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Madame la présidente, je vous remercie, vous et les membres du comité, de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui à propos du leadership économique et de la prospérité des Canadiennes.
Je m'appelle Kate McInturff, et je suis chargée de recherche pour le Centre canadien de politiques alternatives.
Le nombre de femmes qui fréquentent l'université et le collège est aujourd'hui plus élevé qu'il ne l'a jamais été. Un plus grand nombre de femmes se joignent à la population active et font leur entrée dans des secteurs où on ne les retrouvait pas auparavant, et pourtant, les jeunes diplômées demeurent moins bien rémunérées que leurs pendants masculins. Elles accèdent moins souvent aux postes de haute direction, et elles consacrent deux fois plus de temps que les hommes à du travail non rémunéré à domicile.
Quelle est la cause fondamentale des écarts qui persistent entre les hommes et les femmes aux chapitres de l'emploi, de la rémunération et de la promotion?
On a fait valoir que, si les femmes — plus particulièrement celles qui ont de jeunes enfants — sont moins nombreuses à occuper un emploi rémunéré, c'est par suite d'un choix, et qu'il s'agit de la source de l'écart salarial entre les hommes et elles. Pourtant, l'Enquête sur la population active a révélé que 69 % des femmes ayant des enfants de moins de six ans occupent un emploi — il s'agit d'un taux qui n'est inférieur que de 1 % au taux d'emploi de l'ensemble des femmes.
En outre, on a avancé que les femmes sont plus susceptibles de choisir de ne pas travailler lorsque, au sein de leur ménage, le soutien de famille est un homme. Là encore, les données tirées de l'Enquête sur la population active brossent un tout autre portrait de la situation. Si vous examinez les choix que font réellement les familles, vous constaterez que, en fait, les mères de jeunes enfants sont plus susceptibles d'occuper un emploi lorsque leur conjoint travaille lui aussi, et que cet emploi est plus susceptible d'être un emploi à temps plein. Au sein des familles avec de jeunes enfants où le père occupe un emploi, une proportion de 63 % des femmes occupent un emploi à temps plein.
Que ce soit par choix ou par nécessité économique, les mères de jeunes enfants occupent un emploi. Bon nombre de ces femmes travaillent à temps plein, et ce, en faisant deux fois plus de travail non rémunéré à la maison que les hommes. Cet écart sur le plan du nombre d'heures est un facteur important au moment d'expliquer pourquoi les femmes ne sont pas nombreuses à accéder à des emplois exigeants, mieux rémunérés et de rang plus élevé.
Quelles mesures pouvons-nous prendre pour remédier à ce manque de temps auquel les Canadiennes sont en butte?
Certaines réponses sont plus faciles à donner que d'autres, mais je vais mentionner d'abord l'une des plus évidentes, la mise en place de services de garde sûrs et abordables. Des économistes de tous les horizons ont montré que des services de garde abordables étaient avantageux pour les enfants, pour la sécurité économique des femmes et pour l'ensemble de l'économie d'une collectivité.
Des femmes travaillant dans des secteurs aussi divers que celui des soins de santé et de l'exploitation minière ont indiqué que l'absence de services de garde abordables constituait un obstacle important qui les empêchait d'occuper l'emploi qu'elles souhaitent occuper et de réaliser leurs objectifs professionnels.
En quoi la présence de services de garde peut-elle changer les choses?
Une analyse concernant l'incidence des services de garde subventionnés au Québec a révélé que, jusqu'en 2008, le programme avait directement contribué à une hausse de 3,8 % de la participation des femmes à la vie active. En outre, le programme a grandement contribué à l'économie du Québec en faisant croître son PIB de 1,7 %. À l'échelle canadienne, une hausse équivalente injecterait 31,9 milliards de dollars dans l'économie du pays.
Le fait d'offrir à un plus grand nombre de femmes la possibilité d'occuper un emploi rémunéré représente une première étape. Cependant, par la suite, les femmes continuent de se heurter aux problèmes persistants de l'iniquité salariale et l'iniquité au chapitre des taux de promotion. L'écart salarial entre les hommes et les femmes au Canada est le huitième en importance parmi les pays membres de l'OCDE. Le revenu d'emploi médian des femmes est inférieur de 34 % à celui des hommes. La situation est encore pire pour les travailleuses appartenant à certains groupes. Par exemple, le revenu des femmes appartenant à une minorité visible est de 17 % inférieur à celui des femmes n'appartenant pas à une minorité visible, et de 25 % inférieur à celui des hommes appartenant à une minorité visible. Les immigrantes de première génération et les femmes autochtones se trouvent dans une situation semblable.
Là encore, on a fait valoir que, si les femmes gagnaient moins d'argent, c'était peut-être parce qu'elles choisissaient de faire un moins grand nombre d'heures de travail. Cependant, cela n'est pas tout à fait le cas. En effet, on constate que les femmes qui travaillent à temps plein toute l'année touchent un revenu de 20 % moins élevé que celui des hommes qui travaillent à temps plein.
Cela tient notamment aux secteurs au sein desquels travaillent les hommes et les femmes et de la valeur que les hommes et les femmes accordent respectivement à leur travail. Les hommes et les femmes ont tendance à évoluer dans des secteurs différents. Une étude menée récemment par Statistique Canada a révélé que, à l'heure actuelle, les femmes titulaires d'un diplôme universitaire sont plus susceptibles de travailler dans les mêmes secteurs que ceux au sein desquels elles travaillaient il y a de cela 20 ans, à savoir ceux de l'éducation et des soins infirmiers. Pour leur part, les hommes ont tendance à travailler dans les secteurs de la technologie et des finances. L'une des raisons expliquant l'écart salarial entre les sexes tient à ce que les personnes qui travaillent dans des secteurs à prédominance masculine sont généralement mieux rémunérées que celles qui évoluent dans des secteurs à prédominance féminine. En d'autres termes, les hommes et les femmes qui occupent un emploi de programmeur informatique toucheront un revenu plus élevé que les hommes et les femmes qui enseignent dans une école primaire.
