécurité. Beaucoup de travail et de ressources ont été consacrés à la mise en œuvre de cette stratégie et à sa promotion dans la région.
Comme nous le savons tous, le Canada dépend énormément du commerce mondial, bien plus que nos principaux partenaires commerciaux tels que les États‑Unis et la Chine. Tandis que le Canada doit diversifier son marché et ses chaînes d'approvisionnement et que l'économie mondiale et les programmes de sécurité s'orientent de plus en plus vers la région indo-pacifique, le lancement de l'étude sur la stratégie pour l'Indo-Pacifique arrive à point nommé, à mon avis.
La définition du rôle de la Chine en tant que puissance mondiale de plus en plus perturbatrice a suscité beaucoup d'attention. L'expression utilisée par le Canada est allée plus loin, avec une connotation plus négative, que celle utilisée par d'autres pays, y compris notre plus proche allié, les États‑Unis, qui ont qualifié la Chine de « concurrent stratégique ».
La description du Canada a suscité une réaction très vive de la part de la Chine, ce qui n'est peut-être pas surprenant. Toutefois, un perturbateur peut également faire référence à une puissance mondiale qui remet en question la norme, provoque des changements tectoniques et bouscule les choses. Je crois savoir que la deuxième couche de cette signification a été prise en compte dans la réflexion politique, mais qu'elle est rarement mentionnée.
Alors que le Canada cherche à élargir son engagement dans la région indo-pacifique, nous devons reconnaître que les points de vue et les politiques de nombreux acteurs régionaux à l'égard de la Chine ne sont pas nécessairement alignés sur les nôtres. L'ANASE, qui a été élevée au rang de partenaire stratégique du Canada l'année dernière, par exemple, a approuvé collectivement une approche inclusive axée sur l'engagement. Elle privilégie le multilatéralisme et le dialogue plutôt que l'isolement et l'endiguement. Elle préfère travailler avec la Chine et les États‑Unis plutôt que de se laisser entraîner fermement dans l'orbite d'une seule grande puissance. La vaste expérience des pays de la région peut peut-être nous éclairer sur la voie à suivre.
Au‑delà des considérations géopolitiques, la réalité est que l'économie et les chaînes d'approvisionnement de la région indo-pacifique sont fortement intégrées, tant latéralement que verticalement, avec la Chine au centre. La taille de l'économie chinoise est à peu près égale au reste de la région indo-pacifique réunie. Malgré les tentatives de découplage et d'atténuation des risques par rapport à la Chine et la montée de la localisation et du protectionnisme dans la région, la Chine demeure la première destination commerciale pour la plupart des pays de la région. Depuis 2020, l'ANASE est devenue le premier partenaire commercial de la Chine. Les principales économies de l'ANASE ont connu une croissance à deux chiffres de leurs échanges avec la Chine. Les biens intermédiaires, les matières premières, les investissements et les technologies en provenance de la Chine jouent un rôle essentiel dans les industries de pointe de ces économies émergentes.
La portée économique de la Chine dans la région est à la fois vaste et profonde dans tous les segments des chaînes d'approvisionnement. Il ne sera pas facile, ni même possible, de se diversifier par rapport à la Chine dans la région. En renforçant sa présence dans la région et en s'engageant avec des pays autres que la Chine, le Canada et les entités canadiennes augmenteront involontairement leur exposition à la Chine, directement ou indirectement. Des compétences et une connaissance accrues de la région et de la Chine sont nécessaires pour gérer cette complexité.
La stratégie du Canada à l'égard de l'Asie, de l'Indo-Pacifique, doit être replacée dans le contexte plus large d'une vision mondiale plus vaste. L'émergence de points névralgiques régionaux et de chocs mondiaux est presque inévitable dans notre monde instable. Face à d'autres priorités concurrentes, les pays de la région se demanderont si le Canada est là pour rester et s'il est vraiment déterminé à promouvoir des objectifs communs à long terme dans la région indo-pacifique.
