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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 23 octobre 2001

• 0932

[Traduction]

Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Je déclare ouverte cette trentième séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne à la Chambre des communes. Aujourd'hui, nous allons examiner le projet de loi C-36, la Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur les secrets officiels, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et d'autres lois, et édictant des mesures à l'égard de l'enregistrement des organismes de bienfaisance, en vue de combattre le terrorisme.

Nous avons le grand plaisir d'accueillir le commissaire Zaccardelli de la GRC et le directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, Ward Elcock.

Ces messieurs ont comparu devant notre comité à de nombreuses reprises, alors il est inutile de rappeler que nous essaierons de leur donner une dizaine de minutes pour présenter leurs observations préliminaires, pour ensuite laisser aux membres du comité la possibilité de poser des questions.

Encore une fois, bienvenue, et merci beaucoup de vous plier à notre horaire et d'être ici aujourd'hui.

Est-ce que les témoins ont décidé qui prendra la parole en premier?

M. Ward P. Elcock (directeur, Service canadien du renseignement de sécurité): Monsieur le président, je n'ai pas préparé de déclaration préliminaire, mais je pense que le commissaire en a une. Je répondrai avec plaisir aux questions.

Le président: Monsieur le commissaire.

Le commissaire Giuliano Zaccardelli (commissaire de la Gendarmerie royale du Canada): Merci, monsieur le président.

Bonjour, mesdames et messieurs.

[Français]

Bonjour, mesdames et messieurs.

[Traduction]

Je vous remercie de cette occasion qui m'est donnée d'être ici aujourd'hui pour discuter du projet de loi C-36, la loi antiterroriste qui est proposée, laquelle a été déposée à la Chambre des communes le 15 octobre dernier.

Mes observations seront brèves, mais feront ressortir trois messages importants. Premièrement, la GRC réagit avec mesure et constance à l'activité terroriste. Deuxièmement, les changements législatifs proposés permettront aux organismes d'application de la loi comme la GRC de continuer de lutter avec mesure contre l'activité terroriste. Troisièmement, tout ce que nous faisons, à la GRC, est conforme au cadre législatif du Canada et aux valeurs qui sont chères aux Canadiens.

Avant de vous parler de la réaction mesurée et soutenue à l'activité terroriste, permettez-moi de commencer par vous donner une espèce de contexte.

Qu'est-ce que l'activité terroriste? C'est une activité menée sans discernement, à l'échelle mondiale et qui a un effet déstabilisateur. Les auteurs de l'activité terroriste n'ont aucun respect pour la vie humaine. Rien ne les rebute dans leurs efforts pour atteindre leurs objectifs. L'activité terroriste est l'oeuvre de groupes et d'individus qui sont disposés à commettre des actes suicidaires de destruction de masse contre d'innocents civils. Ils n'hésitent pas à s'attacher une bombe autour de la taille pour la faire détonner, avec eux, dans un endroit choisi stratégiquement pour être le plus meurtrier et destructeur possible.

• 0935

Les groupes terroristes sont des organisations criminelles, compliquées, complexes, sophistiquées et clandestines. Les groupes terroristes ont des objectifs à long terme, et ils s'infiltrent dans la société, s'y assimilent et y placent des agents en veilleuse.

L'activité terroriste pose une menace extraordinaire pour la société, comme l'ont démontré les tragiques événements du 11 septembre. La lutte contre les activités terroristes exige des mesures extraordinaires. Depuis la tragédie du 11 septembre, l'objectif premier de la GRC a été et continuera d'être d'assurer la sécurité du public. Il y a eu prise de conscience de la nécessité de rester vigilants. Cette conscience accrue est solidement ancrée à la GRC depuis les attaques que mènent les forces américaines et britanniques sur les postes afghans depuis le 7 octobre. Cependant, nous ne nous arrêtons pas à la sensibilisation et à la vigilance.

Qu'a fait la GRC? Depuis le 11 septembre, la GRC a lancé une enquête exhaustive au pays pour déterminer si le Canada a eu le moindre rôle dans les événements de cette tragique journée. Nous nous efforçons, notamment, de déterminer s'il y a des menaces pour le Canada, émanant de l'intérieur ou de l'extérieur du pays. En outre, des groupes de travail chargés d'examiner les événements du 11 septembre ont été établis à des endroits stratégiques dans tout le pays, et ils sont composés de représentants de nos partenaires de l'application de la loi et d'organismes de renseignement et de quiconque peut contribuer à cette cause.

Des enquêtes sont aussi en cours, dont le but est de tenter d'assécher les sources de financement du terrorisme. Ces enquêtes sont de nature transnationales et nécessitent la coordination à l'échelle nationale et internationale des efforts des organismes d'application de la loi et de sécurité. Par conséquent, la GRC travaille en étroite collaboration avec ses partenaires internationaux dans toutes ses activités et, parce que les groupes terroristes sont des organisations criminelles compliquées, complexes, sophistiquées et clandestines, nos enquêtes nécessiteront un effort intensif pendant longtemps.

Notre réaction mesurée et soutenue a été appuyée, le 12 octobre, par l'annonce qu'a faite le gouvernement du Canada de l'octroi de fonds supplémentaires pour aider la GRC dans son plan de lutte contre le terrorisme. La GRC a reçu 59 millions de dollars pour de nouvelles mesures qui renforceront la capacité du Canada de prévenir et de détecter les menaces actuelles et nouvelles sur la sécurité nationale, et d'y réagir. La GRC est heureuse d'avoir reçu ce financement supplémentaire du gouvernement du Canada.

Comme je l'ai dit au Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration la semaine dernière, cet argent est utile mais la GRC et les organismes de sécurité, le SCRS en particulier, ont besoin de plus pour mieux assurer la sécurité des Canadiens au pays.

Pour ce qui est de la collaboration avec nos partenaires, sur la scène intérieure, nous avons pris certaines mesures très concrètes pour nous assurer que nos partenaires participent aux initiatives d'application de la loi qui se rapportent au terrorisme. Par exemple, tous les bureaux principaux de la GRC dans les provinces ont informé leurs partenaires provinciaux et municipaux respectifs sur les événements qui ont eu des répercussions sur leur territoire. Citons, pour donner des exemples de ces initiatives régionales, des réunions régulières des ministères provinciaux de la justice, des services de police à divers niveaux et des réunions d'information des maires, des organismes provinciaux de mesures d'urgence et des autorités aéroportuaires.

Vous pouvez voir que nous informons constamment nos partenaires et, aussi, que nous évaluons la situation de la sécurité nationale et nous modifions les besoins selon les circonstances. Nous collaborons en outre étroitement avec le solliciteur général afin de contribuer aux travaux du Comité national de la sécurité que dirige le ministre des Affaires étrangères. Nous offrons conseils et renseignements sur la meilleure manière d'assurer la sécurité publique et, bien entendu, nous fournissons de l'information et des renseignements, autant que possible, à nos partenaires internationaux, nationaux et locaux.

• 0940

Dans les circonstances actuelles, nous avons le sentiment d'avoir fait de notre mieux pour accroître la vigilance, l'état de disponibilité opérationnelle et la capacité de réaction. Cependant, la GRC appuie la nouvelle loi.

Certains disent que le cadre législatif et la capacité d'application de la loi, au Canada, suffisent déjà à faire face au péril terroriste. Les tragiques événements du 11 septembre nous ont forcés à reconnaître que ce n'est pas le cas. En dépit de nos efforts, il est apparu évident qu'il y a d'importants obstacles qui empêchent les organismes d'application de la loi comme la GRC de détecter, de dissuader et de déstabiliser les groupes terroristes. Les outils traditionnels d'enquête sont insuffisants. D'après nous, le projet de loi C-36, la Loi antiterroriste qui est proposée, stimulera grandement la capacité des organismes d'application de la loi de lutter contre le terrorisme, au pays et à l'étranger.

Pour donner des précisions, le projet de loi C-36 criminalise le financement du terrorisme, établit une procédure pour geler, saisir et confisquer les produits des activités terroristes ou des groupes terroristes. Elle nous permettra de mieux protéger les renseignements de nature délicate. Elle créera de nouveaux outils d'enquête et permettra les arrestations préventives au besoin en réaction aux menaces sérieuses que posent des groupes terroristes et les personnes capables de mener des activités terroristes. Elle donnera un moyen d'identifier les membres de groupes terroristes et de dresser leur liste.

La loi qui est proposée impose des limites aux activités policières; selon la loi actuelle, les activités policières sont sujettes aux limites imposées par la Charte des droits et libertés. Soyons bien clairs. Il ne s'agit pas, d'aucune façon, d'agir ou de nous comporter de façon qui ne soit pas conforme à la Charte des droits et libertés du pays.

En résumé, je tiens à souligner que la GRC appuie vigoureusement le projet de loi C-36. Non seulement munit-il les organismes d'application de la loi des outils nécessaires pour contribuer à la lutte contre le terrorisme, mais il prévoit aussi d'importants dispositifs de protection pour faire en sorte que l'exercice de ces pouvoirs ne soit pas uniquement à la discrétion des agents de la loi. Vous savez tous très bien que le procureur général et les juges suivent ce processus de très près.

Vous m'avez entendu à de nombreuses reprises dire qu'à la GRC, notre rôle est d'appliquer la loi et d'assurer le juste équilibre entre la protection de la société et le respect des droits individuels. Nous nous efforçons constamment de donner autant d'importance à la manière dont les choses sont faites qu'à ce qui est fait. Notre comportement, en tant qu'organisation et qu'individus, doit en tout temps être fondé sur l'intégrité, l'honnêteté, le professionnalisme, la compassion, le respect et l'imputabilité. Nos valeurs doivent refléter celles de la société canadienne et, à mon avis, elles les reflètent. Nous ne perdrons pas de vue cet important objectif.

Je vous remercie de m'avoir donné cette occasion de partager avec vous, aujourd'hui, le point de vue de la GRC sur la loi qui est proposée.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le commissaire.

Nous allons passer directement aux questions, en commençant par M. Sorenson, de l'Alliance canadienne. Vous avez sept minutes.

M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne): Merci, monsieur le commissaire et M. Elcock d'être ici ce matin. Nous apprécions le temps que vous nous consacrez. De toute évidence, vous devez être très occupé ces temps-ci et, probablement, c'est aussi une période où la GRC fait l'objet d'une attention minutieuse, tout comme le SCRS.

Monsieur le commissaire, vous avez parlé du projet de loi C-36 et vous avez dit comment il vous aiderait à vous acquitter de votre responsabilité et de celle de la GRC. Vous avez parlé d'argent. Vous avez dit que l'argent, c'est bien, mais qu'il pourrait y en avoir plus. Je voulais justement en parler.

Il y a quelques semaines, le solliciteur général a annoncé cette grosse enveloppe de financement. Il y avait, notamment, 770 000 $ pour l'équipe d'intervention d'urgence. Huit millions de dollars étaient prévus pour l'équipement de détection dans les aéroports, les postes-frontières, tous ces secteurs. Nous avons vu qu'une bonne partie de l'argent est allée là, et il y a eu aussi 1,5 million de dollars pour la prise d'empreintes et les technologies de conversion des cartes, pour améliorer le système des casiers judiciaires.

• 0945

Nous savons que beaucoup d'argent a été réservé à la technologie. Nous comprenons que les terroristes sont à la fine pointe de la technologie, et nous nous attendrions à ce qu'il en soit de même pour la GRC et les autres organismes chargés du maintien de l'ordre et de la loi dans notre pays. Cependant, aucune somme importante n'a été réservée au personnel. Nous voyons bien où l'argent est acheminé ou dirigé, vers la technologie, mais nous nous demandons quelle part de l'effectif y participera et utilisera cette technologie?

Le commissaire le sait peut-être, notre parti fait depuis longtemps pression pour accroître le financement, et c'est l'une des questions que j'ai à vous poser. Est-ce que vous allez recevoir d'autre argent, qui sera réservé à l'embauche d'agents supplémentaires de la GRC? C'est ma première question.

La deuxième se rapporte aussi à cela, en quelque sorte. L'Association canadienne des policiers a diffusé un communiqué de presse pour dire qu'elle demande au gouvernement de cesser de jouer au jeu des gobelets avec la sécurité du Canada. L'une des préoccupations soulevées est que, bien que nous puissions constater où vont toutes ces nouvelles ressources, avec tous ces agents de la GRC qui sont dans les aéroports, ces agents sont, en fait, soustraits à d'autres secteurs de préoccupation. Ils luttaient contre la criminalité. Ils luttaient, dans les communautés, contre le crime organisé. Est-il prévu d'embaucher des agents de la GRC, d'assurer leur formation pour qu'ils s'occupent spécifiquement des nouvelles menaces que pose le terrorisme?

De plus, à la lumière de nombreux articles parus ces dernières années où vos prédécesseurs commissaires de la GRC parlaient du manque de personnel, quels sont les chiffres des effectifs que nous pouvons envisager? Nous entendons parler de Regina. Il n'y a pas de nouveaux cours de formation. Ils fonctionnent déjà à plein régime. Le problème du personnel était la deuxième question que j'avais à poser au commissaire.

J'ai aussi une question pour M. Elcock. Là encore, cela concerne beaucoup le financement, et nous voyons que de 1993 jusqu'à 2000, le budget du SCRS a diminué. Depuis quelques années, il y a eu certaines augmentations marginales mais, de loin, nous n'avons surtout vu depuis six ou sept ans que des réductions des budgets.

Je voudrais seulement citer M. Elcock dans le rapport public du SCRS de 2000:

    Jusqu'ici, [le SCRS] a réussi à surmonter les difficultés en ayant recours à la gestion des risques. Cependant, les événements survenus à la fin de 1999 ont souligné à quel point il lui est important de réévaluer constamment son efficience dans le contexte actuel de la menace, surtout pour ce qui est de la répartition de ses ressources humaines. Plus que jamais, le Service doit s'appuyer sur la gestion des risques et concentrer judicieusement ses ressources sur les principaux enjeux, tout en évaluant les nouvelles menaces.

En fait, ce que dit ce rapport, c'est qu'étant donné la nature des risques, nous devons en faire un examen et recourir à la gestion des risques. Nous évaluons chaque menace à la lumière de ce concept de gestion des risques.

Vendredi dernier, le solliciteur général a annoncé l'octroi de 10 millions de dollars supplémentaires au SCRS, mais une partie infime de cette somme seulement servira au recrutement d'agents. La question que j'ai à poser à M. Elcock est la suivante: est-ce que le SCRS a suffisamment d'agents pour analyser les renseignements que nous avons reçus? De plus, à propos de cette technologie, dans un rapport, on lit que nous avons une montagne d'information et pas assez d'analystes pour l'examiner. Ma question concerne les analystes compétents qu'il faut pour examiner cette montagne d'information.

Monsieur Zaccardelli.

Comm. Giuliano Zaccardelli: Monsieur le président, je pense me souvenir des deux éléments de cette question. Bien évidemment, nous sommes très heureux des ressources que nous a accordé le gouvernement. Ce n'est pas que pour les activités terroristes; cela fait plusieurs années déjà que le gouvernement nous accorde d'importantes augmentations de nos ressources.

La somme spécifique dont vous parlez, comme je l'ai dit, est d'environ 64 millions de dollars, et ce n'est pas seulement que pour un secteur. Nous avons adopté une approche équilibrée, et elle n'est pas axée que sur la technologie. Il y a la technologie, l'infrastructure et aussi les ressources humaines, mais il est aussi très clair que le gouvernement a dit—et M. MacAulay l'a dit clairement—que ce n'est qu'une première vague. C'est la première phase. Nous discutons activement, en ce moment, d'autres ressources, et j'en suis très heureux.

Est-ce qu'il m'en faudrait plus? Oui, bien sûr. Le gouvernement, comme je l'ai dit, a été très sensible à nos besoins tandis que nous faisons face à cette situation.

• 0950

Nous augmentons l'effectif de l'organisation en fonction des ressources que nous recevons, mais il est aussi très important que nous collaborions étroitement avec d'autres ministères, d'autres organismes, comme le SCRS, par exemple, depuis le 11 septembre. Nous n'avons d'ailleurs probablement jamais examiné le problème sous cet angle auparavant. Nous nous sommes adressés à d'autres organismes fédéraux et à nos partenaires provinciaux et municipaux. Nous nous appuyons sur ces ressources collectives dans l'intérêt de la sécurité du Canada dans son ensemble.

Oui, il y a plus de ressources, mais l'utilisation qui est faite de ces ressources est aussi très importante, et nous avons réellement fait de grands progrès en la matière. Je suis très heureux de ce que j'ai, mais il nous faut d'autres ressources, et c'est à l'étude.

Vous avez parlé de gestion des risques, et je suis sûr que M. Elcock l'expliquera très clairement. Nous oeuvrons dans le domaine de la gestion des risques. C'est notre affaire. Nous n'avons jamais eu les ressources suffisantes pour faire tout ce que nous voulions faire, mais nous tenons à nous assurer d'avoir les meilleurs renseignements qui soient. Ainsi pourrons-nous savoir ce qui se passe et réagir de façon proactive aux situations afin de pouvoir affronter les crises les plus graves que connaît l'organisation.

Oui, nous avons redistribuer nos ressources, mais c'est la nature même de la gestion des risques. Nous avons redéployé certaines ressources de certains secteurs de nos activités ou de certaines régions du pays pour faire face à cette grave menace. C'est ce qu'on attend de nous. C'est ce que M. Elcock et moi faisons quotidiennement, c'est-à-dire équilibrer ces ressources de manière à répondre le mieux possible aux besoins du pays. Je suis tout à fait convaincu que nous faisons de notre mieux.

Je le répète, et je l'ai déjà dit souvent, les Canadiens sont les citoyens les plus en sécurité du monde, et c'est grâce aux services de renseignement du pays et de ses organismes d'application de la loi.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Sorenson.

Monsieur Elcock, aviez-vous un commentaire?

M. Ward Elcock: Je voudrais seulement ajouter quelque chose à ce qu'a dit le commissaire. Comme cela a été mentionné dans la question, nous avons effectivement reçu des fonds supplémentaires la semaine dernière. Ce n'est qu'un financement à court terme. Comme l'a dit le commissaire, le gouvernement est en train d'examiner d'autres demandes de notre part et de celle d'autres organisations, et il doit prendre des décisions très bientôt en matière d'octroi de ressources additionnelles, de financement à plus long terme.

Le président: Merci beaucoup.

Madame Venne.

[Français]

Mme Pierrette Venne (Saint-Bruno—Saint-Hubert, BQ): Merci, monsieur le président. Messieurs, bonjour.

La semaine dernière les médias ont rapporté l'histoire intéressante d'un certain individu qui s'appelle Abdellah Ouzghar, et j'aimerais vous situer le contexte. Ouzghar a été condamné par contumace à cinq ans d'emprisonnement en avril dernier par le Tribunal correctionnel de Paris pour, entre autres, association de malfaiteurs ayant pour objet de préparer un acte terroriste. INTERPOL avait déjà émis deux mandats d'arrestation internationaux contre Ouzghar, et ces mandats faisaient mention de son adresse à Hamilton.

Selon la Loi sur l'extradition, la GRC devait procéder à l'arrestation temporaire de cet individu pour que la France puisse subséquemment faire une demande d'extradition. Pourtant, il a fallu un peu plus d'un an après l'émission du premier mandat d'arrestation et presque six mois après sa condamnation en France pour que la GRC procède finalement à son arrestation, le 12 octobre dernier.

Considérant que les nouvelles dispositions du projet de loi C-36 quant à la détention préventive à la suite d'une arrestation sans mandat semblent être, au dire de quelques-uns, un outil nécessaire pour que les autorités policières puissent effectuer une lutte efficace au terrorisme, pouvez-vous, monsieur Zaccardelli, nous dire en quoi le traitement de cette affaire aurait été différent si le projet de loi C-36 avait été en application lorsque INTERPOL a émis son premier mandat?

Comm. Giuliano Zaccardelli: Je n'aurais pas commenté si cela avait été différent, mais je peux vous dire, premièrement, que quand il y a une demande d'arrestation venant d'un autre pays, ce n'est pas la GRC qui doit réagir immédiatement. La France doit faire une demande au Canada. Cette demande vient au ministère de la Justice, et après que le ministère de la Justice a fait une révision de la demande, et si la demande, française dans cet exemple, répond à l'exigence de la loi canadienne, le ministère de la Justice va nous demander d'essayer d'arrêter cette personne-là.

Dans tous ces événements, il faut toujours respecter la loi canadienne, la Charte canadienne. Il n'y a pas d'exceptions. Le fait qu'INTERPOL fait une demande d'arrestation ne veut pas dire qu'on peut immédiatement arrêter cette personne. Il faut que cette demande soit transmise au ministère de la Justice, et après que le ministère s'est assuré que cela répond à la loi, on peut réagir.

Maintenant, on parle du projet de loi C-36. Bien sûr, il faut prendre en considération tous les faits. Chaque cas doit être examiné individuellement. Alors, qu'est-ce que ça prend? Ce n'est pas la GRC qui va réagir immédiatement. Comme la loi le dit clairement, il faut que le procureur général soit impliqué et il faut qu'on fasse une demande devant un juge. La GRC n'a pas le pouvoir de réagir sans obtenir l'approbation du ministre et de la cour. Ça, c'est très important.

• 0955

Mme Pierrette Venne: Alors là, vous nous dites que c'est le ministère de la Justice qui s'est traîné les pieds.

comm. Giuliano Zaccardelli: Non, non, ce n'est pas tout à fait ce que j'ai dit.

Mme Pierrette Venne: Ah, bon! J'ai compris.

Comm. Giuliano Zaccardelli: J'ai dit qu'il y a un processus, et il faut qu'on suive ce processus. Il faut toujours respecter les lois.

Mme Pierrette Venne: Alors, ma deuxième question est toujours en relation avec la détention préventive et l'arrestation sans mandat. Le nouveau paragraphe 83.3(4) proposé du Code criminel mentionne que:

    l'agent de la paix, s'il a des motifs raisonnables de soupçonner que la mise sous garde de la personne est nécessaire afin de l'empêcher de commettre un acte criminel dont l'élément matériel—acte ou omission— constitue également une activité terroriste, peut, sans mandat, arrêter la personne et la faire mettre sous garde...

Pour moi, les termes «motifs raisonnables» et «soupçons» m'apparaissent difficilement conciliables. Je dirais même qu'il s'agit d'un oxymoron. D'ailleurs, la littérature juridique reconnaît, par exemple, que dans le cas de l'émission d'un mandat de perquisition dans un lieu, l'obtention du mandat ne peut se faire sur la base de soupçons, mais à partir de motifs raisonnables.

J'aimerais donc savoir tout d'abord quelle distinction vous faites, monsieur Zaccardelli, entre «motifs raisonnables» et «soupçons». Ensuite, considérant l'incompatibilité de ces deux termes, lequel sera utilisé par vos agents lorsque viendra le temps d'appliquer ce paragraphe du Code criminel?

Comm. Giuliano Zaccardelli: Premièrement, avant d'appliquer cette nouvelle loi, si on a cette nouvelle loi, on va consulter, bien sûr, les avocats de la Couronne. Sauf dans de rares exceptions, on est obligés d'aller devant la cour pour obtenir l'approbation. Alors, il y a un juge qui va réviser nos demandes. Le gendarme ne va agir sans approbation; il faut faire cette demande. Il faut avoir l'approbation du procureur général et on doit présenter cette demande au juge devant la cour. Alors, il y a des étapes qu'il faut suivre avant d'agir.

Il y a de rares exceptions. Si on doit procéder à une arrestation sans aller devant la cour, il faut présenter la personne qu'on arrête devant la cour avant 24 heures. C'est ce que dit la loi pour de rares exceptions, mais dans la majorité des cas, selon la loi, il faut qu'on ait l'approbation du procureur général et du juge.

Mme Pierrette Venne: Je vous parle spécifiquement de ce paragraphe, qui dit que c'est sans mandat et où il y a quand même une opposition entre «motifs raisonnables» et «de soupçonner». Alors, pour l'instant, vous n'avez pas de réponse à me donner, sauf que vous allez consulter le procureur du ministère de la Justice.

Comm. Giuliano Zaccardelli: Ce n'est pas le procureur de notre ministère. À la fin, c'est le juge de la cour qui va se prononcer, si on a des motifs raisonnables. Alors, c'est lui qui va décider si on a des motifs raisonnables pour procéder. Ce n'est pas la GRC ou un agent de la paix qui va agir seul. Ce n'est pas l'agent de la paix qui va décider quoi faire. Sans l'approbation de la cour, on ne peut pas procéder.

[Traduction]

Le président: Merci, madame Venne, et commissaire Zaccardelli.

Bill Blaikie, vous avez sept minutes.

M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Merci, monsieur le président.

J'ai quelques questions à poser au commissaire Zaccardelli. En ce qui concerne la disposition de ce nouveau projet de loi C-36 qui permet la détention préventive, l'arrestation préventive, ou tout autre chose, en principe, le gouvernement, tandis qu'il formulait ce projet de loi, consultait la GRC. Je me demande si vous pouviez nous dire si vous avez un dossier ou quelque autre information relativement aux types de situations que vous auriez pu prévenir si cette disposition avait existé auparavant, plutôt que maintenant seulement avec ce projet de loi.

• 1000

Y a-t-il un contexte pour justifier cette nécessité? Y a-t-il des actes terroristes particuliers qui auraient pu être prévenus dans le passé si la police avait pu appliquer cette disposition? D'où cela vient-il?

Comm. Giuliano Zaccardelli: Je ne vais pas spéculer, monsieur le président, sur le passé et tout cela. Notre position, notre appui pour ce projet de loi, découle de toute évidence de ce qui est arrivé le 11 septembre. Le monde a changé le 11 septembre, et nous devons en tenir compte. Je pense que la société canadienne a changé, elle aussi, et le gouvernement en a tenu compte.

Certaines choses arrivent dans la société, et nous y réagissons. La loi est quelque chose de vivant. Elle change régulièrement. Ce que nous essayons de faire, c'est d'établir un juste équilibre entre les lois qu'il faut à notre société pour que nous puissions vivre dans une société paisible, libre et démocratique. Le gouvernement a choisi d'examiner cet aspect. Nous avons été consultés, nous avons donné notre avis, tout comme de nombreuses autres personnes l'ont fait, tous les secteurs de la société. C'est ce que fait une société démocratique. Elle tient compte de l'avis de tout le monde, y compris de la police, et les parlementaires adoptent les lois. Après cela, nous essayons de les appliquer de notre mieux.

Comme vient de le dire Mme Venne, nous les présentons ensuite à un juge, et nous avons toutes sortes de mécanismes d'examen pour nous assurer que notre façon d'appliquer la loi est conforme à la Charte des droits et libertés du pays.

M. Bill Blaikie: Les gens se sont beaucoup inquiétés, notamment de la façon dont ce projet de loi pourrait servir à étouffer les désaccords politiques légitimes. Elle pourrait servir à désigner certains actes comme des actes terroristes, puis à intenter des poursuites alors que ces actes pourraient découler d'une situation de désaccord ou de protestation. Je parle d'actes de violence ou de dommages à la propriété qui pourraient, et devraient, autrement, être traités par le biais du Code criminel mais qui, maintenant—ou du moins, c'est ce que l'on craint— seront traités à la lumière de cette loi particulière.

