JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent de la justice et des droits de la personne
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le jeudi 18 avril 2002
¿ | 0935 |
Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)) |
Dr Emmanuel Aquino (East Coast Forensic Psychiatric Hospital, Nova Scotia) |
¿ | 0940 |
¿ | 0945 |
Le président |
¿ | 0950 |
M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.) |
Dr Emmanuel Aquino |
Le président |
Le président |
M. Stanley Semrau (témoignage à titre personnel) |
À | 1030 |
À | 1035 |
À | 1040 |
À | 1045 |
À | 1050 |
Le vice-président (M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne)) |
M. Robert Lanctôt (Châteauguay, BQ) |
M. Stanley Semrau |
M. Robert Lanctôt |
À | 1055 |
M. Stanley Semrau |
Le président |
M. Cadman |
M. Stanley Semrau |
Á | 1100 |
M. Chuck Cadman |
Dr Emmanuel Aquino |
Le président |
M. Peter MacKay (Pictou--Antigonish--Guysborough, PC) |
Á | 1105 |
M. Stanley Semrau |
M. Peter MacKay |
M. Stanley Semrau |
M. Peter MacKay |
Á | 1110 |
Dr Emmanuel Aquino |
Le président |
M. John McKay (Scarborough Est, Lib.) |
Le président |
M. John McKay |
Á | 1115 |
M. Stanley Semrau |
M. John McKay |
M. Stanley Semrau |
M. John McKay |
M. Stanley Semrau |
M. John McKay |
M. Stanley Semrau |
Á | 1120 |
Le président |
Le président |
Á | 1150 |
Mme Jennifer Chambers (Empowerment Facilitator, Empowerment Council) |
Á | 1155 |
Le président |
Mme Tamra Thomson (directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien) |
 | 1200 |
Mme Heather Perkins-McVey (présidente, Section nationale de droit pénal, Association du Barreau canadien) |
 | 1205 |
 | 1210 |
Le président |
Le président |
M. Chuck Cadman |
Mme Heather Perkins-McVey |
M. Chuck Cadman |
Mme Jennifer Chambers |
M. Chuck Cadman |
Mme Jennifer Chambers |
 | 1240 |
M. Chuck Cadman |
Mme Jennifer Chambers |
Mme Heather Perkins-McVey |
Le président |
M. Robert Lanctôt |
M. Stanley Semrau |
 | 1245 |
Le président |
M. Robert Lanctôt |
M. Stanley Semrau |
Mme Heather Perkins-McVey |
 | 1250 |
Le président |
M. Peter MacKay |
Le président |
Mme Heather Perkins-McVey |
M. Peter MacKay |
 | 1255 |
Mme Heather Perkins-McVey |
Le président |
M. Stanley Semrau |
Le président |
Mme Jennifer Chambers |
Le président |
Mme Heather Perkins-McVey |
· | 1300 |
Le président |
Dr Emmanuel Aquino |
Le président |
M. Robert Lanctôt |
Le président |
CANADA
Comité permanent de la justice et des droits de la personne |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le jeudi 18 avril 2002
[Enregistrement électronique]
¿ (0935)
[Traduction]
Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): La séance est ouverte. Il s'agit de la 78e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Conformément à l'ordre de renvoi de la Chambre du 26 février 2002, le comité reprend un examen prévu dans la loi des dispositions du Code criminel sur les troubles mentaux.
Nous accueillons aujourd'hui du East Coast Forensic Psychiatric Hospital de Nouvelle-Écosse, le docteur Emmanuel Aquino. Nous accueillons également le docteur Stanley Semrau qui comparaîtra à titre personnel.
À 10 h, le premier ministre doit faire une déclaration à la Chambre au sujet des événements survenus hier en Afghanistan. Nous suspendrons la séance à 9 h 55 pour nous rendre à la Chambre. Je m'attends à ce que tous les chefs de parti fassent une déclaration. Nous reprendrons ensuite la séance et nous tâcherons de diviser entre vous et les témoins suivants le temps qui était prévu pour vos deux comparutions. Ce genre de situation est inévitable.
Sans plus tarder, je cède la parole au docteur Emmanuel Aquino.
Dr Emmanuel Aquino (East Coast Forensic Psychiatric Hospital, Nova Scotia): J'aimerais commencer par remercier le comité de m'avoir invité à comparaître devant lui pour lui exposer mes vues sur les dispositions du Code criminel portant sur les troubles mentaux qui sont actuellement à l'étude.
Comme j'ai reçu votre invitation la semaine dernière seulement, j'ai dû préparer une déclaration à la hâte.
J'aimerais d'abord vous parler brièvement de mes antécédents. C'est la première fois que je participe à ce genre de processus. C'est un honneur et un privilège pour moi que vous m'ayez demandé de comparaître à titre de témoin spécialiste. Prendre la parole devant un groupe comme celui-ci constitue un défi de taille. L'occasion m'a été donnée de par mon travail de suivre l'évolution de la psychiatrie légale et des divers changements dans le traitement des accusés atteints de troubles mentaux. Ce traitement, qui comportait au départ leur détention automatique pour une durée indéterminée, s'est beaucoup assoupli.
J'exerce la psychiatrie légale en Nouvelle-Écosse depuis 1975. À cette époque, un seul psychiatre, le docteur Syed Naveed Akhtar, travaillait dans ce domaine. Je me suis joint à lui en 1986. Le docteur Akhtar est maintenant à la retraite et depuis trois ou quatre ans, notre profession compte cinq membres en Nouvelle-Écosse.
Avant que je ne vous présente mes vues sur les nouvelles dispositions portant sur les troubles mentaux, j'aimerais vous donner un aperçu de l'incidence sur les accusés atteints de troubles mentaux des nouvelles dispositions proclamées en 1992. La province comptait autrefois 16 lits réservés pour les personnes ayant besoin de soins psychiatriques légaux, mais ce nombre de lits ne suffisait pas. À certains moments, nous comptions jusqu'à 26 ou 27 patients.
Avant l'adoption du projet de loi C-30, la province comptait neuf personnes reconnues non coupables pour cause d'aliénation. Depuis lors, le nombre d'accusés faisant l'objet d'un verdict de non-responsabilité criminelle augmente continuellement. J'ai ici un document que vous pourrez examiner lorsqu'il aura été traduit et qui montre que le nombre de personnes reconnues non responsables au criminel a augmenté au cours des dernières années.
Par ailleurs, vous constaterez également que le nombre de libérations inconditionnelles a aussi augmenté. Notre hôpital ne compte qu'un très petit nombre de patients qui sont jugés inaptes à subir leur procès. Il y en a actuellement seulement trois et ils souffrent tous de schizophrénie. L'un de ces accusés, qui souffrait d'un trouble de développement profond, continue d'être inapte à subir son procès, mais il vit actuellement dans la collectivité.
Depuis l'adoption des nouvelles dispositions du Code criminel portant sur les troubles mentaux, nous avons dû agrandir les trois unités de soins réservées aux accusés souffrant de troubles mentaux à l'hôpital de la Nouvelle-Écosse. Depuis septembre 2001, l'hôpital a un centre autonome appelé East Coast Forensic Psychiatric Hospital qui compte 12 lits pour les accusés souffrant de troubles mentaux. Ces lits sont réservés aux détenus qui deviennent malades pendant leur incarcération et qui ont besoin de soins aigus à l'hôpital. Le centre compte 12 lits pour les évaluations ordonnées par un tribunal et deux unités de réadaptation comportant 30 lits chacune. Dans les unités de réadaptation, nous nous inspirons du modèle de rétablissement des rôles pour aider les patients à atteindre leur objectif, qui est de se réintégrer à la société.
Ce modèle se fonde sur les principes de la réadaptation psychosociale. L'objectif visé est de favoriser la participation du patient à son traitement, sa motivation et sa responsabilisation. Malgré les restrictions imposées en vertu du Code criminel, les patients sont encouragés à formuler des choix éclairés en tenant compte de leurs facteurs de risque. Une équipe de travailleurs sociaux, de psychologues, d'ergothérapeutes, de ludothérapeutes et de représentants du service de la pastorale travaille dans les unités de réadaptation. Cette équipe compte évidemment aussi des infirmières et des médecins.
¿ (0940)
Pour les patients que nous jugeons capables de vivre seuls, nous avons l'unité de transition où ils peuvent acquérir les compétences dont ils ont besoin pour vivre en autonomie. Il y actuellement 46 patients vivant dans la société qui ont été libérés à titre conditionnel. Ces personnes sont suivies par les centres de santé mentale dont elles relèvent. Cependant, chaque patient est également assigné à un coordonnateur juridico-communautaire. Le coordonnateur juridico-communautaire a pour mandat de faciliter la gestion du risque et de répondre aux besoins des patients vivant en société en matière de réinsertion. Les coordonnateurs peuvent consulter un psychiatre-légiste.
Au cours des dix dernières années, seulement deux patients ont récidivé et ont été renvoyés en détention en vertu de l'article 16 du Code criminel. Même si les nouvelles dispositions sont de plus en plus critiquées, je dois dire que les personnes visées en Nouvelle-Écosse ont profité de la modification au Code criminel. Ce ne fut pas tâche facile, mais nous avons réussi grâce à la direction compétente de notre administratrice, Mme Louise Bradley.
Pour ce qui est des questions dont nous allons débattre au cours de cette séance-ci, j'aimerais d'abord parler de «l'aptitude à subir le procès». Le Code criminel définit aujourd'hui cette notion. Nous disposons désormais de critères qui peuvent nous guider. Nous n'en n'avions pas auparavant. Néanmoins, nous nous basons toujours sur un seuil d'aptitude bas afin de ne pas priver l'accusé de la possibilité d'être traduit en justice le plus rapidement possible.
Au sujet de l'article 16, je dirai que cette disposition représente un progrès dans la mesure où il appartient désormais à la cour de déterminer d'entrée de jeu si l'accusé a commis ou non l'acte qu'on lui reproche, ou a fait l'aveu qui constitue la base de l'accusation, avant de rendre un verdict de non responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Je rappelle que les «troubles mentaux» sont définis à l'article 2 du Code criminel comme étant «toute maladie mentale», et nous avons conservé la notion juridique de «maladie mentale».
Je suis d'avis que la notion de «maladie mentale» s'élargit. À la lecture de cet article du Code criminel, il m'apparaît que la jurisprudence citée dans cet article nous éloigne du sens légal véritable qu'on donne à «maladie mentale»—et mon opinion se base sur un point de vue clinique.
Par exemple, dans R. c. MacLeod, arrêt de 1980, on affirmait que l'anxiété peut constituer une maladie mentale et qu'un état de dissociation mentale causée par une démence ouvrait droit à une défense fondée sur l'automatisme avec aliénation mentale.
Dans R. c. Mailloux, arrêté de 1985, on affirme qu'une psychose toxique résultant de consommation massive de cocaïne constitue une maladie mentale, et que le délire résultant d'une auto-intoxication à la drogue amenant le sujet à perdre la maîtrise de lui-même ou à ne plus résister à ses impulsions, ne constitue pas une défense.
Dans R. c. Courville, arrêté de 1982, la preuve indiquait que l'accusé avait agi volontairement, en sachant ce qu'il faisait et en sachant qu'il agissait mal.
Dans R. c. Hilton, arrêté de 1977, la cour a statué que même si une maladie mentale résulte d'une auto-intoxication, l'accusé peut être jugé non criminellement responsable s'il était atteint d'une maladie mentale au sens du paragraphe 16(2), quelle que soit l'origine ou la cause d'une telle maladie mentale.
Dans R. c. Charest, arrêté de 1990, la cour a statué qu'une impulsion irrésistible pouvait être le symptôme ou la manifestation d'une maladie mentale.
Parlons maintenant de la défense d'automatisme, avec ou sans aliénation mentale. La cause la plus citée au Canada est celle deR. c. Parks. Les circonstances étaient curieuses. L'accusé se serait levé au milieu de la nuit, se serait vêtu, aurait pris son véhicule et conduit les 23 kilomètres le menant au domicile de ses parents; il serait entré dans leur logement, aurait trouvé un couteau de cuisine et s'en serait servi pour tuer sa belle-mère et presque tuer son beau-père. De là, il se serait rendu en voiture jusqu'au poste de police et se serait rendu à la justice. Il aurait victime d'un stress considérable à ce moment, mais on le disait en bons termes avec ses beaux-parents. Il a invoqué la défense de somnambulisme, qui est un automatisme sans aliénation mentale. Il a été acquitté par le jury de l'accusation de meurtre et par le juge de l'accusation de tentative de meurtre.
On admet que personne ne semble savoir ce que veut vraiment dire «automatisme». Lorsque Rogers et ses collègues ont sondé les experts judiciaires, moins du tiers des experts en santé mentale avaient une compréhension commune des éléments nécessaires à la constitution d'un automatisme.
