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CIIT Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent du commerce international


NUMÉRO 039 
l
2e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 26 novembre 2009

[Enregistrement électronique]

(1110)

[Traduction]

    Messieurs, la 39e séance du Comité permanent du commerce international est ouverte. Nous poursuivons l'étude des relations commerciales Canada-Amérique du Sud et en particulier les relations commerciales Canada-Colombie.
    Voici un aperçu du déroulement de la séance d'aujourd'hui: nous sommes heureux d'accueillir le secrétaire général d'Amnistie Internationale. Malgré que nous commençons un peu tard, j'aimerais que nous consacrions une heure à notre invité. À mon avis, cela devrait nous mener à 12 h 10 environ, puis nous nous occuperons d'autres questions et de motions de régie interne, ce qui devrait prendre environ dix minutes. Ensuite, puisque plusieurs d'entre vous ont d'autres choses à faire aujourd'hui, je vais demander qu'on lève la séance plus tôt.
    Alex Neve, c'est un plaisir de vous revoir devant le comité, pour nous parler, cette fois, d'un autre aspect du sujet qui nous occupe. Je sais que vous êtes très occupé cette semaine. Je suis heureux que vous ayez pu vous joindre à nous aujourd'hui.
    Vous connaissez la routine: nous allons commencer avec une déclaration préliminaire, si vous le désirez, et nous passerons ensuite aux questions. En raison de notre horaire plutôt serré, je demanderais à tout le monde de s'en tenir à sept minutes de questions et de réponses au cours du premier tour et de cinq minutes pendant le deuxième tour. Je suis certain que nous pourrons compléter deux tours.
    Sur ce, accueillons Alex Neve, d'Amnistie Internationale.
    Merci, monsieur le président.
    Bonjour à tous. C'est un plaisir d'être de nouveau devant le comité dans le cadre de votre étude des relations commerciales Canada-Amérique du Sud.
    Je me suis présenté devant le comité en avril 2008 lorsque vous avez étudié les négociations sur le libre-échange entre le Canada et la Colombie. À l'époque, j'ai revu en détail la situation en matière de droits de la personne en Colombie, que nous avons décrite comme inquiétante et qui n'était rien de moins qu'une crise. Au cours des 19 mois qui ont suivi, Amnistie Internationale a continué à surveiller de près la situation des droits de la personne dans différentes régions du pays et a effectué de nombreuses visites d'information sur place.
    Les renseignements que nous avons recueillis continuent de dépeindre un portrait désastreux de la situation qui n'est certainement pas conforme aux prétentions de certains, dont le gouvernement colombien, qui affirment que le pays a laissé derrière lui son lourd passé en matière de droits de la personne.
    Certains indicateurs de la violence reliée aux conflits tels que les enlèvements et les prises d'otages se sont améliorés, ce qui veut probablement dire que pour certains groupes, la sécurité s'est accrue. Cependant, d'autres importants indicateurs de la violence reliée aux conflits se sont détériorés.
    L'une des tendances les plus inquiétantes est l'augmentation marquée du nombre de Colombiens forcés de s'enfuir de leur domicile. Jusqu'à 380 000 personnes ont été forcées de fuir leur domicile en 2008 seulement, ce qui représente une augmentation de plus de 24 p. 100 par rapport à 2007. Ainsi, le nombre total de personnes déplacées à l'intérieur du territoire, en Colombie, atteint les trois et quatre millions de personnes, l'un des plus élevés au monde. De plus, au moins un demi-million de Colombiens ont fui vers d'autres pays. Le déplacement des personnes est devenu une crise extrême.
    Beaucoup de personnes déplacées ont été délibérément ciblées par les groupes de guérilla, les milices paramilitaires ou les forces de sécurité du pays dans le cadre de stratégies visant à expulser des communautés entières des zones d'importance militaire, stratégique ou économique. La majorité des personnes touchées sont des petits fermiers, des Afro-Colombiens ou des Autochtones, dont bon nombre vivent dans les zones d'intérêt économique.
    Les menaces proférées contre des Autochtones et les assassinats d'Autochtones par toutes les parties en conflit, en particulier, ont augmenté au cours des dernières années. Plus de 1 000 Autochtones ont été tués au cours des six dernières années seulement.
    Comme le comité le sait peut-être, en juillet dernier, James Anaya, le rapporteur spécial de l'ONU sur la situation des droits de l'homme et des libertés fondamentales des populations autochtones a visité la Colombie. Son rapport préliminaire répète quelques-unes des conclusions publiées par son prédécesseur cinq ans plus tôt, en 2004, en particulier que « les peuples autochtones de la Colombie, en matière de droits de la personne, se retrouvent dans une situation grave, critique et profondément inquiétante » et que « cette description est toujours d'actualité » en dépit des efforts du gouvernement colombien.
    Parmi les inquiétudes sur lesquelles il attire l'attention, on retrouve les infractions toujours commises par les FARC, telles que les massacres du peuple Awá, qu'Amnistie Internationale a également dénoncés en février. Il nous avise également que « l'intérêt profond des sociétés pour les ressources naturelles des territoires autochtones menace souvent les droits des peuples autochtones ».
    Il souligne que le manque de considération pour un consentement préalable libre et éclairé, stipulé par les lois internationales et la Constitution de la Colombie, est un problème persistant.
    Amnistie Internationale a récemment émis un avis d'action urgente concernant les menaces et les attaques contre les communautés afro-colombiennes et des peuples autochtones vulnérables, qui semblent viser le contrôle des zones ayant un potentiel économique.
    Par exemple, le 9 octobre, nous avons émis un avis d'action urgente après que trois responsables indigènes de deux réserves du département de Risaralda aient reçu une lettre de menaces qui disait: « Vous avez cinq jours ouvrables pour vous retirer... sinon nous tuerons vos familles ». C'était signé: « Bloc Sud ». La menace de ce groupe paramilitaire est survenue cinq jours après la publication par le Conseil régional indigène de Risaralda d'un rapport dans lequel les communautés indigènes disaient qu'elles étaient chassées de leurs terres par des gens puissants qui cherchaient à exploiter les importantes ressources minérales de la région. Les responsables indigènes ont fui la région pour protéger la vie de leurs familles.
(1115)
    Puis, le 22 octobre, le groupe paramilitaire les Aigles noirs nouvelle génération a fait parvenir une télécopie au bureau de Valle del Cauca du Congrès des syndicats pour informer les membres présents dans la région qu'ils étaient désormais considérés comme des cibles militaires. En gros, les auteurs de la télécopie disaient qu'il fallait étendre le combat à ceux qui se cachent derrière les divers organismes sociaux, comme le Congrès des syndicats de Valle, les groupes de défense des droits de l'homme et les ONG. Ils accusaient notamment les syndicalistes d'entraver le développement économique et le progrès en empêchant les multinationales de s'installer au pays. Les menaces de mort visaient également d'autres cibles, y compris le groupe Proceso de Comunidades Negras, le dirigeant duquel est venu témoigner devant vous mardi dernier, si je ne m'abuse.
    Ces cas, et les innombrables autres du même acabit, prouvent hors de tout doute que les groupes paramilitaires continuent de sévir dans de nombreuses régions du pays, parfois même de connivence avec les forces de sécurité et malgré les prétentions du gouvernement, qui affirme que tous les groupes paramilitaires ont déposé les armes à la suite de l'exercice de démobilisation entrepris par le gouvernement en 2003. En fait, selon ce qu'a appris Amnistie internationale, ces groupes, qui se font connaître sous une multitude de noms, semblent au contraire avoir réussi à mieux s'organiser depuis un an.
    Nous avons également constaté que le nombre de menaces de mort proférées contre les groupes de défense des droits de l'homme avait augmenté et que la plupart d'entre elles était attribuables aux groupes paramilitaires.
    En mars, le groupe paramilitaire le Bloc capital des Aigles noirs a fait parvenir une télécopie au bureau de la Commission des juristes de Colombie, pourtant bien respectée sur la scène internationale; les auteurs accusaient l'une des avocates, Lina Paola Malagon Diaz, d'être une « putain de guérilléra » à la solde des syndicalistes et précisaient que les paramilitaires s'étaient lancés à sa recherche, à elle et à sa famille. On l'a avertie que, si elle ne quittait pas Bogota — pour de bon — d'ici le lendemain, elle serait exécutée. Elle a fui la Colombie. Il faut savoir qu'elle avait produit un rapport sur les violations des droits de l'homme dont les syndicalistes colombiens étaient victimes — de la part de toutes les factions prenant part au conflit armé en Colombie — et que ce rapport avait été cité quelques semaines auparavant lors d'une séance du Congrès américain.
    Plus d'une douzaine de défenseurs des droits de l'homme et 46 syndicalistes ont été tués pendant la seule année 2008. La portée et la gravité des attaques et des menaces contre les syndicalistes ou ceux qui osent dénoncer les violations des droits de l'homme sont on ne peut plus claires. On n'en est plus à se contenter d'une simple analyse statistique des données. Je trouve d'ailleurs qu'on s'attarde toujours beaucoup trop aux chiffres lorsqu'on parle de ces choses-là. C'est pourquoi, je vous en supplie, ne vous contentez pas de regarder seulement la quantité, mais aussi la qualité. Je vous supplie également de garder tout ceci en mémoire lorsque vous analyserez les arguments des autres témoins, ceux qui, par exemple, voudront absolument tout ramener à de simples considérations statistiques, car n'oubliez pas que la plupart d'entre eux n'auront pas nécessairement notre expertise en matière de surveillance des droits de l'homme.
    Nous, Amnistie internationale, et plusieurs autres, demeurons profondément troublés par ce qu'a dit la Haute Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme dans son rapport de mars dernier. Elle se disait en effet très inquiète de ce que les déclarations publiques dans lesquels de nombreux hauts représentants du gouvernement stigmatisaient les défenseurs des droits de l'homme et les syndicalistes en les montrant sous un mauvais jour et en les associant aux guérilléros, n'avait toujours pas cessé.
    La même préoccupation a été soulevée récemment après la visite de certains hauts dirigeants des Nations Unies en Colombie, dont la rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l'homme, en septembre, et le rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, en juin.
    La Commission interaméricaine des droits de l'homme a également fait savoir que les commentaires de cette nature de la part de représentants du gouvernement pouvaient non seulement accroître les risques auxquels les défenseurs des droits de l'homme s'exposent, mais que les actes de violence destinés à les supprimer coûte que coûte ont l'aval des gouvernements. Comme de fait, ces déclarations publiques ont souvent été suivies de menaces de mort, d'attaques et même d'assassinats.
    Comme les membres de votre comité le savent déjà, les défenseurs des droits de l'homme qui font l'objet de menaces peuvent compter depuis un certain déjà sur un programme gouvernemental complet de protection. Or, en avril dernier, une enquête des médias a permis de révéler que, depuis au moins sept ans, le service civil de renseignements, qui relève directement du président de la Colombie et à qui il incombe de fournir les gardes du corps aux défenseurs des droits de l'homme et de prendre les diverses mesures destinées à assurer leur protection, menait une vaste opération illégale d'espionnage — surveillance, écoute téléphonique, etc. — contre les défenseurs des droits de l'homme et de nombreuses autres personnalités, dont des politiciens, des juges et des journalistes, le tout dans le but d'en restreindre ou d'en neutraliser le travail. Certains membres de la communauté diplomatique, des Nations Unies et de divers organismes étrangers de défense des droits de l'homme, y compris Amnistie internationale, étaient aussi visés.
(1120)
    Et ce n'est pas tout. Le scandale « parapolitique » est loin d'être fini, car 80 députés, la plupart appartenant aux partis de la coalition au pouvoir, font l'objet d'enquêtes criminelles pour de supposés liens avec les groupes paramilitaires. Plusieurs des magistrats qui instruisent l'affaire ont été menacés et placés sous surveillance et ont même vu leurs communications interceptées.
    En 2008, lorsqu'on a appris que les forces de sécurité avaient procédé à l'exécution extrajudiciaire de dizaines de jeunes hommes, le procureur général a décidé d'enquêter sur plus de 2 000 exécutions extrajudiciaires ayant eu lieu au cours des 20 dernières années. Malheureusement, un grand nombre d'avocats chargés de l'enquête, de témoins et de membres de la famille des victimes ont eux aussi été menacés et attaqués.
    Tout ça pour vous démontrer à quel point il est difficile de s'attaquer à l'impunité des têtes dirigeantes, la justice demeurant l'exception et l'impunité, la norme. Résultat: ceux qui continuent de violer les droits de l'homme peuvent agir à leur guise.
    En ce qui concerne l'accord de libre-échange, eh bien disons qu'à la lumière de tous les éléments dont je viens de vous parler — et sachez que je suis loin de vous avoir tout dit —, la principale recommandation d'Amnistie internationale est la même que depuis plusieurs années: nous croyons qu'il est absolument essentiel que les répercussions de l'accord à venir sur les droits de l'homme fassent l'objet d'une évaluation indépendante, bien évidemment avant l'adoption du projet de loi C-23, et que tous les éléments négatifs qui pourraient en ressortir soient réglés avant que le processus législatif n'aille plus loin et que l'entente n'entre en vigueur.