Nous ne devrions pas non plus perdre de vue l'objectif final de notre quête mondiale et peut-être prendre du recul par rapport à ce point en envisageant les mesures à prendre pour y parvenir. Si l'objectif ultime est la paix et la sécurité, la paix et la prospérité ou, au minimum, la survie de l'humanité et de notre planète, nous devons essayer d'éviter une approche binaire fondée sur des valeurs où nous ne voyons les choses qu'à travers le prisme du bien contre le mal, de la démocratie contre l'autocratie, ce qui signifie que la confrontation est inévitable. Ce n'est pas une perspective partagée par la majorité de la population mondiale, et surtout pas par les pays de la région indo-pacifique.
Peut-être que le fait de capitaliser sur notre succès passé en tant que puissance moyenne visionnaire et réfléchie et de ramener une approche nuancée et du pragmatisme dans notre réflexion en matière de politique étrangère pourrait nous aider à aller plus loin dans l'Indo-Pacifique.
Merci.
:
Bonsoir, monsieur le président et chers membres du Comité.
Je vous remercie de m'avoir invité à vous faire part de mes réflexions dans le cadre de votre étude.
[Traduction]
Plus il y a de liens entre deux sociétés, plus il est possible de survivre en période difficile. Les liens sociétaux denses assurent la résilience lorsque les liens officiels sont mis à rude épreuve.
L'une des forces de la Stratégie pour l'Indo-Pacifique est sa reconnaissance de l'importance des liens non officiels, notamment dans le troisième pilier.
Quel est le rôle du gouvernement dans l'établissement de liens entre les personnes? La stratégie décrit des façons précises de relier les gens, comme l'investissement dans le traitement des visas, les ententes sur les services aériens, les bourses d'études et l'aide humanitaire. Cependant, si le Canada est vraiment déterminé à collaborer avec l'Asie, que peuvent faire les gouvernements pour favoriser des liens sociétaux durables à long terme? Il est essentiel de cultiver des liens économiques, commerciaux et industriels significatifs avec les petites entreprises, dans le domaine des technologies propres, de l'agroalimentaire et ainsi de suite, mais permettez-moi de souligner deux autres possibilités.
Dans sa déclaration au Comité de novembre, M. Frank Des Rosiers a fait valoir que des chefs d'entreprises autochtones avaient participé à une mission commerciale au Japon en janvier. Cette initiative, en plus de l'Accord de coopération économique et commerciale avec les peuples autochtones — l'ACECPA, comme on l'appelle —, a démontré l'importance des entreprises autochtones dans l'économie mondiale et leur rôle dans la promotion de l'engagement du Canada et des Autochtones en Asie.
Étant donné que les deux tiers des peuples autochtones du monde vivent en Asie, la facilitation de ces initiatives pourrait jouer un rôle essentiel dans l'établissement de liens de l'autre côté du Pacifique.
Une deuxième possibilité concerne les universités. Pour des raisons de division des pouvoirs, il faut faire preuve de créativité ici, comme dans le cas du financement des trois organismes. Ce qui est clair, cependant, c'est que les universités canadiennes jouent un rôle essentiel à long terme dans le soutien de la Stratégie pour l'Indo-Pacifique. Le rôle des universités ne se limite pas à enseigner aux étudiants de premier cycle l'histoire, la politique, la langue, la littérature et la géographie ou à générer des recherches. Les universités envoient des étudiants en Asie pour des échanges, des excursions scolaires, des programmes d'alternance travail-études, des stages et des voyages d'études. Elles les envoient suivre une formation linguistique et travailler sur le terrain. Avec plus de 1,4 million d'étudiants dans les salles de classe universitaires canadiennes chaque année, les universités sont un point de convergence évident et inexploité pour renforcer les liens du Canada avec l'Asie. Il en va de même pour le nombre croissant d'anciens universitaires canadiens qui occupent des postes importants dans la région et qui veulent s'engager auprès du Canada.