¿ (0945)
Le professeur Ralph Slovenko, avocat bien connu pour ses connaissances juridiques en matière de troubles mentaux, affirme qu'en règle générale, la défense d'automatisme est accueillie avec scepticisme. Le comportement involontaire, qu'on appelle souvent automatisme, n'est pas considéré comme un acte en droit. Ainsi la contraction des muscles d'une personne qui réagit strictement à une force extérieure, ou les mouvements convulsifs d'un épileptique, ne constituent pas un acte, pas plus que les mouvements du corps pendant le sommeil. Autrement dit, le fait d'appeler «acte» ou «action» un mouvement corporel involontaire est seulement idiomatique. Comme Shakespeare qui décrit le somnambulisme de la Reine dans Macbett, elle qui semble se laver les mains, il s'agit d'une action habituelle, mais la loi ne considère pas que ce type de comportement est un acte au sens du droit criminel ou du droit de la responsabilité délictuelle.
La défense d'automatisme est invoquée plus fréquemment en Angleterre, en Australie, et au Canada qu'aux États-Unis. Les docteurs Tollefson et Starkman ont fait état des difficultés que pose l'automatisme dans le contexte du droit criminel, tant pour le milieu psychiatrique que juridique. Les opinions médicales au sujet de l'automatisme sont sujettes à de grandes variations faute d'expertise et de codification fondée.
J'aimerais pour ma part dire que je suis en accord complet avec le mémoire que l'Association des psychiatres du Canada a présenté au Comité permanent de la justice et du solliciteur général de la Chambre des communes en novembre 1992, où il était dit que la notion d'automatisme n'avait pas sa place en droit et qu'elle devait être effacée. En effet, la nature du témoignage psychiatrique qui intervient dans un procès où la défense d'automatisme est alléguée dépend de l'école de pensée psychiatrique à laquelle le témoin expert appartient.
Parlons maintenant du plafonnement de la période de détention des accusés souffrant de troubles mentaux dangereux. Depuis l'arrêt Winko, je suis d'avis que ce processus de détermination n'est plus nécessaire. L'imposition d'une durée maximale aura pour effet d'exposer les accusés atteints de troubles mentaux aux portes tournantes de la justice. Au vu de cette jurisprudence, la commission ou la cour ne peuvent plus se prononcer sur une présomption de dangerosité. L'accusé non criminellement responsable n'est pas tenu de démontrer qu'il présente un risque important pour la sécurité du public.
Il faut savoir aussi que le risque important pour la sécurité du public est déjà défini, et cela signifie un risque réel de tort physique ou psychologique à un citoyen résultant d'une conduite de nature criminelle. Le dommage doit dépasser ce qui est strictement anodin ou agaçant.
J'aimerais également dire quelques mots sur les ordonnances d'hospitalisation. Ce que l'on propose n'aura aucune valeur en Nouvelle-Écosse. Nos patients internés dans un hôpital psychiatrique conserveront le droit de refuser tout traitement, contrairement à ce qui se fait dans certaines provinces comme la Colombie-Britannique, je crois, où une fois que la patient est interné dans un hôpital psychiatrique, il perd le droit de refuser tout traitement. Cependant, comme je l'ai dit plus tôt, nous avons des lits à l'hôpital judiciaire qui sont réservés aux détenus ayant besoin de soins hospitaliers. Cette unité fonctionne toujours en vertu de la Loi sur les hôpitaux de Nouvelle-Écosse.
Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Il nous reste moins que cinq minutes. Il serait injuste de demander à M. Semrau de faire son exposé en deux parties. Si vous avez des questions techniques à poser au Dr Aquino, vous pouvez le faire, et nous romprons avec la tradition étant donné que nous manquons de temps.
Monsieur Macklin.
¿ (0950)
M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.): Je veux seulement une clarification à propos d'une chose que vous avez dite. Vous avez dit que dans votre province, le seuil déterminant l'aptitude à subir le procès est bas. Pouvez-vous nous donner plus d'explications à ce sujet?
Dr Emmanuel Aquino: C'est mon opinion personnelle, et c'est à condition que l'accusé soit en mesure de comprendre les accusations qui pèsent contre lui, de telle sorte qu'il pourra être représenté par un avocat. On se sert largement des critères de Taylor. Même si l'accusé peut être psychotique et avoir une attitude perturbatrice, il connaît les fonctions des divers agents de la cour, ce qu'il font, et quelles accusations pèsent contre lui.
Le président: Nous allons suspendre la séance dans un instant. Le premier ministre fera une déclaration à 10 heures, et j'imagine que les autres chefs de partis aussi, je crois donc que nous ne nous absenterons pas très longtemps. Nous reviendrons simplement ici dès que ce sera terminé, et nous reprendrons nos travaux.
On me rappelle que nous comptions discuter de la motion de Peter MacKay à la fin de la séance d'aujourd'hui, mais il nous a demandé de reporter cela à mardi. Cela nous donne une demi-heure de plus pour entendre nos prochains témoins, je crois donc que vous pourrez reprendre votre temps.
Nous serons de retour dans un instant.
La séance est suspendue.
¿ (0952)
À (1029)
Le président: Nous reprenons la 78e séance du Comité permantent de la justice et des droits de la personne et continuons l'examen prévu dans la loi des dispositions du Code criminel sur les troubles mentaux. J'invite le docteur Stanley Semrau à nous faire son exposé.
M. Stanley Semrau (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup. C'est un grand privilège pour moi que de pouvoir vous parler de ces questions. Ayant oeuvré dans ce domaine pendant de nombreuses années et ayant acquis une connaissance intime de nombreux aspects de la loi, non sans éprouver certaines irritations, il est merveilleux de pouvoir parler aux personnes mêmes qui sont en mesure d'apporter des modifications à la loi. Je n'aurai pas assez de temps pour entrer dans les détails comme je le voudrais, mais vous avez reçu le texte de mon mémoire, je me contenterai donc d'en citer certains passages au cours de mon témoignage.
Je vais vous dire un peu qui je suis: je suis psychiatre légiste. J'ai 18 ans d'expérience en matière criminelle, expérience que j'ai acquise surtout en Colombie-Britannique mais ailleurs au Canada aussi. J'ai témoigné plusieurs centaines de fois devant les tribunaux, surtout dans des cas où il s'agissait d'établir l'état de santé mentale de l'accusé au moment où le crime avait été commis et aussi dans des cas où il fallait déterminer la peine. J'ai exercé en pratique privée de même que pour le compte de la Forensic Psychiatric Services Commission de la Colombie-Britannique, qui est souvent chargée d'évaluer l'état de santé mentale des personnes qui sont en conflit avec la loi.
Bon nombre des principes de la loi qui ont trait aux délinquants atteints de troubles mentaux sont très bien fondés, mais la structure générale des rapports qui existent entre la psychiatrie et le droit pose de grands problèmes. On essaie souvent de concilier l'inconciliable car il n'y a pas toujours de pont entre la psychiatrie et le droit, et l'on tente trop souvent d'invoquer des notions psychiatriques qui sont aujourd'hui désuètes, l'un des exemples les plus connus étant la défense d'automatisme que le Dr Aquino vient de mentionner.
Cela. dit, je crois que les problèmes qui se posent ne peuvent pas seulement être compris dans le prisme des dispositions relatives aux troubles mentaux. Il y a aussi des conséquences au niveau de nos structures relatives à la détermination de la peine et au verdict, particulièrement dans le cas des homicides, ce qui veut dire que le fait d'apporter des changements constructifs aux dispositions relatives aux troubles mentaux aura des conséquences encore plus profondes. Si nous devons continuer d'utiliser les aspects utiles que présentent les notions de trouble mental, elles doivent être incorporées d'une manière quelque peu différente, ce qui se pose des conséquences au niveau des verdicts et de la détermination de la peine.
Je crois que le système, tel qu'il est fait, prolonge indûment certains procès qui produisent des résultats qui, souvent, ne présentent qu'un rapport ténu avec les faits en cause et l'état mental de l'accusé. Ces résultats conduisent souvent au mépris de la loi, et ne sont pas justes ou constructifs dans de nombreux cas. On a conclu qu'un changement global est nécessaire, tâche qui malheureusement dépasse l'actuel mandat du comité. Le fait est que si vous apportez de petits changements dans les domaines circonscrits, vous risquez de causer des problèmes encore pires. Je crois qu'il faut apporter des changements correspondants dans d'autres domaines si l'on veut obtenir un résultat globalement utile.
J'interviens en partant du point de vue qu'il est très important, non seulement d'examiner les principes, mais aussi de voir quel rapport il y a entre ces principes et les cas concrets. Malheureusement, dans une intervention aussi brève, je ne peux vraiment que m'en tenir au niveau des principes. Bon nombre des principes existants ont l'air d'être bien inspirés et fonctionnent bien en théorie, mais d'après mon expérience des cas concrets, je sais qu'ils ne sont souvent d'aucune utilité lorsqu'on entre dans le détail de chaque cas.
J'ai déjà remis à certains membres du comité un livre que j'ai publié récemment, Murderous Minds on Trial. J'y analyse 20 cas différents qui montrent comment, dans la vraie vie, certaines dispositions relatives aux troubles mentaux ne donnent pas les effets voulus. Chose certaine, donc, je suis de ceux qui croient qu'il faut se pencher non seulement sur les principes mais sur les détails des cas concrets.
Je passe maintenant à la page 4 de mon mémoire où je fais quelques commentaires généraux sur les défenses fondées sur l'état mental. J'inclus sous ce terme parapluie la non-responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux, la consommation de substances intoxiquantes, la provocation et l'automatisme sans aliénation mentale.
À (1030)
Si l'on veut obtenir un verdict juste, il faut disposer d'informations raisonnablement exactes concernant l'état de santé mentale de l'accusé. Malheureusement, ces informations sont souvent manquantes parce que l'accusé ne se souvient pas bien lui-même de ce qui s'est passé. Le souvenir qu'il a des événements est souvent déformé pour diverses raisons qui ont à voir avec le processus mnémonique et la répression psychologique. Parfois, l'accusé veut tromper intentionnellement la justice, et les évaluations psychologiques sont souvent retardées de plusieurs semaines ou mois, ou alors on n'y a pas accès du tout dans le cas des psychiatres ou psychologues retenus par la poursuite.
La vérité à cet égard est que souvent les experts, dont moi-même, n'ont guère que des conjectures théoriques ou raisonnées à formuler concernant l'état de santé mentale de l'accusé au moment où le crime a été commis. Nous sommes néanmoins tenus de faire de notre mieux devant les tribunaux. Mais étant donné que les informations sont extrêmement incertaines, il n'est pas étonnant que nous aboutissions souvent à des désaccords sur ces questions devant les tribunaux. Étant donné que nous ne disposons que d'informations incertaines et subjectives, ces désaccords ne surprennent personne. Mais c'est sur la foi de ces informations incertaines et de ces opinions quelque peu conjecturelles que les tribunaux doivent produire des verdicts qui se soldent par un oui ou un non, et l'on détermine que l'accusé était ou n'était pas criminellement responsable, qu'il était ou n'était pas sujet à un automatisme sans aliénation mentale.
Donc le fait de s'appuyer sur des informations incertaines, qui ne sont pas très fiables, pour rendre une décision discrétionnaire qui se solde par un oui ou par un non, est tout simplement absurde à mon avis, et l'on finit par chercher un oui ou un non en réponse à une question où l'incertitude domine. Dans le cas de la défense de non-responsabilité criminelle, il y a la prépondérance des probabilités fondée sur une certaine preuve. En conséquence, on se retrouve avec de nombreux cas où les accusés tombent d'un côté ou de l'autre quelque peu arbitrairement, et où l'on ne tient pas compte de la complexité des informations qui interviennent.
Dans le cas de l'état de santé mentale, question complexe, un verdict débouchant sur un oui ou un non est tout simplement absurde. Il n'est pas absurde de vouloir savoir qui a tué la personne et tout le reste; ou bien c'est vous, ou ce n'est pas vous. Mais quand il s'agit d'état de santé mentale, on ne décide pas aisément entre un oui ou un non.
La difficulté tient au fait que les délinquants, dans certains cas, ont un profil qui correspond essentiellement aux caractéristiques d'une certaine défense et invoquent cette défense en dépit des nombreux aspects blâmables de leur conduite, dont on ne tient alors aucun compte, ou alors il suffit d'un rien pour qu'ils ne puissent invoquer la défense des troubles mentaux. Il y a donc beaucoup d'arbitraire dans les verdicts.
À la page 6 de mon texte, où je fais état de la non-responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux, je dis qu'en principe, c'est la défense la plus solide de toutes les défenses se fondant sur l'état mental dans la mesure où l'on se base dans la plupart des cas sur des notions psychiatriques bien établies comme la schizophrénie, les délires, les hallucinations et autres. Cette défense s'accompagne cependant de certains problèmes. Entre autres, on se concentre particulièrement sur les facteurs dits cognitifs de l'état de santé mentale de la personne, à savoir, la capacité d'apprécier la nature et la qualité de l'acte, de savoir si l'on agissait mal.
Il y a deux jours, j'ai témoigné contre la poursuite dans une affaire où une dame atteinte de troubles mentaux très profonds, qui avait subi de graves légions au cerveau à l'âge de deux ans, était accusée d'une série d'incendies criminels. Il ne fait aucun doute que ces troubles mentaux graves étaient à l'origine de ce comportement incendiaire, mais étant donné que son profil ne correspondait pas exactement au critère de défense d'aliénation mentale, elle a été tout simplement reconnue coupable, jugement totalement incorrect, alors qu'en prenant en compte le rôle joué par les troubles mentaux dans la commission de l'infraction la justice aurait pu prendre des mesures plus souples adaptées à son état de santé mentale. Mais la défense, telle qu'elle est permise maintenant, où l'on tranche par un oui ou non, ne permet pas cela.