Qu'en pensez-vous? Plusieurs exemples ont été donnés—par exemple, la violence associée aux grèves illégales, aux barrages routiers et aux protestations contre la mondialisation. Pouvez-vous envisager que ce projet de loi serait, de quelle que façon que ce soit, appliqué dans ce genre de situations, ou sont-elles hors de la portée de cette loi particulière?

Comm. Giuliano Zaccardelli: Eh bien, monsieur le président, je pense qu'elles sont absolument et tout à fait hors de la portée de cette loi. Cependant, je crois qu'il est important que nous posions ces questions. Je pense que c'est une question légitime, une préoccupation légitime, de s'intéresser à la manière dont cette loi sera appliquée.

Nous vivons dans le pays le plus libre et le plus démocratique qui soit. Cette mesure législative ne vise absolument pas à réprimer la dissension publique au Canada ou autre chose du genre. Elle s'attaque à des actes graves et bien précis qui remettent en question les fondements mêmes de notre société et qui essaient de la déstabiliser. Elle s'applique aux actes de violence graves; elle n'a pas pour objet de réduire la dissension ou d'empêcher la discussion dans ce pays.

Je comprends les inquiétudes qui ont été exprimées, et je tiens à dire, en tant que commissaire, que nous avons reçu des consignes claires du ministère de la Justice. Ce sont les consignes que nous avons reçues. Le projet de loi ne sera pas appliqué comme certains l'ont laissé entendre. Je comprends les préoccupations qui ont été formulées, et nous devons en discuter ouvertement. Nous devons les examiner. Cette loi vise à s'attaquer aux crimes les plus odieux qu'on puisse commettre dans une société libre et démocratique.

M. Bill Blaikie: Est-ce qu'il me reste encore du temps, monsieur le président?

Le président: Il vous reste encore quelques minutes.

M. Bill Blaikie: Je pense que cette question relève de la compétence de M. Elcock, puisqu'elle concerne la disposition du projet de loi qui doterait pour la première fois le CST d'une base législative claire. Est-ce quelque chose qui relève de...?

M. Ward Elcock: Non, monsieur le président. Je pense que le chef du CST doit comparaître devant le comité plus tard cette semaine.

M. Bill Blaikie: Mais il y a certainement un lien avec le travail que fait le SCRS, n'est-ce pas?

M. Ward Elcock: Je ne dirais pas tout à fait cela. Nos activités sont différentes. Nous collaborons ensemble, mais nos activités sont différentes.

M. Bill Blaikie: Donc, vous n'avez pas d'opinion là-dessus?

M. Ward Elcock: Pour ce qui est de...?

M. Bill Blaikie: Pour ce qui est de savoir si c'est une bonne chose ou non.

• 1005

M. Ward Elcock: L'idée de doter le CST d'une base législative, ou sinon d'une loi en bonne et due forme, fait l'objet d'un débat depuis quelque temps déjà. Le gouvernement a décidé d'aller de l'avant avec cette disposition.

M. Bill Blaikie: J'aimerais revenir, s'il me reste encore du temps, au commissaire Zaccardelli. Il est important d'explorer ce sujet plus à fond.

Je tiens à préciser qu'il n'est pas uniquement question ici de dissension pacifique légitime. Il arrive parfois, quand il y a des protestations pacifiques légitimes, que certains éléments posent des gestes de violence ou que les choses tournent à la violence sans le vouloir. C'est l'un ou l'autre.

Or, je ne propose absolument pas, quand il y a de la violence, et surtout de la violence préméditée, qu'on tolère ces actes ou même qu'on évite d'intenter des poursuites dans certains cas. Cependant, il faut se demander si les poursuites seront intentées selon la procédure suivie avant les événements du 11 septembre ou avant l'adoption de ce projet de loi, ou si elles seront intentées en vertu du projet de loi C-36, qui jette un éclairage neuf et différent sur les actes de violence.

Je me demande si vous pouvez me donner des éclaircissements là-dessus ou sur le commentaire qu'a fait la ministre, à savoir que ce genre d'activité n'est pas visé par le projet de loi. La ministre a parlé de tout acte qui inspire la terreur. Elle a utilisé, entre autres, le mot «déstabiliser». Mais ce n'est pas ce que dit le projet de loi. Il fait uniquement allusion aux gestes qui visent à intimider le public. Or, cela couvre toute une gamme de choses.

Comm. Giuliano Zaccardelli: Je suis tout à fait d'accord avec la ministre. Quand les policiers mènent des enquêtes sur des activités criminelles courantes—il ne faut pas oublier que ce projet de loi vise les activités terroristes—ils peuvent, en vertu de la loi, déposer des accusations et intenter des poursuites contre les auteurs d'actes criminels.

Dans ce cas-ci, comme il s'agit d'une situation unique, les policiers n'ont pas le pouvoir d'arrêter quelqu'un d'abord sans l'autorisation du procureur général, et ensuite sans le consentement d'un juge.

Deux autres mesures ont été prévues, et il est important de les garder à l'esprit. En temps normal, le policier peut, dans le cas d'une affaire criminelle, mener une enquête et procéder à une arrestation. Dans ce cas-ci, il ne peut pas le faire. Il doit clairement établir qu'il s'agit d'une activité terroriste grave, ce qui est tout à fait nouveau. Voilà pourquoi vous devez obtenir l'autorisation du procureur général, et ensuite le consentement du tribunal.

D'autres examens sont prévus. Comme vous le savez, la commission des plaintes du public a le pouvoir d'examiner les gestes que nous posons.

Le travail des policiers est examiné à la loupe. Je pense qu'on a su établir ici un juste équilibre. Ce qui ne veut pas dire que la question et la préoccupation que vous avez soulevées ne sont pas importantes.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Peter MacKay.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, CP/RD): Merci, monsieur le président.

Je remercie le commissaire et le directeur d'être venus témoigner. Vous traversez sans doute un des moments les plus difficiles de vos carrières, et nous sommes très heureux de vous avoir parmi nous.

Pour revenir à votre dernier point, commissaire, concernant les accusations qui peuvent être portées actuellement en vertu du Code criminel—et je pense notamment aux accusations qui ont trait à la sécurité publique, comme le meurtre, les méfaits, les actes qui perturbent les activités du gouvernement—je crains que le libellé des nouvelles dispositions ne fixe la barre trop haute pour ce qui est des critères que doivent satisfaire les policiers et les procureurs de la couronne en vue d'obtenir des condamnations. Je pense, de façon précise, au libellé qui définit l'acte qui est commis au nom d'un objectif de nature politique, religieuse ou idéologique et à la nécessité de prouver, avant d'obtenir une condamnation, que cet acte était motivé.

Je pense que les policiers, par exemple, pourraient choisir de porter des accusations en vertu des articles traditionnels—si je peux les appeler ainsi—du Code criminel, au lieu de se soumettre à ce nouveau fardeau qui les oblige, ou encore qui oblige la couronne, à prouver qu'un acte a été commis hors de tout doute raisonnable. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus.

• 1010

Pour ce qui est des ressources, vous avez dit, avec raison d'ailleurs, que nos priorités ne sont plus les mêmes. Nous avons réexaminé bon nombre d'entre elles. Je me demande si votre ministère a revu certaines de ses priorités. Je pense notamment au registre des armes à feu, alors que les policiers ont consacré tellement de temps et d'argent à sa mise en place, au dossier Airbus, qui n'a toujours pas été réglé d'après ce que je crois comprendre, à l'élimination du service de police des ports. Je me demande si la position du ministère a changé à cet égard.

Mis à part la question des ressources, vous êtes sans doute le premier à reconnaître qu'il faudra consacrer davantage de temps à la collecte de renseignements, et qu'il faudra pour cela de l'équipement neuf, des satellites, du personnel additionnel, des heures supplémentaires, des systèmes de surveillance. Vous savez ce qui s'est passé, dans l'Ouest, pendant l'enquête Wiebo Ludwig. Il était évident qu'il n'y avait tout simplement pas assez de ressources pour assurer une bonne surveillance.

Pouvez-vous nous dire si vous avez réexaminé certaines de vos priorités à la suite des événements du 11 septembre?

Comm. Giuliano Zaccardelli: Merci, monsieur MacKay.

Monsieur le président, j'adore la façon dont les parlementaires posent dix questions en une. Il est difficile pour moi de toutes les garder en tête.

Mais je vais essayer d'y répondre, monsieur MacKay. Pour ce qui est du premier point, les critères que nous devons satisfaire, il ne faut pas oublier qu'il faudra, au bout du compte, prouver au tribunal la culpabilité de la personne de sorte qu'il ne subsiste aucun doute raisonnable. C'est un outil additionnel. Ce n'est pas une panacée, puisqu'il ne nous permettra pas de régler tous nos problèmes.

Bien sûr, nous avons accès au Code criminel et à d'autres lois, mais il s'agit là tout simplement d'un outil additionnel qui nous aidera à effectuer notre travail. Nous permettra-t-il de régler tous nos problèmes? Non, sauf qu'il nous sera utile dans les quelques rares cas où nous aurons à appliquer cette loi.

Nous allons évaluer la situation et déterminer quel est le meilleur moyen de faire échec à ce type d'activité. Nous choisirons parfois d'appliquer le Code criminel, pour une raison ou une autre, mais nous évaluerons chaque cas séparément, de concert avec nos partenaires et Justice Canada, et nous choisirons la formule qui sert les intérêts des Canadiens.

Pour ce qui est des priorités, comme je l'ai déjà mentionné—et M. Elcock et moi en parlons tout le temps—oui, il est vrai que les événements du 11 septembre ont changé notre existence. Nous avons été obligés de redéfinir nos priorités. Nous avons cessé de faire certaines choses que nous faisions avant le 11 septembre. Mais cette question est passée en tête de liste, et elle y restera jusqu'à ce que nous soyons en mesure de régler la situation sur le terrain.

Nous faisons des compromis. Je modifie les priorités tous les jours. Certaines passent en tête de liste, d'autres sont reléguées au second plan. Nous le faisons en collaboration avec nos partenaires. Nous essayons vraiment de coordonner nos efforts.

Y a-t-il des choses qu'on a laissées de côté? Oui, et je gère ce risque. Y a-t-il des choses qui vont finir par être oubliées? J'espère que non, mais c'est possible. Nous essayons d'attribuer le gros de nos ressources aux problèmes plus graves auxquels nous sommes confrontés.

M. Peter MacKay: Merci de la réponse.

Monsieur le directeur, toujours dans le même ordre d'idées, il semble que les lois antérieures comportaient des lacunes, surtout en ce qui a trait à la criminalisation des actes terroristes et le financement du terrorisme.

La collecte de renseignements à des fins préventives semble être une nouvelle priorité, et c'est quelque chose que d'autres pays envisagent de faire puisqu'il faudra y affecter des ressources. Est-ce que votre ministère envisage de—c'est-à-dire d'accroître la capacité que nous avons de recueillir des renseignements à l'étranger, en affectant des agents du SCRS à l'étranger auprès des ambassades qui ont d'importantes responsabilités territoriales?

Est-ce que la réaffectation des ressources, qui est récemment devenue une priorité, va vous permettre d'atteindre cet objectif? Je pense que vous avez tous les deux indiqué que vous n'avez jamais trop de ressources pour faire le travail que vous devez accomplir. Croyez-vous être en mesure de relever ce nouveau défi que représente la collecte de renseignements à l'étranger? Prévoit-on donner aux agents du SCRS les ressources dont ils ont besoin pour procéder à la collecte de renseignements?

• 1015

De façon plus précise, est-ce que votre ministère envisage de recruter des personnes qui connaissent très bien les points chauds, les régions du monde où, malheureusement, le terrorisme est le plus susceptible de prendre de l'ampleur? Comptez-vous recruter des personnes qui ont des connaissances précises du monde islamique ou musulman?

Le président: Monsieur Elcock.

M. Ward Elcock: Monsieur le président, je voudrais rétablir certains faits.

Les agents qui sont envoyés à l'étranger dans diverses missions s'occupent tout simplement de liaison ou prêtent main-forte au ministère de l'Immigration. Ils ne participent à aucune opération. Quand nous devons participer à des opérations à l'étranger, nous faisons appel au personnel qui n'est pas affecté à ces postes. Nous utiliserions les ressources que nous avons au Canada si nous devions participer à une opération à l'étranger. En fait, nous intervenons à l'étranger chaque fois que nous pensons qu'il est dans notre intérêt de le faire, et là où il est possible de recueillir des renseignements qui sont jugés utiles. La loi nous autorise à le faire et c'est ce que nous faisons depuis des années.

Pour ce qui est de la collecte de renseignements, il est clair que, dans certains cas, il s'agit là de la meilleure façon de s'attaquer à certaines cibles. Il n'y a aucun doute là-dessus. Toutefois, ces opérations sont, par définition, plus coûteuses, plus dangereuses et beaucoup plus risquées que d'autres, de sorte que notre participation est fonction des ressources que nous avons. Pour ce qui est de savoir si nous aurons droit à des ressources additionnelles, le gouvernement examine toujours la question. Sa décision déterminera, dans une certaine mesure, l'orientation future de nos opérations.

Le président: Monsieur Myers.

M. Lynn Myers (Waterloo—Wellington, Lib.): Merci monsieur le président.

Je tiens d'abord à remercier M. Elcock et le commissaire Zaccardelli d'être venus aujourd'hui.

Monsieur le commissaire, vous avez dit, dans votre déclaration liminaire, que vous cherchiez à trouver une solution durable et équilibrée qui tient compte des valeurs chères aux Canadiens. Vous envoyez un message très clair au peuple canadien, et je tiens à vous remercier pour cela. Nous traversons des moments difficiles. Il y a beaucoup d'hystérie et, dans certains cas, de la paranoïa. Il y a d'autres émotions aussi qui sont en jeu.

Je tiens à vous féliciter. Depuis le 11 septembre, chaque fois que je vous ai vu à la télévision, par exemple, vous avez donné l'impression d'adopter une approche axée sur la stabilité et le bon sens. Vous faites preuve d'un très grand sérieux, comme il se doit, et je pense que c'est très important.

J'aimerais vous poser deux questions. La première porte sur la détention préventive, soit l'article 83.3, et la deuxième, sur les investigations, soit l'article 83.28.

D'abord, ces mesures sont nouvelles. Ensuite, certaines personnes soutiennent qu'elles sont exceptionnelles et qu'elles vont peut-être trop loin.

Je veux savoir si, d'après la Charte, d'après l'article premier de la Charte, ces mesures sont en fait appropriées et raisonnables, compte tenu de ce qui se passe au sein de la société... Je vous demande de confirmer, aux fins du compte rendu, que c'est bien là votre position. Je pense vous avoir entendu dire que vous les trouviez appropriées, parce que vous appuyez le projet de loi. Il est important de préciser, aux fins du compte rendu, que ces mesures sont conformes à la Charte, qu'elles sont raisonnables compte tenu de ce qui se passe au sein de la société.

Ensuite, puisque ce sujet a fait l'objet d'un débat public, j'aimerais vous demander si certaines mesures devraient faire l'objet d'une clause d'extinction ou encore d'un examen parlementaire, examen qui, d'après le projet de loi, devrait avoir lieu dans les trois ans suivants l'entrée en vigueur de la loi. À votre avis, est-ce que cet examen devrait avoir lieu plus tôt ou plus tard? J'aimerais savoir, aux fins du compte rendu, si certaines de ces mesures devraient, selon vous, faire l'objet d'une clause d'extinction ou d'un examen parlementaire, comme le prévoit le projet de loi.

Comm. Giuliano Zaccardelli: Monsieur le président, je ne suis ni avocat, ni juriste. Je ne suis pas non plus un spécialiste de la Charte ou de l'article premier. En tant que commissaire et profane, je peux dire que j'appuie indubitablement ces deux mesures, parce qu'il s'agit de mesures nouvelles qui nous donnent certains pouvoirs supplémentaires.

En tant que commissaire et non-juriste, je crois que ce projet de loi est bien équilibré. Il précise qu'un policier doit obtenir l'autorisation du procureur général avant d'intervenir, et que cette décision doit être examinée par un juge. Ces deux mesures sont très rassurantes. Elles servent de garantie.

• 1020

Je suis conscient des préoccupations que soulèvent bon nombre de ces questions, comme je l'ai déjà indiqué à M. Blaikie, mais je pense que ce projet de loi est équilibré. Je suis en faveur de ces mesures.

Ce sont plutôt les détails qui posent problème. Ce qui compte le plus, c'est la façon dont les mesures seront appliquées. Nous avons déjà commencé à former des gens dans ce domaine. Il est important que les policiers comprennent qu'il s'agit là de mesures extraordinaires qui s'appliquent à des circonstances et à des situations extraordinaires. Je pense que nous allons réussir à trouver un juste équilibre, et que ces mesures ne seront appliquées que dans des circonstances très rares.

Pour ce qui est de votre deuxième point, il n'y a pas vraiment, si je ne m'abuse, de clause d'extinction. La loi fera l'objet d'un examen. Encore une fois, cela ne pose aucun problème en ce qui me concerne. J'aimerais dire que cette situation n'existera plus dans trois ans. Toutefois, tout indique que les démocraties vont être obligées de composer avec celle-ci pendant un bon moment.

Je suis certainement d'accord avec l'idée de soumettre les lois à un examen. Toutes les lois devraient faire l'objet d'un examen. Toutefois, il faut que ces examens tiennent compte des besoins des organismes d'exécution de la loi. Mais tous ces facteurs seront analysés lors de l'examen de la loi, que celui-ci ait lieu dans trois ans ou dans cinq ans.

M. Lynn Myers: Monsieur le président, je tiens à préciser que certains soutiennent qu'il existe bel et bien une clause d'extinction, que la révocation de la loi sera automatique. D'autres soutiennent, et beaucoup de personnes laissent entendre, qu'il devrait y avoir un examen parlementaire. Donc, si j'ai bien compris, vous êtes d'accord avec la tenue d'un tel examen.

Comm. Giuliano Zaccardelli: C'est aux parlementaires de décider. Je ne fais qu'appliquer la loi. J'ai hâte d'assister au débat sur la question.

M. Lynn Myers: Enfin, monsieur le président, je suis heureux de voir que le directeur et le commissaire ont l'intention de demandes des fonds additionnels au gouvernement. Comme vous le savez, nous avons consacré, au cours des dernières années, environ 1,5 milliard de dollars aux mesures de sécurité. Nous avons investi des millions récemment dans celles-ci.

Comme vous l'avez indiqué, commissaire, les temps ont changé et les priorités aussi. Vous avez soulevé de très bons points. J'espère que nous finirons par prendre les bonnes décisions pour ce qui est de l'octroi de ressources additionnelles.

Le président: Merci, monsieur Myers.

Monsieur Cadman.

M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.

Ma question s'adresse au commissaire Zaccardelli. Vous avez dit que vous étiez d'accord avec la réaction du gouvernement. Votre prédécesseur, M. Murray, s'est plaint à maintes reprises du manque de ressources qu'ont entraîné les compressions successives. Je veux savoir si le gouvernement, en réagissant comme il l'a fait, ne fait que rétablir le niveau de ressources. S'agit-il d'argent neuf, et est-ce que ces ressources sont suffisantes? Autrement dit, est-ce qu'on a tout simplement rétabli ce qui avait été coupé dans le passé, ou est-ce que l'argent neuf?

Comm. Giuliano Zaccardelli: Les fonds additionnels qui ont été octroyés aux organismes d'exécution de la loi au cours des dernières années ne visaient pas, à mon avis, à rétablir les niveaux antérieurs, parce que ce genre de chose, à mon avis, est impossible. Ce qu'a fait le gouvernement, et ce que nous avons essayé de faire, c'est de regarder vers l'avenir. Nous avons, au cours des dernières années, examiné notre situation, présenté des demandes au gouvernement et obtenu des réponses.

Or, notre situation n'est plus la même depuis les événements du 11 septembre. Nous avons présenté une demande au gouvernement, et il a répondu. Ainsi que l'a indiqué M. Elcock, nos ressources ont augmenté. Avons-nous besoin de fonds additionnels? Je pense que oui, mais le gouvernement a indiqué clairement qu'il se penche là-dessus, qu'il examine nos requêtes de près. Je suis convaincu que nous allons être traités de façon juste. Oui, j'aurais besoin de fonds additionnels, mais on est en train d'examiner la question en ce moment même.

Les fonds que nous avons reçus ces deux ou trois dernières années n'ont pas servi à... parce qu'on ne peut jamais retourner en arrière. Ces fonds ont été utilisés à d'autres fins. Ils ont servi à répondre à des situations nouvelles qui résultent des moments difficiles que nous avons connus. Je suis satisfait de ce qui a été fait.

• 1025

M. Chuck Cadman: J'ai une autre question, commissaire. Pouvez-vous nous dire si les membres de la GRC participent à des missions d'interdiction à l'étranger et, si oui, combien de personnes prennent part à ces activités?

Comm. Giuliano Zaccardelli: Je m'excuse, je n'ai pas bien saisi la question.

M. Chuck Cadman: Des missions d'interdiction à l'étranger, dans d'autres pays. Je veux savoir s'ils participent à de telles missions en vue d'empêcher que certaines situations ne se produisent au Canada.

Comm. Giuliano Zaccardelli: Nous sommes basés au Canada, mais nous intervenons dans le monde entier. Nous menons des enquêtes criminelles en coopération avec les autorités policières de partout au monde en fonction du pouvoir juridique qui nous est conféré au Canada. J'ai constamment des gens qui font des enquêtes criminelles dans le monde entier.

Je ne peux donc pas en préciser la nature, mais nous le faisons régulièrement dans le monde entier.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Cadman.

Monsieur McKay.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Merci, monsieur le président.

Merci à vous deux d'être présents ce matin. Je remercie en particulier M. Elcock pour son éloquente déclaration liminaire.

Des voix: Oh, oh!

M. John McKay: Le paragraphe 83.05 qui est proposé vise l'inscription des terroristes. Si je condense le processus—sans doute beaucoup trop—je dirais que vous pouvez être inscrit sur une liste des terroristes, si le solliciteur général a des motifs raisonnables de recommander à son cabinet de recommander au gouverneur en conseil que l'avis vous concernant soit publié dans la Gazette. C'est essentiellement le processus selon lequel vous êtes averti et dans les 60 jours, vous pouvez vous présenter devant un juge et répondre à un sommaire de la preuve.

Ma première question, qui s'adresse à M. Elcock, est la suivante: que voulez-vous dire par motifs raisonnables? Quels sont les critères objectifs des motifs raisonnables? Il est très clair que la plupart des membres de la société canadienne pourraient probablement assez facilement tomber d'accord sur les 10 premiers inscrits sur la liste des terroristes, tandis que des gens raisonnables pourraient bien n'être pas d'accord au sujet des 10 suivants. Les désaccords pourraient être assez importants pour le groupe d'après. La première question est donc la suivante: quels vont être les critères objectifs?

Deuxièmement, l'inscription des terroristes va-t-elle se faire en fonction de l'effet de ces derniers sur le Canada ou allons-nous simplement inscrire des groupes de terroristes en fonction des listes de nos alliés, ou davantage? En d'autres termes, allons-nous adopter une liste de la CIA, une liste britannique?

La troisième question porte sur les groupes terroristes connexes ou les groupes connexes qui servent de façade aux organisations terroristes. Je vais vous donner un exemple précis. Est-ce qu'une organisation comme l'IRA, que beaucoup d'entre nous considérons comme une organisation terroriste, ou est-ce qu'une organisation associée à l'IRA ou qui semble l'être—par exemple, le Sinn Fein—sera inscrite sur cette liste de terroristes, étant donné, en particulier, que des représentants du Sinn Fein occupent des postes au sein du gouvernement de l'Irlande du Nord?

À mon avis, ces décisions sont très difficiles, extrêmement difficiles, très problématiques dans de nombreux cas. J'aimerais vraiment savoir comment vous pouvez nous décrire ce que seront les motifs raisonnables à l'origine de l'inscription de ces entités terroristes.

M. Ward Elcock: Je crois que le concept de «motifs raisonnables de croire» est assez bien compris et assez bien inscrit dans notre droit ainsi que dans le droit britannique et américain, si bien que je ne sais pas s'il pose des problèmes particuliers.

Il s'agit de savoir dans n'importe quel cas si la preuve appuie ces motifs raisonnables de croire. C'est à nous, en premier lieu, de présenter des preuves suffisantes permettant de justifier auprès du solliciteur général qu'il existe des motifs raisonnables de croire. Étant donné qu'un processus d'appel est prévu, je suis sûr que le solliciteur général examinera les faits de près, car il ne voudra pas se retrouver dans une position où les tribunaux renverseront chaque décision relative à l'ajout d'un nom sur cette liste.

Un processus est prévu et il nous obligera à présenter des preuves qui, selon nous, définissent clairement la nature de l'organisation. Ce sera, je pense, une liste canadienne. Les organisations présentes ici ne sont pas toujours nécessairement les mêmes ailleurs, si bien que, par définition, il y aura une liste canadienne. Je suis sûr que c'est ce que le gouvernement souhaite.

Pour ce qui est des organisations de façade, il s'agit au bout du compte d'une décision qui s'appuie, de nouveau, sur le fait qu'il existe des motifs raisonnables de croire que cette organisation de façade fait effectivement partie de l'organisation terroriste ou y est associée. Il faudra répondre à ce critère. Dans un certain sens, on ne peut répondre à la question tant que l'on n'est pas saisi d'un cas précis qui pousse à se demander s'il existe des «motifs raisonnables de croire» ou non.

• 1030

Le président: Merci, monsieur McKay.

Madame Venne.

[Français]

Mme Pierrette Venne: Monsieur Zaccardelli, vous nous disiez tout à l'heure que l'article 83.3 prévoyait deux étapes préalables à l'arrestation d'une personne et que ce n'était pas l'agent lui-même qui décidait. Vous faisiez référence au paragraphe (1), qui stipule que le consentement préalable du procureur général est exigé, et au paragraphe (2), où il est question du dépôt de dénonciation devant un juge.

Pourtant, selon le paragraphe (4), c'est bien l'agent lui-même qui peut décider d'arrêter ou non un personne. Il est bien écrit que c'est l'agent qui décide d'arrêter une personne «s'il a des motifs raisonnables de soupçonner» qu'elle va commettre une activité terroriste, qu'elle n'a pas encore commise d'ailleurs. Dans ce cas, il peut l'arrêter «en vue de la conduire devant un juge».

Donc, c'est vraiment l'agent de la paix qui décide dans un tel cas, et je tenais à ce que vous le souligniez. C'est lui qui va devoir décider s'il a des motifs raisonnables d'avoir des soupçons.

Donc, je vous pose à nouveau ma question. Comment va-t-il interpréter certains signes ou quelles directives allez-vous lui donner pour déterminer quels sont les motifs raisonnables de soupçonner?

