FOPO Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent des pêches et des océans
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le jeudi 6 février 2003
Á | 1105 |
Le président (M. Tom Wappel (Scarborough-Sud-Ouest, Lib.)) |
M. Carmen Provenzano (Sault Ste. Marie, Lib.) |
Á | 1110 |
Le président |
M. Greg Farrant (gérant, Relations gouvernementales, Ontario Federation of Anglers and Hunters) |
Mme Francine MacDonald (biologiste, Espèces envahissantes, Ontario Federation of Anglers and Hunters) |
Á | 1115 |
Á | 1120 |
Á | 1125 |
Le président |
Pr Anthony Ricciardi (Faculté de l'environnement, Université McGill) |
Á | 1130 |
Á | 1135 |
Le président |
M. Chris Goddard (secrétaire exécutif, Commission des pêcheries des Grands Lacs) |
Á | 1140 |
Á | 1145 |
Á | 1150 |
Le président |
M. Andy Burton (Skeena, Alliance canadienne) |
Pr Anthony Ricciardi |
Le président |
M. Greg Farrant |
M. Andy Burton |
Pr Anthony Ricciardi |
Á | 1155 |
M. Chris Goddard |
M. Andy Burton |
Pr Anthony Ricciardi |
 | 1200 |
Le président |
M. Andy Burton |
Pr Anthony Ricciardi |
Le président |
M. Andy Burton |
Pr Anthony Ricciardi |
M. Andy Burton |
Le président |
M. Carmen Provenzano |
Le président |
M. Chris Goddard |
Le président |
Pr Anthony Ricciardi |
 | 1205 |
M. Carmen Provenzano |
Pr Anthony Ricciardi |
M. Carmen Provenzano |
 | 1210 |
Le président |
M. Carmen Provenzano |
M. Chris Goddard |
Le président |
M. Peter Stoffer (Sackville—Musquodoboit Valley—Eastern Shore, NPD) |
M. Chris Goddard |
Le président |
M. Greg Farrant |
M. Peter Stoffer |
 | 1215 |
Mme Francine MacDonald |
M. Peter Stoffer |
M. Chris Goddard |
Le président |
M. Chris Goddard |
Le président |
 | 1220 |
Mme Francine MacDonald |
Le président |
Pr Anthony Ricciardi |
M. Chris Goddard |
Le président |
Pr Anthony Ricciardi |
Le président |
M. Bob Wood (Nipissing, Lib.) |
Pr Anthony Ricciardi |
M. Bob Wood |
M. Chris Goddard |
 | 1225 |
M. Marc Gaden (Liaison législative, Commission des pêcheries des Grands Lacs) |
M. Chris Goddard |
M. Bob Wood |
M. Chris Goddard |
M. Bob Wood |
M. Chris Goddard |
M. Bob Wood |
M. Chris Goddard |
M. Bob Wood |
Le président |
M. Andy Burton |
Pr Anthony Ricciardi |
M. Andy Burton |
Pr Anthony Ricciardi |
 | 1230 |
M. Marc Gaden |
M. Greg Farrant |
M. Chris Goddard |
M. Andy Burton |
Le président |
M. Greg Farrant |
Pr Anthony Ricciardi |
 | 1235 |
M. Chris Goddard |
Le président |
M. Carmen Provenzano |
Mme Francine MacDonald |
M. Carmen Provenzano |
Mme Francine MacDonald |
M. Greg Farrant |
 | 1240 |
M. Carmen Provenzano |
Mme Francine MacDonald |
Le président |
M. Peter Stoffer |
M. Chris Goddard |
M. Peter Stoffer |
 | 1245 |
M. Chris Goddard |
M. Peter Stoffer |
Le président |
M. Chris Goddard |
Le président |
M. Chris Goddard |
Le président |
M. Chris Goddard |
Le président |
 | 1250 |
M. Chris Goddard |
Le président |
M. Chris Goddard |
Le président |
M. Dave Brown (biologiste des pêches, Ontario Federation of Anglers and Hunters) |
Le président |
Pr Anthony Ricciardi |
Le président |
CANADA
Comité permanent des pêches et des océans |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le jeudi 6 février 2003
[Enregistrement électronique]
Á (1105)
[Traduction]
Le président (M. Tom Wappel (Scarborough-Sud-Ouest, Lib.)): La séance est ouverte. Mesdames et messieurs, nous avons le quorum. J'aimerais que l'on commence tout de suite afin de disposer d'un maximum de temps avec nos témoins ici aujourd'hui.
J'aimerais souligner, aux fins du procès-verbal, qu'aujourd'hui, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous poursuivons notre étude relative aux espèces envahissantes.
Avant de commencer, j'aimerais porter cinq petits points à l'attention du comité. Premièrement, un petit rappel: en ce qui concerne les espèces envahissantes, nous allons avoir mardi prochain une réunion qui sera télévisée. Elle commencera à 9 heures dans la pièce 237C. Je vous demande votre collaboration afin que nous puissions utiliser chaque minute disponible, et j'aimerais donner mon coup de marteau à 9 heures précises.
Deuxièmement, j'aimerais porter à l'attention des membres du comité le fait que j'ai demandé qu'on produise un document de recherche sur les pouvoirs des comités en matière de prévisions budgétaires. J'aimerais être certain que tout le monde l'a bien reçu. Je recommande que chacun en fasse lecture avant que nous ne procédions à notre examen des prévisions budgétaires.
Troisièmement, j'ai également mis à la disposition des membres du comité en novembre copie du livre de Derek Lee sur l'habilitation des députés. Je ne dispose pas d'exemplaires supplémentaires et j'encouragerais donc ceux d'entre vous qui sont nouveaux au comité à appeler le bureau de Derek Lee pour obtenir copie de ce tout petit livre qui est néanmoins très utile et très important traitant de l'habilitation des députés dans le cadre de leur travail en comité.
Quatrièmement, il y a eu un article—je ne fais que le mentionner et je ne vais pas vous inviter à faire de commentaires à ce sujet—de Peter O'Neil dans le Times Colonist de Victoria le 5 février. Il y parle du rapport que le comité allait présenter au Parlement. Il a déclaré qu'il en avait copie et il en a cité directement des passages. Or, ce n'est que le lendemain que j'ai déposé le rapport à la Chambre des communes.
Nous sommes tous honorables. Je demanderais que chacun d'entre vous fasse sa part pour veiller à ce que, lorsque nous avons un rapport confidentiel, la Chambre des communes en entende parler et le reçoive avant tout journaliste. Je n'en dirai pas plus.
J'ai également un avis de motion.
Monsieur Provenzano.
M. Carmen Provenzano (Sault Ste. Marie, Lib.): Je donne avis d'une motion demandant que le comité procède à l'étude de l'ébauche du rapport sur l'aquaculture.
Je sais que notre réunion de mardi sera télévisée. Cela me convient parfaitement que cette motion soit examinée à la réunion suivante qui, si j'ai bien compris, est prévue pour jeudi prochain. Je suis prêt à déposer tout de suite la motion auprès du comité.
Merci, monsieur le président.
Á (1110)
Le président: La motion est recevable. Il faut un préavis de 48 heures.
Je vais lire la motion pour votre gouverne:
Que, nonobstant toute motion antérieure, le Comité procède immédiatement à l'étude de l'ébauche du rapport sur l'aquaculture et qu'aucune nouvelle affaire ne soit étudiée avant que l'on ait disposé dudit rapport. |
L'auteur de la motion a indiqué qu'il va la soulever lors de la réunion de jeudi prochain, qui, par pure coïncidence, est la réunion à laquelle nous allons entamer notre étude du rapport sur l'aquaculture.
Je remercie les témoins de leur indulgence. Toutes nos excuses d'avoir, afin de régler ces quelques points, empiété sur le temps qui vous était alloué.
Nous recevons aujourd'hui trois groupes de témoins distincts, et nous en sommes ravis. Nous souhaiterions que vous vous en teniez chacun à environ dix minutes pour vos exposés. Je pense que la meilleure façon de procéder serait de vous inviter à faire vos présentations à la suite, après quoi les députés vous poseront leurs questions selon un ordre bien précis. Les points que vous n'aurez peut-être pas l'occasion d'étoffer dans le cadre de vos exposés de dix minutes pourront certainement être traités de façon plus approfondie lors de la période des questions.
Nous allons d'abord entendre l'Ontario Federation of Anglers and Hunters. Allez-y, monsieur Farrant, si vous le voulez bien.
M. Greg Farrant (gérant, Relations gouvernementales, Ontario Federation of Anglers and Hunters): Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs. Merci beaucoup de l'occasion qui nous est ici donnée de comparaître devant vous ce matin. Nous sommes par ailleurs ravis de comparaître devant vous aux côtés de nos collègues de la Commission des pêcheries des Grands Lacs, avec lesquels nous avons travaillé très étroitement dans le cadre de ce dossier. Nous avons également travaillé très étroitement avec M. Gray, de la Commission mixte internationale (CMI). Les trois groupes ont, au cours de la dernière année, entrepris plusieurs projets conjoints.
M'accompagnent ce matin Francine MacDonald, biologiste, spécialiste des espèces aquatiques et envahissantes, et David Brown, biologiste, spécialiste des pêches.
L'OFAH est la plus grosse organisation non gouvernementale sans but lucratif en Ontario, représentant plus de 83 000 membres dans 640 clubs affiliés. Cela fait plus de 75 ans que nos membres oeuvrent à des programmes de conservation et de protection des habitats des poissons et de la faune et font la promotion de la sage utilisation de nos ressources naturelles. L'OFAH est très préoccupée par la menace que posent les espèces aquatiques envahissantes pour les écosystèmes, les poissons et la faune du Canada ainsi que pour les avantages récréatifs et économiques que nous procurent nos ressources naturelles.
Nous croyons que le gouvernement du Canada et que les gouvernements provinciaux ont une responsabilité conjointe s'agissant d'engager les ressources nécessaires pour résoudre cette grave question nationale. Nous sommes heureux que leurs organes d'intervention aient commencé à oeuvrer ensemble à l'élaboration d'un cadre national pour traiter de l'introduction d'espèces envahissantes dans nos écosystèmes et ressources naturelles. Cependant, alors même que l'on oeuvre à l'établissement de ce cadre, de nouvelles introductions d'espèces envahissantes continuent de survenir dans nos lacs, rivières et terres humides du fait de voies telles que l'exploitation d'aquariums et des activités horticoles, les embarcations de plaisance et le commerce du poisson vivant.
Cela fait dix ans que nous oeuvrons à ces questions, et nous allons, dans le cadre de notre présentation de ce matin, nous attarder sur les mesures qu'il faudrait selon nous prendre tout de suite pour empêcher de nouvelles introductions d'espèces envahissantes, ce grâce à un programme de sensibilisation et d'éducation publique exhaustif.
Si vous le voulez bien, j'aimerais maintenant céder la parole à Francine MacDonald.
Mme Francine MacDonald (biologiste, Espèces envahissantes, Ontario Federation of Anglers and Hunters): Il y a souvent beaucoup de confusion quant à la définition de l'expression «espèces étrangères envahissantes», et j'ai donc pensé commencer par vous donner la définition de base de ce que cela signifie.
Une espèce est considérée comme étant étrangère si elle a été introduite à l'extérieur de son territoire normal ancien ou actuel. Cela pourrait englober des plantes telles les géraniums et des cultures agricoles comme le blé ou le maïs. Une espèce étrangère est considérée comme envahissante si son établissement et sa propagation sont une menace économique ou environnementale pour les écosystèmes, les habitats naturels ou d'autres espèces. Des exemples bien connus sont bien sûr la moule zébrée et la lamproie marine.
Les espèces aquatiques envahissantes menacent la productivité et le fonctionnement des Grands Lacs. Plus de 160 espèces étrangères se sont déjà établies dans les Grands Lacs, et plus de 10 p. 100 d'entre elles ont causé d'importants dommages économiques et environnementaux. Ces impacts menacent la santé des pêcheries des Grands Lacs, qui représentent plus de 4 milliards de dollars.
Moins connus mais plus dévastateurs sont les impacts des envahisseurs aquatiques dans nos eaux intérieures. Les écosystèmes lacustres abondants et divers que possède le Canada comptent parmi nos plus grandes richesses et sont sources de nombreux avantages sociaux, récréatifs et économiques pour les Canadiens. Dans la seule province de l'Ontario, il existe plus de 250 000 lacs intérieurs qui alimentent une pêche récréative d'une valeur de plus de 2 milliards de dollars.
Ces écosystèmes lacustres vitaux sont plus vulnérables aux impacts, du fait de leur petite taille relative et de la moindre diversité des espèces qui s'y trouvent, et les invasions peuvent de ce fait y survenir plus rapidement et de façon plus étendue. Les chercheurs pensent que de telles invasions seront la principale cause de la disparition d'espèces et du recul de la biodiversité dans les écosystèmes lacustres pendant ce siècle.
Permettez que je vous donne quelques exemples d'espèces envahissantes qui font déjà sentir leur présence dans les eaux intérieures de l'Ontario.
Les invasions de moules zébrées dans des lacs intérieurs de l'Ontario ont causé des altérations d'habitats et bouleversé des communautés de poissons et ont infligé de sérieux problèmes économiques aux riverains, centrales électriques et municipalités en bouchant les tuyaux de prise d'eau.