    Nous avons été ravis d'apprendre que votre comité, dans son rapport daté de juin 2008, avait lui aussi recommandé que les répercussions de l'accord de libre-échange sur les droits de l'homme fassent l'objet d'une évaluation indépendante. Nous avions également recommandé que rien ne soit conclu et que le projet de loi C-23 ne soit pas adopté tant que les entreprises canadiennes actives à l'étranger ne seront pas assujetties à des normes coercitives, ce qui devrait être bientôt le cas si le projet de loi C-300 devait être adopté. Je dois préciser que, de l'avis d'Amnistie internationale, les audiences que vous menez actuellement ne peuvent en aucun cas remplacer l'évaluation indépendante que nous réclamons, pas plus que la série d'audiences qui suivra la deuxième lecture du projet de loi C-23. Pour être valable, cette évaluation doit être réalisée par des experts étrangers au contexte parlementaire. Il va sans dire que, quel que soit l'organisme à qui sera confié ce processus, il devra faire rapport au Parlement de ses conclusions.
    À notre avis, dans la mesure où, en Colombie, les droits de l'homme font l'objet de violations graves et systématiques et où l'on constate des abus répétés dans les domaines d'intérêts économiques, seule une évaluation indépendante des répercussions d'un éventuel accord de libre-échange sur les droits de l'homme peut assurer la diligence raisonnable du processus. Même si on n'y a pas encore recours systématiquement, cet outil suscite de plus en plus d'intérêt, et nombreux sont les exemples pratiques, les analyses, les propositions et les études universitaires dont on peut s'inspirer. Même l'Organisation mondiale du commerce s'y intéresse de plus en plus. En septembre à Genève, dans le cadre de son Forum public, une séance a justement été organisée sur le sujet; elle était animée par l'une des conseillères du bureau du directeur général de l'OMC et s'intitulait: « Les études d'impact sur les droits humains: un outil utile pour éclairer et améliorer la gouvernance commerciale? »
    En 2006, la Commission nationale des droits de l'homme de Thaïlande a évalué les répercussions possibles, sur les droits de l'homme, de l'accord de libre-échange que le pays était en train de négocier avec les États-Unis. En 2007, l'Ecumenical Advocacy Alliance, en collaboration avec l'organisme Information et réseau d'action pour le droit à se nourrir, a commandé une série d'études visant à évaluer les répercussions de la libéralisation des échanges sur le droit à l'alimentation des riziculteurs du Ghana, du Honduras et d'Indonésie. Quant à l'Union européenne, elle évalue systématiquement les répercussions économiques, sociales et environnementales de tous les grands accords bilatéraux et multilatéraux qu'elle négocie. C'est ce qu'elle appelle des « évaluations d'impact sur le développement durable ». Et au cours de la dernière décennie, le Programme des Nations Unies pour l'environnement a élaboré un procédé d'évaluation des répercussions qui intègre autant les aspects environnementaux et économiques que sociaux d'un projet donné.
    Je tiens enfin à souligner que les Canadiens ne sont pas indifférents à la question du respect des droits de l'homme. J'ai ici une copie d'une pétition photographique organisée par une résidente d'Edmonton membre d'Amnistie internationale. Elle a réuni les photos de centaines de Canadiens de tous les coins du pays, de tous les horizons et qui ont tous en commun de croire en la nécessité des évaluations d'impact sur les droits de l'homme. Sa pétition a déjà été envoyée au premier ministre et aux chefs des trois partis d'opposition.
    Pour conclure, j'estime qu'il est de mon devoir de vous informer que la manière dont le débat entourant l'accord entre le Canada-Colombie suscite un certain malaise et certaines inquiétudes. Nous espérons certainement que les séances pendant lesquelles votre comité a examiné sommairement les relations commerciales entre le Canada et les pays d'Amérique du Sud ne l'empêcheront pas de se prêter à un examen exhaustif et rigoureux du projet de loi C-23 lorsqu'il lui sera renvoyé. Nous exhortons d'ailleurs le comité à entendre toute une panoplie de témoins représentant l'éventail complet des intérêts en jeu, dont ceux des couches les plus vulnérables de la société colombienne, car c'est sans aucun doute sur ces couches qu'une éventuelle entente aura le plus de répercussions. Chose certaine, c'est avec grand plaisir qu'Amnistie internationale accepterait de comparaître de nouveau devant vous pour vous faire part de ses recommandations sur le projet de loi C-23 lui-même.
(1125)
    C'était mes commentaires, monsieur le président. Je vous remercie.
    Merci beaucoup.
    Nous allons passer à la première série de questions. Je vous répète que chacun des membres du comité dispose de sept minutes pour poser ses questions et écouter les réponses de notre témoin. Commençons par M. Brison.
    Merci beaucoup, monsieur Neve, d'être ici aujourd'hui.
    Vous avez cité la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l'homme. Vous avez d'ailleurs cité plusieurs sources des Nations Unies, et c'est vrai que c'est un organisme plutôt crédible, mais j'aimerais moi aussi citer la rapporteuse spéciale, Margaret Sekaggya, qui a dit ce qui suit dans un communiqué daté du 18 septembre 2009:
[Traduction] Je tiens à féliciter le gouvernement pour la manière dont la sécurité globale s'est améliorée en Colombie depuis 2002. Le droit à la vie des citoyens colombiens est mieux respecté et ces derniers peuvent plus facilement exercer leurs libertés fondamentales.
Je tiens à féliciter le gouvernement pour avoir élaboré diverses politiques et stratégies visant à protéger les défenseurs des droits de l'homme.
    Qui plus est, s'il est vrai que le représentant du secrétaire général pour les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays, Walter Kälin, a reconnu, après s'être rendu en Colombie en novembre 2008, que les déplacements forcés étaient encore nombreux dans certaines régions du pays, il a également souligné que les choses avaient beaucoup évolué depuis sa dernière mission en Colombie, en 2006. Il a notamment souligné la manière constructive dont la Cour constitutionnelle avait influencé la réponse nationale aux déplacements forcés. Il a également cité l'augmentation importante des ressources budgétaires consentie par le gouvernement et la façon dont les différents programmes ont facilité l'accès à l'éducation et aux soins de santé.
    Selon Kälin, les raisons derrière les déplacements forcés sont aussi nombreuses que complexes et vont de la violation des lois humanitaires internationales par les divers groupes armés, dont font partie les groupes de guérilla comme les FARC et l'ELN, à la multiplication des intérêts armés et des activités criminelles dans le sillon de la démobilisation paramilitaire (qu'on pourrait aussi appeler « remobilisation des gangs de trafiquants »), en passant par le recrutement forcé que font les groupes armés illégaux, le trafic de narcotiques et les menaces et les pressions visant à forcer les gens à collaborer avec les groupes armés illégaux, pour ne nommer que ceux-là.
    Ce qui, il y a plus de 40 ans de cela, n'était en fait qu'une bataille idéologique (à laquelle les FARC étaient d'ailleurs partie prenante) s'est depuis transformé en véritable guerre de trafiquants. Pourquoi, selon vous, les Colombiens vivant dans les régions les plus pauvres du pays s'embarquent-ils dans les FARC ou dans les gangs de trafiquants? Pourquoi, selon vous, si ce n'est pour des raisons idéologiques?
(1130)
    Je suis certain que les explications sont aussi variées que les motivations de chacun. Mais, à mon avis, il ne faut surtout pas oublier que la plupart des gens font tout ce qu'ils peuvent pour être tenus à l'écart et ne pas être impliqués dans ce conflit, d'un côté ou de l'autre.
    Croyez-vous que certains puissent être motivés par l'incapacité de gagner leur vie?
    Pour certains, c'est sûr que oui. Pour d'autres, c'est peut-être la terreur et l'intimidation qui les incitent à agir ainsi. D'autres encore pensent peut-être que c'est la chose à faire, un point c'est tout. Et il est certain que les considérations idéologiques pèsent dans la balance pour beaucoup d'autres.
    Croyez-vous que les activités des gangs de trafiquants et des FARC sont régies par un quelconque accord sur le travail? Respectent-elles les normes du travail? Le Canada et les FARC se fondent-ils sur un ensemble commun de normes environnementales, par exemple?
    J'essaie en fait de déterminer si nous pouvons véritablement avoir la moindre influence sur les normes du travail dans le contexte actuel.
    Bien évidemment que ni les activités des FARC, ni celles des gangs de trafiquants de Colombie ne reposent sur quelque norme que ce soit, que ce soit en matière de travail ou de droits de l'homme. Et c'est précisément l'un des éléments qui a le plus marqué la longue lutte pour le respect des droits de l'homme dans ce pays et l'une des raisons pour lesquelles nous devons être particulièrement prudents dès qu'il est question de relations commerciales, parce que les FARC et les gangs de trafiquants font bel et bien partie du tableau. Et même si ce n'était pas le cas, il ne fait aucun doute que la manière dont ils mènent leurs opérations et dont ils abusent des collectivités et des gens se répercutent directement sur la situation économique.
    Absolument. Mais dans ce cas-là, si l'on accepte le principe selon lequel — et je crois que votre position rejoint la mienne là-dessus — la guerre des trafiquants est responsable d'une bonne partie de la violence, des déplacements et des violations des droits de l'homme en Colombie; et si l'on accepte le principe selon lequel nous n'avons aucune influence sur ces éléments; dans la mesure où l'on propose aujourd'hui de mettre en oeuvre les accords les plus solides jamais conclus entre deux gouvernements souverains en matière de travail et d'environnement, en quoi l'instauration d'un système qui, étant régi par une série de règles bien établies, encadrera les échanges commerciaux légitimes entre les deux pays, d'une part, favorisera la croissance de ces mêmes échanges commerciaux légitimes, d'autre part, et offrira aux Colombiens les plus pauvres et les plus défavorisés le moyen de gagner leur vie sans avoir à se tourner vers le trafic de la drogue, peut-elle empirer la situation? J'essaie de comprendre.
    Comme votre organisme, je suis moi aussi d'avis que nous devrions tout faire pour améliorer la situation, mais j'essaie de comprendre en quoi des échanges commerciaux légitimes encadrés par un système reposant sur des règles claires pourraient empirer les choses.
    Pour commencer, je crois qu'il faut absolument souligner que, s'il est indéniable que la violence liée à la drogue compte pour une bonne part de ce qui se passe en Colombie, elle n'en est pas la seule cause. Les renseignements que nous avons recueillis et certains des exemples que je vous ai donnés aujourd'hui montrent clairement que de nombreux actes de violence grave et de nombreuses violations des droits de l'homme sont directement liés à la lutte que se font divers groupes pour le contrôle des régions susceptibles de présenter un certain potentiel économique, de receler des ressources naturelles, etc.
    Malheureusement, plus le niveau et la nature des investissements croissent, plus les groupes paramilitaires, que ce soit les FARC ou certains autres gangs plus obscurs, sont intéressés à prendre le contrôle de ces régions et de ces terres, car ils peuvent ainsi profiter de la croissance économique et de l'exploitation des ressources naturelles. Alors oui, si nous ne pouvons pas compter sur les mesures vigoureuses, les engagements concrets et la surveillance efficace dont le gouvernement colombien aurait besoin pour protéger les citoyens qui sont marginalisés, c'est très possible que la situation se détériore.
(1135)
    Je l'apprécie.
    Mon collègue, M. Silva, a une question.
    Je suis désolé, vos sept minutes sont écoulées. Il y aura une autre série de questions.
    Monsieur Cardin.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
     Bonjour et bienvenue, monsieur.
     Vous avez comparu devant ce comité il n'y a pas si longtemps. Vous disiez alors ne prendre position ni sur un éventuel accord de libre-échange ni sur un projet économique ou commercial. Vous mentionniez également que les accords de libre-échange n'étaient intrinsèquement ni bons ni mauvais, mais qu'il fallait s'assurer d'appliquer des politiques pour protéger autant l'environnement que les droits de la personne. En conclusion, vous faisiez les mêmes recommandations que celles contenues dans le rapport du comité, que les libéraux ont fortement appuyé. On compte toujours sur leur appui, d'ailleurs. Évidemment, il faut qu'un suivi et une évaluation de tous les mécanismes en oeuvre pour protéger les droits de la personne soient réalisés avant que l'accord soit signé définitivement.
    Certains partis de ce comité invoquent souvent le fait qu'il existe des accords parallèles sur les droits du travail et l'environnement. J'aimerais vous lire un extrait tiré d'une étude datant de 2004 réalisée par le Corporate Engagement Project et commanditée par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. J'en ai fait la traduction libre suivante:
     L'étude n'est pas arrivée à la conclusion qu'il était possible de mener des activités en Colombie sans nourrir ou exacerber le conflit, même en présence de bonnes pratiques entrepreneuriales. Il est clair que les compagnies peuvent influencer la situation sociale et économique d'une société de façon positive. Cependant, une partie des ressources qu'une compagnie aide à générer peut simultanément financer de multiples parties au conflit au moyen de contrats, d'extorsion, surtout auprès des entrepreneurs et du personnel, ou de corruption. Par exemple, il serait difficile sinon impossible que la présence d'une compagnie n'attire pas de groupes armés illégaux, vu le conflit social interne en Colombie. Ceci pourrait donc représenter le plus grand handicap pour tout investissement en Colombie.
    Vous proposez, comme le faisait le rapport, d'assurer un suivi serré. On dit qu'il faut absolument faire des investissements, mais il s'avère, vu la situation, que ça pourrait contribuer à accroître le conflit. Si vous avez déjà parcouru ou lu cette étude, j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