Comm. Giuliano Zaccardelli: Il est bien évident que nous donnerons des directives. Nous aurons des consultations avec nos avocats. Ceux-ci nous aideront à interpréter la loi. Ce qui compte, c'est que la personne doit être amenée devant un juge dans les 24 heures. C'est ce qui est important.

Mme Pierrette Venne: Mais elle a été arrêtée cependant.

Comm. Giuliano Zaccardelli: Oui, et c'est important. Mais, il faut bien que quelqu'un engage le processus. C'est pour cette raison que, dans notre système, l'agent de la paix doit décider, si son interprétation de la loi est très claire. Vous avez absolument raison sur ce point.

Mme Pierrette Venne: D'accord, merci.

Je voulais savoir si, dans un contexte comme celui-là, un agent de la paix aurait pu dire, au Sommet des Amériques à Québec, qu'il avait des motifs raisonnables de soupçonner qu'un tel manifestant était sur le point de commettre un acte terroriste. Est-ce que ça aurait pu être le cas?

Comm. Giuliano Zaccardelli: Non, mais tout peut arriver. Est-ce qu'il y a un agent de la paix...?

Mme Pierrette Venne: Ce n'est pas rassurant.

Comm. Giuliano Zaccardelli: Je comprends. Mais, il faut qu'au début un agent de la paix placé dans une situation donnée croie que quelqu'un va commettre un acte de terrorisme et qu'il doit réagir. Il doit, cependant, toujours appliquer la loi en respectant la Charte des droits, madame Venne.

Mme Pierrette Venne: Oui, ça, je le sais que c'est toujours en respectant la Charte des droits.

Je vais m'adresser maintenant à M. Elcock. Les engagements prévus dans le mandat du Service canadien du renseignement de sécurité doivent évidemment être respectés. Vous devez prévenir le ministère et les organismes gouvernementaux des activités que vous avez des motifs raisonnables de soupçonner qu'elles constituent des menaces pour la sécurité du pays. Si vous recevez des menaces contre la sécurité du pays, vous devez transmettre ces renseignements. Premièrement, à qui devez-vous les transmettre?

Faisons l'hypothèse que vous obtenez des renseignements à l'effet que la sécurité nationale est compromise. À qui, encore une fois, allez-vous transmettre ces renseignements pour qu'une action immédiate soit prise pour pallier cette menace? J'aimerais savoir, vraiment et en termes concrets, qui va devoir agir.

[Traduction]

Le président: Monsieur Elcock.

M. Ward Elcock: Monsieur le président, cela dépendrait entièrement de la nature des renseignements. Si, par exemple, il s'agit de renseignements relatifs à une menace portée contre un avion ou un vol régulier de passagers, ces renseignements devraient être fournis à Transports Canada, entre autres, mais à Transports Canada en particulier, à qui l'on remettrait une évaluation de la menace, non seulement les renseignements, mais une évaluation de la précision et de la fiabilité des renseignements, etc., afin que ce ministère puisse prendre les mesures requises, y compris peut-être rehausser les exigences de sécurité pour le vol en question ou prendre toute autre mesure jugée pertinente. La même chose s'appliquerait dans d'autres domaines. Cela dépend de la nature des renseignements et du domaine visé.

• 1035

[Français]

Le président: Merci, madame Venne, et maintenant,

[Traduction]

Monsieur Owen, trois minutes.

M. Stephen Owen (Vancouver Quadra, Lib.): Merci, monsieur le directeur, monsieur le commissaire.

Permettez-moi de nuancer la question de Mme Venne et d'examiner la situation particulière où l'on retrouve de telles exigences. Je vais peut-être poser cette question à vous, commissaire Zaccardelli. Le policier qui soupçonne qu'une activité terroriste va survenir procède à une arrestation préventive. Nous allons ensuite à la définition d'activité terroriste, car bien sûr ses soupçons doivent se rapporter à cette activité terroriste, et nous examinons donc les diverses conditions énoncées à l'alinéa 83.01(1)b) proposé.

Tout d'abord, comme l'a indiqué M. MacKay, les objectifs visés peuvent être religieux, idéologiques ou politiques. En fait, je n'ai pas de problème, contrairement à lui, pour ce qui est de prouver la motivation. À mon avis, ces genres de groupes ont tendance à s'emballer lorsqu'ils expriment leur motivation dans des manifestes ou lorsqu'ils revendiquent la responsabilité d'actes terroristes, etc.

Lorsque nous passons tout cela en revue et lorsque nous examinons le sous-alinéa 83.01(1)b)(i)(B), un acte pourrait être commis en vue d'intimider une partie de la population quant à sa sécurité sur le plan économique, et si l'on passe au sous-alinéa 83.01(1)b)(ii)(E), il est question d'un acte qui vise à perturber gravement des services. Dans cet article proposé, les perturbations graves sont définies comme protestation ou manifestation d'un désaccord ou arrêt de travail licite, etc. Cela me porte à croire qu'il existe peut-être des moyens licites de perturber gravement des services et, en pareil cas, il doit exister des moyens illicites de le faire. Ces moyens illicites pourraient être l'intrusion, le méfait et toutes les autres infractions prévues en vertu du Code criminel.

On a laissé entendre que le fait de qualifier de «licite» une protestation pourrait donner lieu à de telles activités. Cela pourrait déclencher une arrestation sans mandat pour des activités que nous considérons traditionnellement peut-être comme non licites, mais comme faisant au moins partie de la culture de désobéissance civile qui s'inscrit dans le contexte politique de notre démocratie. Ma question qui s'ajoute à celle de Mme Venne est donc la suivante: comment protéger une personne qui participe à des actes de désobéissance illicite, mais de désobéissance civile, susceptibles de perturber l'intérêt économique d'un segment de la population?

À mon avis, on ne résout pas cette question importante en amenant obligatoirement cette personne devant un juge dans les 24 heures qui suivent. Il s'agit en fait de 24 heures ou d'une période ultérieure sans délai; cela pourrait être plus que 24 heures. Toutefois, dans notre société, il est très grave de pouvoir procéder à l'arrestation d'une personne sans porter d'accusation ou sans mandat, même si ce n'est que pour une durée limitée. Je me demande comment vous interprétez pour vos policiers ce paragraphe a) lorsque le comportement de la personne en question est clairement illicite, mais lorsqu'il s'agit d'un comportement auquel on ne peut probablement pas réagir facilement en vertu d'autres articles du code et des usages policiers.

Le président: Merci, monsieur Owen.

Commissaire Zaccardelli.

Comm. Giuliano Zaccardelli: Monsieur Owen, au sujet de votre dernier point relatif à l'arrestation, je dirais de nouveau que la police procède souvent à des arrestations avant de porter une accusation. Nous ne portons pas immédiatement une accusation au moment de l'arrestation. Nous procédons à l'arrestation de quelqu'un qui, selon nous, a commis une infraction, ou dans certains cas, lorsque la personne en question a, selon nous, commis une infraction clairement définie aux termes de la loi actuelle.

M. Stephen Owen: C'est donc une infraction que l'on soupçonne.

Comm. Giuliano Zaccardelli: C'est un nouvel élément qui est prévu et c'est très clair. Vous avez absolument raison, mais je le répète, le policier doit, comme dans tous les cas, comprendre la loi et l'appliquer dans les limites de la Charte. C'est très clair. Des sauvegardes claires sont prévues comme la comparution dans les 24 heures, l'autorisation obligatoire du procureur général, la comparution devant un juge, etc. Tout est prévu.

Cela ne vise pas la manifestation licite d'un désaccord. Cette mesure législative ne vise même pas les rassemblements illicites ou la perturbation de conférences. Il est clair que ce n'est pas l'intention de cette législation.

• 1040

Quelqu'un a cité l'exemple du Sommet de Québec. Avec tout le respect que je vous dois, je n'ai rien vu au Sommet du Québec qui se rapprocherait du genre d'activités que vise cette mesure législative.

Cela ne veut pas dire que de telles activités n'auraient pas été possibles. Une émeute n'entraînerait pas l'application de ce genre de loi. Il s'agit d'une loi qui doit être utilisée dans les cas les plus graves, lorsqu'il existe une menace réelle ou grave de préjudice causé à des personnes et à des biens, qui irait jusqu'à déstabiliser notre société démocratique dans certains cas.

À mon avis, on aura très rarement recours à ce genre de loi. Je prendrai même la liberté de dire que je ne prévois pas que des policiers-patrouilleurs appliquent cette loi. Elle va être appliquée dans des circonstances très rares par des policiers hautement spécialisés, en consultation non seulement avec leurs supérieurs, mais avec l'appareil judiciaire, toutes les sauvegardes dont nous avons parlé étant prises en compte.

Il faut donc mettre cette mesure législative en contexte, mais je vous remercie pour votre question.

Le président: Merci. Nous allons vous revenir, monsieur Owen, vous avez dépassé de beaucoup votre temps de parole.

Monsieur Hill.

M. Jay Hill (Prince George—Peace River, PC/RD): Merci. J'aimerais tout d'abord poursuivre cet échange, monsieur le président.

Commissaire, vous venez juste de parler de «circonstances très rares» et si je vous ai bien compris, de «policiers supérieurs d'expérience». Je pense que beaucoup de gens ont été portés à croire que pour que cette nouvelle loi et son mode d'application puissent rendre la société plus sûre, il faut avoir des policiers bien formés qui comprennent clairement la loi. J'avais compris que n'importe quel policier pouvait appliquer cette loi s'il avait suffisamment de preuves lui permettant de croire qu'un acte terroriste allait être commis. Il me semble toutefois qu'en réponse à la question de M. Owen, vous disiez le contraire, que seuls quelques policiers choisis, ayant beaucoup d'expérience et de formation dans ce domaine, appliqueront cette nouvelle loi.

Comm. Giuliano Zaccardelli: Monsieur le président, j'aimerais effacer toute confusion que j'ai pu causer.

De toute évidence, la loi est la loi et tout policier doit l'appliquer. Il reste toutefois que nous ne parlons pas d'infractions aux règles de stationnement qui se comptent par millier chaque jour. C'est la distinction que j'essaye de faire.

Bien sûr, il s'agit de mesures très graves qui vont être prises dans le cas de situations vraiment exceptionnelles. Des enquêteurs et des agents du renseignement hautement spécialisés travaillent sur ce genre de cas. Les chances que le policier dans la rue applique cette loi—bien que, s'il est témoin d'un fait grave, il ait absolument le droit de réagir, et on s'attend à ce qu'il le fasse—sont minces et la plupart de ceux qui interviendront sont des personnes plus spécialisées et mieux qualifiées dont c'est d'ailleurs le travail.

Le président: Il vous reste une minute, monsieur Hill.

M. Jay Hill: Juste une question rapide, alors, monsieur le président.

De toute évidence, l'enquête est toujours en cours, si bien que vous êtes limité quant aux observations que vous pouvez faire, mais permettez-moi de faire mention des policiers qui font enquête à Fort McMurray. Vous me portez à croire qu'il s'agit, pour reprendre votre expression, de policiers hautement spécialisés qui viendraient de l'extérieur pour faire enquête dans ce cas particulier. Ce ne sont donc pas des policiers locaux qui mènent l'enquête à Fort McMurray?

Comm. Giuliano Zaccardelli: Non, je dis que tous les policiers peuvent intervenir à n'importe quel moment. Lorsqu'une situation survient... par exemple, qui a réagi en premier lieu aux événements survenus à New York? Les hommes et les femmes en uniforme. Par conséquent, toute une série de personnes participent et ensuite, ce sont bien sûr des enquêteurs plus sérieux et expérimentés qui mènent l'enquête.

Dans le cas de Fort McMurray, bien sûr, ce sont les policiers locaux sur le terrain qui ont réagi en premier lieu. Puis les intervenants changent en fonction de ce qu'il faut faire pour régler la situation. Dans toute situation, vous avez donc une série de personnes qui interviennent pour diverses raisons et à divers moments.

Le président: Merci, monsieur Hill.

• 1045

[Français]

Denis Paradis, vous avez trois minutes.

M. Denis Paradis (Brome—Missisquoi, Lib.): Merci, monsieur le président. Bienvenue, et merci d'être parmi nous, monsieur Elcock et monsieur Zaccardelli.

Je voudrais aborder deux ou trois points avec, peut-être, M. Zaccardelli. Le premier de ces points porte sur les aéroports. On a vu que, dans le passé, la GRC a été un peu écartée des aéroports. Elle a été remplacée par ce qu'on pourrait appeler des agences de sécurité. Compte tenu de tout ce qui se passe, entendez-vous faire quelque chose pour rétablir une présence plus nombreuse d'agents de la GRC dans les aéroports?

Deuxièmement, les postes de douane. Moi, je représente une circonscription où se trouvent huit postes à la frontière avec les États-Unis. Dans les textes qu'on nous remet, il est dit que l'an dernier, le Canada a empêché l'entrée de 21 000 personnes avec dossiers criminels en provenance des États-Unis et que les Américains ont empêché l'entrée chez eux d'à peu près 14 000 personnes en provenance du Canada.

Je ne veux pas engager une bataille de chiffres, mais dans des petits endroits comme Bedford dans les Cantons de l'Est, il y avait autrefois un poste de la GRC. Les États-Unis, de leur côté, ont des border patrols. On n'est pas, ou à peu près pas, équipés en services de police, parce que cela, comme bien d'autres choses dans la fonction publique, a été centralisé en certains lieux où le temps pour répondre et se rendre sur place est long.

Alors, sur ces deux points, monsieur Zaccardelli, j'aimerais avoir vos commentaires.

Comm. Giuliano Zaccardelli: Monsieur Paradis, concernant la présence de la GRC dans les aéroports, cela avait été une décision gouvernementale. À la toute fin, c'est le gouvernement qui va prendre la décision. C'est le ministère des Transports qui est responsable de la sécurité dans les aéroports. C'est à eux qu'il revient de décider quelle forme de sécurité doit être mise en place dans les aéroports, quelles exigences on va avoir, etc.

Je peux vous dire que depuis le 11 septembre, des discussions sont en cours et que le gouvernement est en train de réviser sa position. Aucune décision, à ce que je sache, n'a encore été prise sur ce point.

Je comprends qu'on s'inquiète, mais il ne faut pas oublier que, lorsqu'on parle d'aéroports comme ceux de Toronto et de Montréal... Par exemple, à Toronto, la police de Peel Region est responsable de la sécurité. Ce n'est donc pas qu'il n'y a aucune présence policière. La police de Peel Region est très efficace et bien capable, comme la GRC, de faire face à la situation. Alors, cela se fait. À Vancouver, par ailleurs, la GRC est toujours là parce que l'aéroport est dans le territoire dont elle est responsable.

Quant à la deuxième question que vous avez posée, je suis d'accord avec vous. On ne veut pas jouer avec les chiffres mais, à la fin, la question se pose; oui, il faut examiner ce qu'on a en place aux postes de douane à la frontière. Cependant, comme on le sait, et c'est aussi mon avis, il ne s'agit pas de placer 10 000 policiers ou 10 000 soldats tout au long de la frontière. L'important, c'est d'avoir l'information, un système de renseignements qui nous dise exactement ce qui se passe. C'est là-dessus qu'il faut travailler avec les Américains. Il faut être présents aux postes de douane avec la technologie, les agents de police et de douane nécessaires.

Et selon moi, ce qui est peut-être plus important, c'est d'avoir les ressources et des équipes multidisciplinaires qui soient capables de répondre, parce qu'elles sont informées de ce qui se passe à la frontière. Autrement, placer des policiers ou des agents à la frontière, ce n'est pas efficace. Il faut être présents, et c'est très important. Mais souvent, on entend des Américains dire qu'ils vont placer 10 000 policiers à la frontière. Ce n'est pas ainsi qu'on va répondre à la menace. Il faut avoir des équipes multidisciplinaires qui travaillent à plein temps et qui soient en mesure de répondre aux menaces les plus importantes, n'importe où, tout au long de la frontière.

Le président: Merci, monsieur Paradis et

[Traduction]

Commissaire Zaccardelli.

Monsieur Toews, trois minutes.

M. Vic Toews (Provencher, Alliance canadienne): Merci, commissaire Zaccardelli. Vous avez indiqué que vous appuyez entièrement le gouvernement à propos du projet de loi C-36 et des ressources prévues. M. Myers, secrétaire parlementaire du solliciteur général, a fait éloge de votre position, avec effusion, pourrait-on dire.

Mon problème est le suivant. Sans vouloir porter atteinte d'aucune façon que ce soit à votre intégrité—ce que je ne souhaiterais certainement pas—comme vous êtes un fonctionnaire, en fait un sous-ministre au ministère du Solliciteur général, comment les membres de ce comité peuvent-ils être assurés que votre opinion reflète votre jugement indépendant en tant que policier compétent, plutôt que simplement en tant que bureaucrate très talentueux qui suit les instructions ou les ordres de son ministre?

• 1050

En raison des pouvoirs vastes et considérables que confère le projet de loi C-36 à la police, n'est-il pas crucial qu'une distinction claire et nette soit établie entre la GRC et le gouvernement—le ministre en particulier—comme le recommande le juge Hughes dans le rapport APEC? J'ai de gros problèmes à propos des pouvoirs conférés à la police, lorsqu'une telle distinction n'existe pas entre vos maîtres politiques et vos fonctions policières.

Comm. Giuliano Zaccardelli: Monsieur le président, c'est une question fort importante et je vais essayer d'y répondre de la façon la plus détaillée possible. Comme vous l'avez fort bien dit, je suis un fonctionnaire et non un représentant élu. Je relève du ministre, et par l'entremise de ce dernier, du Parlement. C'est très important; je dois constamment rendre compte au ministre de la façon dont je dirige l'organisation, dont j'utilise les ressources, etc.

En tant que commissaire—et agent de la paix, ce qui me confère mon pouvoir—je jouis d'une certaine indépendance qui est reconnue en droit dans le système britannique du Commonwealth dans lequel nous fonctionnons, plus ou moins. Cela signifie que dans le cadre des opérations, on ne peut pas me donner d'ordres ni me dire que faire dans le domaine des enquêtes, des arrestations, etc. Dans ce domaine, je suis clairement indépendant du ministre et du gouvernement. Personne ne peut me donner d'ordres dans ce domaine.

M. Vic Toews: À cet égard, c'était certainement la position du gouvernement à propos de l'APEC; or le juge Hughes est clairement arrivé à des conclusions contraires, indiquant que le politique s'était rendu coupable d'ingérence dans les opérations de la GRC. Nous ne traitons pas uniquement de la question de l'APEC; nous traitons des pouvoirs législatifs très vastes et considérables qui vous sont conférés. Je respecte la GRC et je veux faire tout ce qui est possible pour améliorer votre crédibilité et vous protéger non seulement vous en tant qu'agence, mais également pour protéger la sécurité et les droits civils des Canadiens.

Comm. Giuliano Zaccardelli: Et bien, monsieur, je vous remercie de nouveau pour vos observations, mais je peux vous assurer que dans aucun cas ai-je jamais reçu d'ordres ou d'instructions à propos des opérations ou des enquêtes menées par la GRC. De toute évidence, il existe un rapport entre la GRC et moi-même, le commissaire, puisque je relève du ministre, comme je l'ai déjà dit. Il y a un rapport entre le gouvernement et la GRC, mis à part les enquêtes de nature purement criminelle.

Lorsque nous parlons de conférences importantes, comme celles du G-8 ou du Sommet de Québec par exemple, c'est le gouvernement du Canada qui prend la décision d'avoir une conférence. J'ai la responsabilité d'assurer la sécurité pour cette conférence; de faire en sorte que les représentants élus peuvent se rencontrer dans la paix et la sécurité. J'ai également l'obligation de faire en sorte que le public qui est là pour manifester ou exprimer pacifiquement ses opinions jouisse du même genre de sécurité, sécurité que j'assure. Il est parfois difficile de parvenir à cet équilibre si l'on en croit ce qui s'est passé dans le monde, mais nous essayons de faire le mieux possible.

Dans ces circonstances—et je suis parfaitement au fait des recommandations du juge Hughes—il a fait deux recommandations que je n'ai pas appuyées et avec lesquelles je n'étais pas d'accord. Il a déclaré que je devrais recommander au gouvernement d'édicter mon autorité et mon indépendance. Je ne suis pas d'accord, car la common law stipule clairement que je suis indépendant et la Cour suprême a récemment indiqué, comme le confirment clairement la décision Stinchcombe et d'autres, que je suis complètement indépendant à cet égard.

Il a également dit qu'il faudrait légiférer mon autorité lorsqu'il s'agit d'assurer la sécurité à l'occasion de grandes conférences. À mon avis, c'est inutile, car l'autorité qui m'est conférée me paraît suffisante pour gérer toutes ses conférences dans une perspective de sécurité, et c'est la seule chose qui m'intéresse. Je ne vois pas de contradictions entre les propos du juge Hughes, les déclarations des tribunaux et la position que j'ai prise. Je ne reçois pas d'ordres pour ce qui est des enquêtes, mais je dois rendre compte au gouvernement de la gestion de l'organisation et de l'utilisation des ressources qui me sont affectées en tant que chef de la GRC.

Le président: Merci, commissaire Zaccardelli.

Monsieur Bryden, trois minutes.

• 1055

M. John Bryden (Ancaster—Dundas—Flamboroug—Aldershot, Lib.): Merci, monsieur le président.

Ma question s'adresse à chacun de vous. Les articles 87, 103 et 104 permettent au ministre d'interdire définitivement la divulgation de certains renseignements relatifs aux relations internationales, à la défense et ou à la sécurité—c'est-à-dire sans aucun genre d'examen indépendant mené par un commissaire à l'information ou par les tribunaux, et cette interdiction est définitive. La question que je vous pose est la suivante: vos organisations, dans le domaine de la sécurité seulement—nous parlons de sécurité nationale uniquement—font-elles des choses qui ne devraient jamais apparaître au grand jour ou qui ne devraient jamais être assujetties à l'examen du Parlement ou de quiconque à l'extérieur du gouvernement?

Le président: Je vois que vous vous battez pour répondre à cette question.

Monsieur Elcock va pouvoir répondre avec éloquence, me semble-t-il.

M. Ward Elcock: Je ne sais pas jusqu'à quel point, monsieur le président.

Il ne fait aucun doute que nous avons des renseignements dans notre système, des renseignements qui proviennent de sources étrangères, dans certains cas.

M. John Bryden: Lesquelles?

M. Ward Elcock: Eh bien, vous ne pouvez penser à une situation de sécurité nationale sans penser à des sources étrangères, surtout dans notre pays. Dans de nombreux cas, beaucoup de renseignements proviennent de sources étrangères et ont été recueillis par nous-mêmes ou par d'autres. Il est inévitable que tout finit par se mélanger dans le système, si bien que l'on ne peut faire de distinction.

Au bout du compte, il s'agit de décider si une telle disposition s'applique au gouvernement et non à nous, mais il est clair que, de notre point de vue, il est essentiel de protéger ces renseignements.

Comm. Giuliano Zaccardelli: Je suis complètement d'accord avec ce que vient de dire M. Elcock. De toute évidence, pour ce qui est de l'application de la loi, il y a des situations où il n'est probablement pas aussi vital de protéger certains renseignements—et je ne suis pas spécialiste dans ce domaine—de telles situations ne se produisant pas aussi souvent, mais il y a bien sûr des situations où, du point de vue de l'application de la loi, nous devons protéger certains renseignements de la divulgation complète comme, par exemple, dans l'affaire Stinchcombe.

Je crois toutefois qu'il faut prévoir un processus non pas qui vise à protéger les renseignements mais qui permette à certains juges, ou à certains tribunaux, d'avoir accès à ces renseignements, tout en garantissant que cette divulgation ne dépasse pas les limites prévues. C'est une délicate question d'équilibre, mais certaines situations exigent... Des vies peuvent être mises en jeu dans des situations qui exigent des restrictions en matière de divulgation.

M. John Bryden: Je ne m'inquiète pas au sujet des restrictions, je serais plutôt d'accord, mais la question qui se pose en fin de compte est la suivante: Faudrait-il prévoir la non-divulgation définitive des renseignements relatifs à la sécurité nationale? Je comprends qu'il s'agit de renseignements étrangers, mais nous parlons ici d'un article prévoyant une non-divulgation définitive—et non pendant 50, 75 ou 100 ans.

Est-ce là, monsieur Elcock, une mesure que vous estimez vraiment nécessaire?

M. Ward Elcock: En fin de compte, monsieur le président, ce sont les parlementaires, non pas nous, qui décideront si cette disposition est maintenue. La décision de l'inclure dans la loi est une question de principe qui incombe au gouvernement. Selon moi, il est primordial de protéger certaines informations susceptibles de mettre réellement des vies en danger ou d'embarrasser par exemple les gouvernements qui les ont fournies si cela venait à se savoir. Donc, j'estime effectivement essentiel de protéger ce type d'information.

Le président: Je vous remercie monsieur Bryden, monsieur le commissaire et monsieur le directeur.

M. Hill a la parole pour trois minutes.

M. Jay Hill: Je voudrais soulever un autre point. De toute évidence, depuis la tragédie du 11 septembre, l'une des grandes préoccupations est la sécurité de tous les citoyens canadiens. Il nous suffit de jeter un coup d'oeil sur la Colline parlementaire pour constater le renforcement de la sécurité. Je suis certain que la plupart d'entre nous sont en faveur de ces mesures.

Cependant, des commettants se demandent d'où proviennent les ressources nécessaires pour multiplier le nombre de gendarmes sur la Colline parlementaire, de douaniers aux frontières et dans les aéroports et d'agents de sécurité dans les avions et ailleurs. Je crois qu'il y a maintenant des agents à bord des avions à destination de l'aéroport international Reagan, à Washington. Ne sommes-nous pas en train d'enlever à l'un ce que l'on donne à l'autre? Je ne pense pas que nous ayons en réserve beaucoup d'agents occupés à se tourner les pouces en ce moment.

Peut-être pouvez-vous m'éclairer sur ce point. A-t-on recours au surtemps? Comment faisons-nous? Y a-t-il des choses que nous faisions que nous ne faisons plus?

• 1100

Comm. Giuliano Zaccardelli: Pour répondre à votre question, toutes ces réponses sont bonnes. Il est évident que beaucoup de personnes, partout au pays, font maintenant beaucoup de surtemps et n'ont pratiquement plus de congé. Cela ne concerne pas seulement la GRC, mais aussi le SCRS, Immigration Canada, Transports Canada, les Douanes, et j'en passe. C'est ce qui arrive en temps de crise: nous réagissons à la crise en faisant le nécessaire pour assurer la sécurité des Canadiens, voilà tout.

Comme vous le mentionnez, depuis le 11 septembre, nous avons également réaffecté des personnes qui travaillaient dans des secteurs moins prioritaires. Certaines tâches moins urgentes ne sont plus effectuées comme avant, voire carrément mises de côté. Vous avez parfaitement raison.

Aucun agent n'est assis à attendre du travail. C'est la réalité, c'est la façon dont notre système fonctionne. J'observe souvent comment les choses se passent ailleurs, et j'envie certains pays qui arrivent à déployer 20 000 policiers ou agents en uniforme en claquant des doigts. Je ne peux pas en faire autant, mais je suis heureux de ne pas employer autant de personnes inactives, en attente d'un appel au travail.