On omet également d'autres facteurs qui interviennent, dont souvent l'intoxication, qui peut accompagner les troubles mentaux, l'inobservation du traitement et autres facteurs du genre, qui contribuent à la commission de l'infraction. Mais l'on s'en tient strictement à l'infraction elle-même. On ne tient pas compte des facteurs qui ont conduit à la commission de l'infraction; on ne tient pas compte non plus des autres facteurs de causalité. On demande simplement, étroitement, quel rôle ont joué les troubles mentaux à l'instant particulier où l'infraction a été commise?
À (1035)
Par conséquent, si l'on déclare que la personne souffrait de troubles mentaux, on ne tient pas compte des autres facteurs, comme de certains aspects de son comportement ou de sa personnalité, notamment. Le verdict est donc coupable ou non coupable.
À mon avis, dans les cas de défense fondée sur la non-responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux, les principes sont utiles mais sont appliqués de façon trop étroite et trop stricte. Ils devraient être incorporés à un nouveau schéma et pris en compte au moment de la détermination de la sentence, c'est-à-dire au moment où il est possible d'utiliser de façon beaucoup plus imaginative des renseignements beaucoup plus nombreux et plus complexes disponibles au sujet de l'accusé.
Passons maintenant à la défense fondée sur le niveau de consommation de substances intoxicantes, page 7. Cette défense repose notamment sur une notion psychiatrique désuète selon laquelle l'alcool peut empêcher l'accusé de prévoir de façon intentionnelle. Même si cette notion est aujourd'hui en grande partie rejetée en psychiatrie et en psychologie, elle persiste néanmoins toujours sous plusieurs formes dans le droit pénal.
Il existe un article, qui est en voie d'être traduit et dont je n'ai malheureusement que des exemplaires en anglais, qui traite des accusés en état d'intoxication et qui réfute les mythes juridiques et médicaux. Cet article explique la situation en détail. Encore une fois, la difficulté vient de ce que c'est le principe du tout ou rien. Si nous étions convaincus que l'accusé n'a pu prévoir de façon intentionnelle son geste, il ne serait alors coupable que d'homicide involontaire. Mais nous manquons à bien des égards de preuves scientifiques pouvant le démontrer.
Il est néanmoins vrai que l'alcool et les autres substances intoxicantes jouent un rôle important lorsque des crimes sont commis. Il s'agit donc d'informations pertinentes mais qui aboutissent à fausser le verdict. Au lieu de cela, il faudrait en tenir compte au moment de la détermination de la peine, particulièrement dans le cas des homicides, et en faire soit une circonstance atténuante, soit une circonstance aggravante, selon le cas.
En ce qui concerne les défenses fondées sur l'automatisme sans aliénation mentale, page 8, je souscris sans réserve à ce qu'a dit Dr Aquino. Cette défense est proprement insoutenable en psychiatrie. Je pense que l'on vous a distribué des exemplaires de l'exposé de 1992 de l'Association des psychiatres du Canada au comité. Les commentaires d'alors sont tout autant valables aujourd'hui, sinon plus.
Non seulement cette défense ne repose-t-elle pas sur des données scientifiques, mais elle porte également à confusion et est à ce point si embrouillée du point de vue intellectuel que j'ai entendu des commentaires très candides là-dessus, même de la part de juges qui, en l'absence du jury, avouaient ne pas comprendre la différence. Même si la notion était valable, les jurys ont à ce point du mal à la comprendre qu'ils ne se prononcent pas nécessairement de façon juste.
Malgré tout, les tentatives de défense fondée sur l'automatisme sont très populaires, car elles proposent l'acquittement total. J'ai vu, dans plusieurs cas, des avocats de la défense qui reconnaissaient hors de la salle d'audience qu'ils invoquaient cette défense parce qu'elle était leur seul espoir, étant donné qu'ils n'avaient aucune autre défense à invoquer—et nous y viendrons plus tard—, car ils ne pouvaient pas autrement marchander le plaidoyer de leur client, particulièrement lorsqu'il s'agissait d'homicides.
On pourrait à la rigueur maintenir cette défense dans les cas où les preuves existent que l'accusé souffrait d'un déréglement profond du fonctionnement du cerveau comme dans un cas de crise, par exemple, où il est certain médicalement que le cerveau ne fonctionnait pas. À l'exception de ces cas très rares, cette défense devrait être totalement abolie.
Page 9, j'explique la défense fondée sur la provocation. Je sais que votre comité en a débattu il y a de cela quelques années, mais j'aimerais simplement expliquer qu'il s'agit là aussi d'une notion ténue d'un point de vue psychiatrique et physiologique. Au fond, nous n'avons aucune façon de déterminer si quelqu'un a perdu la maîtrise de soi ou si quelqu'un a été incapable de se maîtriser. Il est donc difficile d'évaluer la situation, et de plus, cette défense est extrêmement difficile à prouver. Comment peut-on s'attendre à ce que quelqu'un vous dise de façon fiable qu'il a perdu la maîtrise de soi ou qu'il ne pouvait ou ne voulait pas se maîtriser?
Page 10, j'aborde le verdict et la structure de la détermination de la peine, parce qu'ils sont liés de très près aux problèmes de troubles mentaux, particulièrement dans le cas d'homicides. Étant donné que les verdicts fondés sur la défense de troubles mentaux donnent lieu à un verdict «tout ou rien», ces verdicts ne tiennent pas compte de la complexité ni de la richesse des facteurs entrant en jeu lors du crime et obligent à un oui ou à un non.
Ce ne serait pas trop grave si, dans les cas d'homicides, la détermination de la peine laissait une plus grande marge de manoeuvre. Mais la loi oblige à condamner à une peine minimale de 10 ans celui qui est coupable d'un meurtre au deuxième degré et à la peine minimale de 25 ans celui qui est coupable d'un meurtre au premier degré. On perd donc la possibilité de réintroduire certains des facteurs psychiatriques plus subtils au moment de la détermination de la peine. Quand il ne s'agit pas d'homicides, la marge de manoeuvre est beaucoup plus grande, puisqu'il n'y a pas un cadre aussi rigide de peines minimales. Mais dans le cas des homicides tout particulièrement, la défense «tout ou rien» classique des psychiatres entraîne le même genre de peine et enlève toute marge de manoeuvre aux juges.
À (1040)
J'ai vu des cas où des accusés souffrant de troubles mentaux graves, c'est-à-dire qui étaient très malades mais qui n'avaient pas pu invoquer, de justesse, l'aliénation mentale—pouvaient être condamnés pour meurtre au premier degré à la peine minimale de 25 ans avant d'être admissibles à la liberté conditionnelle, tout comme pourrait l'être Clifford Olson! Ces verdicts sont simplistes, et la rigidité des sentences illustre magnifiquement l'iniquité des dispositions.
Page 11, j'ai résumé les problèmes interreliés des défenses invoquant les troubles mentaux, qui parfois sont mal conçues et ne se fondent aucunement sur des données scientifiques, et qui, même si elles sont valides, sont parfois simplistes et brutales dans les conséquences qu'elles entraînent à cause des décisions fondées sur le «tout ou rien». On ne tient pas compte de toute la richesse d'information disponible et c'est pourquoi les procès sont souvent complexes et controversés. Les résultats sont souvent injustes dans les deux sens: non seulement la sentence est-elle—et je simplifie—trop dure ou trop douce; mais elle est aussi inflexible, qu'il s'agisse de la décision sur la santé mentale ou du jugement pénal.
La difficulté vient de ce que ces problèmes sont liés et qu'il est impossible d'en régler un sans que cela n'influe sur les autres. Ainsi, j'ai affirmé que la défense fondée sur l'automatisme devait être abolie mais si on l'abolissait purement et simplement, certains facteurs de troubles mentaux seraient alors complètement négligés au moment du jugement.
Non seulement faudrait-il modifier les dispositions sur les troubles mentaux, mais également la structure des verdicts et de la détermination de la peine. Ce que je vous propose, c'est un changement de fond en comble, ce qui vous semblera peut-être effarant du point de vue conceptuel. Mais, à mon avis, si vous ne tentez de régler qu'un des problèmes, vous empirerez la situation: lorsque vous rénovez une maison, il vaut mieux la stabiliser dans son ensemble plutôt que de la rafistoler pièce par pièce.
Je vous propose enfin, page 12, des recommandations. Les voici.
Au moment du procès, il faudrait éliminer toutes les défenses fondées sur l'état mental de l'accusé. Le procès ne devrait porter que sur la question de savoir si l'accusé a commis ou non le crime qu'on lui reproche, sans égard à son état mental, à de rares exceptions près, comme la violence associée à des conditions particulières telles que les crises, quand il est très clair qu'aucun élément mental n'entrait en jeu et que des preuves médicales objectives peuvent le démontrer. Mais ces cas devraient être très limités et très rares.
On ne pourrait alors rendre qu'un seul verdict, celui de coupable d'homicide. Cela permettrait d'introduire toutes les preuves psychiatriques lors de la détermination de la peine et donnerait aux juges une bien plus grande marge de manoeuvre quant à la détermination de la peine. Les objectifs de la peine seraient maintenus: ils comprendraient la dissuasion traditionnelle, l'exemplarité de la peine, la neutralisation des délinquants—rien de cela n'est nouveau—mais le juge aurait une plus grande flexibilité, particulièrement dans les cas d'homicides, mais aussi pour d'autres crimes, car il pourrait adapter la peine à l'accusé et au crime de façon beaucoup plus souple qu'actuellement. Les individus souffrant de graves troubles mentaux seraient sans doute condamnés à la même peine qu'actuellement. On les condamnerait sans doute à la détention dans des instituts psychiatriques, comme on le fait maintenant. Toutefois, d'autres accusés, comme la femme pour qui j'ai témoigné il y a deux jours, pourraient recevoir une sentence analogue parce que le juge pourrait reconnaître que le trouble mental a entraîné un certain comportement, même si la personne en question ne correspondait pas de façon étroite à la définition d'alinéation mentale. Le juge aurait donc désormais la possibilité d'en tenir compte et il ne serait pas obligé de décider qu'elle est coupable ou non coupable. La décision que prendraient les juges pourrait être beaucoup plus complexe et permettrait de combiner, par exemple, les considérations pénales et psychiatriques, ou permettrait toute autre combinaison qui donnerait des résultats.
À (1045)
Les juges pourraient ainsi tenir compte des renseignements psychiatriques qui leur sont fournis de façon beaucoup plus novatrice, riche et souple, ce qui permettrait de prononcer des jugements qui répondraient aux besoins de toutes les parties en cause beaucoup mieux qu'actuellement.
À (1050)
Le vice-président (M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne)): Étant donné que je ne suis pas à ma place du côté de l'Alliance, je donne la parole pendant sept minutes à M. Lanctôt.
[Français]
M. Robert Lanctôt (Châteauguay, BQ): Merci.
Je viens de recevoir votre mémoire. Je ne m'attendais pas à ce qu'un mémoire vise à changer de fond en comble le système de défense au complet.
Premièrement, c'est le premier témoin qui apporte une suggestion aussi radicale, aussi changeante. Par contre, en regardant rapidement les recommandations, comment pourrait-on passer à un état de fait ou à une défense où on ne pourrait plus considérer les troubles mentaux comme une défense possible, mais seulement dans l'application de la peine? N'y aurait-il pas discrimination quant à la capacité de bien comprendre ce qui se passe lors d'un procès, quant à l'aptitude à bien comprendre ce qui se passe et non pas seulement quant à l'aptitude à subir son procès, mais aussi à savoir si on va présenter une défense ou non?
Ces personnes ayant des troubles mentaux... Je comprends que vous dites que vous auriez une plus grande autorité ou que le travail d'un psychiatre aurait un plus grand geste seulement sur la détermination de la peine, mais avant d'arriver à cela, je me demande si ce ne serait pas discriminatoire d'enlever tous ces moyens de défense très importants que sont les troubles mentaux.
[Traduction]
M. Stanley Semrau: D'abord, une précision d'ordre technique.
En ce qui concerne l'aptitude à subir un procès, je ne suggère aucun changement particulier. L'accusé resterait protégé pendant la durée du procès, pour ce qui est de son état mental, même si je souscris à ce qu'a dit docteur Aquino: l'aptitude est définie de façon un peu trop étroite et il y a effectivement des gens que nous ne considérerions peut-être pas comme étant aptes à subir leur procès ces jours-ci mais qui sont jugés aptes à le subir.
Quant aux avantages que l'on pourrait tirer de la présence de troubles mentaux, cela ne serait aucunement perdu, car même s'il ne deviendrait plus possible d'invoquer cette défense, toute l'information sur les troubles mentaux serait prise en considération au moment de la détermination de la peine.
