CIIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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CANADA
Comité permanent du commerce international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 24 mars 2009
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Je déclare la dixième séance du Comité permanent du commerce international ouverte.
Aujourd'hui, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, étude du Chapitre 11 de l'Accord de libre-échange nord-américain, ou ALENA, nous recevons Steven, avocat-conseil du Conseil des Canadiens, et Hugo Séguin, coordonnateur aux choix collectifs chez Équiterre, de même que William Amos, leur avocat.
Nous allons commencer par les déclarations préliminaires de M. Shrybman, puis de M. Séguin. Si vous êtes prêts, nous allons débuter. Viendront ensuite selon le format habituel, les questions.
Allez-y, monsieur Shrybman.
Merci beaucoup, monsieur le président, et bonjour à tous les membres du comité.
Je suis associé du cabinet d'avocats Sack Glodblatt Mitchell. Je siège au conseil d'administration du Conseil des Canadiens, lequel j'ai représenté dans le cadre de plus d'un différend opposant un investisseur et un État aux termes du Chapitre 11 de l'ALENA. Comme vous le savez, l'affaire Dow Chemical, qui vous intéresse, relève de ce chapitre.
Je ne suis pas ici pour discuter de l'affaire, mais plutôt pour vous expliquer le mécanisme de règlement des différends, afin que vous soyez en mesure d'étudier l'affaire Dow Chemical. Je ferai également référence à certains autres cas de nature environnementale visés par cet extraordinaire mécanisme de résolution des différends prévu au Chapitre 11 de l'ALENA. Comme je n'ai que 10 minutes, je vais procéder rapidement, sans trop entrer dans les détails.
En vertu du Chapitre 11 de l'ALENA, des intérêts privés — des investisseurs et des entreprises — des autres parties à l'ALENA, soit les États-Unis et le Mexique, peuvent présenter une demande de dommages-intérêts pour toute violation présumée. Nous allons étudier le cas d'une revendication contre le Canada — où un gouvernement canadien, qu'il s'agisse du gouvernement fédéral, d'une province ou d'une administration municipale —, découlant d'une mesure prise par le gouvernement en question que l'investisseur privé ou l'entreprise américaine, par exemple, considère une violation des contraintes vagues et mal définies du Chapitre 11.
Mes collègues se pencheront sur les règles. Je me limiterai à décrire le mécanisme et son utilisation jusqu'à présent.
Pratiquement toutes les entreprises américaines ont le droit de déposer une plainte si elles disposent d'un investissement au Canada. La barre est beaucoup trop basse. Il suffit de détenir des actions d'une entreprise canadienne pour pouvoir déposer une plainte. La seule mesure prise par un gouvernement canadien — les politiques, lois, programmes et pratiques sont considérés comme des mesures — qui ne soit pas visée par le Chapitre 11 sont celles prises en vertu de la Loi sur Investissement Canada. Tout le reste est couvert. Certaines exceptions peuvent s'appliquer aux soins de santé, mais ça ne vous empêche pas de vous plaindre de la violation des règles de l'ALENA par une province empêchant la prestation de soins de santé privés. On peut soutenir qu'une telle mesure est exemptée, mais les parties ont tout de même droit à une audience devant un tribunal.
Les arbitres du tribunal sont nommés par les parties: l'un par l'investisseur contestant, l'autre par le Canada, et le troisième par entente entre les parties. C'est le tribunal ainsi formé qui décidera si une mesure gouvernementale enfreint les règles de l'ALENA. En général, les différends sont entendus à l'extérieur du Canada. Par exemple, nous avons participé, en tant qu'intervenants, à une affaire concernant UPS. L'entreprise a déposé une plainte contre le Canada en raison des activités de Postes Canada. L'affaire a été entendue à l'administration centrale de la Banque mondiale, à Washington.
On se retrouve donc devant un tribunal presque privé qui devra se prononcer sur la validité d'une mesure prise par un gouvernement canadien, qui par ailleurs est légitime et constitutionnel. Souvent, le tribunal siège à l'extérieur du pays, en général à l'administration centrale de la Banque mondiale à Washington, tout simplement parce que c'est pratique et souvent le lieu choisi pour l'arbitrage de ces différends.
Voilà donc, en gros, le mécanisme. La possibilité d'obtenir une révision judiciaire d'une décision arbitrale est faible. En outre, un tel contrôle doit être effectué dans l'administration où la décision a été rendue. Dans le cas de la revendication d'UPS, par exemple, il s'agissait des États-Unis.
Si le tribunal avait conclu et que la législation postale canadienne était contraire à l'ALENA — ça n'a pas été le cas, heureusement —, il nous aurait fallu en appeler devant une cour américaine pour contester cette décision. C'est une des idiosyncrasies du système, mais ça montre bien à quel point le mécanisme est soustrait non seulement à l'examen parlementaire mais également au contrôle judiciaire.
Les lois environnementales sont devenues la cible préférée de ce mécanisme. Plusieurs lois environnementales, dont des lois canadiennes, ont été contestées. La société Ethyl a été l'instigatrice de l'une de ces contestations. La réglementation fédérale limitant l'utilisation d'un additif toxique pour le carburant ne lui a pas plu. Dans le cadre d'un règlement, le Canada a versé 19 millions de dollars à la société pour compenser ses frais juridiques. Le Canada a annulé son règlement avant même que l'affaire soit portée devant les tribunaux.
Il y a aussi l'affaire S.D. Myers. Le Canada a interdit l'exportation aux États-Unis de résidus de BPC comme il serait tenu de le faire en vertu de la Convention de Bâle. Le tribunal a rendu une décision défavorable au Canada et lui a ordonné de payer neuf millions de dollars en dédommagement à cette entreprise américaine de gestion des déchets dangereux.
Je pourrais vous donner en exemple plusieurs autres affaires semblables. On peut les consulter sur différents sites Web. Un bon nombre de ces affaires sont de nature environnementale, mais il y a deux affaires en instance actuellement qui ne visent pas du tout des lois environnementales et qui revêtent cependant une grande importance pour l'avenir de notre pays. La société Merril & Ring a lancé une procédure dans le but d'obtenir l'annulation de l'interdiction visant les exportations de grumes brutes qui existent tant au palier fédéral qu'au palier provincial au Canada. Si ce n'était du fait qu'il existe des contrôles visant les exportations de grumes brutes, l'industrie papetière n'existerait pas au Canada. Ce différend est passé presque inaperçu jusqu'à maintenant, et je doute que beaucoup de membres du comité en aient déjà entendu parler.
Une autre société américaine du domaine de la santé a intenté une poursuite de 160 millions de dollars contre le Canada. Quel est l'objet de la poursuite? La société soutient qu'on l'a empêchée d'ouvrir des cliniques de santé privées au Canada et que cela va à l'encontre des droits d'investissement prévus au Chapitre 11.
Ces affaires vous donnent une idée de la très grande importance des questions de politique publique qui font l'objet de contestations par l'entremise d'un mécanisme qui a été créé pour régler des différends privés, et non des différends publics, et qui ne comportent pas une dimension publique ou sociétale plus large. Dans le cadre de l'ALENA, nous avons permis que ce mécanisme de règlement des différends privés, qui devait servir à régler des différends de nature commerciale, soit utilisé pour régler des différends portant sur des politiques publiques de portée générale et sur des lois.
Je conclurai en disant que si l'on a accordé passablement d'attention au Chapitre 11, on a accordé beaucoup moins d'attention aux efforts déployés pour mettre sur pied un mécanisme de règlement des différends semblable dans le cadre des accords interprovinciaux portant sur le commerce, les investissements et la mobilité de la main-d'oeuvre. L'accord qui a été conclu entre a Colombie-Britannique et l'Alberta, dont la date d'entrée en vigueur est le 1er avril 2009, crée ce genre de mécanisme. L'entente sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'oeuvre comporte exactement ce type de mécanisme de règlement des différends. En vertu de ce mécanisme, un investisseur privé en Alberta ou en Colombie-Britannique peut contester une mesure prise par le gouvernement de l'autre province ou par une municipalité ou même un conseil scolaire. Même si la mesure prise par le conseil scolaire, par exemple, était légale et appropriée, elle peut être contestée si elle viole les grands principes de l'accord sur la mobilité. Cet aspect de l'entente est passé tellement inaperçu que je douterais que vous soyez nombreux à en avoir entendu parler. Ce mécanisme est cependant en place.
Les ministres du Commerce du Canada et des provinces ont signé un accord en décembre dernier en vue d'élargir le mécanisme de règlement des différends que prévoit l'Accord sur le commerce intérieur. Ils n'ont pas rendu cette modification publique. Je ne sais pas si vous l'avez vue. Je voudrais beaucoup la voir. Les fonctionnaires fédéraux du ministère du Commerce auxquels je me suis adressé m'ont dit que cet accord serait rendu public une fois qu'il serait ratifié.
Si vous avez des préoccupations à l'heure actuelle à l'égard du système de règlement des différends, j'attire simplement votre attention sur le fait que l'on cherche actuellement à inclure ce même type de mécanisme dans les accords interprovinciaux canadiens. À mon avis, le mécanisme est inconstitutionnel. Je ne pourrai cependant m'étendre plus longuement sur ce sujet aujourd'hui.
Je terminerai donc sur cette idée provocatrice sur laquelle j'espère que vous me poserez des questions.
Je vous remercie. Je crois que mes 10 minutes sont écoulées.
[Français]
Bonjour, monsieur le président et messieurs les membres du comité.
Mon nom est Hugo Séguin. Je suis coordonnateur du dossier des choix collectifs pour l'organisme Équiterre, basé à Montréal et actif depuis 1993 face aux enjeux et aux solutions concrètes relativement aux problèmes de développement durable. Nous travaillons particulièrement sur des enjeux liés à l'agriculture, à l'énergie, au transport, au commerce équitable et aussi aux changements climatiques. Le dossier des pesticides, que nous traitons déjà depuis quelques années, représente également un dossier important chez nous.
Je suis accompagné ce matin de deux analystes, une de la Fondation David Suzuki et une autre de l'organisme Équiterre, que je représente, et aussi de Me William Amos, de l'organisation Ecojustice Canada, qui représente à la fois Équiterre et la Fondation David Suzuki dans cette cause.
Mon rôle sera de vous présenter, en quelques minutes, le fond du litige qui nous apparaît extrêmement important parce qu'il se situe à la jonction de deux enjeux importants de gouvernance pour le Canada: d'un côté, l'obligation de respecter les traités commerciaux internationaux que le Canada a signés dans le passé, dont l'ALENA; de l'autre côté, l'obligation du gouvernement du Canada de protéger la santé publique, notamment la santé des enfants.
Le 25 août dernier, la compagnie Dow AgroSciences a fait connaître son intention de contester devant l'ALENA l'application du Code de gestion des pesticides du Québec, et en particulier l'interdiction de l'ingrédient actif 2,4-D, qui est utilisé comme ingrédient de synthèse dans des pesticides qu'on peut acheter sur le marché, notamment à des fins esthétiques d'entretien des pelouses. La compagnie Dow allègue que cette interdiction viole certaines dispositions contenues dans le chapitre 11 de l'Accord de libre-échange nord-américain. Le gouvernement du Québec, qui dispose de la compétence constitutionnelle pour intervenir dans le domaine de la vente et de l'utilisation des pesticides, invoque quant à lui l'importance de protéger la santé publique. C'est en fonction de cet objectif qu'il interdit un certain nombre d'éléments actifs qui entrent dans la composition des pesticides.