Nous misons plutôt sur des renseignements fiables et sur des agents qualifiés, compétents, qui travaillent en collaboration avec tous nos partenaires importants. C'est d'ailleurs ce qui fait du Canada le pays le plus sûr au monde.

M. Jay Hill: Quand verrons-nous le résultat concret des ressources financières supplémentaires qui vous sont finalement attribuées? Combien de temps faut-il pour former un nouvel agent avant de le déployer sur le terrain? Vous pouvez peut-être nous éclairer sur ce point.

Il est évident que le redéploiement d'agents qui font de plus en plus de surtemps n'est pas une solution durable. Que se passera-t-il si la situation perdure, si la crise dure plus d'un mois? Tout le monde peut travailler d'arrache-pied pour surmonter une crise pendant un mois, mais qu'arrivera-t-il si elle se prolonge? Combien de temps faut-il avant qu'un nouvel agent qualifié soit prêt à travailler?

Comm. Giuliano Zaccardelli: Il faut calculer six mois de formation à Regina, mais cette formation est loin de suffire. Si vous recherchez un agent chevronné, fort de 20 ans d'expérience, il vous faudra 20 ans pour le former. C'est ainsi. Je suis sûr que M. Elcock est d'accord avec moi. On ne peut produire un spécialiste compétent et qualifié du jour au lendemain. Nous devons composer avec cette réalité. Nous procédons à des réaffectations, à des redéploiements, nous intensifions la formation dans la mesure où nos ressources nous le permettent. Voilà ce que nous faisons.

Je répète que le Canada se débrouille fort bien à cet égard depuis longtemps. Je suis confiant que nous sommes capables de faire face à la situation actuelle, que nous sommes capables de rassurer les Canadiens qu'en dépit du danger accru, le Canada demeure le pays le plus sûr au monde.

Le président: Monsieur le commissaire et monsieur Hill, je vous remercie.

Monsieur Maloney.

M. John Maloney (Erie-Lincoln, Lib.): Monsieur Zaccardelli, j'ai été très troublé d'apprendre, dans les médias, que les États-Unis envisagent à nouveau la possibilité de resserrer la sécurité aux frontières—il est fort probable qu'ils le feront— ce qui ralentira considérablement le passage à la frontière.

Il faudrait alors beaucoup plus de temps pour franchir la frontière. Il y a eu certes un goulot d'étranglement durant les jours qui ont suivi les attentats du 11 septembre, et l'économie canadienne en a beaucoup souffert. Vous avez dit que l'ajout de quelque 10 000 agents à la frontière ne réglerait pas le problème, qu'il était préférable d'utiliser une meilleure technologie et de mieux coordonner les ressources.

Qu'est-on en train de faire ou que pourrait-on faire pour convaincre les Américains que la prise d'autres mesures de sécurité est inutile? Avec un peu de chance, nous ne mettrions pas en oeuvre ces... tout en avouant qu'ils ont le droit de protéger leurs frontières, tout comme nous souhaitons le faire.

Comm. Giuliano Zaccardelli: Je ne suis pas sûr d'avoir la compétence voulue pour vous faire une réponse complète. Le Canada tient à avoir l'assurance que les personnes qui entrent au pays, quel que soit leur point d'origine, y ont été autorisées et ainsi de suite. Donc, les Américains vont imposer certaines conditions comme ils le font toujours, et ils ont droit de le faire. Nous devons y réagir.

Le Canada y réagit en montrant aux Américains qu'il prend la menace très au sérieux. Voilà la meilleure solution, la bonne façon de s'y prendre. Nous avons réagi avec efficacité à la demande de collaboration des Américains en partageant avec eux nos renseignements de sécurité et en travaillant de façon intégrée avec les organismes d'exécution de la loi et avec d'autres ministères.

Les Douanes travaillent beaucoup plus fort. Le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration fait beaucoup plus de travail. Il y a beaucoup de débats au Canada. Vous, en tant que parlementaires, et les ministres avez intensifié le dialogue avec vos homologues. Le milieu des affaires a aussi fait beaucoup plus. On peut donc parler d'un enchaînement de différentes mesures.

• 1105

Ward et moi faisons notre part, en ce sens que nous dialoguons avec nos homologues, que nous réaffectons de rares ressources de manière à accroître la sécurité, à accroître la collaboration. Donc, toute une série de mesures ont été prises pour dissiper cette impression que nous sommes en quelque sorte faibles. Nous ne le sommes pas. Nous ne sommes pas différents des autres pays démocratiques dans la façon de protéger nos frontières et de ne pas accueillir au pays des gens qui ne devraient pas y être.

Nous nous sommes donc débrouillés aussi bien que les autres, mais il faut poursuivre cet effort et, lorsque c'est possible, l'intensifier. Nous l'intensifions, et j'en veux pour preuve le fait que le gouvernement ait acquiescé à la demande de ressources que nous lui avons présentée.

Le président: Je vous remercie beaucoup.

Monsieur Fitzpatrick.

M. Brian Fitzpatrick (Prince Albert, Alliance canadienne): Messieurs, les dispositions prévoyant une liste des terroristes et des organismes terroristes ainsi que les dispositions relatives à l'erreur sur la personne permettent qu'on demande une révision judiciaire. Je crois aussi que, dans cette lutte au terrorisme, il faudrait pécher par excès de prudence.

Je me demande si je peux avoir votre réaction à ma conviction que les organismes énumérés par nos alliés—c'est-à-dire le Royaume-Uni, les États-Unis et les autres alliés de l'OTAN—devraient d'office être inclus sur nos listes.

M. Ward Elcock: Monsieur le président, le critère pour ajouter le nom de quelqu'un à la liste des terroristes est très clair dans la loi. Tant que le critère est satisfait, nous envisagerons tous les noms, y compris ceux que nos alliés ont ajoutés à des listes analogues. Je suppose que, la plupart du temps, ils auront un système comme le nôtre, c'est-à-dire qu'il reposera sur des preuves, des faits et des renseignements qu'ils estiment fiables. Par conséquent, nous le ferons probablement pour les mêmes raisons qu'eux.

M. Brian Fitzpatrick: Changement de propos, j'aurais une question au sujet de la suppression des fonds et des biens appartenant à des organismes terroristes. Je sais qu'aux termes de la loi, quiconque au Canada est en possession d'avoirs ou de biens appartenant à un organisme terroriste est tenu de le signaler immédiatement à vos deux organismes.

La loi exige aussi que toute une foule d'organismes fasse rapport tous les mois aux organismes dont ils relèvent. Il pourrait s'agir d'organes provinciaux dans le domaine de l'assurance et ainsi de suite. Je prévois des milliers et des milliers de rapports déposés chaque mois auprès d'organismes provinciaux et fédéraux. Que sont-ils censés faire de cette multitude de renseignements? S'attend-on qu'ils vont les envoyer à votre ministère pour que vous les dépouilliez?

Je pose la question parce que, si la loi exige clairement que ces organismes fassent immédiatement rapport à vos deux organismes concernant tout bien de terroristes qu'ils auraient, pourquoi introduisons-nous cette autre notion des rapports mensuels aux organismes, ce qui à mon avis n'a pas vraiment de rapport avec la lutte au terrorisme?

M. Ward Elcock: Monsieur le président, l'idée est de faire en sorte que les organismes qui sont en fait responsables de superviser des institutions entre autres financières sont informés de la nature de certains clients avec lesquels traitent ces établissements. On peut supposer que, si les organismes eux-mêmes ne nous l'avaient pas fait savoir, les organismes de surveillance nous aviseraient ou aviseraient la police de tout renseignement en leur possession.

En fin de compte, quand on tente de s'occuper de membres du milieu terroriste qui, comme dans le cas à l'étude, font des levées de fonds, la seule véritable façon est de faire en sorte que vous avez l'information, que cette information est diffusée et partagée le plus possible.

Le président: Je vous remercie.

Monsieur DeVillers.

M. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Manifestement, le projet de loi contient beaucoup de dispositions qui préoccupent de nombreux Canadiens. Il soulève des questions au sujet de la Charte, ce dont vont nous entretenir d'autres témoins. Toutefois, si jamais le projet de loi était adopté, le premier critère, tant dans l'opinion publique canadienne qu'en bout de ligne, lors de révisions judiciaires, sera la façon dont on justifiera ces mesures extraordinaires, étant donné les menaces des terroristes.

• 1110

Je me demande si M. Elcock ne pourrait pas nous décrire—de toute évidence, sans renseignement personnel—la nature de ces menaces et nous dire si en fait certaines de ces mesures sont justifiées.

M. Ward Elcock: Monsieur le président, en bout de ligne, c'est au Parlement de décider si elles sont justifiées.

Pour ce qui est de donner aux organismes d'exécution de la loi les outils dont ils ont besoin, particulièrement du fait que le projet de loi à l'étude ne nous confère pas de pouvoirs supplémentaires, nous avons incontestablement besoin d'outils pour nous occuper des personnes dont les forces de l'ordre n'ont pas pu se charger. Toutefois, je ne suis pas sûr que les tribunaux seront si engorgés. Il n'y a pas tant de terroristes que cela au Canada—il n'y en a pas des milliers ou des millions. En réalité, une loi comme celle qui est projetée donnera non seulement aux forces de l'ordre de nouveaux outils, mais elle refroidira probablement aussi les ardeurs de certains organismes qui lèvent des fonds ou qui appuient des opérations terroristes partout dans le monde. Dans une certaine mesure, nous avons déjà constaté cet effet dans le cadre de certaines opérations de renseignement.

M. Paul DeVillers: Mais quelle est la nature de ces menaces? De quoi nous menace-t-on?

M. Ward Elcock: Comme je l'ai déjà dit, je crois qu'il y a toujours eu au Canada des organismes terroristes en train de lever des fonds et de recruter—de planifier les opérations terroristes à l'étranger et de recruter des exécutants. Souvenez-vous de l'incident d'Air India, du bombardement de Narita ou d'une quelconque autre opération dans ces régions du monde.

Pour certains groupes—particulièrement pour les terroristes d'organismes comme Al-Qaïda, et pour certains des groupes égyptiens, somaliens et soudanais qui leur sont associés—la cible à atteindre est les États-Unis. Comme nous l'avons vu en septembre, toute leur action est dirigée contre les États-Unis. Ils ont déclaré publiquement qu'ils étaient résolus à attaquer les États-Unis.

N'empêche que ces groupes ont des partisans dans pratiquement tous les pays de l'Occident—et s'assurent qu'il y en a au Canada et aux États-Unis. On ne peut donc exclure d'autres attentats de leur part. C'est une réalité dont nous-mêmes ainsi que les corps policiers devons tenir compte à tous les jours.

Le président: Je vous remercie infiniment.

Monsieur Sorensen, vous avez trois minutes.

M. Kevin Sorenson: Les paroles de M. Fadden du Conseil privé ont été reprises ici et là dans les journaux. Il a dit qu'il convenait sans doute que le Canada envisage de renforcer sa capacité de collecte de renseignements à l'étranger, que ce soit par le biais du SCRS ou des Affaires étrangères. On sait que la marge de manoeuvre du Service canadien du renseignement de sécurité est limitée. Son mandat ne lui permet pas de faire de l'espionnage à l'étranger.

Voici donc ma question: Le gouvernement devrait-il créer un nouveau groupe? Ou estimez-vous que le SCRS est capable d'élargir son champ d'action? Par ailleurs, le gouvernement devrait-il établir officiellement un bureau de la sécurité nationale relevant peut-être d'un ministre, qui faciliterait la coordination de ces sources de renseignement. Cette idée d'un super ministère n'est pas nouvelle, nous l'avons déjà vue dans le passé sous l'administration de Kim Campbell, je crois.

Monsieur Elcock, estimez-vous qu'il convient à présent de réunir certains de ces groupes?

M. Ward Elcock: Pour répondre à votre deuxième question, je dirais qu'en fin de compte c'est le premier ministre qui devra décider et non pas moi-même ou le commissaire. Nous avons dans notre pays un système qui fonctionne très bien. La collaboration entre les organismes et les ministères est très bonne. Il appartiendrait au premier ministre de décider qu'il faut un autre ministre coordonnateur pour qu'elle soit encore meilleure.

• 1115

En ce qui concerne votre première question, là encore, j'aimerais tirer les choses au clair. S'il y a malentendu, c'est peut-être parce que l'article 16 du projet de loi porte précisément sur le renseignement extérieur. Il y est dit que le SCRS ne peut s'occuper de la collecte de renseignements étrangers au Canada que si le ministre des Affaires étrangères ou le ministre de la Défense nationale le lui demande.

La définition de «renseignement extérieur» au sens de la Loi sur le SCRS ne correspond pas à la définition que l'on peut trouver dans un dictionnaire. Pour la plupart des gens, le renseignement extérieur s'entend des renseignements qui sont réunis à l'extérieur du pays, et le renseignement intérieur s'entend des renseignements réunis à l'intérieur du pays. Il n'y a rien dans tout cela qui corresponde à la définition de renseignement extérieur qu'applique le SCRS.

Aux termes de la loi sur le SCRS, les menaces à la sécurité du Canada—sous la forme par exemple d'espionnage, de terrorisme, de contre-prolifération, et tout le reste—sont prévues à l'article 12. Peu importe si les renseignements sont réunis au Canada ou à l'étranger: ils relèvent de notre mandat dès que la sécurité du Canada est menacée.

Les tribunaux ont donné un sens assez large à l'expression «sécurité du Canada». Dès qu'il est question d'une menace, il n'y a pas de différence pour nous entre la collecte de renseignements extérieurs et la collecte de renseignements intérieurs. Nous sommes autorisés à nous occuper des deux.

Notre mandat ne nous autorise donc qu'à nous occuper des renseignements liés à une menace, par opposition aux renseignements simplement utiles, par exemple le prix que tel ou tel pays est prêt à payer cette année pour le blé canadien. Ce genre de renseignement peut fort bien être très utile au gouvernement, mais je ne suis pas autorisé à aller le chercher à l'extérieur du pays. Je ne peux aller le chercher qu'à l'intérieur du pays.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Cotler, vous avez trois minutes.

M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): Monsieur le commissaire, disons que vous arrêtez un présumé terroriste parce que vous êtes d'avis que cette personne possède des renseignements qui pourraient permettre d'empêcher un acte terroriste imminent—c'est-à-dire une situation qu'on a qualifiée de «bombe à retardement activée». Nous savons que les corps de police et les services de sécurité d'autres pays démocratiques, tels que le Royaume-Uni et Israël, ont utilisé des méthodes d'interrogation coercitives, l'application de pression physique, pour obtenir des renseignements dans des situations de cette nature.

Si une telle situation survenait dans votre cas, distribueriez-vous des directives à votre personnel précisant qu'il n'est jamais permis de recourir à de telles méthodes d'interrogation coercitives, à l'application de force physique?

Comm. Giuliano Zaccardelli: Absolument. La charte sera respectée, les droits des gens seront respectés, en tout temps, sans exception.

M. Irwin Cotler: Voici ma deuxième question. Selon vous, les dispositions du projet de loi en matière d'audience d'enquête violent-t-elles les principes fondamentaux de la primauté du droit, tels que nous les connaissons, dans la mesure où quiconque refuserait de fournir des renseignements nécessaires aux autorités serait passible d'emprisonnement?

Comm. Giuliano Zaccardelli: Il y en a qui ont fait remarquer je pense que la primauté du droit comprend la protection contre l'auto-incrimination. Personne ne peut être contraint de faire une déclaration pouvant renfermer une incrimination de soi-même. Nous avons tous vu comment fonctionne un grand jury aux États-Unis. Il y a d'autres lois qui incorporent ce principe au Canada—je crois que la Loi sur la concurrence en est une. Je reconnais donc que la barre est relevée d'un cran dans ce cas-ci. Toutefois, dans l'ensemble, j'estime qu'il faut le faire dans des circonstances très exceptionnelles.

Le président: La parole est à M. Cadman.

M. Chuck Cadman: Monsieur le commissaire Zaccardelli, j'ai une question terre à terre. Au poste frontière réservé aux camions à Douglas dans le sud de la Colombie-Britannique, lorsque l'on doit faire appel aux services de la police, on s'adresse ordinairement au détachement de Surrey, si bien que la collectivité même est privée de ces services.

Selon vous, les services de police seront-ils davantage sollicités à la frontière à cause de cette mesure? Dans l'affirmative, tiendra-t-on compte des besoins des municipalités qui ont conclu des arrangements avec la GRC? Seront-elles consultées à propos des conséquences pour les services de police à la collectivité?

• 1120

Comm. Giuliano Zaccardelli: Monsieur le président, c'est là une très bonne question. Nous avons constitué des équipes intégrées à des endroits stratégiques un peu partout au pays. Ce sont des équipes multidisciplinaires—outre la GRC, il y a des agents de l'Immigration, de Douanes Canada, du SCRS, et ainsi de suite. Les corps de police locaux sont également intégrés. Nous prévoyons certainement une augmentation de la demande.

Par exemple, nous savons déjà que le Immigration and Naturalization Service des États-Unis va tripler le nombre de ses agents à la frontière. Il en résultera bien sûr un surcroît de travail. Nous devrons être en mesure de réagir et les tâches se multiplieront. Le gouvernement a mis des ressources supplémentaires à notre disposition pour nous en occuper, et il est censé le faire encore—j'estime donc que nous serons en mesure de réagir efficacement. Par ailleurs, nous avons fait ce qu'il faut pour que ces collectivités puissent continuer à compter sur les ressources dont elles disposaient déjà à l'échelon local.

Il ne faut pas oublier cependant que ces agents sont toujours au service de leur collectivité lorsqu'ils participent à certains de ces groupes à intégration multiple. Il peut arriver qu'ils se retrouvent à l'extérieur de la collectivité, mais ils rendent quand même service à celle-ci parce qu'ils s'occupent d'activités criminelles ou terroristes qui peuvent avoir une incidence sur la population.

Nous savons bien qu'il est important que Surrey s'occupe de Surrey—mais Surrey peut être en cause de nombreuses façons. Si Surrey vient en aide à d'autres localités de la région continentale sud, elle se rendra service à elle-même.

M. Chuck Cadman: Puis-je supposer dans ce cas que la municipalité de Surrey elle-même serait consultée?

Comm. Giuliano Zaccardelli: Absolument. Je l'ai bien dit dans ma déclaration liminaire, nous avons engagé un dialogue dans toutes les régions du pays—avec les gouvernements provinciaux, avec les ministères et organismes et aussi avec les maires et les services municipaux.

M. Chuck Cadman: Je vous remercie.

Le président: Merci infiniment monsieur Cadman et monsieur le commissaire.

John McKay, pour trois minutes.

M. John McKay: Merci.

J'aimerais revenir sur la réponse que M. Elcock m'a faite tout à l'heure.

En premier lieu, en ce qui concerne les «motifs raisonnables», j'estime que cette notion est bien comprise au tribunal de première instance de la province—même si elle pourrait se prêter à une certaine interprétation dans le présent contexte. Il n'y a pas d'ambiguïté cependant en ce qui concerne la preuve: dans un tribunal provincial, elle doit être «hors de tout doute raisonnable». Je soupçonne que la preuve que vous présenteriez ne serait pas tout à fait hors de tout doute raisonnable et peut-être pas non plus tout à fait hors de la prépondérance des probabilités. Elle pourrait être fondée uniquement sur des ragots, des oui-dire et des rumeurs.

Bien franchement, on impose tout un carcan au processus d'appel—et celui-ci ne ressemble plus du tout à ce que nous avons l'habitude de voir. Nous parviendrons peut-être à nous entendre dans le cas des 10 premières organisations, mais les 10 suivantes souffriront sans doute de figurer dans la gazette. Ce sera terminé pour elles à 98 p. 100 dès qu'elles y figureront. Elles seront détruites, leurs réputations essuieront tout un coup et leur capacité de poursuivre ce qui peut fort bien être des activités légitimes, sera limitée. Il se peut qu'elles soient retirées de la liste après deux ans, mais c'est là une piètre consolation.

Je me demande pourquoi il y a une telle résistance à un processus plus ouvert dans le cas de certaines de ces désignations. Par exemple, il y a aux États-Unis une loi appelée Anti-Terrorism and Effective Death Penalty Act. J'aimerais bien voir une loi inefficace sur la peine de mort.

Des voix: Oh, oh!

M. John McKay: Apparemment, le Congrès peut également adopter une mesure pour annuler des désignations. Étant donné donc que cette mesure vise surtout les activités de collecte de fonds et étant donné également qu'il est fort probable qu'un juge la constate en demandant si la mesure est raisonnable et proportionnelle dans les circonstances, que pensez-vous de faire participer officiellement les législateurs dans l'annulation des désignations?

M. Ward Elcock: Monsieur le président, tout compte fait, c'est aux législateurs eux-mêmes de décider—et les membres du présent comité font partie de ces législateurs.

• 1125

Nous ne nous occupons que des mesures législatives qui sont en place. Nous ne savons que faire des rumeurs et des sous-entendus lorsqu'il faut établir des motifs raisonnables de croire, démontrer que nous avons des motifs raisonnables de croire telle ou telle chose. Nous n'en avons jamais tenu compte jusqu'ici et nous n'avons pas l'intention de commencer à le faire.

En fin de compte, les tribunaux examineront les motifs raisonnables de croire qui sont présentés pour qu'un nom soit ajouté à la liste, et s'ils concluent que les motifs raisonnables de croire ne sont en fait pas fondés, les noms correspondants seront sans doute retirés de la liste.

Je ne m'aventurerai pas à dire qui pourrait être retiré d'une liste quelconque. Nous veillerons à avoir des preuves irréfutables lorsqu'il s'agira de créer une liste et d'ajouter un nom à la liste.

Le président: Je vous remercie infiniment, monsieur McKay.

J'aimerais bien que les deux ou trois questions qui restent soient assez courtes pour que tous ceux qui veulent intervenir puissent le faire.

La parole est à M. Toews.

M. Vic Toews: Merci, monsieur le président.

La GRC ne parvient pas depuis des années à avoir tout l'effectif que prévoient les contrats dans les provinces où elle est chargée d'offrir les services, par exemple au Manitoba, où je connais la situation. Pendant des années, même si la province était prête à mettre sur la table tout l'argent nécessaire, la GRC ne parvenait tout simplement pas à répondre à la demande de constables et d'autres agents.

Toute cette question des ressources m'intrigue énormément, parce que tout à coup on nous dit ici qu'il y en a assez, que ce n'est qu'une question de gestion du risque. J'aimerais que le commissaire me dise, en tenant compte des cas d'invalidité de longue durée, de grossesses et autres congés non volontaires, si la GRC dispose aujourd'hui d'un effectif complet dans chacune des administrations au Canada où elle a conclu des contrats en vue de fournir des services policiers.

Deuxièmement, quelle est la quantité totale de ressources humaines et financières que votre organisme a consacrées à l'administration et à l'application du projet de loi C-68, le registre des armes à feu?

Ce sont deux questions distinctes.

Comm. Giuliano Zaccardelli: À propos de la première observation, concernant la difficulté de la GRC à remplir ses obligations contractuelles, il y a des postes que nous avons dû laisser vacants pendant de courtes périodes quelques années durant. Nous n'avions pas les ressources nécessaires pour doter ces postes. Il n'y a plus de situations de cette nature depuis deux ans. Le gouvernement fédéral nous a fourni tous les crédits qu'il nous fallait pour respecter notre partie du contrat.

Malheureusement, dans certaines régions du pays, il y a des provinces qui n'ont pas été capables de fournir leur part des ressources. Je peux comprendre que toutes les administrations sont exposées à des pressions financières. Telle est la situation aujourd'hui dans notre pays. Le gouvernement fédéral s'est engagé à fournir toutes les sommes qui sont nécessaires pour exécuter le contrat.

M. Vic Toews: J'aimerais obtenir une précision. S'il y a pénurie de constables ou d'autres agents dans l'une ou l'autre des provinces du Canada, la faute en revient au gouvernement provincial qui n'a pas fourni assez d'argent à ce chapitre.

Comm. Giuliano Zaccardelli: Je ne veux pas utiliser le terme «faute». Tout ce que je dis, c'est que les gouvernements prennent des décisions de financement à l'égard de certains dossiers selon leurs moyens. Le gouvernement fédéral est là et il est prêt à fournir une portion équivalente à celle du gouvernement provincial.

M. Vic Toews: Il n'y a donc aucun problème lié à l'engagement fédéral. Le problème tient à une décision stratégique des autorités provinciales.

Deuxièmement, pour ce qui est des ressources consacrées au projet de loi C-68...

Comm. Giuliano Zaccardelli: Je ne peux pas vous dire quelles sont les ressources que nous avons allouées à cette mesure. Nos membres l'appliquent en fonction des priorités, de la charge de travail, etc.

M. Vic Toews: Pouvez-vous vous engager à me fournir cette information si elle est disponible dans votre ministère?

Comm. Giuliano Zaccardelli: J'essaierai d'obtenir cette information pour vous.

M. Vic Toews: Merci.

Le président: Monsieur Bryden.

M. John Bryden: J'ai une question pour M. Elcock.

La Loi sur l'accès à l'information prévoit déjà une exemption importante visant l'information reçue de sources étrangères ainsi que l'information liée à la sécurité. Avant qu'elle puisse être divulguée, le gouvernement étranger doit être consulté et donner son assentiment. Je voudrais savoir pourquoi cela est inadéquat? Pourquoi avez-vous besoin d'une prohibition qui interdit essentiellement l'exercice d'un contrôle indépendant ici au Canada?

M. Ward Elcock: Je ne voudrais pas que l'on pense que j'essaie d'esquiver la question, mais la décision d'inclure cette disposition a été prise par le gouvernement. C'est le gouvernement qui a décidé de protéger de façon absolue ce genre d'information.

• 1130

Dans le perspective de notre organisation, protéger l'information est toujours souhaitable et cela a toujours été très important pour nous. La meilleure protection que nous pouvons obtenir est celle que nous aimerions avoir.

M. John Bryden: S'agit-il d'une exclusion totale, sans possibilité d'examen par les tribunaux, sans possibilité d'examen par quiconque? Est-ce là ce que vous recherchez?

M. Ward Elcock: Cela semble assez complet, mais...

M. John Bryden: Ai-je le temps pour une autre question, une question de suivi très brève?

Le président: Il vous reste moins de deux minutes.

M. John Bryden: Sur un autre sujet, ma question s'adresse encore à vous, monsieur Elcock. La mesure vous fournit-elle suffisamment d'instruments pour retracer les activités financières d'organismes sans but lucratif qui pourraient financer des terroristes à l'étranger?

M. Ward Elcock: En ce qui nous concerne, certains de ces outils n'ajoutent rien aux pouvoirs d'enquête dont nous disposons. En ce sens, nous avons déjà les pouvoirs nécessaires pour mener à bien nos enquêtes. Mais cela nous donnera accès à l'information de FINTRAC. Son mandat est élargi, de sorte que nous espérons pouvoir obtenir des renseignements supplémentaires sur les activités de financement du terrorisme et ainsi faire du meilleur travail. Oui.