Bien que l'objectif de la Stratégie visant à accroître la capacité liée à la Chine dans le cadre de ses missions soit louable, d'où proviendront les experts? Qu'en est‑il de l'Inde, du Japon, de l'Indonésie et du Vietnam? Il se fait de l'excellent travail au Canada, mais le nombre d'experts est loin d'être à la hauteur de ce qu'il devrait être et loin de celui de nos pairs. Pour prendre la question de l'Asie au sérieux, il faudra un investissement générationnel dans les universités par tous les ordres de gouvernement, y compris un programme de chaires de recherche du Canada pour favoriser le renforcement des capacités en Asie.
Permettez-moi d'ajouter deux mises en garde. Premièrement, même s'il y a manifestement de véritables menaces à la sécurité qui proviennent de gouvernements étrangers, le fait d'y accorder trop d'attention peut nous empêcher d'acquérir une expertise plus approfondie sur l'Asie. La démonisation des acteurs étrangers et l'alimentation de la peur peuvent miner la solidarité sociale et les liens interpersonnels. C'est le moment pour nous d'investir pour en apprendre plus — et non moins — sur la diversité de l'Asie. Nous devons faire attention à ce que nous disons.
Deuxièmement, bien qu'il soit essentiel de faire la distinction entre les menaces réelles et perçues, pour les universités et pour le rôle qu'elles jouent dans les démocraties, les coûts de l'inaction sont élevés, surtout en ce qui a trait à la liberté universitaire. Les universités sont des institutions diversifiées et cosmopolites qui misent sur la pensée critique, l'écoute empathique et les désaccords raisonnés, mais l'expérimentation des idées exige également de tenir compte des visions du monde qui remettent en question les nôtres. La sensibilisation aux menaces à la sécurité est importante, mais les chercheurs universitaires devraient être résolument encouragés à échanger des idées et à tisser des liens avec leurs pairs en Asie. Le découplage intellectuel est un jeu dangereux.
La Stratégie pour l'Indo-Pacifique peut être considérée par certains à titre de document sur la géopolitique et la sécurité nationale. Lorsqu'on en fait une lecture plus nuancée, toutefois, on comprend qu'elle recommande une approche plus holistique qui se centre tout autant — sinon plus — sur le renforcement de liens multidimensionnels denses et durables entre le Canada et l'Asie.
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Merci. En tant que professeur émérite, je joue le rôle du retraité du groupe.
Je vous remercie de me donner une troisième occasion de comparaître devant le Comité, cette fois au sujet de la dimension de la Stratégie du gouvernement pour l'Indo-Pacifique portant sur la Chine.
Étant à l'étape de la mise en œuvre, la Stratégie fournit une plateforme et des ressources à des dizaines d'initiatives auxquelles participent de nombreux ministères au pays et de multiples acteurs dans la région. Nous n'avons pas vu un tel intérêt et une telle activité à l'égard de la région depuis « l'Année canadienne de l'Asie-Pacifique » en 1997.
Il est important de souligner que le cadre de « l'Indo-Pacifique » varie considérablement par rapport à « l'Asie-Pacifique » précédente. Le changement ne se limite pas à mettre davantage l'accent sur l'Inde et l'Asie du Sud. L'énoncé de politique internationale incarne un plus grand changement de ton, d'orientation et de position.
Le terme « Asie-Pacifique » est né à la suite d'une guerre froide, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, et visait à reconnaître la croissance du dynamisme économique. Il faisait toutefois la promotion du libre-échange et du régionalisme ouvert. Il visait à compléter les alliances et la dissuasion par de nouveaux mécanismes de sécurité coopérative dirigés par l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, avec l'aide du Canada. Il visait à inclure les pays qui ne partagent pas les mêmes vues — comme le Vietnam et la Chine — dans l'ordre régional.