Le cladocère épineux, un minuscule crustacé européen, a réduit de plus de 40 p. 100 la diversité du zooplancton dans plus de 30 lacs intérieurs de l'Ontario et l'on se pose de nombreuses questions quant à l'impact futur de cette espèce sur la chaîne alimentaire dans ces lacs. L'on craint que ce crustacé soit un accumulateur de mercure et qu'il ait une grave incidence également sur les communautés de poissons.
Des introductions non autorisées de crapets de roche par le public ont également amené des changements dans les communautés de poissons et réduit de plus de 30 p. 100 les taux de croissance des truites de lac dans les lacs du nord-est et du centre de l'Ontario.
Ces invasions des eaux intérieures se font par des voies telles les bateaux de plaisance, la pêche à la ligne, les poissons-appâts, les empoisonnements non autorisés, les aquariums, les jardins aquatiques et le commerce du poisson vivant. Le dénominateur commun de tous ces vecteurs est qu'ils sont tous évitables et qu'ils sont tous le fait de membres du public mal au courant.
Les programmes d'extension et de sensibilisation du public sont le seul moyen d'empêcher la propagation d'espèces étrangères dans les eaux intérieures. Aux États-Unis, les organismes fédéraux et d'État ont reconnu ce fait et ont engagé des millions de dollars dans des programmes d'information du public. Des États riverains des Grands Lacs comme le Minnesota, le Wisconsin et le Michigan ont ainsi réussi à changer les attitudes et les perceptions du public. On y a même, dans certaines régions, relevé des reculs de la propagation d'espèces exotiques par le biais de ces voies d'invasion.
Il est également intéressant de constater que ces États, soit le Michigan, le Wisconsin et le Minnesota, représentent le gros des côtes américaines des Grands Lacs, mais que du côté canadien, l'Ontario n'a tout simplement pas consacré les mêmes quantités de ressources aux programmes de sensibilisation du public--pas plus qu'une quelconque autre province. Voilà quelle est donc la situation en dépit des engagements fédéraux et provinciaux en vertu de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique et de la stratégie canadienne en matière de biodiversité en vue de la résolution du problème des espèces envahissantes et de la mise en oeuvre de programmes de sensibilisation du public. En conséquence, des espèces aquatiques envahissantes continuent d'être introduites et de se propager partout dans nos lacs intérieurs, rivières et terres humides.
Face à cette absence d'action gouvernementale, des initiatives de sensibilisation du public ont été lancées par des organisations non gouvernementales comme la Federation of Anglers and Hunters. Reconnaissant l'importance de la protection des environnements lacustres, l'OFAH a lancé pour l'Ontario en 1992 un programme de sensibilisation aux espèces envahissantes.
Á (1115)
Nous oeuvrons depuis plus d'une décennie à la sensibilisation des plaisanciers, des pêcheurs à la ligne et des amateurs d'aquariums et de jardins aquatiques aux impacts des espèces envahissantes et du rôle qu'ils peuvent jouer pour en stopper la propagation. Nous avons également participé à la surveillance de la propagation de la moule zébrée et du cladocère épineux dans les lacs intérieurs de l'Ontario et avons contribué à diverses initiatives de recherche.
La pièce maîtresse de notre programme a été la Ligne d'assistance téléphonique pour les espèces envahissantes. Il s'agit d'un service de ligne sans frais et qui joue le rôle de centre de renseignements pour les citoyens qui désirent obtenir de l'information à jour ou signaler l'observation d'espèces aquatiques envahissantes. Ces rapports de citoyens ont résulté en de nombreuses nouvelles découvertes d'espèces exotiques dans les Grands Lacs ainsi que dans nos eaux intérieures. Depuis dix ans, notre service de ligne d'assistance a reçu des milliers d'appels du public et distribué des centaines de milliers de brochures et autre matériel de vulgarisation.
Notre programme a débouché sur de très belles réussites s'agissant de partenariats avec une vaste gamme de gouvernements et d'ONG, ce en vue de la mise en commun de nos efforts de sensibilisation, et j'aimerais vous donner quelques-uns des points saillants de nos initiatives de programme.
Travaillant aux côtés de l'Université York et de propriétaires de chalet, notamment nos membres de la Federation of Ontario Cottagers' Associations, nous avons organisé plus de 150 associations vouées à la protection de lacs ontariens en vue de la surveillance de la distribution de moules zébrées et de cladocères épineux. Ce réseau de propriétaires de chalet coordonne également des programmes de sensibilisation communautaire dans les régions dont nous avons établi qu'elles sont vulnérables aux invasions.
En association avec d'autres ONG et groupes de l'industrie tels l'Ontario Marine Operators Association et l'Association canadienne des manufacturiers de produits nautiques, nous avons également pu inclure des messages sur les espèces envahissantes dans des publications destinées aux plaisanciers et les afficher dans les marinas. L'OFAH a déjà installé à plus de 1 000 rampes de mise à l'eau dans la province des enseignes expliquant aux gens les précautions qu'ils doivent prendre pour prévenir la propagation d'espèces exotiques.
Travaillant aux côtés d'amateurs d'aquariums, nous avons également pu oeuvrer avec la Canadian Association of Aquarium Clubs et l'industrie des animaux de compagnie à la coordination d'un programme novateur de protection de poissons qui offre d'autres moyens de se défaire de poissons domestiques que de les laisser partir dans la nature. Nous avons également obtenu de magasins des chaînes Pet Palace et Pet World d'apposer chez eux des affiches expliquant à leurs clients qui achètent des poissons qu' ils ne devraient jamais les laisser partir dans la nature car cela a de très graves conséquences pour les écosystèmes indigènes.
Quant à nos relations avec les pêcheurs à la ligne, nous avons travaillé avec la Bait Association of Ontario et le ministre des Ressources naturelles de l'Ontario, produisant de nombreuses publications éducatives sur la mise à l'eau de poissons-appâts et les empoisonnements non autorisés et nous avons également pu faire inscrire des renseignements dans les règles de pêches et distribuer beaucoup de renseignements utiles dans des dépôts d'appâts un petit peu partout dans la province.
L'un des meilleurs moyens pour nous de joindre le grand public nous est sans doute offert par les médias. Cela fait dix ans que nous continuons d'attirer l'intérêt des médias pour les espèces exotiques. Par exemple, notre campagne annuelle Projet Pourpre, qui a pour objet de sensibiliser les gens à la salicaire pourpre, a chaque année depuis dix ans, depuis que nous avons lancé le programme, attiré l'intérêt de nombreux médias.
Notre programme fonctionne également à l'échelle internationale. Nous avons reconnu que les espèces aquatiques envahissantes sont un problème mondial et que ces espèces traversent les frontières. Nous avons joint nos efforts à ceux de nombreuses organisations internationales, dont la Commission mixte internationale (CMI) et la Commission des pêcheries des Grands Lacs (CPGL), ce pour augmenter la sensibilisation politique au problème et collaborer à la production de documentation de vulgarisation.
La réussite de nos programmes de sensibilisation... à la manière de ceux d'une ONG, a résulté dans notre participation à la United States' Great Lakes Panel on Aquatic Nuisance Species, et nous sommes en fait à l'heure actuelle la seule organisation canadienne non gouvernementale à siéger à ce panel d'organisme d'États américains.
Comment faire pour bâtir à partir de la réussite de notre programme? En tant qu'ONG travaillant avec de nombreux partenaires, l'OFAH a réussi à faire beaucoup progresser la sensibilité du public aux espèces envahissantes. Nous avons soumis à Environnement Canada et au ministère des Pêches et des Océans une proposition en vue d'un programme de sensibilisation nationale, dont copie vous est fournie pour examen dans la documentation qu'on vous a distribuée.
Á (1120)
Travaillant aux côtés de nos fédérations provinciales et territoriales affiliées vouées à la faune, nous comptons, grâce à ce programme, bâtir sur la base de nos partenariats existants au sein de diverses filières industrielles et de loisirs. Le programme intégrera par ailleurs de nouvelles approches, notamment panneaux-réclame le long des grandes routes, programmes pour enseignants et messages d'intérêt public télévisés. Doté du soutien financier nécessaire, ce programme pourra être livré à faible coût et joindre des millions de personnes, ce afin de prévenir de nouvelles introduction dans nos lacs, rivières et marécages d'espèces envahissantes.
De tels partenariats, faisant intervenir ONG, groupes communautaires et institutions industrielles et de recherche, et appuyés sur des initiatives de sensibilisation, sont essentiels pour prévenir la propagation d'espèces aquatiques envahissantes. Nous pourrons ainsi prévenir de nouvelles introductions et protéger les précieuses ressources lacustres du Canada.
Merci.
Á (1125)
Le président: Merci beaucoup.
Cela met fin à la présentation de l'OFAH. Cela a été très intéressant.
Nous pourrions peut-être maintenant entendre le professeur Anthony Ricciardi.
Pr Anthony Ricciardi (Faculté de l'environnement, Université McGill): Il y a plusieurs points que j'aimerais porter à votre attention. Premièrement, pour me situer un peu à vos yeux, je suis professeur en sciences environnementales à l'Université McGill et cela fait 11 ans que j'étudie les espèces envahissantes.
J'aimerais, dans le temps qui m'a été alloué, passer en revue avec vous un certain nombre de points.
Premièrement, les invasions aquatiques augmentent en fréquence partout dans le monde et donc au Canada, et la plupart d'entre elles ne sont probablement pas détectées. Celles qui le sont reflètent un schéma qui est relevé dans diverses régions. Dans toutes les régions pour lesquelles nous avons des données à long terme, le schéma est le même: les invasions augmentent. Dans les Grands Lacs, comme vous l'aurez entendu dire, plus de 160 invasions ont été documentées. Il n'y a aucun doute que beaucoup d'autres sont passées inaperçues.
La tendance est à la hausse, surtout depuis l'ouverture de la Voie maritime du Saint-Laurent en 1959. À l'heure actuelle, nous découvrons un nouvel envahisseur dans les Grands Lacs tous les huit mois. La tendance est encore plus marquée si l'on examine nos eaux côtières marines. En fait, l'augmentation est exponentielle.
Ce ne sont là que quelques exemples, mais si l'on examine des ensembles de données à long terme semblables ailleurs dans le monde, comme par exemple dans la mer Baltique ou la Méditerranée ou n'importe où ailleurs où l'on obtient des données à long terme, le tendance est la même. L'intensité est peut-être légèrement différente, mais la tendance est une augmentation des invasions. Le problème est donc à la hausse.
La plupart de ces invasions ne produisent presque aucune incidence détectable. Mais une petite fraction des invasions--et il me faut souligner qu'il s'agit d'une petite fraction et non pas d'un nombre absolu important et toujours croissant--amènent des dérèglements écologiques et économiques. Vous en connaissez déjà beaucoup. Vous avez entendu parler de certains cas bien connus. Il y en a beaucoup d'autres dont vous n'avez pas entendu parler.
Je vais m'attarder sur une chose dont vous n'avez peut-être pas entendu parler et que nous commençons à peine à comprendre. Les envahisseurs peuvent, de par leur interaction, produire des bouleversements synergiques.
Qu'entend-on par là? Je veux dire par là que leur impact conjoint, que l'incidence de leur interaction, sont supérieurs au total de tous leurs effets si chacun d'entre eux avait agi seul. C'est un petit peu comme lorsqu'on mélange quelques produits chimiques bénins ensemble pour produire un mélange toxique. Il est possible que certaines espèces, en présence d'autres, agissent différemment et voient leurs incidences augmenter. Nous en constatons déjà des manifestations.
Je vais vous citer en exemple quelques cas récents. Au cours des dernières années, l'on a relevé des flambées de botulisme aviaire dans le lac Érié et, plus récemment, dans le lac Ontario. C'est ainsi que l'on a vu s'échouer sur les rives des milliers de poissons et d'oiseaux morts, dont des milliers de huards, de harles et de goélands, en d'autres termes des oiseaux prédateurs mangeurs de poissons.
La cause de leur mort a été identifiée comme étant une souche rare de botulisme. Il y a déjà eu du botulisme dans le lac Érié, mais pas de ce type. Pour votre gouverne, cette souche a en fait été identifiée par celui-là même qui a identifié le virus West Nile en Amérique du Nord. Il est très occupé depuis quelques années.
Cette souche a en fait vraisemblablement été introduite dans ces eaux. Elle est de toute façon virulente. Il s'agit d'une bactérie qui vie dans le sédiment et l'on pense qu'elle est de quelque façon liée à l'activité d'autres espèces exotiques, notamment la moule zébrée et la moule quagga.
Je vais maintenant approfondir un peu les choses. Si vous le voulez, je pourrai vous donner plus tard le détail technique de la façon dont les moules zébrées et quaggas favorisent les conditions propices à la croissance de cette bactérie. Une chose est cependant certaine. Ces mollusques séquestrent cette bactérie dans leurs tissus. Il se trouve bel et bien des toxines et des kystes bactériens dans les tissus des moules zébrées et quaggas. Comment cela est-il absorbé par les canards?
Comment la toxine passe-t-elle des moules aux oiseaux prédateurs? Il y a un autre intermédiaire, un autre envahisseur, le gobie arrondi. Il s'agit là du poisson qui se nourrit sur le fond le plus courant dans le lac Érié et il est en train de le devenir dans le lac Ontario. Au contraire de la plupart des autres poissons indigènes, il mange la moule zébrée et la quagga. C'est ainsi qu'il transfère la bactérie et ses toxines au palier supérieur de la chaîne alimentaire, y compris aux oiseaux mangeurs de poissons comme le huard.