Cependant, même à l'intérieur d'un secteur donné, on constate un écart salarial entre les hommes et les femmes. Par exemple, dans un secteur à prédominance féminine comme celui de l'éducation, on constate que, en moyenne, le revenu annuel d'un instituteur est de 10 000 $ plus élevé que celui d'une institutrice. Que pouvons-nous faire pour changer cela?
Lorsqu'on se penche sur les salaires dans l'ensemble des secteurs, des industries et des régions, on relève un certain nombre de tendances en matière d'équité salariale. L'une des tendances que j'ai pu déceler en comparant diverses régions est la suivante: l'écart salarial se rétrécit là où on a mis en oeuvre des politiques proactives en matière d'équité salariale. Par exemple, si l'on examine le revenu d'emploi médian touché dans les grandes villes canadiennes, on constate que les femmes qui travaillent dans des villes où l'on trouve un grand nombre d'employeurs du secteur public ayant mis en place des politiques proactives en matière d'équité salariale sont confrontées à un écart salarial moindre qu'ailleurs. Pourtant, les revenus touchés dans ces villes ne sont pas ceux qui, dans l'ensemble, sont les plus élevés, ce qui contredit l'idée selon laquelle il suffit de hausser l'ensemble des salaires afin de combler l'écart salarial. En fait, la ville où le revenu moyen est le plus élevé, à savoir Edmonton, est également celle où l'on a relevé l'écart salarial le plus important — les hommes touchent là-bas, en moyenne un revenu annuel de 21 000 $ supérieur à celui des femmes.
Si l'on veut réduire l'écart salarial, on doit faire preuve d'équité et mettre fin à la discrimination. Cela contribue nettement à la prospérité des femmes et à l'économie. Selon des estimations de la Banque mondiale, l'instauration de l'équité salariale dans des pays industrialisés comme le Canada pourrait se traduire par une croissance du PIB pouvant aller jusqu'à 9 %.
L'équité salariale pourrait également permettre à des femmes et à leur famille de s'extirper de la pauvreté. Le taux de pauvreté est plus élevé au sein des familles dont le soutien est une femme. Cela vaut non seulement pour les familles dirigées par une femme seule, mais également pour les familles comptant deux parents et où la femme est l'unique soutien de famille.
Examinons le cas du secteur à prédominance féminine où les revenus sont les moins élevés, à savoir le secteur des services. Les femmes qui travaillent dans le secteur canadien de la vente au détail touchent un revenu annuel à peine supérieur à 12 000 $. Pour leur part, les hommes évoluant dans le même secteur touchent un salaire annuel de 18 000 $. Cet écart salarial de 6 000 $ peut faire la différence entre une famille en mesure de payer le loyer et la nourriture et une autre qui est incapable de le faire.
Il existe des solutions à ces problèmes. J'en ai mentionné quelques-unes, mais je serais heureuse d'avoir l'occasion d'en dire davantage à propos des politiques publiques qui ont véritablement permis de changer la vie de femmes et qui ont eu des effets positifs sur leur bien-être économique.
Cependant, pour l'instant, j'aimerais conclure mon exposé en répétant une chose que sait tout propriétaire de petite entreprise: on n'a rien sans rien. À défaut d'un investissement initial et stable, une entreprise vacille, et cela vaut également pour les investissements dans les politiques et les programmes qui peuvent accroître le bien-être économique des Canadiennes. Un soutien stable et adéquat procurera aux Canadiennes et à l'économie du pays de multiples avantages, notamment une croissance notable du PIB et une hausse corrélative des recettes du gouvernement. En l'absence de tels investissements, nos programmes sont voués à l'échec, de la même façon qu'un accès inadéquat au crédit et au financement entraîne la faillite d'une petite entreprise.
Au cours de l'exercice précédent, le budget de Condition féminine Canada représentait 0,03 % des dépenses de programmes directes du gouvernement fédéral. Depuis plusieurs années, ce taux demeure le même, et il est très peu élevé.
Permettez-moi de répéter ce que je viens de dire: le gouvernement fédéral alloue trois centièmes de 1 % de ses dépenses de programmes totales à un ministère dont la tâche consiste à assurer l'égalité entre les sexes et la participation à part entière des femmes dans la vie économique, sociale et démocratique du Canada.
L'inégalité entre les sexes constitue un obstacle considérable qui entrave la croissance, la bonne gouvernance et le bien-être. Le fait d'investir des ressources politiques et financières dans l'accroissement de la sécurité économique des Canadiennes sera avantageux non seulement pour la qualité de vie de la population canadienne, mais également pour la stabilité économique du pays.
Je vous remercie.
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Il est difficile de passer après Kate, vu qu'elle a mentionné la plupart des choses intéressantes que je prévoyais dire. Ce n'est pas grave — j'ai encore deux ou trois bonnes blagues à raconter.
Merci infiniment de me donner l'occasion de témoigner aujourd'hui. Mon vol a été retardé, et je suis arrivée ici tout juste à temps, et j'en suis très heureuse.
À ceux qui ne connaissent pas Catalyst, je mentionnerai qu'il s'agit d'une organisation qui travaille auprès d'entreprises du monde entier afin de les aider à créer des lieux de travail caractérisés par la diversité et l'ouverture et qui donnent à chacun l'occasion de mettre son talent à profit.
Depuis plus de 50 ans, nous tentons de constituer un ensemble de recherche afin de stimuler et d'orienter à l'échelle mondiale la discussion concernant les progrès des femmes, et, fait plus important encore, nous utilisons ces recherches afin d'élaborer des ressources et des outils très concrets que les entreprises et leurs dirigeants peuvent utiliser afin de changer les choses.
Je suis ravie de contribuer à l'important examen que vous menez concernant les obstacles systémiques au progrès des femmes. J'estime qu'il s'agit d'une discussion opportune et cruciale, vu l'importance que revêt le talent pour la compétitivité économique du Canada, mais je pense aussi que le comité doit se poser la question plus générale de savoir pourquoi nous en sommes encore aujourd'hui à discuter de cela et pourquoi il demeure essentiel de le faire.
