:
Merci, tout le monde. Je vous remercie de l'invitation à comparaître aujourd'hui.
Je vais faire ma présentation en anglais.
[Traduction]
Il s'agit à l'évidence d'une question importante. Le Centre for Women in Politics and Public Leadership at Carleton fait la promotion du rôle des femmes dans le leadership public, propose des formations et effectue des recherches de pointe. Nous travaillons avec une série de partenaires pour intégrer, renforcer et développer la pensée critique pour améliorer l'influence des femmes et leur leadership dans la vie publique.
Nous savons que les femmes doivent encore surmonter de nombreux obstacles pour atteindre des postes de leadership et je pense que si les femmes n'occupent pas des postes de responsabilité, cela rejaillit sur leur prospérité et sur leur bien-être économique. Il existe un lien, une corrélation entre les deux.
Le centre a fait une étude, que nous avons apportée pour le comité, et qui s'intitule Progress in Inches, Miles to go. Il s'agit d'une étude de référence sur le leadership des femmes au Canada. Quand j'étais sous-ministre à la Condition féminine Canada nous entendions très souvent que les femmes avaient atteint l'égalité. Nous avons fait l'étude de référence pour prouver que, à bien des égards — il s'agit là du leadership — il est clair que les femmes canadiennes n'ont pas atteint l'égalité complète.
Dans l'industrie, les femmes sont nettement sous-représentées aux postes de haute direction. Dans notre étude de référence de 2012, nous avons montré que les femmes occupent 29 % des postes de direction. Si l'on enlève l'administration publique, ce qui inclut les services publics du Canada, on arrive alors à 26 %. Dans certains secteurs, comme l'énergie et les mines et le centre technique, c'est environ 10 %, voire moins.
Pour les sièges des conseils d'administration des 500 plus grandes entreprises canadiennes recensées dans le FP500, on parle de 15,6 % comme l'a montré la dernière étude du Conseil canadien pour la diversité administrative, mais de seulement 9 % dans le pétrole et le gaz. Les femmes sont nettement sous-représentées dans les secteurs à salaires élevés tels que les ressources, les technologies, l'ingénierie, et elles sont fortement surreprésentées dans des secteurs comme l'administration publique, l'enseignement primaire, les soins infirmiers et les services. Tout cela a des conséquences sur la prospérité économique des femmes.
Dans notre étude de référence, nous avons examiné en détail les services publics du Canada et le secteur minier. Il s'agissait de juxtaposer un secteur qui s'en sort plutôt bien, si l'on regarde les services publics du Canada et les progrès qui ont été faits pour que les femmes accèdent au leadership — ce n'est pas encore 100 %, mais on a fait beaucoup de chemin — et le secteur minier, qui est en queue de peloton.
Dans le rapport annuel du Canadian Board Diversity Council de l'an dernier, lorsque l'on a demandé aux membres du conseil du secteur s'il fallait apporter des changements ou plutôt maintenir le statu quo en ce qui a trait à la place des femmes et à la diversité dans les conseils d'administration des entreprises, une grande partie du secteur minier a répondu qu'aucun changement n'était nécessaire.
Bien entendu, tout cela commence avec le système éducatif et la manière dont les conseillers d'orientation influencent les jeunes filles et les jeunes garçons. Par le passé les femmes, bien que réussissant bien en sciences et en mathématiques, n'ont pas été encouragées à entrer dans les métiers de la technologie et de l'ingénierie. Ces secteurs n'ont pas non plus encouragé les femmes à le faire, du fait même de leur culture. Cela a compliqué les choses pour les femmes.
Nous savons — et je prêche à des convertis — que davantage de femmes sortent diplômées des universités et elles sont bien représentées dans les centres de perfectionnement professionnel. Nous savons que l'enjeu n'est pas celui du nombre de femmes disponibles. Si l'on regarde le droit et les maîtrises en administration des affaires, il y a eu beaucoup de femmes diplômées d'écoles de droit — dans des cabinets d'avocats, au gouvernement et dans la magistrature. Seulement 30 % environ des associés dans les cabinets d'avocats sont des femmes, et environ 30 % des magistrats. Sur le plan universitaire — c'est un peu mieux dans les facultés de droit — elles sont toujours nettement sous-représentées.
Il y a eu plusieurs études, l'une d'elles réalisée par l'Université de Chicago, qui a examiné la situation de ses étudiants titulaires d'une maîtrise d'administration des affaires. En fait, les femmes titulaires d'une maîtrise en administration des affaires commencent généralement avec un salaire inférieur à leurs collègues masculins et finissent par gagner moins, bien qu'elles aient le même niveau d'instruction. Cela conduit à des disparités et des différences dans le bien-être économique des femmes.
Quels sont les défis auxquels nous faisons face? Nous avons notamment examiné dans notre étude les attentes sociétales et la culture d'entreprise.
Le genre est omniprésent pour les dirigeants qui ont davantage tendance à se tourner vers le modèle masculin. Malgré toutes les études sur les qualités et les capacités des femmes à exercer un leadership, les commissions d'avancement voient souvent les choses par le filtre des modèles masculins existants. J'entends encore dire que les femmes affirmées sont perçues comme étant agressives et sont mal vues. J'ai entendu des comptes rendus de commissions d'avancement disant qu'un homme est un fonceur simplement parce qu'il est agressif, mais une femme dynamique est perçue comme étant vraiment agressive. Nous savons aussi que les femmes sont promues en fonction de ce qu'elles ont réalisé alors que les hommes le sont en fonction de leur potentiel. Il y a donc des disparités.
Nous savons tous que, souvent, les femmes ne négocient pas leurs salaires parce qu'elles ne veulent pas donner l'impression de se vendre, ce qui constitue également une norme culturelle qui inhibe les femmes. Elles sont parfois désavantagées quand elles négocient, mais la plupart du temps, elles sont défavorisées quand elles ne négocient pas, parce que la différence de revenus est en partie liée au salaire de départ et à la qualité de la négociation qui le détermine.