Le Code de gestion des pesticides du Québec est en vigueur depuis 2003. L'interdiction de 20 ingrédients actifs dans les pesticides est en application depuis 2006. Par exemple, le Code de gestion des pesticides s'applique à des zones gazonnées, notamment des zones utilisées plus fréquemment par des enfants. Les études de santé publique semblent démontrer que les enfants sont exposés à davantage de risques pour leur santé lorsqu'ils jouent dans des parcs, dans des cours d'école ou dans des cours de garderie. C'est sur cette base que le Québec a justifié son action. Soit dit en passant, le Québec n'est pas la seule instance dans le monde à interdire le 2,4-D ou un certain nombre de pesticides. C'est aussi le cas de la Norvège, du Danemark, de la Suède et de l'Ontario, où un certain nombre de pesticides sont maintenant interdits, dont le 2,4-D.
Comme toutes les autorités que je viens de mentionner, le Québec fonde son intervention sur l'application du principe de précaution, qui implique qu'en l'absence de certitude scientifique quant à la toxicité des pesticides, il faut faire preuve de prudence dans leur utilisation. C'est la base même du principe de précaution.
Selon le gouvernement du Québec, les pesticides utilisés à des fins esthétiques peuvent en effet présenter des risques pour la santé humaine, et notamment pour la santé des enfants. Selon le gouvernement du Québec, ceux-ci « sont particulièrement vulnérables aux effets nocifs des pesticides [...] en raison de leurs comportements (par exemple, tendance à porter des objets à la bouche) », surtout quand ils jouent sur des surfaces gazonnées où l'on a étendu des pesticides. En outre, « on soupçonne plusieurs pesticides, dont certains sont couramment appliqués sur les surfaces gazonnées, de produire des effets à plus long terme sur la santé, soit d’être cancérigènes ou de provoquer des dérèglements des systèmes reproducteur, endocrinien, immunitaire ou nerveux ».
Dans le cas précis du 2,4-D, l'Institut national de santé publique du Québec s'est prononcé à deux reprises sur la question et a recommandé au gouvernement du Québec d'interdire l'élément actif 2,4-D en invoquant le principe de précaution. L'Institut national de santé publique est le conseiller principal du gouvernement du Québec à propos des enjeux liés à la santé publique. D'ailleurs, les recommandations de l'Institut national de santé publique s'appuient aussi sur des études réalisées par le Centre international de recherche sur le cancer, qui relève de l'Organisation mondiale de la santé, lesquelles classent la famille entière d'éléments actifs appelés herbicides chlorophénoxylés, dont fait partie le 2,4-D, comme potentiellement cancérigène pour l'homme.
À la suite des démarches entreprises par la compagnie Dow le 25 août dernier, Équiterre et un certain nombre de partenaires ont procédé à une mobilisation au sein de la société civile canadienne et québécoise. À l'heure actuelle, une centaine d'organisations et de personnalités, soit nationales, soit internationales, appuient notre démarche qui consiste à demander au gouvernement fédéral de protéger l'intégrité du Code de gestion des pesticides au Québec. Une lettre a d'ailleurs été envoyée à cet effet au ministre du Commerce international, M. Stockwell Day, pour l'encourager à faire en sorte que le Canada intervienne de façon énergique devant un éventuel panel de l'ALENA au sujet de la protection de la santé publique.
En conclusion, nous profitons de l'occasion qui nous est offerte ce matin pour vous faire part de trois recommandations que nous adressons au gouvernement du Canada.
Pour ce qui est de la première, nous considérons que le gouvernement fédéral doit défendre énergiquement devant l'ALENA l'interdiction de l'herbicide 2,4-D adoptée par le Québec. De plus, le ministre fédéral du Commerce international doit immédiatement faire connaître publiquement la position du Canada dans cette affaire et reconnaître le principe de précaution qui est à la base même des mesures adoptées par le gouvernement du Québec et, maintenant, par celui de l'Ontario.
En ce qui a trait à la deuxième recommandation, nous croyons que le gouvernement fédéral devrait déclarer que les normes réglementaires non discriminatoires élaborées en conformité avec l'application de la loi et dans l'intérêt du public ne constituent pas, au sens du droit international, des expropriations ou un traitement injuste. En conséquence, ces normes réglementaires ne sont sujettes à aucune indemnisation.
Finalement, le gouvernement fédéral doit voir à ce que le principe de précaution soit appliqué de façon plus stricte lorsque lui-même, en tant que gouvernement, procède à l'évaluation des risques posés par les pesticides.
Je cède maintenant la parole à Me Amos, qui couvrira certains enjeux soulevés par ce dossier en regard des règles commerciales de l'ALENA.
[Traduction]
Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que les membres du comité.
Si l'on me permettait de cinq à sept minutes de plus — et je sais que je dépasserais ainsi les 10 minutes qui me sont allouées —, je crois que nous pourrions discuter plus à fond de l'affaire elle-même.
Je vous remercie.
Je m'appelle Will Amos. Je suis avocat salarié et professeur à temps partiel à l'Université d'Ottawa, à la clinique de droit environnemental Écojustice. Écojustice est le plus important organisme de droit environnemental à but non lucratif du Canada. Nous sommes surtout connus pour notre travail dans le domaine des poursuites et pour notre travail de réforme du droit visant à protéger le droit des Canadiens à vivre dans un environnement sain. C'est dans ce contexte que je situe mon travail d'avocat auprès d'Équiterre et auprès de la Fondation David Suzuki.
J'aimerais d'abord féliciter le comité de tenir cette audience. Il est vraiment important que les différends découlant de l'application du chapitre 11 de l'ALENA soient considérés comme des questions d'importance publique et des questions de réglementation publique et qu'ils fassent l'objet d'un examen par les élus. Vous avez certainement un rôle légitime à jouer dans le cadre de ce différend.
Je voudrais d'abord vous faire un bref historique de ce différend, vous expliquer les diverses mesures qui ont été prises ainsi que le dénouement possible de cette affaire.
Le 25 août 2008, un avis d'intention de recourir à l'arbitrage a été déposé. C'est la première mesure que Dow AgroSciences pouvait prendre. Dans cet avis, la société indiquait qu'elle comptait réclamer deux millions de dollars en dédommagement du Canada ainsi que des dommages supplémentaires pour perte de profits à l'issue de la décision prise par le gouvernement du Québec d'interdire l'utilisation du pesticide esthétique 2,4-D. La réclamation a été présentée aux termes des articles 1105 et 1110 du chapitre 11 de l'ALENA. L'article 1105 précise le traitement minimal auquel ont droit les investisseurs, notamment un traitement juste et équitable conformément au droit international, et l'article 1110 traite de l'expropriation ou des mesures analogues à l'expropriation.
Dow allègue que l'interdiction ne se fondait pas sur des raisons scientifiques. La société conteste les risques de cancer associés à l'utilisation du 2,4-D. Selon elle, l'interdiction aurait dû être annulée parce qu'elle est arbitraire, non pertinente et injuste. Comme la société Dow ne fait pas des allégations de protectionnisme commercial, l'affaire semble à première vue porter seulement sur une question de procédure. Elle porte sur l'interdiction décidée par le Québec et sur la procédure suivie à cet égard. Le différend se distingue donc des différends antérieurs portant sur le chapitre 11, et en particulier des différends mettant en cause S.D. Myers et la société Ethyl, dans le cadre desquels des allégations de protectionnisme commercial et de motifs cachés avaient été faites à l'encontre du gouvernement du Canada. Dans ce différend, il n'y aurait pas de motifs cachés. Il semblerait que Dow soit partie du principe que le motif du gouvernement était de protéger la santé publique et l'environnement. La société conteste seulement la façon dont le Québec s'y est pris.
Après le dépôt de l'avis d'intention, il y a eu une période de réflexion de 90 jours. Après l'expiration de ce délai, Dow pouvait présenter son avis d'intention de recourir à l'arbitrage, ce qui aurait déclenché tout le processus, y compris la nomination des arbitres. Comme la société n'a pas encore présenté cet avis, nous ne pouvons pour l'instant qu'attendre la suite des événements. D'après le document qu'a déposé le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international en prévision de cette audience, des consultations auraient eu lieu en janvier. Nous ne savons pas quelle en a été l'issue ni si des négociations en vue d'un règlement sont en cours. La société civile attend le dépôt de l'avis d'intention de recourir à l'arbitrage et attend le début du processus.
J'aimerais maintenant vous faire part de quelques préoccupations très simples pour insister ensuite sur ce qui me semble être le coeur du problème.
Quant à nos principales préoccupations, l'une d'entre elles est le fait que même lorsqu'une réglementation d'intérêt public est contestée par des investisseurs qui ont le droit de le faire, il peut être très difficile pour la société civile de participer au processus. Quand il s'agit d'une affaire qui met en cause la santé publique et la protection de l'environnement, la société civile devrait n'avoir aucun mal à présenter son point de vue. Or, même si l'arbitrage va de l'avant, mon client ne pourra au mieux que présenter un mémoire de 20 pages à des arbitres qui ne siégeront peut-être même pas au Canada. II est également possible que les investisseurs demandent à ce que les audiences aient lieu à huis clos, ce qui ferait qu'il nous serait encore plus difficile de comprendre les motifs invoqués pour justifier la contestation et nous ne pourrions pas faire de plaidoyers devant le tribunal. Ce n'est absolument pas de cette façon que cela se passe à la Cour suprême du Canada qui peut autoriser un intervenant à présenter son point de vue lorsque cela est dans l'intérêt du public et lorsque cela peut être utile à la cour. Nous n'aurons pas cette possibilité devant le groupe d'arbitrage parce qu'il ne disposera pas de ce pouvoir.
Deuxièmement, comme l'a dit, je crois, mon collègue Steven Shrybman, le chapitre 11 de l'ALENA crée un déséquilibre entre la protection des investisseurs et le devoir souverain des parties de protéger l'environnement et la santé publique. Au fil des ans, une série de plaintes ont été déposées par des investisseurs de chacune des parties de l'ALENA. On y alléguait que certaines mesures nationales de protection de l'environnement ou de la santé publique entraient en conflit avec les dispositions du chapitre 11. Bien que les décisions récentes des tribunaux, comme la décision Methanex, sont meilleures que les précédentes, certaines décisions antérieures, comme la décision Metalclad, ont été plutôt sévères. L'incertitude qu'engendrent ces poursuites — ne serait-ce que l'avis d'intention — se ressent dans les autres provinces et municipalités.
Je ne veux pas être trop négatif, mais la réalité, c'est que les provinces et les municipalités n'osent pas adopter des mesures réglementaires comme des interdictions de pesticides parce qu'elles ne veulent pas risquer une poursuite en vertu du chapitre 11 de l'ALENA. Le gouvernement du Canada subit incontestablement les mêmes restrictions. Malgré le risque juridique sous-jacent, nous sommes ravis que l'Ontario ait interdit les pesticides à la suite du Québec, et nous espérons que d'autres provinces se joindront à elles.
J'aimerais maintenant passer à nos deux recommandations. D'abord, nous recommandons que le gouvernement fédéral défende énergiquement l'interdiction de l'herbicide 2,4-D adoptée par le Québec, si Dow demande l'arbitrage. Le ministre fédéral du Commerce international doit immédiatement annoncer publiquement la position du Canada en cette matière et reconnaître le principe de précaution qui est à la base des mesures adoptées par le gouvernement québécois. Nous souhaitons également que le gouvernement fédéral adopte la position suivante: les normes réglementaires non discriminatoires, élaborées en conformité avec l'application régulière de la loi et dans l'intérêt public, ne constituent pas, au sens de la loi internationale, des expropriations ou une violation de la règle de la norme minimale de traitement. Par conséquent, ces normes réglementaires ne devraient pas donner lieu à une indemnisation.
