JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent de la justice et des droits de la personne
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le jeudi 23 mai 2002
¿ | 0930 |
M. Louis Erlichman (directeur canadien de la recherche, Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale au Canada) |
¿ | 0935 |
Le président |
Mme Poonam Puri (professeure, témoignage à titre personnel) |
¿ | 0940 |
Le président |
Me Anne-Marie Boisvert (professeure de droit, témoignage à titre personnel) |
¿ | 0945 |
¿ | 0950 |
¿ | 0955 |
Le président |
M. Andy Scott |
Me Anne-Marie Boisvert |
M. Louis Erlichman |
À | 1000 |
Le président |
Mme Poonam Puri |
M. Chuck Cadman |
Me Anne-Marie Boisvert |
Le président |
M. Laframboise |
Me Anne-Marie Boisvert |
À | 1005 |
M. Mario Laframboise |
Me Anne-Marie Boisvert |
M. Mario Laframboise |
Le président |
M. Louis Erlichman |
Le président |
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC) |
À | 1010 |
Me Anne-Marie Boisvert |
M. Peter MacKay |
Me Anne-Marie Boisvert |
À | 1015 |
M. Peter MacKay |
Le président |
Mme Poonam Puri |
Le président |
M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.) |
Me Anne-Marie Boisvert |
M. Paul Harold Macklin |
Me Anne-Marie Boisvert |
À | 1020 |
M. Paul Harold Macklin |
Me Anne-Marie Boisvert |
M. Paul Harold Macklin |
Mme Poonam Puri |
M. Paul Harold Macklin |
Mme Poonam Puri |
M. Paul Harold Macklin |
Mme Poonam Puri |
M. Paul Harold Macklin |
Mme Poonam Puri |
Le président |
M. Louis Erlichman |
À | 1025 |
Le président |
M. Chuck Cadman |
Me Anne-Marie Boisvert |
M. Chuck Cadman |
Me Anne-Marie Boisvert |
À | 1030 |
Le président |
Mme Poonam Puri |
Le président |
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.) |
À | 1035 |
Le président |
Mme Poonam Puri |
Me Anne-Marie Boisvert |
À | 1040 |
Le président |
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.) |
Me Anne-Marie Boisvert |
M. John Maloney |
M. Louis Erlichman |
M. John Maloney |
M. Louis Erlichman |
M. John Maloney |
Mme Poonam Puri |
À | 1045 |
M. John Maloney |
Mme Poonam Puri |
M. John Maloney |
Mme Poonam Puri |
Le président |
M. Paul Harold Macklin |
Mme Poonam Puri |
À | 1050 |
M. Paul Harold Macklin |
Mme Poonam Puri |
M. Paul Harold Macklin |
Me Anne-Marie Boisvert |
Le président |
M. John McKay |
Me Anne-Marie Boisvert |
À | 1055 |
Le président |
Mme Poonam Puri |
Le président |
Me Anne-Marie Boisvert |
Le président |
Le président |
Á | 1105 |
Á | 1110 |
Le président |
Dr Christopher McCormick (professeur, témoignage à titre personnel) |
Á | 1115 |
Á | 1120 |
Le président |
M. Chuck Cadman |
M. Greg DelBigio |
M. Chuck Cadman |
M. Greg DelBigio |
M. Chuck Cadman |
M. Greg DelBigio |
Le président |
Dr Christopher McCormick |
M. Chuck Cadman |
Le président |
M. John McKay |
Á | 1125 |
M. Greg DelBigio |
Á | 1130 |
Le président |
Dr Christopher McCormick |
Le président |
M. Paul Harold Macklin |
Á | 1135 |
M. Greg DelBigio |
Le président |
Dr Christopher McCormick |
Le président |
Á | 1140 |
M. Greg DelBigio |
Á | 1145 |
Le président |
Dr Christopher McCormick |
Le président |
M. Chuck Cadman |
Dr Christopher McCormick |
Á | 1150 |
M. Chuck Cadman |
Dr Christopher McCormick |
M. Chuck Cadman |
Dr Christopher McCormick |
Le président |
M. Greg DelBigio |
Le président |
M. John McKay |
Á | 1155 |
M. Greg DelBigio |
M. John McKay |
M. Greg DelBigio |
M. John McKay |
M. Greg DelBigio |
Le président |
M. Paul Harold Macklin |
M. Greg DelBigio |
M. Paul Harold Macklin |
M. Greg DelBigio |
M. Paul Harold Macklin |
Dr Christopher McCormick |
M. Paul Harold Macklin |
M. Greg DelBigio |
 | 1200 |
Le président |
M. Greg DelBigio |
Le président |
CANADA
Comité permanent de la justice et des droits de la personne |
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l |
|
l |
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 23 mai 2002
[Enregistrement électronique]
¿ (0930)
[Traduction]
Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Bienvenue. Bonjour. J'appelle à l'ordre la 90e réunion du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. En vertu de l'ordonnance de renvoi du 19 février 2002, nos discussions porteront sur le projet de loi C-284, une loi pour modifier le Code criminel (infractions commises par les personnes morales, les administrateurs et les dirigeants).
Pour nous aider à étudier ce sujet, nous avons un certain nombre de témoins ce matin. De l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale au Canada, nous accueillons M. Louis Erlichman, directeur de la recherche. Et à titre individuel, nous avons la professeure Poonam Puri, d'Osgoode Hall, et Mme Anne-Marie Boisvert, de la Faculté de droit de l'Université de Montréal.
J'espère que les responsables vous ont bien expliqué que vous disposiez d'environ 10 minutes pour effectuer votre présentation. Je vous ferai signe lorsque vous serez sur le point d'avoir écoulé toute la période qui vous est attribuée. Ensuite, nous permettrons aux membres de poser des questions aux témoins.
Je vais procéder selon l'ordre du jour, donc je laisse d'abord la parole à M. Erlichman.
M. Louis Erlichman (directeur canadien de la recherche, Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale au Canada): Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier le comité de nous permettre d'être ici afin de discuter du projet de loi C-284, qui vise à modifier le Code criminel pour assurer l'obligation de rendre compte des personnes morales, et qui définit des peines criminelles pour des infractions commises par des personnes morales, des administrateurs et des dirigeants, notamment en ce qui a trait à la sécurité en milieu de travail.
L'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale compte plus de 50 000 travailleurs au Canada et ce, dans le transport aérien, l'aérospatiale et autres secteurs d'activités. La question de la sécurité en milieu de travail est de toute évidence très importante pour nos membres. Des membres de l'AIMTA se blessent chaque jour dans leur environnement de travail. Il y a quelques semaines, à St-Thomas en Ontario, un de nos membres, père de quatre jeunes enfants, a été tué accidentellement par une presse industrielle.
Bien qu'il y ait eu des progrès en matière de sécurité en milieu de travail depuis quelques années, notamment en raison de progrès juridiques comme le droit de refus et la mise sur pied de comités mixtes sur la santé et la sécurité au travail, nous constatons également des coupures des ressources en réglementation à tous les niveaux du gouvernement. Nous observons aussi que le gouvernement se fie de plus en plus sur la responsabilité interne des personnes morales, ce qui pose un problème lorsqu'il est question de compétitivité et d'intérêts financiers ou à court terme. Dans un contexte plus large, le désastre de Westray n'était que l'exemple le plus frappant d'un problème permanent—soit un manque d'obligation de rendre compte des personnes morales, en particulier dans le domaine de la sécurité au travail.
Beaucoup trop de personnes sont tuées et blessées chaque année en milieu de travail au Canada, et nous sommes certains que vous connaissez déjà les statistiques à ce sujet. Nous espérons que les membres de ce comité sont d'accord avec le fait que ces chiffres sont beaucoup trop élevés et qu'il faut tout mettre en œuvre pour réduire au minimum la possibilité que quiconque se blesse ou se tue au travail.
Honnêtement, nous nous présentons à ces audiences avec des sentiments partagés. D'un côté, ce comité tient des audiences sur un projet de loi d'un simple député, et tous les partis à la Chambre des communes semblent appuyer le principe général qui sous-tend le projet de loi. D'un autre côté, nous nous posons des questions au sujet de l'engagement véritable du gouvernement envers cette loi ou une loi similaire. Ce n'est pas la première fois que tous les partis expriment leur soutien à une loi de ce genre. Plutôt que de permettre un vote de la Chambre après une deuxième lecture qui aurait permis l'approbation de principe de ce projet de loi, le gouvernement l'a simplement renvoyé à ce comité pour une étude plus approfondie.
Le personnel du ministère de la Justice n'a proposé qu'une vague analyse des orientations juridiques possibles pour la loi. Au lieu de gestes concrets, il semble que nous obtenions des excuses. Dix ans se sont écoulés depuis le désastre de Westray, et plus de quatre ans après que l'enquête eut prouvé clairement que le Code criminel actuel est inadéquat pour composer avec la responsabilité des personnes morales et les crimes flagrants envers les travailleurs. Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas la volonté politique d'aller de l'avant?
Le projet de loi C-284 établirait clairement que les personnes morales et leurs dirigeants peuvent être tenus criminellement responsables de leurs actes. Il retirerait le voile qui a permis aux personnes morales et à ceux qui exercent l'autorité au sein de ces dernières de se soustraire à leurs responsabilités. Il reconnaît que la mauvaise conduite d'une entreprise peut être institutionnelle ou culturelle, et dit explicitement que l'ignorance volontaire n'est pas une défense acceptable.
Nous avons entendu des inquiétudes à l'effet que la loi proposée était injuste envers les dirigeants d'une société qui ne peuvent s'attarder à des questions sans importance comme la santé et la vie de leurs employés. Il a même été suggéré que le potentiel de responsabilité légale pourrait dissuader les gens de faire partie de conseils d'administration. Si cela était vrai, pour nous il s'agirait d'une bonne chose. Nous n'avons pas besoin de dirigeants qui jugent que la santé et la sécurité des travailleurs ne font pas partie des éléments importants de la gouvernance d'une société. Il n'y a pas de justification économique ou sociale à un milieu de travail dangereux.
À la lumière de récents événements, il n'est pas clair que les conseils d'administration réussissent même à coordonner les aspects strictement économiques de la gouvernance d'une société. Ce serait une bonne chose si les membres de tous les conseils d'administration pouvaient non seulement recevoir des rapports financiers, mais aussi des rapports réguliers sur l'état de la santé et de la sécurité des travailleurs. Autrement, les travailleurs ne sont pas perçus comme des êtres humains qui jouissent du droit fondamental de travailler dans des conditions sécuritaires, mais plutôt comme une ressource sacrifiable.
Cette proposition de loi ne devrait avoir qu'une application limitée. Elle n'ouvrirait pas la porte à une chasse aux sorcières à grande échelle dans les sociétés. En fait, elle ne mènerait probablement qu'à un nombre limité de poursuites. Elle ne vise que les responsables de la direction et du contrôle, et il est difficile de voir qu'elle requiert plus qu'un minimum de diligence nécessaire—une conduite raisonnable, prudente et responsable de la part de la direction relativement à la santé et à la sécurité des travailleurs. La loi ne punirait que les fautes sciemment commises et la négligence volontaire.
¿ (0935)
L'objectif de la loi est la dissuasion, et non la vengeance. Westray a prouvé qu'il n'y avait pas de véritable sanction pour une conduite criminelle relativement à la santé des travailleurs, même dans les circonstances les plus flagrantes. Il est clair que la conséquence la plus importante de cette loi serait la modification des pratiques des entreprises afin de s'assurer de ne jamais faire l'objet d'une poursuite.