Ainsi, celui qui invoquerait avec succès la défense classique d'aliénation mentale dans le système actuel parce qu'il souffre, par exemple de schizophrénie paranoïde et de délire, obtiendrait en gros la même sentence au moment du jugement et serait envoyé dans une institution psychiatrique pour y être soigné. Son cas serait aussi soumis aux compétences de la commission d'examen. Toutefois, un juge pourrait imposer des restrictions un peu plus sévères à l'égard de l'accusé s'il avait été démontré, par exemple, que l'accusé ne prenait pas ses médicaments volontairement et à répétition. Le juge pourrait imposer des critères un peu plus stricts pour sa libération définitive. Mais essentiellement, le jugement serait le même qu'il l'est aujourd'hui.
Toutefois, c'est dans le cas de la femme pour qui j'ai témoigné il y a deux jours que les choses pourraient changer: Au lieu d'être simplement envoyée en prison, on pourrait lui accorder le bénéfice du doute parce qu'elle a subi des dommages au cerveau lorsqu'elle avait 2 ans et que son comportement découlait de son trouble mental. Dans le jugement, on tiendrait sans doute compte de ses troubles mentaux.
Par conséquent, pour ce qui est des gens qui souffrent véritablement de maladie mentale grave, les changements proposés auraient pour conséquence principale qu'un plus grand nombre d'entre eux pourraient, lors de la détermination de la peine, bénéficier des considérations afférentes aux troubles mentaux, tandis que ceux qui en bénéficient de façon légitime à l'heure actuelle ne perdraient rien.
[Français]
M. Robert Lanctôt: Ce serait vraiment un grand changement. Vous établissez seulement l'actus reus et non pas le mens rea. Comment pourrait-on établir l'intention coupable d'une personne si elle a vraiment des troubles mentaux et lui faire un procès en disant que même si elle a des troubles mentaux, on va l'aider quant à la détermination de la peine et on va la prendre en charge. Je pense qu'on peut déjà le faire. On peut prendre le taureau par les cornes si un traitement est vraiment nécessaire. La non-responsabilité n'a rien à voir. À mon avis, ce serait vraiment discriminatoire parce que si la personne n'est pas capable de poser son geste intentionnellement, vous changez complètement le droit criminel en entier.
À (1055)
[Traduction]
M. Stanley Semrau: Je ne crois pas qu'il s'agisse de cela. Dans le cas de ceux qui font l'objet d'un verdict de non-responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux, dans la plupart des cas on peut actuellement démontrer qu'il y a eu intention. La seule différence, c'est que l'intention provient d'un esprit souffrant de maladie mentale plutôt que d'un esprit parfaitement sain.
Les seules fois où l'on puisse véritablement parler d'une absence totale d'intention—et nous revenons au principe de l'actus reus—c'est lorsque les accusés ont souffert de crise ou d'un délire profond, par exemple. Voilà les seules exceptions, en nombre limité, dont je proposerais qu'on tienne compte.
Mais dans tous les autres cas, même si on peut parler de troubles mentaux, les accusés ont tout de même quelque intention de ce qu'ils vont faire. C'est simplement que leur perception est influencée par leur maladie mentale ou par des substances intoxicantes, et l'on ne peut pas simplement séparer tous les cas en blanc et noir, c'est-à-dire en présence d'intention et absence d'intention, sauf dans de très rares cas comme des crises. Même chez les patients que j'ai examinés et qui souffrent de schizophrénie paranoïde, il existe souvent d'autres éléments qui agissent hors de leur délire et de leurs hallucinations. Ils ont souvent, par exemple, des antécédents et ont déjà ressenti de l'hostilité pure et simple à l'égard de quelqu'un. Ou bien, ils ont déjà à plus d'une reprise évité de prendre leurs médicaments ou consommé abusivement des drogues. Il peut y avoir toutes sortes de considérations de ce genre.
Par conséquent, vous voyez que ce n'est pas uniquement le trouble mental qui détermine les comportements, dans la plupart des cas.
Ce n'est que dans les très rares cas d'événements particuliers comme des crises qu'il conviendrait, à mon avis, de prononcer un acquittement complet. Dans tous les autres cas, on peut parler d'un mélange très riche d'autres facteurs qui comprennent la personnalité, les circonstances, la maladie mentale, la consommation de substances intoxicantes, tous des éléments dont il faut tenir compte de façon globale.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Cadman, à vous.
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne): Vous nous donnez beaucoup de pain sur la planche. Du simple point de vue des victimes d'actes criminels, il est rafraîchissant d'entendre un psychiatre comme vous recommander ce genre de changement.
Vous avez dit qu'on se fondait sur des éléments incertains. Pourriez-vous nous donner l'exemple, hypothétique, de quelqu'un qui commettrait un crime violent—comme un homicide—et qui affirmerait, en l'absence de témoin, qu'il a complètement disjoncté et qu'il était en état de psychose. Comment faire pour établir que ce fut bel et bien le cas? Comprenez-vous ce à quoi je veux en venir? Supposons que l'accusé affirme au tribunal qu'il a complètement disjoncté mais que personne ne puisse corroborer ce fait. L'accusé vous demande de le croire sur parole. Comment faites-vous, comme psychiatre de profession, pour décider s'il dit la vérité?
M. Stanley Semrau: C'est souvent une question d'instinct et de flair professionnel. En fait, nous avons très peu d'outils à notre disposition pour établir si quelqu'un dit la vérité ou pas au sujet de son état mental. Il faut essayer de l'établir en ayant recours à des techniques d'entrevue, en comparant ce que vous dit l'accusé et d'autres preuves objectives, mais en dernière analyse, vous n'êtes pas vraiment outillé pour décider.
Malheureusement, ceux parmi les tricheurs que j'ai le plus de facilité à démasquer sont ceux dont le quotient intellectuel est le plus faible, car je me sers de certains trucs, si j'ose dire, pour mettre en lumière leur tentative de dissimulation. Mais dès que l'accusé a une intelligence moyenne ou supérieure, il est difficile de démasquer les déclarations trompeuses qu'il peut faire au sujet de son état d'esprit. On se retrouve souvent avec des spécialistes qui disent d'un côté croire l'accusé tandis que leur vis-à-vis affirme le contraire, alors qu'on se base, de part et d'autre, sur des convictions personnelles.
Je dirais que nous arrivons à nous prononcer sur les faits assez facilement uniquement dans une fraction des cas où il y a tentative de tromperie de la part de l'accusé. Dans tous les autres cas, nous nous fondons sur des impressions très subjectives, et c'est justement la raison pour laquelle j'y vois un problème. En effet, on nous demande de juger que c'est tout blanc ou tout noir en nous fondant sur des données très incertaines. Je suis souvent obligé d'exprimer une opinion dans laquelle je dis ce qui me semble être le plus probable. Je vais dire, par exemple, qu'il y a 40 p. 100 de probabilité que la situation A se soit produite alors qu'il y a 30 p. 100 de probabilité que la situation B se soit produite, ainsi de suite. Les éléments probants sont souvent très incertains, et pourtant, on vous demande d'être catégorique.
Á (1100)
M. Chuck Cadman: Je me demande si Dr Aquino voudrait, à la lumière de ce qu'a dit Dr Semrau, commenter les recommandations de ce dernier.
Dr Emmanuel Aquino: Eh bien, docteur Semrau est un esprit très analytique, qui a beaucoup d'expérience dans les cas d'homicides.
Personnellement, je pensais que l'article 16 du Code criminel, d'après la jurisprudence, nous laissait plus de marge. Toutefois, le Dr Semrau semble croire le contraire et que nous utilisons la notion de façon trop étroite.
Je songe en particulier à quelqu'un que j'ai eu à traiter qui a tué sa mère sans qu'il y ait de témoins. Or, on n'a pas trouvé une seule once de preuve qu'il l'avait bel et bien tuée, car cela s'était produit à l'extérieur en temps de pluie. L'accusé s'était ensuite enfui en traversant la rivière à la nage. Aucune preuve n'a été trouvée, et l'accusé ne se souvenait de rien.
Il aurait pu être acquitté, mais comme l'a expliqué docteur Semrau, nous avons dû essayer d'utiliser le plus possible d'informations accessoires. Pour l'accusé en question, nous l'avons soumis à une entrevue au sodium pentothal, et il a tout avoué. Même si l'entrevue n'était pas admissible en cour, elle a permis à l'accusé de se rappeler ce qui s'était passé, et c'est cela que nous avons fait accepter comme preuve.
M. Chuck Cadman: Merci, monsieur .
Le président: Je vous remercie beaucoup.
Avant que je n'accorde la parole à M. MacKay, j'aimerais vous dire qu'un vote aura lieu dans environ une demi-heure. Je crois qu'il s'agit d'une question de procédure. Nous devrons sans doute quitter la salle à 11 h 25 pour aller participer au vote.
Je demande aux témoins qui sont à l'arrière de la salle de ne pas désespérer. M. MacKay nous a épargné un débat plus tôt ce matin et nous avons une heure de plus de sorte que nous pourrons vous entendre tous si votre horaire vous le permet.
Vous avez la parole, monsieur MacKay...
M. Peter MacKay (Pictou--Antigonish--Guysborough, PC): Je vous remercie, monsieur le président et je remercie également les Drs Semrau et Aquino. Ayant déjà travaillé avec vous dans le passé, Dr Aquino, je suis très heureux de vous revoir.
Je partage le sentiment exprimé par mon collègue, M. Cadman. Il est réconfortant d'entendre un témoin spécialiste nous dire que dans bien des cas nous faisons objectivement le mieux que nous puissions faire. J'ai vu dans le passé des spécialistes comparaître devant des tribunaux et donner l'impression que leur témoignage était à toute épreuve. Vous avez été très franc en admettant qu'on est loin d'une science exacte quand il s'agit de poser un diagnostic de troubles mentaux et quand il s'agit de trouver un moyen de traiter les accusés atteints de ce genre de troubles. Ce que vous nous avez donc dit ce matin est très intéressant.
Pour ce qui est d'une peine mixte imposée lors de l'audience de détermination de la peine, je ne sais pas si cette solution a été envisagée, mais je ne pense pas à tout le moins qu'elle ait été envisagée par le comité dans le cadre de son étude. Moi, je n'ai jamais entendu parler de ce genre de solution. Vous avez de toute évidence réfléchi à la question et je me demande si cette solution pourrait s'appliquer compte tenu des dispositions actuelles ou faudrait-il mettre sur pied un système qui ressemblerait au système de déjudiciarisation un peu comme le fait la commission d'examen à l'heure actuelle? Il s'agirait, dans le cas des accusés qui sont atteints de troubles mentaux, de les diriger vers un système plus humain qui allierait incarcération et traitement. Comme vous l'avez fait remarquer, le système de justice pénale n'est pas très raffiné. Un accusé est soit coupable, soit innocent. Il est soit apte ou inapte à subir son procès. Il est aussi soit responsable, soit non responsable au criminel. J'essaie de voir comment nous pourrions concrètement adopter le changement que vous nous avez proposé.
Á (1105)
M. Stanley Semrau: Comme je ne suis ni avocat ni rédacteur légiste, je ne saurais pas vraiment comment répondre à votre question. Tout ce que je peux dire, c'est que l'article 11 du Code criminel serait supprimé et qu'il faudrait sans doute adopter une nouvelle loi excluant l'intoxication et l'automatisme comme motifs de défense. La situation se complique quelque peu en ce qui touche en particulier les homicides parce que c'est surtout pour ce genre de crime que la rigidité du processus de détermination de la peine est la plus marquée. Dans le cas d'un homicide, en particulier, il ne devrait y avoir qu'une seule accusation et un seul verdict possible. Il faudra ensuite que la Loi sur la détermination de la peine prévoie la prise en compte au moment de la détermination de la peine de l'existence de troubles mentaux, de l'intoxication de l'accusé et évidemment des circonstances entourant le crime. Il faudrait éliminer les dispositions actuelles prévoyant des peines minimales de 10 et de 25 ans.
Les peines imposées refléteraient évidemment la jurisprudence dans ce domaine. Dans le cas d'une personne atteinte d'un trouble mental grave qui aurait été provoquée, au sens normal du terme, il devrait être possible d'imposer une peine moins sévère ainsi qu'un traitement d'ordre psychiatrique. Dans d'autres cas, on voudrait sans doute imposer une peine plus sévère. Un Clifford Olson pourrait se voir imposer aujourd'hui une peine de détention de 40 ou 50 ans avant d'avoir droit à la libération conditionnelle le cas échéant. Le processus de détermination de la peine serait donc beaucoup plus souple et il permettrait d'imposer tant des peines plus sévères que des peines moins sévères. Il serait aussi possible d'imposer une peine mixte comportant une certaine période de détention et un traitement d'ordre psychiatrique.
Dans le cas où le fait pour une personne d'être atteinte d'un trouble mental aurait eu une incidence certaine sur son comportement—prenons le cas d'une personne atteinte de schizophrénie qui ne prendrait pas ses médicaments, qui consommerait du crack et qui aurait commis un homicide—on pourrait décider que cette personne a d'abord besoin d'un traitement d'ordre psychiatrique, mais pour lui faire aussi assumer une part de responsabilité dans le crime commis, on pourrait lui imposer une peine minimale de cinq ans qu'elle serait tenue de purger. Je pense qu'une peine de ce genre susciterait plus de respect de la part du public. Les gens seraient satisfaits de voir que ce genre de criminel ne se retrouverait pas une semaine plus tard en liberté.