Il existe toujours des normes culturelles qui renforcent le rôle des femmes en première ligne pour les soins apportés aux enfants et aux parents. Les politiques soi-disant favorables à la famille au travail renforcent cela parce qu'elles ne soutiennent pas les hommes qui aspirent à jouer un rôle équivalent à celui des femmes. Pour prendre un exemple, alors que nous faisions l'étude sur le secteur minier, j'ai discuté avec un cadre supérieur d'une société minière qui me disait combien il soutenait les femmes vis-à-vis de leurs responsabilités familiales. Je lui ai demandé ce qu'il faisait pour les hommes. Il m'a demandé pourquoi je posais cette question et m'a répondu qu'il ne faisait rien. Je lui ai demandé pourquoi il ne faisait rien. Si on ne fait rien pour les hommes, on nuit aux femmes en continuant de renforcer les mêmes normes culturelles. Ce n'était pas une décision consciente de sa part, mais simplement un manque de prise de conscience des implications.
Donc si nous voulons changer les cultures, les politiques familiales doivent vraiment être en faveur des familles. Je pense que le gouvernement fédéral, avec ses politiques complémentaires et ses autres politiques a fait mieux en moyenne pour encourager cela que le secteur privé.
Je ne veux pas m'éterniser, mais je voudrais souligner encore deux ou trois choses. Il y a beaucoup de choses dont nous pourrions parler, mais je vais laisser cela pour les questions. Ce qui est intéressant pour nous, c'est que les femmes entrepreneures sont perçues comme représentant un risque et elles accèdent moins facilement aux financements que les hommes. Alors si l'on sort de l'industrie et des employées et qu'on regarde les femmes entrepreneures, elles ne s'en sortent pas aussi bien. Cela représente un coût énorme pour la société, de l'ordre de 2 milliards de dollars.
J'ai fait partie du Groupe de travail canadien pour la croissance des entreprises appartenant à des femmes. Si ce compte rendu vous intéresse il se trouve sur le site de l'École de gestion Telfer. On y trouve l'affirmation suivante: si les entreprises appartenant à des femmes se développaient au même rythme que celles appartenant à des hommes, il y aurait chaque année 2 milliards de dollars de plus dans l'économie canadienne. C'est considérable parce qu'il existe encore de nombreux obstacles à franchir et de nombreux défis à relever pour les femmes.
Enfin, parmi les autres choses qui bloquent les femmes dans leur avancement, on trouve la violence verbale et physique exercée contre elles. Je voudrais particulièrement souligner les violences qui sont faites non seulement aux femmes dans la société en général, mais surtout celles qui sont dirigées contre les femmes en quête de leadership et de pouvoir. Nous avons entendu beaucoup de commentaires de ce genre dans les médias à propos de femmes qui se mettent en avant, et nous avons pu constater la misogynie et les réflexions affreuses qui leur étaient adressées.
Je pense à ce qui s'est passé récemment à l'Université d'Ottawa. Une jeune femme qui faisait partie du conseil étudiant a été la cible de quolibets par certains hommes. Ce genre de choses nuit aux aspirations des femmes à exercer un leadership. Notre économie a besoin de femmes qui occupent des situations de leadership.
Je vais terminer là-dessus. Je laisse le débat ouvert pour que vous puissiez tous poser des questions. Dans le cadre de notre travail au centre, nous voulons faire ce genre de recherches générales, regarder les secteurs plus larges et en segmenter certains. Par exemple, nous allons aussi examiner certains des secteurs qui seront mentionnés.
Je suis présidente de la Coalition de l'équité salariale de l'Ontario qui travaille depuis 40 ans pour tenter d'éliminer les écarts de salaires entre les hommes et les femmes en Ontario. Lorsque l'on m'a demandé de participer à ce comité, j'ai tenté de transférer une partie du travail que nous avons accompli en Ontario au niveau national. Ce qui était troublant c'était de se rendre compte que les schémas étaient les mêmes. À vrai dire l'écart est plus important au niveau national qu'il ne l'est en Ontario, respectivement 33 % et 31,5 %. Mais nombre d'aspects sont très semblables dans le sens où l'écart se creuse, il ne se réduit pas.
Nous avons choisi de nous concentrer sur les écarts de revenus annuels. Nous ne prenons en compte que le travail rémunéré. Le travail des femmes non rémunéré est un tout autre problème que nous laissons à d'autres.
Donc pour le travail rémunéré, nous regardons les revenus annuels moyens parce que, en fin de compte, ce qui nous intéresse, c'est de savoir combien gagnent les femmes et combien gagnent les hommes. Pour le dire autrement, il existe un débat pour savoir s'il faut utiliser les salaires horaires, mais nous pensons qu'il faut utiliser les revenus annuels moyens comme point de départ, parce que cela donne une bonne idée de ce que les femmes et les hommes ramènent à la maison. Cela permet aussi d'ouvrir une réflexion sur quel type de pays nous voulons être, et de quels types de mesures nous avons besoin pour retourner la situation afin que les femmes et les hommes aient les mêmes revenus.
On pourrait imaginer différents scénarios: par exemple, la direction des mines pourrait effectivement encourager les hommes à se consacrer davantage à leurs enfants. Ils pourraient y avoir des hommes qui travaillent et d'autres qui restent à la maison. Autrement dit, vous aurez un schéma différent une fois que les différentes catégories commenceront à être à égalité. Cela prend du temps, mais je crois que c'est l'objectif et que si l'on commence par l'écart dans les revenus annuels, nous y arriverons.
Les dernières données disponibles sur l'écart de revenu annuel moyen nous indiquent que cet écart est passé de 32 % en 2010 à 33 % en 2011. L'écart s'est creusé de 3 % en Ontario sur la même période. Mais c'était la même chose: les revenus annuels moyens des hommes ont augmenté de 400 $ entre 2010 et 2011, et ceux des femmes ont baissé de 500 $. Donc l'écart ne s'est pas réduit. Le salaire des hommes augmente, celui des femmes s'effondre. Voilà la situation générale.
Lorsque l'on utilise les revenus annuels moyens, on prend en compte le fait que 7 travailleurs à temps partiel sur 10 sont des femmes. Les revenus annuels moyens reflètent le fait que beaucoup de femmes occupent des emplois à temps partiel. Beaucoup sont contraintes d'avoir un emploi à temps partiel parce que le type d'emploi qu'elles occupent est souvent organisé de cette manière par les employeurs. Alors elles sont soit sur appel, soit elles occupent des emplois plus précaires.
Les revenus annuels moyens nous aident à comprendre la manière dont il faut encourager et aider les femmes à trouver davantage d'emplois à plein temps, ce qui nous aiderait à réduire l'écart.