Lorsqu'on a ouvert des carcasses d'huard, on y a trouvé des gobies arrondis. Les gobies eux-mêmes mangent des moules zébrées et portent cette toxine en eux. Le huard est contaminé par le gobie et le gobie est contaminé par la moule zébrée.
En l'absence de l'un ou l'autre de ces envahisseurs, ce lien ne se ferait pas. Il n'y aurait pas cette épidémie. Il faut les deux ensemble pour qu'il y ait problème. Voilà un exemple de ce que j'entends par incident synergique.
Á (1130)
Il y a un autre exemple que l'on constate à l'heure actuelle et qui a une incidence sur les pêcheries. Il s'agit de l'algue marine japonaise qui envahit l'Atlantique canadien. Cette algue crée des herbiers très denses. L'important est qu'elle est en train de déplacer les peuplements d'algues brunes et nuit aux oursins. Des expériences menées en laboratoire ont montré que les oursins qui se nourrissent de cette algue subissent des impacts physiologiques. Leurs tissus gonadaux rétrécissent, entre autres choses. Il y a dans l'Atlantique une pêcherie des oursins et étant donné que les oursins se nourrissent surtout d'algues brunes et que leur principal aliment est en train d'être remplacé par des aliments-camelote, il y aura sans aucun doute une incidence sur cette pêcherie commerciale. Tout ce qu'il faut aux pêcheries commerciales de l'Atlantique c'est encore un autre stress, et le voilà.
D'autre part, c'est peut-être là encore un autre stress pour le homard. Celui-ci fourrage ou s'alimente à l'intérieur des peuplements d'algues brunes. Les plus gros homards ont de la difficulté à se déplacer à l'intérieur de ces herbiers de codium très denses. La question est de savoir comment le codium est venu à remplacer les algues brunes?
Je peux vous dire que le codium, les algues, sont présents dans les eaux du Canada atlantique depuis plus de dix ans, mais ce n'est que ces dernières années qu'il a commencé à remplacer les algues brunes. Cela n'aurait pas été possible sans l'aide d'un autre envahisseur. Je ne vais pas entrer dans le détail de cet autre envahisseur, qui est un petit invertébré très intéressant, sauf pour souligner qu'il forme des pellicules calcaires sur les frondes, les stipes de laminaires, les rendant très fragiles.
Les stipes de laminaires sont en règle générale très flexibles, ce qui leur permet de résister à l'action des vagues en cas de tempête. Or, cet invertébré recouvre les stipes des algues et lorsqu'il prolifère il rend les stipes très cassantes et celles-ci peuvent donc être détruites du fait de l'action des vagues. C'est ainsi que vous pouvez vous retrouver face à une image de dévastation, d'algues endommagées. Tout d'un coup, la lumière pénètre jusqu'au fond et ses concurrents sont soudainement libres de croître à nouveau. Cela arrive en année chaude et est donc lié au réchauffement de la planète.
En temps normal, les algues brunes reviendraient. Avec le dépérissement des invertébrés, les algues brunes reprendraient tout simplement de leur vigueur. Or, pendant l'une des périodes au cours desquelles les algues brunes ont été endommagées, l'algue japonaise s'est installée et son concurrent a reculé; l'algue japonaise s'est établie et l'a emporté et elle empêche maintenant les algues brunes de ressurgir. Voilà comment cela se passe. Mais cela ne serait pas arrivé sans l'aide d'un autre envahisseur. C'est là encore un autre exemple de deux envahisseurs travaillant ensemble, en synergie, pour créer ce que l'on constate.
Je m'attends à ce que la fréquence des bouleversements synergiques augmente avec l'invasion par diverses espèces du simple fait que plus vous ajoutez d'espèces, plus vous aurez de combinaisons susceptibles de créer ces combinaisons inquiétantes. En fait, cela augmentera de façon non linéaire, du simple fait de probabilités. Plus vous ajoutez d'espèces, plus vous avez une augmentation disproportionnelle du nombre de combinaisons pouvant donner lieu à des chamboulements imprévisibles. C'est là, donc, la première chose à laquelle il faut s'attendre. Plus vous ajoutez des envahisseurs, plus vous allez constater de bouleversements et plus cela va amener une augmentation disproportionnelle du nombre d'envahisseurs présents.
Cela laisse entendre que nos écosystèmes, y compris nos pêcheries, deviendront de plus en plus instables et difficiles à gérer, plus encore qu'ils ne le sont déjà, si cette tendance se poursuit d'égale intensité. Mais cela signifie également ceci: même une réduction partielle du taux d'invasion se soldera par d'importants avantages. Il n'est pas nécessaire de fermer complètement le robinet. Il est bon de viser cela, mais cela n'est pas impératif. Nous bénéficierons disproportionnellement d'un quelconque ralentissement du taux d'invasion. Servez cette réfutation à quiconque vous dit qu'il ne sert à rien de dépenser de l'argent sur des mesures de contrôle coûteuses s'il vous est impossible de tout contrôler. Il n'est pas nécessaire de tout contrôler. Plus l'on parvient à fermer le robinet, plus l'on en bénéficiera. Voilà ce que cela laisse entendre.
Cela m'amène au point suivant. Les actuels efforts de gestion sont insatisfaisants, nettement insatisfaisants. Il n'y a en place aucun système de surveillance sophistiqué. Heureusement que nous avons des lignes d'assistance téléphonique, sans quoi nous ne saurions pas ce qui se passe tant que les problèmes ne seraient pas devenus très graves. Nous découvrons en règle générale la présence d'envahisseurs une fois qu'ils sont déjà abondants, qu'ils sont déjà omniprésents. Il n'y a en place aucun plan d'intervention d'urgence. Il y a très peu de personnel et très peu de financement. Les vecteurs, dont les eaux de ballast, le commerce d'animaux domestiques, l'aquaculture et l'industrie alimentaire, sont mal contrôlés.
Je vais vous donner un exemple pour illustrer cela. Les eaux de ballast sont le principal vecteur des invasions aquatiques partout dans le monde. Cela est important, car ce sont les navires qui transportent le gros des marchandises vendues dans le monde, et plus le commerce augmente, plus il y a d'eau de ballast déchargée. Déjà, l'on estime à environ 5 000 le nombre des espèces qui sont transportées par bateau dans le monde, à tout moment. Les ports côtiers canadiens reçoivent 50 milliards de litres de ces eaux, qui sont une véritable soupe d'organismes. Les Grands Lacs en reçoivent 5 millions de tonnes par an, ou 5 milliards de litres, si vous préférez. Nous en recevons beaucoup.
Ceci est un nouveau document qui n'a pas encore été diffusé. Il montre les tendances en matière d'invasions avant et après l'application de règles pour les eaux de ballast. J'aimerais dire que nous n'avons dans ce pays qu'un seul règlement applicable aux eaux de ballast et qu'il s'agit de lignes directrices volontaires. Celles-ci ont été établies en 1989. Les lignes directrices avaient pour objet d'amener les navires devant pénétrer dans les Grands Lacs à échanger leurs eaux avant, avec de l'eau de mer. L'idée était que tout organisme d'eau douce présent dans les cuves allait être ou expulsé ou tué au contact de l'eau de mer et que tout organisme marin entrant dans les eaux de remplacement ne survivrait pas dans les Grands Lacs.
Cela découlait d'un raisonnement intuitif; c'est intuitivement séduisant. Malheureusement, ce n'est pas parfait. La raison en est que nous ne pouvons pas éliminer toute l'eau lorsqu'on essaie de la changer. Compte tenu de la position de la pompe, il demeure toujours des eaux résiduelles. D'autre part, il y a des sédiments dans les cuves. Les sédiments se décantent au fil du temps et il y a donc une importante accumulation de sédiments et ceux-ci contiennent des oeufs et des organismes en diapause.
Á (1135)
Il y a donc là des failles que les organismes peuvent exploiter et il y a également d'autres vecteurs. Le taux d'invasion est en vérité en train d'augmenter avec l'augmentation de ces vecteurs. Ce règlement n'était donc pas satisfaisant. Il ne me faudrait également dire que cela était en fait obligatoire, car les États-Unis ont rendu cela obligatoire en 1993. Étant donné qu'ils contrôlent également la Voie maritime du Saint-Laurent, cet échange des eaux de ballast est devenu obligatoire. En dépit de cela, le taux d'invasion a augmenté.
Le dernier point que j'aimerais souligner est qu'il nous faut adopter une attitude plus sérieuse. Il nous faut traiter les espèces introduites comme étant de la pollution biologique. Je dirais qu'il nous faut les traiter avec autant d'attention que dans le cas de la pollution chimique car, au contraire de cette dernière, la pollution biologique ne se dilue pas dans le temps et dans l'espace; elle s'adapte, elle prolifère et elle s'étend. Je vous recommanderais de modifier la Loi sur la marine marchande du Canada afin d'inclure les eaux de ballast étrangères sous la rubrique polluants.
Cela a été tenté ou proposé par, je pense, M. Thompson, député du Nouveau-Brunswick, dans le cadre d'un projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi C-389, en 1999. J'ignore comment ou pourquoi ce projet de loi a été rejeté ou a échoué, mais je pense que vous devriez revoir cela. Il serait sans doute plus logique d'améliorer une loi existante que d'essayer d'en créer une nouvelle. Quoi qu'il en soit, c'est là une chose que je recommanderais.
Ce qui est le plus important--et cela a déjà été souligné par d'autres et l'on ne cessera d'y revenir--est que la clé, c'est la prévention. Il est difficile de se débarrasser de ces organismes une fois qu'ils se sont établis. Le problème est que nous ne disposons pas encore de très bons moyens pour prévenir leur entrée. Il nous faut favoriser et coordonner de la recherche sur les moyens à mettre en oeuvre pour prévenir des menaces futures. Il nous faut contrôler les vecteurs. Il nous faut coordonner les compétences qui existent déjà dans ce pays. Les compétences sont très diffuses: on les retrouve en milieu universitaire, au gouvernement et dans les ONG. Il nous faut coordonner tout cela. Il n'y a pas de lieu central qui assure la coordination. J'aimerais voir établis des centres d'intervention régionaux.
Chacun de ces envahisseurs est une taxe cachée potentielle si vous voulez envisager la question d'une autre façon. C'est peut-être un coût réduit, c'est peut-être un coût important. Le petit coût pourrait s'avérer être gros ultérieurement s'il y a interaction avec les bonnes espèces. Cela nous coûte des milliards de dollars. Le commissaire à l'environnement a récemment publié un rapport qui le démontre. Je ne comprends par pourquoi l'on n'y a pas prêté davantage d'attention. C'est là en fait une chose qui pourrait unir les parties. Cela nous coûte sur tous les plans, et ce pour toutes les formes de la société. Les invasions, et pas seulement les invasions aquatiques, mais les invasions en général, ont également une incidence sur la santé humaine. Nous sommes en état de siège. Il nous faut traiter cela comme une priorité nationale.
Voilà tout ce que j'avais à dire.
Le président: Merci, professeur. Voilà encore un autre rapport optimiste pour le comité. Vous nous avez tellement donné matière à réfléchir.
Nous allons maintenant entendre Chris Goddard, de la Commission des pêcheries des Grands Lacs.
M. Chris Goddard (secrétaire exécutif, Commission des pêcheries des Grands Lacs): Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, de m'avoir invité à prendre la parole devant vous aujourd'hui.
J'aimerais vous présenter M. Marc Gaden qui est l'agent de communications et de liaison avec le Congrès pour la Commission des pêcheries des Grands Lacs.
Nous sommes honorés d'être ici aujourd'hui aux côtés de l'OFAH et de M. Ricciardi. Cela fait 75 ans que l'Ontario Federation of Anglers and Hunters est un véritable partenaire dans la conservation de nos ressources naturelles, et le professeur Ricciardi est un chercheur de pointe relativement aux espèces envahissantes.
Comme l'ont souligné et Francine et M. Ricciardi, les espèces envahissantes ont eu un énorme effet négatif sur les Grands Lacs. Conformément à son mandat, la Commission des pêcheries des Grands Lacs a appuyé nombre des travaux de recherche clés sur les espèces envahissantes dans les Grands Lacs. Comme vous l'avez si bien dit, monsieur le président, cette recherche, les récents rapports du Bureau du vérificateur général et du General Accounting Office américain, ne nous donnent pas beaucoup de raisons d'être optimistes.
Pour citer brièvement le récent rapport de la vérificatrice générale:
La prévention est reconnue par les experts et par le gouvernement comme étant la meilleure façon de réagir aux espèces envahissantes. Les mesures de prévention... sont généralement considérées comme étant plus pratiques que le fait de réagir à une succession de crises et de réparer les dommages constatés une fois que les envahisseurs se sont établis. |
À cet égard, je vais discuter de deux envahisseurs, la carpe d'Asie et la lamproie. Au fil de mon exposé, gardez bien à l'esprit l'accent mis par la vérificatrice générale sur la prévention. J'espère illustrer à quel point il est coûteux de ne faire que sans cesse réagir à des envahisseurs déjà établis. Je vais également traiter du fait qu'en dépit de très saines recommandations émanant du comité permanent, le Programme de lutte contre la lamproie marine du Canada demeure précaire et sous-financé.