M. Peter MacKay: Un traitement de désintoxication pourrait aussi être imposé.
M. Stanley Semrau: Oui. La peine imposée pourrait prévoir que le criminel cesse de consommer de l'alcool et des drogues et qu'il subisse des analyses d'urine et de sang obligatoires dans la collectivité.
M. Peter MacKay: J'aimerais poser une question au Dr Aquino.
Je sais que—et c'est probablement le cas de tous les deux—que vous avez vécu des circonstances où des personnes se sont présentées à vos bureaux ou à votre centre de psychiatrie légale et qu'il était évident que ces personnes avaient simplement refusé de prendre leurs médicaments. Pour des raisons quelconques, elles ne s'étaient pas conformées de leur propre gré auparavant...ou elles avaient simplement refusé de prendre leurs ordonnances pour corriger leur comportement psychotique.
Nous avons vu des cas où il y a récidive causée par l'alcoolisme, et où le médicament Antabuse doit être consommé en présence du médecin ou d'une autre personne. Y a-t-il moyen d'être plus contraignant? Est-ce une chose à laquelle vous avez réfléchi, comment nous pourrions amener ces personnes à prendre leurs médicaments? On dit qu'une bonne part de la résistance aux médicaments anti-psychotiques par le passé tenait aux effets secondaires. Les témoignages que nous avons entendus nous amènent à croire que ces effets secondaires semblent aujourd'hui mieux contrôlés qu'ils ne l'étaient par le passé. J'imagine qu'il subsiste la question philosophique de savoir si l'on peut forcer quelqu'un à se faire soigner. Peut-on les forcer, ne serait-ce que pour la protection du public ou leur propre protection, à prendre leurs médicaments?
Á (1110)
Dr Emmanuel Aquino: En Nouvelle-Écosse, si ces personnes sont internées dans un hôpital psychiatrique ou relèvent de la Commission d'examen du Code criminel, nous invoquons la Loi sur les hôpitaux, et elles ont le droit de refuser tout traitement. Chose certaine, nous devons encore déterminer si la personne est capable de donner son consentement ou non.
Cela dit, pour ce qui est des personnes qui ont fait l'objet d'un verdict de non responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux, la commission d'examen s'attend à ce que l'accusé, ou le patient, conserve un bon état de santé mentale. Et si ce n'est pas le cas, et cela comprend le fait de ne pas prendre ses médicaments, on estimera que cette personne représente un risque important pour la sécurité du public et n'est pas prête à être libérée.
Le président: Merci, docteur Aquino.
Je veux passer à John McKay, mais avant de ce faire, pour l'édification de tous, ce que j'espère faire, si le comité et les témoins sont d'accord, ainsi que les prochains témoins... lorsque vous aurez terminé dans une dizaine de minutes, j'aimerais que vous... les deux témoins peuvent-t-il rester? Vous pouvez rester tous les deux?
Nous pourrions vous entendre, vous resteriez, après quoi nous vous poserions des questions à tous les quatre pour le reste de la séance, parce que, pour certaines de ces choses, je sais que les députés veulent poser d'autres questions.
John McKay.
M. John McKay (Scarborough Est, Lib.): Je dirais même que les criminalistes voudraient dire un mot au docteur Semrau.
Le président: Nous aurons les quatre témoins, l'ordre du jour ne tient plus.
M. John McKay: Oui.
Si j'ai bien compris votre témoignage, Dr Semrau, vous proposez en fait d'éliminer l'intention criminelle des délits relevant du Code criminel. Il ne sera plus pertinent de savoir quel était votre état d'esprit au moment où vous avez commis le crime.
D'après votre témoignage, il s'agit d'une preuve incertaine présentée avec les apparences de l'objectivité, les psychiatres et autres experts ne s'entendent pas entre eux, tout cela se passe dans la fiction du théâtre judiciaire et bon nombre de ces motifs de défense, par exemple l'automatisme sans aliénation mentale, l'ivresse, la provocation et toutes ces sortes de choses sont en fait de la fumisterie. L'aspect mental—pas seulement celui du contrevenant mais aussi son état d'esprit au moment où le crime a été commis—serait pris en compte dans la détermination de la peine plutôt que dans le processus qui mène à la condamnation.
Si on réfléchit à cette question, on est amené à se demander quelles autres injustices pourraient être commises si nous adoptions cette façon de procéder. Si vous éliminez la notion d'intention, c'est-à-dire la notion de responsabilité criminelle, vous venez d'éliminer l'un des principaux piliers du droit pénal et vous empêchez également l'accusé d'expliquer le contexte dans lequel les actes criminels ont été commis.
Á (1115)
M. Stanley Semrau: À mon avis, en procédant ainsi, on ne prive pas l'accusé de cette possibilité, au contraire, on l'accroît. Le motif de l'état d'esprit proposé en défense dans les procès est très limité et artificiel dans sa présentation car il doit respecter des critères particuliers de défense. Souvent ces critères ne correspondent pas aux particularités des troubles mentaux de l'accusé et à la façon dont ces troubles ont influé sur sa conduite.
Ceux qui réussissent à obtenir un verdict de non-responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux pourraient encore obtenir le même résultat, mais à une étape différente du processus. Les examens psychiatriques se feraient avant ou après la condamnation, mais c'est après la condamnation qu'on présenterait au tribunal les preuves montrant que l'accusé souffrait de schizophrénie ou a agi en raison d'un délire ou d'hallucinations paranoïaques. Dans les faits, le résultat serait le même qu'à l'heure actuelle.
Mais ainsi, la femme que j'ai vue il y a deux jours—qui passera maintenant probablement au mois 10 ans en prison mais qui, de toute évidence, a commis un incendie criminel à cause d'un trouble mental—serait probablement condamnée à se faire soigner dans un établissement psychiatrique. Dans les cas de maladie mentale véritable, on élargirait l'application des critères relatifs aux troubles mentaux.
M. John McKay: N'éliminerions-nous pas également la possibilité qu'elle soit acquittée?
M. Stanley Semrau: Elle a essayé de faire valoir sa non-responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux mais elle n'y a pas réussi parce qu'elle ne respectait pas de façon stricte les critères de l'article 16. Si la loi était modifiée, elle aurait une possibilité dont elle ne peut pas actuellement se prévaloir.
M. John McKay: Vous éliminez également la possibilité qu'elle ait gain de cause en invoquant cette défense, qu'elle soit jugée criminellement non responsable des actes qu'elle a commis et qu'elle puisse recevoir des soins conformément aux dispositions sur la santé mentale de la province.
M. Stanley Semrau: Précisons que cette possibilité a été perdue dans son cas. Si elle avait pu invoquer avec succès ce motif de défense—ce dont elle a été empêchée parce que cette défense est définie de façon trop stricte—selon ce que je propose, le résultat aurait été le même; elle aurait été envoyée dans un établissement psychiatrique, etc. La seule différence, c'est que cela se serait produit à une étape différente de la procédure.C'est la seule différence du point de vue pratique. Mais dans son cas, cela lui aurait été permis, alors que la loi actuelle l'en empêche.
M. John McKay: J'ai une petite question pour finir. À la page 6 de votre mémoire, au troisième paragraphe, vous dites que:
De récentes décisions judiciaires (R. c. Winko) ont baissé le seuil-limite des remises en liberté dans la collectivité et des absolutions inconditionnelles à un tel niveau qu'elles peuvent entraîner des risques excessifs pour la sécurité publique et miner l'acceptation restreinte du public envers la légitimité de cette défense. |
Les témoins précédents ont dit, à peu près à l'unanimité, que la cour avait eu raison dans la décision Winko. Je suis curieux de savoir pourquoi vous estimez que l'équilibre établi par la décision affaire Winko après les modifications apportées en 1992 n'est pas satisfaisant.
M. Stanley Semrau: C'est simplement que, du point de vue pratique, je participe maintenant à des audiences de la commission d'examen au cours desquelles on libère des gens qui sont encore dangereux. Ce changement est dû à la décision Winko.
Mais revenons en arrière et examinons la chose sous un angle un peu plus théorique. C'est une erreur à mon avis de voir les troubles mentaux dans la perspective du tout ou rien. La situation actuelle est que ceux qui reçoivent un verdict de non-responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux ne sont traités qu'en fonction de leurs troubles mentaux. C'est une simplification à outrance.
La conduite de certaines personnes qui réussissent à obtenir un tel verdict peut être répréhensible de bien des façons, par exemple lorsque la personne ne prend pas ses médicaments ou lorsqu'elle consomme de l'alcool ou de la drogue. Il faut quand même appliquer un certain seuil de responsabilité. Le fait qu'on souffre de troubles mentaux ne signifie pas que l'on perd toute capacité de se maîtriser ou d'assumer ses responsabilités.
À mon avis, on est allé un peu trop loin dans la décision Winko et dans l'application du principe de la mesure la moins restrictive. Il faudrait exiger que, en contrepartie du fait de ne pas être incarcérée, la personne condamnée ait davantage l'obligation de démontrer qu'elle ne pose pas de danger. J'ai été témoin de certaines libérations au sujet desquelles même les membres de la commission d'examen m'ont dit en privé par la suite qu'ils ne pensaient pas que cette personne devait être libérée mais qu'ils avaient été obligés de la libérer en raison de la décision Winko. C'est pourquoi je pense que dans un petit nombre de cas, nous sommes allés trop loin.
Á (1120)
Le président: Merci beaucoup.
Pendant que nous allons voter, je demanderais à notre prochain groupe de témoins de prendre place. Je crois savoir que nos témoins actuels désirent également rester. Une fois que nous aurons entendu le Empowerment Council et l'Association du Barreau canadien, nous reprendrons nos questions en commençant par M. Cadman. Les questions pourront s'adresser à n'importe lequel des témoins.
La séance est suspendue.
Á (1122)
Á (1149)
Le président: Nous reprenons cette 78e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Je vous prie tous de nous excuser. Il semble que nous ayons maintenant une autre sonnerie de 30 minutes.
Je vais rapidement donner la parole à nos deux nouveaux témoins. Mme Jennifer Chambers représente le Empowerment Council et Mme Tamra Thomson et Heather Perkins-McVey, l'Association du Barreau canadien. Nous allons d'abord entendre Mme Chambers, à qui nous accordons 10 minutes.
Á (1150)
Mme Jennifer Chambers (Empowerment Facilitator, Empowerment Council): Je vous remercie. Il semble que mon document ne vous est pas parvenu en raison d'une difficulté technique, donc je vais tâcher de le parcourir très rapidement. N'hésitez pas à faire de grands gestes pour m'indiquer si je parle trop vite.
Le Empowerment Council est un groupe de clients et d'anciens clients de services de santé mentale et de toxicomanie. Ces services sont offerts par le Centre de toxicomanie et de santé mentale qui dessert l'ensemble de l'Ontario, et les membres du groupe viennent des quatre coins de la province.
Nous tenons à vous remercier d'avoir invité le conseil à comparaître devant vous aujourd'hui. À notre connaissance, c'est la première fois qu'un comité parlementaire fédéral invite une délégation de personnes qui ont reçu des services de santé mentale et de toxicomanie.
Je m'appelle Jennifer Chambers. J'ai facilité l'intervention du Queen Street Patients Council dans l'affaire LePage, qui est devenue l'affaire Winko. C'est donc un domaine auquel je m'intéresse depuis un certain temps.
En général, nous aimerions dire qu'à notre avis, l'arrêt Winko est une très bonne décision. Si le système fonctionnait selon les normes énoncées dans la décision Winko, ce serait effectivement un très bon système. Cependant, la façon dont la loi et le système de santé mentale fonctionnent dans la réalité présente des problèmes. Comme nous savons que vous êtes en train de préparer un rapport sur ce sujet, nous allons vous signaler certains des problèmes généraux qui existent dans ce domaine avant d'aborder des recommandations précises.
L'un des problèmes, c'est que le système médico-légal est en train de prendre beaucoup plus d'ampleur proportionnellement au reste du système de santé mentale. Cela s'explique par plusieurs raisons. La première, c'est lorsque l'argent a été enlevé aux établissements, il devait suivre les gens dans la collectivité, mais cela n'a pas toujours été le cas. Un autre problème, c'est que l'argent dépensé dans le système de santé mentale n'est pas toujours dépensé judicieusement. On a de plus en plus tendance à l'heure actuelle dans le système de santé mentale à financer des services qui sont relativement plus coercitifs et moins populaires, et les responsables des services de santé mentale sont moins portés à utiliser ces services.
Selon nous, il serait sage d'axer d'abord les dépenses sur les services pour lesquels un besoin a été exprimé. Ces services n'arrivent pas à répondre à la demande. Il me semble logique de répondre d'abord aux besoins déterminés par les intéressés avant de s'occuper de mesures coercitives, comme les ordonnances de traitement communautaire.
Le même problème se pose dans le cas des services qui ne sont pas dispensés de façon efficace dans les domaines de l'aide sociale et du logement. Il est beaucoup plus coûteux de garder des gens dans le réseau hospitalier dans le cadre du système médico-légal, où beaucoup de gens se retrouvent parce qu'ils sont en situation de crise en raison de l'absence de logement, par exemple. Il a été établi que les troubles mentaux sont beaucoup plus souvent les résultats de l'itinérance que la cause de l'itinérance.