Des questions juridiques d'ordre technique ont été soulevées au sujet du projet de loi. Une analyse poussée de ces questions a été réalisée, et le syndicat des métallurgistes vous a proposé des modifications pour traiter des problèmes juridiques potentiels. Si le gouvernement compte appuyer sérieusement les principes de ce projet de loi, son personnel chargé de l'élaboration du texte juridique devrait être en train de rédiger ce qu'il croit être une version utilisable. Il s'agit d'une loi très importante. C'est une loi qui sauvera des vies, et nous insistons auprès de ce comité pour qu'il demande au gouvernement d'aller rapidement de l'avant avec cette loi, afin que les personnes morales aient véritablement une obligation de rendre compte.
J'ai fait cette présentation au nom de M. Dave Richie, notre vice-président au Canada qui, malheureusement, ne pouvait être ici aujourd'hui. Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Je donne maintenant la parole à la professeure Poonam Puri, d'Osgoode Hall.
Mme Poonam Puri (professeure, témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président, pour cette invitation à me présenter devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne sur cet important sujet de la responsabilité criminelle des personnes morales au Canada. Au cours des dix prochaines minutes, j'aimerais traiter de deux éléments en particulier. D'abord, je voudrais insister sur le fait qu'un projet de loi du type de C-284 est souhaitable du point de vue de l'ordre public, puisqu'il définit comme criminelles les fautes que nous, en tant que société, considérons comme les plus flagrantes. Ensuite, relativement aux sanctions imposées aux sociétés trouvées coupables d'infractions criminelles, mes recherches empiriques démontrent qu'elles écopent d'amendes relativement faibles qui ont peu ou pas d'impact sur la façon dont elles mènent leurs affaires. À la fin de ma présentation, je recommanderai une possibilité autre que d'imposer des amendes.
Avant d'aborder les deux questions au cœur de ma présentation, je vais fournir de l'information sur mes compétences au comité afin que ce dernier connaisse mes domaines d'expertise et mes limites.
Je suis professeure de droit à l'école de droit Osgoode Hall. J'ai étudié à l'Université de Toronto et à l'école de droit de Harvard. L'an dernier, j'étais professeure invitée à l'école de droit de Cornell. Mes spécialités d'enseignement sont le droit des sociétés, la gouvernance des personnes morales, la responsabilité criminelle des personnes morales, le milieu juridique et l'économie des frais juridiques.
J'ai récemment rédigé un article intitulé «Sentencing the Criminal Corporation». Il s'agit de l'analyse empirique dont je viens de parler. Il est actuellement sous presse, je n'ai donc pu le faire parvenir au comité une semaine avant la tenue de la présente audience. J'ai cependant un exemplaire ici avec moi, et je me ferai un plaisir de le remettre au comité s'il le souhaite.
Passons maintenant au corps de ma présentation.
Je traiterai d'abord des raisons pour lesquelles je crois que nous avons besoin de songer sérieusement à imposer une responsabilité criminelle aux personnes morales, et pourquoi il devrait exister des dispositions particulières selon l'esprit du projet de loi C-284 dans le Code criminel. C'est un fait que les sociétés se livrent à des activités susceptibles de causer des torts à des tierces parties. Ce tort peut être causé par inadvertance ou non. La tierce partie peut être un employé, un consommateur, un fournisseur ou le gouvernement. Nous pouvons tenter de contrôler la conduite fautive des personnes morales au moyen d'un éventail de politiques. L'application privée est l'une de ces options, par l'entremise du système de justice civile par des recours légaux en responsabilité délictuelle ou contractuelle. L'application publique constitue une autre option, par l'entremise du système de justice pénale et d'organismes de réglementation, comme nous le savons.
L'application privée permet l'indemnisation des blessés et comporte également un certain niveau de dissuasion; cependant, cette méthode ne convient pas toujours pour redresser la conduite fautive d'une personne morale. En particulier, l'application privée est inefficace lorsque ceux qui subissent un tort ne sont pas en mesure de le déceler, lorsque le tort causé à chaque personne est relativement faible, ou lorsque les personnes de disposent pas des moyens financiers nécessaires pour intenter une poursuite.
L'application privée par l'entremise du système de justice civile est également inadéquate. Je crois qu'il s'agit d'une situation dans laquelle l'application publique de la loi est appropriée, lorsqu'une société souhaite exprimer ses valeurs collectives—les règles auxquelles tous doivent se conformer, y compris les personnes morales.
Les mécanismes d'application publique de la loi comprennent l'identification, la poursuite et le châtiment des fautifs par le gouvernement. Les comportements fautifs des personnes morales peuvent être de nature réglementaire ou criminelle. Au Canada, la plupart des comportements fautifs des personnes morales sont classés dans la catégorie des manquements à l'application d'un règlement, plutôt que dans la catégorie des infractions criminelles. Le choix de l'une ou l'autre catégorie pour classer un comportement fautif d'une personne morale est très controversé. Si celui-ci est jugé comme un manquement à l'application d'un règlement, cela laisse entendre que cette conduite est simplement un sous-produit indésirable d'un marché qui, autrement, fonctionne très bien. Lorsqu'un comportement fautif jugé criminel, le stigmate connexe est plus important.
Selon moi, les fautes graves commises par les personnes morales devraient être jugées criminelles. Cela envoie un message à la personne morale fautive, aux autres fautifs potentiels et à la société en général, que cette infraction est très flagrante. Par conséquent, le contenu du projet de loi C-284, qui codifie expressément la responsabilité criminelle des personnes morales, est très important. Il exprime clairement que les infractions graves commises par les personnes morales seront traitées comme des infractions criminelles. Les dispositions sont également plus étendues que la base traditionnelle de la responsabilité criminelle des personnes morales au Canada, soit la doctrine de l'identification.
¿ (0940)
Selon moi, la doctrine de l'identification n'a permis d'accuser d'infraction criminelle et de condamner qu'un nombre trop restreint de personnes morales. L'étude que j'ai réalisée et dont je vous ai parlé un peu plus tôt révèle que dans la période de 1999 à 2000 en Ontario, environ 170 000 adultes ont été accusés d'infractions en vertu du Code criminel, mais seulement 125 personnes morales. De même, le taux de déclaration de culpabilité pour les personnes morales était nettement inférieur à celui des adultes.
Nous ne devons pas oublier que le droit criminel est un outil d'élaboration de principes qui est à notre disposition pour réglementer les conduites indésirables. Le droit criminel est un outil social. Il s'agit d'un moyen pour en arriver à une fin, et non d'une fin en soi; je crois par conséquent que nous ne devrions pas nous laisser freiner par des questions relatives à la possibilité, pour une entreprise, d'avoir une intention criminelle. Nous devons garder à l'esprit que les activités que nous jugeons criminelles constituent un choix de principe. Les activités criminelles sont les actions les plus répréhensibles que les membres d'une société peuvent commettre. Si des entreprises commettent ce type d'actes, nous devrions avoir la possibilité de les qualifier de criminels. Quant aux questions à savoir si une entreprise peut avoir une intention criminelle, je crois que des personnes raisonnables comme nous le sommes devraient avoir la capacité de modifier des principes de droit criminel qui ont généralement des personnes pour objet afin qu'ils soient applicables dans un contexte de personne morale.
Permettez-moi maintenant d'aborder le deuxième volet de ma présentation, soit la condamnation des personnes morales trouvées coupables d'infractions criminelles.
Le projet de loi C-284, et en particulier le paragraphe 467.3(3), établit les sanctions prévues pour les personnes morales trouvées coupables. Il est intéressant de remarquer que ces sanctions sont exprimées en montants maximum. Un montant maximum de 50 000 $ est prévu pour une déclaration de culpabilité par procédure sommaire, un montant maximum de 2 millions de dollars pour une déclaration de culpabilité par mise en accusation et de 10 millions de dollars si une personne morale est trouvée coupable de meurtre ou d'homicide involontaire. En vertu de l'article 735 existant du Code criminel, la sanction maximale pour une déclaration de culpabilité par procédure sommaire est de 25 000 $, et la sanction pour déclaration de culpabilité par mise en accusation est laissée à l'entière discrétion du juge. De nouveau, l'étude dont je faisais état un peu plus tôt renferme des statistiques pour les années 1998, 1999 et 2000, et montre que les amendes imposées par les juges aux personnes morales sont relativement peu élevées. Permettez-moi de vous donner un exemple.
Au cours de la période de 1999 à 2000, seules 58 personnes morales ont été trouvées coupables en vertu du Code criminel en Ontario. L'amende moyenne était de 7 800 $, et l'amende médiane était de 2 800 $. Je ne dispose pas du contexte définissant le type de personnes morales dont il s'agissait, mais ces amendes ne font pas nécessairement une grande différence sur le plan financier, dans le cas des sociétés coupables. L'amende la plus substantielle ayant été imposée au cours de cette période était de 175 000 $. Je pourrais également vous transmettre des statistiques semblables au sujet des autres provinces.
Je recommande donc qu'en plus des sanctions maximales établies dans le Code criminel ou dans le projet de loi C-284, le Code criminel devrait comprendre des dispositions expresses à l'effet que l'amende minimale imposée à une personne morale trouvée coupable devrait correspondre au tort causé ou au profit réalisé par la faute commise. Selon moi, il s'agirait là d'une politique de condamnation optimale. C'est seulement lorsque l'amende minimale équivaut au tort causé ou au profit réalisé par la personne morale coupable que celle-ci peut internaliser le coût de sa faute. Et c'est seulement de cette manière que nous nous dirigerons vers un processus dissuasif efficace.
Voilà, ma présentation est terminée. Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Nous passons maintenant à Mme Anne-Marie Boisvert.
Me Anne-Marie Boisvert (professeure de droit, témoignage à titre personnel): Merci.
J'ai tenté de retrouver la source de la phrase que je veux citer. Je n'ai pu le faire, mais je vais la paraphraser de mémoire parce qu'il s'agit d'un objet de réflexion important : Lorsqu'une personne meurt aux mains d'une autre personne, nous appelons généralement cela un meurtre; lorsque cela se produit à la guerre, il s'agit d'une perte; lorsque cela arrive en milieu de travail, c'est un accident. Je déclare tout de suite que je suis en faveur de l'adoption d'un projet de loi comme celui qui est proposé, parce qu'il faut que cette culture change.
¿ (0945)
[Français]
Merci beaucoup de l'invitation. J'espère sincèrement que mes quelques commentaires vont vous être utiles. Compte tenu du format de la présentation, je vais m'en tenir à des idées générales, à des idées de principe. Bien sûr, il me fera plaisir de répondre à vos questions.
Sur le plan technique, je n'ai pas changé d'idée depuis le document de consultation que j'avais préparé pour la Conférence pour l'harmonisation des lois, et ce document est toujours à peu près à jour sur le plan légal. Il y aurait très peu de choses à y ajouter. Le droit n'a pas évolué énormément dans ce domaine. Donc, je dirais que le document que j'ai produit est déjà le point de départ de ma présentation.
Par ailleurs, je vous ferai une présentation à la fois réaliste et extrêmement pragmatique. Si on veut être pragmatique, je commencerai par trois remarques préliminaires en droit sur trois questions qu'on a tendance à oublier quand on parle de l'adoption d'un projet de loi comme celui qui avait été déposé.
Première remarque: juridiquement, il ne faut pas perdre de vue, surtout quand on parlera de la responsabilité des administrateurs, que plus d'une personne peuvent commettre la même infraction. Quand une infraction est commise, on a souvent tendance à chercher le coupable. Le droit permet de reconnaître plusieurs personnes responsables; il ne faut pas perdre cela de vue.