À mon avis, le véritable sujet de cette discussion tient à la compétitivité économique du Canada et au talent que recèle le pays. Vous n'êtes pas sans savoir que, comme bon nombre d'autres pays, le Canada se trouve en présence d'une pénurie de main-d'oeuvre, d'une génération de travailleurs vieillissants — les baby-boomers — qui prennent leur retraite, d'une croissance démographique faible — bien que j'aie fait ma part afin d'améliorer les statistiques à ce chapitre en ayant trois enfants en 12 mois — et d'un marché mondial de plus en plus concurrentiel.
Le talent que recèle notre pays nous procure un avantage concurrentiel. Nous disposons d'une main-d'oeuvre hautement qualifiée. Kate a fait allusion à cela. La proportion de notre population qui accède aux études postsecondaires est l'une des plus élevées du monde. Nous devons tirer parti de ce talent, mais nous ne le faisons pas. Comme vous le savez, nous perdons présentement du terrain, à tout le moins dans la mesure où nous commençons à déceler des progrès sur le plan de l'accession des femmes aux conseils d'administration. Il ne s'agit là que d'un exemple, mais c'est un exemple important. Nous nous laissons distancer par des pays comparables, notamment le Royaume-Uni, l'Australie et la plupart des pays européens. Il s'agit là d'un élément qui, selon moi, devrait provoquer une discussion très différente de celle que nous tenons actuellement au pays.
En règle générale, lorsque nous examinons les statistiques et les organigrammes des entreprises, nous mettons l'accent sur ceux qui figurent dans le classement des 500 plus importantes entreprises canadiennes établi par le Financial Post. Au sein de ces entreprises, les femmes occupent environ 50 % des postes de premier échelon, 36 % des postes de direction, 16 % des postes au sein des conseils d'administration et 18 % des postes de cadre supérieur.
On entend souvent dire que, si les femmes ne parviennent pas à gravir les échelons, c'est en raison des choix qu'elles font. Il n'est pas rare que l'on fasse observer que les femmes ont des enfants, qu'elles prennent des congés pour s'en occuper, qu'elles assument au sein de leur famille un plus grand nombre de responsabilités pour ce qui est de la garde des enfants, qu'elles sont peut-être moins ambitieuses que les hommes parce qu'elles ont une vision différente de ce qui constitue la qualité de vie et qu'elles font d'autres choix qu'eux. Cependant, d'après les éléments probants dont nous disposons, il ne s'agit pas là des principales raisons pour lesquelles les femmes gravissent si lentement les échelons.
Qu'est-ce que révèlent les éléments probants? En résumé, ils indiquent que le problème ne tient pas à un plafond de verre. Les femmes, qui constituent la moitié des effectifs du premier échelon, ne gravissent pas systématiquement les échelons pour ensuite subitement se buter à un obstacle. On a de plus en plus tendance à affirmer que le problème tient non pas à un plafond de verre, mais à un plancher collant. Lorsque nous observons des hommes et des femmes présentant des caractéristiques semblables au chapitre des compétences, de la scolarité, de l'expérience et des aspirations, et qui utilisent des stratégies de même nature afin de progresser, nous constatons immédiatement des différences dont l'importance ne fait que croître avec le temps.
Je vous ai fourni un tableau qui, je crois, vous fournira des renseignements qui pourraient vous être utiles. Il est tiré d'un rapport concernant la situation canadienne que nous avons publié en décembre dernier. Il s'inscrit dans un projet de recherche à long terme d'envergure mondiale que nous menons à propos des hommes et des femmes qui ont obtenu leur maîtrise en administration des affaires. Nous avons décidé de nous concentrer sur ce groupe parce que ses membres se retrouvent dans tous les secteurs. Ce que nous avons constaté, c'est que, dès le départ, il existe un écart salarial entre les hommes et les femmes. À l'échelle mondiale, cet écart est de 4 200 $; au Canada, il se chiffre à 8 200 $.
Chaque fois que je présente ces statistiques, on me demande inévitablement si l'écart ne serait pas simplement attribuable au fait que les hommes ont tendance à se diriger vers le secteur des services bancaires d'investissement, et les femmes, vers celui du marketing. La réponse est la suivante: non. Il est question ici d'hommes et de femmes qui choisissent des emplois et des secteurs semblables. D'emblée, il y a un écart salarial qui se creuse au fil du temps.
Il y a des différences qui sont attribuables au fait que, en règle générale, les hommes tirent profit de la présence de mentors qui occupent des postes de grades plus élevés au sein d'une organisation et qui sont mieux à même de créer des occasions pour eux. Toutefois, nous avons décelé des différences plus importantes au chapitre de l'expérience professionnelle cruciale que l'on permet aux hommes et aux femmes d'acquérir dès leur entrée au sein d'une organisation et qui contribuera à leur progression. Les hommes se voient confier des dossiers et des projets s'assortissant de budgets plus élevés et qui les mettront plus directement et plus fréquemment en contact avec les cadres supérieurs. Selon les éléments probants dont nous disposons, il s'agit là d'un facteur qui a une incidence directe sur la capacité respective des hommes et des femmes de gravir les échelons. Ce que je souhaite, c'est que nous cessions de mettre l'accent sur les personnes, et que nous braquions davantage les projecteurs sur les organisations et quelques-unes des mesures que nous devons prendre, en tant que chefs de file, afin d'amener les organisations de toutes les régions du pays à véritablement prendre conscience de cela.
Quelle est la situation actuelle? Des difficultés systémiques continuent de porter atteinte à l'égalité des chances et à la capacité des femmes d'accéder à des postes de direction. Au risque de vous ennuyer avec des statistiques, j'attirerai votre attention sur deux autres documents d'information qui, selon moi, pourraient vous être utiles. Il s'agit de deux brefs aperçus des données tirées de recensements que nous avons effectués.
Au cours d'une année, nous publions les résultats d'un recensement concernant les progrès réalisés au chapitre de l'accession des femmes aux conseils d'administration, et, l'année suivante, nous publions un recensement sur les progrès réalisés sur le plan de l'accession des femmes aux postes de haute direction. Ces documents constituent une véritable mine de renseignements. Je vous ai simplement fourni de brefs résumés de ces recensements. Afin de mettre en contexte les chiffres concernant les progrès réalisés en ce qui a trait à l'accession aux postes de grades plus élevés, j'ai l'habitude de dire que, si l'on établissait qu'il serait satisfaisant qu'une proportion de 25 % des postes de membres de conseils d'administration et des postes de haute direction soient occupés par des femmes, il nous faudrait encore 15 ans pour réaliser l'objectif lié aux postes de haute direction, et 20 ans pour celui lié aux conseils d'administration. Si rien ne change, au rythme où nous progressons actuellement, il faudra respectivement 15 et 20 ans pour réaliser ces deux objectifs de 25 %. Je trouve cela scandaleux, et, en général, une fois que j'ai expliqué cela aux gens, ils disent que cela est déplorable.