La carpe asiatique risque d'être la prochaine catastrophe biologique dans les Grands Lacs. Elle est sur le point d'entrer dans les Grands Lacs par l'entremise de deux vecteurs distincts. L'on sait maintenant que la carpe asiatique a été légalement importée aux États-Unis à cause de failles dans la réglementation. Elle a été importée à des fins de contrôle biologique dans les étangs à barbue du Sud des États-Unis. Elle s'est échappée de ces étangs et trois espèces se sont établies dans la rivière Mississippi. La carpe d'Asie peut atteindre 30 à 40 kilogrammes et elle est à l'heure actuelle présente à 25 milles au sud du lac Michigan. Il y a un chenal de navigation qui relie le lac Michigan à la rivière Mississipi, et ce poisson est sur le point d'emprunter ce chenal. S'il pénètre dans les Grands Lacs, il n'y a absolument aucun doute qu'il changera sévèrement l'écosystème des Grands Lacs.
La Commission des pêcheries des Grands Lacs, la Commission mixte internationale, le U.S. Army Corps of Engineers et la U.S. Environmental Protection Agency s'efforcent activement de l'empêcher de passer par le chenal de navigation.
Une barrière électrique de dispersion à l'intention des espèces envahissantes a récemment été construite et elle est opérationnelle depuis avril dernier. La CMI, la CPGL et l'EPA ont chacune récemment contribué 100 000 $ en vue de l'amélioration de cette barrière déjà existante. Nous avons par ailleurs récemment obtenu auprès du Congrès américain 500 000 $ en vue de l'exploitation annuelle de cette barrière.
Une deuxième barrière est clairement nécessaire. L'automne dernier, la Commission des pêcheries des Grands Lacs et la Commission mixte internationale, en partenariat avec l'Army Corps, ont entrepris la construction de cette deuxième barrière. Celle-ci sera construite cette année avec l'État de l'Illinois, en partenariat avec l'Army Corps. Le coût de la construction de cette deuxième barrière va s'élever à 10 millions de dollars.
La commission a par ailleurs également récemment reçu d'importants fonds du State Department, ce en vue de l'élaboration d'un plan d'intervention rapide au cas où la carpe asiatique pénètre au-delà de cette barrière.
Il y a encore un autre vecteur d'introduction possible dans les Grands Lacs, le commerce du poisson vivant. À l'heure actuelle, plus de 900 000 livres de carpes d'Asie passent par camion par le pont Ambassador à destination de marchés ontariens.
La Commission des pêcheries des Grands Lacs oeuvre aux côtés de services d'exécution de la loi fédéraux, d'État, provinciaux et tribaux, pour stopper ce commerce du poisson vivant. Je suis très heureux d'annoncer qu'au cours des derniers mois les États de l'Ohio, de l'Indiana et de l'Illinois ont interdit la possession de carpes asiatiques vivantes, et qu'à compter de demain la possession de carpes asiatiques vivantes sera interdite dans l'État du Michagan.
La possibilité de stopper une vaste catastrophe s'offre à nous. Il ne faut pas que la carpe asiatique pénètre dans les Grands Lacs. Je suis heureux de vous rapporter que deux commissions binationales et que plusieurs agences fédérales et États américains oeuvrent très fort pour éviter que cela n'arrive, mais ce travail ne peut pas se faire sans y consacrer d'énormes ressources. Comme je l'ai déjà signalé, cela va coûter 10 millions de dollars cette année pour construire la barrière, et l'exploitation de cette dernière va sans doute coûter 1 million de dollars par an à perpétuité.
Á (1140)
J'aimerais maintenant vous parler de la lamproie marine. Je vais faire circuler cette reproduction ainsi que quelques photos. La lamproie marine est passée de l'océan Atlantique aux Grands Lacs en empruntant les canaux construits pour la navigation. La lamproie tue les poissons en s'attachant à leurs flancs et en en aspirant le contenu organique. Une lamproie moyenne tue environ 20 kilos de poisson pendant sa vie adulte.
Lorsque la lamproie est entrée dans les Grands Lacs, il n'y avait pas de prédateurs. Elle s'est rapidement propagée partout dans les Grands Lacs, décimant les populations halieutiques. Les pêcheries des Grands Lacs se sont effondrées.
L'invasion de la lamproie marine a cependant été le catalyseur de la création de la Commission des pêcheries des Grands Lacs, qui a été établie par un traité international intervenu entre le Canada et les États-Unis en 1955. La Commission des pêcheries des Grands Lacs est financée par le ministère canadien des Pêches et des Océans et par le U.S. Department of State. Elle est gérée par quatre commissaires nommés par le Conseil privé au Canada et par quatre commissaires nommés par le président des États-Unis.
La commission a pour responsabilité de coordonner la recherche sur les pêcheries dans les Grands Lacs mais sa principale fonction est de contrôler la lamproie marine dans les Grands Lacs. Il s'agit d'un programme qui affiche une réussite remarquable. Grâce à un programme intégré de trappage des adultes reproducteurs, axé sur la construction de barrières pour refuser à ces adultes l'accès aux frayères, grâce à l'application de lampricides spécifiques destinés à tuer les larves de lamproie et grâce à l'introduction de lamproies stérilisées pour stériliser la lamproie et, partant, perturber la fraye, les populations de lamproies marines dans les Grands Lacs ont été ramenées à 10 p. 100 de leur abondance historique. Cela est plutôt encourageant. La commission oeuvre à une nouvelle technologie, y compris l'utilisation de phéromones, destinés à dérégler le comportement d'accouplement de la lamproie marine.
Un contrôle efficace de la lamproie marine a permis à toutes les agences de gestion des Grands Lacs de faire de l'empoisonnement car avec le contrôle de la lamproie, les poissons pouvaient atteindre une taille intéressante et alimenter une pêcherie.
Il me faut souligner que le contrôle des lamproies marines est la pierre angulaire des pêcheries des Grands Lacs. Plus que cela, le contrôle efficace de la lamproie a pavé la voie pour la réhabilitation des pêcheries des Grands Lacs. Non seulement les poissons deviennent grands, mais ils atteignent l'état adulte, mûrissent et peuvent se reproduire, pavant la voie pour le rétablissement de l'équilibre naturel de nos écosystèmes.
Il y a quelques années, les organes de gestion autour du lac Supérieur avaient déclaré une grande victoire, l'empoisonnement n'étant plus nécessaire. Les espèces halieutiques dans le lac Supérieur, le plus grand lac d'eau douce au monde, étaient devenues autosuffisantes et se réglementaient elles-mêmes. Cette réhabilitation du lac Supérieur est l'une des plus belles réussites en gestion des pêcheries au monde. En tant qu'agent contractuel pour le contrôle de la lamproie marine, le ministère des Pêches et des Océans du Canada a joué un rôle majeur dans cette réhabilitation. Le contrôle de la lamproie marine est incontestablement l'une des plus belles réussites en gestion des pêcheries du MPO.
Fort heureusement pour nous, la lamproie marine est une espèce exotique que nous avons pu contrôler. En dépit du succès de ce contrôle, il est malheureux que les populations de lamproies marines soient trop importantes dans tous les Grands Lacs à l'exception, peut-être, du lac Ontario. Les populations de lamproies marines sont comme un ressort enroulé et l'on a appris que s'il y a le moindre relâchement, elles rebondissent très rapidement.
Avec les technologies dont on dispose à l'heure actuelle, le contrôle de la lamproie marine continuera d'être un coût d'atténuation des impacts de la construction des chenaux de navigation. Les coûts sont partagés par les États-Unis et le gouvernement du Canada. Du côté américain, l'an dernier, la commission a reçu 13,1 millions de dollars US et encore 800 000 $ de l'Army Corps of Engineers, pour un total de 14 millions de dollars US, soit 22 millions de dollars canadiens.
Il y a cinq ans, monsieur le président, le comité permanent avait recommandé que:
Le gouvernement du Canada, par le biais du ministère des Pêches et des Océans, finance la portion canadienne du programme de lutte contre la lamproie marine à même la base «A» du ministère. Le comité recommande par ailleurs que le gouvernement du Canada, par le biais du ministère des Pêches et des Océans, s'engage à assurer une garantie financière minimale à long terme de 8 millions de dollars par an à la Commission des pêcheries des Grands Lacs aux fins du contrôle de la lamproie marine et reconnaisse que cet engagement est d'une importance vitale pour la survie à long terme des pêcheries des Grands Lacs. |
Á (1145)
Monsieur le président, d'après ce que j'ai compris, ces fonds ne relèvent toujours pas des services votés de la base «A». Le Canada contribue 6,1 millions de dollars canadiens au contrôle de la lamproie. Les États-Unis contribuent à l'heure actuelle 16 millions de dollars canadiens à cet effort binational essentiel. La carpe asiatique est en train de frapper à la porte des Grands Lacs. La lamproie marine y est bien établie. Le contrôle de ces espèces est essentiel mais cela est coûteux et exige un travail permanent. La prévention de nouvelles introductions doit être notre plus grande priorité.
La Commission mixte internationale a demandé un mandat des gouvernements à cet égard et, d'après ce que j'ai compris, elle doit comparaître devant le comité la semaine prochaine. Je pense que cela offrira aux gouvernements l'occasion unique d'aborder cette question binationale essentielle dans le cadre d'une tribune binationale, et la Commission des pêcheries des Grands Lacs appuie fermement cette demande émanant de la CMI.
Monsieur le président, je suis très reconnaissant de l'occasion qui m'a été ici donnée d'entretenir le comité de cette question importante. La Commission des pêcheries des Grands Lacs apprécie très sincèrement le soutien qu'elle a obtenu de ce comité, et notamment de M. Steckle et de M. Provenzano. Je vous remercie de m'avoir entendu.
Á (1150)
Le président: Merci beaucoup.
M. Steckle est maintenant le président du comité de l'agriculture, mais je suis certain que cela ne diminuera aucunement l'intérêt qu'il porte à cette question qui l'occupe depuis tant d'années, et je veux parler ici tout particulièrement de la lamproie marine.
Merci beaucoup à vous tous de vos exposés.
Nous allons maintenant passer aux questions des membres du comité. Nous allons commencer avec M. Burton, pour dix minutes. Monsieur Burton, veuillez s'il vous plaît dire à qui s'adresse votre question, à moins qu'elle ne soit destinée à tout le monde.
M. Andy Burton (Skeena, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
Cette présentation a été fort intéressante. Je tiens à vous remercier tous pour vos propos, et tout particulièrement le professeur Ricciardi. Ce que vous nous avez dit était fascinant et, je dois dire, nous a été exposé d'une façon très professionnelle.
Étant profane en la matière, il m'est un peu difficile de cerner certaines choses. J'aimerais vous poser quelques questions très directes. La première est la suivante: Qui est à l'heure actuelle responsable de la gestion de ces dossiers? Est-ce le MPO ou un autre organisme?
Pr Anthony Ricciardi: Le seul organisme qui lutte contre les invasions terrestres--je ne sais pas pour les espèces aquatiques--est l'Agence canadienne d'inspection des aliments, qui ne parvient pas à faire face aux invasions d'espèces terrestres, qu'il s'agisse d'insectes, de plantes ou de n'importe quoi d'autre. Il n'y a pas assez d'effectifs pour faire le travail, comme on l'a constaté avec les invasions en cours. Si j'évoque les invasions terrestres, c'est parce que le problème est le même, toutes les formes de ressources sont touchées. Notre économie est fondée sur les richesses naturelles et nous sommes donc très vulnérables.
Je sais ce qu'il en ait pour l'Agence canadienne d'inspection des aliments et son manque de moyens, mais je ne sais pas qui est responsable des espèces aquatiques. Je ne sais pas s'il y a un organisme en particulier, sauf peut-être le MPO lorsqu'une invasion se répercute sur la pêche, dans les Grands Lacs ou en dehors. Je ne suis pas sûr qui est responsable. C'est une très bonne question.
Le président: Est-ce qu'un autre témoin connaît la réponse? Monsieur Farrant.
M. Greg Farrant: Il me semble qu'Environnement Canada est maintenant l'organisme principal, responsable à tout le moins de l'élaboration d'un programme national de lutte contre les espèces envahissantes, aux côtés du MPO. La remarque du professeur est très judicieuse, en ce sens qu'il est très difficile de savoir exactement qui est responsable. Nul n'a pris l'initiative principale, mais techniquement, Environnement Canada est censé être le chef de file.
M. Andy Burton: À l'évidence, le comité va devoir établir qui est l'organisme directeur. Il faut un point de départ.
Vous avez parlé de perturbations synergétiques. J'ai trouvé cela extrêmement intéressant. Vous nous avez donné quelques exemples. Avez-vous idée du nombre de cas autres qui peuvent exister?
Pr Anthony Ricciardi: Je n'en connais pas d'autres. Nous n'avons pas idée du nombre car on ne sait pas toujours distinguer la source de certains phénomènes. Si nous n'avions pas des gens qui ont décelé le lien entre la bactérie et le sédiment--je parle-là de la bactérie du botulisme--pour ce qui est de la moule et du gobie, nous n'aurions pas pu établir cette connexion. Nous aurions traité cela comme une simple poussée de botulisme aviaire. Autrement dit, il peut y avoir des effets dont les causes sont tellement subtiles qu'il est difficile de déterminer la chaîne de causalité.