Le président: Merci, monsieur Bryden.

Merci, monsieur le directeur.

Vous avez 20 secondes, monsieur Sorenson.

M. Kevin Sorenson: Oui.

Monsieur Zaccardelli, vous êtes commissaire de la GRC. Vous êtes donc le policier numéro un du pays. Pourtant, vous dites que certaines choses doivent être mises en veilleuse. Le fait que l'organisation chargée de l'application de la loi dise que certaines choses doivent être mises en veilleuse est une source d'inquiétude pour moi, pour mes commettants et pour les membres de mon parti. Et pourtant, on sait d'autre part que des agents de la GRC font office de gardes forestiers.

La GRC manque dangereusement de personnel et essentiellement...

Le président: Une question, monsieur Sorenson.

M. Kevin Sorenson: ... elle n'a pas les ressource nécessaires pour livrer la bataille à l'heure qu'il est, sans aller chercher du sang neuf. Encore une fois, c'est une question d'effectifs.

Le président: Vous avez environ 20 secondes.

Comm. Giuliano Zaccardelli: Monsieur le président, je croyais avoir dit clairement à plusieurs reprises que nous avions demandé et reçu davantage de ressources. Qui plus est, nous avons à l'heure actuelle des discussions avec le gouvernement pour obtenir des ressources additionnelles. Les autorités gouvernementales nous ont fait savoir qu'elles nous fourniraient les ressources nécessaires.

En réalité, personne n'a la totalité des ressources pour faire ce qu'il ou elle voudrait faire. Je ne connais pas d'agences d'exécution de la loi et de sécurité qui disposent de toutes les ressources possibles. Nous devons à l'occasion établir des priorités et reléguer certaines choses à l'arrière-plan au profit de certaines priorités. En raison de cette nouvelle menace, nous avons eu à faire un sérieux exercice de réaménagement des ressources. De toute évidence, il y a certaines choses qui ne se feront pas tant que nous ne serons pas mieux en mesure d'équilibrer cela.

Nous avons donc demandé davantage de ressources et le gouvernement s'est engagé à nous les fournir. En tant que commissaire, j'en suis très heureux.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le commissaire et directeur.

Je voudrais vous poser une question très simple, qui fait suite à l'intervention de M. Owen tout à l'heure. Je crois vous avoir entendu dire que ne vouliez absolument pas assimiler des formes de contestation illégale au terrorisme; en fait, vous établissez la même distinction que M. Owen. Je pense que M. Blaikie a lui aussi soulevé la question plus tôt. Si, en tant que comité invité à amender la mesure, nous pouvions établir cette distinction plus clairement, à la satisfaction de ceux que cela préoccupe, cela ne vous poserait pas un problème, n'est-ce pas?

Comm. Giuliano Zaccardelli: Absolument pas, monsieur le président.

Le président: Je remercie nos deux témoins. Comme toujours, cela a été un plaisir de les recevoir. Et je suis heureux que l'éloquence de M. Elcock ait été relevée aux fins du compte rendu.

Je vais suspendre la séance pendant cinq minutes pour permettre à notre prochain témoin de s'approcher de la table.

• 1134




• 1140

Le président: Nous poursuivons la trentième séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.

Nous accueillons maintenant M. George Radwanski, commissaire à la protection de la vie privée, qui fera une déclaration liminaire d'au plus 10 minutes.

Je demanderais à tous les députés d'être judicieux dans leurs questions car nous n'avons qu'une heure; le commissaire doit comparaître devant un autre comité tout de suite après son passage ici. Pour faire en sorte que tout le monde puisse prendre la parole, je vais appliquer rigoureusement la règle des sept minutes.

Monsieur Radwanski.

M. George Radwanski (Commissaire à la protection de la vie privée du Canada): Bonjour. Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant vous.

Depuis que j'ai accepté ce poste il y a un peu plus d'un an, j'ai répété que pour une multiplicité de raisons, la confidentialité serait l'enjeu qui définirait cette décennie. Il est fort probable que dans la foulée de la tragédie du 11 septembre, cela s'avère encore davantage car le droit à la vie privée est un droit humain fondamental reconnu par les Nations Unies et, bien entendu, par notre propre législation. C'est une valeur fondamentale de la société canadienne.

La façon dont nous relèverons le défi du terrorisme tout en maintenant nos valeurs fondamentales déterminera si le terrorisme a atteint son but, à savoir miner la nature même de notre société.

D'entrée de jeu, je serai très clair. En tant que commissaire à la protection de la vie privée et officier du Parlement, je n'ai absolument pas l'intention de m'opposer ou de faire obstacle aux mesures appropriées et nécessaires pour assurer la sécurité des Canadiens dans les circonstances actuelles.

Cependant, en ma qualité de mandataire du Parlement et de commissaire à la protection de la vie privée, j'ai aussi le devoir de m'élever publiquement contre toute violation inutile du droit à la vie privée des Canadiens au nom de la lutte contre le terrorisme.

Je peux vous donner l'assurance que toute mesure présentée dans les circonstances qui aurait pour effet de restreindre ou de limiter le droit à la vie privée sera examinée soigneusement, calmement, au cas par cas, à la lumière de plusieurs critères.

Premièrement, il faut qu'il soit démontré qu'une telle mesure répond à un problème spécifique. Deuxièmement, il faut qu'il soit aussi possible de prouver qu'elle a des chances d'être efficace pour résoudre le problème en question. Autrement dit, nous n'allons pas adopter des mesures simplement pour se sentir plus en sécurité au lieu d'acquérir véritablement plus de sécurité. Troisièmement, le degré d'érosion ou de limitation du droit fondamental au respect à la vie privée doit être proportionnel à l'avantage que nous espérons en tirer sur le plan de la sécurité. Enfin, on doit aussi pouvoir démontrer qu'aucune autre mesure moins préjudiciable au respect de la vie privée permettrait d'atteindre les mêmes résultats.

Cela dit, j'estime que dans l'ensemble cette mesure représente un effort réfléchi et équilibré pour rehausser la sécurité en fournissant aux forces de l'ordre les outils dont elles ont besoin pour mener une lutte efficace contre le terrorisme tout en respectant le plus possible le droit à la vie privée.

Je dis «dans l'ensemble», parce que certaines dispositions me préoccupent énormément. La semaine dernière, avant que la mesure soit rendue publique, j'ai demandé à la ministre de la Justice un briefing pour m'éclairer sur la direction générale de la mesure en matière de protection de la vie privée, ce qui m'a été accordé. Je pensais qu'advenant que la mesure suscite des préoccupations à cet égard, il serait préférable de voir si on ne pouvait pas les régler au préalable, dans l'intérêt du respect de la confidentialité.

Au cours de ce briefing, on m'a dit que la mesure renfermerait une disposition autorisant la ministre de la Justice, en sa qualité de procureur général, à délivrer personnellement un certificat interdisant la divulgation de renseignements personnels aux termes de la Loi sur la protection des renseignements personnels, dans le but de protéger les relations internationales ou la défense ou la sécurité nationales. On m'a expliqué que cela était nécessaire pour s'assurer que d'autres pays n'hésitent pas à fournir au Canada des renseignements antiterroristes de la plus haute confidentialité.

• 1145

J'ai fait remarquer à ce moment-là qu'en tant qu'ombudsman, je n'avais pas le pouvoir d'ordonner la divulgation d'information et qu'en fait, il existe des exemptions absolues à l'égard de la sécurité nationale en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et, en fait, dans la législation régissant le secteur privé également. Le mieux que je peux faire en l'occurrence, c'est d'offrir des conseils mais si cette exemption est invoquée, il y a un caractère de subjectivité qui va au-delà même de toute discussion. Mais de toutes façons, je n'ai pas le pouvoir de diffuser quoi que ce soit.

On a reconnu que c'est exact mais qu'étant donné que je peux porter mes conclusions devant la Cour fédérale à des fins d'examen, il existe une possibilité, même si elle est très mince, qu'un juge de la Cour fédérale décide de diffuser des renseignements hautement confidentiels et que pour cette raison, cette disposition s'imposait. Autrement, des pays étrangers pourraient être réticents à partager des renseignements avec nous en raison de cette possibilité hypothétique.

Je pourrais accepter cette contrainte, pour autant que cela n'aille pas plus loin car, comme je l'ai dit, de toutes façons, je ne suis pas habilité à diffuser l'information. L'ennui, c'est qu'à cause du libellé des articles 103 et 104, qui portent respectivement sur la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques ainsi que sur la Loi sur la protection des renseignements personnels, on va beaucoup plus loin que cela. Je m'inquiète surtout au sujet de l'article 104 qui vise la Loi sur les renseignements personnels applicable au gouvernement fédéral.

Dans la première partie, l'article 104, soit l'amendement qui deviendrait l'article 70.1, dit:

    Le procureur général du Canada peut, à tout moment, délivrer personnellement un certificat interdisant la divulgation de renseignements dans le but de protéger les relations internationales ou la défense ou la sécurité nationales.

On poursuit:

    La présente partie ne s'applique pas aux renseignements dont la divulgation est interdite par le certificat délivré au titre du paragraphe (1).

C'est cette seconde disposition qui me préoccupe le plus. Cela signifie dans les faits que si un ministre délivre un certificat et que la loi ne s'applique pas, non seulement l'information ne peut pas être diffusée, ce qui serait le cas de toutes façons, mais il n'y a plus aucun contrôle.

Le commissaire à la protection de la vie privée ne pourra plus examiner l'information en question, comme c'est le cas maintenant. En effet, j'ai la cote sécuritaire la plus élevée et je peux consulter les dossiers du SCRS, etc. Le commissaire à la protection de la vie privée ne serait même pas en mesure de dire au ministre, au cas par cas, qu'un certificat peut avoir une portée trop vaste ou lui recommander de divulguer une certaine partie de l'information à la personne intéressée. Rappelez-vous qu'il s'agit simplement de divulguer des renseignements aux personnes visées aux termes de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il n'y aurait pas de droit de regard.

Et le plus troublant, vu la formulation de ces deux dispositions, c'est que rien dans la loi n'empêche un ministre de délivrer un certificat qui ne viserait pas seulement une personne, mais une agence ou un département en entier, voire l'ensemble du gouvernement.

D'après le libellé, la ministre pourrait divulguer un certificat interdisant la diffusion d'information par le SCRS, le Centre de la sécurité des télécommunications, un ministère du gouvernement ou encore tous les ministères gouvernementaux. À ce moment-là, toute divulgation et tout contrôle y afférent seraient impossibles, mais en outre, toutes les autres dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels seraient inapplicables. Il n'y aurait donc aucune limite à la façon dont on pourrait utiliser, combiner, partager ou diffuser l'information en question.

Ces dispositions pourraient être invoquées pour suspendre la Loi sur la protection des renseignements personnels, sur une simple décision du ministre. Sans entrer dans la question de savoir s'il y aurait intention d'agir ainsi, on ne devrait pas trouver dans la loi un mécanisme qui, par la bande, pourrait avoir pour effet de compromettre, en tout ou en partie, l'application de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Une dernière chose que je tiens à souligner, c'est que ces amendements ont été considérés en conjonction avec les amendements à la Loi sur l'accès à l'information. Sans vouloir commenter le bien-fondé de cette approche, je pense qu'il convient de les considérer séparément pour trois raisons.

Premièrement, le droit à la protection de la vie privée est un droit humain fondamental. L'accès à l'information, tout en étant important, est un droit administratif. Deuxièmement, il existe une distinction entre l'accès à l'information au sujet du gouvernement et de ses activités liées au maintien de la sécurité. En temps de guerre, il est courant que l'information diffusée par le gouvernement soit soumise à des restrictions.

La divulgation à des personnes de renseignement les concernant et l'application du droit fondamental à la vie privée est une autre question car il faut permettre à ces personnes de pouvoir vérifier l'exactitude de l'information en question.

• 1150

Enfin, si des dispositions stipulent que la Loi sur l'accès à l'information ne s'applique pas advenant la délivrance d'un certificat, cela signifie simplement qu'aucune information ne peut être divulguée. Si les mêmes dispositions s'appliquent à la Loi sur la protection des renseignements personnels, cela signifie que d'autres aspects d'un droit fondamental sont également abrogés: des aspects concernant la collecte, l'utilisation, le partage, la combinaison d'informations et en pareil cas, ce sont toutes les garanties relatives à la protection de la vie privée qui sautent.

Sans vouloir contester le bien-fondé de cette démarche, je suis convaincu que mon collègue, le commissaire responsable de l'accès à l'information a à ce sujet des préoccupations très légitimes. Cela dit, je vous demande d'examiner séparément les dispositions concernant ces deux mesures législatives, et je terminerai sur cette note.

J'ai essayé de faire vite. Je m'en excuse, mais on m'a dit que je n'avais pas beaucoup de temps.

Le président: Vous avez fait moins de 10 minutes. Bravo!

Monsieur Toews, dans sept minutes je vais vous interrompre, que vous ayez obtenu une réponse ou non. Je vous invite donc à formuler votre question de façon à laisser au témoin le temps de répondre.

M. Vic Toews: Merci, monsieur le président.

Monsieur le commissaire, je vous suis reconnaissant d'être venu comparaître aujourd'hui et d'avoir exprimé vos préoccupations quant aux clauses 103 et 104 en particulier du projet de loi C-36.

J'ai eu l'occasion de parcourir vos communiqués, dans lesquels vous énoncez brièvement ces préoccupations. Si j'ai bien compris, vous estimez que les articles que je viens de mentionner ont pour effet non seulement de soustraire l'information à l'examen de la Cour fédérale, mais aussi de priver le commissaire à la protection de la vie privée de toute possibilité de vérifier la façon dont la ministre exerce ses pouvoirs lorsqu'elle délivre un certificat.

Vous n'êtes même pas en mesure—sans obligation juridique—de prendre connaissance de l'information et de dire: «Madame la ministre, cela semble outrepasser le champ des relations internationales ou de la défense ou de la sécurité nationales.» Vous ne pouvez même pas lui prodiguer les conseils indépendants et confidentiels que vous prodiguez de façon routinière aux autres ministres. Est-ce exact?

M. George Radwanski: C'est exact. De plus, je ne pourrais pas examiner des informations et, sans divulguer de détails, faire savoir que je crains que les certificats soient de portée trop vaste. Mais au-delà des cas spécifiques, il n'en reste pas moins que la ministre peut, en vertu de cette disposition, délivrer un certificat qui ne s'appliquerait pas à un cas individuel, mais à une agence ou à un ministère tout entier.

Par conséquent, même si nous avons droit de regard sur le Centre de la sécurité des télécommunications—et en fait, mon prédécesseur en a fait une vérification—ainsi que sur le SCRS, une disposition précisant qu'advenant la délivrance d'un certificat par le ministre la loi ne s'applique pas pourrait avoir pour effet de priver de d'un contrôle exercé dans l'optique du respect de la vie privée toutes les activités d'une agence, d'un ministère ou de l'ensemble des ministères.

M. Vic Toews: Monsieur le commissaire, pouvez-vous nous communiquer certaines préoccupations en matière de sécurité compte tenu de l'accès pratiquement sans entrave à des renseignements confidentiels dont vous disposez à l'heure actuelle étant donné votre habilitation de sécurité? Quelles raisons de sécurité pourraient justifier que l'on vous prive d'un droit de regard sur les actions de la ministre pour s'assurer qu'elles tiennent compte des critères pertinents? Monsieur le commissaire, si le projet de loi devait être modifié, dans quelle mesure jugeriez-vous nécessaire que vos pouvoirs de vérification et d'examen de la loi soient restaurés, tout en tenant compte des intérêts légitimes des relations internationales, de la sécurité ou de la défense nationales?

M. George Radwanski: Pour répondre à la première partie de votre question, à l'heure actuelle, nous avons accès aux dossiers les plus confidentiels, les plus secrets concernant une personne et évidemment, il n'y a jamais eu d'atteinte à la sécurité. Depuis que cette disposition sous sa forme actuelle a été portée à mon attention, j'ai évidemment communiqué mes préoccupations haut et fort au bureau de la ministre et au ministère de la Justice.

La seule raison que les fonctionnaires ont pu invoquer pour justifier de me priver de ce droit de regard... à ce sujet, j'ai demandé une rencontre avec le sous-ministre, mais il semble que son horaire ne lui aie pas encore permis de me voir. La seule raison qu'on m'a donnée officieusement, c'est que si j'étais en possession de cette information, un juge de la Cour fédérale pourrait m'ordonner de la divulguer, ce qui ne tient absolument pas debout.

• 1155

M. Vic Toews: Oui, mais ne pouvons-nous pas simplement adopter un amendement qui fasse en sorte que cela ne se produise pas? Si l'on peut usurper votre compétence de façon aussi sommaire, ne peut-on pas usurper de la même façon la compétence de la Cour fédérale?

M. George Radwanski: En fait, je voudrais proposer un amendement pour remplacer le libellé actuel. Ma proposition créerait les nouveaux paragraphes 51(4), 51(5) et 51(6). Le paragraphe 51(4) proposé stipulerait, en remplacement de ce qui existe à l'heure actuelle:

    Le procureur général du Canada peut, à tout moment, après en avoir fait la demande à la Cour fédérale en vertu de l'article 41 ou 43, délivrer personnellement un certificat interdisant la divulgation de renseignements dans le but de protéger les relations internationales ou la défense ou la sécurité nationales.

Ensuite, le paragraphe 51(5) dirait:

    Le procureur général veille à ce qu'une copie du certificat soit communiquée a) à la personne présidant ou désignée pour présider aux délibérations auxquelles l'information s'applique ou, si aucune personne n'est désignée, à la personne ayant le pouvoir de désigner quelqu'un pour présider; b) à toute partie aux délibérations; et c) à toute autre personne qui, à son avis, devrait en prendre connaissance.

Et ensuite, aux termes du paragraphe 51(6) proposé, il serait précisé que la Loi sur les textes réglementaires ne s'applique pas au certificat délivré au titre du paragraphe 51(4).

M. Vic Toews: Cela me semble éminemment raisonnable. Comment la ministre a-t-elle accueilli votre suggestion?

M. George Radwanski: Je n'ai pas eu l'occasion de rencontrer la ministre ou de présenter ma suggestion à ses hauts fonctionnaires. J'ai demandé de la rencontrer ou de rencontrer son sous-ministre et des hauts fonctionnaires avant de venir au comité dans l'espoir de pouvoir vous dire qu'il y avait un problème mais que nous l'avions résolu.

Malheureusement, on m'a dit que le calendrier des personnes concernées ne leur permettait pas de me voir avant la fin de la semaine. À ce stade-ci, je me vois dans l'obligation de vous présenter un problème au lieu d'une solution et, à défaut de changement, de demander au comité de s'assurer qu'on n'affaiblit pas inutilement la Loi sur la protection des renseignements personnels.

M. Vic Toews: Merci. Je comprends. Je suppose que les collaborateurs de la ministre attireront son attention sur vos amendements. Nous aurons l'occasion de savoir ce qu'elle en pense sous peu.

M. George Radwanski: Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Je constate que vous avez lu l'amendement. Vous pourriez peut-être le déposer auprès du comité pour que nous puissions le faire circuler.

M. George Radwanski: Le problème, monsieur le président, c'est que nous en avons finalisé la formulation ce matin seulement. Je n'ai pas eu l'occasion de le faire traduire et je ne voudrais pas distribuer un document dans une seule langue. La greffière en a un exemplaire. Je suis à votre disposition à cet égard, mais je ne veux pas violer la Loi sur les langues officielles.

Le président: Nous allons nous occuper de la traduction. La greffière en a un exemplaire. Lorsqu'il sera traduit, nous le distribuerons à tout le monde.

[Français]

Monsieur Bellehumeur.

M. Michel Bellehumeur (Berthier—Montcalm, BQ): Merci beaucoup, monsieur le président.

Je vous remercie d'avoir trouvé le temps de venir nous rencontrer et d'être pour le moins très, très clair quant aux éléments qui vous concernent, qui vous dérangent.

Finalement, ce que j'en comprends, c'est qu'à l'heure actuelle il y a déjà dans la loi des mécanismes qui vous empêchent de dévoiler de l'information qui toucherait la sécurité nationale. C'est un juge de la Cour fédérale qui pourrait décider de cela. Votre proposition, c'est de ne rien changer, sauf dans le cas où un individu se présente devant un juge de la Cour fédérale et que le ministre pense qu'il serait dans l'intérêt de la sécurité nationale que cette information ne soit pas divulguée. Elle émettrait donc un certificat pour cette information précise.

M. George Radwanski: C'est bien cela. On me dit que c'est au niveau de la Cour fédérale que le problème se situe. C'est donc là qu'il faut chercher la solution.

M. Michel Bellehumeur: C'est très clair. Je pense que la façon de présenter les choses est très constructive. Je pense aussi que cela rassurerait beaucoup d'individus si on le faisait de cette façon-là.

Également, si je comprends bien, ce sont surtout les articles 103 et 104 du projet de loi C-36 qui touchent directement le travail que vous faites, le mandat que vous avez, et vos remarques portent sur ces articles-là en particulier. C'est bien cela?

M. George Radwanski: Il y a d'autres dispositions qui ont un effet sur les droits à la vie privée. Par exemple, il y a la surveillance électronique. Quant à moi, là où il y a un équilibre raisonnable entre les besoins de la sécurité et les droits à la vie privée,... On n'aime jamais qu'il y ait des restrictions sur le droit à la vie privée, mais quand même, si c'est raisonnable, il faut que j'accepte cela compte tenu des circonstances présentes.

• 1200

M. Michel Bellehumeur: Dans les circonstances présentes, pour reprendre vos mots, si c'est nécessaire de toucher aux droits privés, à certains droits individuels afin d'assurer la sécurité nationale, croyez-vous que les articles qui touchent précisément les droits des individus, les droits portant sur les renseignements personnels, certains droits qu'ont les individus à l'heure actuelle et qu'on leur enlèverait en appliquant ces articles-là, devraient avoir un caractère permanent? Ne devrait-on pas plutôt insister, ou faire un amendement quelconque pour que ces accrocs possibles aux droits des individus en vertu du projet de loi C-36 soient seulement temporaires, c'est-à-dire que ces articles s'appliqueraient seulement pour la durée des circonstances que vous soulevez vous-même?

M. George Radwanski: Si vous me le permettez, je répondrai en anglais à cette question afin d'être un peu plus précis.

[Traduction]

De façon générale, j'estime que c'est une bonne idée de faire un examen périodique des lois, particulièrement lorsqu'elles portent sur les droits et sur d'éventuelles restrictions à ces droits. Je ne m'en plaindrais certainement pas.

Les dispositions visant le droit à la protection de la vie privée, outre celles-ci, devraient bien entendu être provisoires... On pourrait évidemment faire valoir, sous réserve à tout le moins d'un examen, qu'il devrait être impossible, dans quelles que circonstances que ce soit, de divulguer des renseignements confidentiels intéressant la sécurité ou la défense nationales. Et un juge ne devrait pas être en mesure de les divulguer s'ils sont de nature confidentielle.

Examinons les autres dispositions. Par exemple, la disposition autorisant le Centre de la sécurité des télécommunications à intercepter la portion canadienne d'une conversation avec une personne sous surveillance dont on sait ou on soupçonne qu'elle se livre à des activités terroristes à l'étranger. Il y a une certaine logique à cela. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, il serait absurde que l'organisme chargé de surveiller de telles communications doive laisser tomber si un Canadien vient dans sa ligne de mire. Au contraire, cela devrait nous intéresser encore davantage.

Cela dit, il faut s'assurer—et c'est pourquoi un droit de regard est tellement important—que cette interception des communications serve uniquement dans le cadre de la lutte antiterroriste. Si, par exemple, la conversation en question ne comporte aucun renseignement pertinent au sujet du terrorisme, l'information entourant le volet canadien de l'appel ne doit pas être gardée, pas plus que les détails de la conversation. Qui plus est, si quelqu'un divulgue d'autres renseignements de nature personnelle, il ne faut pas non plus les garder dans les dossiers.

Pour répondre brièvement à votre question, c'est toujours une bonne idée de garder un oeil sur toute mesure susceptible de restreindre la vie privée pour s'assurer qu'elle est fondée. Peut-être que l'argument en faveur d'une clause d'extinction à l'égard de ce genre de chose est moins urgent qu'à l'égard d'autres mesures ayant pour effet spécifique de suspendre les libertés civiles, de permettre la détention préventive et ainsi de suite.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Lorsqu'on examine le projet de loi C-36, même par rapport aux exemples que vous nous avez fournis de l'écoute électronique par le Centre des télécommunications ou de l'écoute électronique tout simplement, il y a quand même des différences entre ce qui se fait en vertu du Code criminel et le C-36, ne serait-ce que sur la base de simples soupçons. C'est beaucoup plus large que l'énoncé «des motifs raisonnables de croire».

Est-ce que ça ne vous agace pas, vous, à titre de commissaire à la vie privée, de savoir que ces éléments pourraient devenir la normalité des choses, qu'ils pourraient devenir, s'il n'y a aucune clause,... Il faut faire une distinction entre la révision et les clauses de temporisation, les sunset clauses. Je pense qu'il y a une différence notable entre les deux. S'il n'y a pas de clauses crépusculaires pour certains articles, n'y a-t-il pas un certain danger que la normalité des choses au Canada soit ce qu'on trouve maintenant dans le projet de loi C-36?

Le président: Merci, monsieur Bellehumeur.

M. George Radwandski: Oui, c'est ça, en général, parce que c'est un grand projet de loi et qu'il contient beaucoup d'articles qui touchent aux droits individuels. On pourrait bien dire qu'il faudrait y avoir un processus pour réviser cela. Quant aux droits qui touchent directement aux informations d'ordre personnel, mis à part les articles que j'ai signalés aujourd'hui, je trouve qu'il y a un équilibre raisonnable entre la sécurité et les droits relatifs à la vie privée. Par rapport à cela, je doute qu'il y ait beaucoup de choses qui vont changer dans trois ou cinq ans. Il y aura toujours des questions de sécurité. Il y aura toujours des questions portant sur l'équilibre entre la surveillance électronique, par exemple, et les droits individuels. Je trouve que l'équilibre qu'il y a ici est assez raisonnable, à l'exception, bien sûr, des articles que j'ai soulevés.

• 1205

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Blaikie, sept minutes. Je vous ferai signe, Bill, après six minutes.

M. Bill Blaikie: J'essaierai de prendre moins de temps que cela, monsieur le président.

Le président: Merci.

M. Bill Blaikie: Je n'ai pas vraiment de questions à poser au commissaire à la protection de la vie privée, du moins pour ce qui est des détails. Je veux simplement signaler qu'il a porté une accusation très grave, si je peux m'exprimer ainsi, au sujet de la mesure. Que ce soit délibéré ou non de la part des rédacteurs, elle comporte une échappatoire, la possibilité de rendre caduque la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Puisque nous sommes saisis d'un amendement proposé par le commissaire à la protection de la vie privée, je pense que nous devrions le prendre très au sérieux. Je suis désolé d'apprendre qu'au sujet d'une question aussi importante, le sous-ministre ou la ministre de la Justice n'ont pas pu trouver le temps de rencontrer le commissaire. Comme il l'a laissé entendre lui-même, cela aurait facilité notre travail. J'espère qu'après la séance d'aujourd'hui ils accepteront de vous rencontrer plus rapidement car il me semble que le problème que vous avez relevé est très sérieux.