Le mot « Indo-Pacifique » naît dans une ère plus pessimiste et à somme nulle. Il est caractérisé par une rivalité de plus en plus vive entre deux grandes puissances, l'anxiété face à la montée de la Chine et l'incertitude face aux États-Unis. Il fraie de nouveaux accords minilatéraux — comme le Quad et l'AUKUS — auxquels prennent part des pays aux vues similaires, qui cherchent à résister aux éléments de la montée de la Chine. Il y a un nouveau scepticisme à l'égard des marchés ouverts et du libre-échange, et une croyance selon laquelle l'intégration économique régionale représente autant une source de vulnérabilité et de risque qu'une occasion.
Les mots comme « découplage », « atténuation des risques », « démondialisation », « diversification à l'extérieur de la Chine », « concurrence stratégique », « politique industrielle » et « démocratie contre autoritarisme » sont à la mode en cette ère indo-pacifique. Nous sommes dans un nouveau contexte, que la Stratégie pour l'Indo-Pacifique tente d'aborder.
Dans ce contexte, la Stratégie du Canada pour l'Indo-Pacifique repositionne la Chine à titre de puissance de plus en plus perturbatrice. Une quinzaine de pays et deux organisations internationales sont aussi dotés de stratégies indo-pacifiques, mais celles du Canada et des États-Unis sont les plus rapprochées en ce qui a trait à la délimitation du défi chinois.
J'aimerais consacrer la dernière minute de mon exposé à la dimension américaine de la politique du Canada à l'égard de la Chine.
Comme les membres du Comité qui ont participé à votre visite à Washington l'ont sans doute constaté, il y a des signes indéniables d'une étroite convergence entre les positions d'Ottawa et de Washington. Les deux reflètent un sentiment négatif à l'égard de la Chine. Les législateurs tentent de contester le point de vue de la Chine sur certaines questions, notamment les droits de la personne, l'ingérence intérieure et Taïwan... Les questions dont nous avons entendu parler.
Les trois C — la concurrence, la coopération et la confrontation — nous permettent de bien saisir la situation. Pour reprendre les mots du secrétaire Blinken, la politique à l'égard de la Chine se veut concurrentielle lorsqu'elle doit l'être, collaborative dans la mesure du possible, et antagoniste au besoin.
Pour les États-Unis, toutefois, il s'agit avant tout d'une compétition stratégique sans fin aux dimensions militaires, technologiques, diplomatiques et idéologiques.
Les leaders du Canada parlent aussi des trois C en des termes similaires, mais de façon quelque peu différente à l'occasion. Le quatrième terme dans certains lexiques canadiens est la coexistence. Cette vision compte encore des adeptes et reflète les ambitions d'une autre époque en matière d'échange. Elle vise l'acceptation de la légitimité de la République populaire de Chine en tant qu'État-nation et la quête des façons de s'en accommoder plutôt que de la vaincre. Elle sous-entend la possibilité d'un respect mutuel et d'un dialogue au‑delà des questions transactionnelles. Ironiquement, dans le cas du Canada, la plupart de ces voies sont maintenant fermées.
Nous devons comprendre les domaines précis de convergence entre le Canada et les États-Unis en ce qui concerne la politique à l'égard de la Chine, mais aussi les différences. Du côté de la recherche, une nouvelle commission « Canada-États-Unis sur la Chine » du Wilson Center et de l'Université McGill pose deux questions clés: quels sont les domaines où nous nous rejoignons? De quelle façon collaborons-nous avec les États-Unis? Lorsque nos intérêts, nos valeurs et notre approche diffèrent, comment gérons-nous les différences avec Washington?
Parmi les sujets abordés, mentionnons l'intelligence artificielle, l'Arctique, les minéraux critiques, l'endettement et la gouvernance dans l'hémisphère Sud, la résilience de la chaîne d'approvisionnement et la délocalisation vers des pays amis, l'ingérence étrangère, les perspectives pour la sécurité coopérative et le positionnement des actifs militaires canadiens en Asie.
Un sujet de désaccord évident qui a été évoqué au début de la séance porte sur le type de système commercial multilatéral ouvert et fondé sur des règles que nous souhaitons mettre en œuvre. Le Canada a un intérêt particulier à cet égard.