Nous avons quelques autres exemples, hormis ceux que je vous ai donnés--j'ai cité ceux-là parce qu'ils sont récents--qui montrent que parfois deux espèces ou plus peuvent interagir et engendrer des synergies imprévisibles.
La lamproie de mer est un autre exemple. Comme Chris Goddard l'a mentionné, celle-ci a décimé la pêche dans les Grands Lacs, particulièrement celle de la truite grise. Pourquoi est-ce important? Parce que la truite grise est le prédateur naturel en haut de la chaîne alimentaire dans les Grands Lacs. Lorsque ce grand prédateur a disparu, s'étant soit éteint comme dans certains des Grands Lacs, soit ayant été réduit à l'insignifiance par la lamproie de mer, cela a ouvert une fenêtre d'opportunité à une autre espèce, le gaspareau, un poisson planctophage, c'est-à-dire un poisson qui se nourrit de plancton en eau libre. Il se reproduit très rapidement, étant très prolifique. Il est arrivé par le réseau des canaux comme la lamproie de mer, mais n'a pu s'établir ou devenir abondant à cause de la prédation du prédateur indigène. En l'absence de cette prédation, la fenêtre d'opportunité s'est ouverte. L'espèce est devenue si prolifique qu'elle a causé une série d'effets, notamment la réduction de la base de la chaîne alimentaire, c'est-à-dire le plancton, qui est le moteur de toute la chaîne, au détriment des espèces de poissons indigènes. Certaines espèces indigènes ont frôlé l'extinction, dont des poissons très importants qui sont également à la base de la chaîne alimentaire.
Le gaspareau suivait des cycles d'explosion et d'effondrement, c'est-à-dire des périodes où il devenait très abondant puis dépérissait, avant de redevenir très abondant, ce qui était problématique en soi car les carcasses de gaspareau s'entassaient et pourrissaient sur le rivage et les plages, ce qui en soi a dû peser sur la valeur des chalets riverains, j'imagine. En outre, des carcasses de poissons, encore vivants ou morts, venaient boucher les prises d'eau des usines.
C'était un désastre à tous égards. La seule raison pour laquelle cette espèce est devenue si prolifique était l'absence du prédateur supérieur qui aurait autrement pu la contrôler.
Il y a donc eu cette facilitation indirecte, ce renforcement indirect du gaspareau causé par l'invasion préalable de la lamproie de mer. Partout où allait la lamproie et causait ces dégâts, le gaspareau suivait. Voilà donc un autre exemple de synergie. Il y en a beaucoup d'autres mettant en jeu la moule zébrée et le gobie rond dont je vous ai parlé. On voit cela partout et cela continue.
Á (1155)
M. Chris Goddard: Monsieur, sur ce même sujet, à la base de la chaîne alimentaire il y avait le cisco de profondeur, dont il existait cinq espèces propres à chacun des Grands Lacs, dont trois sont aujourd'hui disparus en conséquence directe de l'introduction du gaspareau.
Les organismes de gestion cherchent aujourd'hui à rétablir ces ciscos de profondeur, car ils sont tellement bien adaptés aux Grands Lacs que ces derniers ont du mal à fonctionner en leur absence. Les trois espèces ont disparu du fait de cette synergie.
M. Andy Burton: L'une des solutions que vous avez proposées était d'interdire le déversement du lest d'eau de mer étrangère. Est-ce praticable? Peut-on le faire?
Pr Anthony Ricciardi: Je dis qu'il faut l'interdire. Je dis qu'il faut beaucoup plus pour réglementer la pratique.
Si je me souviens bien du projet de loi d'initiative parlementaire, les navires transportant du ballast d'eau jugé délétère, peut-être parce qu'il provenait d'un port dont on savait qu'il contient une espèce envahissante, devaient présenter un certificat et le lest ne pouvait être déversé dans le port d'arrivée qu'en présence d'un inspecteur.
Je recommande donc que le comité se penche là-dessus et envisage de ressusciter ce projet de loi, quitte à l'amender, car je pense que c'était une bonne idée.
Il faut aussi une passerelle entre la législation et la recherche. Si nous parvenons à déterminer quelles menaces d'invasion sont plus immédiates que d'autres, alors nous pouvons établir de quel port elles sont susceptibles de provenir et au moins dresser une échelle de risque.
Par exemple, je sais qu'il y a une quarantaine d'espèces similaires à la moule zébrée dans la mer Noire. Elles sont en train de se répandre en Europe. Et elles envahissent des ports dans lesquels des navires à destination des Grands Lacs chargent du lest d'eau. N'importe laquelle de ces espèces pourraient donc arriver chez nous n'importe quand. Autrement dit, ce n'est pas encore fini.
Nous vous avons donné l'exemple de la carpe asiatique. D'autres espèces peuvent apparaître. Si quelqu'un dit: «Nous avons vu ce que fait la moule zébrée, rien ne peut être pire», si, ce pourrait être pire.
Donc, si nous pouvions déterminer laquelle de ces menaces est la plus grande--et je crois que c'est possible--nous pouvons déterminer les ports dont elles proviennent, sur la foi des renseignements que nous avons déjà en notre possession, et ainsi savoir quels navires sont susceptibles d'apporter l'eau de ballast la plus dangereuse.
Voilà un scénario. Si on combine la recherche et la législation, par l'intermédiaire d'une organisation coordonnée quelconque--et nous revenons donc à cette idée qu'il y ait une instance responsable de la coordination--alors nous pourrions prévenir certaines invasions très problématiques. Nous ne pouvons pas les stopper toutes, mais il sera déjà bénéfique d'en arrêter certaines. Ce modèle théorique que j'ai présenté, cette notion de perturbations synergétiques, montre que même une réduction partielle de cette pression d'espèces exogènes est bénéfique car cette pression aurait pu nous apporter une espèce de plus susceptible de créer une autre énorme série de problèmes.
Il est donc avantageux d'exclure au moins certaines, même si nous ne pouvons pas les exclure toutes. C'est plutôt une bonne nouvelle.
 (1200)
Le président: Il nous a fallu une heure pour l'apprendre.
Il vous reste une question.
M. Andy Burton: Vous n'ignorez pas, professeur, que nous avons un très gros problème en Colombie-Britannique avec le mille-feuilles eurasien dans nombre de nos lacs. J'ai l'impression que c'est un cas similaire à celui de l'algue japonaise. Est-ce exact?
Pr Anthony Ricciardi: Non, c'est une plante d'eau douce. Les herbes d'eau douce--
Le président: Pour que les interprètes puissent travailler et que le compte rendu puisse être exact, il serait bon, professeur, que vous le laissiez finir sa question avant de répondre.
Pr Anthony Ricciardi: D'accord, désolé.
M. Andy Burton: Si j'ai bien compris, l'algue japonaise est strictement un problème en mer. Ce n'est pas un problème en eau douce. Est-ce exact?
Pr Anthony Ricciardi: C'est juste.
M. Andy Burton: D'accord. Je vous remercie.
Le président: Monsieur Provenzano.
M. Carmen Provenzano: Je veux tout d'abord remercier tous les témoins de leurs exposés des plus intéressants. Il faut féliciter l'Ontario Federation of Anglers and Hunters et la Commission des pêcheries des Grands Lacs de leur excellent travail.
Pour en venir à ma question, elle s'adresse à tous ceux d'entre vous qui veulent y répondre.
On a accusé le MPO de manquer d'une vision claire de l'écosystème aquatique des Grands Lacs. J'aimerais tout d'abord que vous réagissiez à cela, que vous disiez si vous pensez que c'est vrai.
Deuxièmement, une base de données scientifiques contient des renseignements scientifiques. C'est probablement une condition préalable à une vision claire. Tout programme de lutte contre les espèces envahissantes doit être fondé sur des données scientifiques viables. Et on dit que le MPO manque de données scientifiques. J'aimerais également connaître votre réaction à ce sujet. Pensez-vous qu'il est vrai que le MPO manque de données scientifiques? J'aurais ensuite quelques autres questions corollaires.
Quelqu'un veut-il répondre?
Le président: Qui veut se lancer en premier?
M. Chris Goddard: Je peux vous en parler dans l'optique de la pêche et de la gestion de la pêche.
Dans l'optique de la gestion de la pêche, les Grands Lacs sont gérés conformément à un accord de coopération entre les États-Unis, les provinces et le gouvernement fédéral, du nom de Plan stratégique conjoint pour la gestion de la pêche dans les Grands Lacs. La documentation que nous avons distribuée contient une brochure à ce sujet. Le MPO en est partie prenante.
Sur le plan de la gestion de la pêche, chacun des Grands Lacs a arrêté un certain nombre d'objectifs de peuplement ichtyologique et isolé les étapes pour remplir ces objectifs. Le MPO a participé de près à l'élaboration de ces objectifs et possède une vision pour ce qui est de la gestion des pêches. C'est très clair.
Par ailleurs, en tant que mandataire de la Commission des pêcheries des Grands Lacs, le ministère des Pêches et des Océans a approuvé la vision de la commission pour ce qui est du contrôle de la lamproie de mer, ainsi que son plan d'exécution.
Je ne peux vous parler spécifiquement de sa vision scientifique et de recherche. Ce que je peux dire, et nous l'avons signalé au comité lorsqu'il a passé un temps considérable chez nous, est qu'il existe une différence entre les programmes scientifiques des États-Unis et du Canada.
Du côté américain, la U.S. Geological Survey et l'U.S. Fish and Wildlife Service évaluent très activement les stocks de poisson fourrage dans les Grands Lacs, tous les poissons carnassiers. Les États-Unis assurent toute l'évaluation des espèces de gros poissons exploités par la pêche récréative, commerciale et autochtone. Du côté canadien, le MPO ne joue pas ce rôle, si bien qu'il existe un très grand trou dans nos données de gestion pour ce qui est de la situation des stocks de poisson de fourrage dans les Grands Lacs.
Le président: Quelqu'un d'autre souhaite-t-il intervenir?
Pr Anthony Ricciardi: J'ai l'impression que le MPO, collectivement, tend à réagir aux problèmes plutôt qu'à les anticiper. C'est peut-être dû à un défaut structurel et administratif. Je connais quelques excellents scientifiques au MPO. Le problème est qu'il n'y a pas de dépôt central des données, si bien qu'ils n'y ont pas accès. Aucun des scientifiques n'a cet accès. C'est pourquoi nous allons aux réunions, pour échanger des informations.
Je recommande donc la création d'un centre national ou de centres régionaux à toutes sortes de fins, notamment la coordination de la collecte et de l'échange d'informations, de l'échange rapide d'informations afin que nous puissions réagir plus rapidement aux menaces d'invasion, un peu comme le fait le Centre pour le contrôle des maladies, car les maladies sont également des envahisseurs. Nous anticipons toujours le virus de la grippe; c'est un envahisseur.
Nous sommes menacés par des centaines ou des milliers d'espèces exotiques et il nous faut donc un moyen de prévenir les invasions plutôt que d'y réagir. La seule façon d'y parvenir est de posséder des renseignements par avance et de pouvoir les coordonner rapidement. Je pense que la question du député porte sur l'absence d'un mécanisme de coordination central à cet effet.
 (1205)
M. Carmen Provenzano: Oui, c'était exactement le sens de ma question.
Premièrement, je comprends qu'aucun d'entre vous ne puisse peut-être répondre par oui ou par non à cette simple question: y a-t-il ou non un manque de données scientifiques au sein du MPO; le ministère souffre-t-il de cette sorte de déficience? Ensuite nous pourrons voir quelles sont les raisons. Je comprends les difficultés, mais peut-on imaginer un dépôt central pour les données scientifiques de cette sorte et cela réglerait-il ou atténuerait-il les problèmes que nous rencontrons?
Je vais vous dire sur quoi je m'interroge. Nous entendons ces présentations et nous recevons des gens comme vous, professeur Ricciardi, qui possédez manifestement un savoir dans des domaines précis, un savoir que le MPO n'a pas forcément. Dans quelle mesure avez-vous pu partager ce savoir avec le MPO, dans quelle mesure vous invite-t-on et dans quelle mesure pensez-vous que ce savoir serait utile au MPO?
Pr Anthony Ricciardi: Aucune organisation gouvernementale canadienne ne m'a jamais demandé de renseignements sur des espèces exotiques en particulier ou des menaces d'invasion en général, contrairement aux organisations américaines.
Pour ce qui est de la coordination de l'information, nous sommes un certain nombre de chercheurs à travers le pays qui poursuivons des programmes de recherche différents... Mon laboratoire travaille sur certaines choses, d'autres laboratoires travaillent sur d'autres choses et nous partageons ces renseignements de deux façons.
Le moyen le plus courant de partager l'information scientifique consiste à la publier. Le problème est qu'il y a un décalage entre le moment où l'information est recueillie et celui où elle est largement publiée à cause du délai d'impression. Celui-ci peut être d'une année ou plus.
La deuxième façon de disséminer l'information est par le biais de conférences scientifiques. Ces dernières sont très importantes car y assistent également les gestionnaires et les décideurs, dans certains cas. Par exemple, une conférence sur les espèces aquatiques nuisibles est organisée chaque année. Ce sont là d'importantes façons de partager l'information avant qu'elle soit publiée.