Il faut aussi garder à l'esprit que la réduction de l'écart ne signifie pas nécessairement que les femmes ont de meilleures conditions. Cela peut aussi vouloir dire que celles des hommes ont empiré. Autrement dit, vu que c'est un chiffre relatif, il faut regarder les deux ensembles et creuser pour voir ce qui se passe véritablement du côté de l'emploi des hommes et de l'emploi des femmes, creuser par catégorie professionnelle, ce dont parlait Clare, et essayer de comprendre ce qui se passe au niveau de l'économie. C'est l'un des rôles du gouvernement que de faire cela, d'essayer de nous fournir les études pour que les gens comme nous, à la Coalition de l'équité salariale, et les universitaires, ne soient pas les seuls à essayer de comprendre ce qui se passe et d'en analyser les différents aspects.
Il faut aussi approfondir, par exemple, par profession liée à la gestion. Si l'on regarde les données sur les professions, on constate que dans les professions liées à la gestion, les rémunérations des femmes ont baissé de 1 800 $ sur la période. Elles sont passées de 62 600 $ en moyenne à 60 800 $. Donc vous pouvez à nouveau constater que dans ces professions les rémunérations baissent, elles n'augmentent pas.
On peut aussi regarder les choses par secteur. Même dans les secteurs pour lesquels on pourrait penser que c'est mieux, dans les professions de la santé par exemple, on constate néanmoins que les femmes gagnent 50 700 $ de moins par an que les hommes dans ce secteur où elles sont pourtant prédominantes. De même, dans les sciences sociales, l'enseignement, les services gouvernementaux et la religion, un autre secteur pris en compte par Statistique Canada, elles gagnent 20 200 $ de moins. Si l'on passe en revue chaque catégorie professionnelle de Statistique Canada, elles gagnent systématiquement moins. Si l'on passe en revue chaque secteur de l'industrie, c'est la même chose.
Alors quel est le fond du problème? Elles gagnent moins, elles gagnent nettement moins.
Tandis que nous parlons, à des degrés divers d'amélioration, en réalité les choses ne s'améliorent pas de façon significative, surtout si l'on considère que les femmes représentent 62 % des diplômés de l'université. On pourrait croire que, pendant la période dont il est question, l'écart se serait beaucoup réduit grâce au capital humain supplémentaire acquis par les femmes. Pourquoi l'écart ne se réduit-il pas plus vite?
Cela nous amène aux causes de la persistance de cet écart. Une des causes c'est qu'il existe toujours une ségrégation des professions, qui fait que les gens sont dans différents... Les hommes et les femmes continuent d'occuper des emplois différents, pour commencer, dans des branches et des secteurs différents. Il en résulte qu'à plusieurs niveaux, les structures salariales se sont développées séparément, ce qui a en partie causé ce problème.
L'autre problème c'est qu'il y a toujours une sous-évaluation systématique du type de travail que font les femmes. Ce sont des métiers différents, et ils ne sont pas autant valorisés que certains métiers masculins.
Ces facteurs se combinent pour créer un certain nombre de ces schémas. Le mémoire dit qu'il y a 10 manières pour un gouvernement d'essayer de supprimer cet écart. Il faut imaginer cela comme une planification générale visant à supprimer l'écart. J'y viendrai. Je peux en parler davantage, en considérant que c'est un droit humain et que cela contribuerait à l'économie. Beaucoup de choses ont été écrites au niveau international — et je suis sûre que certains d'entre vous connaissent ces travaux — disant qu'une amélioration de l'égalité économique entre les hommes et les femmes augmente la productivité économique. Je ne vais pas énumérer ces arguments.
Je vais parcourir certains points, mais j'en donnerai les grandes lignes. Pour commencer, il y en a 10.
Le premier point, c'est en gros de considérer que c'est un droit de la personne. C'est important de mettre cela en avant parce que sinon c'est souvent mis de côté lorsque l'on essaie de mettre au point des politiques, parce que ce n'est pas assez important. Nous disons simplement que nous devons faire de nombreux choix, et que ce n'est pas assez important dans l'ensemble, ou que nous n'avons pas les moyens de le faire et que nous ne pouvons pas le faire, et que donc nous ne le faisons pas.
Ce qui est important, c'est d'analyser cela, une fois qu'on connaît l'écart, de le comprendre et de dire que c'est prioritaire du point de vue des droits de la personne. Cela vous permet aussi, lorsque l'on envisage de prendre des mesures d'austérité, de considérer que les femmes doivent déjà être sur un pied d'égalité avant de subir l'essentiel de ces mesures. Autrement dit, une fois l'égalité atteinte, elles pourront être soumises à des mesures d'austérité. Sinon, on ne fait que creuser l'écart si l'on applique les mêmes mesures aux hommes et aux femmes. C'est l'une de premières façons de prendre en compte les droits de la personne.
Ensuite il faut sensibiliser. À l'international, cela se fait au travers des journées annuelles de l'équité salariale.
Le gouvernement de l'Ontario vient de décréter que le 16 avril est la journée de l'équité salariale. Cette date indique le nombre de jours supplémentaires qu'une femme doit travailler pour gagner le même salaire annuel que ce qu'un homme aurait gagné au 31 décembre. Autrement dit cela prend environ trois mois et demi. La journée tombe une semaine plus tard que l'année dernière parce que l'écart se creuse au lieu de se réduire.
Aux États-Unis, la journée de l'équité salariale a eu lieu le 8 avril, selon la décision du gouvernement. Il s'agit chaque année de faire prendre conscience de cet écart, de suivre la progression par rapport à l'année précédente et de tenter d'améliorer la situation. C'est un autre exemple de ce que l'on pourrait faire. On observe par exemple que le site Internet de la Maison-Blanche regorge d'informations sur la journée de l'équité salariale. Notre pourrait lancer un site Internet consacré à l'égalité entre les hommes et les femmes. C'est une chose que l'on trouve dans le discours sur l'état de l'Union aux États-Unis.
Le problème c'est que même si certaines des mesures instaurées aux États-Unis ne sont pas aussi rigoureuses que les nôtres, celles-ci sont malgré tout au centre d'un débat qui anime les hautes sphères politiques, qui reconnaissent donc son importance.
Merci de m'avoir invitée à venir vous parler de mon vécu en tant que femme et leader autochtone, ainsi que de la prospérité économique des femmes autochtones, tout particulièrement de celles vivant dans les réserves dans le Nord, notamment dans le Nord du Manitoba.