L'une des questions les plus controversées que soulève cette poursuite consiste à distinguer un règlement valable qui ne donne pas droit à une indemnisation et l'expropriation directe ou indirecte qui devrait donner droit à une indemnisation. Dow fait valoir que l'interdiction représente une expropriation donnant droit à une indemnisation. Si la poursuite va plus loin, nous ferons valoir — et nous pensons que le Canada devrait adopter la même position — que l'interdiction du Québec découle d'un règlement d'intérêt public non indemnisable. À notre avis, la dernière décision relative au chapitre 11 de l'ALENA, dans l'affaire Methanex, va dans ce sens. Je vais citer cette décision:
En ce qui concerne le droit international général, une mesure non discriminatoire prise par voies légales à des fins d'intérêt public et qui affecte inter alios un investisseur ou un investissement étranger n'est pas présumée être une expropriation et nécessiter une compensation à moins que des engagements spécifiques n'aient été pris envers l'investisseur étranger putatif à l'effet de quoi le gouvernement s'abstiendrait d'appliquer de telles mesures.
Évidemment, nous ne pensons pas que le Québec a pris de tels engagements. Cependant, il faudra définir, de façon exhaustive et définitive, ce qui, en droit international, représente un règlement autorisé et accepté comme relevant des pouvoirs réglementaires ou des pouvoirs policiers d'un État et comme étant non indemnisable. Le problème, c'est que la démarcation est très mince. À mon avis, c'est une question fondamentale et nous sommes heureux que le comité nous ait invités pour en parler.
Si et quand l'arbitrage a lieu, j'aimerais que votre comité tienne une réunion semblable à celle-ci pour parler des arguments qui seront présentés et entendre la position officielle du gouvernement du Canada et de Dow AgroSciences, et pour permettre aux élus canadiens de poser des questions à leur gouvernement et à l'investisseur. Il ne s'agit pas simplement de l'investissement de Dow, mais aussi de l'intérêt de nos enfants.
Merci.
Merci, MM. Amos et Séguin.
En plus des déclarations d'Équiterre et du Conseil des Canadiens, le comité a reçu des mémoires de Meg Sears, Ph.D., de Dunrobin, en Ontario — on vous a distribué ces documents — et du Groupe de travail de l'industrie sur le 2,4-D, de même que de Dow AgroSciences.
Nous avons également reçu une déclaration de Dow AgroSciences que je lirai afin qu'elle figure au compte rendu:
Dow AgroSciences tient à remercier les membres du Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes de leur invitation à comparaître. Nous reconnaissons que les activités du comité et les témoignages qu'il entend relèvent du privilège parlementaire, mais puisque nous sommes actuellement en litige avec les gouvernements du Canada et du Québec, nous nous devons, par prudence, de décliner respectueusement l'invitation du comité.
Nous avons toutefois fourni au comité un mémoire décrivant notre position, dont nous vous demandons de tenir compte dans vos délibérations. Nous nous permettrons de souligner que Dow AgroSciences reconnaît la responsabilité qu'ont les divers gouvernements du pays de mettre en vigueur les règlements nécessaires à la protection de la santé et de la sécurité des Canadiens ainsi que de l'environnement. Elle croit aussi que les gouvernements doivent prendre, en matière de santé et de sécurité, des règlements efficaces s'appuyant sur des évaluations de risques fondées en sciences et sur les principes de la gestion du risque.
Si vous avez des questions concernant notre mémoire, nous y répondrons volontiers par écrit. Nous vous remercions de votre attention.
Ça nous vient de Jim Wispinski, président et chef de la direction de Dow AgroSciences Canada.
Je pense que tous ces mémoires ont été distribués aux membres du comité.
Il s'agit d'un sujet intéressant. Nous avons entendu les témoins, et passons maintenant aux questions. Nous allons commencer avec M. Brison, et nous allons essayer de nous limiter, pendant le premier tour, à sept minutes pour les questions et réponses. Je demanderais donc aux témoins de bien vouloir fournir des réponses proportionnelles aux questions et d'essayer de ne pas dépasser sept minutes.
Monsieur Brison, allez-y.
Merci, monsieur le président.
Merci beaucoup de vos interventions ce matin.
Le principe du chapitre 11, qui porte sur le traitement national et sur la relation entre l'État et l'investisseur, est un principe que la plupart d'entre nous comprennent: une entreprise canadienne qui fait affaire dans un autre pays avec lequel nous avons une entente de libre-échange ne devrait pas faire l'objet de discrimination par un gouvernement ou un gouvernement infranational de ce pays. De même, ce principe s'applique aux entreprises étrangères qui font affaire au Canada. Le principe du chapitre 11 vise autant à défendre les entreprises canadiennes qui font affaire à l'étranger que les droits des entreprises américaines, ou mexicaines, dans ce cas précis, qui font affaire au Canada.
Dans certains cas, le chapitre 11 a engendré des résultats équitables. Selon votre analyse, c'est le cas de la décision Methanex. D'autres cas ont eu des résultats différents. Si l'on pense à MMT, vous conviendrez que le résultat était différent.
Ce qui me frappe, c'est que les législateurs, que ce soit au niveau provincial, fédéral, national ou infranational, ont un défi considérable: ils doivent concevoir des lois qui ne peuvent être interprétées comme étant discriminatoires.
Par exemple, dans le cas du 2,4-D, si l'interdiction portait sur les pesticides de façon générale plutôt que sur le 2,4-D, est-ce que cela n'aurait pas été plus facilement défendable?
C'est une hypothèse intéressante. Le gouvernement du Québec a adopté une mesure ciblée. Il s'agit du 2,4-D et des pesticides pour pelouse, plus précisément des pesticides pour pelouse à des fins esthétiques.
Il existe des exclusions précises pour diverses utilisations — pour l'agriculture, l'industrie forestière. Chaque fois que l'on mélange ces arguments, nous précisons qu'il ne s'agit pas de l'utilisation de 2,4-D à des fins agricoles ou forestières, mais d'une utilisation précise. En bout de ligne, le gouvernement a pris une décision en vertu du principe de précaution pour protéger certaines populations. Ce principe de précaution aurait été plus difficile à justifier si l'interdiction de 2,4-D concernait l'agriculture ou l'industrie forestière.
Je ne veux pas prendre position sur une interdiction éventuelle de 2,4-D pour l'agriculture et l'industrie forestière, parce que ce n'est pas ce qui nous préoccupe aujourd'hui. Il est évident que le gouvernement du Québec a estimé que le principe de précaution était un argument suffisant pour dire qu'il fallait protéger les enfants contre ces pesticides, même sans certitude scientifique, et c'est pourquoi il a agi pour les protéger. Le gouvernement du Québec a réagi, et je suis tout à fait d'accord avec lui.
Monsieur Brison, est-ce que je peux répondre à votre hypothèse?
C'est difficile de faire valoir que ce mécanisme a servi les intérêts des investisseurs canadiens. Nous avons perdu absolument toutes nos causes contre les États-Unis. Jusqu'à récemment, il n'en existait pas avec le Mexique, mais je ne suis pas tout à fait à jour à ce sujet. Si vous regardez les différends que nous avons avec les États-Unis, vous verrez qu'ils semblent avoir autant de mérite, voire plus, que les poursuites contre le Canada que nos voisins du Sud ont gagnées. Je pense au cas Loewen, en particulier. Un jury du Mississippi a infligé une amende de 500 millions de dollars en dommage contre Loewen à la suite d'un différend de 1,5 million. L'entreprise a fait faillite, parce qu'en vertu de la loi de l'État en question, elle n'avait pas d'argent pour faire appel de cette décision, car cela aurait exigé le dépôt d'une caution.
Même si je ne suis pas un fan de ce mécanisme, je reconnais qu'il y a des poursuites bien fondées contre les États-Unis, et pourtant, nous les perdons. Or, les poursuites contre le Canada sont accueillies favorablement. Pourquoi? Pourquoi cette asymétrie? Je crois qu'il existe deux raisons: ce sont des tribunaux privés, dont les jurés sont extrêmement bien payés. S'ils veulent continuer à travailler, ils doivent à l'occasion trancher en faveur des investisseurs. S'ils rendent des décisions qui ne sont pas favorables aux États-Unis, ils savent qu'ils risquent de tuer leur poule aux oeufs d'or, car le Congrès ne l'accepterait pas.
Mais vous ne contestez pas le bien-fondé du principe du traitement national selon le chapitre 11. Nous ne pouvons pas exercer de discrimination contre les compagnies étrangères du simple fait qu'elles sont étrangères. Vous ne contestez pas cela.
Il existe effectivement une règle du traitement national. Certaines exigences en matière de rendement interdiraient, par exemple, une activité à valeur ajoutée, dans le cas où le gouvernement canadien voudrait l'autoriser. Il existe aussi des règles relatives à l'expropriation, qui ont été interprétées d'une manière trop large. Songeons aussi à cet article 1105, véritable pactole, ou les questions du traitement conformes au droit international.
Par conséquent, tout en ne contestant pas le principe de l'équité, j'estime que, de toute manière, on le trouve déjà dans le droit canadien, et aucun investisseur américain ne peut prétendre...
Vous appuyez le principe du traitement national et estimez qu'il nous faut des dispositions relatives à l'investisseur-État, mais le libellé du chapitre 11 ne vous paraît pas satisfaisant.
Je n'appuie pas ce mécanisme. À mon avis, on ne peut certainement pas affirmer qu'il a été à l'avantage du Canada ou des investisseurs canadiens.
C'est du chapitre 11 qu'il est question ici. À ce sujet, je reconnais que son libellé est peut-être insatisfaisant.
Cependant, si vous êtes contre le principe de dispositions relatives à l'investisseur-État dans le cas du traitement national, alors vous êtes contre le libre-échange.
En fait, si un pays signataire contrevient aux dispositions relatives au traitement national, une autre disposition s'en chargera. Évidemment, vous pouvez toujours soutenir que l'OMC n'incarne pas un libre-échange aussi intégral que celui de l'ALENA... Pour ma part, j'estime important, essentiel même, de nous doter de dispositions relatives à l'investisseur-État.
Cela dit, je reconnais que le libellé du chapitre 11 pose problème. Il nous est très utile de le savoir. Franchement, il faut que nous en discutions de façon plus poussée, que nous entendions encore d'autres témoins et que nous scrutions le texte, car selon certaines de mes connaissances dans le milieu des affaires qui sont favorables à des dispositions relatives à l'investisseur-État, le libellé du chapitre 11 laisse à désirer.
Par exemple, si une entreprise canadienne fabrique du 2,4-D, elle n'aura pas le même droit de contester les décisions du gouvernement qu'une compagnie étrangère. Elle ne l'aura tout simplement pas. En effet, à certains égards, le chapitre 11 accorde davantage de latitude à une entreprise étrangère qu'à une entreprise canadienne. On peut affirmer que c'est inacceptable. Dans le cas de MMT, pour l'exclure, le gouvernement a préféré se servir des obstacles au commerce interprovincial plutôt que d'imposer une interdiction directe. Il a donc utilisé des moyens indirects, ce qui est contraire aux principes du traitement national.