Je pense que les pressions exercées à l'échelle nationale et internationale commencent à avoir des effets, dans la mesure où on commence à discuter de cela au sein des conseils d'administration et des comités de direction du pays, ce qui est réellement positif. Pour la première fois, nos données indiquent que les choses commencent seulement à changer. Après que j'ai pris connaissance, l'an dernier, des données dont je vous parle, comme je savais que je finirais par en parler publiquement, j'ai répété souvent à la blague à mes collègues que j'allais devoir boire plusieurs cannettes de boisson énergisante afin d'être en mesure de les présenter avec enthousiasme, vu qu'elles ne contenaient rien de positif, et que personne n'aime parler que de choses négatives.
Où nous dirigeons-nous? Je suis extrêmement optimiste quant à l'avenir. Je pense que cela n'est pas attribuable à de la naïveté — mon optimisme est fondé sur le fait que de plus en plus de chefs d'entreprise abordent publiquement ces questions, et ils le font avec fougue, mais surtout, au fait qu'on les somme de plus en plus souvent de s'expliquer sur ces questions. À mon avis, les dispositions réglementaires fondées sur le principe « se conformer ou s'expliquer » qui ont été proposées par la Commission des valeurs mobilières auront des effets considérables, et je crois qu'ils se font déjà sentir. Je lui attribue l'énorme mérite d'être allée de l'avant à cet égard. Cependant, je crois qu'une part du mérite revient également aux personnes ici présentes et aux autres qui oeuvrent depuis longtemps afin de susciter cette conversation et d'amener les dirigeants à y participer.
L'Australie représente un merveilleux point de comparaison. Je vous aurais fourni un graphique que nous avons élaboré et qui compare la situation actuelle du Canada avec celle qui régnait en Australie il y a quatre ans, mais comme je n'ai tout simplement pas eu le temps de le faire traduire, je vous le transmettrai plus tard. Cela dit, nous nous sommes penchés sur la situation qui régnait en Australie en 2010, au moment où on a commencé à discuter là-bas du principe « se conformer ou s'expliquer » — et, là encore, les conseils d'administration ne constituent qu'un indicateur —, et nous avons constaté que les choses avaient commencé à changer. En effet, la réglementation fondée sur le principe en question s'est traduite en trois ans par une augmentation de 7 % du nombre de femmes au sein des conseils d'administration. Les choses ont véritablement pris leur essor. On constate que, de plus en plus, les postes vacants sont attribués à des femmes. À mes yeux, il s'agit là d'une tendance. Je le répète, les conseils d'administration ne sont qu'un exemple, mais il s'agit d'un exemple très important qui dénote un progrès important réalisé au pays.
Il y a deux ans, Catalyst a mis les 500 entreprises du classement du Financial Post au défi de conclure avec elle un accord en vertu duquel elles s'engageraient à se fixer un objectif pour ce qui est de la représentation des femmes au sein de leur conseil d'administration. À mon avis, les projecteurs sont de plus en plus braqués sur les conseils d'administration et les comités de direction — à juste titre —, et on s'attend d'eux qu'ils contribuent à accroître à 25 % la représentation des femmes. Ainsi, les entreprises dont le taux de représentation est nul n'ont pas à tenter de le faire passer à 40 % — on leur demande de viser d'abord un taux de 15 % ou de 20 %. On demande aux entreprises de commencer par des objectifs réalistes, mais de contribuer à ce que la moyenne passe à 25 % d'ici 2017. À ce jour, 26 entreprises se sont engagées à faire cela, et elles sont de plus en plus nombreuses à communiquer avec nous chaque mois, à informer les membres de leur conseil d'administration et à provoquer la tenue d'une discussion en leur sein, ce qui, à mes yeux, est un élément très positif.
Pour mettre de nouveau les choses en contexte, je préciserai que, si nous voulons réaliser l'objectif de 25 %, il faudra que chaque entreprise du classement FP500 ajoute une femme à son conseil d'administration, et donc que 90 femmes soient nommées au sein de ces conseils chaque année au cours des cinq prochaines années. Ces calculs sont fondés sur un nombre total de 4 200 postes d'administrateurs. Personne ne pourra me dire qu'il n'y a pas suffisamment de femmes qualifiées pour occuper ces 90 postes. Nous devons simplement accroître la demande — il n'y a aucun problème sur le plan de l'offre.
Vous êtes des chefs de file influents qui tentez de comprendre ou de supprimer les obstacles systémiques qui entravent le progrès des femmes, et si je ne pouvais vous demander qu'une seule chose, ce serait la suivante: mettez au défi les chefs d'entreprise du Canada de se fixer des objectifs en matière de représentation des femmes et d'élaborer des stratégies en vue de les réaliser. Selon ce que cette initiative nous a permis de constater, du moment qu'une entreprise commence à s'intéresser à cela, elle ne peut plus revenir en arrière. Je vous dirais que, sur les 40 ou 45 entreprises qui ont communiqué avec nous à ce jour afin de conclure un accord, une seule nous a dit que les membres du conseil d'administration avaient refusé de prendre part à l'initiative. En règle générale, nous pouvons observer que des changements surviennent dès que les membres du conseil d'administration commencent à discuter de cela. Ces changements ne sont pas nécessairement spectaculaires, mais on constate que, au bout de deux ou trois ans, des changements notables commencent à se produire.
J'aimerais également vous demander de mettre les chefs d'entreprise au défi d'harmoniser leur stratégie opérationnelle et leur stratégie en matière de ressources humaines et de faire en sorte qu'elles soient très étroitement liées. Il s'agit de créer des lieux de travail axés sur la diversité auxquels les hommes et les femmes peuvent contribuer pleinement et d'utiliser à son plein potentiel le talent dont nous disposons.