Il est très important que votre étude émette des recommandations qui reflètent ce que vivent les femmes autochtones. Cela fait huit ans que je suis chef de la Première Nation de War Lake et auparavant j'ai été conseillère municipale pendant quatre ans. J'occupe des fonctions de dirigeante depuis 1997. Cela a été très difficile, surtout lorsque votre collectivité vous en demande plus en tant que chef qu'il n'en demanderait à un homme.
À l'occasion de funérailles dans la communauté, j'ai dû veiller auprès de la famille toute la nuit parce que je suis une femme. Je le faisais alors que j'étais conseillère, puis quand je suis devenue chef, on m'appelait, je quittais les gens à 23 heures, mais on me rappelait malgré tout. Cela n'a donc pas été facile.
Je suis aussi la femme chef du Manitoba à avoir été en poste le plus longtemps. Il n'y a que deux femmes chefs dans le Nord du Manitoba, je suis l'une d'entre elles. Je représente aussi une Première Nation isolée. Mon expérience en tant que femme chef a été difficile. En tant que femme, nous sommes beaucoup plus à l'écoute des gens. Les gens se montrent beaucoup plus émotifs ou en colère avec moi, car ils savent que je ne vais pas me mettre en colère ou me vexer. C'est un exutoire pour eux, ils n'oseraient pas se comporter de cette façon face à un conseiller masculin. En tout cas je n'ai pas été témoin de telles scènes avec des hommes chefs.
Mais ce que je leur dis, c'est que le mieux à faire c'est de se calmer, et qu'ensuite nous en parlions. Et ils finissent par se calmer. Ils m'avouent ensuite que la raison pour laquelle ils aiment me parler c'est parce que je suis plus compréhensive et que je suis véritablement à l'écoute. Même lorsqu'ils s'emportent j'arrive quand même à leur parler de façon très professionnelle.
Lors de nos réunions de leadership, je retrouve les quatre autres femmes chefs du Manitoba et nous partageons nos préoccupations. Nous exprimons nos préoccupations et demandons aux hommes chefs de nous soutenir et d'appuyer nos revendications. Ils refusent souvent en disant que c'est une question qui ne concerne que les femmes. Je me suis déjà emportée sur ce point car il faut souvent que les femmes s'énervent pour se faire entendre. Nous avons dit que ce n'est pas juste notre problème mais celui de tous. Des femmes disparaissent ou sont assassinées, il y a des problèmes d'enseignement, il faut s'assurer que nos filles vivent dans de bonnes conditions avec leur conjoint. Un autre sujet important c'est la violence dont sont victimes les femmes. Si l'on nous en donnait davantage la possibilité, plus de femmes voudraient être chef, car comme je le disais, nous sommes plus à l'écoute. Nous encourageons les jeunes à s'engager, c'est l'une des manières de s'assurer qu'ils aient un rôle à jouer.
Je veux aussi vous dire que dans ma communauté, les postes de bureau sont tous occupés par des femmes, sauf celui d'agent de bande et celui des services à l'enfance et aux familles. Ce sont les deux seuls hommes sur 24 postes.
J'ai écouté toutes les femmes qui parlaient des obstacles auxquels elles se heurtent dans la vie quotidienne. Les femmes autochtones font face aux mêmes difficultés et ont les mêmes inquiétudes que les autres femmes au Canada; mais les femmes autochtones sont marginalisées de bien des façons. Les statistiques indiquent que les femmes et les filles autochtones représentent 4 % de la population totale des Canadiennes. La population féminine autochtone s'accroît beaucoup plus rapidement que le reste de la population féminine au Canada. De 1996 à 2006, la population féminine autochtone s'est accrue de 45 %, par rapport 9 % pour la population féminine non autochtone.
La population autochtone est bien plus jeune que la population non autochtone. En 2006, l'âge moyen des femmes autochtones était de 27,7 ans. Comme nous avons trop de jeunes dans nos communautés, et cela comprend les jeunes filles, nous avons aussi besoin de soutiens pour ces jeunes. C'est tellement vrai! Nous avons beaucoup de jeunes femmes dans nos communautés, et quand elles s'en vont étudier à l'école, elles reviennent avec des conjoints, c'est difficile parfois pour leurs conjoints, leurs maris; ils ont de la peine à s'adapter.
Pour les jeunes des Premières Nations dans le Nord, on manque de financement pour l'éducation. En fait, il a été prouvé que les étudiants des Premières Nations dans les réserves reçoivent seulement la moitié ou les deux tiers du financement que les étudiants non autochtones reçoivent. Malheureusement, ce manque de financement produit un enseignement médiocre et, en conséquence, 39 % des femmes des Premières Nations au Canada n'ont même pas leur diplôme d'école secondaire.
Nos enfants les plus jeunes ont aussi besoin de soutiens. Nous n'avons pas assez de programmes Bon départ et de programmes de garderie d'enfants dans les communautés des Premières Nations, et parfois il n'y en a pas du tout. Comme 20 % des mères autochtones sont monoparentales, quand elles ont accès à une garderie elles peuvent saisir des occasions hors de chez elles. Ce sont des programmes que le gouvernement fédéral peut financer.
C'est vrai que nous recevons un enseignement médiocre. Mon petit-fils, qui n'a que 10 ans, s'inquiète de l'enseignement qu'il reçoit. Il est en 4e année et il s'inquiète de sa 5e année parce qu'il n'y a que deux enseignants, et il pense que s'il passe dans la classe supérieure, il n'apprendra rien. Et il sait qu'ensuite, quand il ira en 9e année et qu'il quittera la communauté, il échouera parce qu'on ne leur enseigne pas les mêmes matières que celles qu'on enseigne aux étudiants non autochtones des régions rurales et urbaines.
Nous avons vu ces dernières années, et nous le voyons encore aujourd'hui, qu'un grand nombre de nos jeunes reviennent après la 9e année. En 12e année, ceux qui réussissent sont ceux qui ont suivi un enseignement tout spécialisé. Quand ils trouvent un emploi, ils ne possèdent même pas les bases en mathématiques, alors on ne les engage pas pour ces emplois.
Oui, je demande qu'on donne le programme Bon départ dans ma communauté depuis qu'il a été créé. J'y travaille depuis 1996.
Nous n'y avons pas accès parce que ma communauté est très petite, mais nous avons beaucoup de bébés. Une année, sept bébés sont nés chez nous, et c'est comme ça presque tous les sept ans: sept ou huit bébés, et puis deux ou trois par année entre ces sept ans.