Deuxième remarque: je crois qu'on devrait adopter une loi, mais même si on n'en adoptait pas, notre droit reconnaît déjà la responsabilité pénale des personnes morales, et ce n'est pas nécessairement--et je choisis l'exemple à dessein, parce que je sais que votre comité en a parlé--, parce qu'il n'y avait pas de loi adéquate qu'il n'y a pas eu de poursuites, par exemple, dans le contexte de Walkerton. Peut-être que notre droit permettait déjà l'institution de poursuites et que d'autres raisons que l'absence de règles peuvent avoir contribué à l'absence de poursuites.
Troisième remarque générale: la théorie de la responsabilité, ce qui assoit la responsabilité des personnes morales, n'est pas l'unique cause de difficultés dans la poursuite des corporations. L'adoption d'une théorie n'a rien de magique. Les poursuites complexes commandent le fait qu'il faut déployer des ressources. Ça prend des policiers éduqués. Le fait d'avoir fait dix ans de patrouille avant de devenir enquêteur n'est pas nécessairement la meilleure formation pour aller fouiller dans les papiers de grosses corporations. Donc, l'adoption d'une loi n'est pas magique. Il faut une volonté politique, il faut de la formation d'enquêteurs et il faut déployer des ressources, tant au niveau des enquêtes qu'au niveau des poursuites. Je pense qu'il faut être conscient de cela.
Cela étant dit, je suis d'avis qu'il serait presque urgent d'adopter une loi, mais qui aurait, dans une certaine mesure, surtout un aspect symbolique. Peut-être aurait-elle aussi un effet d'entraînement pour passer des messages et créer un peu ce que j'appellerais l'événement. Je vous le dis: je suis une personne pragmatique.
Quelles sont les grandes idées? Suite au document de consultation qui a été préparé et qui, à mon avis, est extrêmement sage, bien fait et nous met sur des pistes sans le dire vraiment, quand on lit entre les lignes, je dirais que je suis assez d'accord sur les pistes qui sont avancées.
Tout d'abord, je vous présente quelques grandes idées. Je crois qu'il faut résister à la tentation de créer une infraction particulière. Je pense, entre autres, au corporate manslaughter qui a été avancé. On risque de créer une législation anecdotique qui ne couvre pas tout le terrain, qui risque de créer de la confusion. S'il y a des infractions spéciales de prévues pour les personnes morales, cela vaudra-t-il dire qu'il ne sera pas possible d'intenter des poursuites dans le cas d'autres infractions? On risque de créer de la confusion et de passer des messages comme quoi c'est grave de tuer des travailleurs, mais ce n'est pas grave de les blesser.
¿ (0950)
Je crois que ce dont on a besoin, ce sont des dispositions, une codification d'une théorie de l'attribution de la responsabilité aux personnes morales, une théorie qui soit générale, applicable à toutes les infractions. Bien évidemment, certaines infractions ne seront jamais commises par des personnes morales. On ne pourra jamais accuser une personne morale de bigamie; ce n'est pas grave. Ce qu'il faut, c'est une théorie générale qu'on pourra appliquer à toutes les infractions pertinentes, qui vont des voies de fait à l'homicide, bien entendu, mais aussi aux infractions de malhonnêteté. Je pense entre autres à la fraude et à toutes sortes d'infractions sur les marchés publics, à toutes sortes d'infractions de malhonnêteté. Il ne faut pas écarter la possibilité de déclarer des personnes morales coupables de ces infractions-là.
Donc, le premier message est de résister à l'envie de créer des infractions à la pièce. Ce qu'il faut, c'est une grille pour appliquer ou reconnaître la responsabilité des personnes morales pour toutes les infractions pertinentes dans le Code criminel; j'ajouterais même dans tout le droit fédéral.
Deuxièmement, ce sera difficile. Plusieurs modèles ont été avancés: on sait certaines choses. La théorie de l'identification qui est appliquée au Canada n'est pas satisfaisante, surtout pour les grandes entités corporatives. C'est merveilleux pour les petites compagnies; ce n'est pas fonctionnel pour les grandes entités corporatives. On sait que le modèle américain est aussi extrêmement critiqué. Tout cela est bien exposé dans le document de discussion.
Pour ma part, j'avancerais que le modèle le plus intéressant qui a été avancé est probablement le modèle australien. Je sais qu'on n'a pas de statistiques sur son taux de succès, mais je vous dirais, à un moment donné, que ce n'est pas une raison pour ne pas essayer. On est dans un domaine où il faut un peu innover. Les Australiens ont fait un travail extrêmement sérieux. Tout le monde s'accorde pour dire que c'est probablement le modèle le plus intéressant. Les fonctionnaires du ministère de la Justice sont capables d'arriver avec quelque chose d'à peu près équivalent. Pourquoi ne pas l'essayer, quitte à faire des ajustements plus tard? Je dirais qu'on n'a rien à perdre. Ce modèle est intéressant parce qu'il allie à la fois notre théorie traditionnelle, qui fonctionne dans certains cas, et il s'appuie aussi sur cette notion de culture corporative déficiente. Je dirais que souvent ce que l'on critique quand on parle de cette théorie de la responsabilité, de la culture corporative déficiente, c'est sa complexité et la complexité des procès.
Personnellement, je vous dirais que certains procès qui sont engagés à Montréal pour vaincre le crime organisé, des procès de 17 Hell's Angels d'un coup, ont demandé, pour percer l'organisation, des enquêteurs particuliers, des équipes particulières d'enquête et des ressources particulières au niveau de la poursuite. Poursuivre une grande corporation suite à un désastre ou à quelque chose d'important va nécessairement requérir le même genre de ressources, peu importe la théorie de la responsabilité sur laquelle on s'assoit. Donc, les difficultés pratiques ne sont pas inhérentes au modèle qu'on présenterait; elles sont inhérentes au monde corporatif et à l'énergie qu'il faut déployer pour le percer, pour savoir comment ça fonctionne.
Je dirais aussi que l'adoption d'une loi créerait peut-être un événement qui permettrait de remettre à l'ordre du jour la nécessité de mettre les ressources nécessaires pour intenter des procédures, dans certains cas.
Je dirai quelques mots sur les peines. On peut discuter longtemps des peines. Je suis d'accord sur ce que ma collègue vous a présenté. Je dirais seulement ceci: il est clair que, premièrement, il faut être réaliste quant aux buts qui peuvent être atteints par l'infliction de sanctions pénales. On ne peut pas, suite à un procès et à l'imposition d'une peine, tout réparer, compenser tout le monde, tout prévenir. Il faut être conscient que c'est beaucoup l'aspect symbolique de la déclaration de culpabilité qui est important.
Je suggérerais que, au-delà des peines, il faudrait peut-être légiférer tout simplement de manière à signaler aux juges que l'amende n'est pas la seule peine possible. J'ouvrirais, par exemple, la possibilité d'émettre des ordonnances de probation, sans entrer trop dans les détails.
¿ (0955)
Moi, pour y avoir réfléchi beaucoup, je trouve que ce qu'on n'a pas souvent exploré, c'est le fait que le plus important, pour certaines compagnies--on n'a qu'à voir leur budget de publicité--, c'est leur nom.
On pourrait imaginer, par exemple, quand une compagnie est reconnue coupable d'avoir fait un produit défectueux, qu'elle soit condamnée à acheter les pages centrales du Globe and Mail pour publiciser elle-même sa condamnation. Cela risquerait de faire aussi mal que n'importe quelle amende que vous pourriez imaginer ou essayer de doser. Donc, tout simplement, j'indiquerais que les ordonnances de probation sont possibles quand une compagnie est déclarée coupable.
J'attire votre attention sur le fait que beaucoup de dispositions--je pense à la Loi sur la concurrence--prévoient déjà certaines ordonnances rectificatives, etc. Ce n'est pas beaucoup utilisé par les juges et c'est d'un maniement difficile, parce que cela a des impacts économiques qui sont difficiles à vérifier pour les juges. Mais j'irais de façon simple et je permettrais les ordonnances de probation.
J'ai deux remarques finales. Pour ce qui est de la responsabilité des administrateurs, je dirais tout simplement, comme on le dit dans le document de consultation, qu'il faut faire extrêmement attention quand il est question de condamner un individu. Je crois que la responsabilité pour le fait d'autrui, en l'absence de faute personnelle, est à proscrire et pose des difficultés constitutionnelles.
Je sais que vous avez discuté de la dernière question: qui est une personne morale? Je vous renverrai tout simplement au Livre blanc que le ministère de la Justice avait déjà préparé. Il faut donner une définition large de ce qu'est une personne morale. Il ne faut pas viser seulement les personnes morales avec une personnalité morale parfaite, à but lucratif. Je codifierais tout simplement la common law: elle permet déjà de déclarer coupable des personnes morales qui n'ont pas la personnalité complète, et je pense qu'il n'y a pas de raisons de s'écarter de cette position-là.
Je vous remercie énormément.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Cadman, vous avez sept minutes.
[Traduction]
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président. Je tiens à remercier les témoins d'être venus aujourd'hui.
J'ai une brève question: jusqu'à quel niveau de direction devons-nous assortir l'obligation de rendre compte et la responsabilité? Certaines personnes ont déclaré que les dirigeants devraient être responsables de la presque totalité des gestes posés par leurs employés, tandis que d'autres expriment toute une gamme d'opinions, avec divers degrés de responsabilité. J'aimerais simplement entendre quelques avis. Dans le cas d'une grande société ayant des dirigeants à Vancouver et d'un accident qui se produit dans une usine de Toronto, quel est le degré de responsabilité du dirigeant à Vancouver quant à ce qui s'est produit à Toronto? Voilà ce que je me demande.
M. Andy Scott: Professeure Boisvert.
Me Anne-Marie Boisvert: Je vais vous donner une réponse générale. Quant à la responsabilité et à la responsabilité criminelle des individus, la Cour suprême du Canada a déclaré que la norme d'infraction minimale est une dérogation flagrante des règles de conduite. Je dirais que pour des administrateurs, selon l'échelon qu'ils occupent dans la hiérarchie, il existe des normes de gestion. Le seuil de la responsabilité criminelle doit être une dérogation flagrante des règles de conduite qui constituent la norme de gestion. S'il ne s'est pas écarté de façon manifeste des normes qui définissent son code de conduite, je ne crois pas qu'un membre de la haute direction à Vancouver puisse être tenu responsable d'une infraction commise par quelqu'un d'autre.
Il s'agit d'une réponse générale. Cela ne peut être autrement. Sinon, ce serait contraire à la Constitution. C'est évident.
Le président: Monsieur Erlichman.
M. Louis Erlichman: De toute évidence, cela dépendra des circonstances propres à chacun des cas, mais pour ce qui est des dirigeants de sociétés, à tout le moins—il existe un cas en Australie qui constitue un exemple juridique de cette culture—il devrait s'agir d'une question dont ils sont conscients. Pour la sécurité des travailleurs et les questions environnementales, il faut qu'il y ait un système. S'il y a un système en place, l'information sera transmise conformément à ce système, et si quelqu'un transmet incorrectement certains renseignements, c'est une chose. Mais de dire simplement «Nous n'étions pas au courant parce que cela s'est produit ailleurs», il me semble que c'est une bien piètre défense en cas de problème sérieux touchant la santé et la sécurité des travailleurs, l'environnement, ou d'autres choses du genre.