Quoi qu'il en soit, le fait que nous ayons inscrit des dispositions relatives à l'investisseur-État revêt beaucoup d'importance pour les entreprises canadiennes et les emplois au Canada. La question que nous devons nous poser est de savoir quels sont les défauts du chapitre 11 et comment y remédier? À mon avis, il faudra que nous travaillions là-dessus à un moment ou l'autre.
Je vous suis tout de même très reconnaissant d'avoir éclairé la question ce matin. Il nous faudra cependant entendre encore beaucoup d'autres éclaircissements de la part de bon nombre d'autres personnes et consacrer encore beaucoup de temps à la question si nous voulons vraiment nous y retrouver. À mon avis, il faudra aussi que nous fassions preuve d'une assez grande ouverture d'esprit.
J'aimerais entendre votre avis là-dessus, mais très brièvement. Nous sommes rendus à neuf minutes et demie.
Allez-y, monsieur Amos.
Rapidement, je vous remercie des déclarations et de la question concernant le respect du traitement national. Sans me prononcer sur l'utilité des dispositions régissant les différends opposant un investisseur et un État, sans vouloir faire de commentaires sur le respect de cette question, je crois qu'il est très important de faire la distinction entre certaines dispositions du chapitre 11. L'article 1102, qui traite du traitement national, est entièrement distinct de l'article 1105, qui porte sur la norme minimale de traitement. Par traitement national, on entend que les investisseurs canadiens devront être traités de la même façon que les investisseurs américains. La norme minimale de traitement porte sur une norme objective de traitement à laquelle tout investisseur doit être assujetti.
Dow ne prétend pas que les investisseurs canadiens ont été traités plus favorablement. Il n'y a aucune revendication en vertu de l'article 1102. Il est question ici de l'article 1105 et de la norme minimale de traitement.
Je crois qu'il faut commencer à examiner cette question en profondeur et voir quelle partie du chapitre 11 ne fonctionne tout simplement pas actuellement compte tenu de la formulation. Tel que mentionné, la question principale est de déterminer ce qui constitue une expropriation indemnisable et un règlement non indemnisable. Voilà la question clé. Le problème est que le chapitre 11 de l'ALENA n'est pas assez précis. Il y a tout un débat en cours à savoir quels règlements sont non indemnisables. Il faut vraiment que le gouvernement canadien adopte une position ferme et très transparente sur ce qui, selon lui, constitue un règlement non indemnisable. Je crois que c'est la question fondamentale ici.
[Français]
Bonjour, messieurs, et bienvenue au comité.
Quelqu'un a dit plus tôt, concernant cette principale préoccupation, que dans le cas du dépôt d'une plainte, un simple avis d'intention créait une certaine commotion. Ça peut en effet être le cas. Malgré que cette possibilité m'ait déplu, il reste que ça peut donner l'occasion de revoir et analyser le chapitre 11. En ce sens, je suis bien heureux. Bien sûr, il y a les aspects environnementaux et scientifiques, mais je suis convaincu qu'il faut faire une étude en profondeur du chapitre 11 parce que la tendance veut que même les nouveaux accords de libre-échange incluent de moins en moins de telles dispositions. Bien sûr, des accords sur les investissements sont parfois établis séparément, mais on n'y retrouve pas les mêmes dispositions. Il a été question du principe d'expropriation, qui est extrêmement large, mais on ne définit pas nécessairement l'intérêt public, ou du moins on ne le fait pas de façon précise. Il risque donc d'y avoir un problème énorme entre les deux.
Pour ce qui est du pesticide 2,4-D, l'interdiction s'applique en Ontario et au Québec, mais les autres provinces utilisent encore ce produit. Or, pour les États-Unis, le fait que cet usage soit permis à certains endroits et interdit à d'autres confirme qu'ils ont la possibilité d'entamer des poursuites ou de déposer des plaintes. Dans le cadre de l'ALENA, d'un accord de libre-échange entre deux pays, il leur est facile de s'immiscer et d'entamer des poursuites si les normes varient d'une province à l'autre.
Cette commotion créée par le dépôt de l'avis d'intention de Dow a eu deux effets. Vous avez tout à fait raison de dire que ça remet en lumière des enjeux extrêmement importants se rapportant au chapitre 11 et à l'interprétation qu'on en fait. En effet, certains éléments n'y sont pas clairement précisés, par exemple la notion d'intérêt public. D'après ce que je comprends, certains membres du comité aimeraient étudier cette question plus en profondeur. Au nom de l'organisation que je représente, je peux dire que nous serions tout à fait favorables à l'idée de revoir le contenu et le sens du chapitre 11.
J'en profite pour dire que cette commotion a aussi eu un effet bénéfique. À la base, ce dossier est un enjeu de gouvernance. Les gouvernements du Canada se demandent souvent comment protéger la santé publique. Le geste posé par Dow remet l'interdiction des pesticides à l'avant-scène, amène des provinces comme l'Ontario à se poser des questions, à développer des règlements interdisant certains pesticides. L'enjeu refait surface et mobilise la société civile. Je ne serais pas surpris que cette commotion incite des municipalités, des provinces et le gouvernement fédéral à réviser leurs propres règles et à rendre la réglementation sur les pesticides plus spécifique, au nom de la défense de la santé publique.
On a rencontré des représentants de l'Union européenne, il y a quelques semaines. Ils nous ont parlé avec conviction des normes qu'ils appliquaient. Ils n'importent pas n'importe quoi. Quand un produit ne répond pas à leurs normes, c'est réglé, ils ne l'importent pas. En revanche, comme je le disais plus tôt, nos propres normes ne sont pas appliquées uniformément. Ça varie d'une province à l'autre, ce qui ouvre la porte à des poursuites. Vous disiez que la commotion pourrait remettre le débat à l'ordre du jour, que les gens pourraient être portés à s'engager dans la même direction, donc à défendre des normes. Je ne crois pas, en effet, qu'un pays étranger puisse aller à l'encontre de normes partagées par l'ensemble d'une population.
Nous prétendons que cette réglementation est non discriminatoire, t tout à fait acceptable et soutenue par la société civile. C'est ce qu'on cherche. Cela me permet peut-être de vous expliquer un enjeu qui est périphérique à l'enjeu principal.
Au Canada, il y a au moins trois niveaux de juridiction qui peuvent intervenir en matière de pesticides. Le gouvernement fédéral a une procédure d'interdiction des pesticides par l'intermédiaire de l'ARLA, qui examine un certain nombre de pesticides et les homologue au nom du Canada. Donc, l'ARLA établit en quelque sorte une norme minimale pour l'ensemble du Canada. Les provinces peuvent aller encore plus loin: elles peuvent exclure davantage de produits que l'ARLA. Les municipalités peuvent être encore plus sévères en ce qui concerne l'application des pesticides sur leur territoire.
On a la prétention de croire, en constatant ce qui s'est passé au Québec et ce qui se passe en Ontario, que sur la base du principe de précaution, certaines provinces ont compris qu'il faut donner beaucoup plus d'importance à ce principe que ce à quoi le gouvernement fédéral consent pour le même traitement et les mêmes éléments chimiques. Il y a un enjeu réglementaire au Canada que je veux démontrer par cet exemple, mais c'est aussi un enjeu important.
Étant donné que maintenant on reconnaît que le Québec est une nation, s'il décidait demain matin que tout ce qui se fait doit être biologique et que c'est la norme commune pour tout le Québec, ce dernier serait la cible de tous les producteurs de produits chimiques et de pesticides, etc. Il y aurait constamment des poursuites.
Quand on lit l'article 1114 concernant les mesures environnementales, il est dit en conclusion: « En conséquence, les parties ne devraient pas renoncer ni déroger à de telles mesures dans le but d'attirer les investissements. » Autrement dit, et je cite de nouveau: « Elles reconnaissent ainsi qu'il n'est pas approprié d'encourager l'investissement en adoucissant les mesures nationales qui se rapportent à la santé, la sécurité et l'environnement. »
Maintenant, il faut quand même une adhésion de l'ensemble du Canada puisque vous dites que les provinces et les municipalités ont le droit de statuer en la matière. Si le Québec le faisait à titre d'exemple, par rapport au chapitre 11, on n'en finirait plus, il y aurait continuellement des poursuites. Il faut se débarrasser, premièrement, du chapitre 11, ou mieux le définir. Ensuite, il faut être capable d'adopter des normes plus élevées pour l'ensemble du Canada.
J'ajouterais un commentaire très court à ce sujet.
Le sujet des pesticides est loin d'être le seul sur lequel des entités fédérées ou des municipalités sont plus proactives que le gouvernement central. Souvent, les provinces ou les municipalités servent de banc d'essai à des initiatives très progressistes qui sont par la suite adoptées dans les autres territoires et à l'échelle canadienne. Nous voyons cela d'un bon oeil.
[Traduction]
Merci, monsieur le président.
Je remercie nos témoins. Vous faites vraiment valoir à quel point le chapitre 11 mine notre démocratie et notre capacité d'établir des normes plus rigoureuses pour la qualité de vie.
Je vais commencer par vous, monsieur Shrybman. Vous avez expliqué de façon très éloquente comment les gouvernements canadiens et les sociétés d'État ont essentiellement perdu environ 80 p. 100 des cas présentés en vertu du chapitre 11. Le gouvernement américain et les sociétés publiques ont tous gagné; il y a donc très clairement un déséquilibre. Pouvez-vous nous expliquer brièvement ce qui est arrivé au langage entourant le chapitre 11 après l'adoption de l'ALENA? Autrement dit, quelles mesures ont été prises par les États-Unis et le Canada pour contourner les dispositions régissant les différends opposant un investisseur et un État dans les ententes bilatérales? Vous avez parlé de l'entente sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'oeuvre et d'ententes à l'interne.
Le Congrès a depuis un intérêt dans ce mécanisme et a donné comme directive aux représentants du commerce des États-Unis de modérer le langage.
Non. On utilise l'autre langage dans les ententes subséquentes.
Il est important de comprendre que le régime de l'OMC, soit un régime de libre-échange, ne comprend pas ce mécanisme parce qu'il a été rejeté à trois différentes occasions par les membres de la communauté du commerce international. Les États-Unis en font partie. Alors il est vrai que cette pratique a été adoptée par les États-Unis, voire à l'échelle internationale. Mais ce n'est pas le cas du Canada.
Alors pour préciser, pour les ententes entre les États-Unis et le Chili, ou les États-Unis et Singapour, l'Australie, le Maroc, peu importe, aux États-Unis on voit à la protection du bien-être public, de la santé publique ou des objectifs de sécurité publique fixés par les politiques du gouvernement.
Je crois qu'il y a au moins une entente bilatérale qui ne comprend pas le mécanisme régissant les différends opposant un investisseur et un État. Je crois qu'on s'éloigne de cette façon de faire comme moyen raisonnable de modérer les intérêts des investisseurs dans les États en vertu de ces traités.
Il semble qu'on veuille faire la mise en oeuvre à l'échelle nationale. Nous allons certainement respecter notre engagement par rapport au mécanisme de l'ALENA. L'une des raisons pour lesquelles le Canada perd alors que les États-Unis gagnent, c'est que les représentants du Canada n'ont pas bien défendu les mesures canadiennes, si l'on en juge par la façon dont nous avons réagi à certaines des allégations.