[Traduction]

    Je ne connais pas cette étude en particulier, mais je partage certainement les mêmes préoccupations. Nous avons dit dès le départ que la raison pour laquelle nous devons procéder à une évaluation des répercussions sur le respect des droits de la personne est pour comprendre ces types de préoccupations et d'ensuite décider si elle pourrait être possible. Que ce soit dans le contexte d'un accord avec la Colombie ou d'un autre pays, les préoccupations sont si profondément ancrées dans les systèmes de gouvernance du pays et autres qu'à ce stade-ci, il n'y a aucune façon possible de donner suite à l'accord de libre-échange proposé en protégeant adéquatement la situation des droits de la personne et, surtout, en ne l'empirant pas.
    Il se pourrait également que l'évaluation des répercussions mette en lumière les préoccupations que vous avez soulevées, mais aussi qu'elle fasse des recommandations: compte tenu des répercussions au sujet des façons dont les investissements pourraient alimenter le conflit, voici les types de mécanismes de contrôle et de surveillance qui doivent être appliqués, voici une approche différente à l'égard de la façon dont les redevances et les revenus générés par cet investissement devraient être traités, le genre de transparence que nous devons voir en ce qui touche ces fonds, et si tous ces mécanismes sont en place, l'on peut procéder à l'investissement de façon avantageuse pour l'économie, le progrès social et également les droits de la personne. Voilà ce que nous enseigne l'évaluation des répercussions sur le respect des droits de la personne.
(1140)

[Français]

    On fait souvent allusion aux accords parallèles.
    Prenons un exemple. S'il y avait une plainte en vertu des accords parallèles, un comité ministériel serait mis en place pour assurer le suivi de cet engagement. Par contre, le dernier recours, par suite d'un processus qui ne peut être engagé que par l'une des parties, ne pourrait avoir lieu que si l'infraction était relative au commerce. Je le souligne. La partie fautive serait alors condamnée à mettre l'argent dans un fonds.
    Les sanctions prévues dans le cadre des accords relatifs à l'environnement et aux droits du travail peuvent paraître faibles dans ces accords, surtout dans la mesure où c'est à chaque partie de protéger ses propres investisseurs et où des violations aux droits de la personne ne peuvent pas être assimilées à des avantages comparatifs illégitimes. Par conséquent, le rapport de force entre les deux États n'opère plus en faveur de l'environnement ou des travailleurs.
    On sait que les rapports commerciaux entre le Canada et le Colombie sont complémentaires et non concurrents. Par conséquent, s'ils n'occasionnent pas d'avantages coopératifs, les accords, au niveau du travail et de l'environnement, ne tiennent plus et on ne peut pas s'en servir pour améliorer les conditions de travail et l'environnement.
    Quelle est votre perception, à ce chapitre?

[Traduction]