Je ne crois pas qu'il existe de réponse simple mais à un certain niveau, dire que les événements se sont produits trop loin donc que vous n'êtes pas responsable ne devrait pas être une défense acceptable relativement aux questions constitutionnelles. Je suis convaincu que si une telle loi est adoptée éventuellement, la Cour suprême du Canada l'étudiera et les questions constitutionnelles seront résolues. Mais je ne crois pas qu'il soit souhaitable de dire qu'il faut que ça s'arrête à un certain niveau. Autrement, pourquoi être mis au courant? Il faut au moins savoir que le système existe, même si on n'est pas au courant de tout ce que fait chaque personne en tout temps.
À (1000)
Le président: Professeure Puri.
Mme Poonam Puri: Selon moi, le fait d'attribuer une responsabilité criminelle aux administrateurs et aux membres de la haute direction ne les obligera pas à être parfaits. Ils ne seront pas tenus de savoir exactement tout ce qui se passe dans chaque fabrique, usine ou bureau. Ils devront plutôt se pencher ensemble sur des questions touchant des politiques plus larges, que ce soit une fois par année, tous les six mois ou tous les trois mois. Ils devront s'assurer que les procédures et les politiques appropriées sont en place afin que, d'une manière raisonnable, les accidents, les violations du code de sécurité et autres ne se produisent pas.
Je ne crois pas que nous demandions la perfection. Je ne crois pas que nous exigions le respect d'une norme trop stricte. En leur attribuant une responsabilité criminelle ou la possibilité d'une telle responsabilité, nous ne demandons pas aux dirigeants et aux administrateurs d'intervenir dans chaque petit détail de la gestion quotidienne. Ils sont responsables, d'une manière générale, de s'assurer que des politiques et des procédures raisonnables ont été mises en œuvre dans les divers secteurs d'activités de la personne morale.
M. Chuck Cadman: Dans le même ordre d'idées, j'ai demandé il y a quelque temps comment cela pourrait s'appliquer aux municipalités. On pourrait supposer que le maire est le chef de la direction et que le conseil municipal est le conseil d'administration. Comment cette responsabilité criminelle s'appliquerait-elle aux élus municipaux?
Me Anne-Marie Boisvert: C'est possible. À titre d'exemple, à partir de n'importe laquelle de ces normes, je ne peux m'imaginer qu'une municipalité pourrait être tenue responsable si on découvrait éventuellement qu'un jouet pour enfants dans un parc est défectueux, et qu'il se produit un accident. De toute évidence, il n'y a pas de responsabilité pour ce genre de choses. Mais lorsqu'il y a des rumeurs de mauvaise gestion ou de danger, et que le réflexe de la municipalité est de ne pas tenir compte des événements, nous sommes beaucoup plus près d'une situation dans laquelle la responsabilité pourrait être attribuée. Globalement, voici la norme, et cela pourrait se produire.
Le président: Quelqu'un d'autre? Non?
[Français]
Monsieur Laframboise, soyez le bienvenu. Vous avez sept minutes.
M. Mario Laframboise (Argenteuil—Papineau—Mirabel, BQ): Je vais reprendre un peu ce que mon collègue mentionnait concernant les municipalités. Je pense que vous avez tout à fait raison: si on fait une loi, on la fait pour tous les administrateurs et pour tous ceux qui détiennent un pouvoir, donc, évidemment, les municipalités. Ça pourrait même être des syndicats qui ont participé à l'élaboration d'une politique de sécurité qui s'est avérée complètement contre l'industrie ou quoi que ce soit. Donc, tous ceux et celles qui sont en position de diriger une entreprise devraient être responsables. Je pense que c'est un peu la recommandation que vous nous faites, Me Boisvert.
Mais il faut comprendre que plus on s'attarde--et j'écoute M. Erlichman--à vouloir contraindre tous les administrateurs... Évidemment, dans les grandes corporations, il y a plein de politiciens qui se font nommer sur des conseils d'administration et qui souvent ne sont pas des gestionnaires d'entreprise, mais qui font plutôt des relations publiques. Alors, vous comprenez pourquoi votre projet de loi n'est jamais devenu une loi: vous n'avez pas besoin de vous poser de questions, avec ce qui se passe au sein du Parti libéral.
Il n'y a pas de milieu. Une fois qu'on va modifier le Code criminel, ce sont les tribunaux qui vont décider. En ce qui concerne les termes, on ne peut pas faire d'exceptions et on ne peut pas faire d'exclusions. Je suis d'accord avec vous que ça prend une loi, et ceux qui sont en position d'administrer des entreprises et de contrôler des employés se doivent d'être responsables, d'avoir une politique de sécurité qui est respectueuse de ce qu'on vit dans les années 2000. Je pense que vous l'avez bien mentionné.
Je vous demanderais à tous les trois si vous avez des commentaires, mais il n'y a pas de milieu là-dedans: on en adopte une, et seront responsables ceux et celles qui sont en fonction et qui ont le pouvoir d'établir des normes. Ils se doivent de les établir et s'ils ne le font pas, ils seront tenus responsables. C'est un peu ce que vous nous livrez comme message.
Me Anne-Marie Boisvert: Je tiens à réitérer ce que j'ai dit au début. Il est déjà possible au Canada de poursuivre des municipalités, et cela s'est fait. Il est déjà possible de poursuivre des gouvernements. Si j'en avais eu le temps, je vous aurais apporté la cause R c. R au Québec en matière d'environnement. C'est déjà possible de poursuivre des administrateurs. Vous avez sûrement entendu parlé de l'affaire Canadian Dredge and Dock, qui est l'affaire qui a établi la responsabilité pénale des personnes morales au Canada: et les compagnies, Marine Industries et autres, et leurs présidents, et les principaux administrateurs ont été déclarés coupables.
En adoptant une loi, ce n'est pas de révolution dont il est question; il est question, tout simplement, de donner le signal que ce droit existe déjà et de peut-être modifier, clarifier et organiser un peu mieux les standards en vertu desquels on peut déclarer coupable.
J'ai lu un peu les transcriptions de vos travaux, et ça m'a frappé: les craintes qui sont évoquées devraient avoir fait craindre les gens depuis 30 ans, parce que ces poursuites sont déjà possibles depuis 30 ans. La vertu que je vois dans un projet de loi, au-delà de la clarification des concepts, c'est de lancer le message et de peut-être--je vous en ai parlé--créer un mouvement. Mais pour les poursuites, ce n'est pas seulement la loi qui est importante. Elle n'existera pas tant qu'il n'y aura pas d'équipes de procureurs spécialisés et d'enquêteurs spécialisés et qu'on ne mettra pas les ressources qu'il faut.
À (1005)
M. Mario Laframboise: C'est ce qui m'amène à ma deuxième question. Je suis d'accord avec vous que ça va prendre des ressources. Par contre, en matière d'enquête, vous savez que ce sont les provinces qui défrayent la majorité, sinon toutes les dépenses. Au Québec, en tout cas, c'est la Sûreté du Québec. Il faudrait peut-être penser à demander au gouvernement fédéral d'investir lui aussi, à même ses faramineux surplus, dans un programme d'aide aux provinces ou à tous ceux et celles qui ont la responsabilité de faire des enquêtes afin qu'ils aient les sommes nécessaires pour former le personnel. Je suis d'accord avec vous, Me Boisvert: si on n'a pas tout le personnel requis, compétent pour être en mesure d'examiner les structures d'entreprises qui sont de plus en plus complexes... Aujourd'hui, il y a même des entreprises qui sont obligées de publier leur organigramme pour que leurs actionnaires comprennent dans quoi ils investissent. Évidemment, je suis d'accord avec vous, et il serait peut-être temps de demander au fédéral, tout en appliquant cette politique, d'investir les sommes nécessaires pour que ceux et celles qui sont chargés des enquêtes aient les fonds nécessaires.
Est-ce que vous êtes d'accord avec moi, Me Boisvert?
Me Anne-Marie Boisvert: Je ne sais pas qui doit investir et je ne veux pas me lancer là-dedans, mais je dirai tout simplement qu'un mouvement a été créé, à un moment donné, pour ce qui est des poursuites en matière de crime organisé. Au Québec, c'est en train de donner des résultats. Je vous ferai remarquer que l'ami Mom Boucher a été condamné en vertu du bon vieux Code criminel, et non pas en vertu des lois en matière de crime organisé. Mais ce que l'adoption de ces lois, auxquelles j'ai résisté un peu, personnellement, a donné, c'est sûrement d'avoir créé un mouvement qui s'est traduit pas des ressources appropriées au niveau des enquêtes et des poursuites. Dans des poursuites éventuelles, les lois faciliteront aussi un certain travail, mais c'est tout ça ensemble qu'il faut créer: je suis d'accord avec vous.
M. Mario Laframboise: Je me permettrai un dernier petit commentaire.
Le président: Un moment, s'il vous plaît. Auriez-vous une réponse à donner, madame Puri ou monsieur Erlichman?
Monsieur Erlichman.
[Traduction]
M. Louis Erlichman: Quant aux ressources, il a déjà été dit que la loi n'est évidemment pas très utile sans les ressources nécessaires. Vous suggérez que le gouvernement fédéral fournisse des ressources aux provinces. Que ce soit ou non l'endroit approprié pour soulever cette question, il est clair que les ressources sont très importantes pour former les gens, les policiers et pour tout autre élément nécessaire. Franchement, rien que le fait d'ajouter une disposition explicite dans le Code criminel pour ce type d'infraction, d'obtenir cette précision, constitue une étape importante. De toute évidence, une des étapes suivantes est de se mettre à la recherche de ressources à l'échelle provinciale. Je crois personnellement que nous sommes encore assez loin du moment où cette loi sera adoptée; par conséquent, il me semble prématuré de s'inquiéter au sujet des ressources.
[Français]
Le président: Monsieur MacKay, vous avez sept minutes, s'il vous plaît.
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci, monsieur le président, et merci à tous les témoins.
[Traduction]
Je vous remercie infiniment de votre témoignage.
Pour poursuivre dans le même ordre d'idées que mon collègue, et en fonction du dernier commentaire émis par M. Erlichman, il me semble qu'il s'agit principalement d'une question de dissuasion ainsi que de changement de mentalité et d'attitude sur le fait d'être imprudent, tant au sujet d'omissions que d'actes.
Le langage est devenu de plus en plus important en droit criminel. Nous avons été témoins de modifications du langage prévus par la loi, comme l'utilisation de l'expression «invasion de domicile» maintenant inscrite au Code criminel, pour remplacer «entrée par effraction». Il y a un mouvement au sein de groupes comme «Les mères contre l'alcool au volant» pour appeler cela «homicide au volant», parce que ce terme englobe ce qui se produit véritablement. À ce titre, je vous demande votre avis sur l'ajout, dans le Code criminel, de termes comme «homicide involontaire d'une personne morale» ou «négligence criminelle d'une personne morale». Selon moi, l'adoption de ces termes constituerait au moins un pas dans la bonne direction.
Nous pouvons parler de prévention, de la nécessité de modifier des lois provinciales, et de celle de former les gens. Mais tous ces éléments devraient être mis en place comme complément à tout ce que nous effectuons ici. Nous devons travailler selon les limites du cadre qui nous est donné, relativement à la modification des lois fédérales, ce qui correspond à ce que Monsieur le Juge Peter Richard a demandé dans l'enquête Westray.
À ce titre, croyez-vous que cela rehausserait les exigences? Le seuil de la norme minimale dont vous avez parlé s'en trouverait-il élevé, professeure Boisvert? À tout le moins, est-ce que cela définirait des chefs d'accusation précis, en plus d'envoyer un message et peut-être au moins d'attirer l'attention des personnes morales sur les conséquences? Rien ne semble retenir davantage l'attention que la menace des conséquences, et le gouvernement actuel pourrait être conscient de cela.