Le troisième moyen, auquel de nombreux scientifiques ne veulent pas recourir, est de parler aux médias, mais dans ce cas souvent seule la moitié du message passe. Nous avons donc des façons diffuses de partager l'information. Nous n'avons pas de mécanisme de coordination central des connaissances que nous avons dans ce pays, et qui sont considérables dans le domaine aquatique. Nos spécialistes en écologie aquatique sont respectés dans le monde entier, mais nous n'avons aucun moyen de coordonner leurs efforts pour s'attaquer à des problèmes particuliers.
À l'heure actuelle, la seule amorce de coordination dans l'infrastructure actuelle est le fait du CRSNG, le Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie, qui distribue des subventions à des réseaux qui peuvent faciliter la recherche coordonnée. Elles ne sont pas destinées aux invasions en particulier, mais pourraient l'être.
Ce domaine de recherche ne jouit pas d'une priorité particulière, bien qu'il touche tous les domaines d'une société, particulièrement une société comme la nôtre. Nous sommes une économie axée sur les richesses naturelles qui est plus vulnérable aux effets des invasions, terrestres ou aquatiques, que celle de pays moins dépendants des ressources naturelles.
M. Carmen Provenzano: J'ai beaucoup de questions.
 (1210)
Le président: Vous pouvez en poser encore une.
M. Carmen Provenzano: L'aquaculture a été mentionnée comme l'une des sources. Le problème de la carpe asiatique résulte de poissons échappés d'une pisciculture, si j'ai bien compris l'exposé. Est-ce là une situation isolée dans le domaine de l'aquaculture ou bien les piscicultures contribuent-elles de façon générale au problème des espèces envahissantes?
M. Chris Goddard: Un certain nombre d'espèces envahissantes sont arrivées dans les Grands Lacs du fait d'échappées accidentelles de piscicultures. Lorsque je parle d'aquaculture, j'y englobe l'élevage de poissons exotiques. En 1990, la Commission a financé une étude déterminante sur les vecteurs d'invasion. M. Ed Mills était le principal enquêteur et il a déterminé qu'environ 28 p. 100 des envahisseurs, à l'époque, étaient issus de l'aquaculture.
La province de l'Ontario et les États des Grands Lacs s'interrogent beaucoup en ce moment sur la réglementation de l'aquaculture et de l'élevage de poissons d'aquarium. Ils nous ont commandé une enquête exhaustive sur la législation actuelle régissant l'aquaculture et le commerce des poissons exotiques afin de recenser les règles actuelles, déterminer les options, déceler les lacunes et élaborer un cadre réglementaire qui puisse prévenir ce genre de choses.
La Commission des pêcheries des Grands Lacs a mis au point un programme modèle qui prévoit que les nouveaux projets d'aquaculture dans le bassin des Grands Lacs remplissent une série séquentielle de conditions avant d'être agréés, de façon à vérifier qu'ils n'auront pas cette sorte d'impacts.
Le président: Merci.
Monsieur Stoffer.
M. Peter Stoffer (Sackville—Musquodoboit Valley—Eastern Shore, NPD): Merci, monsieur le président. Merci à tous les témoins de leurs exposés.
Je me souviens avoir rédigé en 1997 ce rapport sur le maintien du financement du programme de lutte contre la lamproie de mer, particulièrement dans la rivière St. Mary. Après notre rapport, le ministre Anderson a immédiatement annoncé que plus de 6 millions de dollars seraient alloués... mais sur une base presque annuelle. Il n'y avait pas d'engagement financier à long terme.
Continuez-vous à pousser le gouvernement fédéral, vous-même et par le biais du ministère provincial, à assurer un financement garanti, stable et à long terme pour ce programme?
M. Chris Goddard: Nous y encourageons tout à fait le gouvernement fédéral. Le financement de base demandé pour 1997 était de 8 millions de dollars canadiens, et nous n'avons pas encore atteint ce montant.
Le président: Je pense que M. Farrant souhaitait intervenir.
M. Greg Farrant: Merci, monsieur le président.
Juste un complément d'information. Nous avons rencontré à ce sujet les cabinets de M. Thibault et de M. Anderson pour leur faire part de notre préoccupation générale à l'égard des espèces aquatiques envahissantes et les avons exhorté à inscrire ce financement dans le budget de base.
Il faut mentionner également le déséquilibre de financement entre les deux pays. Les États-Unis suppléent aux insuffisances canadiennes. Par exemple, lorsque nous n'avons contribué que 6 millions de dollars au lieu des 8 millions de dollars requis, ils ont comblé la différence. Ils ne vont évidemment pas le faire à perpétuité, et il est donc dans notre intérêt, en tant que partenaire égaux dans des ententes signées, que nous remplissions les obligations financières prévues par ces accords.
M. Peter Stoffer: Je me souviens que M. Provenzano, M. Steckle et nous tous, considérions cela en 1997 comme un investissement, et pas nécessairement une dépense. Il me paraît très utile de recourir à ce type de concept dans les communications.
Monsieur Ricciardi, connaissez-vous M. Paul Brodie, de la Nouvelle-Écosse?
Pr Anthony Ricciardi: Non.
M. Peter Stoffer: C'est un professeur, anciennement du MPO, qui est sur le point de commencer à traiter les eaux de ballast aux rayons ultraviolets. Sa méthode est presque au point. Il travaille avec l'armateur Irving pour mettre cela en place.
Je ne sais pas si vous en avez entendu parler vous-même, monsieur le président, mais cela fait quelque temps que je suis régulièrement en contact avec lui, car il travaille là-dessus depuis 20 ans. Ensuite, j'aimerais en parler plus avant avec vous car le déversement des eaux de lestage est un problème très grave dans ce pays.
Mon autre commentaire est pour dire que je suis toujours étonné de voir à quel point les groupes bénévoles et communautaires prennent le taureau par les cornes afin de protéger non seulement leur gagne-pain mais aussi leur vie récréative. Moi qui vivait jadis au Yukon et ai pratiqué la pêche sportive pendant de nombreuses années, je n'allais jamais nulle part sans mon petit leurre Len Thompson no 7.
Madame MacDonald, lorsque les gouvernements, au niveau provincial, municipal ou fédéral ne font rien ou ne reconnaissent pas le grave danger pour la vie économique, comment réagissent les groupes communautaires--au Canada atlantique, nous les appelons les groupes côtiers, mais chez vous ce sont des eaux intérieures? Qu'attendent-ils exactement des divers niveaux de gouvernement à cet égard?
 (1215)
Mme Francine MacDonald: Les groupes intéressés par la conservation, particulièrement les chasseurs et les pêcheurs, suppléent de longue date aux défaillances des pouvoirs publics, lorsqu'il s'agit de réagir à un problème, quitte à puiser dans leurs propres poches ou à investir leur temps.
Pour ce qui est des espèces envahissantes, nos bénévoles travaillent sur ce problème depuis plus de dix ans et je pense qu'il est grand temps que le gouvernement fédéral commence à engager les ressources nécessaires dans ce programme. Nous connaissons de graves problèmes dans nos eaux intérieures et rien ne se fait, hormis ce que des ONG comme la nôtre, la Federation of Ontario Cottagers Associations, et tous ces autres groupes communautaires entreprennent pour protéger leurs lacs. Il faudrait réellement un engagement des autorités fédérales et provinciales.
Les espèces envahissantes commencent à retenir un peu plus l'attention. Pêches et Océans et Environnement Canada commencent à s'en inquiéter davantage, particulièrement suite au rapport du commissaire de l'an dernier.
Mais nous avons réellement besoin d'une initiative fédérale au sujet des espèces aquatiques envahissantes et un plan d'action sur les espèces exotiques. Comment va-t-on régler le problème? Quelle est la stratégie? L'éducation et la sensibilisation sont des éléments cruciaux mais comment va-t-on faire pour empêcher les nouvelles introductions?
M. Peter Stoffer: Je n'ai que quelques petites questions.
Vous avez dit que certains États interdisent le transport ou l'importation de carpes vivantes. Excusez mon ignorance, mais est-ce que le Canada en fait autant et, sinon, devrions-nous recommander cette interdiction au Canada?
Par ailleurs, vous avez parlé de synergie entre espèces. Qu'en est-il des produits pharmaceutiques qui se retrouvent dans les égouts et les fosses septiques, que les gens jettent dans leurs toilettes, et leurs effets sur les espèces? Évidemment, tout cela se retrouve dans la chaîne alimentaire et aussi dans l'organisme humain.
Si vous pouviez parler de ces deux aspects, je vous en serais reconnaissant.
M. Chris Goddard: Je répondrai en premier.
À ce stade, il n'y a pas en Ontario et au Canada de mécanisme réglementaire pour stopper le transport ou interdire la possession de carpes asiatiques vivantes ou de poissons-serpents. Mais ce qui se passe, c'est que lorsque les États du bassin des Grands Lacs interdisent la possession, de par le fonctionnement de la Loi sur la protection d'espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial, qui est la loi donnant effet à la convention de Washington et qui contient des dispositions stipulant que ce qui est illégal aux États-Unis l'est aussi en Ontario, l'interdiction s'applique. Nous pensons donc que cela va se faire.
Une nouvelle mesure intéressante est en train d'être prise. Les poissons sont actuellement transportés par camion. Nous arrivons virtuellement à les arrêter, ou le pourrons demain, au Pont Ambassador. Nous escomptons qu'une loi similaire sera adoptée par l'État de New York dans un très proche avenir, si bien que ces poissons ne pourront plus physiquement pénétrer en Ontario.
Et j'aimerais signaler--
Le président: Monsieur Goddard, pour que les choses soient claires, existe-t-il un règlement ontarien ou fédéral interdisant expressément l'importation de carpes asiatiques vivantes en Ontario?
M. Chris Goddard: Non, monsieur.
Le président: Merci.
Et vous alliez...?
M. Chris Goddard: Oui, mais--
Le président: Désolé, je voulais que la réponse figure au compte rendu. Si vous pensez à quelque chose, faites-nous le savoir.
Madame MacDonald.
 (1220)
Mme Francine MacDonald: Je voulais ajouter qu'avec le commerce des poissons de consommation et d'aquarium vivants, et aussi le commerce horticole, nous importons dans notre pays des milliers d'espèces, sans les connaître et sans savoir quel effet elles peuvent avoir sur nos écosystèmes. Nous ne savons rien. Nous savons que la carpe asiatique pourrait potentiellement avoir un effet désastreux sur les Grands Lacs. C'est une espèce que nous connaissons et donc nous cherchons à en prévenir l'invasion. Mais on importe dans le pays chaque jour 10 000 espèces que nous ne connaissons même pas.
Le président: Anthony, vouliez-vous dire quelque chose?
Pr Anthony Ricciardi: Je voulais répondre à la deuxième question, mais si vous voulez continuer...
M. Chris Goddard: Je voulais juste apporter une précision, à savoir que l'interdiction de la carpe asiatique vivante n'est pas un problème commercial. Les États et la province n'interdisent pas la consommation de carpe asiatique, simplement elle doit être transportée soit fraîche soit congelée. On ne dit donc pas qu'elle ne peut être consommée, simplement elle ne peut être transportée vivante.
Le président: Professeur.
Pr Anthony Ricciardi: En réponse à la question sur les synergies, je ne voulais pas en parler car c'est encore une mauvaise nouvelle, mais il apparaît que les espèces envahissantes interagissent avec d'autres facteurs d'agression environnementale--et c'est prouvé--de telle façon qu'il y a ces synergies mettant en jeu un envahisseur particulier et quelque autre stress. Prenez le réchauffement planétaire. Si vous n'étiez pas encore convaincu que le réchauffement planétaire est un problème, j'ai déjà mentionné ce que l'on constate aujourd'hui et qui se répercute sur la pêche sur la côte Atlantique, à savoir la prolifération de l'algue japonaise qui n'aurait pas été possible sans ce curieux petit invertébré qui a également été amené d'Europe dans des eaux de ballast et qui favorise l'algue.
Ce sont les étés inhabituellement chauds qui ont permis à ce petit invertébré de proliférer. Les courants chauds stimulent sa croissance. Il y a des myriades d'autres espèces qui réagissent de la même façon, et ce n'est donc là qu'un exemple parmi d'autres. Il y en a beaucoup, et nous n'avons pas le temps de parler de tous.
Le président: Monsieur Wood.
M. Bob Wood (Nipissing, Lib.): Merci, monsieur le président.
Professeur Ricciardi, vous avez dit dans votre exposé--j'espère avoir bien entendu--que pour ce qui est des espèces végétales aquatiques, un rythme d'invasion lent ne posait pas de problème, parce qu'il n'était pas nécessaire de toutes les enrayer. Pourriez-vous nous en dire plus?
Pr Anthony Ricciardi: Oui.
M. Bob Wood: J'ai peut-être mal saisi, mais--
Pr Anthony Ricciardi: J'ai dit que, face à la preuve théorique que deux espèces envahissantes ou plus peuvent interagir de façon imprévisible et produire des effets synergiques plus grands que la somme de leurs effets séparés, plus vous ajoutez d'espèces, et plus vous obtenez un nombre disproportionnellement grand de synergies possibles. C'est une simple réalité statistique. Si c'est vrai, et ça l'est, alors nous ne pouvons que bénéficier d'une réduction même partielle du rythme auquel nous introduisons de nouvelles espèces dans le système. Ces avantages seront majeurs, car nous aurons empêché toute une diversité de combinaisons de se produire. En d'autres termes, pour une diminution marginale donnée du rythme d'invasion, nous obtenons une diminution beaucoup plus grande de la fréquence et de l'ampleur des synergies qui auraient pu en résulter.