Sans se perdre en hypothèses, quel recours avez-vous en tant que commissaire à la protection de la vie privée si le gouvernement fait la sourde oreille à vos instances à ce sujet? La raison d'être même de votre poste et vos responsabilités sont compromis, vous le dites vous-même. Quelles autres avenues s'offrent à vous pour contester ce qui représente clairement une menace à la mission dont vous avez été chargé?

M. George Radwanski: C'est une très bonne question. Pour répondre brièvement, je suis un ombudsman; je n'ai pas de pouvoirs directs. Mon influence tient à ma crédibilité, ou à mon absence de crédibilité, aux arguments que j'apporte et à l'autorité morale qui se dégage de la force de ces arguments.

Mon premier recours est celui que j'exerce maintenant en demandant à notre comité de recommander des amendements pour régler ce problème très grave. Évidemment, il n'est pas nécessaire que les amendements émanent du bureau de la ministre. Ils peuvent provenir du comité et du Sénat, et j'encourage cela.

Le deuxième recours, outre mes communications avec vous à titre d'officier du Parlement, est mon pouvoir d'informer le grand public. Depuis que ce problème a été porté à mon attention et, comme je n'ai pas été en mesure d'obtenir du bureau de la ministre l'assurance qu'il s'agissait là d'une méprise qu'on s'emploierait à corriger sous peu, mon second recours a été d'en parler.

Depuis que ce problème a fait surface, comme je n'ai pas été en mesure de le faire régler sans délai, j'ai accordé dix entrevues aux médias. Vous pouvez être sûr que je vais donner d'autres entrevues et prononcer bien des discours. Je ferai tout en mon pouvoir pour sensibiliser les Canadiens au fait que dans une mesure par ailleurs réfléchie et équilibrée, il y a une atteinte perverse à la Loi sur la protection des renseignements personnels qui pourrait, en principe du moins, en miner l'efficacité.

Je ferai valoir que nous vivons dans un pays fondé sur la règle de droit et que nous ne souhaitons pas que, même sur papier, dans la législation, un ministre puisse, dans le pire des cas, abroger une loi simplement à la suite d'une décision arbitraire. Tout ce que je peux faire, c'est présenter cet argument avec toute la vigueur dont je suis capable, et espérer qu'il aura une résonance.

• 1210

Le président: Merci beaucoup, monsieur Blaikie.

Monsieur MacKay, sept minutes. J'attirai votre attention lorsque six minutes se seront écoulées pour donner aux témoins la possibilité de répondre.

M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.

Je remercie M. Radwanski d'être venu comparaître et de s'être élevé contre la situation, non seulement ici au comité mais dans d'autres instances, comme il l'a fait au cours des jours précédents depuis qu'il est au courant du problème. Je sais que vous êtes allé dans les Maritimes et comme je suis originaire de cette région, je vous assure que nous avons apprécié de pouvoir de vous entendre directement sur un sujet aussi important.

Après avoir écouté votre exposé aujourd'hui et après avoir entendu votre argumentation précédemment, j'ai l'impression que votre bataille n'est pas motivée par l'intérêt personnel. C'est en fait un affront au Bureau du commissaire à la protection de la vie privée proprement dit. Vous avez invoqué, si je me rappelle bien ce que j'ai appris à la faculté de droit, le critère Oakes, qui doit s'appliquer lorsque l'on porte atteinte à des droits comme ceux-là. Il convient en l'occurrence de voir si d'autres mécanismes ou méthodes moins préjudiciables pourraient s'appliquer.

Je ne peux m'empêcher de conclure—compte tenu de votre exposé d'aujourd'hui et du ton que vous avez employé—que cette disposition que vous avez par ailleurs fort bien mise en contexte en appuyant d'autres mesures mieux équilibrées et en vous montrant sensible à l'intérêt de la sécurité nationale—vous écarte complètement, vous et votre bureau, de ce dossier. Et du même coup, on fait la même chose aux juges.

C'est un peu comme si la ministre disait qu'en ce qui concerne les questions d'importance nationale cruciale susceptibles de présenter une menace à la défense et à la sécurité nationales, on ne fait confiance à personne à l'extérieur du volet exécutif du gouvernement. On ne fait pas confiance à la discrétion du commissaire à la protection de la vie privée et certainement pas à celle d'un juge en cette période où les risques pour la sécurité sont élevés. À mon avis, pareille attitude mine l'autorité et la pertinence de votre mandat.

Si l'on ne croit pas que vous garderez pour vous des renseignements de nature privilégiée, si votre bureau n'est pas le dépositaire de ces importants secrets nationaux et qu'on ne peut être sûr qu'il les gardera jalousement—et d'une certaine façon, vous avez parlé contre vos intérêts en évoquant ce problème—cela ébranle les assises même du Bureau du commissaire à la protection de la vie privée.

M. George Radwanski: Je serai clair. Je suis sûr que vous ne vouliez pas susciter une interprétation erronée de vos propos, mais ce dossier n'est pas personnel pour moi; je ne considère pas que c'est un affront à mon Bureau; je considère que c'est un affront au droit à la vie privée des Canadiens.

Peu m'importe les pouvoirs de mon bureau comme tels. A juste titre, le Parlement a reconnu dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et plus récemment, dans la législation gouvernant le secteur privé...

M. Peter MacKay: Mais vous êtes là pour protéger ces droits.

M. George Radwanski: Oui. Je veux simplement qu'il soit clair que mon intervention ne tourne pas autour de pouvoirs ou d'absence de pouvoirs dans que sens que ce soit.

En ce qui a trait à la Cour fédérale—puisque vous en avez parlé—il sera sans doute pertinent de signaler que d'après une étude rapide que j'ai commandée, depuis 20 ans que la Loi sur la protection des renseignements personnels existe, la Cour fédérale n'a invoqué qu'à quatre reprises son pouvoir pour ordonner la divulgation d'éléments qui avait précédemment été exemptée.

Si l'on souhaite apaiser les craintes d'autres pays, de nos alliés et si l'on craint qu'un juge mal avisé puisse divulguer des renseignements, je ne pense pas que limiter ce pouvoir au moyen d'un certificat cause tellement de préjudices.

Je ne suis pas convaincu que c'est nécessaire parce qu'à mon avis, les juges en poste au Canada sont des gens sérieux et que le préjudice causé au droit au respect de la vie privé ne serait pas tellement grand. Pour autant qu'une surveillance quelconque puisse s'exercer, si l'on craint d'avoir ce problème précis, je peux accepter cette solution. C'est d'ailleurs ce que j'ai dit à mes interlocuteurs la semaine dernière lorsque nous en avons parlé. Mais qu'il n'y ait absolument aucun contrôle, comme vous le dites, c'est une autre paire de manches.

• 1215

Qui plus est—et je remarque que jusqu'ici vos questions n'ont pas porté là-dessus—je tiens à souligner que ce qui me dérange, ce n'est pas seulement la façon dont sont libellées les dispositions concernant la divulgation d'information qui les concernent à des particuliers et ce n'est pas non plus le manque de surveillance. C'est la possibilité que la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s'applique pas simplement parce qu'un certificat a été délivré. Les dispositions viseraient non seulement l'accès aux renseignements en vertu de la loi...

M. Peter MacKay: Cela évacue complètement...

M. George Radwanski: ... elles pourraient avoir pour effet de supprimer les restrictions relatives à la collecte d'information.

Dans le pire des cas—et je ne prétends pas que c'est le plan, mais les lois ne devraient pas comporter d'échappatoires grotesques—un ministre de la Justice, fort de cette disposition, pourrait délivrer un certificat interdisant la divulgation d'information par tous les ministères. À ce moment-là, la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s'appliquerait à aucune information. Le gouvernement, dans son ensemble, pourrait recueillir des renseignements à sa guise, les combiner à sa guise et les divulguer à sa guise.

En principe, sous sa forme actuelle, la mesure pourrait permettre la création d'un dossier de type «big brother» sur tous les Canadiens. Elle permettrait au gouvernement de divulguer n'importe quel renseignement à votre sujet à quiconque s'y intéresse—votre employeur, votre assureur, n'importe qui en fait.

Je ne dis pas que cela arriverait. Tout ce que je soutiens, c'est qu'il ne faut pas rédiger des lois, particulièrement dans un domaine aussi délicat, qui permettent l'abrogation totale ou même partielle d'une loi du Parlement sur la simple décision d'un ministre. Il faut que le libellé soit suffisamment serré pour régler uniquement le problème particulier que l'on souhaite régler.

M. Peter MacKay: Dans l'exemple le plus vaste, vous dites que le ministre pourrait soustraire tout l'appareil gouvernemental à la nécessité de respecter la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Je comprends ce que vous voulez faire grâce à l'amendement que vous avez présenté, et je pense que c'est un amendement très raisonnable. En supposant qu'il ne soit pas accepté, seriez-vous satisfait si à tout le moins, il y avait une clause d'extinction, comme M. Bellehumeur l'a proposé, pour qu'en des temps plus calmes, le Parlement puisse à tout le moins réévaluer cette protection extraordinaire accordée à l'information gouvernementale et que cela soit nécessairement une condition de sa reconduction car pour ce qui est d'un simple examen, on sait bien qu'on peut s'en abstenir après coup?

M. George Radwanski: En bref, non.

Une disposition injustifiée et inutile ne devrait pas être en place pour trois ans, deux ans ou six mois. Si une disposition est justifiée, on peut dire qu'il s'agit d'une mesure d'urgence qui répond à certains critères et qu'on verra ultérieurement si elle demeure toujours nécessaire. Mais si une disposition est absurde et qu'elle risque de se traduire par la suppression inacceptable du droit à la protection de la vie privée, il faut simplement s'abstenir de l'adopter.

En ce qui concerne ces scénarios du pire, il faut qu'il soit bien clair que je ne laisse absolument pas entendre que la ministre en poste à l'heure actuelle souhaite personnellement souhaite l'utiliser de cette façon ni le gouvernement d'ailleurs. Tout ce que je dis, c'est qu'il est répréhensible d'ouvrir cette porte si cela n'est pas nécessaire.

Le président: Merci beaucoup.

M. Bryden.

M. John Bryden: Je vais partager mes sept minutes avec M. McKay, monsieur le président, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Cela accélérera les choses.

Le président: C'est très généreux de votre part à tous les deux.

M. John Bryden: Je voudrais revenir sur l'autre observation de M. McKay.

J'ai constaté qu'au paragraphe 70.1(1), on énonce que le ministre délivre un certificat, mais comment savoir quelle est la teneur d'un certificat? D'après ce que dit M. Radwanski, si le ministre délivre un certificat interdisant la divulgation de renseignements ou suspendant la Loi de la protection des renseignements personnels, il n'y a pas de droit de regard. La ministre peut faire ce qu'elle veut, agir à sa guise et suspendre la divulgation d'information?

M. George Radwanski: D'après le libellé actuel, c'est exact.

Si l'on procédait comme je le propose, il existerait un contrepoids en ce sens qu'un contrôle serait maintenu. Autrement dit, le commissaire à la protection de la vie privée pourrait prendre connaissance des renseignements mais il lui serait interdit de les divulguer en toutes circonstances. Le commissaire ne pourrait jamais divulguer les renseignements en question mais en privé, il pourrait dire au ministre: «Il serait raisonnable de divulguer tel ou tel élément qui n'a aucun rapport avec la sécurité, seriez-vous prête à envisager cela?» ou encore, le commissaire pourrait dire: «J'ai eu la possibilité d'examiner 10 ou 20 certificats et je crains qu'on s'en serve pour jeter un voile sur des questions qui n'ont absolument rien à voir avec la sécurité ou avec toute autre catégorie prévue dans la loi.» C'est tout. Mais c'est beaucoup mieux que rien. C'est vraiment le minimum.

• 1220

M. John Bryden: Ne serait-il pas plus efficace d'instaurer un contrepoids dans la première partie et d'exiger du procureur général qu'il ou elle consulte les tribunaux en ce qui concerne la délivrance des certificats. Ainsi, les tribunaux auraient un droit de regard et nous saurions si le procureur général abuse de son pouvoir?

Si j'ai bien compris votre amendement, le commissaire à la protection de la vie privée interviendrait après coup. Ce que nous voulons, assurément, c'est exercer un certain contrôle sur le procureur général dont le pouvoir, on le constate, dépasse celui conféré à son homologue aux États-Unis. Même le premier ministre ne saurait pas et n'aurait pas nécessairement besoin de savoir ce que renferme un certificat. Chose certaine, il faut pouvoir procéder à une vérification du certificat proprement dit.

M. George Radwanski: Si vous pouvez persuader la ministre, le ministère de la Justice et le gouvernement du bien-fondé de cet argument, vous avez ma bénédiction.

J'essaie de faire face à la réalité telle que je la vois. Le gouvernement a dit qu'il était mû par la crainte que les pays étrangers refusent de partager des renseignements avec le Canada s'ils ont le moindre doute qu'un processus quelconque pourrait déboucher sur leur divulgation. Ce n'est pas à moi de réfuter cet argument. En l'occurrence, si l'objectif du gouvernement est d'empêcher toute divulgation de la part de la Cour fédérale, il va de soi que la solution, à ses yeux, est de ne pas accorder davantage de pouvoir à cette instance. La solution consiste à s'assurer que la mesure n'a pas parallèlement cinq ou six autres répercussions qui seraient encore plus inquiétantes que cet examen, qui est très rare de toute façon.

Le président: Monsieur McKay.

M. John McKay: Je vous remercie encore une fois d'être venu comparaître.

Les articles 6, 7 et 8 reprennent en parallèle les articles concernant la surveillance électronique applicable au crime organisé. Dans le cas du crime organisé, on a une idée générale de la direction de l'enquête. Dans le cas des activités terroristes, il n'en est pas toujours ainsi. Dans la définition qu'il donne de «groupe terroriste», notamment en tant qu'entité inscrite, le projet de loi précise ce qui suit dans les alinéas 83.01(2)a), b), et c):

    (2), Pour l'application de la présente partie, il n'est pas nécessaire pour faciliter une activité terroriste:

a), que l'intéressé sache qu'il se trouve à faciliter une telle activité;

b), que cette activité ait été envisagée au moment où elle est facilitée;

(c), que cette activité soit effectivement mise à exécution.

Si l'on met les articles sur la surveillance électronique en regard des définitions d'un groupe terroriste ou d'activités terroristes, je me demande si, en tant que commissaire à la protection de la vie privée, vous êtes fondé de vous inquiéter au-delà de ce qui vous inquiéterait dans le cadre d'une enquête criminelle normale. Est-ce là une expédition de pêche d'un an à laquelle n'importe qui peut se livrer et qui pourrait ramasser dans ses filets un tas de gens? Dans mon travail d'homme politique, je peux fort bien entrer en contact avec un groupe, à mon insu. De même, des journalistes pourraient fort bien tomber dans le cadre d'une enquête, qu'ils aient su ou non s'ils étaient en contact avec une entité inscrite.

Avez-vous réfléchi à la question de savoir s'il n'y aurait pas lieu d'établir une distinction entre les activités du crime organisé et celles d'entités terroristes comme telles. Qui plus est, ces dispositions ne porteraient-elles pas atteinte encore davantage et de façon imprévue, au droit à la protection de la vie privée des Canadiens?

M. George Radwanski: D'entrée de jeu, j'estime que les activités des terroristes sont au moins aussi dangereuses, sinon plus que celles du crime organisé, compte tenu de ce que nous avons vu le 11 septembre et de ce que nous voyons depuis. Elles sont donc également sources de préoccupations pour les pouvoirs publics. Il serait assurément très difficile de convaincre qui que ce soit que les mesures pour combattre le terrorisme devraient être moins rigoureuses ou moins efficaces que celles utilisées pour faire la lutte au crime organisé.

Vous soulevez des questions légitimes au sujet des libertés civiles et vous évoquez la possibilité que de nombreuses personnes innocentes soient visées par diverses définitions. Mon mandat concerne uniquement la protection de la vie privée. Je dois m'imposer une certaine discipline et m'abstenir de faire des commentaires au sujet des enjeux plus vastes se rattachant aux libertés civiles. Je m'en tiendrai à ce principe.

Dans l'optique de la protection de la vie privée, je peux vous dire que cela m'apparaît déraisonnable. Dans l'optique des libertés civiles, il y a évidemment des arguments pour et contre, mais cela n'est tout simplement pas de mon ressort. Pour être franc, j'essaie de ne même pas y penser car je dois m'intéresser strictement à la protection des renseignements personnels.

• 1225

Le président: Merci, monsieur McKay.

Monsieur Fitzpatrick.

M. Brian Fitzpatrick: Je dirais que les deux dispositions que vous avez mentionnées reposent sur une importance prémisse, soit que les gouvernements ne feront pas un usage abusif de leur pouvoir. Je pense qu'il serait fallacieux de notre part d'accepter une telle prémisse car l'histoire nous a enseigné que tel n'est pas le cas. Les gouvernements, même les gouvernements démocratiques, ont tendance à abuser de leurs pouvoirs de temps à autre. Pour ce motif, j'estime que vos propositions ont énormément de mérite. J'espère que la ministre de la Justice examinera sérieusement ces recommandations.

Il semble qu'au cours du présent siècle, nous ayons adopté un nouveau paradigme, le terrorisme. C'est une réalité. Nombreux sont ceux—et j'en fais partie—qui estiment qu'il est nécessaire d'avoir en permanence une loi antiterroriste pour contrer cette menace. C'est une nouvelle entreprise pour nous. Nous n'avons jamais fait cela auparavant. Nous sommes en terrain inexploré. Voilà pourquoi nous ne savons pas exactement où cette route nous mènera.

On discute beaucoup à savoir si cette mesure dans son ensemble devrait faire l'objet d'un examen, si elle devrait comporter une clause d'extinction ou encore si nous devrions recenser certaines dispositions choisies pour décider s'il y a lieu de les assujettir à un examen ou à une clause d'extinction.

Je ne suis pas nécessairement d'accord avec le premier ministre qui a déclaré qu'une clause d'extinction n'est pas valable parce que le terrorisme est permanent. À mon sens, une clause d'extinction exigerait des gouvernements, s'ils estiment ces dispositions absolument nécessaires, qu'ils les réintroduisent sous forme de projets de loi, qu'ils les intègrent au processus parlementaire et qu'ils permettent un débat exhaustif sur la question. Dans certains cas, cela aurait sans doute du bon car en fin de compte, nous sommes une démocratie et la démocratie devrait prévaloir.

Je voudrais savoir ce que vous en pensez. Avez-vous certains conseils à nous prodiguer sur la façon dont nous devrions réagir pour ce qui est de la possibilité d'un examen ultérieur, d'une clause d'extinction, d'une clause d'entrée en vigueur différée, et ainsi de suite? Qu'est-ce qui conviendrait le mieux pour une mesure de ce genre, compte tenu du fait qu'il s'agira probablement d'une mesure permanente?

M. George Radwanski: Compte tenu de mon mandat, j'estime que ce n'est pas à moi de commenter la mesure dans son ensemble. Mon rôle consiste à commenter les parties de la loi qui ont trait au droit à la vie privée. Pour ce qui est de ces dispositions, voici où je loge. À l'exception des articles qui m'intéressent au premier chef, la plupart des autres dispositions apparaissent équilibrées. En ce qui les concerne, je ne réclamerais pas ardemment une clause d'extinction car j'estime qu'elles sont justifiables. Bien sûr, elles devraient faire l'objet d'un examen, mais je ne peux pas vous dire s'il faut les assujettir à une clause d'extinction.

Par ailleurs, les articles qui m'intéressent au plus haut point sont ceux qui auraient pour effet d'émasculer de façon inutile et injustifiée la Loi sur la protection des renseignements personnels et, parallèlement, de la même manière exactement, la loi régissant le secteur privé. Cela est encore moins justifiable dans le cas de cette dernière car je ne pense pas que les gouvernements étrangers partagent énormément de renseignements antiterroristes avec des entreprises privées ou du secteur manufacturier, par exemple. Mais c'est un tout autre débat. Mais en ce qui concerne ces dispositions, je ne suis pas partisan d'une clause d'extinction car si on en a besoin, cela signifie à mes yeux qu'elles n'auraient jamais dû être adoptées sous leur présente forme.

Pour ce qui est des parties qui relèvent de mon mandat, je n'ai pas grand-chose à dire au sujet d'éventuelles clauses d'extinction. Mais elles sont certainement très pertinentes pour d'autres volets de la mesure.

Le président: Je remercie le commissaire du temps qu'il nous a consacré et je remercie également les députés d'avoir fait preuve de discipline dans l'exercice du temps de parole qui leur a été imparti.

Je vais suspendre la séance brièvement pour permettre à notre prochain témoin de s'approcher de la table.

• 1229




• 1233

Le président: Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne reprend le cours de sa trentième séance. Nous étudions le projet de loi C-36.

Notre prochain témoin, M. John Reid, du Bureau du commissaire à l'information du Canada. Je constate que M. Reid est accompagné d'invités, qu'il ne manquera certainement pas de nous présenter.

Nous disposons d'une heure. J'espère que la déclaration liminaire prendra au plus une dizaine de minutes et ensuite, je passerai... Je vois que M. Bryden souhaite poser une question. En fait, son nom est sur la liste depuis 11 jours.

Monsieur Reid, je vous souhaite la bienvenue.

M. John M. Reid (Commissaire à l'information du Canada): Monsieur le président, honorables membres du comité, je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à comparaître.

Permettez-moi de vous présenter mes collègues: Daniel Brunet, conseiller juridique; Alan Leadbeater, sous-commissaire; et Dan Dupuis, directeur général des enquêtes et révisions.

Monsieur le président, permettez-moi d'aller droit au but.

Selon le paragraphe 69.1(1) du projet de loi, la ministre pourrait à tout moment «délivrer personnellement un certificat interdisant la divulgation de renseignements dans le but de protéger les relations internationales ou la défense ou la sécurité nationales». La même disposition prévoit que la Loi sur l'accès à l'information ne s'appliquerait pas à ces renseignements. Par conséquent, la ministre aurait, en délivrant un certificat de ce genre, le droit absolu et incontrôlable de maintenir le secret sur des renseignements pendant une période indéterminée. Je dis «absolu» car l'article 87 est formulé dans des termes flous et trop généraux pour décrire les circonstances dans lesquelles le procureur général pourrait à juste titre délivrer ce genre de certificat.

• 1235

Le commissaire à la protection de la vie privée a laissé entendre que les termes employés dans le projet de loi C-36 permettraient à la ministre de supprimer le droit d'accéder aux dossiers de ministères entiers. Je ne suis pas en désaccord avec lui: la formulation imprécise permet une application trop large. Et je dis «incontrôlable» car l'article 87, en désassujettissant l'information protégée par un certificat des dispositions de la Loi sur l'accès à l'information, supprime du même coup le pouvoir du commissaire à l'information et de la Cour fédérale du Canada d'exercer un contrôle indépendant pour déterminer si le secret est justifiable ou non.

Je renvoie ceux d'entre vous qui désireraient comprendre les mécanismes juridiques en jeu ici au paragraphe 36(2) et à l'article 46 de la Loi sur l'accès à l'information, dont une copie vous a été remise. Ces dispositions prévoient que le droit du commissaire et de la Cour d'examiner les documents l'emporte sur tout privilège garanti par les lois de la preuve ou sur toute restriction prévue par toute autre loi (y compris la Loi sur la preuve au Canada). Cependant, ce droit puissant ne s'applique qu'aux dossiers «auxquels cette Loi s'applique». C'est précisément pourquoi la modification proposée à l'article 87 du projet de loi C-36 précise que la Loi sur l'accès à l'information «ne s'applique pas» aux renseignements couverts par le certificat.

Je suis absolument convaincu—et je me fonde sur 18 années d'expérience sous le régime de cette Loi au cours desquelles il y a eu des périodes de guerre et de crise qui ont exigé l'échange de renseignements extrêmement confidentiels entre alliés—que notre Loi sur l'accès à l'information ne compromet en rien les relations internationales, la défense nationale ou la sécurité du Canada. Les articles 13, 15 et 16 de la Loi prévoient des exemptions puissamment et largement formulées au droit d'accès à l'information, qui sont conçues pour veiller à ce qu'aucun renseignement ne soit divulgué qui pourrait être préjudiciable aux relations internationales, à la défense du Canada ou aux efforts du Canada pour dépister, prévenir ou réprimer les activités subversives ou hostiles. Je vous invite à lire ces dispositions, dont des copies vous ont été distribuées, et vous constaterez les protections détaillées et solides que le Parlement a eu la prévoyance d'insérer dans la Loi.

Ce n'est pas pour rien que la loi prévoyait cette importante possibilité de secret. Ce pays a connu le terrorisme (explosions de bombes, enlèvement, assassinat), et la mémoire en était encore vive dans l'esprit des législateurs et des responsables gouvernementaux à la fin des années 70 et au début des années 80, au moment où notre loi sur l'accès à l'information a été élaborée. À l'époque, comme aujourd'hui, nous importions beaucoup de renseignement, surtout des États-Unis, et nous comprenions qu'il fallait prévoir des garanties pour rassurer nos alliés.

Nous n'avons tout simplement pas besoin d'en faire plus pour réagir à la menace terroriste actuelle, pas plus que les Américains, qui n'ont pas modifié et ne se proposent pas de modifier leur Loi sur l'Accès à l'Information à la suite des événements du 11 septembre 2001. Encore la semaine dernière, le ministère américain de la Justice confirmait qu'il n'était pas question de soustraire quelque document que ce soit à la portée de la FOIA non plus que de limiter le droit des tribunaux d'examiner des documents et d'être saisis de refus de divulgation. Pour les Américains, cela s'inscrit dans le cours normal des choses.

D'après toutes les explications publiques fournies par la ministre et ses fonctionnaires concernant la raison de cette proposition, il semblerait que le gouvernement lui-même ne doute pas une seconde que la Loi sur l'accès à l'information comporte toutes les garanties nécessaires concernant la divulgation de renseignements qui pourraient être préjudiciables aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité. Leur justification est la suivante: comme notre système prévoit le droit de demander un contrôle indépendant, le gouvernement ne peut donner à ses alliés la garantie absolue que l'information fournie par eux au Canada restera secrète.

Cette explication me laisse perplexe et inquiet. Nos principaux alliés et fournisseurs de renseignement fonctionnent eux-mêmes sous le régime de lois sur la liberté de l'information. Ils comprennent que l'objet de ces lois est de ne pas laisser les décisions relatives au secret aux aléas de l'arbitraire et qu'il faut les assujettir à un système de définition et de contrôle législatif et judiciaire.