Selon moi, l'idée de faire appel à ce type de langage semble au moins porteuse d'un message dissuasif, mais elle pourrait—je dis bien pourrait— également aider les procureurs face à ceux qui instruisent une cause, en leur permettant d'affirmer que le Parlement du Canada a reconnu qu'il s'agit d'une infraction criminelle si les preuves sont suffisantes et conformes à la norme permettant d'établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable. Êtes-vous d'accord avec cela? Il s'agirait au moins d'un pas, même tout petit, dans la bonne direction.
À (1010)
Me Anne-Marie Boisvert: Je suis d'accord avec vous sur le fait que les symboles sont importants, mais j'ai dit que je résisterais à la tentation de créer des infractions propres aux personnes morales, parce qu'il s'agirait simplement de la reproduction d'infraction existantes.
Il y a un danger d'oublier des infractions importantes et d'envoyer des messages contradictoires. Si nous voulons utiliser les termes «personne morale» et «crime» ensemble, je crois qu'il faudrait peut-être le faire dans l'article portant sur la détermination des peines. Je dirais que lorsqu'une personne morale commet un crime, lorsqu'une personne morale commet un homicide involontaire coupable, elle est responsable aussi. Alors je le ferais peut-être dans l'article portant sur la détermination des peines, mais je résisterais à la tentation de créer des infractions propres aux personnes morales, parce qu'il pourrait y avoir des effets secondaires. Par exemple, si une infraction n'est pas nommée comme la malhonnêteté d'une personne morale, alors cette infraction n'est pas importante.
M. Peter MacKay: Cet élément me tient grandement à cœur.
Je crois que c'est M. Lee qui a soulevé cette question hier : le fait est que des accusations criminelles ont été portées dans le cas de Westray. Je vous l'accorde, ils n'ont pas coincé tout le monde, si vous voulez—le propriétaire et exploitant de la mine dans ce cas—mais des accusations criminelles ont été portées. Le processus avait commencé. La tragédie qui s'est ajoutée à la tragédie, c'est que cette cause n'a jamais terminé son cours, mais il s'agit là d'une autre question.
Êtes-vous d'accord que le fait d'être accusé, en soi, fait partie de la dissuasion, du message dissuasif qu'envoie la dénonciation de l'irresponsabilité d'une personne morale ou d'omissions de sa part qui mettent la vie des gens en danger? Les juges déclarent souvent, à la fin d'un procès, que le jugement public d'un individu ayant violé la loi comporte un effet dissuasif en soi. Si nous parlons d'augmenter la portée de la loi, alors je suis d'accord avec vous. Peut-être est-il plus sage de travailler à partir de l'article existant du Code criminel que d'en créer un nouveau susceptible d'être perçu comme redondant.
Me Anne-Marie Boisvert: Il y a de la place pour cela. Si nous créons un nouvel article dans le Code criminel qui porte sur l'attribution de responsabilité aux personnes morales, je crois qu'il est de notre devoir d'essayer de rendre cet article utilisable. Cela enverrait alors un message. Bien sûr, lorsqu'un procès est intenté à une société comme Westray, cela envoie un message. Mais lorsque dix personnes morales sont acquittées ou lorsque les accusations ne mènent nulle part, un message différent est envoyé. Nous devons donc faire preuve de prudence.
À (1015)
M. Peter MacKay: J'ai une brève question au sujet de la charte.
Le président: Peter, la professeure Puri souhaite intervenir.
Mme Poonam Puri: Je crois que la codification de la responsabilité criminelle des personnes morales dans le Code criminel, comme le fait le projet de loi C-284, est une bonne chose. Cela envoie un important signal. Mais je crains également que si nous définissons des infractions criminelles propres aux personnes morales, nous allons nous concentrer sur celles-ci et oublier les autres, comme l'a indiqué la professeure Boisvert. Mais je crois que nous pouvons y arriver. Le projet de loi C-284 traite spécifiquement de meurtre à l'étape de la détermination de la peine. S'il s'agit d'une infraction liée à un homicide involontaire coupable ou à un meurtre, la peine est plus importante; cela signifie donc que ce type d'infraction est considéré comme étant plus grave. De plus, le projet de loi comporte des dispositions particulières dans le cas de violations aux règles de santé et de sécurité.
Il est certainement possible de faire quelque chose, mais nous ne devrions pas nous concentrer sur quelques accusations ou infractions propres aux personnes morales dans le contexte criminel. L'inquiétude réside dans le fait que nous allons oublier toutes les autres choses que les personnes morales peuvent faire.
Le président: Merci beaucoup. Nous reviendrons à vous, Monsieur MacKay.
Monsieur Macklin, vous avez sept minutes.
M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.): Pour quelques instants, j'aimerais revenir sur une question qui a été soulevée. Il s'agissait d'abord de l'idée qu'il est difficile d'obtenir un verdict de culpabilité dans ce type de cause, et que la norme correspond, en fait, à un écart flagrant de la norme de gestion. Je ne veux pas en faire toute une affaire, mais j'ai toujours compris que pour justifier une accusation criminelle, il fallait un écart marqué. Il me semble qu'il y ait une différence importante entre un écart marqué et un écart flagrant. Devrions-nous nous attarder à cette question?
Me Anne-Marie Boisvert: Non, selon moi il s'agit de la même chose. Je suis désolée, mais je traduis mes réflexions en français, et dans cette langue les deux termes sont très semblables. Optons donc pour «écart marqué».
M. Paul Harold Macklin: Très bien.
Pour revenir à la position adoptée par M. Peter MacKay, nous essayons de toute évidence de créer un milieu de travail sécuritaire. Le régime prévu par la loi qui était en place à Westray a clairement échoué et ce, lamentablement. À mesure que se déroulent ces audiences, je me demande encore si nous avons besoin d'une loi, ou si nous avons besoin des moyens nécessaires pour assurer son application. Y a-t-il effectivement une brèche?
Professeure Boisvert, je crois comprendre que vous suggérez qu'il n'est peut-être pas nécessaire de créer une nouvelle loi. J'aimerais que vous précisiez comment vous croyez que nous pourrions être plus efficaces avec les outils actuels, relativement à leur caractère dissuasif. Nous tentons véritablement de créer un élément dissuasif suffisamment puissant pour favoriser un environnement de travail sécuritaire. Nous ne voulons pas vraiment aller devant les tribunaux. Il s'agit du dernier recours, et c'est de toute évidence après le fait qu'il faut faire enquête, trouver quelqu'un, mettre une personne en prison ou appliquer toute autre mesure découlant d'un procès. La question importante est de créer un environnement de travail sécuritaire, et je crois que nous sommes tous d'accord là-dessus. Pouvez-vous nous donner votre avis à ce sujet?
Me Anne-Marie Boisvert: Oui, et je vous remercie de me donner l'occasion de préciser les pensées que j'ai exprimées, lesquelles pouvaient avoir l'air contradictoires.
Tout d'abord, j'ai dit qu'il était déjà possible de poursuivre une personne morale pour conduite fautive. J'ai affirmé cela pour pouvoir m'assurer qu'il était bien clair que les inquiétudes soulevées actuellement par les gens auraient dû l'être auparavant. Ceci étant dit, la théorie que les tribunaux ont élaborée ne s'est pas révélée suffisamment efficace dans certains domaines, en particulier dans le cas des sociétés de grande envergure. La théorie exige simplement de trouver une personne quelque part dans l'entreprise qui soit responsable, qui occupe un poste élevé dans la hiérarchie, et qui a commis l'infraction elle-même. Il est par conséquent facile d'obtenir un verdict de culpabilité—si vous me permettez cet exemple sans détour—dans le cas d'une société constituée d'une seule personne, mais cela est difficile lorsque la société poursuivie est McDonald's.
Je crois que l'avantage d'une nouvelle loi serait de concevoir une théorie qui serait plus pertinente et mieux adaptée au contexte actuel et aux types de personnes morales auxquelles nous avons affaire.
À (1020)
M. Paul Harold Macklin: Devrions-nous alors nous concentrer sur les types de peines? En d'autres termes, faudrait-il se tourner vers une plus grande variété de peines? Diriez-vous que le pouvoir de détermination d'une peine des juges est trop limité dans ce domaine actuellement?
Me Anne-Marie Boisvert: J'ai fait valoir auprès des juges qu'ils pourraient déjà faire appel à des ordonnances de probation, mais ils ne sont pas convaincus. J'enverrais alors un signal qu'ils le peuvent. Cela aiderait.
M. Paul Harold Macklin: Professeure Puri, avez-vous un commentaire à émettre?
Mme Poonam Puri: Je crois que votre question comportait deux volets. La loi a besoin d'être modifiée, et nous avons également besoin de réfléchir à son application.
En ce qui concerne la loi, je suis d'accord avec ma collègue sur le fait que la loi, dans son état actuel, permet déjà de poursuivre une personne morale et de la faire condamner. Toutefois, la portée de la doctrine actuelle n'est pas assez étendue, en particulier pour les sociétés de grande envergure. Elle ne permet pas d'obtenir des condamnations dans de nombreux cas à cause de la façon dont elle a été élaborée. La doctrine est assez étroite. Le projet de loi C-284 élargit la base de la responsabilité, et je crois qu'il s'agit d'une bonne chose.
Quant à l'application de la loi, encore une fois, en vertu de l'article 735 actuel, les juges ont déjà la possibilité d'imposer des amendes élevées et des peines plus créatives, mais en réalité, ils ne l'ont pas fait. Nous devons envoyer des signaux indiquant que la possibilité existe, mais que cela n'a simplement pas été fait auparavant. Brièvement, les statistiques que j'ai indiquées montrent que les amendes imposées sont relativement peu élevées.
M. Paul Harold Macklin: Comment croyez-vous que nous pourrions envoyer ces signaux? Par une modification législative?
Mme Poonam Puri: Je crois que des directives à cet effet pourraient être intégrées au Code criminel, et pas seulement exprimées sous forme d'amendes maximales. Au moment de déterminer une peine, les peines maximales sont là, mais les amendes imposées sont souvent bien loin de ce maximum. Nous pourrions songer à une amende minimale obligatoire.
M. Paul Harold Macklin: Mais cela n'est-il pas désuet maintenant? La Commission canadienne sur la détermination de la peine n'a-t-elle pas déclaré qu'il ne faudrait plus qu'il y ait de peines minimales obligatoires?
Mme Poonam Puri: Ce n'est plus à la mode lorsqu'on a affaire à des individus, en particulier parce qu'à ce moment-là, tout un éventail de facteurs entre en ligne de compte. Dans le contexte des personnes morales, lesquelles adoptent généralement une conduite fautive pour des raisons économiques, je crois que des amendes obligatoires minimales sont appropriées. En définissant l'amende minimale comme étant équivalente au tort causé ou au profit tiré par la personne morale en agissant de la sorte, c'est très raisonnable.
Alors lorsqu'on parle de peines minimales obligatoires, je crois que nous devons diviser notre analyse pour tenir compte du contexte de l'individu et de celui de la personne morale. Dans ce dernier contexte, il est raisonnable d'établir une peine minimale qui soit équivalente au tort causé ou au profit tiré par la personne morale en agissant de la sorte.
M. Paul Harold Macklin: Alors vous retenez le modèle américain de culpabilité d'une certaine manière, selon le rapport applicable relativement au degré de culpabilité, pour ainsi dire.