Il y a ensuite la question relative à la portée des restrictions technologiques au‑delà des technologies à double usage et des technologies militaires dans nos universités et dans d'autres domaines. Devrait‑on aussi inclure le maintien des avantages économiques contre la Chine? Devrions-nous contrôler la technologie utilisée comme arme?
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Ramraj, j'aimerais aborder le troisième pilier pour commencer; vous en avez parlé dans votre déclaration préliminaire.
Dans une sous-disposition, on parle de renforcer le programme des étudiants étrangers du Canada. Toutefois, au cours des deux dernières semaines, le gouvernement a pris la direction opposée à cet égard. Il impose aujourd'hui des seuils maximaux aux provinces. Il tente de...
Le de second rang avoue que le système est hors de contrôle. Le principal, qui affirme regretter les mesures qu'il a prises au cours des deux dernières années et demie, a dit que le système était un chaos. Nous l'avons largement resserré. Ce sont les mots qu'ils ont utilisés.
Que pensez-vous de la façon dont le gouvernement gère cette sous-disposition de la Stratégie?
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... la professeure Rowena He, à qui l'on a refusé un visa.
Elle était professeure à l'Université chinoise de Hong Kong. On lui a refusé un visa de retour en novembre 2023. Je n'ai entendu aucune déclaration de la part d'un ministre au sujet de son cas. Donc, la plus éminente universitaire canadienne, à mon avis, une spécialiste de la question de la place Tiananmen et de la relation du public avec l'histoire, s'est vu refuser un visa, a été congédiée de son emploi — à tort, je dirais — et n'a pas pu continuer à parler de l'histoire de la place Tiananmen dans le contexte de Hong Kong et de son importance, et à enseigner... Mais évidemment, d'un point de vue canadien.
Ne trouvez-vous pas intéressant que le gouvernement n'ait rien dit et qu'il ne soit pas intervenu dans son cas? Il n'y a eu aucune communication. Dans le cadre de la Stratégie pour l'Indo-Pacifique, si nous établissons un lien de personnes à personnes, on pourrait penser que le gouvernement canadien en ferait plus pour protéger les universitaires canadiens qui vont à l'étranger pour souligner l'importance de pouvoir parler librement et de communiquer des messages parfois difficiles, et de pouvoir exprimer notre point de vue sur l'histoire.
Vous avez une perspective tout à fait unique, monsieur, et j'aimerais vous entendre sur ce sujet. Selon vous, que devrait faire le gouvernement dans une affaire comme celle de Mme Rowena He?
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L'approche fondée uniquement sur les valeurs peut poser problème. Bien sûr, nous défendons fermement les valeurs canadiennes, y compris la liberté d'expression et le respect de tous les droits de la personne. Or, si c'est le seul sujet sur lequel nous nous concentrons dans notre collaboration avec de nombreux autres pays, et si nous entamons la conversation en pointant nos homologues du doigt et en disant: « Nous sommes une démocratie, contrairement à vous, » il pourra difficilement y avoir un terrain d'entente ou un espace pour favoriser une conversation ou un engagement pour nous attaquer à certains des problèmes mondiaux comme les changements climatiques, la santé publique, la non-prolifération nucléaire et même la biodiversité. Nous devons conserver cet espace, car ce sont là certains des problèmes qui pourraient représenter une menace existentielle à toute la race humaine.
Si nous présentons toujours les faits sous cet angle et si, plus important encore, nous amorçons les conversations avec ce genre de perspective, il ne faudrait pas nous étonner que nous n'accomplissions rien. Comme d'autres intervenants l'ont mentionné, la diplomatie permet parfois d'en accomplir davantage. L'exercice pourrait être dur. Les conversations pourraient être difficiles, mais nous devons tout de même les avoir. Plutôt que d'opter pour la diplomatie mégaphone qui donne une vue d'ensemble et qui promeut des valeurs, il faut parfois miser sur une diplomatie discrète, derrière des portes closes, pour aborder des enjeux et nous concentrer sur des dossiers précis.