Comme vous le savez, il est extrêmement important pour notre compétitivité économique que nous exploitions les talents dont nous disposons, et nous ne pouvons donc pas nous permettre de ne pas faire les choses comme il faut. À mon avis, nous sommes sur la bonne voie, mais nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir.
Je suis ravie d'être ici aujourd'hui. Je serai heureuse de vous aider de quelque manière que ce soit. Je tiens simplement à souligner que la plupart des recherches que nous avons menées sont accessibles au public. Si je peux vous être utile, sachez que vous pouvez me consulter, et vous pouvez également visiter notre site Web, dont l'adresse est le www.catalyst.org — vous y trouverez probablement un certain nombre de renseignements que vous pourrez utiliser aux fins de votre discussion.
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Bonjour, madame la présidente. Je salue également les membres du comité. Je vous remercie de me permettre de participer à la réunion par vidéoconférence.
Je m'appelle Shannon Phillips, et je suis analyste des politiques pour l'Alberta Federation of Labour.
Je vis à Lethbridge, dans le sud de l'Alberta, et je me trouve actuellement à Edmonton, deux villes entre lesquelles je suis souvent appelée à faire la navette dans le cadre de mon travail. Je vais vous parler d'une situation quelque peu différente de celle où se trouvent les membres des conseils d'administration et les dirigeants d'entreprise du classement Fortune 500, à savoir celle des gens ordinaires qui travaillent dans les collectivités rurales et les petites villes de l'Alberta, plus particulièrement du sud de la province.
Kate et Alex nous ont fourni de très bons renseignements contextuels en ce qui concerne l'inégalité à laquelle les femmes sont confrontées. Pour ma part, je porterai mon attention sur ce qui se passe en Alberta, que l'on qualifie souvent de moteur économique du pays.
La dernière fois que je me suis présentée devant le comité, c'était en 2010, à l'époque où j'étais présidente du Womanspace resource centre de Lethbridge, auquel Condition féminine Canada a versé des fonds pendant 25 années consécutives, mais qui a vu son financement supprimé.
Je me rappelle ma comparution devant le comité comme si c'était hier, vu que j'étais enceinte de mon deuxième fils depuis quelques semaines, et que, dans de telles circonstances, il est stressant de se présenter devant un comité de la Chambre des communes. À ce moment-là, j'étais complètement prise de nausées, et je vous dirai bien honnêtement que j'étais également très contrariée parce que je ne serais pas en mesure de prendre une bière après mon témoignage. Ainsi, sachez que vous n'aurez pas à me ménager durant la période de questions, vu que mon garçon est à présent âgé de trois ans et demi, et que les conditions printanières qui règnent aujourd'hui sur Edmonton me permettront de boire une bière sur le patio après le travail.
Comme je l'ai indiqué, j'étais présidente de Womanspace. Cet organisme a vu le jour au moment où nous ne faisions que commencer à déployer des efforts pour amener les femmes à devenir indépendantes sur le plan économique et à acquérir des connaissances de base en économie. Notre objectif était de fournir aux femmes à faible revenu — qui étaient bien souvent des femmes autochtones — divers types de services de soutien leur permettant de s'initier à la gestion financière. En deux ans, au moyen d'un budget de moins de 150 000 $, nous avons fourni des services en la matière à 825 femmes, qu'il s'agisse de services personnalisés, de services de production de déclaration de revenus ou de cours de groupe dans le cadre desquels on leur a appris, entre autres, à effectuer la transition vers un emploi rémunéré et à épargner en vue de la retraite.
Je me souviens d'une femme en particulier. Appelons-la Donna. Nous l'avons aidée à percevoir auprès de l'ARC des crédits d'impôt d'une valeur de plusieurs milliers de dollars auxquels elle avait droit en raison de ses enfants et qu'elle avait oublié de réclamer dans la tourmente provoquée par la rupture avec son ex-conjoint. Avec l'argent qu'elle a reçu, elle s'est achetée une minifourgonnette de manière à pouvoir conduire ses enfants à de meilleures activités parascolaires et à pouvoir faire la transition vers un emploi rémunéré et mettre fin à sa dépendance à l'égard de l'aide sociale. Bien honnêtement, je vous dirai que, lorsqu'elle s'est présentée à Womanspace, elle n'en menait pas large, mais aujourd'hui, elle peut marcher la tête haute. Je viens de prendre de ses nouvelles, et elle est toujours sur le marché du travail.
Cela dit, à cette époque, l'actuel gouvernement a délibérément mis à l'écart des organisations féministes de longue date comme Womanspace en faveur d'autres organisations, notamment des organismes à but lucratif et d'autres n'ayant pas fait leurs preuves et ne fournissant pas nécessairement des services aux femmes, renonçant ainsi à ce que d'autres histoires comme celle de Donna voient le jour dans le sud de l'Alberta. On a laissé passer l'occasion de permettre à d'autres femmes d'acquérir l'indépendance économique dans le sud de l'Alberta, où l'on trouve — je le souligne au passage — les personnes à plus faible revenu de la province, le plus grand nombre de femmes touchant de faibles salaires, la plus vaste réserve autochtone du pays et une proportion élevée d'Autochtones vivant en milieu urbain. Si je n'avais un seul objectif à me fixer pour aujourd'hui, ce serait de vous faire réfléchir, vous et toutes les femmes, à l'ensemble des femmes de ma collectivité qui n'ont pas pu recevoir ce petit coup de pouce qu'on a donné à Donna parce qu'on a plutôt décidé de faire de la politicaillerie avec la vie des femmes.
On dit souvent que l'Alberta est le moteur économique du pays, mais la reproduction à l'échelle du Canada de notre économie axée sur l'extraction des ressources est également une bonne façon, pendant les temps morts, de prendre un peu de recul. Examinons la situation qui règne en Alberta au chapitre de l'égalité économique des hommes et des femmes. Ce que nous apprend la lecture de la section économique du Globe and Mail, c'est que les salaires augmentent très rapidement, et que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. J'estime qu'il s'agit là d'une vision des choses très commode pour la presse économique, vu que cela permet de maintenir les salaires à un faible niveau — surtout dans les secteurs à faibles salaires —, et, par conséquent, de maintenir les profits à un niveau élevé.