Si nous avions plus de programmes comme ceux-ci, ça aiderait beaucoup les parents, les jeunes, les jeunes parents.
Merci beaucoup de m'avoir invitée à vous parler de ces enjeux aujourd'hui. Je suis très heureuse de constater que vous ne vous concentrez pas uniquement sur des questions de leadership, mais que vous discutez du leadership économique et de la prospérité des femmes. Il existe un lien étroit entre ces concepts, et je vais commencer par attirer votre attention sur la feuille que nous avons distribuée et que vous devriez toutes avoir. On y trouve quelques tableaux qui vous aideront à placer mes commentaires dans leur contexte.
La première chose que je voudrais souligner, c'est qu'au Canada les femmes n'ont certainement pas encore atteint l'égalité. En réalité l'égalité des sexes, qui est était sur le point de se réaliser dans les années 1990, s'est depuis lors beaucoup détériorée au Canada. On entend cela souvent, mais j'ai décidé de produire un tableau du classement international le plus récent fondé sur les mêmes indicateurs que ceux qu'on utilise pour mesurer le degré d'égalité des sexes dans d'autres pays.
On voit sur ce tableau que le Canada a été le premier pays au monde en matière de développement humain et d'égalité des sexes, mais qu'à partir de l'an 2000, il est rapidement descendu sur l'échelle de classification internationale. L'un de ces classements, mené par le Forum économique mondial, le place depuis quelques années au 31e rang du classement mondial. Ce classement est particulièrement négatif, et il montre que, pour tous les indicateurs économiques et sociaux, le Canada est à la traîne des autres pays, à l'exception d'un indicateur que d'autres intervenantes ont déjà mentionné.
Les Canadiennes maintiennent leur première place quant au niveau de scolarité. Je tiens à souligner cela, parce que le mauvais classement n'est pas dû à une défaillance des femmes. De génération en génération, les Canadiennes ont toujours fait preuve d'une forte motivation en cherchant à réussir par leur scolarisation, leurs habiletés, leur énergie et autres. Le problème à aborder aujourd'hui est la façon dont les politiques économiques et sociales entravent les aspirations que les femmes poursuivent dans leur vie. C'est ainsi que nous avons devant nous ce tableau troublant de la détérioration de l'égalité des sexes au Canada.
Ces dimensions de l'inégalité des femmes au Canada sont très persistantes. Au cours des 20 dernières années, certains indicateurs économiques fondamentaux n'ont que très peu changé. L'un d'eux est la question du volume de travail non rémunéré que les femmes accomplissent par rapport aux hommes. Le pourcentage de travail non rémunéré effectué par les femmes se situe entre 62 et 64 % depuis 20 ans; autrement dit, les femmes continuent d'accomplir le gros du travail non rémunéré effectué au Canada. Par heure.
Autre mesure par heure: les femmes en sont arrivées au point où elles travaillent presque autant d'heures rémunérées que les hommes. Si vous ajoutez ces deux ensembles de chiffres, soit 45 à 47 % de toutes les heures de travail rémunéré et 62 à 64 % de toutes les heures de travail non rémunéré, vous voyez qu'en réalité, chaque année les femmes au Canada travaillent plus d'heures que les hommes.
Qu'en retirent-elles? Selon les dernières statistiques, le revenu marchand des femmes continue à ne représenter que de 36 à 38 % de tous les revenus marchands. Donc pour tout ce travail, les femmes ne reçoivent encore qu'un peu plus d'un tiers de tous les revenus marchands reçus dans notre pays.
Je vous présente ces chiffres parce qu'ils dénotent un problème très grave, et ce problème a des répercussions au niveau économique.
Tous les résultats des études menées ces 10 dernières années par l'Organisation de coopération et de développement économique, par le Fonds monétaire international, par la Banque mondiale et par d'autres grands organismes économiques indiquent que plus il y a d'égalité entre les sexes dans un pays, mieux les familles résistent aux variations de l'économie, aux cycles d'expansion et de ralentissement. Ils indiquent aussi que, lorsque le travail, rémunéré ou non, est bien réparti entre les hommes et les femmes, la population entière jouit de santé, de mieux-être et d'une bonne productivité. Personne ne s'oppose à ces conclusions, parce que l'égalité des sexes est une stratégie économique fondamentale pour atteindre la prospérité.
Alors que s'est-il passé au Canada? Dans ma recherche sur la problématique hommes-femmes dans les domaines du droit et de la politique, je me concentre sur la fiscalité. Je vais vous présenter quelques-unes de mes principales conclusions, car je crois qu'elles contribueront à éclairer notre discussion.
Tout d'abord, depuis 2006, le Canada a coupé diverses sources de revenus d'environ 2,2 % du PIB chaque année. Chaque année, il manque au Canada une somme de 40 milliards de dollars dont il disposait auparavant. Cela s'est ajouté aux effets de la récession économique, et les effets de ces deux facteurs ont entraîné une concentration croissante sur les politiques d'austérité, sur la réduction du déficit et sur la diminution des dépenses publiques. Le Canada a donc malheureusement de la difficulté à maintenir des programmes indispensables pour atteindre l'égalité des sexes dans le domaine économique.
Il s'ensuit, entre autres choses, que ces réactions ont mis virtuellement fin aux efforts de mise en oeuvre d'un programme national de garderies d'enfants, qui est crucial pour que les femmes accomplissent moins de 62 à 64 % de tout le travail non rémunéré dans notre pays. Les femmes ne peuvent absolument pas effectuer plus de travail rémunéré qu'auparavant sans qu'on les soulage un peu de la responsabilité inégale qu'elles assument en s'occupant de leurs tâches domestiques, de leurs enfants, de leurs aînés, de leur communauté et ainsi de suite.
Il en résulte une deuxième chose: comme le Canada se fie toujours plus sur les dépenses fiscales de toutes sortes pour résoudre ses problèmes politiques, il tire son revenu de base de l'interne. Par conséquent, le gouvernement laisse chaque année sur la table quelque chose comme 172 milliards de dollars en recettes fiscales potentielles à cause de ce grand nombre de dépenses fiscales. Donc pour quasiment chaque dollar recueilli en impôts, un autre dollar reste sur la table sous la forme de ce grand nombre de dépenses fiscales.