Personnellement, il m'est difficile de croire que le gouvernement de l'un ou l'autre de nos principaux alliés insisterait, comme condition du partage de l'information, pour que les décisions relatives au secret au Canada soient de nouveau abandonnées au royaume de l'arbitraire. Dans les conversations que nous avons eues avec les porte-parole de nos juridictions alliées, nous avons cru comprendre qu'elles veulent toutes la même chose: elles veulent la simple assurance que ce qui doit être protégé peut l'être, et aucune d'elles ne doute de la capacité du Canada à le faire sous le régime de l'actuelle Loi sur l'accès à l'information.

• 1240

Une récente étude indépendante commandée par la ministre de la Justice et le président du Conseil du Trésor, confirme sans équivoque la solidité des protections de l'information relative à la sécurité nationale contenues dans la Loi sur l'accès à l'information. Le professeur Wesley K. Wark, de l'Université de Toronto, explique ce qui suit dans une étude intitulée La Loi sur l'accès à l'information et la collectivité canadienne de la sécurité et du renseignement:

    Les exigences de la population aux termes de la Loi sur l'accès à l'information peuvent être entravées par l'application des principales dispositions prévoyant des exemptions, à la fois obligatoires et discrétionnaires, de la Loi. Dans le domaine de la sécurité et du renseignement, les principales exemptions utiles sont l'article 13 (renseignements obtenus à titre confidentiel), l'article 15 (affaires internationales et défense), l'article 16 (enquêtes et menaces à la sécurité du Canada), l'article 21 (avis et recommandations). Dans leur ensemble, les exemptions sont un puissant mécanisme défensif permettant à la collectivité de protéger ses secrets. Le Service canadien du renseignement de sécurité et le Centre de la sécurité des télécommunications, qui sont les deux principaux organismes qui recueillent des données confidentielles, considèrent l'un et l'autre que la Loi sur l'accès à l'information offre des garanties suffisantes».

M. Wark dit plus loin dans son rapport:

    Les organismes de sécurité et de renseignement doivent continuer à disposer du pouvoir d'appliquer les exemptions prévues par la Loi sur l'accès à l'information pour protéger les renseignements dont la divulgation serait préjudiciable à la sécurité nationale et à la conduite des affaires internationales. Les exemptions actuelles sont des instruments puissants et suffisants pour garantir cette protection.

Depuis 1983, la Loi sur l'accès à l'information a été révisée en détail par un comité permanent du Parlement, un comité spécial de la Chambre des communes et deux commissaires à l'information—la dernière fois en 2000-2001—outre au moins trois fois par des fonctionnaires, tout dernièrement, et encore actuellement, par le Groupe de travail sur la réforme de la Loi sur l'accès à l'information. Jamais au grand jamais on n'a, dans ces exemples, laissé entendre que les articles 13, 15 et/ou 16 de la Loi sur l'accès à l'information ne suffisent pas à donner au gouvernement le pouvoir de protéger l'information dont la divulgation serait préjudiciable aux relations internationales, à la défense du Canada ou à la sécurité. Jamais au grand jamais on n'a, dans ces études, laissé entendre que la surveillance indépendante exercée par le commissaire à l'information et par les tribunaux compromettait d'une manière ou d'une autre des secrets vitaux.

Au cours des 18 années d'existence de la Loi sur l'accès à l'information, la divulgation impropre de renseignements de sécurité et de renseignements secrets n'a jamais été imputable à la Loi. Dans les rares occasions où cela s'est produit, la faute en est l'indiscrétion d'adjoints ministériels, les révélations d'anciens agents du renseignement devenus auteurs, des valises et ordinateurs perdus et, parfois, les révélations de ministres. Il y a là de quoi attirer l'attention sur la Loi sur les secrets officiels, mais non pas de quoi justifier les mesures proposées à l'article 87 du projet de loi C-36.

Même s'il y avait lieu de se demander si les exemptions protégeant les renseignements confidentiels sont suffisantes, la solution proposée par le gouvernement serait-elle valable? Maintiendrait-elle l'équilibre qui convient entre la protection des Canadiens contre les attaques terroristes et leur protection contre les abus de pouvoir de l'État? À mon avis, le gouvernement n'a pas besoin de supprimer les deux paliers de contrôle indépendant pour se permettre d'interdire la divulgation de certains documents. Comme le commissaire à l'information est, de par la loi, tenu de procéder à ses enquêtes en privé, de protéger la confidentialité de tous les renseignements et de ne faire que des recommandations en matière de divulgation, la ministre n'a pas besoin d'entraver ou de réduire le pouvoir d'examen du commissaire pour pouvoir prohiber la divulgation publique de documents. Seule la Cour fédérale a le pouvoir de procéder à des audiences publiques et d'ordonner la divulgation publique de documents refusés.

Monsieur le président, comme le temps presse, je vais sauter les trois ou quatre paragraphes suivants et en venir à ma conclusion.

Malgré le contexte que je viens de décrire, je ne suis pas de ceux qui croient que l'objet de l'article 87 du projet de loi C-36 est de dicter l'issue des causes actuellement entendues par les tribunaux. Je crois que la ministre et le gouvernement envisageront de modifier cette disposition s'ils croient honnêtement que son objectif, celui de protéger les Canadiens et leurs alliés contre le terrorisme, peut-être réalisé par des moyens moins radicaux. Mon espoir le plus fervent est que mes commentaires contribueront à convaincre les honorables membres de ce comité et, à travers eux, la ministre du fait que l'article 87 du projet de loi C-36 ne crée pas l'équilibre qui convient et doit être annulé.

• 1245

Si cette disposition n'est pas annulée, elle devrait renvoyer spécifiquement aux articles 13 et 15 de la Loi sur l'accès à l'information et ne devrait pas empêcher le commissaire à l'information d'examiner des documents au cours de ses enquêtes. De plus, toute disposition qui diminuerait les avenues d'examen indépendant existantes devrait se limiter au délai le plus court.

Le président: Merci, monsieur Reid.

Je vais commencer par M. Fitzpatrick, pour sept minutes.

M. Brian Fitzpatrick: Je voudrais obtenir une précision, monsieur Reid. Sauf erreur, vous avez dit qu'en vertu de la mesure actuelle, compte tenu du fait que vous êtes habilité à déterminer si un document devrait ou non être divulgué, il n'y a rien d'autre qui menace la sécurité nationale ou des intérêts importants dans la lutte contre le terrorisme.

M. John Reid: C'est exact. En vertu du régime actuel, les dispositions législatives sont à la fois solides et vigoureuses. Elles offrent protection. Le commissaire à l'information peut prendre connaissance de tous les documents en question, mais il n'en fait jamais la divulgation. Tout cela se passe sous le sceau de la confidentialité; par conséquent, il n'y a jamais de divulgation d'information qui pourrait mettre le gouvernement dans l'embarras.

La Cour d'appel fédéral vient d'entendre une cause dans laquelle on faisait valoir que ces documents ne pouvaient être communiqués au commissaire à l'information car il y avait une possibilité qu'ils soient divulgués. La Cour d'appel fédéral s'est penchée sur la question et a conclu que le commissaire à l'information n'avait jamais divulgué quelque information que ce soit, qu'il n'y avait jamais eu de fuite de ce Bureau. Par conséquent, cela n'a pas été jugé un motif raisonnable d'appel.

M. Brian Fitzpatrick: Si un dossier quittait votre ressort pour entrer dans le système de la Cour fédérale, serait-il possible—vous avez en effet mentionné que ses délibérations sont publiques—que l'information soit menacée de cette façon?

M. John Reid: D'après notre expérience de ce qui se fait à la Cour fédérale, lorsqu'elle reçoit des renseignements faisant l'objet d'un litige, elle en assure toujours la confidentialité. Tout se passe confidentiellement et rien n'est divulgué au public.

M. Brian Fitzpatrick: Avez-vous présenté à la ministre de la Justice des recommandations précises concernant vos préoccupations et quelles sont-elles?

M. John Reid: J'ai rencontré le sous-ministre de la Justice jeudi dernier, si je ne m'abuse. Nous avons essayé de comprendre la raison d'être de ces dispositions, de savoir ce que le ministère essaie de protéger. C'est là-dessus qu'a porté notre entretien. À cette occasion, on nous a dit que si nous avions des préoccupations sérieuses à ce sujet, nous pourrions préconiser que certains articles de la loi soient amendés pour assurer une meilleure protection à l'égard du certificat. Nous avons eu cette discussion.

M. Brian Fitzpatrick: Avez-vous reçu une réponse?

M. John Reid: Non.

M. Brian Fitzpatrick: Pensez-vous en recevoir une?

M. John Reid: Nous l'espérons.

M. Brian Fitzpatrick: D'accord.

Au sujet du paragraphe 69.1(2) proposé, d'après mon interprétation, certains éléments d'information en particulier seront assujettis à une prohibition. Mais d'après les témoignages que j'ai entendus, le libellé confère à un ministre le pouvoir d'imposer une interdiction de divulgation générale à toute information émanant d'un ministère du gouvernement, de simplement fermer l'accès au ministère. Craignez-vous que cette formulation lui accorde des pouvoirs beaucoup trop généraux?

M. John Reid: Ce qui m'inquiète, c'est qu'on ne définit pas ces expressions. Le seul endroit dans la législation canadienne où elles sont définies, c'est dans la Loi sur l'accès à l'information.

• 1250

J'ai proposé, entre autres, que l'on fasse référence aux définitions de la Loi sur l'accès à l'information pour ce qui est des termes «sécurité», «information provenant de pays étrangers» et «secrets militaires», pour que nous puissions tous savoir ce que vise le ministre avec ses certificats. À l'heure actuelle, étant donné que les définitions sont très vastes, il est difficile de savoir quelle information pourrait se soustraire à un certificat.

M. Brian Fitzpatrick: Y a-t-il quoi que ce soit dans la mesure qui nous donne une idée claire du champ de la sécurité nationale? Savons-nous où cela finit?

M. John Reid: À ma connaissance, lorsque des expressions ne sont pas définies, il devient très difficile de savoir quelles sont les limites.

M. Brian Fitzpatrick: Leur portée est donc sujette à l'interprétation?

M. John Reid: C'est exact. Tout dépend de la personne qui délivre le certificat.

M. Brian Fitzpatrick: En tant que député de l'opposition au Parlement, je trouve parfois frustrant d'essayer d'obtenir de l'information en temps normal. Cette mesure va-t-elle compliquer encore davantage la tâche des parlementaires?

M. John Reid: Pour ce qui est de renseignements concernant la sécurité et de l'information visée par ces certificats, oui. Il y aura une interdiction absolue en ce qui concerne l'accès à cette information et ce, pour toujours. C'est une prohibition permanente, selon le libellé actuel.

Si l'on regarde d'autres types de renseignements exclus de la loi, les délibérations du Cabinet, par exemple, cette interdiction de divulgation prend fin après 20 ans. En l'occurrence, il n'y a pas d'échéance.

M. Brian Fitzpatrick: Le commissaire à la protection de la vie privée a comparu devant le comité et il nous a dit qu'à tout le moins, il aimerait être habilité à prendre connaissance de l'information visée par le certificat et à prodiguer des conseils au ministre. Êtes-vous d'accord avec lui ou souhaiteriez-vous aller plus loin?

M. John Reid: Le commissaire à la protection de la vie privée et le commissaire à l'information ont des pouvoirs similaires en ce sens qu'ils sont habilités à prendre connaissance de documents litigieux, mais qu'ils ne peuvent en divulguer la teneur.

Ce qui me dérange dans la façon dont la loi est rédigée, c'est qu'il n'y a aucune reddition de comptes de la part de la personne ayant le pouvoir de délivrer les certificats. Je suis d'accord avec le commissaire à la protection de la vie privée: tout régime permettant une certaine responsabilisation serait une bonne chose et qui plus est, je conviens avec lui que la meilleure façon d'assurer cette responsabilisation est de permettre un droit de regard de la part d'un officier indépendant du Parlement.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Fitzpatrick.

[Français]

Monsieur Bellehumeur.

M. Michel Bellehumeur: Monsieur Reid, je vous remercie d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Je vous dirai très honnêtement que votre témoignage, que vous avez remis par écrit, est très, très clair. Je suis persuadé que vous et les gens de votre entourage avez suivi le débat à la Chambre des communes et les questions que nous avons posées à la ministre relativement à ce point précis.

Je me souviens que ma collègue de Saint-Bruno, Pierrette Venne, et moi-même avons posé une question claire en citant l'article 15. Comme moi, vous avez entendu la réponse qui, en quelque sorte, contredit votre explication de cet après-midi. J'ai lu cet article-là et on a consulté d'autres personnes, et je pense que vous avez la bonne interprétation.

Ma question est la suivante. Advenant le cas où la ministre, pour toutes sortes de raisons, ne veuille pas modifier l'article 87, et, comme vous l'avez dit vous-même, que ça devienne, avec le temps, une interdiction permanente, qu'il y ait quelque chose de permanent, qu'on modifie en ajoutant, dans le texte de la loi que vous nous avez remis, au paragraphe 69(1) de la Loi sur l'accès à l'information...

• 1255

Je suis sûr que vous voyez venir ma question et que vous vous y êtes préparé. Ne croyez-vous pas que c'est un des articles, advenant le cas où la ministre ne veuille absolument pas modifier quoi que ce soit pour toutes sortes de considérations qu'elle ne veut pas nous dire, où on devrait mettre une clause crépusculaire pour dire qu'après une période clairement déterminée de trois ans, quatre ans, cinq ans—je ne sais pas et je ne veux pas m'arrêter là-dessus, mais nous, nous proposons trois ans, mais ça pourrait être autre chose—on retourne à l'ancienne loi, on retourne à notre façon de faire? Comme le disait notre premier ministre au lendemain du 11 septembre, il ne faut rien changer, il ne faut pas céder à la terreur, il faut continuer notre mode de vie.

Est-ce que ce ne serait pas un bon exemple à donner pour cet article-là en particulier? Je sais que vous êtes limité. Vous avez examiné tout le projet de loi, mais, comme le commissaire à la protection de la vie privée l'a fait plus tôt, d'un oeil beaucoup plus intéressé aux articles qui touchent surtout votre mandat. Là, c'est l'article 87 qui entre de plein fouet dans votre mandat et dans la législation à laquelle vous êtes habituée, qui est l'objet de votre expertise. Est-ce que, au moins, cela vous sécuriserait d'avoir une clause crépusculaire ou de temporisation, donnez-lui le nom que vous voulez, dans cet article?

[Traduction]

M. John Reid: Cela me réconforte. Absolument. Mais d'après moi, le gouvernement n'a pas présenté des arguments suffisamment convaincants pour justifier cet article, même pour trois ans, même avec une clause d'extinction.

Si l'on regarde ce qui se passe chez nos alliés, ils sont tous assujettis à des lois sur la liberté de l'information qui ne sont pas modifiées; ils n'ont rien changé. Personne, de par leurs lois, n'a le pouvoir de délivrer des certificats, comme cela est prévu dans la mesure à l'étude. Nous allons avoir un régime où la liberté d'information sera relative comparativement à celui de nos alliés qui, eux, conservent les choses telles qu'elles sont dans leur loi sur l'accès à l'information. La question qui se pose est la suivante: pourquoi nos alliés n'apportent-ils pas des changements similaires à leurs lois sur la liberté de l'information et la protection des renseignements personnels? Pourquoi le gouvernement du Canada juge-t-il nécessaire de prendre des mesures aussi radicales qui risquent de miner notre législation?

[Français]

M. Michel Bellehumeur: On va s'entendre très, très bien. Je suis d'avis, comme vous, que pour cette partie-là, entre autres, le gouvernement fédéral n'avait pas à modifier quoi que ce soit, parce que, effectivement, on a des exemples de nos alliés, mais aussi parce qu'il y a, dans la loi, des mécanismes excessivement précis qui empêchent la sécurité nationale de donner quelque information que ce soit. Je pense qu'on est blindés à gauche et à droite. Il n'y a pas de justification pour modifier quoi que ce soit à la loi. Vous avez totalement raison, et vous avez mon appui à 100 p. 100.

Je n'ai pas d'autres questions, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Monsieur MacKay, vous disposez de sept minutes.

M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.

Monsieur Reid, je tiens à vous remercier, vous et tous vos fonctionnaires. Nous vous sommes certes reconnaissants de vous être donné la peine de venir ici aujourd'hui pour nous exposer vos arguments très convaincants en faveur du retranchement ou de la modification de cette disposition. Ces 20 dernières minutes ont bien fait ressortir que nous allons beaucoup plus loin que les autres pour restreindre la diffusion d'information à laquelle sont en droit de s'attendre les Canadiens et Canadiennes.

Sans vouloir accuser qui que ce soit de malfaisance ou de mauvaises intentions politiques, j'affirme que cette disposition particulière confère au ministre, selon vous et d'autres, le pouvoir, au moyen du certificat, de freiner la divulgation de renseignements de son choix, sans autre explication. Est-il juste de dire qu'il—c'est-à-dire le ministre ou le gouvernement—n'est pas tenu de donner des explications quant à la raison pour laquelle les renseignements ne seraient pas divulgués sur demande, quand le pouvoir de délivrer le certificat est invoqué?

M. John Reid: C'est juste.

M. Peter MacKay: Utilisons comme exemple l'affaire qui est actuellement devant les tribunaux. Je ne m'attends pas que vous fassiez beaucoup de commentaires à ce sujet, mais dans le cas de ce genre de renseignement, c'est-à-dire l'agenda du premier ministre, si un pareil certificat était émis, le gouvernement pourrait refuser de divulguer l'information par souci de protéger des relations internationales ou des intérêts de défense nationale ou de sécurité. Cette définition fourre-tout n'exige aucune justification. Le certificat est simplement délivré, puis on refuse de communiquer l'information.

• 1300

M. John Reid: C'est juste, parce que la plupart des expressions ne sont pas définies dans la loi, mais plutôt par la personne qui délivre le certificat.

M. Peter MacKay: Bon, si cela venait à se produire, votre bureau et celui du Commissaire à la protection de la vie privée seraient essentiellement hors circuit et ils n'auraient aucun recours, même en tant que mandataires du Parlement. Pourtant, vous servez très souvent de cour d'appel aux parlementaires, si je peux m'exprimer ainsi. En refusant à vous et, par la force des choses, aux parlementaires, voire à tous les Canadiens cette information, le gouvernement, quand il délivre un certificat, se terre dans un bunker.

M. John Reid: Il est importe aussi de reconnaître que, lorsqu'un certificat est délivré, ce n'est pas seulement le commissaire de l'accès à l'information qui est mis hors circuit, mais aussi les tribunaux. Une fois que le certificat a été délivré, l'interdiction est totale et vise tout le système de révision des décisions prises par après. L'effet du certificat est beaucoup plus fort que ce que vous avez décrit.

M. Peter MacKay: À nouveau, il se peut que l'on doive se livrer à certaines conjectures. Mis à part une menace à la sécurité nationale ou tout autre événement qui pourrait paralyser le gouvernement ou constituer une menace comme ce que nous avons vu le 11 septembre, quelle autre éventualité exigerait essentiellement que le gouvernement dise à la population canadienne qu'il ne peut faire confiance au commissaire à la protection de la vie privée ou au commissaire de l'accès à l'information?

M. John Reid: Je ne puis émettre de conjectures à cet égard.

M. Peter MacKay: Vous avez dit dans votre exposé, tout à l'heure, que vous aviez consulté d'autres pays et qu'ils ne craignaient pas de divulguer de l'information au Canada, qu'ils ne se sentaient pas particulièrement vulnérables et qu'aucun de nos alliés n'hésiterait à nous fournir des renseignements dans le cadre législatif actuel. Vous-même n'avez constaté aucune hésitation?

M. John Reid: C'est juste. Ces échanges cependant ont eu lieu avec ceux qui se chargent de protéger au sein de leurs compétences les lois d'accès à l'information. Nous n'avons pas discuté avec des membres du milieu de renseignement de sécurité. Nous avons parlé à ceux qui sont responsables de l'accès à l'information. Si, en fait, le gouvernement était très préoccupé par la manière dont l'information est traitée sous ses régimes, il me semble que tout autre pays qui réunit des renseignements de sécurité prendrait alors des mesures pour modifier lui aussi sa loi, et nous aurions pour principe que si, en fait, d'autres pays le faisaient, alors nos arguments ne seraient pas aussi probants qu'ils le sont. Nous avons constaté qu'aucun des pays consultés n'est en train de changer sa loi. Nous interprétons cela comme un signe qu'il n'est pas nécessaire de modifier la nôtre.

En fait, si vous examinez la loi des États-Unis en ce qui concerne la sécurité et que vous la comparez à la nôtre, vous constaterez que la nôtre est beaucoup plus musclée et comporte des limites beaucoup mieux définies que la loi américaine.

M. Peter MacKay: Monsieur Reid, vous avez parlé des États-Unis. Pouvez-vous simplement nous nommer d'autres pays à propos desquels on pourrait dire la même chose?

M. Alan Leadbeater (sous-commissaire, Commissariat à l'information du Canada): L'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni sont les autres.

M. Peter MacKay: Il y a une nette contradiction ici, puisque la raison même invoquée par le ministère et par le ministre est que cette disposition vise à rassurer nos alliés. Or, vous venez tout juste de nommer plusieurs de nos principaux alliés qui n'ont pas pris ces mesures et qui ne semblent pas préoccupés par la circulation de l'information chez nous.

M. John Reid: C'est juste.

M. Peter MacKay: Je vous remercie.

Le président: Monsieur Bryden, vous avez sept minutes.

M. John Bryden: Merci, monsieur le président.

J'aimerais simplement faire une parenthèse et demander si, aux États-Unis, le président n'a pas le pouvoir d'ordonner l'exclusion d'un renseignement?

M. John Reid: Il en a effectivement le pouvoir, mais cette décision peut faire l'objet d'une révision par les tribunaux. Quand un certificat est délivré au Canada, les tribunaux et le Commissaire à l'information n'ont pas de pouvoir de révision, parce qu'on refuse de leur communiquer l'information.

• 1305

M. John Bryden: À cet égard, ai-je raison de croire que la disposition établissant le certificat que nous avons ici permet à la ministre de tenir secrète la nature même du secret qu'elle protège?

M. John Reid: Effectivement.

M. John Bryden: D'accord. Je vous remercie. Je tenais à m'assurer que j'avais bien compris.

Pouvez-vous nous dire comment cette disposition 87 du projet de loi à l'étude se compare à l'article 69 de la Loi sur l'accès à l'information qui met aussi en jeu une exclusion? L'article 69 de la Loi sur l'accès à l'information n'exige pas de certificat. Y a-t-il un rapport entre les deux dispositions?

M. John Reid: Il y en a effectivement un. Actuellement, l'article 69 vise à interdire la diffusion de tous les documents et documents confidentiels du Cabinet pour 20 ans—et donc à en refuser l'accès aux Canadiens—et donc à refuser aux Canadiens l'accès—. Aux termes de cette disposition, l'information visée par le certificat tombe sous le coup de l'article 69 et est exclue, pour toujours.

M. John Bryden: Nous pouvons peut-être remanier un peu le texte? Si nous disions que le certificat peut faire l'objet d'une révision tout comme dans l'exemple des États-Unis et si nous limitions à 15 ans, par exemple, la durée de l'exclusion, après quoi naturellement l'exclusion se transformerait en exemption ordinaire, cela aiderait-il au moins, en partie, à le rendre un peu plus acceptable?

M. Alan Leadbeater: Pourquoi auriez-vous besoin d'un certificat dans pareille circonstance? Si l'exemption peut faire l'objet d'une révision, pour quelle raison aurait-on besoin d'un certificat pouvant faire l'objet d'un examen?

M. John Bryden: J'essaie simplement de dire qu'il existe de toute évidence aux États-Unis une exclusion et que, puisque nous aimons parfois nous inspirer en tant que gouvernement de ce que font les États-Unis... Je ferai remarquer que c'est le président qui délivre le certificat, alors qu'ici, il est question de permettre à un simple ministre de le faire, ce qui, si j'ai bien compris, signifie qu'en réalité, le ministre peut délivrer le certificat sans même que le premier ministre soit au courant.

M. John Reid: Cela semble effectivement être le cas.

M. John Bryden: Cela semble effectivement être le cas. À nouveau, je reviens au fait que, s'il faut prévoir l'exclusion qui est décrite ici, un pouvoir qui ressemble à celui qu'a le président aux États-Unis, ne pouvons-nous pas le rendre un peu plus facile à accepter en le limitant dans le temps, par exemple pour 15 ans? Nous pourrions dire que le certificat autorisant l'exclusion peut faire l'objet d'un examen par les tribunaux, voire par le Commissaire à l'information.

M. John Reid: Ce serait un garde-fou important.

M. Alan Leadbeater: Monsieur Bryden, en ce qui concerne l'article 69 et son parallèle, l'article 69 fait, comme vous vous en souviendrez peut-être, une description fort détaillée de ce qu'est un document confidentiel du Cabinet. Il se peut que, pour dresser le parallèle, pour avoir des définitions détaillées de ce que sont les relations internationales et les intérêts de défense et de sécurité nationales, la loi renvoie simplement aux articles 13 et 15, de la même façon que l'article 69 est mentionné dans la Loi sur la preuve au Canada en rapport avec les certificats visant les documents confidentiels du Cabinet.

M. John Bryden: Une dernière remarque, monsieur le président. Je remarque effectivement—si j'arrive à trouver les mots pour l'exprimer—que je ne vois rien dans cette loi qui le limite au projet de loi comme tel. Ce que ces messieurs tentent de faire valoir, je crois, c'est qu'il faut, entre autres choses, définir l'article 87 du projet de loi de sorte que ces termes relèvent exclusivement du projet de loi C-36. Ai-je raison?

M. John Reid: Vous avez raison. L'autre point que je tenais à souligner, c'est qu'il ne sert à rien d'avoir un certificat qui peut faire l'objet d'un examen si l'on a pas défini quels renseignements sont visés par le certificat. Si le certificat s'applique à n'importe quoi qui a rapport avec la sécurité nationale, que pourrait dire un tribunal ou un commissaire à l'information chargé de l'examiner, au sujet d'un mot ou d'une expression qui n'est pas défini? Comme l'a dit M. Leadbeater, il faut les définir et faire en sorte que les définitions sont précises, pour que nous sachions tout ce qu'elles désignent.

Le président: Monsieur Bryden, je vous remercie beaucoup.

Monsieur Fitzpatrick.

• 1310

M. Brian Fitzpatrick: J'aurais quelques commentaires à faire.

Je fais peut-être erreur, et vous me corrigerez s'il le faut, mais l'expérience m'a appris que, quand des gouvernements créent quelque chose, il est très rare qu'ils l'abolissent par la suite.

Autre problème, d'après le témoignage que vous nous avez donné, monsieur Reid—ce dont je vous remercie—nous vivons dans une démocratie constitutionnelle, et je crois que, surtout en démocratie, il est dangereux de signer un chèque en blanc sans prévoir de freins et de contrepoids. J'en déduis, d'après le témoignage que vous nous faites aujourd'hui, que cela vous préoccupe, vous aussi.