    Nous étions conscients du fait qu'il existe des ententes particulières, et du point de vue des droits de la personne, nous avons examiné de plus près les ententes particulières sur la main-d'oeuvre, étant donné que les droits de la main-d'oeuvre sont des droits de la personne, et il est clair que de nombreux aspects visés par cette entente se rapportent à des préoccupations en matière de droits de la personne. Nous croyons que c'est un bon pas en avant. Nous ne sommes pas encore certains s'il s'agit ou non d'une mesure adéquate pour composer avec les graves violations relatives à la main-d'oeuvre qui continuent d'être une réalité quotidienne en Colombie. Je le répète, nous croyons que l'entente particulière en elle-même devrait faire partie de l'évaluation des répercussions sur le respect des droits de la personne.
    Nous avons souligné qu'un grand nombre de préoccupations relatives aux droits de la personne associées à cet accord ne relèvent tout simplement pas du mandat de l'une ou l'autre de ces ententes particulières. Par ailleurs, comme vous l'avez fait remarquer en ce qui touche certaines des préoccupations liées aux questions de main-d'oeuvre, si l'on tient compte du libellé précis des types de préoccupations qui déclencheraient ou non la juridiction des processus aux termes de l'accord de libre-échange, on ne peut même pas dire avec certitude si la gamme complète des préoccupations liées à la main-d'oeuvre serait visée par cet arrangement. Bien des points ont été laissés de côté.
    Monsieur Julian.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Neve, d'avoir témoigné.
    Je crois que tous les membres ont bien entendu votre demande de comparaître devant le comité lorsque nous aurions une étude réelle plutôt que fictive. Comme vous le savez, ce projet de loi n'a même pas été soumis à l'examen approfondi du comité. Il serait très important de faire en sorte qu'Amnistie internationale revienne si le Parlement décide d'étudier plus à fond ce projet de loi.
    Je veux commencer par la question des études. Le gouvernement colombien a, bien sûr, produit des études qui ont été discréditées. Il y a eu une visite au début de la semaine au sujet d'une étude qui avait supposément été faite avec des données de l'ENS, mais l'ENS a très clairement discrédité cet article, tant pendant nos audiences que la soirée, à Ottawa.
    Il n'y a rien pour appuyer les promoteurs de cet accord. Il y a, bien entendu, un grand nombre d'études, dont celles d'Amnistie internationale, de Human Rights Watch, de CENSAT, de la commission colombienne des juristes.
    Dans le cadre de leur responsabilité de diligence raisonnable, que devraient lire les membres pour bien comprendre l'importance de procéder à cette évaluation indépendante et impartiale des droits de la personne?
    Je crois que vous devriez vous documenter autant que possible. Je sais qu'il s'agit d'une tâche énorme parce que la Colombie est un pays où la richesse du matériel et de l'information est considérable. Je crois que vous devriez vous concentrer sur l'information qui provient de sources et d'organismes indépendants, impartiaux et spécialisés. Je pousserai la vantardise jusqu'à ajouter le nôtre à cette liste.
    Nous n'avons pas d'associations politiques. Comme je l'ai clairement répété à ce comité et ailleurs, nous n'avons pas d'intérêt direct dans la politique commerciale. Nous ne sommes ni pour ni contre le libre-échange. Nous avons de nombreuses décennies d'expertise dans la surveillance de la situation des droits de la personne. Je crois qu'il s'agit d'organismes comme ceux-là, ainsi que de l'ONU.
(1145)
    Vous faites allusion à l'étude d'Amnistie Internationale intitulée Colombie: homicides, détention arbitraire et menaces de mort. La réalité du syndicalisme en Colombie.
    C'est un rapport parmi une multitude d'autres, oui.
    Merci.
    Je passe à ma prochaine question qui porte sur les préoccupations que vous avez soulevées quant au DAS, groupe du gouvernement colombien qui espionnait et surveillait les gens qui étaient supposément protégés par le gouvernement colombien. Avez-vous des preuves, que vous pourriez présenter au comité aujourd'hui ou à une date ultérieure, d'affaires où la soi-disant protection de certains membres, de défenseurs des droits de la personne ou d'activistes syndicaux en Colombie a mené à des menaces ou à des actes de violence contre d'autres personnes dont les noms sont ressortis de cette surveillance? Autrement dit, le gouvernement colombien utilisait-il délibérément la protection d'un petit nombre d'activistes pour s'en prendre à d'autres activistes par l'intermédiaire de ses paramilitaires?
    Je peux absolument vous en fournir. Je n'ai pas les détails ici, mais je sais que ces cas existent.
    Pour donner suite aux préoccupations liées au DAS, je ferais remarquer que ce service n'assure plus la sécurité des défenseurs des droits de la personne. À la place, le programme a dû faire appel à des agences de sécurité privées en Colombie. Cette façon de faire a donné lieu à toute une panoplie de nouvelles préoccupations, car on a pu prouver que bien des anciens paramilitaires ont fini par être employés par nombre de ces agences privées. Il est devenu terriblement difficile pour les défenseurs des droits de la personne en Colombie de savoir à qui ils peuvent vraiment faire confiance ou vers qui ils peuvent se tourner pour assurer leur protection.
    Je félicite Amnistie Internationale pour avoir fait ce travail.
    Vous pourriez donc voir un paramilitaire la nuit qui, le jour, est chargé d'assurer la protection potentielle de cette personne susceptible d'être une cible.
    Cette possibilité est très réelle. Voilà pourquoi nombre de défenseurs des droits de la personne refusent cette protection parce qu'ils estiment que le fait de compter sur cette protection accroîtra les dangers qui les menacent.
    Ce témoignage est choquant. Merci de l'avoir fait.
    Je veux continuer à parler des nombreuses études.
    Au sujet de la torture en Colombie, la commission colombienne des juristes — et cela vient d'être publié il y a quelques semaines, mais Isabelle Heyer, qui est membre de cette commission, a dit:
La violence sexuelle contre les femmes et les filles est l'un des modes les plus intenses de torture... une pratique habituelle, systématique et invisible, qui jouit de l'impunité dans la plupart des cas et dont les principaux auteurs sont des soldats et des policiers.
    Êtes-vous d'accord pour dire que les soldats et les policiers font partie du gouvernement colombien, qu'ils sont essentiellement sujets à la gouvernance du gouvernement colombien?
    Absolument.
    Alors lorsque nous voyons que la torture est pratiquée en Colombie, que ce soit par le groupe militaire du gouvernement ou le gouvernement lui-même, on peut dire que dans le contexte du gouvernement actuel, des actes de torture sont posés par des groupes de ce gouvernement.
    C'est clair, je crois que nous avons constamment dit qu'il y a trois acteurs dans la crise actuelle des droits de la personne en Colombie. Il y a, bien sûr, les FARC, les guérillas, qui sont responsables d'abus, les forces paramilitaires et les groupes paramilitaires recyclés avec leurs liens aux forces armées, mais aussi les forces gouvernementales mêmes, qui ont une responsabilité directe.
    Maintenant, je veux revenir à la question de l'investissement que vous avez soulevée dans votre exposé et venez de lire dans le rapport de CENSAT. Ils disent que « les violations des droits de la personne sont liées aux efforts de ceux qui se cachent derrières les forces paramilitaires meurtrières de Colombie pour créer des conditions d'investissement dont ils sont susceptibles de profiter ». Autrement dit, les investissements qui sont faits, potentiellement des investissements étrangers, peuvent en réalité servir à exacerber les violations des droits de la personne commises en Colombie.
    Êtes-vous d'accord avec cette déclaration?
    Effectivement et je crois que certains des cas particuliers que j'ai mis en lumière — des actions urgentes qu'Amnistie a récemment lancées — soulignent le lien direct qui existe entre les menaces et la violence paramilitaires et les intérêts économiques, leur détermination à parler contre les personnes qui soulèvent la moindre préoccupation au sujet des investissements, les tendances évidentes à vouloir défricher des terres et à ouvrir des secteurs aux investissements lorsqu'un bien-être économique important entre en jeu.
    Alors compte tenu des liens qui existent entre les investissements et les droits de la personne, ne diriez-vous pas qu'il serait grandement irresponsable pour ce comité de ne pas insister immédiatement pour une évaluation impartiale et complète de l'incidence de cet accord sur les droits de la personne si le Parlement venait à lui dire qu'il doit étudier ce projet de loi davantage? D'un côté, il n'y a aucune crédibilité et de l'autre, des pages et des pages de documentation. S'il y a le moindre désaccord sur la façon de procéder, ne devrions-nous pas arrêter net et procéder à l'évaluation indépendante et impartiale du respect des droits de la personne?
(1150)
    Notre position a toujours été claire. L'évaluation des répercussions sur le respect des droits de la personne doit être effectuée avant que l'accord n'aille plus loin, et ce n'est pas qu'il ne s'agit pas de quelque chose de souhaitable et d'idéaliste. À notre avis, cela fait partie intégrante de la responsabilité de diligence raisonnable dont le Canada doit s'acquitter avant de conclure pareille entente.
    Merci.
    Monsieur Keddy.
    Merci, monsieur le président.