C'est en Alberta que l'on observe l'écart salarial le plus important entre les hommes et les femmes au Canada. Comme Kate l'a indiqué, à l'échelle du Canada, les femmes touchent un revenu équivalent à 80 % de celui des hommes, mais en Alberta, en moyenne, les femmes qui travaillent à temps plein pendant toute l'année touchent un revenu équivalent à 65 % de celui des hommes. Je pense que personne n'aurait prédit que l'écart salarial auquel les femmes de la génération de ma mère étaient confrontées dans les années 1970 serait équivalent à celui auquel se heurtent les femmes de ma génération, qui sont aujourd'hui à la fin de la trentaine. Toutefois, il s'agit là de la réalité avec laquelle nous sommes aux prises en Alberta.
À mon avis, la participation des femmes au sein de l'économie se bute à un certain nombre d'obstacles, attribuables au fait que notre province est l'une de celles qui investissent le moins au pays dans les services d'apprentissage et de garde des jeunes enfants, au fait que les dépenses du gouvernement en proportion du PIB sont extrêmement faibles — comme vous le savez, la majeure partie des employés du secteur public sont des femmes — et à la concentration des emplois du secteur privé au sein d'un nombre restreint de secteurs, autrement dit à la faible diversification de l'économie.
En outre, les données indiquent que, en Alberta, les salaires des travailleurs peu spécialisés stagnent. Les salaires en vigueur dans les secteurs des services, du tourisme et de l'hébergement ont à peine augmenté depuis 2008. La plupart des personnes qui travaillent dans ces secteurs sont des femmes qui, bien souvent, tentent d'arrondir leur revenu familial et qui doivent également s'occuper de leurs très jeunes enfants.
Les effets d'une économie à faibles salaires se font sentir sur les enfants. Une proportion stupéfiante de 60 % des enfants albertains vivant sous le seuil de la pauvreté ont au moins un parent qui travaille à temps plein. Une proportion de 20 % des Albertains travaillant à temps plein touchent un salaire inférieur à 15 $ l'heure, et 25 % d'entre eux sont des femmes. De plus, en Alberta, 60 % des travailleurs à faible salaire ont plus de 25 ans.
Je sais que bon nombre des membres du gouvernement ont étudié l'histoire, notamment celle de leur parti dans l'ouest du Canada. Je n'ai probablement pas besoin de vous dire que la diversification de l'économie de l'Ouest est un mirage qu'entretiennent depuis longtemps les gouvernements fédéraux et provinciaux du Parti conservateur, et ce, depuis l'époque d'Ernest Manning.
La diversification de l'économie de l'Ouest est l'une des principales raisons pour lesquelles, par exemple, Peter Lougheed a institué une politique visant à ce que l'on valorise et raffine le bitume et le gaz naturel ici même, dans la province, plutôt que de les expédier sous leur forme brute par pipeline et de laisser ainsi les États-Unis — et aujourd'hui, de plus en plus, la Chine — profiter des emplois qui découlent de la transformation de ces produits, notamment dans le secteur manufacturier. C'est la raison pour laquelle M. Lougheed s'est opposé au projet de pipeline de Keystone XL et aux autres projets de pipeline axés sur l'exportation. Il s'est opposé non pas au pipeline en tant que tel, mais au produit qu'il servira à transporter. L'organisation que je représente, à savoir l'Alberta Federation of Labour, est du même avis.
Si nous admettons cette vision de la diversification économique et si nous employons des instruments de politique publique afin de la concrétiser, c'est parce que nous voyons les résultats de l'intensification de la concentration économique. Quels sont ces résultats?
Tout d'abord, les prix des produits de base évoluent en dents de scie. Pendant la récession, le taux de chômage en Alberta est passé du plus faible à l'un des plus élevés au pays. C'est dans cette province que l'on a enregistré la hausse la plus rapide du nombre de demandes de prestations d'aide sociale. La récession cause du tort aux gens ordinaires. Lorsque les entreprises du secteur de l'énergie mettent des projets en veilleuse, on assiste à une croissance spectaculaire du taux de pauvreté en Alberta. Aucune personne saine ne peut croire que les prix du pétrole demeureront éternellement élevés à l'échelle mondiale. Tout spéculateur qui croit cela se verra rapidement détrompé et délesté de tous ses biens matériels, et pourtant, c'est là-dessus que l'on table en Alberta et, de plus en plus, dans l'ensemble du Canada.
La part du revenu du travail en proportion des recettes totales du secteur pétrolier est l'une des plus faibles de l'ensemble des secteurs industriels. Malgré l'effervescence du secteur immobilier et la hausse des salaires en Alberta, la croissance des salaires dans le secteur pétrolier est l'une des plus faibles au pays.
Je vais vous fournir quelques renseignements contextuels concernant le fait de se fier aux prix des produits de base. Il n'y a que trois façons de tirer profit des produits de base. La première tient aux emplois directs dans le secteur pétrolier, qui sont au nombre de 16 500. Toutefois, le Conseil canadien des ressources humaines de l'industrie du pétrole prévoit le plafonnement du nombre d'emplois dérivés à long terme, notamment dans les domaines connexes de la valorisation, de la fabrication et du plastique.
La deuxième façon de tirer profit des produits de base tient aux redevances et aux impôts qui en découlent et qui nous permettent de financer des services publics et de faire fonctionner l'économie de façon stable, même lorsque les prix des produits de base chutent — et, comme nous le savons, ils finissent toujours par chuter. Cependant, les redevances et les taxes que l'Alberta tire du pétrole lourd sont parmi les moins élevées du monde. Elles sont plus faibles que celles de l'Angola, où les sociétés d'extraction doivent assumer les coûts liés à la prospection de centaines de milliers de mines terrestres afin de parvenir aux gisements de pétrole brut qu'elles recherchent.
La troisième façon de tirer profit des produits de base tient à la valeur qu'on peut y ajouter. L'Alberta ne prévoit valoriser que 26 % de sa production de bitume d'ici 2020, alors que l'objectif que le gouvernement s'était lui-même fixé était de 65 %.