Je dis donc qu'il y a une raison théorique d'escompter un avantage majeur provenant d'une réduction même partielle de la pression d'invasion, c'est-à-dire du nombre d'espèces introduites, même si nous ne parvenons pas à fermer complètement le robinet. C'est donc une réfutation de l'argument voulant qu'il ne servirait à rien d'imposer des mesures coûteuses et d'essayer d'empêcher des invasions si on ne peut pas les arrêter toutes. L'intérêt est réel. Si ce modèle est juste, nous ne pouvons qu'en tirer grand bénéfice.
M. Bob Wood: Merci.
Monsieur Gaden, vous avez parlé de la carpe asiatique et de deux espèces, la carpe argentée et la carpe à grosse tête, que l'on ne rencontre que dans la région de Chicago. Quelle sorte de protection avez-vous mis en place pour éviter que les États-Unis en soient envahis? Je devrais savoir, mais je suis nouveau à ce comité et je l'ignore.
M. Chris Goddard: À l'heure actuelle, la réponse de l'industrie de l'aquaculture dans les États du Sud a été réellement alarmante vu le problème que nous avons avec les trois espèces, car elle a demandé l'importation d'une quatrième espèce, la carpe noire, à des fins similaires.
Ce qui s'est passé, c'est que les États riverains des Grands Lacs et un certain nombre de comités de la Commission des pêcheries des Grands Lacs de l'Ontario ont écrit au gouvernement américain, invoquant ce que l'on appelle la Loi Lacey, qui est une loi de protection du poisson et de la faune, et ont obtenu le classement de la carpe noire comme espèce nuisible. À ce titre, son importation a été interdite. C'est la même loi américaine qui sert à interdire la possession et l'importation du poisson-serpent. On l'a donc classée comme espèce nuisible.
Ce qui est également intéressant, et M. Gaden est mieux au courant que moi, c'est la mesure de protection, sur le plan de l'importation, qui sera apportée par la National Aquatic Invasive Species Act, une loi relative aux espèces aquatiques envahissantes, qui devrait être adoptée ce printemps.
Monsieur Gaden.
 (1225)
M. Marc Gaden (Liaison législative, Commission des pêcheries des Grands Lacs): Cette loi qui va être introduite prochainement aux États-Unis mettra en place un mécanisme d'agrément pour les nouvelles espèces candidates à l'importation. Après une certaine date--spécifiée dans la loi--toutes les espèces importées devront obtenir un agrément. C'est destiné à ajouter une autre strate de protection.
Mme MacDonald a mentionné que beaucoup d'espèces sont introduites au Canada, et dans toute l'Amérique du Nord, dont nous ne savons rien. Avec cette loi, un mécanisme sera mis en place pour y remédier.
M. Chris Goddard: Si je puis ajouter un mot, ce qui est intéressant dans cette loi c'est qu'elle inverse le fardeau de la preuve. La législation américaine actuelle exige que l'État fasse la preuve du caractère nuisible d'une espèce donnée. Ce nouveau mécanisme inverse la tendance.
M. Bob Wood: Si je puis parler de la carpe noire un instant, monsieur, apparemment elle s'est échappée et a gagné le fleuve Mississippi, si j'ai bien compris, vers le milieu des années 90.
M. Chris Goddard: Oui, c'est juste.
M. Bob Wood: On ne l'a jamais revue depuis.
M. Chris Goddard: Oui.
M. Bob Wood: Comment expliquez-vous cela? A-t-elle simplement disparu? Que s'est-il passé? Si elle est apparentée à la carpe asiatique, qu'est-ce qui la différenciait de celle-ci pour qu'elle ne se propage pas?
M. Chris Goddard: Nous pensons que la raison principale est qu'un petit nombre seulement de carpes noires sont arrivées dans la fleuve, en compagnie d'ailleurs de carpes de roseau. Lorsqu'elles se sont échappées dans le Mississippi, elles n'ont pas réussi à s'implanter. La carpe noire, plus récemment, était triploïde. En théorie, elle est stérile.
Mais je signale aussi que la carpe de roseau, qui est une autre petite espèce de carpe asiatique, n'était autorisée qu'à l'état triploïde, c'est-à-dire qu'elle était théoriquement stérile elle aussi. Elle a réussi maintenant à s'établir dans 36 États américains. On ne la trouve pas encore en Ontario.
M. Bob Wood: Me reste-t-il du temps?
Le président: En fait, non. Mais nous aurons plusieurs tours et peu de membres, chacun aura donc sa chance. J'ai moi-même quelques questions.
Monsieur Burton.
M. Andy Burton: Merci, monsieur le président.
Je dois dire que je trouve la discussion très intéressante.
J'ai encore une question pour le professeur Ricciardi, pour ma propre gouverne. Par exemple, la moule zébrée noire est une espèce maritime. Comment fait-elle pour survivre chez nous? Ou bien est-ce que je me trompe? Je pensais qu'une espèce d'eau salée ne pouvait pas survivre en eau douce.
Pr Anthony Ricciardi: La moule zébrée est une espèce d'eau douce; cependant, c'est un organisme de type marin--elle est très proche de la moule bleue que vous commandez au restaurant, par exemple--et elle peut tolérer un certain degré de salinité. Mais c'est une moule d'eau douce.
M. Andy Burton: Je pensais que vous aviez dit qu'elle provenait de la mer Noire.
Pr Anthony Ricciardi: Oui. C'est une bonne remarque. Elle vient de la mer Noire, mais elle vit dans les deltas d'eau douce de la mer Noire. Un certain nombre de cours d'eau se déversent dans la mer Noire, comme le Dnieper, et d'autres fleuves venant de l'Ukraine, par exemple. Ces déversoirs sont l'aire naturelle de la moule zébrée, ainsi que du gobie rond et de diverses autres espèces introduites chez nous au cours des dernières années. On les appelle les espèces ponto-caspiennes car elles font partie de la faune de la mer Noire et de la mer Caspienne.
Pour quelque raison--et là les choses deviennent très techniques et je ne m'y étendrai pas--nous en recevons beaucoup ces derniers temps. Vous avez entendu parler du gobie rond. Peut-être avez-vous aussi entendu parler du gobie de la mer Noire. Vous avez entendu parler de la moule zébrée, et peut-être aussi de sa cousine, la moule quagga. Vous avez peut-être entendu parler d'une crevette d'eau douce envahissante du nom d'Echinogammarus. Vous avez peut-être entendu parler de la puce d'eau à forme d'hameçon. Toutes proviennent du même endroit. Nous recevons beaucoup de ces espèces.
Il y a à cela une bonne raison. Une raison, encore une fois, est une lacune de la réglementation des eaux de ballast. L'échange d'eau de ballast, comme je l'ai dit, est incomplet. Également, on est censé vidanger toute l'eau douce et la remplacer par de l'eau de mer, mais ce n'est pas ce qui se passe. On a donc un mélange. Les espèces qui peuvent tolérer une certaine salinité survivent, et il se produit donc une sélection en faveur de ces espèces. Toutes les espèces qui viennent de la mer Noire peuvent tolérer une certaine salinité, ce qui fait qu'elles arrivent toujours chez nous. Elles passent quand même. Elles exploitent cette faille.
 (1230)
M. Marc Gaden: Il existe aussi des espèces qui prospèrent et dans l'océan et en eau douce. La lamproie de mer en est un bon exemple. C'est une espèce native de l'océan Atlantique. Lorsqu'elle a remonté le Saint-Laurent jusque dans les Grands Lacs, elle a pu y survivre. En fait, la lamproie de mer des Grands Lacs ne retourne jamais migrer en eau salée. Elle a établi domicile en eau douce. Certaines espèces en sont capables.
On a également trouvé quelques espèces dans les Grands Lacs, un poisson européen du type de la limande, qui peut survivre et grandir en eau douce mais non s'y reproduire. On a donc des indices qu'elle se glisse dans les eaux de ballast. Heureusement, ces poissons ne peuvent se reproduire.
Les espèces qui nous inquiètent sont celles qui arrivent dans les eaux de ballast et qui peuvent se reproduire en eau douce. Quelques espèces peuvent passer tout leur cycle de vie en eau douce.
M. Greg Farrant: Pour faire suite à ce que M. Gaden a dit, j'étais à une réunion l'an dernier avec Parcs Canada au sujet de la création d'un parc sur la rive nord du lac Supérieur. L'un des pêcheurs commerciaux qui était là nous a raconté, à notre grande surprise, qu'il prenait de la limande dans ses filets, dans le lac Supérieur.
J'ai réagi comme vous et demandé comment c'était possible. L'adaptabilité de ces espèces, quand on songe qu'elles arrivent par les eaux de lestage, est incroyable. Songez que des poissons normalement associés à des eaux côtières méridionales font soudain leur apparition dans le lac Supérieur... C'est une démonstration frappante du type de synergie dont le professeur a parlé, quand on songe à la manière dont ces choses se produisent et à l'adaptabilité des espèces, qui sont beaucoup plus adaptables que nous, et c'est pourquoi le danger est si grand et que des mesures s'imposent.
M. Chris Goddard: À ce sujet, on trouve des espèces comme la limande européenne et le crabe-mitaine chinois dans tous les Grands Lacs. On nous assure avec certitude que ce sont des espèces marines et qu'elles ne peuvent se reproduire en eau douce.
Il y a une quinzaine d'années, comme M. Provenzano le sait, on a voulu introduire du saumon rose, un saumon du Pacifique, dans la baie d'Hudson et, lors du transport, il y a eu un arrêt à Thunder Bay, sur les Grands Lacs et quelques saumons roses ont été introduits par inadvertance dans le lac Supérieur. Nous, gestionnaires des pêches, n'étions pas du tout inquiets, car évidemment nous savions que le saumon rose ne pouvait pas se reproduire en eau douce. Mais nous avons aujourd'hui des populations de saumon rose bien établies dans tous les Grands Lacs.
M. Andy Burton: Cette question s'adresse probablement à vous tous: quelle recommandation attendez-vous du comité suite à la réunion d'aujourd'hui. Recherchez-vous strictement des fonds, ou bien des modifications législatives? Suffit-il d'augmenter les crédits ou bien faut-il aller plus loin que cela?
Le président: Monsieur Farrant.
M. Greg Farrant: Je pense que c'est une combinaison des deux. Il est facile pour nous de dire qu'il faut plus d'argent. C'est vrai, c'est nécessaire. Il nous faut des crédits pour remplir nos obligations relativement à la lamproie de mer au titre des accords canado-américains. Il nous faut de l'argent pour lancer des programmes nationaux. La proposition d'un programme national de sensibilisation aux espèces envahissantes que nous avons présentée à Environnement Canada prévoit 1,4 million de dollars sur cinq ans ou, comme je l'ai dit au ministre Anderson, ce qu'il dépense en agraphes chaque semaine. Il n'a pas apprécié l'analogie, mais néanmoins...
Mais il n'y a pas que cela. Les témoins de ce matin ont dit qu'il fallait également des mesures législatives. Il faut réglementer. Il faut contrôler. Il faut une coordination entre tous les organismes, que quelqu'un prenne l'initiative de coordonner les données, de coordonner les recherches, de coordonner les efforts de tous ceux qui travaillent sur le terrain. C'est aussi important que de déverser de l'argent sur le problème, car donner de l'argent sans mettre en place les procédures, les priorités et les mécanismes ne va pas régler le problème.
Pr Anthony Ricciardi: Il faut mettre en place peu à peu un plan national. Il faut une législation plus stricte. Un moyen pour cela est de renforcer la législation existante, notamment la Loi sur la marine marchande au Canada. Il faut des centres d'intervention d'urgence afin d'enrayer la propagation d'une espèce exotique avant qu'elle devienne impossible à éradiquer ou qu'elle commence à cause des dégâts. Ce sont des choses minimes, mais rien de cela n'existe jusqu'à présent.
 (1235)
M. Chris Goddard: Je pense qu'il serait bon que le comité appuie la recommandation de la Commission mixte internationale d'étudier les espèces envahissantes et d'harmoniser la réglementation des eaux de lestage entre le Canada et les États-Unis. Je pense que ce serait la première étape. Ensuite, il serait très bon que la Commission se prononce encore une fois très clairement en faveur d'un financement stable par Pêches et Océans de la lutte contre la lamproie de mer dans les Grands Lacs, en inscrivant les crédits voulus dans la base budgétaire A. Ce serait également un catalyseur de la collaboration avec des organisations comme l'OFAH afin de renforcer le contrôle de la lamproie de mer dans les Grands Lacs. Il serait bon que nous ayons le soutien fédéral à une réglementation, peut-être en conjonction avec la CMI, pour stopper l'importation de nouvelles espèces. Nous aimerions un nouvel appui à l'initiative de sensibilisation de l'Ontario Federation of Anglers and Hunters.
Le président: Quelle bonne question et quelle excellente réponse à cette question.
Monsieur Provenzano.