M. John Reid: C'est vrai.

M. Brian Fitzpatrick: Simplement pour être sûr d'avoir bien compris, car je ne voudrais pas vous faire dire quelque chose que vous n'avez pas dit, si j'ai bien compris, monsieur, vous disiez que la meilleure chose à faire ici était de s'attaquer directement au problème et de le régler. Nous en avons discuté en long et en large, et je crois que vous avez fait valoir d'excellents points. Par ailleurs, nous n'avons pas à nous lancer dans de longs débats sur l'opportunité de prévoir des dispositions de temporisation, entre autres, pour des mesures qui pouvaient sembler de prime abord plutôt draconiennes. Est-ce là votre position, que nous n'avons pas besoin de le faire, que la loi que nous avons déjà règle les préoccupations que pourrait avoir le gouvernement?

M. John Reid: C'est juste. Tant la Loi sur la protection des renseignements personnels que la Loi sur l'accès à l'information fournissent au gouvernement toute la légitimité dont il a besoin. Elles établissent toutes les définitions et prévoient un examen indépendant. De plus, cet examen est prévu dans un contexte où il n'y a pas communication de renseignements et où le pouvoir de les rendre publics ne réside pas dans les mains du Commissaire à l'information ou du Commissaire à la protection de la vie privée. Le gouvernement maintient donc sa position tout au long de l'examen.

Parallèlement, en laissant les lois comme elles sont, vous pouvez confier à une personne indépendante, qui est toutefois mandataire du Parlement, l'examen des activités en vertu de cette disposition particulière pour qu'il puisse y avoir à un moment donné une statistique juste dans le rapport annuel des commissaires.

Le président: Je vous remercie, monsieur Fitzpatrick.

Monsieur Owen, vous avez trois minutes.

M. Stephen Owen: Merci, et je vous salue monsieur Reid, monsieur Leadbeater, chers collègues.

En ce qui concerne votre position—et peut-être M. Leadbeater peut-il nous renseigner plus précisément sur la situation en Grande-Bretagne—je crois qu'il existe une disposition selon laquelle le Secrétaire de l'Intérieur peut délivrer un certificat interdisant la divulgation dans l'intérêt public qui pourrait, selon mon expérience qui date un peu, servir à cette fin précise. Vous avez peut-être vu cela quelque part que c'était le Secrétaire de l'Intérieur qui en avait la responsabilité. Il pourrait aussi s'agir d'une coutume constitutionnelle. En savez-vous plus long là-dessus?

M. Alan Leadbeater: D'après mes informations, il existe effectivement une procédure d'interdiction en Grande-Bretagne, mais elle est sujette à examen. Ce matin, nous avons promis au comité de l'autre endroit de lui envoyer un schéma de la façon dont les autres autorités s'y prennent. Je vous en enverrai copie avec plaisir.

M. Stephen Owen: Ce serait très utile.

Le président: Est-ce tout, monsieur Owen?

[Français]

Monsieur Bellehumeur.

M. Michel Bellehumeur: Non. C'est très, très clair.

[Traduction]

Le président: M. Blaikie ou M. McKay?

M. John McKay: J'en conclus donc, essentiellement, que selon vous au mieux, cet article est inutile et, au pire, il va trop loin.

Que signifie exactement, d'un point de vue juridique, «protéger les relations internationales»? J'arriverais à comprendre le sens de «défense nationale» et de «sécurité», mais «relations internationales» me semble un énorme fourre-tout, qui pourrait comprendre une foule d'informations.

M. John Reid: Comme cette expression n'est pas définie dans la loi, elle a le sens que vous décidez de lui donner. Elle peut englober les informations les plus inoffensives comme les secrets les plus techniques. Sans définition précise, elle peut signifier n'importe quoi.

• 1315

«Sécurité» peut désigner n'importe quoi, comme «secrets militaires» peut englober énormément de choses. C'est pourquoi je vous recommande de vous référer à la Loi sur l'accès à l'information et aux définitions de la loi que je vous ai citées. Ainsi, lorsqu'un certificat d'interdiction sera délivré, on saura au moins à quoi il s'applique. Ce sera précis. Vous pourrez aussi prévoir un mécanisme d'examen encore plus précis et direct.

M. John McKay: Y a-t-il une définition de «relations internationales» dans la Loi sur l'accès à l'information?

M. John Reid: Oui.

M. Alan Leadbeater: Pour ce qui est de la loi, deux articles portent sur la question. L'un interdit obligatoirement la divulgation de renseignements obtenus à titre confidentiel d'un gouvernement étranger ou de ses organismes. Nul besoin de démontrer le risque de préjudice du renseignement, il n'a qu'à avoir été obtenu à titre confidentiel.

Plus loin, l'article 15 interdit de divulguer des renseignements potentiellement préjudiciables. L'article s'étend sur cinq pages d'exemples et de descriptions de situations susceptibles de porter préjudice. Il ne contient aucune petite définition claire, mais une liste de cinq pages d'exemples de situations potentiellement préjudiciables.

M. John McKay: Que signifie «La Loi sur les textes réglementaires ne s'applique pas aux certificats délivrés au titre de [ce] paragraphe»? Cela veut-il dire que cet article ne peut renvoyer à votre projet de loi ou à une autre loi?

M. Daniel Brunet (avocat général, Commissariat à l'information du Canada): Votre question porte-t-elle sur les incidences du paragraphe 69.1(2) proposé?

M. John McKay: Non, sur le paragraphe 69.1(3).

M. Daniel Brunet: Le paragraphe 69.1(3) proposé dicte que «la Loi sur les textes réglementaires ne s'applique pas au certificat délivré au titre du paragraphe (1).» Je n'ai pas en main la Loi sur les textes réglementaires, mais ce paragraphe renvoie au mécanisme d'enregistrement de toutes les ordonnances et de tous les règlements adoptés par le gouvernement.

Le libellé de la Loi sur les textes réglementaires pourrait être interprété de sorte que tout certificat délivré par le procureur général en vertu de la disposition 16.(1) doive être enregistré conformément au mécanisme prescrit dans la Loi sur les textes réglementaires. C'est pourquoi les certificats font l'objet d'une exception.

M. John Reid: Les certificats n'ont pas à être enregistrés.

M. Daniel Brunet: Ils n'ont pas à être enregistrés. C'est l'objet du paragraphe 69.1(3) proposé.

Le président: Merci.

Monsieur Blaikie, sinon, monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: Dans la foulée de la question de mon collègue, M. MacKay, croyez-vous qu'il y ait moyen de définir ou de fixer des paramètres de situations, où le procureur général pourrait justifier son refus ou son acceptation de délivrer un certificat interdisant la libre circulation de renseignements? Serait-ce acceptable selon vous? Pourrions-nous également inclure dans cette définition les demandes provenant d'autres pays, ce qui signalerait que le gouvernement est en possession des renseignements?

Je suis conscient que cette façon de faire serait fastidieuse et loin d'être idéale, mais si le gouvernement a bel et bien l'intention, comme il le dit, de protéger les renseignements qu'il pourrait recevoir de ses alliés, n'y aurait-t-il pas lieu de les signaler? Cette mesure contribuerait grandement à apaiser les craintes que le gouvernement ne refuse de divulguer des renseignements parce qu'il ne le veut tout simplement pas et qu'il est libre d'agir à sa guise.

M. John Reid: M. Leadbeater a une idée.

M. Alan Leadbeater: Je crois qu'il en va exactement de même que pour les interdictions en vertu de l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada qui porte sur les renseignements confidentiels du Cabinet. Cet article permet au greffier d'attester qu'un dossier particulier renferme des renseignements confidentiels du Cabinet au sens de la Loi.

Cet article pourrait suivre le même modèle. La ministre de la Justice pourrait attester qu'un document en particulier est assujetti à l'article 13, 15 ou 16 de la loi. Cette attestation serait définitive, quelle qu'en soit l'intention ou l'objet, sous réserve des examens prévus dans la Loi.

M. Peter MacKay: Je vous remercie.

Le président: C'est moi qui vous remercie, monsieur MacKay.

Monsieur Bryden.

M. John Bryden: Une petite précision, si je puis me permettre—je suis un peu confus moi-même—n'avons-nous pas besoin de la Loi sur l'accès à l'information pour faire une évaluation indépendante des effets des articles 103 et 104 sur la Loi sur la protection des renseignements personnels?

• 1320

M. Radwanski nous a expliqué l'optique de ces lois, mais nous ne pourrons pas vérifier ce qui se passe. N'est-ce pas là une raison de plus pour insister sur la nécessité de la Loi sur l'accès à l'information pour assurer le suivi de la façon dont le gouvernement traite les renseignements exclus en vertu des articles 103 et 104? Est-ce clair?

M. Alan Leadbeater: Je vois où vous voulez en venir.

Si quelqu'un voulait savoir combien de certificats ont été délivrés, ce que les fonctionnaires ont décrit comme incidences et ainsi de suite, ces renseignements ne seraient accessibles qu'en invoquant la Loi sur l'accès à l'information.

M. John Bryden: Raison de plus pour préciser l'article 87, qui a des incidences encore pires sur les articles 103 et 104 du projet de loi à l'étude.

C'est tout ce que j'ai à dire.

Le président: Je vous remercie.

Monsieur Fitzpatrick, une dernière question.

M. Brian Fitzpatrick: Je demeure inquiet des conséquences involontaires et me demande en quoi les choses seront différentes.

Par exemple, bon nombre de membres de mon caucus aiment se rendre à la frontière où, comme on le sait, il faut beaucoup de patience pour passer. Ils rencontrent les douaniers et échangent simplement avec eux pour savoir comment ils voient les choses, comment nous pourrions améliorer le système... Comme M. McKay l'a mentionné, «relations internationales» me semble une belle expression fourre-tout. Si une quelconque forme d'interdiction est imposée aux douaniers, ces échanges ne seront plus possibles. Ils ne pourront plus parler. Si la circonscription que vous représentez est à deux pas de la frontière et que sa population est vraiment importunée par les files de camions et le reste, vous ne pourrez plus aller parler à qui que ce soit à la frontière dans l'espoir de trouver des solutions au problème.

Je m'inquiète vraiment beaucoup des conséquences que cela pourrait avoir. La définition, telle qu'elle figure dans cet article, est beaucoup trop large.

M. John Reid: En tant qu'ancien législateur, je crains toujours le manque de définitions dans les lois. Deuxièmement, je me dis dans ce cas-ci que s'il n'y a pas de gros problèmes, il ne faut rien changer. Une intervention majeure ne semble pas s'imposer en ce qui a trait à la Loi sur l'accès à l'information ou la Loi sur la protection de la vie privée. Enfin, d'après mon expérience, lorsque des choses se retrouvent dans des projets de loi omnibus elles ne sont jamais corrigées; elles font partie intégrante de la mesure. J'aurais tendance à considérer des changements de ce genre comme permanents qu'il s'agisse d'un article de temporisation ou d'un examen parlementaire et je crois que vous devez l'aborder avec cette idée en tête.

Le président: Merci beaucoup.

On a fait allusion pendant la discussion, peut-être avec M. Bryden, au fait que de l'information supplémentaire était mise à la disposition des membres du comité de l'autre endroit. Je crois qu'il s'agit d'un tableau comparatif de textes internationaux comparables. Si vous pouviez nous le fournir, nous vous en serions grandement reconnaissants.

Je remercie les témoins d'avoir comparu ici aujourd'hui et les collègues de leur patience.

J'aurais deux ou trois questions de régie interne sur lesquelles j'aimerais attirer votre attention, s'il vous plaît.

Demain après-midi à 12 h 30, je confirme que nous recevrons le professeur Paul Wilkinson qui est le président de la Commission gouvernementale chargé de la reformulation de la loi britannique de lutte contre le terrorisme. Le moment choisi, je sais, est un peu inhabituel pour ce comité, mais comme il se trouve en Amérique du Nord il est en mesure de nous rencontrer. C'est le seul moment où il pouvait se libérer. Il est aussi le fondateur du Centre of the Study of Terrorism and Political Violence de l'Université de St. Andrews.

Entre 13 heures et 13 h 30 demain, après le départ de M. Wilkinson, nous réglerons quelques affaires étant donné que nous avons reçu le nom d'un certain nombre de nouveaux témoins possibles. Je demanderai aux membres du comité dans quelle mesure nous voulons mener à bonne fin rapidement ou non nos travaux étant donné que l'introduction d'un grand nombre de nouveaux témoins aura une incidence à cet égard. Je m'en remets à vous.

Je vous signale également que cet après-midi, à 15 h 30, nous accueillons, du Centre de la sécurité des télécommunications, Keith Coulter et le ministre de la Défense nationale. Demain nous recevrons, comme je l'ai dit, le professeur Wilkinson. Demain après-midi nous entendrons Wesley Wark, Martin Rudner, Patrick Monahan et Alan Borovoy et nous tiendrons des tables rondes de nouveau jeudi.

Sur ce, quiconque a des témoins à proposer devrait s'assurer de le faire.

La séance est levée.

ANNEXE

[Français]

Remarques de l'honorable John M. Reid, c.p. Commissaire à l'information du Canada

Monsieur le président, honorables membres de cet important comité, je suis très heureux d'avoir la possibilité de vous faire part de certaines de mes préoccupations concernant quelques dispositions du projet de loi C-36 et de répondre aux questions que vous voudriez me poser concernant les effets du projet de loi sur la Loi sur l'accès à l'information. Je suis accompagné du sous-commissaire, Alan Leadbeater, de mon conseiller juridique, Daniel Brunet, et du directeur général des Enquêtes et révisions, Dan Dupuis.

Le travail de ce Comité s'inscrit dans un contexte d'urgence sans précédent pour la santé et la sécurité des Canadiens et de leurs alliés, notamment les États-Unis d'Amérique. Le travail de la ministre de la Justice et de ses fonctionnaires, dans le cadre de l'élaboration du projet de loi, a également été une course contre la montre pour doter le Canada d'instruments juridiques solides pour lutter contre le terrorisme. La ministre a cependant précisé très clairement, et c'est tout à son honneur, que, s'il fallait effectivement accélérer la promulgation de mesures antiterroristes, il fallait aussi les adapter soigneusement aux menaces et éviter au maximum d'enfreindre les droits et libertés qui sont la marque de notre société libre et démocratique.

Je suis convaincu que cet honorable Comité considère que son rôle est d'aider la ministre à réaliser cet objectif. À titre de membre du Parlement et de témoin devant ce Comité, j'espère, moi aussi, aider la ministre en proposant une critique constructive.

Permettez-moi d'aller droit au but. Selon l'article 87 du projet de loi, la ministre pourrait «à tout moment, délivrer personnellement un certificat interdisant la divulgation de renseignements dans le but de protéger les relations internationales ou la défense ou la sécurité nationales». La même disposition prévoit que la Loi sur l'accès à l'information ne s'appliquerait pas à ces renseignements.

Par conséquent, la ministre aurait, en délivrant un certificat de ce genre, le droit absolu et incontrôlable de maintenir le secret sur des renseignements pendant une période indéterminée. Je dis «absolu» car l'article 87 est formulé dans des termes flous et trop généraux pour décrire les circonstances dans lesquelles le procureur général pourrait à juste titre délivrer ce genre de certificat. Le commissaire à la protection de la vie privée a laissé entendre que les termes employés dans le projet de loi C-36 permettraient à la ministre de supprimer le droit d'accéder aux dossiers de ministères entiers. Je ne suis pas en désaccord avec: la formulation imprécise permet une application trop large. Et je dis «incontrôlable» car l'article 87, en désassujettissant l'information protégée par un certificat des dispositions de la Loi sur l'accès à l'information, supprime du même coup le pouvoir du commissaire à l'information et de la Cour fédérale du Canada d'exercer un contrôle indépendant pour déterminer si le secret est justifiable ou non.

Je renvoie ceux d'entre vous qui désireraient comprendre les mécanismes juridiques en jeu ici au paragraphe 36(2) et à l'article 46 de la Loi sur l'accès à l'information. Ces dispositions prévoient que le droit du commissaire et de la Cour d'examiner les documents l'emporte sur tout privilège garanti par les lois de la preuve ou sur toute restriction prévue par toute autre loi (y compris la Loi sur la preuve au Canada). Cependant, ce droit puissant ne s'applique qu'aux dossiers auxquels cette loi s'applique. C'est précisément pourquoi la modification proposée à l'article 87 du projet de loi C-36 précise que la Loi sur l'accès à l'information «ne s'applique pas» aux renseignements couverts par le certificat.

Je suis absolument convaincu—et je me fonde sur 18 années d'expérience sous le régime de cette loi au cours desquelles il y a eu des périodes de guerre et de crise qui ont exigé l'échange de renseignements extrêmement confidentiels entre alliés—que notre Loi sur l'accès à l'information ne compromet en rien les relations internationales, la défense nationale ou la sécurité du Canada. Les articles 13, 15 et 16 de la loi prévoient des exemptions puissamment et largement formulées au droit d'accès à l'information, qui sont conçues pour veiller à ce qu'aucun renseignement ne soit divulgué qui pourrait être préjudiciable aux relations internationales, à la défense du Canada ou aux efforts du Canada pour dépister, prévenir ou réprimer les activités subversives ou hostiles. Je vous invite à lire ces dispositions, dont des copies vous ont été distribuées, et vous constaterez les protections détaillées et solides que le Parlement a eu la prévoyance d'insérer dans la loi.

Ce n'est pas pour rien, bien entendu, que la loi prévoyait cette importante possibilité de secret. Ce pays a connu le terrorisme (explosions de bombes, enlèvement, assassinat), et la mémoire en était encore vive dans l'esprit des législateurs et des responsables gouvernementaux à la fin des années 1970 et au début des années 1980, au moment où notre loi sur l'accès à l'information a été élaborée. À l'époque, comme aujourd'hui, nous importions beaucoup de renseignement, surtout des États-Unis et nous comprenions qu'il fallait prévoir des garanties pour rassurer nos alliés.

Nous n'avons tout simplement pas besoin d'en faire plus pour réagir à la menace terroriste actuelle, pas plus que les Américains, qui n'ont pas modifié et ne se proposent pas de modifier leur Loi sur l'accès à l'information à la suite des évènements du 11 septembre 2001. Encore la semaine dernière, le ministère américain de la Justice confirmait qu'il n'était pas question de soustraire quelque document que ce soit à la portée de la FOIA non plus que de limiter le droit des tribunaux d'examiner des documents et d'être saisis de refus de divulgation.

D'après toutes les explications publiques fournies par la ministre et ses fonctionnaires concernant la raison de cette proposition, il semblerait que le gouvernement lui-même ne doute pas une seconde que la Loi sur l'accès à l'information comporte toutes les garanties nécessaires concernant la divulgation de renseignements qui pourraient être préjudiciables aux relations internationales, à la défense ou à la sécurité. Leur justification est la suivante: comme notre système prévoit le droit de demander un contrôle indépendant, le gouvernement ne peut donner à ses alliés la garantie absolue que l'information fournie par eux au Canada restera secrète.

Cette explication me laisse perplexe et inquiet. Nos principaux alliés et fournisseurs de renseignement fonctionnent eux-mêmes sous le régime de lois sur la liberté de l'information. Ils comprennent que l'objet de ces lois est de ne pas laisser les décisions relatives au secret aux aléas de l'arbitraire et qu'il faut les assujettir à un système de définition et de contrôle législatif et judiciaire. Personnellement, il m'est difficile de croire que le gouvernement de l'un ou l'autre de nos principaux alliés insisterait, comme condition du partage de l'information, pour que les décisions relatives au secret au Canada soient de nouveau abandonnées au royaume de l'arbitraire. Dans les conversations que nous avons eues avec nos juridictions alliées, nous avons cru comprendre qu'elles veulent toutes la même chose: elles veulent la simple assurance que ce qui doit être protégé peut l'être, et aucune d'elles ne doute de la capacité du Canada à le faire sous le régime de l'actuelle Loi sur l'accès à l'information.

Une récente étude indépendante (commandée par la ministre de la Justice et le président du Conseil du Trésor), confirme sans équivoque la solidité des protections de l'information relative à la sécurité nationale contenues dans la Loi sur l'accès à l'information. Le professeur Wesley K. Wark, de l'Université de Toronto, explique ce qui suit dans une étude intitulée La Loi sur l'accès à l'information et la collectivité canadienne de la sécurité et du renseignement:

    Les exigences de la population aux termes de la Loi sur l'accès à l'information peuvent être entravées par l'application des principales dispositions prévoyant des exemptions, à la fois obligatoires et discrétionnaires, de la loi. Dans le domaine de la sécurité et du renseignement, les principales exemptions utiles sont l'article 13 (renseignements obtenus à titre confidentiel), l'article 15 (affaires internationales et défense), l'article 16 (enquêtes et menaces à la sécurité du Canada), l'article 21 (avis et recommandations). Dans leur ensemble, les exemptions sont un puissant mécanisme défensif permettant à la collectivité de protéger ses secrets. Le Service canadien du renseignement de sécurité et le Centre de la sécurité des télécommunications, qui sont les deux principaux organismes qui recueillent des données confidentielles, considèrent l'un et l'autre que la Loi sur l'accès à l'information offre des garanties suffisantes. (p. 14)

M. Wark dit plus loin dans son rapport:

    Les organismes de sécurité et de renseignement doivent continuer à disposer du pouvoir d'appliquer les exemptions prévues par la Loi sur l'accès à l'information pour protéger les renseignements dont la divulgation serait préjudiciable à la sécurité nationale et à la conduite des affaires internationales. Les exemptions actuelles sont des instruments puissants et suffisants pour garantir cette protection. (p. 18)

Depuis 1983, la Loi sur l'accès à l'information a été révisée en détail par un comité permanent du Parlement, un comité spécial de la Chambre des communes et deux commissaires à l'information (la dernière fois en 2000-2001), outre au moins trois fois par des fonctionnaires (tout dernièrement, et encore actuellement, par le Groupe de travail sur la réforme de la Loi sur l'accès à l'information). Jamais au grand jamais on n'a, dans ces examens, laissé entendre que les articles 13, 15 et/ou 16 de la Loi sur l'accès à l'information ne suffisent pas à donner au gouvernement le pouvoir de protéger l'information dont la divulgation serait préjudiciable aux relations internationales, à la défense du Canada ou à la sécurité. Jamais au grand jamais on n'a, dans ces études, laissé entendre que la surveillance indépendante exercée par le commissaire à l'information et par les tribunaux compromettait d'une manière ou d'une autre des secrets vitaux.

Au cours des 18 années d'existence de la Loi sur l'accès à l'information, la divulgation impropre de renseignements de sécurité et de renseignements secrets n'a jamais été imputable à la loi. Dans les rares occasions où cela s'est produit, la faute en est l'indiscrétion d'adjoints ministériels, les révélations d'anciens agents du renseignement devenus auteurs, des valises et ordinateurs perdus et, parfois, les révélations de ministres. Il y a là de quoi attirer l'attention sur la Loi sur les secrets officiels, mais non pas de quoi justifier les mesures proposées à l'article 87 du projet de loi C-36.

Même s'il y avait lieu de se demander si les exemptions protégeant les renseignements confidentiels sont suffisantes, la solution proposée par le gouvernement serait-elle valable? Maintiendrait-elle l'équilibre qui convient entre la protection des Canadiens contre les attaques terroristes et leur protection contre les abus de pouvoir de l'État? À mon avis, le gouvernement n'a pas besoin de supprimer les deux paliers de contrôle indépendant pour se permettre d'interdire la divulgation de certains documents. Comme le commissaire à l'information est, de par la loi, tenu de procéder à ses enquêtes en privé, de protéger la confidentialité de tous les renseignements et de ne faire que des recommandations (et non pas de donner des ordres) en matière de divulgation, la ministre n'a pas besoin d'entraver ou de réduire le pouvoir d'examen du commissaire pour pouvoir prohiber la divulgation publique de documents. Seule la Cour fédérale a le pouvoir de procéder à des audiences publiques et d'ordonner la divulgation publique de documents refusés.

Si la ministre estime que les tribunaux pourraient interpréter la Loi sur l'accès à l'information dans un sens qui compromettrait des renseignements confidentiels concernant les relations internationales, la défense ou la sécurité (opinion sans fondement, à mon avis), cela devrait être l'objet de son intervention législative. Le pouvoir d'examen du commissaire à l'information étant laissé intact, on aurait un mécanisme permettant à un corps indépendant d'évaluer la validité de l'emploi du certificat du procureur général et d'en informer le public, le tout sans risquer de divulguer les renseignements couverts par le certificat.

Je me hâte d'ajouter que même cette solution intermédiaire me paraît injustifiable. Nous pouvons et nous devrions faire confiance au pouvoir des exemptions prévues par la loi. Nous devrions faire confiance au bon sens et à l'intégrité des juges de la Cour fédérale et de la Cour suprême qui examinent les décisions du gouvernement lorsqu'il invoque ces exemptions.

Avant de conclure mes observations, je désire rappeler l'allégation de certains selon laquelle les dispositions de l'article 87 du projet de loi C-36 seraient une vengeance mesquine dirigée contre la Loi sur l'accès à l'information et le commissaire à l'information. Cette allégation s'enracine dans une controverse assez publique entre mon bureau et l'État concernant mon droit d'examiner certains documents au cours d'une enquête. L'affaire est allée jusqu'à la Cour suprême du Canada (qui a rejeté la demande d'appel), et mon droit d'examiner les documents a été confirmé, cependant que l'État a continué de refuser certains documents en délivrant un certificat en vertu des articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada et en alléguant qu'il serait préjudiciable aux relations internationales, à la défense du Canada et à la sécurité nationale que mon bureau ait connaissance de ces documents.

J'ai contesté la validité de ces certificats devant la Cour fédérale et je suis convaincu que, une fois que la Cour aura vu ces documents (comme ce doit être le cas maintenant) et compris qu'ils seraient traités par moi selon les règles de confidentialité les plus strictes aux termes de la Loi sur l'accès à l'information, ce dernier obstacle à mon enquête sera levé. Mais, si le projet de loi C-36 prend force de loi sous sa forme actuelle, la ministre aura légalement le droit de délivrer un certificat concernant les documents actuellement en cause, et ni la Cour fédérale ni mon bureau ne verront jamais ces documents.

Malgré ce contexte, je ne suis pas de ceux qui croient que l'objet de l'article 87 du projet de loi C-36 est de dicter l'issue des causes actuellement entendues par les tribunaux. Je crois que la ministre et le gouvernement envisageront de modifier cette disposition s'ils croient honnêtement que son objectif, celui de protéger les Canadiens et leurs alliés contre le terrorisme, peut être réalisé par des moyens moins radicaux. Mono espoir le plus fervent est que mes commentaires contribueront à convaincre les honorables membres de ce comité et, à travers eux, la ministre du fait que l'article 87 du projet de C-36 ne crée pas l'équilibre qui convient et doit être annulé.

Si cette disposition n'est pas annulée, elle devrait renvoyer spécifiquement aux articles 13 et 15 de la Loi sur l'accès à l'information et ne devrait pas empêcher le commissaire à l'information d'examiner des documents au cours de ses enquêtes. De plus, toute provision qui diminuerait les avenues de révision indépendante existantes, devrait se limiter au délai le plus court.

Je vous remercie.

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