    Bienvenue à notre comité, monsieur Neve. Vous n'en êtes pas à votre première comparution, et je m'attends à ce que vous reveniez lorsque les représentants de la Colombie comparaîtront devant notre comité. J'espère que ce sera pour bientôt.
    Vous soulevez un certain nombre de points intéressants, un certain nombre de points troublants et un certain nombre de points que j'aimerais explorer un peu plus à fond si vous me le permettez.
    Premièrement, vous avez parlé du massacre d'Awá par les FARC, et j'aimerais simplement que le compte rendu reflète que vous avez soulevé la question. Je l'apprécie, car un de nos membres avait dit au comité que le massacre avait été commis par le gouvernement. Alors c'est bien que quelqu'un remette les pendules à l'heure.
    Au sujet des paramilitaires et de ceux qui violent les droits de la personne, en particulier les Black Eagles — j'aimerais connaître votre opinion à ce sujet-là. Je suis bien conscient qu'il est presque impossible d'associer un pourcentage à quelque chose, mais quelle est l'ampleur du problème que représente la remobilisation des paramilitaires dans les gangs de criminels?
    Tout à fait, il est impossible de quantifier pareil problème, mais il est très important.
    Les nombres et les cas, par exemple, de menaces de mort et d'attaques qu'Amnistie a documentés contre les syndicalistes, les avocats et les activistes autochtones au cours de la dernière année sont à la hausse. Nos chercheurs experts sont d'avis que pendant cette période, notamment, le nombre de nouveaux groupes paramilitaires et de groupes militaires remobilisés a été... ils ont renforcé et consolidé leurs activités. Alors il ne s'agit pas d'une préoccupation passagère; c'est un problème qui s'intensifie, selon nous.
    Si l'on prend votre expérience dans le monde entier, ce n'est pas une situation inhabituelle dans les régions dévastées par la guerre ou affectées par la guerre civile, les régions qui ont été le théâtre de conflits armés pendant certaines périodes. Lorsque, soudainement, vous vous retrouvez avec un groupe de paramilitaires ou de soldats privés de leurs droits, ils ont toujours accès à l'armement et à l'entraînement, et ils optent habituellement pour des activités criminelles. Êtes-vous d'accord avec cela?
    Je crois qu'il s'agit de la préoccupation la plus habituelle. Les anciens combattants démobilisés et privés de leurs droits des deux côtés d'un conflit s'orientent-ils vers la criminalité généralisée? Vous constatez une hausse des meurtres, des vols et des crimes de ce genre. Ce que nous voyons ici, par contre, est quelque chose qui va au-delà de cela. Nous voyons des groupes paramilitaires qui se reforment et qui recommencent à perpétrer les mêmes attaques ciblées contre des secteurs précis de la société pour des raisons d'ordre politique, économique et stratégique, et qui ne sont pas qu'une question de criminalité généralisée.
    Je la perçois comme une activité criminelle, assurément.
    Elle est certainement criminelle, mais pas exclusivement.
    Je suppose que là où je veux en venir est que s'il n'y a pas d'emplois, pas de possibilités, si nous voulons isoler la Colombie et ne pas faire de commerce avec elle... Honnêtement, je suis troublé par l'idée que soudainement, nous entreprenons des activités commerciales... nous faisons déjà des échanges commerciaux avec la Colombie. La seule façon qu'elle pourra se sortir du marasme dans lequel elle se trouve est en offrant des emplois et des possibilités à ses citoyens. Vous ne pouvez le faire en l'isolant.
    Je n'ai pas terminé. Les Colombiens ont besoin de sécurité, je suis parfaitement d'accord, mais comment la trouveront-ils, et comment les orientons-nous dans cette direction? Tout ce que nous avons vu nous a montré qu'au fil du temps, la situation en Colombie s'est améliorée. Évidemment, elle a ses hauts et ses bas, mais elle s'est améliorée. La sécurité du Colombien moyen est meilleure qu'elle était il y a 10 ans. La sécurité des syndicalistes aussi. La Colombie est une société violente, et je crois que le gouvernement lutte vaillamment pour s'en sortir et qu'il a du travail à faire. Je suis entièrement d'accord.
    Je sais que nous n'avons pas beaucoup de temps, alors ma dernière question porte sur la nouvelle loi sur le renseignement et le contre-espionnage que le Congrès colombien a adoptée l'été dernier. Margaret Sekaggya, en sa qualité d'envoyée de l'ONU, s'en est réjouie. Elle a déclaré officiellement qu'elle croit que c'est une bonne chose. Vos commentaires à cet égard semblent un peu négatifs. Je veux que le compte rendu reflète que le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a indiqué, le 16 juin, que cette nouvelle loi, avec son accent sur la garantie des droits et l'application de strictes mesures de conformité aux contrôles politiques et juridiques, constitue un cadre juridique adéquat pour prévenir les situations semblables d'écoute téléphonique illégale auxquelles vous avez fait allusion plus tôt.
    Le Haut-commissariat a également suggéré la mise en oeuvre immédiate de cette loi et d'autres changements nécessaires au sein du département administratif de la sécurité, le DAS. Il souligne également la manière diligente avec laquelle le bureau du procureur général et le bureau de l'inspecteur général mènent des enquêtes sur ces allégations. Voilà où je veux en venir: si je me fie non seulement à votre témoignage, mais également à celui d'autres personnes, il semble qu'il y avait un grave problème là-bas.
    Le gouvernement a réagi à ce problème. Il a modifié la loi. Je ne dis pas qu'elle est parfaite. Et un autre organisme — pas seulement le vôtre — s'est penché sur la situation et a affirmé qu'à son avis, le gouvernement était sur la bonne voie.
    Je ne pense pas que la Colombie soit parfaite, croyez-moi, mais j'estime qu'elle est sur la bonne voie.
    Notez-vous au moins une amélioration graduelle au fil du temps? Je sais que la situation présente des défis, mais y a-t-il une petite amélioration, une liberté de mouvement, une liberté d'association pour les citoyens ordinaires de Colombie?
(1155)
    Il y a tellement d'information dans vos commentaires. Il y a deux ou trois points que j'aimerais clarifier.
    Le premier est que je veux que ce soit absolument clair que nous n'avons jamais dit de ne pas faire de commerce avec la Colombie. Nous n'avons jamais dit qu'il fallait isoler ce pays.
    Je l'apprécie.
    Que ce soit dans le cadre de la relation commerciale continue ou d’un projet de modification de cette relation, nous avons toujours dit que les répercussions sur les droits de la personne doivent être bien claires et qu’il faut les comprendre parfaitement et y remédier avant d'approfondir cette relation commerciale. C'est tout ce que nous voulons.
    Pour ce qui est du terrible scandale de cette année concernant les activités d'écoute et de surveillance auxquelles se sont adonnés les gardes du corps du Departamento Administrativo de Seguridad, ou DAS, à l'égard des défenseurs des droits de la personne, le gouvernement est bel et bien en train d’intervenir, et ce, rapidement. De surcroît, nous ne nous opposons pas aux propos de Margaret Sekaggya, notamment, ce qui signifie que nous avançons probablement dans la bonne direction. Il n’en demeure pas moins scandaleux et inadmissible que le service de renseignement civil relevant du président colombien ait mené de telles activités au cours des huit dernières années. Voilà qui témoigne encore une fois du fait qu'il y a souvent beaucoup de fumisterie par rapport aux droits de la personne en Colombie quant à la réalité que l’on veut nous faire croire et aux jeux de coulisse réels.
    Enfin, en ce qui concerne la sécurité qui est meilleure ou non, je crois qu’elle dépend en grande partie de l’endroit où l’on se trouve en Colombie. Dans les villes, de nombreux citadins estiment que la sécurité s'est visiblement améliorée, mais le débat demeure à cet égard. À mon avis, c’est en dehors des villes que résident les préoccupations réelles. C'est là que se ferait sentir une grande partie de l'impact du commerce et des investissements renforcés.
    Je vous remercie.
    Monsieur Silva, je vous prie de vous en tenir au temps accordé, cette fois.
    Merci, monsieur le président. Je tiens à remercier Alex Neve d’être des nôtres aujourd’hui et Amnistie internationale pour l’ensemble de son œuvre.
    Je tiens à consigner au compte-rendu que vous êtes ici aujourd'hui en partie parce que j'ai demandé au président d’inviter Amnistie à témoigner. J’estimais qu'il était important d'entendre votre témoignage, car Amnistie a toujours fourni des renseignements utiles pour nos comités.
    Je dois dire que cette affaire m’inquiète quelque peu. J'ai également des préoccupations quant aux droits de la personne. Je sais que des gens aiment comparer cette situation à un affrontement entre ceux qui se soucient des droits de la personne et ceux qui ne s’en soucient pas. Selon moi, c’est injuste, car je crois que chacun d'entre nous se soucie des droits de la personne.
    Il est question de savoir comment attaquer les enjeux des droits de la personne et comment procéder par rapport à l’accord en question. Je tiens à féliciter votre secrétaire générale, Irene Khan, pour avoir fait de la pauvreté la plus grande violation des droits de la personne. J’estime que la pauvreté est une question primordiale. C'est sur le plan de la pauvreté que j’attends de voir si les accords commerciaux vont réussir à améliorer la vie des gens.
    Vous dites que vous ne nous demandez pas de ne pas commercer avec la Colombie. Cet accord commercial ne couvre que 20 p. 100 environ des biens qui ne font actuellement pas l'objet d'échanges commerciaux. Les 80 p. 100 restants sont des biens qui font déjà l'objet d'échanges commerciaux avec la Colombie. Ainsi, les échanges auraient eu lieu avec ou sans cet accord. Votre souci est de savoir si, à la lumière de ce qui se passe sur le terrain, nous voulons aller plus loin dans une relation commerciale avec la Colombie.