Dans l'affaire Ethyl, nous avons baissé les bras avant même que soit rendue la décision du tribunal. Dans l'affaire S.D. Myers, deux fonctionnaires fédéraux du commerce ont reconnu qu'il ne s'agissait pas d'une mesure valable sur le plan environnemental. Je crois qu'ils avaient tort: cette mesure était clairement valable du point de vue environnemental. On est en droit de se poser des questions sur la façon dont les intérêts du Canada ont été défendus devant ces tribunaux. J'ai été mêlé au dossier que nous avons gagné, le dossier UPS. Pour la première fois, il y avait de-+s intervenants, et Postes Canada s'est défendu ardemment. Si le Québec veut que ses mesures soient défendues, il doit intervenir dans la procédure, pour obtenir une issue favorable.
Mais nous agissons non seulement pour manifester notre engagement envers ce régime, mais aussi pour le mettre en oeuvre au Canada, comme élément de l'Accord sur le commerce intérieur. On en fait la mise en oeuvre dans le cadre de l'accord entre la Colombie-Britannique et l'Alberta.
En résumé, c'est une mauvaise politique. Les États-Unis l'ont immédiatement rejetée, mais au Canada, notre ministère du Commerce international continue de mettre en oeuvre dans ses accords bilatéraux ces mauvaises dispositions sur les conflits entre les investisseurs et les États, même pour le commerce intérieur. C'est un renseignement précieux.
Merci, monsieur Shrybman.
[Français]
Monsieur Séguin, j'aimerais revenir sur la question du produit 2,4-D. Dans leur présentation au comité, les représentants de Dow ont presque dit que le 2,4-D est tellement bon qu'on peut même le mettre dans un shampooing. Ils disent qu'il n'y a pas de problème par rapport au 2,4-D.
Pourriez-vous, premièrement, mentionner de nouveau le nombre de pays où le 2,4-D a effectivement été banni ou circonscrit. Deuxièmement, lorsque vous dites qu'il faudrait réexaminer le chapitre 11, pourriez-vous nous dire exactement ce que vous voulez que le gouvernement fédéral fasse par rapport au chapitre 11? Vous avez parlé du droit international, M. Amos aussi, mais ce n'est pas le droit international qui nous régit dans ce cas, c'est le fait que le pays a signé une entente au sujet du chapitre 11. Que devrions-nous faire? Retirer le chapitre 11? Essayer de le changer?
Merci de votre question, monsieur le député. Comme je le disais dans la présentation, le Québec n'est pas le seul territoire dans le monde à interdire le 2,4-D, mais au-delà de l'interdiction du 2,4-D, des dizaines d'ingrédients chimiques sont interdits ailleurs, essentiellement au Danemark, en Suède, en Norvège et en Ontario. De plus, certaines provinces canadiennes comptent emboîter le pas prochainement.
Les territoires n'excluent pas le 2,4-D parce qu'ils n'aiment pas le nom. Il y a tout de même une procédure qui est suivie pour déterminer si le produit a potentiellement des impacts sur la santé. Le gouvernement du Québec s'inspire entre autres des recommandations ou du classement fait par le Centre international de recherche sur le cancer, qui relève des Nations Unies, donc, de l'Organisation mondiale de la santé, et qui classe la famille de pesticides à laquelle appartient le 2,4-D — le dichlorophénoxy —comme étant potentiellement dangereux pour la santé.
C'est cette idée de « potentiellement dangereux » qui déclenche une réflexion autour du principe de précaution. Si un produit est potentiellement dangereux et qu'on ne peut pas prouver hors de tout doute raisonnable son caractère nocif, le principe de précaution dit de faire preuve de prudence et d'interdire la substance. C'est sur cette base que l'interdiction du 2,4-D a été faite au Québec, deux fois plutôt qu'une, en fait.
Quant à votre question sur le chapitre 11 de l'ALENA, il serait à mon avis correct de dire que notre organisation a, dans ce cas, des préoccupations importantes, qui sont confortées par l'action de Dow devant le mécanisme de règlement des différends de l'ALENA. Pour nous, le principe fondamental, c'est que le droit et la responsabilité des gouvernements de protéger l'environnement et la santé publique doit primer sur le droit des entreprises de faire des profits ou de protéger leurs intérêts commerciaux.
Quant à savoir exactement comment nous aimerions que le gouvernement canadien examine cette question, je crois que la réflexion n'est pas faite de notre côté. Il est juste de dire qu'on a des préoccupations importantes, mais on préférerait laisser aux membres du comité le soin d'étudier cet enjeu et de répondre de la façon qui apparaît la plus intéressante et la plus intelligente à ces préoccupations qui sont celles de la société civile, du moins celles de l'organisation que je représente.
[Traduction]
Je suis désolé, mais vous avez déjà eu vos huit minutes. Nous essayons de respecter les tours et la parole, et maintenant à M. Harris.
Merci, monsieur le président.
Merci d'être venus ce matin, messieurs.
Dans vos exposés liminaires, comme le soulignait M. Brison, aucun de vous n'a fait mention de la réciprocité de ce processus en vertu duquel des entreprises au Canada, ou des Canadiens, pourraient intenter des poursuites contre les États-Unis en vertu du chapitre 11. Je pense que c'est important. Le processus est réciproque.
Vous dites aussi que c'est injuste parce que les États-Unis gagnent plus souvent que le Canada. Je ne suis pas avocat, mais c'est l'impression que vous me donnez: c'est bien de gagner, c'est mal de perdre et comme nous avons perdu si souvent, c'est bien dommage.
D'après ce que vous dites, monsieur Shrybman, je comprends qu'à votre avis les citoyens ou les entreprises privées du Canada ne devraient pas pouvoir contester la politique gouvernementale, même la politique gouvernementale internationale, comme le permet pourtant le chapitre 11. Vous semblez dire que cela ne devrait pas être permis, à certains égards.
Je présume que votre propos aujourd'hui est très semblable à ce que vous direz au moment de l'arbitrage en vertu des dispositions du chapitre 11. Il s'agit d'une question juridique. Il y a toujours deux côtés à une médaille. Il y aura la défense et les plaignants. Il y a toujours un gagnant et un perdant. Tout dépend de qui a les meilleurs avocats ou le plus d'argent, semble-t-il.
Quant aux qualités du 2,4-D et au dossier, je m'en remets aux spécialistes en santé publique. Ils sont le mieux en mesure de nous dire si c'est bon ou non. Comme la plupart des gens, je pense que beaucoup de produits à consonance chimique sont mauvais. Mais il est vrai qu'ils peuvent être bons.
Voici ma question. Je ne suis pas avocat, je pose des questions comme simple citoyen. M. Amos ou M. Shrybman pourraient y répondre.
Si la province de Québec réussit à défendre son interdiction du 2,4-D dans le cadre des dispositions d'arbitrage prévues au chapitre 11, qu'aucune indemnisation n'est accordée et que le 2,4-D est interdit, le citoyen moyen, comme moi, qui n'est ni avocat ni scientifique, pourra présumer que les dispositions du chapitre 11 sont une bonne chose, puisque le Québec a remporté sa cause? Est-il raisonnable de le penser?
Permettez-moi de répondre.
La question de la réglementation des pesticides au Québec a en fait été résolue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Hudson, où elle a tenu compte du principe de précaution, principe qu'un tribunal arbitrant un différend opposant un investisseur et un État ne pourrait appliquer.
Si vous voulez savoir si on devrait permettre le dépôt d'une telle plainte, la réponse est non. Si une entreprise étrangère a à se plaindre d'une mesure prise par un gouvernement canadien, elle devrait pouvoir déposer son grief de deux façons: par l'entremise du processus politique, c'est-à-dire à vous, à votre comité, aux législateurs, à ceux qui représentent les entreprises et leur clientèle: ou aux cours canadiennes. Il s'agit des deux seules instances devant lesquelles il devrait être possible de déposer une plainte concernant la politique gouvernementale ou la législation. On ne devrait pas permettre qu'un tribunal siégeant dans un autre pays juge les lois canadiennes.
Pardonnez-moi de vous interrompre, mais le processus d'arbitrage fonctionne dans de nombreux cas. Il est injuste de laisser entendre que ce processus qui fonctionne... Au Canada, on y a recours fréquemment dans le cadre de conflits de travail. Ceux-ci ne sont pas automatiquement renvoyés aux tribunaux. Un procès n'est pas la seule façon de trancher un différend.
Il ne convient pas de présenter l'arbitrage comme inutile.
Non. Je crois qu'il s'agit d'un excellent point.
La différence entre l'arbitrage et les différends opposant des investisseurs et des États est la suivante. En arbitrage, il y a un contrat entre deux parties. Il s'agit d'une entente réciproque. Les deux parties ont des obligations à respecter en vertu du contrat et peuvent décider de résoudre leurs différends devant une commission d'arbitrage, comme c'est le cas pour les conventions collectives, plutôt que devant les tribunaux. Dans le cas de l'ALENA, il n'y a ni contrat ni réciprocité. Les investisseurs privés à qui on a donné le droit de faire respecter l'entente ne sont pourtant soumis à aucune obligation. Il s'agit d'une entente tout à fait asymétrique, non réciproque.
Les traités internationaux sont des ententes entre pays. Si on y contrevient, les nations ont des recours, et ça vaut également pour l'ALENA. Il n'y a aucune raison valable de donner aux intérêts privés, qui n'ont aucune obligation à respecter en vertu de ces traités, le droit à ces recours. Il n'existe pas de contrat, donc pas de lien contractuel ni de réciprocité.
C'est ce qui distingue l'arbitrage et les différends opposant un investisseur et un État. L'arbitrage, j'en conviens avec vous, joue un rôle extrêmement important dans le règlement des différends commerciaux et autres.
D'accord. Dans ce cas, permettez-moi de vous poser une dernière question: si le Québec a gain de cause, maintiendrez-vous votre position sur le chapitre 11?
Merci, monsieur le président.
Je tiens également à remercier les témoins de leurs observations et de nous avoir permis de mieux comprendre certains des enjeux du chapitre 11. Je souscris à certains des propos tenus. Même si je ne saisis pas bien la situation dans toute sa complexité, je comprends qu'il faut rendre le système plus juste. Je ne sais toutefois pas si l'on doit le remplacer complètement ou ajouter de nouveaux mécanismes pour régler certains de ces problèmes.
J'aimerais demander aux témoins leur avis. Selon vous, comment améliorer les mécanismes du chapitre 11 sans recommencer à zéro? Si l'on veut tout refaire, je ne suis pas certain que ce soit possible dans le cadre de l'ALENA. Je ne suis pas un expert sur ce point de droit, mais j'aimerais bien savoir si nous, législateurs, pouvons améliorer un tant soit peu le système.
Monsieur Amos, voudriez-vous répondre?
Merci de votre question. Il s'agit d'un bon point, qui, je pense, nous rapproche d'une solution. Même s'il est question d'un conflit bien précis, il met en lumière la nécessité d'apporter des changements. Je profite de l'occasion pour apporter un point de vue différent de celui de M. Shrybman en réponse à la question de Peter Julian sur la position adoptée par le Canada dans le cadre des négociations de traités d'investissement bilatéraux.
Premièrement, quant à ce que l'on pourrait et devrait faire à l'avenir pour améliorer nettement la situation, il est évident que le gouvernement du Canada doit, dans la mesure du possible, négocier l'établissement d'une distinction très claire, évidente entre les expropriations pouvant donner lieu à indemnisations — qu'elles soient directes ou indirectes — et les mesures gouvernementales ne donnant pas lieu à indemnisations. C'est absolument essentiel.