Mme Poonam Puri: C'est exact. Ils font appel à une formule plus complexe que cela, mais il s'agirait certainement d'un pas dans la bonne direction.
Le président: Monsieur Erlichman.
M. Louis Erlichman: Je veux simplement répondre à la question qui demande quelle est la différence puisque c'est déjà dans la loi, et à l'idée que nous n'avons peut-être besoin que de détermination de peines plus innovatrices, et ainsi de suite.
Il me semble que ce dont vous parlez est assez juste. Nous essayons de changer les comportements afin de rendre les milieux de travail plus sécuritaires et d'améliorer la conduite des personnes morales. En règle générale, ce qui se produit n'est pas que quelqu'un, quelque part dans la hiérarchie, réfléchit et calcule que les possibilités d'un accident mortel vont augmenter à 1 sur 273 si on prend tel ou tel raccourci, que les coûts seront ceci et cela, et qu'ils vont... Ce n'est pas ce qui se produit. Plutôt, si vous êtes dans le secteur du transport aérien, que vous avez un problème avec un moteur et que vous voulez absolument faire voler cet avion de 100 millions de dollars, vous dites que vous devez le faire décoller, c'est tout. Vous n'allez pas vous asseoir et essayer de calculer les risques qu'il s'écrase, vous vous arrangez pour qu'il décolle. Comment répondez-vous à cela... D'une manière très étroite, déterminée, économique, quelqu'un s'asseoit et fait tous ces calculs implicitement, mais les gens en réalité ne font pas ces calculs.
On peut modifier le comportement des personnes morales avec un instrument approprié. Honnêtement, voilà de quoi il s'agit lorsqu'on parle de responsabilité criminelle. Il s'agit de faire entrer dans la tête des dirigeants—sur toute la ligne, jusqu'en haut, franchement—qu'il y a une peine, une forte peine, et que faire ce genre de choses n'entraîne pas des coûts mineurs qui font partie de l'exploitation normale. L'idée qu'on peut aller en prison pour avoir fait ce genre de choses pourrait faire son chemin dans toute l'organisation.
Les gens continuent à boire et à prendre le volant. Les gens violent la loi tout le temps et font toutes sortes de choses criminelles tout en étant au courant des peines qu'ils risquent. Mais s'il n'y a pas de peine du tout, le comportement des gens ne changera jamais.
Dire explicitement dans le Code criminel qu'une conduite fautive de la part d'une personne morale peut vous mener en prison pourrait avoir un impact sur le comportement, et c'est ce que nous recherchons. Ce ne sera pas une question de quelqu'un qui se livre à des calculs de probabilités.
À (1025)
Le président: Merci beaucoup.
Je vais maintenant m'adresser à M. Cadman, mais j'aimerais auparavant rappeler aux membres, aux témoins et aux personnes déjà présentes pour onze heures que notre discussion portera sur le projet de loi C-284. Normalement, lorsque nous abordons un projet de loi, la discussion est plus limitée que lorsque nous discutons de la question en tant que telle. On a fait allusion à la portée de notre étude et j'ai voulu m'assurer que les gens comprenaient bien que ce projet de loi nous donnera un cadre à partir duquel nous pourrons appliquer des idées. Mais nous ne nous limitons pas à cela et je veux m'assurer que tout le monde le réalise.
Monsieur Cadman, vous avez trois minutes.
M. Chuck Cadman: J'aimerais poursuivre la discussion portant sur les entreprises versus les particuliers. Votre commentaire ou proposition, professeur Boisvert, à l'effet qu'une entreprise fasse l'objet de publicité, disons dans le Globe and Mail, me semble intéressant. Si j'ai bien compris, vous avez dit en gros que lorsqu'une société est reconnue coupable, il faudrait publier un avis à cet effet et que celle-ci en paie le prix.
Lorsque nous abordons d'autres aspects du droit pénal... Nous venons juste de passer à travers une longue épreuve avec les jeunes délinquants, avec la justice pénale pour les jeunes, et nous avons eu affaire à des délinquants sexuels. Certains souhaitent que les noms de ces jeunes soient publiés dans les journaux, d'autres voudraient que les libérations conditionnelles de ces délinquants fassent l'objet d'avis publics, mais le gouvernement est très réticent à s'engager dans ce genre de choses. Pourtant, vous proposez d'obliger les entreprises à payer elles-mêmes les avis à l'effet qu'elles ont été reconnues coupables d'un délit. Comment conciliez-vous cette volonté d'une part et cette résistance d'autre part?
Je crois qu'il s'agit ici d'une dénonciation publique, mais je ne dis pas que c'est une bonne chose ni une mauvaise chose. Comment appliquer tout cela? S'il s'agit de General Motors, McDonald's, Weyerhaeuser ou d'autres sociétés similaires, c'est une chose, mais qu'arrive-t-il s'il s'agit disons de Sam's Lawn Cutting Service, propriétaire unique qui engage quelques employés seulement?
Me Anne-Marie Boisvert: Pour eux, ce serait peut-être inutile.
M. Chuck Cadman: C'est ce que je dis, alors comment concilier tout cela? Je ne dis pas que c'est une mauvaise chose, je me demande seulement comment...
Me Anne-Marie Boisvert: Très rapidement, en ce qui concerne la sentence et l'importance du délit ou de la preuve, les procédures juridiques ou je ne sais quoi, la Cour suprême est très claire. Lorsqu'une disposition ou une mesure législative est élaborée spécialement pour les entreprises, diverses normes constitutionnelles peuvent s'appliquer. Le message que je veux transmettre est que nous cessions de traiter les entreprises comme des particuliers. Ce sont deux mondes complètement différents. Si une chose convient à un particulier, cela ne signifie pas que nous devions l'appliquer aux entreprises. Si nous pouvons faire preuve d'imagination en ce qui a trait à la détermination de la peine pour les entreprises, par exemple, cela ne veut pas dire que ce principe soit bon pour les particuliers. Il nous faut mettre un terme à toutes ces tentatives de transfert.
À (1030)
Le président: Professeure Puri.
Mme Poonam Puri: Au sujet de l'humiliation ou de la stigmatisation d'une entreprise par une annonce ou tout autre type d'avis public, je crois que nous devons analyser séparément la situation des entreprises de celle des particuliers lorsqu'il s'agit de délinquants sexuels ou de particuliers reconnus coupables d'autres délits criminels. Nous avons l'article 7 de la Charte qui concerne les particuliers, «le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne», mais nous n'avons pas à nous en préoccuper dans le cas des entreprises. La Cour suprême l'a certes affirmé. La charte des droits des entreprises est différente de celle des particuliers.
Je le répète, il n'est pas nécessaire d'inclure une disposition à portée générale exigeant des entreprises accusées d'un délit criminel qu'elles placent un avis public à cet effet dans les journaux. Le juge pourrait prendre une décision à cet égard. Ça pourrait être une possibilité, une option, si on considère que le public doit en être avisé. Ça ne sera peut-être pas nécessaire dans le cas d'une entreprise de tonte de pelouses, mais ça pourrait l'être s'il s'agit d'une importante entreprise qui a fait du tort aux consommateurs ou à une importante partie de la collectivité. On pourrait donc inclure cette option dans le projet de loi.
Le président: Merci beaucoup, Monsieur Cadman. J'ai été très généreux pour ce qui est de la limite des trois minutes.
Monsieur McKay.
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): J'espère bénéficier de trente secondes supplémentaires, Monsieur le Président.
J'ai deux questions. La première a trait à l'effet de dissuasion qu'aura ce projet de loi sur les administrateurs et la seconde à l'élargissement de nos horizons, si vous me permettez, ou à leur réduction et à leur élargissement simultanés.
On peut vouloir devenir administrateur pour une multitude de raisons. Certaines sont très bonnes, d'autres ne le sont pas particulièrement. Vous utilisez souvent l'expression «transmettre un message». Je propose qu'en adoptant cette loi, nous «transmettions un message». Ce message peut ne pas être entendu par tous de la même manière et au même moment, surtout par les administrateurs qui pourraient remettre en question leurs postes de directeurs.
Jusqu'à présent, il existe un organisme reconnu en matière de responsabilité des administrateurs; certaines d'entre elles offrent des assurances, d'autres garantissent l'exercice d'une diligence raisonnable afin d'éviter que les administrateurs ne s'exposent à des poursuites. Mais votre proposition, ou si vous voulez, l'objet de notre discussion est d'exposer les administrateurs à diverses responsabilités pour lesquelles ils ne pourraient pas acheter d'assurance et pour lesquelles il ne serait peut-être pas possible d'invoquer la diligence raisonnable comme moyen de défense.
Dans la vraie vie, lorsque les procureurs de la couronne portent des accusations, la portée de celles-ci est généralement assez large. Je vous demande donc de réfléchir à cette question. Si nous transmettons un message à l'effet que le principe de la détermination des peines sera élargi, que le code sera amendé et que l'on créera une culture de l'entreprise, une approche enthousiaste en ce sens ne créera-t-elle pas un environnement où les gens bien renseignés et compétents que nous souhaitons avoir comme administrateurs se désisteront ou ne poseront pas leur candidature?
Ma deuxième question concerne l'élargissement de nos horizons. Nous avons mis l'accent sur la sécurité en milieu de travail—et ceci s'adresse plus particulièrement à madame Puri, parce que je sais que le droit corporatif et commercial sont ses champs de spécialité. Je me demande si, à certains égards, notre perspective n'est pas trop étroite. Je vais prendre l'exemple d'une grave dégradation de l'environnement qui entraîne la mort, dans l'immédiat ou à long terme, de gens qui travaillent dans une usine ou à proximité.
J'ai deux exemples dans ma propre circonscription de Toronto, dont l'une concerne la société Johns Manville Canada. Ils fabriquent des produits d'amiante, et ces produits s'introduisent dans les poumons des gens. Certaines indications portent à croire que le médecin de cette société savait que la présence d'amiante dans l'air ambiant causait le décès prématuré des travailleurs. Et le deuxième exemple concerne un feu qui s'est produit dans ma circonscription, chez une société de produits chimiques qui n'a pour ainsi dire pas tenu compte des règlements en matière de santé et de sécurité. Ce n'est que par la grâce de Dieu que le vent soufflait du côté du lac. Autrement, il se serait produit une catastrophe dans ma circonscription, parce que les émanations étaient toxiques et qu'une collectivité vit à proximité.
J'aimerais que vous me fassiez part de vos réflexions sur ces deux questions, si je peux me permettre.
À (1035)
Le président: Nous allons commencer avec madame Puri.
Mme Poonam Puri: Pour ce qui est de l'effet de dissuasion de ce projet de loi sur les administrateurs et les hauts fonctionnaires, leur rôle est de superviser la gestion des affaires et des activités d'une entreprise. Les administrateurs intelligents, ceux qui ont du jugement, qui sont prêts à prendre des responsabilités et à superviser les affaires et les activités de l'entreprise ne se préoccuperont pas outre mesure de cette loi. S'ils font ce qu'ils sont supposés faire de toute façon ou s'ils se conforment au projet de loi C-284 après en avoir pris connaissance, ils mettront des procédures et des politiques en place afin d'assurer que les diverses activités de la société dont ils ont la responsabilité soient effectuées comme il se doit.
Encore une fois, nous ne nous attendons pas à la perfection de leur part. Nous nous attendons à ce qu'ils travaillent de manière raisonnable et qu'ils désignent une personne responsable des politiques et procédures en matière de santé et de sécurité, tout en tenant compte des problèmes environnementaux, etc. Je ne crains donc pas vraiment les démissions en masse des conseils d'administration canadiens. S'il y a des démissions, elles proviendront d'administrateurs dont nous ne souhaitons pas la présence dans les conseils d'administration. Ces administrateurs auront occupé ces postes pour les mauvaises raisons.