    J'ai fait des déclarations dans le passé et je veux que mes propos soient clairs. Ils sont inspirés de ma relation avec les gens en Colombie — j’y suis allé trois fois — et avec la grande communauté colombienne de ma circonscription. J’ai dit que la situation s'est améliorée sous le gouvernement d'Uribe. J'aurais dû dire que la situation s'est améliorée dans les villes, car les personnes auxquelles j'ai parlé vivaient principalement dans la région de Bogotá. Dans ce contexte, ces personnes m'ont dit que la situation s'est améliorée.
    Je prends au sérieux les observations que vous avez faites quant aux domaines que je connais moins bien. Il importe que nous maîtrisions tous mieux la situation. Je conviens qu’il serait bon d’évaluer la situation des droits de la personne. Cependant, comment pouvons-nous obtenir une évaluation indépendante des droits de la personne si la plupart des gens ont déjà adopté une position sur cet accord? Il s'agit d'un défi. C'est une bonne idée, mais comment allons-nous nous y prendre? La main-d’œuvre a déjà son opinion, et le gouvernement également. Comment faire pour tout concilier?
(1200)
    Ce ne sont pas ces parties qui mènent l'évaluation des répercussions. Elles ne font que fournir leurs idées. L’évaluation comme telle serait supervisée et menée par des spécialistes indépendants. Le milieu universitaire est un endroit à explorer. Les syndicats, les associations industrielles et les fonctionnaires du gouvernement colombien, notamment, pourraient participer à l'évaluation. L’information serait ensuite mise en commun et analysée, après quoi les spécialistes indépendants formuleraient des conclusions et des recommandations.
    C’est extrêmement utile. Vous faites allusion à un groupe indépendant de spécialistes universitaires.
    L’université est une possibilité. Il peut également y avoir d’autres personnes qui possèdent assez d’indépendance et de savoir-faire pour que toutes les personnes concernées soient rassurées.
    Ce pourrait être une bonne idée. La position d’Amnistie est bien connue par rapport au commerce, qu’il soit bénéfique ou néfaste. S’il y avait un accord commercial, quels éléments Amnistie aimerait-elle inclure dans le texte de loi? Je sais que nous ne l’avons pas sous les yeux.
    À notre avis, il serait souhaitable qu'il y ait un processus continu d'évaluation des droits de la personne. Au début, il y a l'évaluation des répercussions qui sert à mettre en évidence les problèmes et à les résoudre. Cependant, cela ne signifie pas qu’il n’y en aura plus. Il sera important d’assurer une surveillance régulière et permanente pour déterminer comment se porte l'accord commercial de manière pratique. Il faut s’assurer de pouvoir régler les problèmes émergents.
    Ces renseignements nous sont très utiles. Je vous en sais gré.
    Je vous remercie d’avoir respecté le temps accordé. Bravo, messieurs.
    Nous allons maintenant entendre M. Holder. Vous disposez de cinq minutes pour interroger le témoin.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je tiens à souhaiter la bienvenue à notre invité, M. Neve. C’est la première fois que j'ai le privilège de vous rencontrer et d’entendre vos observations.
    J'allais diriger mes questions ailleurs, mais j'ai été frappé par les observations de M. Silva. Elles m'ont amené à repenser un peu aujourd'hui à ce qui est sans doute le plus grand problème que connaît la Colombie, ainsi que tous les pays du tiers monde, je crois bien. Ma femme vient d'un pays du tiers monde qui n'en a pas toujours été un: la Rhodésie ou le Zimbabwe. Or, ce pays est maintenant devenu presque pire qu'un pays du tiers monde pour diverses raisons, et je sais de quoi je parle.
    C'est la question de la pauvreté. Je veux m’étendre un peu là-dessus. J'ai lu, et je crois que vous en avez parlé deux fois aujourd’hui, qu’Amnistie internationale ne se prononce pas sur les questions commerciales relatives aux pays. Bien franchement, je ne suis pas si certain que vous devriez vous en abstenir. Comme vous l'avez mentionné, nous commerçons déjà avec la Colombie. Pour cette raison, j'essaie de comprendre, très rapidement, comment un pauvre Colombien serait en quelque sorte désavantagé par la réglementation du commerce.
    Je comprends les observations que vous avez faites au sujet des droits de la personne. Je crois qu'il y a des enjeux très importants par rapport à ce pays, mais j’aimerais mieux comprendre votre point de vue; comment les Colombiens sont-ils défavorisés par la réglementation du commerce? En quoi cela peut-il leur faire du mal?
(1205)
    Si la réglementation du commerce entraîne une hausse, peut-être même une hausse spectaculaire, de l'intérêt pour les terres d’une pauvre femme indigène, par exemple, parce qu'on estime qu'elles sont riches en minéraux, des groupes paramilitaires ou des groupes de guérilla des FARC vont la chasser de sa terre, ainsi que sa famille. Ils veulent conserver le contrôle sur ce territoire et tirer profit de son exploitation. Ils vont les menacer, les attaquer et les tuer. Il est impossible de se sortir de la pauvreté dans ce contexte.
    Cependant, je crois que l’on peut présumer que si une personne avait un niveau de vie plus élevé, cela améliorerait quelque peu sa situation en matière de droits de la personne. De manière très générale, est-ce juste?
    En général, lorsque quelqu’un est repoussé et menacé et qu’on lui interdit de vivre sur ses terres, cette personne n’a pas l’avantage…
    Sauf votre respect, ce n’était pas là ma question. Vous semblez avoir répondu à la première partie, ce qui est utile.
    J’essaie de comprendre. Vous avez parlé des sondages et des études que vous avez effectués, mais n’avez-vous jamais préparé un énoncé des incidences économiques comportant les aspects positifs sur les droits de la personne d’une économie avancée? Avez-vous étudié la question d’un point de vue positif?
    Nous le soulignons toujours. Nous ne sommes pas des économistes; nous n'avons donc pas le savoir-faire pour déterminer ce que représente ce genre de données, mais nous avons toujours souligné que le bon commerce, le commerce responsable, peut être bon pour les droits de la personne. Le mauvais commerce, le commerce irresponsable ou encore le commerce aveugle ou neutre par rapport aux conséquences potentielles sur les droits de la personne, peut être très mauvais pour les droits de la personne.
    C'est juste, et il est bien d'avoir des économistes qui, de temps à autre, peuvent examiner certains de ces détails. Je suis heureux de vous l’entendre dire, car nous avons eu le privilège d’entendre deux opinions divergentes au début de la semaine. Elles provenaient des témoignages de M. Rosero et d'un économiste, M. Mejía.
    Vous avez fait une observation comme quoi vous êtes l'un de ces spécialistes impartiaux quant aux activités des droits de la personne, ce que je reconnais, et vous vous êtes donné une tape réfléchie sur le dos. Vous avez parlé de l'importance de l’impartialité. En ce qui concerne les spécialistes impartiaux et crédibles, estimez-vous que la Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies est une source crédible?
    Absolument. Le travail que fait l’ONU en Colombie depuis de nombreuses années jouit d’une excellente réputation et il est important. L’un des côtés positifs de la situation en Colombie, c’est que le gouvernement colombien accepte cette présence dans le pays depuis tant d'années.
    Alors, seriez-vous étonné d'apprendre que l'ancienne Haut-Commissaire aux droits de l'homme a dit qu'il n’y avait, et je cite, « aucune raison » de ne pas soutenir l’accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie? Vous en êtes peut-être conscient, mais je voulais seulement vous en faire part.
    Faites-vous allusion à Louise Arbour lorsque vous dites que l’ancienne Haut-Commissaire…
    Je crois qu’il s’agit de Mme Arbour, et je vais vous le confirmer, mais les propos qu’a tenus la Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies à l’époque ont été jugés très crédibles.
    J’aimerais bien connaître le grand contexte dans lequel a été formulée cette déclaration.
    Je serais ravi de vous le fournir. Ce serait intéressant. Si vous nous donnez des renseignements, je me ferai un plaisir de vous donner cette information en retour.
    Voici une tout autre question: estimez-vous que l’Organisation internationale du Travail, l’OIT, est très crédible?
    Oui, dans l’ensemble.
    Vous serez alors surpris d’apprendre que, lors de la 98e session de la Conférence internationale du travail de l’OIT qui a eu lieu en juin 2009, la Commission de l’application des normes de la Conférence a exprimé être satisfaite, et je cite:
… des mesures positives prises par le gouvernement colombien pour lutter contre la violence et l'impunité, accélérer le processus d'accréditation syndicale et transférer à l’appareil judiciaire le pouvoir du gouvernement de déterminer la validité des grèves.
    Nous n’avez peut-être jamais entendu ces propos, mais je comptais vous en faire part.
    Enfin, considérez-vous que la Escuela Nacional Sindical est une source crédible?
    Je ne la connais pas beaucoup, mais j’en ai entendu parler. Au sein d’Amnistie, certains de mes collègues, des spécialistes, pourraient vous dire ce qu’ils en pensent, si vous voulez connaître l’opinion de notre organisation.
    Il pourrait être utile…
    Je suis désolé, monsieur, mais les sept minutes sont écoulées.
    D’accord.
    Monsieur Guimond.