Ensuite, on pourrait améliorer les dispositions des traités d'investissement bilatéraux semblables à celles du chapitre 11 en faisant la promotion de la durabilité, tout en favorisant le commerce international et l'investissement. Cela revient à un argument avancé par M. Shrybman plus tôt, soit que le chapitre 11 est unilatéral. Il garantit aux investisseurs étrangers une protection qu'ils peuvent faire appliquer par l'arbitrage; cependant, cette protection n'est assortie d'aucune obligation de la part des investisseurs étrangers. Aucun mécanisme d'arbitrage exécutoire ne permet de demander des comptes aux investisseurs étrangers qui contreviennent au droit international — par exemple, au droit international en matière de droits de la personne et au droit de l'environnement. Il existe bien un mécanisme permettant aux investisseurs de contester les mesures qui selon eux ont une incidence négative sur les investissements, mais les citoyens des États contractants eux-mêmes n'ont pas accès à ce même processus pour contester les activités des investisseurs. Il faut assurer la réciprocité.
Toutefois, pour en revenir à la question de M. Julian concernant les traités d'investissement, il serait injuste d'accuser le gouvernement du Canada d'être resté les bras croisés. Je pense qu'il a fait des progrès marqués, et les différends découlant du chapitre 11 lui ont permis d'améliorer la protection des investissements. En 2001, la Commission du libre-échange de l'ALENA a émis une déclaration d'interprétation du chapitre 11 — c'était un premier pas dans la bonne direction —, de même que des lignes directrices sur la participation d'une tierce partie au processus d'arbitrage du chapitre 11. Cette déclaration vise les gens comme nous qui veulent contribuer. La commission a clairement établi que les séances d'arbitrage seraient ouvertes au public et que les textes provisoires de négociation des ententes seraient également rendus publics.
Le Canada a produit un nouveau modèle — il n'a rien de nouveau, il remonte à 2004 — pour les accords sur la protection des investissements étrangers, les APIE, modèle à utiliser dans la négociation des traités d'investissement bilatéraux et pour l'inclusion de dispositions semblables à celles du chapitre 11 dans les ententes commerciales.
Je ne prétends pas que l'APIE de 2004 est parfait, loin de moi cette idée; je pense qu'on pourrait encore grandement l'améliorer. Je tenais simplement à souligner que depuis la signature de l'ALENA, le Canada a fait des progrès et a proposé des modifications aux traités d'investissement bilatéraux en ce qui concerne les points soulevés ici: la portée donnée à l'expropriation, une norme minimale de traitement et la possibilité de participer aux audiences.
On a fait des progrès, mais pas assez. Je vous parlerai volontiers des améliorations qui ont été apportées. Je ne veux pas sembler trop pessimiste. Je pense qu'il faut adopter une perspective équilibrée sur la question. Il n'est pas utile de tenir un débat trop polarisé sur le chapitre 11. Or, si on souhaitait renégocier le chapitre 11, je pense que de nombreuses mesures pourraient être prises pour faire en sorte que non seulement les investisseurs, mais également la société civile soient protégés et qu'il y ait réciprocité.
Merci.
Je tiens à rappeler aux témoins de même qu'aux membres du comité qu'au deuxième tour, les questions et réponses ne doivent pas dépasser cinq minutes, donc une réponse ne peut à elle seule en prendre six.
Je suis désolé, le temps est écoulé pour cette question. Il s'agit d'un tour de questions de cinq minutes. Nous sommes maintenant à six minutes et demie. Je voulais que ce soit clair. Peut-être pourriez-vous y répondre au prochain tour.
Monsieur Cannan.
Merci, monsieur le président, et merci à nos témoins d'être venus ce matin.
Monsieur Amos, je vous remercie de vos commentaires quant à une approche équilibrée. Je crois qu'il est très important que nous essayions de trouver des façons constructives d'avancer afin que le Canada puisse augmenter le nombre de ses ententes commerciales internationales, car nous avons pris du retard au cours de la dernière décennie et plus. Je vous remercie donc de vos commentaires.
J'ai quelques questions de suivi. Je vais partager mon temps avec mon collègue, M. Keddy.
À Terre-Neuve, nous avons entendu parler de la cause AbitibiBowater, et que la compagnie a dit qu'elle est en train de revoir toutes ses possibilités de recours juridiques. Je me demande quel est l'échéancier. Quel est le délai prescrit pour une compagnie qui veut présenter une plainte et ainsi semer ce genre de peur dans la collectivité, la province et le pays? Combien de temps a-t-elle pour agir?
Elle a trois ans à partir du moment qu'elle prend connaissance de la mesure. Je ne me souviens pas si c'est en vertu de l'article 1117 ou de l'article 1118. C'est dans ce coin-là.
Revenons à la situation de Dow. Ils ont présenté une plainte et maintenant ils sont en discussion. Si cette discussion entre la province, le gouvernement du Canada et la société Dow échoue, est-ce que la cause est automatiquement renvoyée au tribunal?
Il est très difficile à savoir. Si on revient à votre question sur le délai, l'interdiction du 2,4-D a été imposée par le Québec en avril 2006, donc, d'après mes calculs, en théorie on arrive très bientôt à la date limite. Cependant, il y a la question à savoir si oui ou non cette mesure constitue une mesure continue. L'interdiction existe toujours donc je ne suis pas certain et je ne sais pas si la question du délai s'applique dans ce cas-ci.
Je sais que c'est une question qui reste toujours en litige. J'ai travaillé pendant neuf ans au niveau de l'administration locale et j'étais impliqué dans Communities in Bloom, les ateliers sur la lutte antiparasitaire intégrée et tout le reste.
Vous avez indiqué que l'Ontario, Toronto en fait, et Halifax ont aussi imposé des interdictions. Pourquoi selon vous la société Dow n'a-t-elle pas déposé de plainte contre ces deux municipalités?
Je peux émettre des hypothèses. Les municipalités sont de petits marchés. Les provinces sont de plus gros poissons. Le Québec et l'Ontario sont les plus gros poissons au Canada. Je crois que lorsque le Québec a imposé la première interdiction, il se peut fort bien que la société Dow ait décidé de prendre position et qu'elle allait essayer, dans le meilleur des mondes, d'empêcher des interdictions à l'avenir et d'éliminer celle-là, et dans le pire des scénarios, de retarder les efforts des autres provinces visant à imposer des interdictions en se servant de ce processus de découragement, si vous voulez, en vertu du chapitre 11 de l'ALENA. Si le résultat de ce litige n'est pas certain, alors les autres provinces seront peut-être moins tentées d'agir, ainsi que les municipalités.
Actuellement, il semble que l'Ontario avance de façon ferme. Les municipalités dans la région — j'habite à Chelsea, un des leaders dans ce domaine — n'ont pas l'intention de reculer non plus. Elles accueillent le défi à bras ouverts. Peut-être la compagnie a-t-elle décidé que les municipalités constituent des luttes moins importantes, et elle a donc décidé que ça ne vaut pas la peine.
Évidemment ça prend du temps pour passer à travers l'arbitrage et se rendre jusqu'au tribunal. Qui assume les coûts? Vous représentez des entités différentes.
En tant qu'avocat pour Écojustice Canada, mes services sont gratuits pour les groupes environnementaux avec lesquels je travaille. Écojustice Canada est un organisme à but non lucratif. Nous sommes financés par des dons du public et des dons de fondations privées. Nous ne recevons pas un sou du gouvernement, donc tout notre travail est gratuit sauf les dépenses reliées aux photocopies et au téléphone.
Évidemment, le contribuable canadien paye pour les coûts juridiques reliés à la défense de cette plainte et l'interdiction du Québec.
J'ai un dernier commentaire pour M. Shrybman.
Dans vos commentaires liminaires, vous avez mentionné le tribunal et le fait qu'on le considère comme une entité américaine. Comme vous l'avez dit, un des membres du tribunal est canadien, un est américain et le troisième est choisi par les deux parties. Croyez-vous qu'il y a un parti pris américain parce que c'est situé à Washington? Est-ce cela que vous vouliez dire, et sinon pourriez-vous clarifier vos commentaires?
Non, je ne dirais pas qu'il s'agit d'une entité américaine. C'est un organisme juridictionnel privé ou quasi privé.
J'ai mentionné que les causes sont souvent entendues à Washington, ce qui n'en fait pas pour autant un régime américain. Par contre, j'ai parlé du lieu où l'arbitrage a lieu. C'est une décision que rend le tribunal, et lorsque les plaintes sont portées contre le Canada, ce processus a souvent lieu à l'extérieur du pays, ce qui veut dire que seulement un tribunal dans ce territoire est habilité à réviser une décision arbitrale.
Donc, à mon avis, c'est le fait que ce processus a lieu à l'extérieur des cours canadiennes et sans la présence de représentants canadiens élus qui constitue un problème dans ce système — et je crois que vous devriez être d'accord —, non pas que cela soit un organisme américain mais plutôt un tribunal qui siège à l'extérieur du cadre de la loi canadienne et de la Constitution du Canada. Il existe dans un cadre juridique international qui a été créé pour résoudre des différends commerciaux, et non des différends portant sur la politique publique et la loi. Voilà ma préoccupation.
Dans le but d'améliorer le chapitre 11 et à la lumière des commentaires de M. Amos, vous recommanderiez donc de trouver un meilleur mécanisme, et non comme a dit mon collègue M. Harris... Vous voulez garder l'arbitrage mais vous êtes absolument contre le chapitre 11 et vous voulez que l'arbitrage soit enlevé de ce mécanisme de résolution des différends?
Je crois qu'il est très difficile de démontrer que ce mécanisme est utile. Je ne crois pas qu'il y ait des preuves qui le démontrent. Lorsqu'on lit des études publiées par la Banque mondiale sur l'efficacité de ce mécanisme, il faut se poser des questions.
Lorsque nous avions une entente de libre-échange avec les États-Unis en 1988, il y avait un chapitre qui portait sur l'investissement, mais il n'y avait pas de mécanisme de résolution de différends entre investisseurs et État. Donc, il faut se poser la question à savoir si nous avons besoin de ce mécanisme et je crois que les preuves démontrent que ce mécanisme n'a pas bien servi le Canada et n'a certainement pas servi les investisseurs canadiens. Si vous vouliez l'améliorer, il y a des façons de le faire, après avoir épuisé les solutions locales. Il y a un certain nombre de modifications techniques que vous pourriez apporter au régime pour le rendre plus transparent, pour permettre aux individus de participer au processus.
Nous sommes intervenus dans des différends. Je suis actuellement un intervenant dans la cause Merrill & Ring, mais je n'ai pas le droit de voir la preuve. Cela va à l'encontre de toute notion d'équité, et cela serait vrai aussi dans le cas de conflits de travail ou de litiges qui se trouvent devant les tribunaux canadiens.
Il s'agit d'un système qui n'a pas été créé pour résoudre des différends publics. Je ne crois pas que ce soit la bonne tribune pour ce genre de litige ou de plainte fondée en droit. On pourrait l'améliorer, mais je crois qu'il faut d'abord se demander si ce système sert vraiment.
[Français]
Merci, monsieur le président.
Bonjour, messieurs. Nos discussions de ce matin sont intéressantes et on peut les orienter sur la santé et l'environnement, particulièrement en rapport avec le chapitre 11.
Sans jeter le bébé avec l'eau du bain, pourrait-on améliorer le chapitre 11? Je pense, entre autres, à l'article 1110. Pourrait-on mieux définir la clause portant sur l'intérêt public, afin de lui donner plus de mordant et de mieux se faire entendre? On sait que l'entreprise a beaucoup de pouvoir. Cela pourrait-il mieux servir les intérêts dont on parle ce matin si on réussissait à mieux définir l'intérêt public, qui figure à l'article 1110?