M. Carmen Provenzano: J'aimerais revenir sur l'appui au programme de sensibilisation de l'Ontario Federation of Anglers and Hunters. Ma question s'adresse à Francine MacDonald. J'ai cru comprendre que les États-Unis ont un programme de sensibilisation public assez efficace et que le Canada ne fait pas grand-chose dans ce domaine. Vous avez ensuite fait un exposé au nom de l'Ontario Federation of Anglers and Hunters et j'ai cru y entendre que vous avez un programme de sensibilisation aux espèces envahissantes très efficace. Il semblait mettre en jeu quantité d'acteurs et être plutôt exhaustif. J'ai cru comprendre aussi qu'il donnait de bons résultats.
J'ai deux questions. Premièrement, avez-vous bénéficié d'une contribution fédérale ou provinciale à votre programme? Si oui, est-elle adéquate ou non. Deuxièmement, dans la mesure où vous pensez que votre propre programme pourrait être amélioré, dans quel domaine serait-ce et que vous faudrait-il pour cela?
Mme Francine MacDonald: Notre programme a certainement très bien marché, mais nous n'étions pas seuls pour l'exécuter, nous avions l'aide de partenaires. Notre budget est probablement de 50 000 $ par an pour ces initiatives. L'État du Minnesota, pour sa part, dépense environ 1,5 million de dollars pour la sensibilisation. Je pense que nous faisons un bon travail en ce moment, mais nous pourrions faire beaucoup plus avec davantage de ressources. Le ministère des Ressources naturelles nous accorde une petite aide de 20 000 $ par an. Nous n'avons pas reçu d'aide fédérale ces derniers temps pour nos initiatives. Pour le programme ontarien des Grands Lacs, nous demandons environ 350 000 $ par an.
M. Carmen Provenzano: Si vous aviez l'argent, qu'en feriez-vous?
Mme Francine MacDonald: Il faut un programme de communications médiatiques à grande échelle. Nous aimerions diffuser à la télévision et à la radio des annonces de service public concernant les espèces exotiques. C'est la bonne façon de sensibiliser le grand public à ce problème. Actuellement, ce dernier reste mal connu. Les gens ne connaissent pas l'effet des espèces exotiques sur nos écosystèmes et il faut y remédier. Nous aimerions voir des affiches le long de toutes les autoroutes, afin que les propriétaires de résidences secondaires, les pêcheurs et les plaisanciers reçoivent le message de cette façon. Nous avons toutes sortes d'idées, c'est l'argent qui manque.
M. Greg Farrant: J'aimerais ajouter un mot à ce que Mme MacDonald a dit.
Nous, à l'OFAH, sommes également à la tête d'un groupe appelé Coalition nationale des fédérations provinciales et terrotoriales de la faune, c'est-à-dire un regroupement de toutes ces fédérations. À ce titre, nous pourrions offrir des programmes d'éducation et de sensibilisation dans toutes les provinces et tous les territoires du pays sur une période de cinq ans, par l'intermédiaire des fédérations affiliées des autres provinces avec lesquelles nous collaborons étroitement. Pour un coût très minime, nous pourrions mener une très large action de sensibilisation et d'éducation du public. Nous élaborerions les stratégies chez nous et les autres fédérations les exécuteraient et nous aideraient à isoler les problèmes qui sont particulièrement importants pour elles.
Par exemple, la B.C. Wildlife Federation nous a longuement parlé de la pisciculture du saumon qui a de nouveau fait la manchette des journaux la semaine dernière avec les problèmes qu'elle engendre dans les cours d'eau. Avec un tout petit montant, nous pourrions mettre au point quelque chose que la fédération pourrait diffuser à l'échelle de la province concernant les problèmes spécifiques causés aux espèces indigènes en Colombie-Britannique.
 (1240)
M. Carmen Provenzano: Nous avons des règles facultatives concernant l'échange ou le remplacement de l'eau de lestage. Avez-vous connaissance de programmes--et feraient-ils une différence le cas échéant--s'adressant au secteur du transport maritime? Nous n'avons pas de législation contraignante. Existe-t-il des programmes qui cherchent à sensibiliser les transporteurs maritimes aux effets potentiels de l'absence d'échange de l'eau de lestage avant que les navires entrent dans nos écosystèmes?
Mme Francine MacDonald: Le secteur du transport maritime est très conscient de son rôle dans l'introduction des espèces exotiques. Il existe un groupe de travail national sur l'eau de lestage, ainsi que des groupes de travail régionaux, coordonnés par le ministère des Pêches et Océans et Transports Canada. Il serait certainement bon d'appuyer la recherche sur les technologies de traitement des eaux de lestage. Je ne pense pas que le gouvernement fédéral contribue quoi que ce soit, même pas un soutien minime, aux technologies de traitement. C'est certainement une lacune majeure à laquelle il faudrait remédier.
Le président: Merci, monsieur Provenzano.
Monsieur Stoffer.
M. Peter Stoffer: Merci beaucoup.
Quel rôle jouent les groupes et collectivités autochtones dans les efforts dont vous faites état?
Je remarque par ailleurs que nul encore n'est venu dire: nous nous en chargeons, nous serons l'autorité centrale, donnez-nous le financement et nous organiserons et nous nous occuperons de tout. Je songe à la Commission des pêcheries des Grands Lacs, présidée par M. Herb Gray, que l'on va honorer ce soir avec un banquet--un honneur tout à fait mérité.
Est-ce que votre organisation pourrait prendre la tête du mouvement, avec un financement approprié? Faudrait-il que ce soit une initiative canadienne, coordonnée avec une action américaine, ou bien faudra-t-il que ce soit une initiative commune, car nous savons que les Grands Lacs enjambent la frontière?
M. Chris Goddard: Tout d'abord, pour ce qui est de la gestion de la pêche et du contrôle de la lamproie de mer, nous travaillons en collaboration très étroite avec les groupes tribaux des deux côtés de la frontière. J'ai parlé tout à l'heure d'un plan stratégique conjoint de gestion de la pêche dans les Grands Lacs et deux tribus du côté américain en sont signataires et possèdent un pouvoir de gestion dans les Grands Lacs. Le rapport est très précieux, sur le plan de l'évaluation de la pêche et elles collaborent très étroitement avec nous dans la lutte contre la lamproie de mer. De fait, ce sont elles qui effectuent pour nous un certain nombre d'évaluations.
Sur le plan de la gestion de la pêche, par le biais de ce plan stratégique conjoint, un certain nombre de bases de données sur la pêche sont tenues à jour conjointement pour chaque lac. Le succès de la gestion de la pêche dans les Grands Lacs tient au fait que chaque État et chaque province participent au programme d'évaluation et à la collecte des données. Les données sont détenues et analysées centralement, ce qui évite les contestations sur l'état des stocks de poisson au moment d'attribuer les quotas aux pêcheries commerciales ou récréatives.
Ces données existent donc pour la pêche. Pour ce qui est des autres bases de données scientifiques dont parlait le professeur Ricciardi, à ma connaissance il n'en existe pas et je pense que la Commission mixte internationale de M. Gray serait bien placée pour les abriter.
M. Peter Stoffer: Rectifiez si je me trompe, mais on nous a dit qu'il faudrait une sorte de centre d'intervention d'urgence dans ce domaine. Il faudrait également un effort coordonné avec les groupes communautaires. Il faudrait un effort coordonné avec les groupes internationaux, les milieux scientifiques et les groupes de pêcheurs. Si nous formulions une recommandation au gouvernement en ce sens, quel devrait être cet organisme central? Serait-ce Environnement Canada, serait-ce Transports Canada, serait-ce la province de l'Ontario, ou bien uniquement le gouvernement fédéral par le biais du ministère des Pêches et Océans? Quel organisme devrait se charger de ce rôle, car si nous formulons simplement une recommandation disant que le gouvernement devrait s'en occuper, sans autre précision, nous n'aboutirons jamais.
Nous devons faire une recommandation précise. Selon votre expérience, où devrait être situé le centre de commandement et qui devrait en être chargé?
 (1245)
M. Chris Goddard: Je ne cherche pas à botter en touche mais c'est l'une des questions dont la Commission mixte internationale veut justement traiter dans son étude. Je préconiserais donc de laisser la CMI formuler sa recommandation aux deux gouvernements et de l'appuyer.
M. Peter Stoffer: Pour conclure, j'aimerais simplement vous remercier personnellement de votre exposé. Il était très bien fait.
Le président: Merci.
Je veux dire tout d'abord combien j'ai été impressionné par la qualité du témoignage de chacun et je veux particulièrement féliciter l'Ontario Federation of Anglers and Hunters. Je suis étonné de voir à quel point les organisations bénévoles retroussent les manches et comblent le vide et font un travail fantastique pour combattre des problèmes qui autrement resteraient négligés. Acceptez mes sincères félicitations.
Cela dit, il me semble que l'argent est le nerf de la guerre, comme nous le savons tous, et une façon, je pense, de convaincre les gouvernements de l'importance de ces questions, indépendamment de l'optique environnementale, c'est d'attirer l'attention sur les effets économiques.
Je vais adresser ma question à M. Goddard, même si l'exposé de l'Ontario Federation of Anglers and Hunters en fait état. J'aimerais essayer de situer l'importance économique. Par exemple, la pêche dans les Grands Lacs, nous dit la fédération, vaut 4 milliards de dollars par an. S'agit-il là de la pêche des deux côtés de la frontière ou uniquement de la partie canadienne? Si la partie canadienne n'y est pas comprise, que vaut cette dernière?
De même, dans l'exposé, on nous dit que la pêche récréative vaut 2 milliards de dollars. Je suppose que ces 2 milliards de dollars sont englobés dans les 4 milliards de dollars. Si je me trompe, dites-le.
Nos chargés de recherche nous ont remis une analyse où je lis:
Le commerce annuel dépasse 180 millions de tonnes métriques, réparties entre 145 ports et terminaux du basin, et apporte quelque 3 milliards de dollars par an et environ 17 000 emplois à l'économie canadienne. |
La pêche commerciale dans les Grands Lacs est l'une des plus grosses pêcheries en eau douce du monde. Au Canada, la prise débarquée représente une valeur annuelle de 45 millions de dollars et elle contribue 100 millions de dollars à l'économie canadienne. La pêche récréative représente encore 350 millions de dollars, soit une contribution totale de la pêche dans les Grands Lacs de 450 millions de dollars à l'économie canadienne. |
Étant donné ces chiffres, pourriez-vous clarifier ce qu'il en est pour le côté canadien?
M. Chris Goddard: Oui, monsieur. Sachez que le chiffre de 4 milliards de dollars employé concerne l'ensemble des Grands Lacs. S'il fallait le ventiler entre les deux pays, le meilleur étalon serait la superficie des plans d'eau appartenant à chaque pays, c'est-à-dire environ 69 p. 100 pour le côté américain et 31 p. 100 pour le côté canadien. Donc, la plus grande part de la valeur économique totale de 4 milliards de dollars de la pêche intéresse le côté américain.
Un autre chiffre qui a pu être calculé est que la pêche--c'est-à-dire le total de la pêche commerciale et récréative et du tourisme--engendre quelque 75 000 emplois dans tout le bassin des Grands Lacs.
Le président: Combien sont situés au Canada?
M. Chris Goddard: Je ne connais pas ce chiffre, monsieur.
Le président: Quelqu'un le connaît-il? Où pourrais-je trouver le renseignement, à votre avis?
M. Chris Goddard: Je ne peux répondre à cette question.
Le président: C'est dont en gros 75 000 emplois et l'industrie représente globalement 4 milliards de dollars, la pêche récréative comprise?
 (1250)
M. Chris Goddard: Oui, monsieur.
Pour ce qui est de la pêche commerciale, vous avez indiqué que c'est l'une des plus grandes pêcheries en eau douce du monde. C'est clairement la pêcherie en eau douce la plus précieuse du monde. C'est déjà le cas du seul lac Érié. La plus grande pêcherie en eau douce du monde en termes de volume est celle du lac Victoria, en Afrique.
Le président: Qu'entendez-vous par «la plus précieuse»?
M. Chris Goddard: La vente du poisson pêché au Canada dégage plus de revenus que la vente du poisson pêché dans le lac Victoria.
Le président: Je vois. D'accord.
Quelqu'un d'autre souhaite-t-il intervenir à ce sujet?
Monsieur Brown, vous n'avez pas encore parlé, alors vous avez la parole.
M. Dave Brown (biologiste des pêches, Ontario Federation of Anglers and Hunters): Je voulais préciser que le chiffre de 2 milliards de dollars que représente la pêche récréative est le total pour toute la pêche récréative en eaux intérieures de l'Ontario.
Ce chiffre provient de l'enquête sur la pêche à la ligne de l'an 2000 du MPO.
Le président: Mais cela n'englobe pas les Grands Lacs.
M. Dave Brown: Non.
Le président: Professeur.
Pr Anthony Ricciardi: Pour ce qui est du coût des envahisseurs, non seulement aquatiques mais aussi terrestres, je peux vous envoyer un rapport non publié commandé par le vérificateur général. Il a été rédigé par mes collègues de l'Université de Windsor qui ont compilé tous les coûts, et je pense que cela intéresserait le comité.
Si vous me donnez votre adresse de courriel, je vous le ferai parvenir.
Le président: Vous pouvez l'envoyer directement à notre greffier qui le distribuera à tout le monde.
Eh bien, c'était tout à fait fascinant. Nous avons beaucoup apprécié votre comparution et vos témoignages. Merci beaucoup.
La séance est levée.