Un dernier facteur, c'est que les avocats qui n'ont pas toujours la formation voulue dans le domaine de la santé mentale ne préviennent pas toujours leurs clients des dangers d'entrer dans le système médico-légal et de la probabilité qu'ils soient détenus indéfiniment.
Un autre problème que présente le système à l'heure actuelle, c'est l'engorgement à l'étape de l'évaluation. Cela s'explique en partie parce que certains juges utilisent de longues évaluations comme moyen détourné d'obtenir un traitement pour l'intéressé. Il serait nettement préférable que la durée de l'évaluation se réduise au minimum nécessaire pour l'évaluation et soit suivie ensuite d'un retour rapide devant les tribunaux.
Le système tel qu'il fonctionne à l'heure actuelle présente un autre problème, celui de la garde et de la supervision excessives, comme en témoigne le nombre de plus en plus grand de personnes détenues dans le système médico-légal. Certaines sont détenues pendant de longues périodes pour des peccadilles, et certaines sont apparemment détenues indéfiniment en raison du caractère de l'infraction désignée.
Cela s'explique entre autres par la preuve insuffisante obtenue par la commission d'examen. L'arrêt Winko recommande que l'on établisse les raisons de la libération, à partir de la preuve, de même que les raisons pour la détention. Nous croyons que cela ne se fait pas de façon satisfaisante, en partie parce que souvent, une personne qui n'est pas criminellement responsable et l'aide juridique ne peuvent pas se permettre les conseils d'experts nécessaires pour procéder à une évaluation indépendante et aussi pour analyser l'évaluation du risque effectuée par l'hôpital. Nous estimons que ce serait une bonne idée que la défense invoque la nécessité d'une évaluation plus indépendante pour l'intéressé.
Par ailleurs, il arrive que l'évaluation du risque soit très peu fiable. Ce n'est pas toujours solide. Les cliniciens ne sont pas toujours en mesure d'expliquer de façon satisfaisante la validité statistique des évaluations du risque qu'ils effectuent.
Á (1155)
Il arrive souvent que des facteurs qui n'ont aucun rapport avec la violence interviennent dans le cadre de l'évaluation du risque. Par exemple, ce n'est pas parce qu'une personne ne prend pas ses médicaments qu'elle présente nécessairement un risque, mais pourtant c'est une pratique courante de faire le lien, étant donné que la conformité à d'autres aspects de la vie en établissement a tendance à être prise en compte. Le simple fait qu'une personne supporte mal la vie en établissement ne signifie pas qu'elle poserait un danger pour la collectivité. Pourtant on fait souvent de genre d'associations.
Une infraction désignée avec violence est aussi une cause importante de détention. Cela pose un problème de parti pris car lorsqu'une infraction est portée devant le système de justice pénale, elle fait souvent l'objet de négociation de plaidoyers pour réduire la gravité de l'infraction désignée de sorte que pour le même prisonnier dans le système correctionnel, l'infraction désignée est souvent moins grave que pour une personne détenue dans le système médico-légal.
Il y a aussi le problème des ordonnances portant décision qui sont trop restrictives. Je pourrais vous donner un certain nombre d'exemples où des incidents mineurs ont donné lieu à une détention à long terme. C'est un vrai problème, surtout lorsque la recherche indique—et j'ai envoyé certaines de ces études au comité—, en particulier un article de Harris et Rice qui dit que pour les contrevenants qui posent le moins de risques, la preuve semble indiquer que la supervision, la détention et le traitement augmentent en fait le risque de violence.
Comme vous l'avez entendu à maintes reprises, il y a aussi la restriction excessive dont font l'objet les accusés inaptes. Parfois des personnes peuvent être punies pour la vie parce qu'elles n'arrivent pas à comprendre le système judiciaire, et c'est un grave problème surtout pour les personnes qui présentent un faible risque.
Un aspect de l'arrêt Winko qui reçoit très peu d'attention est l'examen étroit des besoins de l'accusé non criminellement responsable et inapte de sorte que souvent les gens sont traités uniquement en fonction de leurs symptômes et de leur état pathologique. L'expérience et la base de données médico-légale établie par Chris Webster semblent indiquer que les personnes qui entrent dans le système ont souvent des besoins pratiques très fondamentaux, comme le besoin d'instruction et de formation professionnelle. Le système médico-légal ne s'occupe pas des personnes qui ont été victimes de mauvais traitements par le passé. Cela s'explique en partie parce que la relation thérapeutique est faussée du fait que l'évaluateur est aussi le geôlier de la personne. Il faut, dans la mesure du possible, séparer les aspects du système médico-légal qui se rattachent à la thérapie et ceux qui se rattachent à l'évaluation.
Enfin, il serait utile qu'une aide soit offerte aux personnes qui quittent le système médico-légal pour retourner dans la collectivité, comme cela se fait souvent dans le système correctionnel.
Nos recommandations sont les suivantes: prévoir des fonds dans le cadre de l'aide juridique pour faire appel à des témoins experts afin que les intéressés soient mieux en mesure de présenter des preuves pour leur libération; lorsqu'elle prend en considération les évaluations de risque, la commission d'examen devrait toujours entendre la preuve quant à leur validité prédictive. Les ordonnances d'évaluation devraient prendre fin au moment où l'évaluation est terminée; des conditions courantes, relatives à la consommation de drogue ou d'alcool, ne devraient pas être consignées par écrit dans toutes les ordonnances portant décision; et à la demande de l'accusé, dont le dossier médical est à l'étude, les audiences devraient pouvoir se dérouler à huis clos.
Nous n'appuyons pas les déclarations de victimes car nous estimons qu'elles n'ont pas de raison d'être dans ce système.
Les commissions d'examen devraient avoir le pouvoir d'ordonner des ordonnances et des décisions moins restrictives, et cela devrait inclure les personnes en isolement ou qui font l'objet de contention. C'est un aspect de la loi qui est assez vague à l'heure actuelle.
Les commissions d'examen devraient avoir le pouvoir d'ordonner des évaluations.
En ce qui concerne la détermination de périodes de détention d'une durée maximale, nous considérons qu'à cet égard l'arrêt Winko est préférable au projet de loi. Un tel plafonnement de la détention n'est nécessaire que si l'arrêt Winko ne fonctionne pas correctement. Donc nous serions favorables à cette pratique seulement si, parallèlement, cela n'incluait pas la désignation d'accusés dangereux atteints de troubles mentaux, car nous considérons qu'une telle désignation revient à décréter à tort et pour la vie qu'il est impossible que l'état mental d'une personne s'améliore.
Nous avons aussi recommandé de mettre sur pied un comité juridique dans chaque province pour examiner les cas qui leur seront soumis et qui présentent des problèmes concernant l'exercice du droit dans cette région. Les membres de la commission d'examen devraient être tenus de se familiariser avec les lois provinciales en matière de santé mentale.
Conformément à certaines autres recommandations que vous avez entendues, nous considérons qu'il conviendrait de remplacer l'expression anglaise «maladie mentale» par l'expression «troubles mentaux», étant donné que la première risque de nous enliser dans le bourbier scientifique qui consiste à déterminer si certains états mentaux ont une explication biologique.
En raison de certaines discussions que vous avez entendues, je voulais simplement ajouter un dernier point à propos de la fidélité au traitement. Le fait qu'une personne prenne fidèlement ses médicaments n'est pas une garantie de sécurité. Aucune pilule ne peut complètement contrôler le comportement de quiconque. De même, le fait de ne pas prendre fidèlement ses médicaments n'est pas synonyme de dangerosité. Les médicaments fonctionnent pour certains. Ils ne fonctionnent pas pour d'autres. Ils ne sont pas efficaces à 100 p. 100. Prendre des médicaments présente des risques. En fait, on considère que certains médicaments peuvent accroître le risque de violence.
Le président: Merci beaucoup.
Nous écoutons ensuite Tamra Thomson.
Mme Tamra L. Thomson (directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien) : Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les députés.
Nous sommes ici au nom de l'Association du Barreau canadien, un organisme national qui représente près de 37 000 juristes canadiens. Nous sommes très heureux de comparaître aujourd'hui devant le comité qui entreprend l'étude de ces questions importantes et fort complexes.
Vous avez reçu un exemplaire de notre mémoire, qui a été rédigé par la section nationale de droit pénal au sein de l'Association du Barreau canadien. La section nationale de droit pénal comprend des procureurs de la Couronne et des avocats de la défense, qui s'appliquent dans leur travail à respecter l'équilibre entre les uns et les autres. Ils ont consulté les membres du comité sur l'emprisonnement et la libération, qui est spécialisé en matière de détermination de la sentence. C'est donc un aspect qui apparaît également dans notre intervention.
L'un des principaux objectifs de l'Association du Barreau canadien est l'amélioration du droit et de l'administration de la justice, et c'est dans ce contexte que nous intervenons devant vous aujourd'hui. Je vais demander à Mme Perkins-McVey, qui préside la section nationale de droit pénal, de présenter certains des thèmes qui sont exposés dans notre mémoire.
 (1200)
Mme Heather Perkins-McVey (présidente, Section nationale de droit pénal, Association du Barreau canadien): On dit souvent que c'est dans le domaine du code criminel que le droit et la psychiatrie se rencontrent. Le groupe qui se présente devant vous aujourd'hui me semble très intéressant, car on y trouve des représentants des différents domaines dont il est question dans cette partie du code criminel.
En tant que juristes-praticiens, nous estimons qu'il s'agit là d'une des parties les plus techniques et les plus complexes du Code criminel, d'un domaine tellement fondamental du droit et de la théorie et de la pratique sociales qui franchit toutes les frontières, qu'elles soient politiques, juridictionnelles ou autres et qu'il mérite par conséquent d'être étudié et analysé minutieusement avant qu'on envisage d'y apporter des changements importants.
Pourtant, après avoir fait l'état des lieux, nous estimons pouvoir faire des commentaires sur certains sujets, même si, de façon générale, il faudrait poursuivre l'analyse statistique afin de bien évaluer les problèmes et les préoccupations qui ont pu être soulevés.
L'application devant les tribunaux de l'article 16, c'est-à-dire de la partie du Code criminel qui traite de la non-responsabilité pénale, a fait, comme vous le savez et comme vous l'ont dit aussi bien les psychiatres que les avocats, l'objet d'un débat intense entre le milieu du droit et celui de la psychiatrie. À notre avis, c'est à tort que le critère actuel met l'accent sur l'incapacité cognitive.
Il arrive à l'occasion que les personnes souffrant de graves maladies mentales soient condamnées pour des infractions criminelles et incarcérées pendant de longues périodes en dépit de la preuve manifeste que leurs troubles mentaux ont eu une incidence sur la commission de l'acte criminel reproché. En se polarisant sur une déficience des facultés cognitives et sur la manière dont cette déficience affecte la capacité de l'accusé d'apprécier la nature et la qualité de l'acte ou de savoir qu'il commet un acte répréhensible, cette définition écarte les situations où l'accusé est conscient que l'acte est répréhensible mais où cet acte est en réalité le fruit d'un délire, d'une paranoïa ou autre forme d'irrationalité attribuable à des troubles mentaux.
Dans l'arrêt R. c. Cheong, un homme a été condamné pour meurtre après avoir poussé un parfait étranger d'un quai d'un métro. L'auteur de l'acte souffrait d'une maladie mentale grave, la schizophrénie, et de troubles découlant de la consommation de substances; il est en outre sujet à des crises d'hallucinations auditives. Au moment de l'infraction, il se trouvait dans un état de délire qui l'incitait à fixer son attention sur un type de femme susceptible, croyait-il, de se moquer de lui et de lui lancer des insultes racistes. Bien qu'il pût comprendre la nature de son acte et son caractère répréhensible, l'acte commis était manifestement le résultat de sa maladie mentale.
Voilà sans doute un exemple des problèmes que pose l'application de la définition actuelle de l'article 16.
Peut-être vous souvenez-vous qu'en 1992, le Groupe de travail sur la nouvelle codification du droit pénal de l'Association du Barreau canadien avait abordé cette question et fourni une réponse au rapport sur la nouvelle codification du droit pénal de la Commission de réforme du droit. Il avait recommandé à la commission d'étendre la portée de l'article 16 de façon à y englober trois situations distinctes--tout cela figure dans le document qui vous a été remis: aux termes de l'article 16, on ne devrait pas considérer comme pénalement responsable de l'acte interdit la personne qui, en raison d'une maladie ou d'une déficience mentale au moment où elle a commis cet acte, a) était incapable d'en apprécier la nature ou les conséquences, b) pensait que cet acte était moralement juste, ou c) était incapable de se conformer aux prescriptions de la loi.
Cette recommandation est une légère variante du très ancien test McNaghten, auquel on a ajouté un élément du code pénal. Bien que ce test soit encore, à notre avis, très rudimentaire à l'heure actuelle, on pourrait l'améliorer, et il aurait l'avantage d'élargir considérablement la défense d'incapacité mentale pour y englober des causes comme celle de Cheong dont je viens de parler.
 (1205)
Voilà, à notre avis, un domaine qui suscite des interrogations et des préoccupations légitimes qu'on ne peut passer sous silence. La controverse à laquelle il donne lieu nous amène elle-même à considérer qu'il faut impérativement étudier de très près cet aspect du droit et de la psychiatrie avant d'y apporter des changements.