[Français]

    Je suis content de constater que mon collègue M. Holder s'intéresse à la réalisation potentielle d'études. Par contre, selon nous, ce n'est pas à Amnistie internationale de faire ces études, c'est plutôt au gouvernement de le faire. À cet égard, je veux mentionner, d'entrée de jeu, que des discussions ont déjà eu lieu au comité, en juin 2009, et qu'un rapport a été produit. Une recommandation est claire, le gouvernement devrait tenir des études d'impact pour les droits humains. Je prends le temps de mentionner que les libéraux ont appuyé cette recommandation. Cette recommandation était donc majoritaire.
    Pas plus tard que mardi, à cette même table, nous avons accueilli M. Daniel Mejia, qui est professeur d'économie et chercheur à l'Université des Andes, à Bogotá. Son constat était très clair, il y avait une diminution régulière du nombre de meurtres de syndicalistes depuis huit ans. Êtes-vous d'accord sur ces résultats d'études?
(1210)

[Traduction]

    Non, nous ne le sommes pas. Nous savons, d’après notre expérience et nos documents, que ces chiffres sont de vraies montagnes russes, car ils ne cessent de monter et de descendre. Cependant, à long terme, et même à moyen terme, nous n'avons pas observé de tendance majeure qui nous mènerait à la conclusion qu'il est devenu plus sécuritaire d'être un syndicaliste en Colombie.

[Français]

    Pourquoi êtes-vous en désaccord sur l'étude de M. Mejia? Je veux vous le faire dire, parce que M. Mejia nous a presque convaincus que son étude était miraculeuse. Pourquoi avez-vous des doutes? Pourquoi n'êtes-vous pas d'accord avec lui? Nous avons voulu critiquer la méthodologie de M. Mejia, et il n'était pas très content. Il y a donc quelque chose. Pouvez-vous aller un peu plus loin et éclaircir la situation, ou fournir un éclairage sur ce que les députés ont entendu lors du témoignage de M. Mejia?

[Traduction]

    Malheureusement, je n’étais pas présent, et je n’ai pas lu son étude. Je présume donc que je ne peux pas fournir d’information à cet égard.
    Par contre, je serais plus qu’heureux de transmettre un complément d’information au comité, car je suppose que l’étude est accessible au public. Je crois que les questions sur la méthodologie et les sources de renseignements sont, entre autres, la clé.

[Français]

    Oui.

[Traduction]

    D’après ce que je comprends, M. Mejía est un économiste; il n’est pas un spécialiste des droits de la personne. Il faut donc s'interroger sur son savoir-faire et ce que son analyse et ses travaux englobent et omettent.

[Français]

    Une question m'intéresse et m'interpelle. On parle de beaucoup de meurtres de syndicalistes. S'il y a des meurtres, il y a sûrement des meurtriers. On entend souvent dire que le gouvernement colombien s'améliorait et qu'il était, pour utiliser les mots de mon collègue M. Keddy sur la bonne voie. Qu'arrive-t-il aux meurtriers? Sont-ils jugés ou arrêtés?

[Traduction]

    De façon générale, je dirais que l'impunité continue d'être la norme en Colombie au chapitre des violations des droits de la personne, toute catégorie confondue, que ce soit contre des syndicalistes, des défenseurs des droits de la personne, des dirigeants autochtones. Il y a, de temps à autre, quelques cas médiatisés où des mesures concrètes sont prises, d'habitude à cause de fortes pressions internationales.
    J'ai fait allusion, par exemple, au scandale de la « parapolitique » qui a lieu actuellement. C'est une grosse affaire en Colombie. On en parle tout le temps dans les nouvelles, et les gens suivent le dossier de près. Mais même là, il y a une action paramilitaire et gouvernementale contre les juges et les avocats qui essaient de faire en sorte que le scandale fasse l'objet d'une enquête adéquate et que les responsables soient traduits en justice. Les menaces et les tentatives d'obstruction sont monnaie courante dans le cadre de leur travail.
    Il nous reste encore beaucoup de chemin à faire avant de pouvoir dire en toute confiance que c'est la justice, et non pas l'impunité, qui est la norme dans les cas de violation des droits de la personne. Et, selon nous, c'est l'un des éléments clés dont il faut s'assurer avant de songer à approfondir des relations commerciales qui exposent des gens à des risques accrus de violation des droits de la personne sans que justice soit faite.

[Français]

    Vous êtes canadien?

[Traduction]

    Oui.

[Français]

    En tant que Canadien, comment aimeriez-vous voir votre gouvernement traiter avec un pays comme la Colombie, pour ce qui est de faire des affaires et de signer des ententes de libre-échange? Comment voyez-vous cela?