Les diasporas, en particulier la communauté chinoise — il se trouve que j'en fais partie; je suis née en Chine et j'y ai grandi —, sont touchées par une préoccupation. À cause de bon nombre de ces politiques — même si elles ne nomment pas de groupe ou n'en ciblent pas en particulier —, les membres de la diaspora ressentent la pression. Ils ont l'impression d'être ciblés et d'être davantage scrutés à la loupe, simplement, malheureusement, parce qu'ils appartiennent à un certain groupe ethnique. Ce n'est pas réjouissant et, de plus, je ne crois pas que la situation représente bien ce qu'est le Canada. Ce ne sont pas des valeurs canadiennes. Nous devons être prudents à cet égard.
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Au cours d'une période de 12 ans, j'ai eu l'occasion d'organiser 22 réunions avec des Nord-Coréens, dont 10 avec des Chinois. Le fait est que personne n'a d'influence sur la Corée du Nord. C'est extrêmement difficile. Les tensions entre la Chine et la Corée du Nord sont considérables. Leur relation n'est pas tendre, mais les Chinois ne veulent pas pour autant que la Corée du Nord disparaisse. En même temps, ils ne veulent pas que les Nord-Coréens se mettent à lancer des armes nucléaires dans la région. Il n'est pas tout à fait juste de dire que l'influence réelle de la Chine est minime. Il y a certaines choses qu'elle peut contrôler avec la Corée du Nord.
Dans l'ensemble, la Corée du Nord choisit sa propre voie. La situation se complique, en raison de la relation qui se développe très rapidement entre la Russie et la Corée du Nord, et du simple rôle d'observateur de la Chine qui lui permet de voir certains éléments.
Nous essayons très fort, madame Damoff, d'amener les Nord-Coréens et les Chinois à participer à des mécanismes de dialogue pour déterminer à quoi pourrait ressembler une péninsule coréenne. C'était une initiative canadienne importante dans les années 1990 et au début des années 2000. En tant que Canadiens, nous ne participons plus à cette discussion. Il s'agit d'une interaction dans une zone grise entre les États-Unis et la Chine.
Je ne pense pas que nous puissions nous tourner vers la Chine pour résoudre le problème que représente la Corée du Nord pour nous et la planète entière. Au mieux, les Chinois pourraient peut-être imposer certaines limites aux techniques que les Nord-Coréens utilisent.
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Je vous remercie de ce commentaire. Je trouve l'image du film interrompu fort intéressante.
J'allais terminer en disant que l'approche canadienne dans la région indo-pacifique traverse un moment très difficile. La question de la Chine va présenter des difficultés et des défis persistants, mais les États-Unis représentent aussi un défi pour nous. L'ère indo-pacifique se caractérise en grande partie par la projection américaine de ce qu'est et de ce que peut être la région.
Dans ce contexte, nous sommes en mesure de travailler avec les Américains en ce moment. En ce qui concerne l'alignement dont j'ai parlé — entre le Canada et les États-Unis —, votre comité a relevé un chevauchement de 85 %. Ce chevauchement changerait très rapidement si l'administration venait à changer aux États-Unis. M. Trump n'est pas la seule personne que j'ai en tête pour cette question. Les Américains, dont M. Lighthizer, M. Navarro et M. Pompeo plus tôt, ont mis la relation sino-américaine en mode compétitif hyperstratégique. Nous en subirons les contrecoups de plusieurs façons si elle se concrétise.
Je pense que nous essayons en ce moment, avec nos amis américains, de cerner les domaines qui intéressent vivement le Canada et les États-Unis, afin d'en discuter et de trouver des idées communes pour notre approche entourant la Chine dans l'Arctique. Nous voulons également déterminer avec quelle rigidité restreindre les interactions technologiques avec la Chine. Veuillez essayer de codifier certains des enjeux où nos opinions diffèrent.
Cependant, on ne peut prédire ce que nous pourrons accomplir avec une administration américaine. Nous savons tous que l'avenir politique du Canada et des États-Unis est très incertain. Certains d'entre nous essaient très fort de cerner des domaines pouvant donner lieu à un terrain d'entente entre les États-Unis et le Canada, et d'autres pour lesquels nous ferions mieux de nous préparer à une discussion.