En ce qui concerne la définition de l'aptitude à subir un procès, nous aimerions avant tout déterminer si l'arrêt R. c. Taylor a posé des problèmes. Il se pourrait, selon nous, que le test retenu soit trop restrictif, en particulier dans la mesure où il fait état de l'aptitude à communiquer avec l'avocat.
Si cet article a pour objet de faire en sorte que l'accusé soit véritablement présent à son procès—qu'il y soit présent et apte à y participer de façon significative, éclairée et rationnelle—nous pensons que l'arrêt Taylor est trop étroit. Il faudrait pouvoir apprécier dans quelle mesure l'accusé éprouve le besoin de communiquer convenablement avec son avocat.
Le problème, c'est que tous ces éléments sont interprétés de façon purement subjective par les tribunaux et les psychiatres. On observe souvent des situations où un psychiatre estime que l'accusé ne peut pas communiquer efficacement avec son avocat et qu'il est donc inapte à subir son procès, alors que dans d'autres circonstances, on donne une interprétation restrictive de la jurisprudence Taylor.
Cette application subjective et incohérente des critères pose à notre avis un problème qu'il convient de résoudre. Il faudrait mesurer l'aptitude à communiquer avec l'avocat et à lui donner des instructions en fonction d'un élément substantif et qualitatif.
En ce qui concerne les pouvoirs conférés aux commissions d'examen, j'ai examiné une partie des mémoires et des rapports qui vous ont été présentés à ce sujet. L'Association du Barreau canadien estime que la question pourrait soulever des préoccupations constitutionnelles. N'oublions pas que les commissions d'examen ne sont pas des tribunaux. Elles ne sont pas constituées en tant que tribunaux et on risque, en leur conférant des pouvoirs plus étendus, de susciter des contestations aux termes des articles 91 et 92.
À notre avis, si les commissions d'examen sont habilitées à exonérer totalement un accusé, elles pourront prendre des décisions quant à l'intention délictuelle, c'est-à-dire se comporter comme un tribunal. Nous estimons qu'elles ne sont pas habilitées à le faire, que ce soit au plan constitutionnel ou aux termes de leur mandat actuel, parce qu'elles sont formées de non-juristes, de psychiatres et autres.
De ce point de vue, si l'extension de leur pouvoir peut apparaître comme une formule intéressante pour écourter la procédure, elle présente néanmoins de sérieuses difficultés. À notre avis, elle ne saurait être retenue à l'heure actuelle à moins d'avoir été soigneusement analysée.
Sur les plafonds de détention, très brièvement, nous pensons aussi que l'arrêt Winko constitue un jalon important, qui devrait éliminer la nécessité du plafonnement s'il est appliqué de façon appropriée et uniforme. Voilà essentiellement ce que nous en pensons.
Notre rapport aborde aussi d'autres sujets, mais nous ne prétendons nullement avoir fait le tour de ce sujet extrêmement complexe. Nous accordons également notre appui à certains commentaires concernant l'insuffisance des ressources consacrées aux procédures d'évaluation des personnes qui présentent des troubles mentaux.
 (1210)
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Cadman, nous ne pouvons vous accorder les sept minutes qui vous sont dues. Par conséquent, il ne nous reste qu'à nous excuser une fois de plus. Vous êtes déjà au courant de la sonnerie. Nous allons revenir immédiatement après le vote et nous reprendrons la séance avec M. Cadman, comme prévu.
La séance est suspendue.
 (1211)
 (1236)
Le président: Je prononce la reprise de la 78e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. J'espère que c'est la dernière reprise, car si une nouvelle interruption devait se produire, il serait sans doute impossible de reconstituer le comité.
Monsieur Cadman, vous avez sept minutes.
M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.
J'avais quelques questions à poser, mais je crains de manquer de temps.
Je pense que les témoins de l'Association du Barreau canadien étaient dans la salle lorsque M. Semrau a proposé, en fait, d'éliminer le moyen de défense fondé sur les troubles mentaux ou a proposé de l'utiliser uniquement pour déterminer la culpabilité, en le repoussant jusqu'au déterminé de la sentence, l'argument des troubles mentaux devenant alors une circonstance atténuante. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.
Mme Heather Perkins-McVey: Je dois dire que je n'ai pas eu l'occasion de lire l'ouvrage qui est à l'origine de cet argument du témoin, et je n'ai entendu que la fin de son argument.
Je peux vous dire que la session nationale du droit pénal de l'Association du barreau canadien n'a pas réfléchi à cette question, car elle comporte une remise en cause des caractéristiques fondamentales de notre droit pénal qui existent depuis des temps immémoriaux.
L'argument soulève à mon sens de très graves problèmes constitutionnels. Par ailleurs, nous avons toujours considéré que l'aspect mental de l'infraction doit être prouvé au-delà de tout doute raisonnable, ce qui fait partie des principes fondamentaux du code.
On ne peut pas faire tout intervenir dans la détermination de la sentence. Rappelons-nous, après avoir entendu certains commentaires, que la justice pénale n'a pas les mêmes objectifs que la justice sociale, ni, à plus forte raison, que le système de soins de santé. Quand on aborde cette question, il faut veiller soigneusement à la protection des droits juridiques, quitte à confier les troubles mentaux à la justice sociale et à la médecine.
Je crois qu'il serait téméraire de supprimer les articles du Code criminel qui permettent d'invoquer le moyen de défense fondé sur les troubles mentaux, étant donné que la plupart des infractions comportent deux éléments.
M. Chuck Cadman: Madame Chambers, voulez-vous intervenir?
Mme Jennifer Chambers: J'aurais tendance à pencher en faveur de l'argument du barreau. L'intention me semble un élément important de la définition du crime. On peut très bien avoir l'intention de commettre un acte, mais d'en avoir l'intention à des fins d'autodéfense, par exemple, et il ne me semble pas raisonnable d'assimiler un tel cas à celui du criminel qui a la même intention, mais par cupidité.
M. Chuck Cadman: Si vous me le permettez, monsieur le président, j'aimerais m'adresser à Mme Chambers: vous dites que votre organisme n'est pas favorable à la déclaration de la victime. Pensez-vous que la victime ait un rôle à jouer dans la procédure?
Mme Jennifer Chambers: Dans le cadre d'une démarche thérapeutique, l'auteur de l'infraction peut souhaiter s'adresser à la victime pour savoir ce qui s'est passé, dans le but de se guérir de son problème ou de se découvrir lui-même. C'est du reste ce que fait également le système correctionnel. Mais je ne crois pas qu'un tel échange ait sa place dans l'ordonnance portant décision, car il n'a aucune incidence sur l'état d'esprit de l'accusé, dont le médecin légiste est censé s'occuper.
 (1240)
M. Chuck Cadman: Et que faites-vous des préoccupations de la victime quant à l'issue de l'audience, si elle craint pour sa sécurité?
Mme Jennifer Chambers: Je pense qu'actuellement, la victime ne peut pas comprendre les conséquences d'une éventuelle remise en liberté. Elle ne connaît pas l'état d'esprit de l'accusé. Elle peut exprimer des craintes, mais ses craintes ou sa sympathie devraient être sans effet sur la détention de l'accusé.
Mme Heather Perkins-McVey: Je crois qu'en est en train de mélanger les torchons et les serviettes. C'est aussi l'impression que me donnent un certain nombre de commentaires et de témoignages.
Il faut faire très attention au contexte et à l'étape de la procédure dont on parle. Il est certain que la victime a un rôle à jouer dans la procédure. Elle joue ce rôle en procédure pénale. Le Code criminel prévoit que la victime puisse faire une déclaration et que, le cas échéant, dans certains procès et dans certaines circonstances, elle puisse assister à l'audience et exprimer son point de vue.
N'oublions pas que la procédure appliquée dans les tribunaux permet de tenir compte du point de vue de chacun, mais à l'étape de la commission d'examen, ce principe ne s'applique pas aux personnes jugées inaptes.
Celui qui veut exprimer son point de vue ou ses préoccupations peut le faire en déposant une déclaration ou en intervenant auprès du service du procureur de la Couronne. Mais encore une fois, il est difficile de veiller à ce que l'accusé soit en mesure de savoir ce qui se passe.
Tout dépend de l'intention de la victime. Si elle veut simplement dire qu'elle est inquiète parce que l'individu est dangereux, c'est très bien. Cela fait partie de l'information que doit connaître la commission d'examen pour réunir tous les éléments de preuve avant de rendre sa décision finale.
Je n'ai pas le même souci, mais je pense qu'il faut faire attention aux termes employés, parce que nous sommes ici dans un domaine très technique et à une étape très technique de la procédure. On ne peut pas mettre le tribunal et la commission d'examen dans le même panier, car ce sont des entités totalement différentes, leurs fonctions sont différentes et elles jouent des rôles différents par rapport à l'équilibre qui doit être respecté.
Le président: Merci beaucoup.
Je vais donner la parole à M. Lanctôt.
[Français]
M. Robert Lanctôt: Je vais revenir à docteur Semrau.
Vous vous rendez compte que vous mettez un peu d'émoi non seulement dans le comité, mais on parle de l'Association du Barreau et aussi de représentants de personnes ayant des troubles mentaux. C'est une chose énorme. Comme l'a fait remarquer l'Association du Barreau, on n'a peut-être pas étudié cette possibilité.
J'aimerais savoir quelles sont les démarches autres que la présentation de votre mémoire ici, en comité. Est-ce que des experts, des psychiatres ou des psychologues, sont au courant de votre façon de proposer cela ici, au comité? Est-ce que les associations d'avocats et les barreaux sont au courant? Quelles ont été les démarches antérieures à la présentation de votre mémoire?
[Traduction]
M. Stanley Semrau: D'abord, bon nombre des idées contenues dans le mémoire sont partagées et ont été émises par d'autres personnes. Elles ne sont pas de mon cru. Il y a maintenant 10 ans que l'Association des psychiatres du Canada a exprimé son opinion au sujet de la défense fondée sur l'automatisme.
Nous avons aussi intégré l'opinion de M. Schneider qui était membre de la commission d'examen de l'Ontario, je crois, et qui a fait une étude sur toute la question de la responsabilité criminelle à l'issue de laquelle il a découvert que la question n'était pas claire, qu'il y avait différents degrés de responsabilité criminelle si l'on applique une définition axée sur l'aspect psychiatrique et fonctionnel.
D'autres idées du genre sont répandues ailleurs. Par exemple, il existe—et je crois que ce n'est pas établi dans notre loi—cette notion d'ordonnance de détention dans un hôpital semblable à la conception britannique, ce à quoi j'ai fait référence, qui serait une mesure psychiatrique dans le contexte.
Personne n'a réagi officiellement aux idées que j'ai exprimées dans mon livre, mais j'ai eu une certaine forme de rétroaction informelle de la part de dizaines de psychiatres et d'avocats. En cour, les procureurs de la Couronne auxquels j'ai parlé tendent à appuyer les notions exprimées dans le livre. Les avocats de la défense auxquels j'ai parlé semblent dire la même chose en principe, mais ils espèrent pour leur propre bien que les modifications ne seront pas adoptées parce qu'elles réduiraient leur charge de travail.
C'est l'essentiel de ce que j'ai reçu en termes de rétroaction. Personne n'a vraiment réagi formellement.
 (1245)
Le président: Monsieur Lanctôt.
[Français]
M. Robert Lanctôt: Est-ce qu'il y a eu des symposiums, des colloques, des conférences là-dessus? L'idée est très originale, mais vous bousculez un peu la mentalité qui est déjà établie depuis de nombreuses années. Cela ne veut pas dire que je critique. Je me demande où en est votre réflexion ou celle des gens qui estiment qu'on devrait changer au complet le système criminel au Canada.
[Traduction]
M. Stanley Semrau: Nous n'avons pas fait de symposium ou organisé de conférence du genre. Vous êtes le premier organisme officiel à vous y intéresser.
Je crois qu'il serait important de procéder à un examen approfondi de la question parce que, à bien des égards, les modifications proposées ne sont pas aussi radicales qu'on pourrait le croire. Tous les principes et éléments existants du système actuel qui permettent un recours au concept de troubles mentaux sont préservés. Ils sont tout simplement réorganisés de sorte que les tribunaux puissent plus facilement tenir compte de troubles mentaux, avec plus de souplesse et de créativité. Je dirais donc que nous procédons à une restructuration des principes plutôt qu'à une modification de ceux-ci.
Je voudrais souligner que je ne propose absolument pas une modification du concept de l'intention. La notion de l'absence complète d'intention comme dans le cas de crise d'épilepsie ou de phénomènes semblables, serait préservée. Ce genre de problème peut être résolu lors d'un procès.
Toutefois, en dehors du domaine de l'absence d'intention, il reste la nature et les degrés d'intention. C'est à ce moment qu'entrent en jeu les notions de provocation, d'intoxication et de troubles mentaux pour ce qui a trait à la nature de l'intention démontrée.
Le principe de l'intention doit donc être maintenu, mais il doit être exprimé d'une manière beaucoup plus évoluée qu'à l'heure actuelle.