Vu que nous sommes singulièrement obnubilés par les emplois dans le secteur de l'extraction — emplois à prédominance masculine comme ceux de mécanicien de centrale — nous laissons passer de nombreuses occasions de créer près de chez nous les emplois stables à long terme dont les femmes veulent et ont besoin. Il faut que des gens puissent travailler près de chez eux — on ne peut pas tous aller travailler à Fort McMurray. Il faut que quelqu'un puisse conduire les enfants à leur entraînement de hockey.
Il est possible de faire bon usage de nos abondantes ressources naturelles, de les valoriser ici même et de diversifier l'économie. Nous pouvons nous assurer de recevoir notre juste part des recettes de manière à ce que nous puissions employer cet argent et utiliser des instruments de politique publique afin de favoriser l'émergence d'un autre type d'économie. Nous créons des technologies vertes, nous modernisons des immeubles situés près de chez nous et nous instaurons une économie durable où les gens peuvent rentrer à la maison après le travail pour préparer le souper des enfants.
Nous pouvons nous assurer que nous disposons de l'argent nécessaire pour offrir de bons services de garde et que nous offrons les emplois qui vont nous amener au prochain siècle, et non au prochain cycle économique. Nous pouvons nous assurer que les bons budgets vont être affectés aux bonnes choses et que nous sommes capables de régler les problèmes de pauvreté et d'inégalité systématiques. Cependant, nous ne pouvons pas le faire dans une économie qui évolue en dents de scie.
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Parmi ceux dont je parle dans mon mémoire, je pense que le parrainage est particulièrement pertinent. C'est quelque chose de subtil. Aux fins de la présente discussion, je pense que le parrainage est l'un des deux obstacles fondamentaux. Si les hommes et les femmes font leur entrée sur le marché du travail en proportions plus ou moins égales et que les hommes bénéficient rapidement du fait que des membres de l'organisation au sein de laquelle ils travaillent qui ont plus d'ancienneté tracent en quelque sorte un chemin pour eux, leur créent des occasions et pavent la voie à leur avancement, il s'agit là d'un énorme obstacle systémique. C'est aussi très subtil. Personne n'agite de drapeau rouge. Ce sont des facteurs puissants, mais qui sont rarement abordés de façon efficace.
Nous avons été étonnés par les résultats de certaines des études sur la maîtrise en administration des affaires que nous avons réalisées et qui portaient sur le sujet. Lorsque nous avons demandé aux diplômés qui y ont participé s'ils avaient accès à une expérience de travail convoitée — s'ils s'occupaient de dossiers cruciaux pour l'organisation, s'ils disposaient d'un gros budget et s'ils avaient un nombre important de subordonnés directs —, ils ont tous répondu que oui. Il s'agissait dans tous les cas d'hommes et de femmes qui avaient été repérés par l'organisation pour laquelle ils travaillaient grâce à leur grand potentiel, et beaucoup d'entre eux participaient à des programmes de formation en gestion et avaient vraiment l'impression d'être des étoiles montantes. Nous avons ensuite analysé les projets — pour des milliers de personnes —, et nous avons été étonnés de constater que les budgets gérés par les hommes étaient deux fois plus importants que les budgets que géraient leurs homologues du sexe féminin, que les hommes avaient trois fois plus de subordonnés directs que les femmes et que les hommes étaient beaucoup plus souvent en contact avec des cadres supérieurs que les femmes.
Alors lorsque je parle d'obstacles systémiques, c'est de ce genre d'obstacles. C'est simplement qu'ils ne sont pas évidents ni orchestrés. Souvent, ce sont des comportements et des tendances des organisations qui sont très subtils, mais très puissants, et qui sont répétés à tous les niveaux avec le temps. On voit la pyramide faire ça...
Jusqu'à il y a cinq ans, je dirais, nous ne parlions que du fait que les femmes ne se manifestaient pas, qu'elles ne poussaient pas assez, qu'elles faisaient le choix de s'exclure et qu'elles n'avaient pas la confiance nécessaire pour essayer d'obtenir une promotion. Je ne suis pas en mesure de vous dire si ces choses se passent ou non. Ce que je peux vous dire, c'est que nous savons ce qui se passe au sein des organisations, que nous connaissons les obstacles systémiques qui empêchent les organisations de tirer pleinement avantage du talent de leurs membres. Ce ne sont là que deux exemples, mais je dirais qu'il s'agit d'exemples cruciaux.
En ce qui a trait au parrainage, Tom Falk, PDG de Kimberly-Clark, vient de remporter notre prix mondial il y a deux semaines, et il a prononcé une allocution extraordinaire. Il a dit que, lorsqu'il a pris les commandes de l'entreprise en 2008 et qu'il a commencé à mettre l'accent sur la diversité et l'inclusion, il a fait le tour du monde et rencontré ses directeurs régionaux, et il leur a demandé de lui donner une liste des gens qu'ils parrainaient, les cinq personnes les plus importantes. Il a examiné les listes que les directeurs régionaux lui ont remises, et leur a dit: « Vous êtes un homme asiatique, et tous les noms qui figurent dans votre liste sont des noms d'hommes asiatiques », ou encore « Vous êtes un homme blanc européen, et toutes les personnes que vous avez nommées sont des hommes blancs européens. » Il leur a ensuite dit que, lorsqu'il allait revenir six mois plus tard, il voulait que les listes soient différentes.
Voilà le genre de leadership qui permettra de supprimer ces obstacles systémiques.
En plus des services de garde, je reprendrais ce qu'Alex a dit: nous devons faire le suivi des salaires et des promotions que nous offrons aux hommes et aux femmes. Clairement, comme les exemples qu'Alex a donnés le démontrent, nous ne pouvons pas régler le problème des disparités salariales, par exemple, si nous ne savons pas qu'il existe. Lorsque des politiques exigent que les employeurs fassent le suivi de ces choses, ils sont en mesure de combler les écarts.