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La traduction était intéressante.
Le Canada ne pourra pas changer le comportement de la Chine en le dénonçant, mais il doit le faire à ses propres fins nationales. Au sujet des questions de coercition économique, je pense que nous pouvons riposter dans des domaines précis, mais il est possible de discuter avec la Chine de la coercition économique des grandes puissances. La Chine n'est pas la seule à avoir recours à la coercition économique contre d'autres pays. Les États-Unis, qui ont recours aux sanctions, sortent du lot à cet égard.
Je suppose que, contrairement aux témoins précédents, je ne pense pas que l'avenir de la Chine soit prédéterminé dans certains de ces domaines. Dans certains cas, nous pouvons poursuivre un dialogue avec les Chinois sur les règles qui pourraient s'appliquer dans un nouvel ordre mondial.
Je pense que nous devons travailler avec les pays du tiers monde, les pays du Sud... Certains des sujets abordés par les Chinois sont attrayants. C'est en grande partie difficile pour nous, mais les règles du monde ne seront plus celles des États-Unis et des démocraties occidentales. Elles sont un élément important du casse-tête — nous ne perdons pas ce statut —, mais l'équilibre mondial des pouvoirs est en train de changer. La position des Chinois sur certaines de ces questions nous permet d'offrir une résistance, mais parfois, nous pouvons trouver des domaines pour renforcer un message commun.
Merci, monsieur le président.
Merci à vous tous d'être ici aujourd'hui. La conversation est très intéressante.
Monsieur Evans, j'aimerais revenir sur ce que vous venez de dire. Dans le premier groupe de témoins, et maintenant dans le présent groupe, nous avons entendu que la Chine joue un rôle important en Afrique subsaharienne et dans les pays en développement. Ce facteur change la discussion sur la démocratie, la primauté du droit et tout ce qui s'y rattache.
Comme le Canada dispose de ressources limitées — plus limitées que je ne l'aurais souhaité, mais tout de même limitées — et que la stratégie indo-pacifique alloue une plus grande partie de ces ressources à la région indo-pacifique pour y établir des relations, vous pouvez voir que l'équation posera problème. Bien entendu, comme ces ressources sont limitées, nous retirons des ressources d'autres régions pour les investir dans la stratégie indo-pacifique. C'est peut-être logique et judicieux, mais cela nous empêche d'investir en Afrique subsaharienne et nous force à délaisser le continent d'une certaine façon — sur le plan diplomatique, du maintien de la paix, du développement — au profit de messages provenant de la Chine ou même d'acteurs encore plus malveillants comme le groupe Wagner.
Comment pouvons-nous trouver un équilibre? Comment pouvons-nous trouver un équilibre entre nos besoins? Je n'ai mentionné que l'Afrique subsaharienne. Je n'ai même pas parlé des organisations multilatérales, du Moyen-Orient ou de certains autres domaines d'intérêt. Que devons-nous faire?
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Merci, monsieur le président.
En fait, je vais profiter de l'occasion pour présenter la motion que j'ai signifiée le 8 décembre. Je sais que la greffière tâchera probablement de la trouver et de la transmettre aux membres du Comité, puisqu’elle en a une copie, mais en attendant que tous l'aient sous les yeux, je vais la lire pour que vous compreniez ce que je veux faire.
Je propose ce qui suit:
Que le Comité spécial sur les relations entre le Canada et la République populaire de Chine exprime sa profonde déception que la ministre des Finances ait ignoré les invitations envoyées par le Comité; et que la ministre des Finances a choisi de ne pas comparaître lors de la réunion du Comité sur le gel des activités gouvernementales du Canada avec la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures; et que cela soit rapporté à la Chambre.