Quant à la deuxième question concernant l'élargissement de nos horizons, lorsque vous insistez sur des aspects particuliers, je pense que vous considérez simultanément d'autres aspects, tels les problèmes environnementaux qui n'ont pas été abordés dans le projet de loi C-284. Je ne suis pas contre l'idée de porter attention ou d'accorder plus d'importance à la sécurité en milieu de travail. Quant aux problèmes environnementaux ou au feu qui s'est produit dans votre circonscription, il est toujours possible de poursuivre une société aux termes du projet de loi C-284. On a insisté davantage sur les violations particulières en matière de santé et de sécurité, mais il y a toujours la possibilité de poursuivre une société responsable d'autres activités criminelles.
Me Anne-Marie Boisvert: Si vous le permettez, je vais répondre à cette question très rapidement. Je suis d'accord avec vous. Je crois que nous ne devrions pas créer des infractions à la suite d'incidents particuliers. C'est ce que j'appelle des lois anecdotiques. Ce dont nous avons besoin, c'est quelque chose de général qui couvrirait...
Nous avons tendance, à l'instar des journaux, à mettre l'accent sur des catastrophes spécifiques. Mais pensons par exemple à l'industrie du camionnage que les attentes irréalistes en matière de quotas rendent très dangereuse. Les lois doivent couvrir ce genre de situations également.
Quant aux administrateurs, ce sont des individus et, partant, ils ont une certaine responsabilité personnelle à assumer. Bien sûr, la possibilité d'invoquer l'exercice d'une diligence raisonnable comme moyen de défense doit passer par la voie constitutionnelle. Je vous demanderais donc de réfléchir à la façon dont les directeurs des importantes entreprises ont réagi au fait qu'ils sont financièrement responsables, lorsqu'ils gèrent leur entreprise d'une manière tout à fait inacceptable. Ils sont personnellement responsables—au Québec du moins—et je ne pense pas que les gens renoncent aux postes de direction pour autant.
À (1040)
Le président: Monsieur Maloney.
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.):
Dans vos exposés, vous semblez tous avoir une position très ferme à l'égard de la responsabilité criminelle des directeurs. Toutefois, dans votre réponse aux demandes de M. Cadman, vous semblez adoucir quelque peu votre position. En fait, dans son exposé M. Erlichman dit ceci:
Seuls les responsables de la «direction et du contrôle» sont ciblés. Il est difficile de voir que ce projet de loi n'exige rien de plus qu'une diligence raisonnable minimale--«une conduite raisonnable, prudente et responsable» de la part des gestionnaires et des directeurs.... |
J'ai donc du mal à concilier mon interprétation de votre intervention initiale avec les réponses que vous avez données par la suite. Vous semblez laisser entendre qu'il n'existe qu'une très faible possibilité qu'un administrateur de Toronto, Halifax ou Montréal soit vraiment tenu personnellement ou criminellement responsable.
Me Anne-Marie Boisvert: Avec l'établissement d'un seuil de responsabilité pour les administrateurs, nous constatons généralement qu'ils se sentent obligés de faire attention, mais ils préfèrent ne pas voir la réalité. C'est généralement l'aveuglement délibéré qui est le... Tout ce que j'ai dit, c'est qu'on a tendance à se servir des administrateurs comme d'une garantie et à laisser planer le spectre de la responsabilité criminelle. Ce que j'ai dit, c'est qu'il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'individus et non pas d'entreprises et qu'il existe des normes constitutionnelles. On ne peut envisager de tenir une personne responsable d'une chose qu'elle n'a pas commise. C'est ce que j'ai voulu dire. Ceci étant dit, il y a des choses que nous ne pouvons pas faire. La responsabilité indirecte n'est pas possible au Canada. Elle existe aux États-Unis, mais pas au Canada. Il ne faut pas oublier cela, mais ce n'est pas une raison pour ne pas envoyer de message non plus.
M. John Maloney: Êtes-vous d'accord avec cela, monsieur Erlichman?
M. Louis Erlichman: Oui. Je suppose que c'est presque une question d'impression. J'ai consulté la liste des participants aux discussions de ce comité. Autant que je sache, il n'y avait aucun représentant des entreprises. Ou bien ils ne se sentent pas concernés et considèrent qu'il s'agit là d'un projet de loi fantastique, ou encore ils pensent qu'il n'y a pas le moindre espoir d'en changer l'orientation. Malheureusement, j'ai bien peur que le deuxième scénario soit le plus plausible.
M. John Maloney: Ils seront peut-être surpris.
M. Louis Erlichman: Je l'espère. Certains administrateurs auront peut-être la frousse, mais il en a qui ont la frousse pour à peu près n'importe quoi. C'est vraiment impossible de voir...franchement, si vous êtes criminellement responsable maintenant, théoriquement, vous pourriez faire preuve de plus de zèle et ceci rend les choses un peu plus explicites.
M. John Maloney: Madame Puri, si je peux me permettre de vous citer, vous considérez qu'une amende minimale équivaudrait au tort causé ou au profit engendré par cet incident. Comment puis-je quantifier cela? Pourriez-vous me donner un moyen de mettre un chiffre là-dessus?
Mme Poonam Puri: Bien sûr. J'ai ici un exemple.
Disons qu'une entreprise déverse des produits chimiques en violation des lois en matière de protection de l'environnement. Supposons que l'élimination de ces produits chimiques suivant les dispositions de la loi, c.-à-d. en toute sécurité, coûte 10 000 $. Si elle les déverse dans un lac, elle gagne 10 000 $ parce qu'elle ne les aura pas dépensés pour éliminer correctement ces produits chimiques.
Si nous demandons à une société reconnue coupable de payer une amende minimale de 10 000 $, on ne sait pas si l'entreprise déversera ou non ses produits chimiques dans le lac par la suite. Par contre, si nous imposons une amende de 11 000 $, alors qu'il en coûte 10 000 $ pour éliminer ces produits en toute sécurité, suivant les dispositions prévues par la loi, nous espérons que ceci aura un effet dissuasif sur l'entreprise.
À (1045)
M. John Maloney: Je comprend la logique de votre propos, mais comment pouvons-nous l'appliquer lorsqu'il y a des pertes en vie humaine.
Mme Poonam Puri: Les juges quantifient tout le temps. Dans les poursuites pour dommages corporels, ils quantifient les pertes en vie humaine, les amputations et ainsi de suite. Je n'ai pas les détails exacts, mais c'est ce qu'on fait généralement dans d'autres domaines du droit. J'ai confiance que si nos juges peuvent le faire en relation avec d'autres domaines juridiques, ils peuvent le faire en relation avec les torts causés ou le profit qui en résulte dans un contexte donné.
M. John Maloney: Ainsi, vous appliquez les règles de droit civil, de droit délictuel, et les dommages et intérêts aux délits qui relèvent du droit criminel?
Mme Poonam Puri: Si on veut élaborer une politique optimale pour inciter les entreprises à penser à ces choses à l'avance, oui, cela ne me pose pas de problèmes. Premièrement, il est difficile de quantifier une perte en vie humaine, mais je n'ai rien contre l'idée d'essayer de concevoir un calcul approximatif d'une telle perte si elle a un effet dissuasif sur les entreprises.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Maloney.
Monsieur Macklin.
M. Paul Harold Macklin: À mesure que nous étudions ce projet de loi, du moins la question relative aux structures corporatives les plus importantes ou, en d'autres termes, aux entreprises les plus importantes, je me demande si nous ne sommes pas en train de générer une industrie qui apportera plus d'eau au moulin des avocats, qui balkanisera et qui protégera les administrateurs. On leur indiquera quels documents ils devront fournir, quelles directives ils devront proposer aux dirigeants afin d'assurer un milieu de travail sûr, mais ces entreprises n'offriront pas nécessairement un milieu de travail sûr. Je suppose que j'ai encore de la difficulté avec le concept de culpabilité d'une entreprise par rapport à la culpabilité d'une personne travaillant dans cette entreprise. Je pense que nos discussions à savoir quand une personne est passible d'incarcération et quand une entreprise risque d'avoir son nom sali par une annonce placée dans le Globe and Mail sont un peu confuses.
Pouvez-vous d'une manière ou d'une autre me donner quelques indications sur la manière dont vous nous proposez d'aborder cette question? Pouvez-vous m'assurer que nous ne nous retrouverons pas au bout du compte avec des coussins protecteurs disposés autour des directeurs qui s'en serviront comme porte de sortie lorsqu'ils auront fait les suggestions appropriées sur ce qui devrait se produire, sans être tenus d'agir?
Depuis toujours, les administrateurs adoptent des politiques et les dirigeants les appliquent. Vu sous cet angle, il faudrait à mon avis se demander qui est responsable et si la société doit apporter des modifications à cet égard. On peut aussi s'interroger sur la nécessité d'apporter des changements dans les entreprises, d'amender le droit corporatif et la Loi sur les sociétés par action. Devrions-nous mettre plus de pression sur les administrateurs, afin qu'ils appliquent leurs directives et en fassent le compte rendu? Ou avons-nous l'impression qu'ils le font déjà?
Mme Poonam Puri: Vous avez raison d'être inquiets que cette loi puisse être promulguée et que les administrateurs puissent essayer simplement de trouver des moyens pour s'assurer qu'ils ont l'air de faire leur travail alors qu'en réalité, ils ne font pas grand chose de mieux qu'avant. Mais je sais qu'il y a des domaines du droit des entreprises qui font que c'est également un problème. Par exemple, l'exigence que nous imposons aux administrateurs pourrait être plus que l'établissement de procédures pour nous assurer de l'établissement de pratiques raisonnables. Il est raisonnable de s'attendre à ce qu'ils établissent des procédures et des pratiques et qu'il y ait périodiquement rapport afin de s'assurer que cette procédure et cette marche à suivre sont mises en oeuvre conformément au plan du conseil d'administration. Je ne crois pas que cela représente trop d'implication de la part du conseil d'administration en ce qui concerne les activités quotidiennes; cela assure que les procédures ont été élaborées et qu'il y a périodiquement rapport. Cela serait sûrement mieux que la simple protection des administrateurs pour leur permettre d'affirmer qu'ils ont fait leur travail. En fait, ils devraient s'assurer continuellement que les procédures et les politiques qu'ils ont établies sont effectivement mises en oeuvre au sein du gouvernement.
À (1050)
M. Paul Harold Macklin: Est-ce que cela demanderait de modifier la Loi canadienne sur les sociétés par actions, par exemple? Est-ce que nous devrions l'associer à une autre disposition législative dans notre tentative de créer un milieu de travail sécuritaire?
Mme Poonam Puri: Je ne crois pas que cela soit nécessaire. Je crois que la mise en place des procédures tout comme le rapport, serait soumise aux dispositions du projet de loi C-284 quant à savoir si les administrateurs ont pris les moyens raisonnables. Cela ne se limite pas nécessairement à établir des procédures. On peut être plus précis dans la législation, mais les moyens raisonnables, cela ne se limite pas à établir des procédures et à tout oublier ensuite. Je crois qu'il est raisonnable de demander que les administrateurs révisent également ces procédures de temps à autre pour s'assurer qu'elles fonctionnent. Je ne crois pas que nous devons nécessairement nous tourner vers la LCSA.
M. Paul Harold Macklin: Lorsque vous parlez de la cécité volontaire, une des questions est de savoir où est cette démarcation dans la présente discussion?