Merci. C'est une bonne question. J'aimerais revenir à l'argument proposé par M. Shrybman, qui est le bon, selon moi.
Avant de décider s'il faut améliorer le chapitre 11, il faut évaluer si cela sert la promotion de l'investissement. Il n'est pas du tout certain que le chapitre 11 et les protections qu'il contient, en particulier le processus d'arbitrage qui en découle, favorisent les investissements au Canada et dans les autres pays. La première étape consiste à déterminer si cet arbitrage est utile. Ensuite, si on constate que c'est une bonne façon de promouvoir l'investissement, on pourrait apporter des changements.
Il faut absolument faire la distinction entre une réglementation non indemnisable et une expropriation indemnisable, qu'elle soit directe ou indirecte. Le chapitre 11 est très clair là-dessus: l'expropriation, directe ou indirecte, est indemnisable. En anglais, on dit « measures tantamount to expropriation », donc des mesures très proches de l'expropriation. On pourrait définir très clairement ce qu'est une réglementation non indemnisable, afin que les juridictions canadiennes sachent, dès le début, les mesures qu'on peut prendre dans l'intérêt des Canadiens, sans avoir à se soucier des répercussions possibles d'un arbitrage.
Ce que je vais dire diffère légèrement de ce qu'ont dit mes deux collègues. Pour Équiterre, l'objectif premier du chapitre 11 ne devrait pas être d'attirer plus d'investissements au Canada. Dans les accords commerciaux internationaux, il ne faut pas faire primer les intérêts privés sur la responsabilité des gouvernements de protéger l'environnement et la santé publique. Dans la mesure où les accords commerciaux respectent cette responsabilité, on peut prendre en considération la protection des investisseurs. L'un vient avant l'autre, et la protection de la santé publique et de l'environnement arrive en premier.
[Traduction]
J'aimerais attirer votre attention sur un aspect plus fondamental de l'article 1110. Comme les droits à la propriété privée ne sont pas reconnus dans la Constitution, le gouvernement du Canada peut exproprier des biens à des fins publiques et peut décider du montant qu'il versera en dédommagement le cas échéant. L'idée d'inscrire les droits à la propriété dans la Constitution a été débattue en 1982 et rejetée.
L'article 1110 a pour effet d'inscrire les droits à la propriété privée dans l'ALENA. On peut donc dire qu'il s'agit d'une protection de la propriété et c'est ce qui s'appliquerait sans doute si Terre-Neuve ne résiliait pas le permis d'approvisionnement en eau, mais décidait d'exproprier l'usine. En vertu de notre Constitution, Terre-Neuve a le droit de décider du montant de dédommagement, mais aux termes de l'ALENA, le Canada doit compenser Abitibi en fonction de la valeur marchande de son investissement. Nous avons rejeté cette motion dans notre Constitution, mais elle nous est maintenant imposée par l'ALENA. Voilà le problème fondamental que pose l'article 1110.
Merci, monsieur le président.
Je souhaite la bienvenue à nos témoins.
J'ai deux brèves questions à poser.
Allez-vous intervenir dans l'affaire de Terre-Neuve dont M. Shrybman vient de parler?
Pour qu'il n'y ait pas de malentendu, la province de Terre-Neuve serait dans tous les cas représentée par le ministère des Affaires étrangères...
Tout à fait. Je le comprends. La province est cependant une partie intéressée tout comme AbitibiBowater. C'est une affaire intéressante et on ne peut pour l'instant que faire des conjectures à l'égard de son issue.
J'aimerais revenir sur ce que disait M. Brison. Si le système est imparfait et qu'il est nécessaire de modifier ou d'améliorer le chapitre 11, va-t-on jeter le bébé avec l'eau du bain ou va-t-on simplement essayer d'améliorer le chapitre 11?
M. Shrybman a fait remarquer que lorsque le Canada veut porter en appel une décision rendue par un tribunal étranger, il doit le faire par l'entremise du système judiciaire du pays où se trouve ce tribunal. Cela peut paraître poser un problème assez grave pour ceux d'entre nous, et je crois que nous constituons la majorité, qui ne sont pas des avocats.
J'aimerais obtenir une précision à cet égard. Si le tribunal est situé dans l'État du Mississippi, faut-il interjeter appel dans cet État? Se retrouve-t-on devant le même type de tribunal, soit un tribunal fédéral, soit un tribunal de l'État?
Je crois que l'une des particularités de l'affaire Loewen, c'est qu'il s'agissait d'une contestation de l'issue d'un procès par jury ayant abouti à la conclusion que Loewen devait rembourser cette somme gigantesque.
Ce mécanisme prévoit la possibilité d'une révision judiciaire des décisions rendues par les tribunaux, y compris celles de la Cour suprême du Canada. Toutes les décisions, y compris les décisions des plus hauts tribunaux, peuvent faire l'objet d'une demande d'audience d'arbitrage. En fait, le Canada a déjà porté en appel une décision rendue par un tribunal d'appel de district aux États-Unis. À mon avis, cela pose des difficultés. Pourquoi permettrait-on à un tribunal privé de se prononcer sur la validité d'une décision rendue par un tribunal canadien? Ce mécanisme le permet pourtant.
Je ne sais pas au juste où a eu lieu l'arbitrage dans l'affaire Loewen, mais cela ne pouvait être devant un tribunal du Mississippi. Il a sans aucun doute eu lieu devant le tribunal américain ayant compétence pour revoir les décisions arbitrales, et fort probablement devant une cour d'appel. Au Canada, il aurait eu lieu devant un tribunal supérieur.
À titre d'exemple, l'affaire Metalclad portait sur un différend entre une société américaine de gestion des déchets dangereux et une petite localité située au Mexique. Les poursuites visaient le gouvernement du Mexique. Lorsqu'une décision défavorable au gouvernement du Mexique a été rendue, c'est le Canada, en fait la Colombie-Britannique, qui a été choisi comme lieu de l'arbitrage. Le seul tribunal auquel le Mexique pouvait s'adresser pour obtenir l'annulation de la décision arbitrale était la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Ce tribunal a maintenu la décision.
Dans cette affaire, une mesure mexicaine faisait l'objet d'une contestation devant un tribunal international. Si le Mexique voulait que la décision fasse l'objet d'un examen judiciaire, il devait s'adresser à un tribunal de la Colombie-Britannique. Posez-vous la question suivante: si les États-Unis avaient été placés dans la même situation, pensez-vous que les législateurs américains et que le Congrès auraient accepté une situation semblable?
J'ignore la réponse à cette question hypothétique, mais si une affaire était portée devant un tribunal international, il serait concevable que ce soit dans un tiers pays. Dans un différend opposant le Mexique et les États-Unis, le Canada serait ce tiers pays en vertu de l'ALENA. Dans un différend opposant le Canada et les États-Unis, c'est sans doute le Mexique qui serait le tiers pays.
Dans un système d'échanges fondé sur des règles, il doit exister un mécanisme de règlement des différends. Au Canada, il existe de nombreux obstacles au commerce interprovincial. Nous avons abordé le sujet ce matin. L'exploitant d'un camion assurant le transport de marchandises de la Nouvelle-Écosse à la Colombie-Britannique doit posséder plusieurs permis. Ce n'est pas propice au commerce. Comment éliminer ces obstacles au commerce et comment mettre sur pied un mécanisme de règlement des différends permettant d'atteindre cet objectif? Le chapitre 11 n'est peut-être pas parfait — et personne n'en doute —, mais un mécanisme de règlement des différends est nécessaire.
Je serai bref. Le mécanisme doit être conforme aux normes constitutionnelles canadiennes si le Canada doit y participer. Le mécanisme doit aussi être réciproque et juste. Je crois que le chapitre 11 ne satisfait à aucun de ces critères.
J'aimerais faire une brève observation. Ecojustice est évidemment un organisme environnemental voué à la défense de l'intérêt public qui n'a pas pour habitude de se prononcer sur les questions de commerce international. Je devrais sans doute donc parler en mon nom personnel.
J'aimerais simplement dire que je reconnais qu'un mécanisme de règlement des différends s'impose, en particulier entre des nations commerçantes, mais je pense qu'il est vraiment permis de se demander si les investisseurs ont vraiment besoin de mécanisme particulier en vue de protéger leurs investissements des mesures qui pourraient être prises par le pays dans lequel ils ont investi. Ils peuvent recourir aux tribunaux du pays en question. Le mécanisme de règlement des différends entre investisseur et État, prévu au chapitre 11, est spécifiquement conçu à l'intention des investisseurs. Ce mécanisme n'est pas nécessaire puisque les investisseurs pourraient recourir aux tribunaux canadiens. À titre d'exemple, on pourrait concevoir qu'ils contestent...
J'ai une petite dernière question à laquelle vous pourriez peut-être répondre.
Plusieurs administrations au Canada ont interdit l'utilisation d'herbicides chlorophénoxy. Il doit y avoir, j'en suis certain, des administrations aux États-Unis, tels certains États ou certaines villes ou municipalités, qui... Je serais étonné d'apprendre que ce n'est pas le cas. Quand un tribunal rend une décision, est-ce que cela touche le Canada et les États-Unis du fait qu'ils ont signé cet accord commercial? Si c'est le cas, pourquoi ne cherchons-nous pas des alliés? J'imagine que n'importe qui peut obtenir le statut d'intervenant.
L'un des aspects idiosyncrasiques de ce système est qu'il n'y a pas de doctrine du précédent. Ce n'est pas comme un tribunal, qui doit s'en remettre à une autorité supérieure ou qui doit respecter les décisions prises par d'autres tribunaux. Donc, chaque cas obéit à ses propres règles. Même si les cas peuvent se ressembler, un tribunal est libre d'ignorer les décisions prises par les autres tribunaux s'il estime avoir raison.
Par conséquent, je ne crois pas qu'un différend comme celui-là créé un précédent, si c'est ce que vous me demandez. Je ne suis pas sûr d'avoir compris.
Je vous demande plus précisément s'il existe des administrations aux États-Unis qui ont interdit l'utilisation de certains pesticides, ou d'herbicides, comme c'est le cas qui nous concerne, et si oui, est-ce que le Québec et l'Ontario, ainsi que la municipalité d'Halifax ou d'autres endroits, n'auraient pas le même intérêt à le faire?
Le gouvernement des États-Unis a le droit de présenter des arguments au tribunal. Il n'existe aucun autre droit d'intervention. Vous pouvez présenter une requête au tribunal et demander le consentement pour participer, mais il n'existe aucun droit de participation au processus pour d'autres parties, sauf...
Seulement si le tribunal donne son consentement. D'après le processus actuel, une partie doit simultanément présenter ses arguments et demander le statut d'intervenant. La partie n'a pas le droit de voir la preuve, ni la partie de la preuve que la société juge confidentielle — ce qui s'est produit dans toutes les causes. Une partie importante de la preuve a été réservée et des ordonnances de confidentialité ont été émises dans chaque cause. Ce n'est que lorsque le tribunal rend une décision qu'une partie apprend si elle a obtenu le statut d'intervenant. La décision peut avoir tenu compte ou non des arguments. La partie apprend seulement à la toute fin du processus si son point de vue a été pris en considération.