Je présente cette motion parce que je crois savoir que la première invitation a été envoyée au cabinet de la le 27 octobre. Nous sommes maintenant le 29 janvier. Cela fait donc quatre mois que la greffière du Comité envoie des demandes à la ministre des Finances pour qu'elle nous donne ses disponibilités pour comparaître dans le cadre de l'étude — quatre mois — et aucune date n'a été donnée au Comité. C'est une question importante. Dans son témoignage devant le Comité, M. Steven Kuhn, du gouvernement du Canada, a déclaré ce qui suit: « Je sais qu'il y a eu des projets approuvés par la BAII à propos desquels le Canada et d'autres partenaires ont soulevé des questions sur le travail forcé et la participation du Canada n'a pas permis de les bloquer en conséquence. ».
Il est évident que l'argent des contribuables canadiens est allé à la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, puis a servi à financer des projets pour lesquels on a possiblement eu recours au travail forcé. Le fait que la ne veuille même pas nous donner une date pour venir témoigner est, à mon avis, un manque profond de respect envers le Comité. Cette absence de réponse est profondément irrespectueuse envers les membres du Comité, et je pense que la ministre aurait dû répondre et nous donner des dates. Étant donné qu'elle ne le fera pas, de toute évidence, nous devrions exprimer notre profonde déception à l'égard de la ministre des Finances. Voilà pourquoi je présente ma motion.
Merci, monsieur le président.
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Merci, monsieur le président.
Je me souviens de la réunion qui a eu lieu il y a plusieurs semaines déjà. Je peux parler en mon propre nom, mais je sais que les députés autour de la table, en particulier de ce côté‑ci, avaient grande confiance dans les propos des fonctionnaires, qui ont clairement indiqué qu'on a pris les allégations très au sérieux lorsqu'elles ont été faites par la personne en question. Il y a eu des réunions, et le témoin lui-même a fait écho à cela.
Quand je lui ai demandé directement ce qu'il pensait de l'engagement du ministère des Finances, il a répondu avec assurance qu'il était d'avis que les fonctionnaires du ministère avaient très bien réagi en lui tendant la main et en écoutant son point de vue sur la question.
Il est intéressant de constater que les conservateurs veulent constamment revenir sur la question. Ils ont essayé d'exploiter la réunion en vue de faire les manchettes, et ils ont échoué. Je pense que nous accueillons trois témoins exceptionnels. Leurs témoignages ont été interrompus et, malheureusement, ce n'est pas la première fois qu'une telle chose se produit. Les conservateurs semblent avoir pour habitude, lorsqu'ils n'ont pas ce qu'ils veulent sur une tribune donnée, d'essayer de détourner l'attention ailleurs. C'est exactement ce qui se passe ici.
Je sais que mes collègues de ce côté‑ci auront également leur opinion sur les questions qui ont été soulevées; je leur laisserai donc le soin de commenter eux-mêmes. Toutefois, je pense que les conservateurs y vont un peu fort en exprimant une telle colère — ce qui me semble être du spectacle, bien franchement —, disant ne pas avoir reçu de réponses à la question de fond qui nous occupe, à savoir ce qui s'est passé lorsque des allégations ont été faites. Je pense qu'il y a eu amplement de réponses.
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Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Nous aimerions présenter quelques modifications à cette motion. Je vais commencer par la première, si vous le permettez.
Voici ce que nous proposons: « Que le Comité spécial sur la relation entre le Canada et la République populaire de Chine exprime sa profonde déception que la n'ait pas pu comparaître. » C'est ce que nous aimerions ajouter.
Nous voudrions rayer « ait ignoré les invitations envoyées par le Comité; et que la a choisi de ne pas comparaître ». Nous aimerions rayer ce passage. Ce serait la première modification proposée, s'il vous plaît.
En tout respect, monsieur le président, nous proposons cette modification, car la formulation laisse entendre que la ne fait rien de ses journées et qu'elle a sans doute refusé intentionnellement de témoigner. C'est probablement faux. En fait, c'est carrément faux. Le fait est qu'elle n'a malheureusement pas pu venir, et nous exprimons notre profonde déception à cet égard.
Je vous remercie, monsieur le président.