Quant aux salaires des femmes, il faut aussi examiner la répartition de la main-d'oeuvre et tenir compte du fait que les hommes et les femmes ont tendance à travailler dans des secteurs différents. Je pense qu'il y a deux choses à faire à ce chapitre. La première, c'est de valoriser le travail des femmes dans les secteurs dominés par elles, de sorte que nos programmeurs et nos enseignantes au primaire touchent un salaire équivalent ou que leurs salaires se rapprochent davantage. L'autre chose, c'est la suppression des obstacles qui empêchent les femmes de travailler dans des secteurs dans lesquels elles aimeraient travailler, mais où elles n'arrivent pas à trouver d'emploi ou encore où elles font face à des obstacles comme l'absence de services de garde et l'impossibilité d'avoir un horaire flexible.
Je pense qu'il faut accroître le budget de Condition féminine Canada. Je pense simplement que nous ne nous faisons pas une idée réaliste de ce qu'il va en coûter pour assurer le bien-être des femmes au Canada. Comme tout le monde ici présent l'a démontré aujourd'hui, nous sommes encore aux prises avec des inégalités au pays, et 0,03 % ce n'est tout simplement pas suffisant. Le message à retenir à ce sujet à mes yeux — et j'espère l'avoir répété assez souvent —, c'est que les investissements dans les services de garde vont engendrer des retombées économiques positives à long terme et vont être compensés par la croissance de l'économie; que le comblement de l'écart salarial à l'aide d'investissements sera compensé par la croissance économique; que l'accroissement de l'accès des femmes au travail rémunéré contribue à la croissance économique. Il ne s'agit pas d'une dépense sans fin de fonds gouvernementaux. Je pense que, si nous faisons ces investissements et que nous les envisageons comme tels, nous allons constater qu'ils engendreront d'importants avantages pour notre économie et évidemment dans la vie des femmes.
Enfin, merci infiniment d'avoir soulevé la question de la violence faite aux femmes. Je n'ai pas pu l'aborder dans ma déclaration préliminaire. Au départ, il ne fait aucun doute que la sécurité économique des femmes est liée à leur sécurité personnelle. Les femmes qui n'ont pas les moyens de se payer un logement, par exemple, peuvent demeurer dans une relation de violence. Selon l'étude du YMCA sur ses refuges, le manque de logements abordables est la principale raison pour laquelle les femmes qui passent par les refuges retournent vivre auprès d'un conjoint violent.
D'excellentes études sur les répercussions économiques à long terme de la violence subie par les femmes ont par ailleurs été réalisées par des chercheurs universitaires de la Colombie-Britannique. Ils ont entre autres constaté que les femmes qui ont été victimes de violence conjugale étaient 13 fois plus susceptibles que les autres de recourir à une banque alimentaire trois ans après avoir mis fin à la relation, peu importe leur revenu à l'époque où elles étaient victimes de violence. Cela nous indique donc que la violence a d'énormes répercussions sur le bien-être économique des femmes. La chose va dans les deux sens: tout ce que nous pourrons faire pour accroître la sécurité économique des femmes aura des répercussions sur leur sécurité personnelle, et, à l'inverse, plus nous investirons dans la sécurité personnelle des femmes, plus leur bien-être économique s'accroîtra.
Merci.
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Qu'est-ce que notre réseau d'entreprises accomplit? Il y a trois choses.
Premièrement, la pression des pairs est un facteur très important. En deux ans seulement, j'ai constaté que les mesures prises par la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario ont eu une incidence sur la façon d'aborder les choses au sein des conseils d'administration. Je pense que la pression internationale nous a poussés à changer, mais que ce sont des dirigeants en particulier qui ont commencé à amener les gens à voir les choses différemment. Je crois donc que, au sein d'un réseau d'entreprises et de dirigeants, le fait de voir que des liens se créent entre les uns et les autres a une incidence.
Nous le constatons dans le secteur minier. Les chiffres sont terribles dans le secteur minier pour ce qui est des conseils d'administration et des comités de direction. Il y a cinq ans, on ne parlait même pas de cela. Il y a deux mondes au Canada: l'un où on ne parle pas de la mise en valeur du talent, du fait que les hommes et les femmes exploitent pleinement leurs talents, et l'autre où on en parle. C'est en train de changer, mais c'est grâce au fait que des gens commencent à dire qu'ils ne veulent pas représenter un conseil d'administration où il n'y a aucune femme et demandent aux gens qui les entourent de les aider à trouver des femmes qualifiées. Grâce à ces gens, les ingénieurs et les géologues commencent à en parler. Il n'est pas nécessaire d'être dans une mine en Angola pour siéger à un conseil d'administration, mais il faut quand même avoir l'expérience requise.
La pression des pairs est un facteur extrêmement important. Les pratiques exemplaires aussi. La raison pour laquelle je donne un exemple de Tom Falk, c'est que l'effet est réel. L'année d'avant, Muhtar Kent a été l'un des récipiendaires de notre prix mondial. Lorsqu'on écoute cet homme — qui est PDG de Coca-Cola et qui emploie 700 000 personnes à l'échelle mondiale — parler des raisons pourquoi il mise tout sur les femmes et sur le perfectionnement de leurs compétences, l'effet est très puissant et exerce une grande influence. C'est ce qui est à l'origine du changement de culture.
Je pense que le troisième élément, au-delà des pratiques exemplaires, tient vraiment aux stratégies. Il n' y a pas de remède universel. C'est vrai de la plupart des choses dans le monde. Mais il y a des choses fondamentales dont on constate la très grande efficacité. Lorsque nous voyons des entreprises se donner des buts, élaborer leurs stratégies, et parfois lier l'atteinte de ces objectifs en matière de diversité et d'inclusion à la rémunération, forcer un peu les choses, lorsqu'on parle de ces choses au sein du réseau, le changement que cela engendre est beaucoup plus vaste que lorsque telle ou telle entreprise se penche sur la question de façon isolée. Les discussions qui ont lieu dans les divers secteurs — la TI, les mines, le pétrole et le gaz — le fait de savoir que la première impression des membres du secteur est qu'ils ne tirent pas pleinement parti du talent, c'est aussi bénéfique.
Les mines ne se comparent pas nécessairement aux banques, mais elles trouvent des secteurs avec lesquels elles ont des défis et des possibilités en commun. Je pense donc qu'il s'agit d'avoir un réseau de dirigeants et d'entreprises qui parle beaucoup de ces choses. C'est le fait que beaucoup d'intervenants collaborent qui compte vraiment et qui est un facteur très puissant.