Comme je l'ai mentionné un peu plus tôt, un autre facteur clé est le fait que les arguments oraux sont interdits. La Cour suprême, elle, peut décider d'entendre un intervenant si elle estime que celui-ci peut éclairer sa décision, comme dans les causes d'arbitrage en vertu du chapitre 11, mais cela ne sera pas possible dans le cas qui nous concerne. Si une partie demande le statut d'intervenant non intéressé et le consentement pour présenter des arguments en tant qu'amie de la cour, le tribunal lui refusera la possibilité de présenter des arguments oraux, qu'il estime que ceux-ci pourraient lui être utiles ou non.
Monsieur le président, un peu plus tôt, M. Julian a dit que le Canada n'avait jamais remporté de cause, mais nous avons gagné lors du différend concernant UPS, par exemple.
Je suis très intrigué par ce que M. Shrybman a dit plus tôt, soit que le gouvernement canadien n'a pas défendu vigoureusement les intérêts canadiens ou qu'il n'a pas eu recours à des mécanismes de défense juridiques efficaces pour le faire. Je ne connais pas assez bien ces causes pour en juger, mais j'aimerais vraiment savoir, dans un premier temps, si oui ou non le gouvernement canadien a su se prévaloir des dispositions du chapitre 11 sous sa forme actuelle et enfin comment nous pourrions nous y prendre pour mieux défendre nos intérêts.
Par ailleurs, nonobstant le fait qu'il faut mieux défendre nos intérêts en se servant des dispositions du chapitre 11, quelles améliorations peuvent être apportées à ce chapitre et à l'ALENA — ce qui impliquerait de les renégocier. Pour revenir à l'argument de M. Julian, lors des négociations de futures ententes de libre-échange, comment faire en sorte d'avoir des dispositions sur l'investisseur et l'État qui soient plus efficaces.
J'aimerais avoir plus de renseignements sur des causes précises pour lesquelles le Canada n'a pas su défendre adéquatement une décision législative canadienne. Deuxièmement, M. Amos a proposé des changements pour améliorer ce système et ce type de recommandation est très utile.
Il y a donc deux éléments: qu'est-ce que nous avons mal fait, qui nous a empêchés de défendre adéquatement nos intérêts en vertu du chapitre 11, et quels changements pourrions-nous apporter, à l'avenir, aux dispositions investisseur-État, afin qu'elles nous permettent de mieux défendre nos intérêts?
Je vais laisser M. Shrybman vous répondre au sujet de ce que le Canada n'a pas réussi à faire.
Ce que je vais vous dire me permet de répondre à votre question, je crois, mais cela s'inscrit dans le contexte de ce cas précis. Ici, ce qui risque d'arriver, c'est que le gouvernement canadien ne soit pas bien placé pour défendre les intérêts d'une entité infranationale, comme une province, le Québec, par exemple, et je vais vous expliquer pourquoi.
Dow a fait valoir que la réévaluation du 2,4-D par l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire justifiait son argument selon lequel le processus suivi par le Québec était injuste et arbitraire. Ils disent que le Québec a pris la décision, selon le principe de précaution, d'interdire le 2,4-D à des fins esthétiques, mais que cela contredit la réévaluation de l'Agence de réglementation de la lutte parasitaire, qui est une agence fédérale. Il semble que l'agence ait adopté une approche de précaution, et elle a décidé d'autoriser le 2,4-D au Canada. Dow oppose les processus fédéral et provincial. Ce qui risque de se produire, c'est que l'approche du gouvernement fédéral vis-à-vis du principe de précaution soit remise en question, mais celui-ci doit défendre le principe de précaution de la province.
J'aimerais souligner, et ce n'est pas un secret, que le Canada, dans le cadre de ses négociations internationales, a adopté à plusieurs reprises une position très peu progressiste sur le principe de précaution. Dans le contexte commercial, notamment, on se rappelle le cas des hormones bovines de l'Union européenne, qui a été renvoyé devant l'Organisation mondiale du commerce. La communauté européenne a fait valoir que le principe de précaution faisait partie du droit international coutumier pour justifier son interdiction des importations de bovins en provenance du Canada et des États-Unis élevés aux hormones artificielles. Le Canada et les États-Unis ont fait valoir que le principe de précaution ne faisait pas partie du droit international coutumier.
Pour revenir au cas de Dow, ici, le gouvernement du Canada a pris certaines positions vis-à-vis du principe de précaution dans d'autres tribunes internationales, maintenant, il faut représenter le Canada au tribunal de l'ALENA, ou potentiellement représenter le Canada et défendre le principe de précaution dans un cas précis. Cela peut mener à des conflits, et c'est pourquoi des groupes comme Équiterre et comme la Fondation David Suzuki, représentée par Écojustice, veulent tellement participer au processus. C'est parce que nous pensons que nous avons une perspective unique au sujet de l'intérêt public, que le gouvernement du Canada ne peut peut-être pas représenter, ou n'est peut-être pas bien placé pour représenter, car il serait en conflit avec d'autres positions préalables. Ce n'est peut-être pas le cas, mais le risque existe.
Je souscris à cette analyse. À mon avis, ce n'est pas la seule situation de conflit d'intérêts qui existe, non pas tant au sein du gouvernement canadien qu'au sein du ministère du Commerce international. Les avocats qui travaillent pour ce ministère sont chargés des dossiers commerciaux du Canada. Ils peuvent un jour devoir s'attaquer au principe de précaution dans un différend avec les États-Unis et le lendemain, devoir défendre ce même principe.
Je prendrais deux mesures. Je retirerais à ce ministère la responsabilité des dossiers liés à la défense du Canada. Ces dossiers pourraient être confiés à beaucoup d'autres avocats talentueux au service du gouvernement fédéral ou ils pourraient être confiés à des avocats de l'extérieur. Je travaille souvent sur des dossiers avec des avocats du gouvernement fédéral et nous sommes heureusement souvent dans le même camp. Nous entretenons souvent de bonnes relations fondées sur la collaboration et la coopération avec les avocats du gouvernement fédéral. En fait, mon cabinet représente les avocats fédéraux dans les dossiers touchant les relations patronales-syndicales.
Quand aux dossiers commerciaux, on ne saurait jamais que nous sommes dans le même camp que les avocats fédéraux puisqu'on ne répond pas à nos appels. Cela nous place dans une situation difficile. Les avocats fédéraux savent que nous nous opposons à l'approche du gouvernement et ils n'arrivent pas à faire abstraction de ce fait. Ce sont évidemment eux qui ont négocié ces accords. En fait, ils continuent d'en négocier et ils doivent vigoureusement défendre les intérêts du gouvernement et même ceux de ministères dont ils ne partagent pas nécessairement les valeurs comme les ministères de l'Environnement ou de la Santé.
Je crois que l'idée de retirer la responsabilité de ces dossiers au ministère du Commerce pour la confier au ministère de la Justice est très constructive et pourrait donner de bons résultats, même si les avocats de la Justice peuvent travailler pour le ministère de l'Environnement.
Je vous remercie beaucoup. J'espère que ce n'est pas la dernière fois que nous discuterons du chapitre 11.
Je vous remercie.
Comme il nous reste cinq minutes, je demanderai à M. Julian de bien vouloir conclure. Je vous demande de respecter les cinq minutes qui vous sont imparties pour les questions et les réponses pour que nous puissions lever la séance à 11 h 55.
Monsieur Julian.
Je vous remercie, monsieur le président, de me permettre de poser une question complémentaire.
J'ai deux très brèves questions à poser. L'une s'adresse à M. Shrybman. La voici. À l'égard des ententes commerciales bilatérales — et je songe ici aux accords Canada-Chili, Canada-Costa Rica et Canada-Israël —, avons-nous constaté que les dispositions du chapitre 11 auxquelles le Canada a souscrit demeurent intactes? Voilà ma première question.
[Français]
Ma deuxième question s'adresse à M. Séguin. Vous avez dit qu'on avait besoin d'une réponse forte de la part du gouvernement fédéral. Êtes-vous satisfait de la manière dont le gouvernement fédéral a réagi jusqu'à présent dans le dossier de la poursuite de Dow AgroSciences contre le gouvernement du Québec?
[Traduction]
Le mécanisme de base pour le règlement des différends entre investisseur et État est intact dans l'accord avec le Pérou. Est-ce l'accord avec le Pérou? L'accord que j'ai vu est l'accord avec la Colombie.
Je crois cependant que M. Amos a raison. Certaines difficultés ont été aplanies et je suis certain que les déclarations trilatérales faites par la commission et auxquelles il faisait allusion, tenaient compte des préoccupations du Canada. Il ne s'agissait cependant pas d'initiatives canadiennes, mais d'initiatives tripartites. Le droit des investisseurs privés à pouvoir intenter des poursuites contre un État en vertu d'un accord auquel ils sont partie et à obtenir un jugement en dommages-intérêts a cependant été maintenu.
Je vous remercie de cette précision.
Dans les accords bilatéraux que le Canada signe actuellement, nous maintenons donc les dispositions du chapitre 11, ce qui signifie que le Canada continue de suivre le modèle de l'ALENA alors que les États-Unis l'ont rejeté. C'est important que le comité le sache.
Savez-vous, je ne sais pas dans quelle mesure le mécanisme modifié des Américains est différent de celui utilisé par le Canada. J'aimerais être mieux renseigné sur cette question, mais je crois comprendre que les États-Unis ont négocié un accord bilatéral sans mécanisme de règlement des différends entre investisseur et État. Il s'agirait là d'une modification importante, si j'ai raison.
En répondant à votre question plus tôt, j'ai voulu insister sur le fait que le gouvernement fédéral appuie pleinement ce genre de mécanisme pour le marché intérieur, ce qui ne réduit pas la possibilité de différends; au contraire, on pourrait dire qu'il les encourage, si on se reporte au modèle de l'entente sur le commerce, l'investissement et la mobilité de la main-d'oeuvre.
[Français]
Merci pour votre question.
Si je comprends bien, vous voulez savoir si on a reçu une réponse claire et sans ambiguïté de la part du gouvernement fédéral. La réponse est non. Des questions ont été posées à la Chambre des communes, auxquelles le ministre du Commerce international, M. Stockwell Day, a répondu. Pour nous, la réponse demeure ambiguë. Nous aimerions qu'on nous dise clairement que le Canada défendra le Code de gestion des pesticides du Québec. Or, nous n'avons toujours pas obtenu cette réponse.
Notre coalition a également envoyé au ministre une lettre en bonne et due forme, à laquelle on n'a toujours pas répondu. Nous avons appris récemment qu'en janvier dernier, on avait consulté la compagnie et le gouvernement canadien. C'est peut-être ce qui explique l'ambiguïté de la réponse. Cela nous inquiète, car nous ne connaissons pas la teneur de ces consultations ni ce qui se transige. En l'absence d'une position claire de la part du ministre ou du gouvernement, il est évident qu'une motion des membres du comité disant qu'ils souhaitent que le gouvernement canadien défende vigoureusement cette affaire devant les tribunaux serait vue d'un très bon oeil.
[Traduction]
Monsieur Julian, je regrette, mais je crois que vous avez déjà eu plus de temps que prévu.
Je vous remercie de vos questions et je remercie aussi nos témoins. Les renseignements nous ont été très utiles, et je pense que le comité a bien apprécié les exposés et les questions. Alors merci beaucoup encore une fois. Je vais maintenant laisser partir les témoins.
Je voudrais rappeler au comité que je proposerai jeudi un budget pour notre voyage à Washington. Il faudra en discuter à ce moment-là. Il y a apparemment deux autres comités qui seront là en même temps, et il se peut que... J'aimerais donc que vous apportiez vos idées à la séance de jeudi en ce qui concerne le voyage à Washington.
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