Mme Heather Perkins-McVey: Je ne suis pas d'accord avec vous quand vous dites que c'est une conception beaucoup plus évoluée que le système actuel. Je crois qu'il serait sage de prendre du recul et de voir la situation dans son contexte réel sinon nous risquons de tout embrouiller.
D'abord, les questions de provocation, de légitime défense et même d'automatisme sont un domaine entièrement distinct, à mon avis, et doivent être traitées ainsi. L'Association du Barreau canadien est d'accord avec le ministère de la Justice pour dire qu'il faut réexaminer ces dispositions. Ce n'est pas la question dont nous nous sommes saisis aujourd'hui.
Examinons plutôt l'article du code qui a trait aux troubles mentaux et les raisons de son édiction. Il a deux fonctions: protéger les droits d'un accusé vulnérable—s'assurer que certaines balises de détention sont respectées—et équilibrer cette réalité avec la nécessité de protéger la collectivité.
Le docteur a parlé des remarques de Richard Schneider à l'égard de la responsabilité criminelle et du fait qu'elle comporte différents degrés. Certes, ces degrés existent, mais le système est muni de sauvegardes. Certaines personnes, en raison de la nature de leur trouble et du rapprochement que l'on peut faire entre celui-ci et l'inculpation, se retrouveront beaucoup plus probablement du côté du système des commissions d'examen et seront assujettis à ces conditions.
Il y en a beaucoup d'autres, et je dirais que c'est le cas de la plupart des accusés, qui souffrent d'un trouble mental à un degré bien moindre et qui seront jugés en fonction de l'article 718 du régime de détermination de la peine. Les magistrats n'ont aucune contrainte lorsqu'il est question de santé mentale. Je vous dirais que dans leur travail quotidien, 95 p. 100 des magistrats doivent tenir compte de certains aspects de santé mentale.
Il ne faudrait pas oublier non plus que nous avons des outils importants dans le système provincial de santé mentale et qu'il faut s'en servir adéquatement.
Donc, je ne crois pas que ce soit nécessaire de prendre une décision aussi téméraire que celle qui est proposée. Les buts visés par le docteur peuvent être atteints dans le cadre du système actuel.
 (1250)
Le président: Ce sera sans doute la dernière question et ce sera au tour de M. MacKay de la poser.
M. Peter MacKay: Je vous remercie, monsieur le président et tous les témoins présents.
Comme bien d'autres l'ont dit avant moi, c'est un domaine du droit fort complexe. Nous tentons de déterminer s'il faut entreprendre d'importants changements ou tout simplement améliorer le système et les dispositions actuelles.
J'ai trouvé les remarques de Mme Perkins-McVey de l'Association du Barreau canadien fort réconfortantes. Selon le barreau, si je comprends bien, étant donné l'important appui accordé par la Couronne, la défense et les experts, vous êtes mieux habilités à prendre ces décisions, les cours, les pouvoirs judiciaires devraient traiter toutes ces questions en fonction de la jurisprudence comme les jugements rendus dans les affaires Winko et Taylor. Ils sont mieux habilités à le faire qu'une commission d'examen. Certains iraient sans doute jusqu'à dire qu'il n'y a pas de différences entre la commission et les magistrats, mais la commission d'examen est composée de profanes tandis que les tribunaux ont, quant à eux, un mandat d'une portée beaucoup plus vaste.
J'ai certaines questions précises sur les dispositions ayant trait à la jeunesse. Je ne sais pas combien d'attention vous avez accordée à ces dispositions sur la jeunesse, mais il semble y avoir certaines anomalies dans le traitement actuel des jeunes qui sont dans la catégorie des dyfonctionnels. Je voulais vous donner l'occasion de formuler certaines observations et de dire si vous aviez envisagé... Je sais, docteur Aquino, que dans le passé, on vous a demandé d'examiner des jeunes vivant dans des établissements correctionnels dont le transfert repose beaucoup sur leur état et leur santé mentale.
Je voudrais faire une remarque à l'intention de Mme Chambers sur le rôle de la victime et le fait qu'elle croît que les commissions d'examen devraient écouter les témoignages des victimes, non pas à l'aide d'une déclaration de la victime, mais plutôt d'une déclaration orale dont la divulgation serait assortie de conditions—je suppose que l'acquittement n'est pas encore possible—si la commission d'examen devrait tenir compte de cette réalité comme le font les tribunaux.
Le président: Madame Chambers.
Mme Heather Perkins-McVey: J'aimerais aborder la question des jeunes parce qu'il y a des problèmes extrêmement graves dans ce domaine. Nous en n'avons pas traité dans notre mémoire parce que, comme nous l'avons expliqué, c'est un sujet tellement vaste et nous ne pouvions aborder que certains sujets.
Il est impossible pour un intervenant de trouver des centres psychiatriques appropriés pour évaluer correctement les jeunes. Les adolescents n'ont pas accès aux mêmes services que les adultes.
En ce moment même, j'ai un client de 17 ans. J'attends littéralement qu'il ait 18 ans pour pouvoir le faire admettre dans un établissement pour adultes. Un réseau hospitalier aussi étendu que celui de l'Hôpital royal d'Ottawa n'a pas les installations voulues pour offrir des services médico-légaux aux jeunes, si ce n'est des cliniques associées au tribunal de la famille et le Centre Robert Smart. Ce dernier n'offre pas des services d'évaluation médico-légaux.
Nous n'avons vraiment pas les moyens de faire évaluer correctement les jeunes. Bien sûr, la Loi sur les jeunes contrevenants actuellement en vigueur contient certaines dispositions à ce sujet, et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents en contiendra sans doute, elle aussi, mais ce n'est pas suffisant. Il s'agit véritablement d'un problème extrêmement grave et il faut que l'on y consacre les ressources nécessaires.
M. Peter MacKay: J'aimerais justement dire quelque chose au sujet de cette question des ressources, que vous avez peut-être abordé dans votre exposé. Hier, le gouvernement de l'Ontario a décrété un lockout. Évidemment, cette mesure s'inscrit dans une problématique plus large, mais il me semble qu'elle est extrêmement pertinente si l'on songe à la difficulté qu'ont les accusés atteints de troubles mentaux à avoir même un semblant d'accès aux services d'un avocat. Cette situation met encore une fois en évidence la pénurie des ressources pour les services d'aide juridique.
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Mme Heather Perkins-McVey: À la lecture de notre mémoire, vous pouvez constater que nous estimons que toute personne atteinte de maladie mentale doit être représentée par un avocat. Le problème tient au fait que très peu d'avocats veulent faire affaire avec des personnes atteintes de maladie mentale parce que le droit est un domaine complexe qui comporte des aspects assez techniques et qu'il faudrait pour intervenir auprès de ces personnes avoir certaines connaissances au sujet des maladies mentales. Nous pensons que les avocats, de même que les juges et les procureurs de la Couronne doivent être compétents et bien formés. En toute honnêteté, le même problème se pose dans le cas des procureurs de la Couronne et des juges. Les intervenants de ce domaine doivent avoir des connaissances assez spécialisées. Bien sûr, pour qu'ils puissent les acquérir, le système judiciaire doit être suffisamment financé pour que les gens aient le temps de faire le travail nécessaire. La question de l'aide juridique est sans aucun doute un des aspects du problème.
À certains endroits, l'on commence à mettre en place des tribunaux de santé mentale, qui font appel à des juges et à des procureurs de la Couronne spécialisés et à des avocats de la défense ayant reçu une formation dans ce domaine. Notre mémoire décrit brièvement le tribunal de santé mentale de Toronto. Le juge Brien quant à lui travaille au Nouveau-Brunswick, si je ne m'abuse. Ce sont là des modèles dont les tribunaux de partout au pays pourraient assurément s'inspirer.
L'autre question qui nous avons soulevée est celle des mesures de déjudiciarisation dont pourraient bénéficier certaines personnes atteintes de maladie mentale. Nous en avons touché un mot aujourd'hui, en parlant du meurtre, le crime le plus grave. Cependant, la plupart des personnes traduites devant un tribunal de santé mentale sont accusées d'infractions beaucoup moins graves. Il faut trouver les mesures qui s'appliquent à leur cas.
Le président: Notre temps est presque écoulé et je sais qu'il y a deux autres témoins.
Docteur Semrau.
M. Stanley Semrau: Permettez-moi de faire brièvement quelques commentaires. Tout d'abord, les divergences d'opinion qui se manifestent ici tiennent pour une bonne part à la gravité des infractions et la différence à ce chapitre. Quant à moi j'estime que le système actuel fonctionne assez bien dans le cas des crimes autres que l'homicide, car les juges ont déjà beaucoup de latitude pour déterminer la peine dans ces cas. Si ce n'était des homicides, je pense que des changements relativement mineurs suffiraient.
Je souscris en particulier à l'avis exprimé par le Barreau selon lequel la définition de l'aliénation mentale est trop étroite, tout comme les critères utilisés, d'ailleurs, pour évaluer l'aptitude d'un accusé à subir son procès. Ces difficultés se posent avec le plus d'acuité dans les cas d'homicide comportant des mécanismes rigides de détermination de la peine. De tels cas surviennent tous les jours. Voilà la principale raison pour laquelle des changements s'imposent. La façon de procéder dans les affaires d'homicide se rapprocherait alors de la procédure utilisée pour d'autres genres d'accusations.
Le président: Madame Chambers.
Mme Jennifer Chambers: Je ne suis pas en faveur de permettre les déclarations des victimes au niveau de la commission d'examen à moins que la victime ne puisse présenter des renseignements personnels récents au sujet l'accusé. Les déclarations de la victime peuvent compromettre l'impartialité de la commission, par exemple si la victime est sympathique, si elle est très anxieuse ou simplement si elle est en mesure de se présenter à l'audience.
J'ai moi-même été victime de crime violent, mais j'estime qu'il est dans l'intérêt de l'ensemble de la société de traiter humainement l'accusé. Je trouve inquiétantes la détention et la surveillance excessives des accusés dans certains cas, puisque les études indiquent que, loin de diminuer la récidive, de telles mesures peuvent la favoriser.
Le président: Madame Perkins-McVey.
Mme Heather Perkins-McVey: J'aimerais commenter les propos du témoin. Dans le domaine de l'homicide, je pense que nous n'avons pas besoin de réinventer la roue et de ramener notre système de justice pénale à l'état où il était au début du siècle, ni encore d'abolir la Charte des droits. Il s'agit plutôt d'évaluer si les articles du Code criminel traitant de l'homicide sont trop rigides, si bien qu'ils ne permettent pas, compte tenu des dispositions régissant la détermination de la peine, de traiter comme il se doit les personnes atteintes de maladie mentale.
Je suis d'accord avec vous pour dire que l'homicide involontaire ne devrait pas servir d'accusation passe-partout. Mais cela suppose qu'il faudrait établir une troisième ou une quatrième catégorie d'homicide, qui serait définie de manière à tenir compte de certains des facteurs soulevés par le témoin. Cela peut se faire en étendant la définition de l'homicide ou en créant une nouvelle catégorie. Je sais que cette possibilité a déjà été abordée dans certains milieux judiciaires.
Il faudra alors revoir l'article qui porte sur l'ordonnance de traitement en milieu hospitalier. Nous en avons parlé dans notre mémoire. Le délai prévu de 60 jours est trop court. Nous avons également signalé la nécessité d'établir à l'intérieur du système de justice pénale des établissements plus à même de s'occuper des personnes atteintes de troubles mentaux.
· (1300)
Le président: Je vous remercie.
Dr Aquino, je vous laisse le mot de la fin.
Dr Emmanuel Aquino: J'aimerais répondre à la question de M. MacKay au sujet des jeunes.
En Nouvelle-Écosse, nous n'avons pas non plus les compétences voulues pour traiter les jeunes délinquants. Nous pouvions le faire autrefois avant l'adoption du projet de loi C-30. En fait, je pense que cela n'a pas beaucoup à voir avec ce projet de loi, mais plutôt avec un climat d'affrontement.
Il n'y a pas si longtemps, un avocat de la défense a retenu mes services pour évaluer de façon indépendante un jeune délinquant qu'avait aussi évalué un psychiatre spécialiste de l'adolescence. Nous pensions que nous en aurions un dans la province, mais il est allé en Colombie-Britannique.
Le président: J'aimerais maintenant remercier nos témoins et en particulier le premier groupe de témoins de leur patience aujourd'hui. Je m'excuse auprès de vous tous du fait que la séance ait été perturbée... J'aimerais dire à ceux que cette question intéresse que la situation n'est pas courante. La séance d'aujourd'hui a été tout à fait inhabituelle. Nous prenons notre travail très au sérieux. Nous pourrons aussi relire votre témoignage.
Compte tenu du fait que la séance d'aujourd'hui n'a pas été très calme, si vous avez des renseignements supplémentaires que vous voudriez nous communiquer ou si vous voulez insister sur quelque chose, n'hésitez pas à communiquer avec le personnel du comité.
Monsieur Lanctôt.
[Français]
M. Robert Lanctôt: J'ai une autre question. Auriez-vous objection à ce qu'on utilise votre mémoire pour donner à d'autres spécialistes ou à d'autres organismes qui pourraient nous donner...
[Traduction]
Le président: C'est maintenant du domaine public et n'importe qui peut donc en prendre connaissance.
La séance est levée.