La plupart de ces nombreuses dépenses fiscales ont des répercussions négatives sur l'égalité des sexes, mais je tiens à attirer votre attention sur les dépenses fiscales les plus toxiques pour l'égalité des sexes qui ont été mises en vigueur afin de récompenser les femmes qui ne font pas de travail rémunéré. Autrement dit, on a mis en vigueur un grand nombre d'avantages fiscaux qui constituent le fondement même de notre système de transfert d'impôt et qui accordent des récompenses nettes d'impôt aux familles dont les femmes ont moins de travail rémunéré qu'elles n'auraient peut-être autrement.
À l'heure actuelle, cela coûte au gouvernement du Canada 6,7 milliards de dollars par année. Soulignons que ce montant suffirait amplement à financer le programme national de garderies d'enfants le plus luxueux. Mais par-dessus tout cela, plane la promesse continuelle d'ajouter des avantages fiscaux comme le fractionnement du revenu des parents, qui coûterait au gouvernement fédéral 2,7 milliards de dollars de plus à partir de 2015. J'ai ajouté un découpage du décile au bas de cette page afin de démontrer qu'il ne s'agit pas seulement d'une énorme dépense, mais que c'est aussi une énorme injustice et qui va directement à l'encontre de toute politique logique visant à améliorer la prospérité des Canadiennes.
Je conclurai en affirmant que, au moment où le fractionnement du revenu des parents entrera en vigueur, les couples qui vivent avec un revenu unique de 190 000 $ environ par année recevront un avantage fiscal de 12 000 $ en mettant leurs revenus en commun. C'est une très grande somme d'argent.
Merci beaucoup madame Beckton, madame Cornish, madame Lahey et chef Kennedy d'être venues aujourd'hui pour nous présenter ces témoignages très dynamiques.
Je tiens à vous remercier, chef Kennedy, surtout parce que je sais que vous avez dû faire le voyage le plus long pour venir nous voir: le train, la route, et puis l'avion. Merci de tout coeur de nous avoir fait part de votre expérience personnelle, qui est très particulière.
Dans votre allocution, vous nous avez dit que la violence est l'un des obstacles auxquels les femmes autochtones se heurtent. Nous savons qu'au Canada, les femmes autochtones subissent des taux de violence plus élevés que les femmes non autochtones. Je crois que les femmes autochtones subissent trois fois plus de violence et que les jeunes femmes autochtones courent cinq fois plus de risques d'être assassinées que les femmes non autochtones.
Aujourd'hui, nous avons entendu un rapporteur des Nations Unies qui exigeait une enquête nationale sur les femmes autochtones disparues ou assassinées. Nous savons que des femmes des Premières Nations du Nord de l'Ontario battent du tambour sur la colline du Parlement pour exiger une enquête nationale. Pensez-vous que nous devrions lancer une enquête nationale sur les femmes autochtones disparues ou assassinées au Canada?
:
Oui, il aura un effet négatif et de plusieurs façons.
Tout d'abord, le coût de 2,7 milliards de dollars que le gouvernement fédéral devra débourser pour cela s'accompagnera d'un coût approximatif de 1,7 milliard de dollars pour les provinces et les territoires qui mettront en vigueur un programme de partage du revenu avec celui du gouvernement fédéral. Il en coûtera donc chaque année au moins 4,4 milliards de dollars à l'économie canadienne, somme qui sera payée comme une récompense aux femmes qui effectuent plus de travail non rémunéré.
Dans le cas des femmes qui ont besoin d'un minimum de moyens économiques, autrement dit la capacité d'intégrer le marché du travail et de gagner de l'argent d'une manière ou d'une autre si la vie les obligeait à subvenir à leurs propres besoins — ce qui arrive je crois à chaque femme à un moment ou à un autre dans sa vie — cela signifie qu'on les soudoie d'une certaine façon pour qu'elles participent à un programme qui nuit à leur intérêt.
De plus, les gens diront que les femmes bénéficient aussi du fractionnement du revenu, mais ce n'est pas le cas, et ceci pour deux raisons.
D'abord, même les femmes qui gagnent les plus hauts salaires au pays ne recevront qu'une petite part de ces profits comparé à ce que recevront les hommes. J'ai effectué une simulation analytique avec le logiciel BD/MSPS de Statistique Canada pour obtenir ces chiffres. Même si un quart des femmes en couple vont profiter quelque peu du fractionnement du revenu, elles n'obtiendront que 16 % du montant. Donc 84 % de la somme totale de 4,4 milliards de dollars iront directement dans les mains des hommes.
Le second effet négatif pour les femmes tient au fait que les résultats d'un grand nombre d'études de recherche sociale démontrent que, lorsqu'un gouvernement a le choix d'octroyer des prestations sociales à l'homme ou à la femme dans un couple ou de leur laisser à tous deux le contrôle des fonds, cette prestation avantagera plus la famille si la femme en reçoit au moins la moitié sinon la totalité, car elle aura une plus grande tendance à dépenser cet argent pour répondre aux besoins des enfants, de la famille, et ainsi de suite. Mais si vous laissez ces avantages fiscaux, cette immense somme d'argent, entre les mains des hommes — puisqu'en situation de fractionnement du revenu, ce sont eux qui contrôleront entièrement les remboursements d'impôt —, les hommes auront l'impression qu'ils ont le droit de décider de la façon d'utiliser cet argent, et ils ne décideront pas nécessairement de le faire pour répondre de façon égale aux besoins de tous les membres de la famille.
:
Merci, madame la présidente.
Tout d'abord, je désire remercier tous les témoins de leur présence.
Comme vous le savez, nous sommes en train d'étudier la prospérité et le leadership des Canadiennes. Bien sûr, nous souhaitons trouver des solutions concrètes pour améliorer les conditions des femmes actives au Canada.
Ma question s'adresse à Mme Lahey.
Dans les différents témoignages que nous avons entendus depuis le début de notre étude, il est ressorti qu'il y avait encore un écart salarial. Nous savons qu'une femme touche 60 % du salaire d'un homme et qu'il faudra 69 ans pour enrayer cet écart. Ce n'est pas que les femmes n'ont pas accès aux postes de haute direction dans les secteurs public et privé ainsi que dans les organismes à but non lucratif. C'est plutôt qu'il y a une discrimination systémique en raison de tous les facteurs qui ont été énumérés.