[Traduction]

    Je crois que notre pays a une occasion extraordinaire de faire preuve d'un véritable leadership dans ce dossier important concernant les droits de la personne et le commerce. Ce n'est pas que notre pays veuille ou doive renoncer au commerce. Mais nous devons absolument favoriser un commerce qui aide le plus possible à protéger les droits de la personne; à cette fin, nous devons effectuer une évaluation de l'impact sur les droits de la personne pour démontrer au monde entier que c'est le genre de commerce auquel nous croyons et que c'est le genre de politique commerciale que nous défendons. C'est ce que j'aimerais que le Canada fasse comme pays.
(1215)
    Merci. C'était une bonne conclusion.
    Monsieur Harris.
    Monsieur Neve, merci. Bienvenue.
    Au cours des dernières années, plus précisément depuis 2002, le commerce entre la Colombie et les pays occidentaux s'est intensifié pour atteindre le niveau actuel. Parallèlement à ce partenariat avec un certain nombre de pays à l'extérieur de la Colombie, nous avons observé des améliorations considérables au chapitre des droits de la personne, par exemple la baisse du taux d'homicide, la diminution du nombre d'attaques contre les syndicalistes, etc.
    D'après vous, y a-t-il une chance, aussi minime soit-elle, que l'établissement d'un partenariat commercial plus solide avec d'autres pays comme le nôtre ait contribué à ces améliorations? Croyez-vous que nous ayons une influence quelconque sur la Colombie? Pensez-vous que le gouvernement de la Colombie se soit rendu compte que s'il veut bâtir son économie, il doit se fier au commerce avec des pays partout dans le monde et, pour ce faire, mettre de l'ordre dans ses affaires?
    Y a-t-il lieu de croire qu'on y ait pensé en ces termes-là?
    Je pense que notre préoccupation, c'est que, dans la mesure où de telles améliorations se sont produites, elles ont profité à seulement un petit nombre de personnes et elles ont, en même temps, augmenté la vulnérabilité des groupes marginalisés et les risques qu'ils...
    Malgré tout le respect que je vous dois, monsieur Neve, le taux d'homicide a diminué. L'éducation s'est considérablement améliorée. On semble observer une amélioration considérable dans la plupart des domaines qui nous intéressent. Il reste encore beaucoup de chemin à faire. Si vous aviez une baguette magique, ou si M. Julian avait une baguette magique... Bref, si nous avions une baguette magique, nous n'aurions qu'à l'agiter pour créer un monde parfait, mais ce n'est pas le cas. Des progrès sont réalisés graduellement, et nous nous dirigeons tous vers le même but.
    Donc, si le Canada devait renoncer à cet accord de libre-échange qui nous donne peut-être l'occasion d'accroître notre influence auprès de la Colombie, comme pays qui respecte les droits de la personne... Si nous devions y renoncer pour pouvoir mener une étude plus poussée... Nous étudions ce dossier depuis maintenant un an et demi. Il y a environ une demi-douzaine d'autres pays qui attendent avec impatience de signer des accords avec la Colombie, des pays qui ne sont même pas disposés à signer ce que nous allons signer avec la Colombie sur le plan des contrats de travail, des accords parallèles et de l'environnement. Si nous devions y renoncer pour mener une étude plus poussée — et cela pourrait nous prendre deux autres années, au rythme que nous avons avancé jusqu'à présent —, ces autres pays viendraient prendre notre place pour faire du libre-échange avec la Colombie. Nous n'aurions peut-être pas la chance de revenir à la table de négociation pour essayer de conclure un accord de libre-échange parce qu'il ne resterait plus de place.
    D'après-vous, est-il moralement intelligent de penser que nous devons nous désister maintenant et priver la Colombie de l'influence bénéfique que nous pourrions exercer en signant cet accord de libre-échange, malgré les améliorations, aussi minimes soient-elles, auxquelles nous pourrions contribuer grâce à notre influence? Croyez-vous qu'il soit moralement intelligent d'agir ainsi?
    Nous n'avons jamais dit qu'il fallait y renoncer. Nous avons dit qu'il faut prendre une pause et s'assurer que les droits de la personne sont respectés, puis...
    Qu'il ne vous en déplaise, monsieur Neve, mais nous étudions ce dossier depuis maintenant un an et demi. Il est possible, à cause de la détermination des partis opposés — certains d'entre eux, disons la moitié — que nous en soyons saisis pour encore deux ans. Pendant ce temps, nous priverions la Colombie de notre influence éventuelle sur la façon dont son gouvernement s'y prendrait pour apporter des améliorations. Entre-temps, comme je l'ai dit, une demi-douzaine d'autres pays pourraient venir nous remplacer. C'est là où je veux en venir.
    Alors, je crois que la solution est très claire: accepter de mener une évaluation de l'impact sur les droits de la personne. Ce n'est pas comme si nous venions de formuler cette recommandation aujourd'hui. Nous avons soulevé cette question au gouvernement pour la première fois il y a trois ans. Votre comité a souligné le besoin d'entreprendre une évaluation de l'impact sur les droits de la personne — je crois que tous les membres du comité à l'époque se sont mis d'accord là-dessus —, et c'était il y a un an et demi. Ce n'est pas comme si nous nous présentions à la toute fin du processus pour demander qu'on reporte ce projet et qu'on procède autrement.
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    Mais, avec tout le respect que je vous dois, l'accord de coopération dans le domaine du travail et l'accord de coopération dans le domaine de l'environnement comptent parmi les plus solides que nous ayons signés avec n'importe quel pays. Il s'agit là d'un grand pas que le Canada a pris pour la négociation d'un accord de libre-échange. C'est un pas dans la bonne direction. Ce n'est peut-être pas aussi grand que vous le voudriez — vous et peut-être MM. Julian et Guimond —, mais n'empêche que c'est un pas positif. Je crois qu'on pourrait perdre cet avantage si nous devions nous retirer de la table pour peut-être y revenir quelques années plus tard ou même un an plus tard, parce que d'autres pourraient prendre notre place.
    Je n'oserais pas parler au nom du gouvernement colombien, mais j'ai bien l'impression que tout au long du processus, celui-ci s'est montré très déterminé à conclure un accord avec le Canada. J'ignore s'il existe un risque réel qu'on puisse perdre son intérêt et qu'il se tourne vers d'autres pays.
    Encore une fois, je reviens sur le fait qu'il existe une solution tout à fait évidente, selon moi, pour apaiser les préoccupations liées au retard: procédons tout de suite à une évaluation de l'impact sur les droits de la personne. Malheureusement, on ne l'a pas fait il y a ni deux ans, ni deux ans et demi ni trois ans.
    Ne pourrions-nous pas conclure l'accord maintenant et passer à l'autre...
    Monsieur Cannan, voulez-vous poser une petite question, maintenant que M. Harris a utilisé plus de la moitié de votre temps?
    Une petite question, si vous voulez, monsieur Cannan.
    Merci.
    C'est bon de vous revoir.
    Mon épouse et moi avons eu l'occasion de travailler dans un orphelinat au Brésil et de comprendre l'impact des droits de la personne et du développement économique. Des enfants étaient abandonnés dans les rues, et des commerçants tiraient sur eux dans les boutiques. C'était horrible. Nous avons fait beaucoup de chemin à l'échelle mondiale. Il reste encore beaucoup d'améliorations à apporter. J'ai eu l'occasion d'aller en Colombie... et maintenant, je suis limité à une seule question.
    En rétrospective, je pense que vous étiez au déjeuner-rencontre, mardi, lorsque le chef de l'APN, Shawn Atleo, était là.
    Non, je n'y était pas.
    D'accord. Il a parlé d'un aspect de la croissance économique, et il a dit qu'« une marée montante soulève tous les bateaux ». Nous avons entendu cette expression lorsque nous étions en Colombie, pour faire allusion aux débouchés locaux.
    Pour donner suite à l'observation de M. Brison, beaucoup de personnes veulent juste avoir un moyen de subsistance. Je crois que c'est une mentalité bien ancrée. Les humains sont créés pour être productifs et pour être traités avec respect, et nous voulons avoir une influence positive sur la société. Pensez-vous que les Colombiens ont, eux aussi, cette mentalité?
    Pour reprendre la métaphore, une marée montante soulève tous les bateaux, mais il y a un risque réel que certains d'entre eux s'écrasent contre les rochers. Si nous ne veillons pas à ce que les impacts particuliers auxquels font face ces gens... À cause de leur identité dans la société colombienne — qu'il s'agisse de peuples autochtones, de communautés d'origine africaine ou autre —, ces gens pourraient non seulement bénéficier d'une plus grande prospérité ou d'avantages accrus, mais ils pourraient aussi courir de plus grands risques au fur et à mesure que le commerce et l'investissement augmentent dans leur coin du pays et, si ces préoccupations ne sont pas réglées, alors la bonne nouvelle finira par être mauvaise pour eux.
    Merci.
    Nous allons mettre fin à nos questions et saluer notre témoin d'aujourd'hui.
    Merci encore une fois d'avoir comparu, monsieur Neve.
    Nous allons passer très brièvement aux affaires émanant du gouvernement.
    Je vais vous donner une minute pour faire vos adieux à notre invité, puis nous allons clore la séance.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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