D'après votre tableau, les coûts totaux actuels pour le gouvernement fédéral s'élèvent à 6,7 milliards de dollars. Vous avez bien mentionné qu'avec une somme pareille, une politique pour la prestation de services de garde dans une économie productive aurait beaucoup plus d'effet sur l'économie canadienne que le fait de recevoir ces services sous forme de crédits.
Pourriez-vous développer votre pensée sur cette question?
Si l'on réinvestissait les 6,7 milliards de dollars auxquels je fais allusion dans mes notes, cela aurait des retombées positives sur l'économie canadienne. Effectivement, cela permettrait, tout d'abord, de donner des ressources à un plus grand nombre de femmes, ce qui leur permettrait de répondre à leurs propres besoins économiques et à ceux de leur famille, en ayant un emploi rémunéré, avec moins de restrictions quant à leurs heures de travail, la distance de leur domicile à leur lieu de travail, et ainsi de suite — à savoir tous les obstacles que nous connaissons tous et toutes dans cette salle. Il y a un deuxième avantage à offrir des services de garde d'enfants mieux structurés et plus accessibles, ainsi que d'autres ressources pour les soins, dans le contexte canadien. Le Canada, à l'instar des autres pays disposant d'une structure démographique semblable à la sienne, a d'énormes besoins en matière de soins et ces besoins vont prendre de l'ampleur, avec les changements démographiques. Ce secteur va connaître une croissance et il sera important qu'il se développe sainement, du point de vue économique — à savoir en offrant du travail à temps plein, permanent et bien rémunéré pour que les gens puissent faire du travail de soins rémunéré. Si cela se produisait, l'économie se développerait, non seulement parce que les femmes seraient plus nombreuses à avoir un emploi rémunéré, mais aussi car cela créerait plus d'emplois. La création d'emplois et l'injection d'argent contribuent toutes deux à la croissance économique.
Le troisième avantage qu'il y a à restructurer l'usage de ces 6,7 milliards de dollars, c'est que lorsqu'il y a plus d'argent dans l'économie, parce qu'il y a plus de gens qui travaillent et plus de nouveaux emplois, les gouvernements ont alors également accès à des revenus plus importants. Les gouvernements jouissent alors d'une source de financement plus stable pour leurs propres programmes sociaux et de développement économique. Des recherches ont démontré que dans les pays qui s'engagent dans cette voie et qui encouragent une gamme plus large de services de garde d'enfants, la croissance économique augmente. L'ampleur de cette augmentation dépend de l'économie en question, mais aucun pays n'a jamais vu son économie baisser parce qu'il avait offert des services de garderie rémunérés appuyés par le gouvernement. La preuve tirée de l'exemple du Québec en montre très clairement l'effet multiplicateur. C'est ce que je suis en train de décrire. En fait, vous obtenez 3 $ de revenu et d'activité économique en plus pour chaque dollar que vous investissez dans les services de garde d'enfants.
:
À mon avis, il faut d'abord élaborer un plan, il faut que le gouvernement s'engage à analyser la situation et à dresser un plan semblable à la façon dont l'UE intègre l'équité salariale au sein de ses stratégies économiques et de ses stratégies pour l'égalité des femmes. D'autres pays l'ont fait. Ils ont des plans. Ils intègrent l'équité salariale à leurs plans. Il faudrait pour cela que le gouvernement fédéral collabore avec les provinces. Voilà donc la première chose.
La stratégie fédérale de développement durable fait état de trois éléments que vous pourriez adapter, selon moi. L'un d'entre eux est ce qu'on appelle un portrait pangouvernemental intégré des mesures et résultats. Dans cette stratégie, il s'agit de la viabilité environnementale, tandis qu'ici, il s'agit de réduire les disparités entre les hommes et les femmes. Il y a également un lien avec la planification des dépenses. En d'autres termes, il faut établir des liens très concrets et cela inclut — comme je vais vous l'expliquer dans un instant — un plan doté d'une mesure efficace et d'un mécanisme de rapports. Voilà pour commencer.
Ensuite, il faut que les décisions gouvernementales incluent une analyse sur la réduction de l'écart salarial entre les sexes dans leur analyse sexospécifique. Cela revient à se poser la question suivante: « La politique du gouvernement contribue-t-elle à réduire l'écart salarial entre les hommes et les femmes, ne fait-elle rien pour réduire cet écart ou bien contribue-t-elle à l'agrandir? » Il faut le savoir avant de prendre des décisions, au gouvernement. C'est un autre aspect dont il faut tenir compte. Cela concerne également les budgets, si les mesures budgétaires ont de tels effets, tant au niveau des mesures positives... et je considère les dépenses pour les garderies comme quelque chose qui aide à combler l'écart salarial entre les sexes.
Je crois qu'il faut également regarder le rôle de leadership que peut jouer le secteur public. En règle générale, partout dans le monde, le secteur public a eu un effet égalisateur. L'écart salarial est généralement inférieur au sein du secteur public. Les politiques de l'emploi y sont généralement plus progressives que dans le secteur privé. Cela a un effet égalisateur, grâce au leadership, ce qu'il ne faut pas oublier, notamment en cas de privatisation. En effet, cela a tendance à détruire cet effet égalisateur, car lorsque les femmes sont mises à pied et arrivent dans le privé, elles perdent souvent une série d'avantages qu'elles avaient dans le secteur public et qui avaient diminué l'écart salarial.
La dernière chose concerne la transparence salariale. C'est ce que l'Union européenne a fait lors de sa Journée européenne de l'égalité salariale, en février. D'ici décembre 2015, les pays membres de l'UE devront indiquer comment ils entendent faire de la transparence salariale une exigence pour les employeurs. Il y a différentes façons d'y arriver.
Une solution serait, pour le gouvernement fédéral, de demander aux employés des secteurs publics sous réglementation fédérale et aux entrepreneurs fédéraux, dans le cadre de leurs contrats, d'être transparents au sujet de leur salaire. Le président Obama vient de promulguer un décret là-dessus, sur la Journée de l'égalité salariale aux États-Unis, en avril, qui concerne les entrepreneurs fédéraux américains. C'est une des choses qu'on pourrait faire, ici.
Essentiellement, ce que l'UE dit, c'est que les femmes ne devraient pas gagner moins, car elles ne savent pas ce que gagnent leurs collègues masculins, et qu'il ne devrait pas y avoir de politiques du secret concernant les salaires, car elles contribuent souvent à renforcer les inégalités salariales. Soit les femmes ne disent rien, car elles ne connaissent pas les politiques salariales, au travail, soit elles arrivent et sont payées différemment pour le même travail; l'homme était payé plus avant d'arriver, il demande le même salaire qu'avant et quelqu'un accepte de lui verser le même montant ou de lui donner encore plus. Il y a plusieurs raisons qui font en sorte que la transparence salariale est un des moyens les plus innovateurs de s'attaquer à l'écart salarial.
:
C'est justement le sujet que je voulais aborder dans une question complémentaire. Encore une fois, je ne crois pas que nous ayons le temps d'en parler, mais j'apprécierais beaucoup que l'université Carleton ou n'importe laquelle de vos organisations...
Nous semblons régresser dans notre culture — et je dis cela en tant que titulaire d'un diplôme de sociologie — car nous voici, d'un côté en train de dire que nous voulons faire avancer la cause des femmes, etc., mais d'un autre côté, en Amérique du Nord et au Canada, notre culture encourage les jeunes femmes à s'habiller et à être maigres et belles, entre autres, comme vous le savez tous. Nous avons récemment effectué une étude sur la boulimie et les troubles alimentaires.
Pourquoi est-ce que, 30, 40 ou 60 ans plus tard, nous avons toujours besoin de briser ce mythe, nous travaillons encore sur la question et nous semblons régresser, en réalité? Je sais que la ministre de la Condition féminine est très préoccupée par cette question. Je sais qu'il y a d'énormes facteurs sociologiques et culturels que nous n'abordons pas, au-delà du mentorat, au-delà de toutes ces merveilleuses choses que nous faisons, et sur lesquels la société doit se pencher pour vraiment démolir ce mythe.
Une fois de plus, nous aimerions entendre vos idées et même que vous nous fassiez certaines propositions de programmes. Je sais que cela plairait beaucoup au ministère.
:
Généralement, partout dans le monde où il y a des ministères comme celui-ci, il y a une ministre et un ministère qui servent de mécanisme institutionnel pour mettre en oeuvre une stratégie sexospécifique et d'égalité. Ça, c'est la première des choses. Ils sont censés être responsables de sa mise en oeuvre.
Par exemple, si l'on avait un plan national pour réduire l'écart entre les sexes, ce serait alors au Comité de la condition féminine que cela incomberait. En outre — et c'est ce qui compte — une direction générale, un ministère et une ministre de la Condition féminine ne devraient pas être seuls. Par là, je veux dire que tous les autres ministres ont un rôle à jouer dans le plan pour qu'il ne soit pas, lui non plus, marginalisé. En d'autres termes, ils jouent effectivement un rôle très important, mais le ministre des Finances doit lui aussi jouer un rôle très important, car il doit s'assurer qu'ils sont tous impliqués là-dedans.
À titre d'exemple, en Ontario, j'ai rencontré les responsables des finances au sein de la bureaucratie pour essayer de mettre sur pied un plan pour réduire les écarts salariaux entre les hommes et les femmes, en 2008, à peu près au moment de la récession. Ils n'arrivaient pas vraiment à comprendre de quoi je parlais. « Que voulez-vous dire par nous devons nous impliquer? Que ferions-nous? » Je leur disais « Même si vous utilisiez de l'argent pour l'infrastructure, vous devriez voir si vous employez des femmes avec ces fonds. Faites-vous des choses, avec l'argent de l'infrastructure, qui permettent de réduire l'écart? Construisez-vous des centres de garderie avec cet argent? Le pont que vous êtes en train de construire va-t-il contribuer à l'emploi des femmes dans cette communauté? »
Voilà les choses qui doivent faire partie du processus décisionnel et de l'élaboration des politiques, au gouvernement. Dans tous les ministères, les gens doivent recevoir une formation pour ne pas oublier cette analyse sexospécifique et l'inclure dans leur mode de pensée.
:
Pour répondre à votre première question, avec les politiques adaptées aux besoins des familles qui sont souvent mises en place au sein des politiques d'entreprise ou même des politiques gouvernementales, si la politique vise vraiment à permettre aux femmes de s'occuper de leurs obligations familiales, elle finit par renforcer le stéréotype selon lequel les femmes sont les aidantes principales.
L'autre chose qui arrive aussi, c'est que lorsque les hommes ne pensent pas pouvoir prendre ce type de congé pour eux-mêmes, cela les décourage de prendre un congé et, par conséquent, ce sont les femmes qui le prennent.
Nous avons réalisé une étude de groupe dans le secteur minier où, par exemple, les hommes nous ont confié qu'ils n'étaient pas prêts à prendre un peu de recul et à prendre un congé familial, car ils avaient peur des retombées sur leur carrière. Au gouvernement fédéral, il y a une prestation complémentaire, peu importe qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme, ce qui encourage aussi bien les hommes que les femmes à se prévaloir de ce congé. Je crois que nous devons penser à ce genre de choses.
Les employeurs doivent vraiment se concentrer sur la façon dont ils encouragent les aspirations familiales des hommes et des femmes, car cela va, en fin de compte, aider les femmes. Si les hommes ne sont pas libres de prendre ce congé, cela aura un effet dissuasif sur les femmes.
:
Je serai très rapide. Merci.
Professeure Lahey, je voudrais simplement conclure mes questions.
Je serai très brève et je sais que vous n'aurez probablement pas assez de temps pour me répondre, mais vous pourrez certainement nous envoyer quelque chose par écrit. Votre réponse à la dernière question m'a certainement semblé très intéressante.
Nous avons demandé aux témoins non seulement d'examiner les montants alloués aux programmes, au sein de Condition féminine Canada, car ce sont des montants très limités, mais j'aimerais également savoir si vous ou d'autres personnes avez étudié les montants affectés pour aider les femmes, du point de vue économique, entre autres, dans l'ensemble du gouvernement fédéral. Dans votre dernière réponse, comme je l'ai indiqué, vous avez dit qu'il fallait construire plus d'infrastructure pour les centres communautaires, etc. À l'échelle plus générale, pensez-vous que nous ayons fait progresser les choses, au chapitre de la formation pour les métiers spécialisés, notamment?
Je sais que du côté de l'emploi, à RHDCC, on s'est énormément concentré sur la formation professionnelle pour les femmes, par exemple.
Si vous pouviez nous faire parvenir de l'information à ce sujet, ce serait parfait.