Me Anne-Marie Boisvert: En droit criminel, nous utilisons toujours ces genres de normes. Je crois que nous devrions résister à la tentation d'essayer de comprendre, comme une inscription au bottin téléphonique, toutes les possibilités de cécité volontaire. Nous devons accepter que ces normes sont, dans un sens, floues.
J'aimerais répondre de façon plus générale à votre question. Ce dont nous discutons aujourd'hui, c'est de l'utilisation du droit criminel pour modifier une culture, et c'est une culture, je dirais, sociétale. Je ne peux pas regarder un pont sans me demander combien de vies sa construction a coûté, parce que chaque pont coûte des vies. En ce moment, je crois que notre société considère normal que des personnes soient mortes pendant la construction du stade olympique à Montréal, lors de la construction d'un pont, ou lors de la construction d'un amphithéâtre de hockey. Actuellement, nous nous comportons comme si c'était normal et inévitable.
Est-ce que le droit criminel ou son application suffira ou sera magique en ce qui a trait aux changements qu'il apportera? Je vous ai dit que je suis un pragmatiste, mais je ne crois pas que cela poserait un problème d'essayer.
Le président: Je veux céder la parole à M. McKay pour l'ultime question.
M. John McKay: Essentiellement, il y a trois possibilités. Nous pouvons adopter le modèle culturel des entreprises d'Australie, réinventer la roue et examiner la possibilité de créer une responsabilité là où il n'en existe pas encore au Canada. La deuxième possibilité consiste à forger un article à ajouter au Code criminel, à savoir la création d'une infraction spécifique d'homicide d'entreprise. La troisième possibilité a trait aux directives sur l'imposition d'une peine, si vous voulez.
En ce qui concerne la troisième possibilité, je ne saisis pas où est le problème. Je crois que vous saviez tous que le pouvoir judiciaire peut faire preuve de créativité lors de l'imposition d'une peine. Actuellement, je crois comprendre de votre témoignage que ça n'est pas ce qui se passe. Ainsi, recommandez-vous des modifications précises aux lignes directrices et aux principes d'imposition d'une peine? Ou suggérez-vous que notre rapport fasse référence au fait que le pouvoir judiciaire n'emploie pas tous les outils qui s'offrent à lui dans le domaine des délits de responsabilité de l'entreprise?
Me Anne-Marie Boisvert: Je crois que le professeur Puri est mieux placé que moi pour vous en parler, mais j'aimerais simplement dire que, dans votre rapport, vous devriez vous contenter d'étoffer les outils et d'envoyer des messages au pouvoir judiciaire. Actuellement, même lorsque des biens sont volés, ils ne font pas grand chose en ce qui a trait au dédommagement des victimes, alors je n'ai pas trop confiance qu'ils vont servir de tribunaux civils afin d'équilibrer les dommages et imposer des amendes. Je crois que tout ce que le parlement peut faire au départ, c'est de lancer un signal à l'effet que les peines ne sont pas les seuls outils à sa disposition.
Pour ma part, en ce qui concerne les entreprises, je crois plus à la publicité du procès et à l'effet d'un verdict de culpabilité qu'aux amendes. Lorsqu'on parle de crimes et non pas de règles, les amendes peuvent sembler être un incitatif, pas le fait d'être reconnu coupable de ne pas avoir respecté un règlement. Mais l'amende peut être moindre lorsque vous devez décider de courir le risque d'être reconnu comme un criminel.
À (1055)
Le président: Professeure Puri.
Mme Poonam Puri: En ce qui a trait à l'imposition des peines, vous avez raison, j'ai affirmé que je ne croyais pas que le pouvoir judiciaire ait été très créatif dans son choix de peines pour les entreprises reconnues coupables et en ce qui concerne les peines imposées. Elles sont été relativement basses, voire négligeables. Lors de l'ébauche de la loi, je crois qu'il serait utile d'établir précisément une liste de possibilités pour que les juges n'oublient pas que les amendes ne constituent pas la seule peine imposable, mais qu'ils peuvent imposer une probation, un avis public, etc., parmi toutes les possibilités de peines. Voilà pour cela.
En second lieu, en ce qui concerne les amendes, puisqu'elles ont toujours été négligeables, je proposerais d'établir des minimums plutôt que des maximums, tel que suggéré dans le projet de loi C-284, ou des minimums et des maximums, donc seulement des minimums et peut-être des balises. Ça serait semblable à ce qui se passe aux États-Unis et cela donnerait aux juges des directives plus claires lorsqu'ils décident de la peine à imposer aux entreprises reconnues coupables.
Le président: Merci à vous, M. MacKay et à vous également, Madame et Messieurs les témoins. Je vous suis très reconnaissant.
Me Boisvert, il s'agit d'un meurtre, d'un décès et d'un accident, je crois
Me Anne-Marie Boisvert: Nous vérifierons cela.
Le président: Je vous remercie de vos exposés, qui sont très utiles.
Je vais suspendre la séance suffisamment longtemps pour permettre à nos témoins actuels de quitter et à notre prochain groupe de s'avancer à la table.
À (1058)
Á (1102)
Le président: Nous reprenons les travaux de la 90e assemblée du comité permanent sur la justice et les droits de l'homme. Nous abordons l'objet du projet de loi C-284. Pour nous aider dans cette entreprise, nous recevons notre deuxième groupe de la matinée: l'Association du Barreau canadien, représentée par Greg DelBigio et Tamra Thomson; et le docteur Christopher McCormick, professeur à St. Thomas University, qui retournera sûrement à Fredericton en disant à tout le monde que je portais du vert.
Sur ce brin d'humour, voici l'Association du Barreau canadien.
Mme Tamra Thomson (directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien): Je vous remercie, Monsieur le président. Au nom de l'Association du Barreau canadien, je suis très heureuse de prendre la parole devant ce comité aujourd'hui, alors que vous étudiez la question de la responsabilité criminelle des entreprises. Nous vous avons soumis un mémoire. Malheureusement, nous venons de vous le remettre, vous n'avez donc pas eu l'occasion d'en prendre connaissance plus tôt. Cependant, il n'est pas trop long.
Dans notre mémoire, nous avons brièvement abordé les questions de responsabilité criminelle des entreprises, du point de vue de notre section de justice criminelle et du point de vue de notre section de droit des affaires. Ces deux groupes ont apporté des opinions différentes sur les questions abordées.
L'Association du Barreau canadien est un organisme sans but lucratif et bénévole formé de 37 000 juristes du Canada. Parmi nos objectifs, notons l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. C'est dans ce but que nous vous faisons part de notre opinion ce matin et nous considérons que les travaux de ce comité constituent une étape importante dans l'élaboration de politiques dans ce domaine du droit.
M. DelBigio est membre de notre section de justice criminelle et il apportera d'autres commentaires sur notre mémoire de ce matin.
M. Greg DelBigio (membre, Section nationale du droit pénal, Association du Barreau canadien): Je vous remercie. Je suis heureux d'être des vôtres. J'ai eu la chance d'entendre quelques témoins, ce matin, et de lire le compte rendu de certains témoignages précédents. J'espère que nous pouvons vous aider dans cette tâche importante et ardue.
Dans la lettre que nous vous avons remise, nous traitons de certains aspects généraux. Premièrement, il y a la question concernant certains termes employés dans le projet de loi. Il y a des questions sur l'imprécision et la portée excessive. Certains mots associés à la culture d'entreprise n'ont pas de signification juridique précise. Il y a la question touchant l'inversion du fardeau de la preuve. Enfin, il y a la question de l'effet paralysant que ce genre de projet de loi peut provoquer chez les administrateurs. Ce que j'ai proposé de faire dans mes commentaires, c'est d'exposer des arguments juridiques et constitutionnels pouvant servir de cadre de référence pour l'examen de ces questions.
En fait, la question est de savoir comment attribuer un état d'esprit à une entreprise. La responsabilité criminelle nécessite un état d'esprit coupable. Elle requiert une mens rea. Traditionnellement, la mens rea s'est intéressée à un état d'esprit moral répréhensible. Traditionnellement, en droit criminel, l'état d'esprit coupable peut s'appliquer à un acte—comme un meurtre—aux conséquences d'un acte—comme une accusation d'agression ayant causé des lésions corporelles—ou à la négligence, et pour faire allusion une fois de plus à une accusation bien connue, la conduite dangereuse est une infraction fondée sur la négligence. Habituellement, on considère qu'un crime est un acte motivé par une intention malicieuse. Le problème, c'est de prêter une telle intention à une entreprise.
Deuxièmement, il y a une question de politique, celle de l'objet et du rôle du droit criminel. Il est évident que le droit criminel joue un rôle fondamental en ce qu'il est le reflet des valeurs de la société et qu'il en assure la promotion en établissant des règles de conduite, en punissant ceux qui ne les respectent pas. C'est le processus d'imposition de la peine qui peut servir à faire la promotion de ces rôles.
La troisième question est celle du rôle de plus en plus important de l'entreprise dans la société. À cause de ce rôle, une entreprise peut soit promouvoir des objectifs sociétaires plus généraux ou s'en éloigner. Tout comme nous reconnaissons le rôle d'un bon citoyen corporatif, nous pouvons également reconnaître l'inverse. Bien sûr, une entreprise doit forcément agir par l'entremise de personnes. Les actes des entreprises sont le reflet de décisions humaines. C'est vrai pour les actes de l'entreprise qui lui procurent des profits, mais c'est également vrai des actes des entreprises qui constituent des infractions à des règles de droit. Ces infractions sont le résultat de décisions humaines.
Le cadre juridique dans lequel il faut considérer le tout comporte trois volets. Il y a les règles de responsabilité civile, les règles édictées par les autorités réglementaires et le droit criminel. Elles peuvent toutes être utilisées pour façonner le comportement ou pour encourager certains comportements. Toutes, en théorie, fonctionnent de la façon suivante: pour façonner le comportement ou pour réprimer les comportements répréhensibles. Le recours au droit criminel, évidemment, est l'arme la plus puissante, si vous voulez, mais il y a plusieurs considérations politiques et constitutionnelles applicables à chaque volet. En droit criminel, une condamnation comporte un stigmate et donne lieu aux sanctions les plus importantes. Les sanctions proposées dans le projet de loi C-284 comprennent l'emprisonnement à perpétuité des administrateurs. À cause de ce stigmate, à cause des pénalités potentiellement importantes, le droit criminel exige l'application stricte des normes constitutionnelles.
Á (1105)
À l'opposé, je propose de soulever les questions suivantes: est-ce qu'il est nécessaire de prévoir des modifications au Code criminel concernant la responsabilité criminelle des entreprises? De quels objectifs sociaux ou politiques veut-on faire la promotion par le biais d'une des modifications? Quelles sont les carences du droit actuel relativement à ces considérations de politique sociale? Quel est le mal que vous tentez de réparer et quelle en est l'ampleur?
Je considère qu'il faut évaluer s'il est souhaitable ou nécessaire d'avoir recours au droit criminel plutôt qu'à la réglementation ou au droit civil. À cette dernière question, on peut répondre que le droit criminel permet l'imposition de peines de nature criminelle, ce qui comprend des moyens dissuasifs spécifiques, des moyens dissuasifs de nature générale, la promotion de la responsabilité sociale, la réparation, la dénonciation—chose essentielle—et la réhabilitation.
À l'opposé—voici mes commentaires au sujet de la possibilité d'un effet paralysant—il est évident que les entreprises doivent être concurrentielles. Les entreprises concurrentielles sont nécessaires pour assurer la vigueur de l'économie canadienne. Les entreprises doivent être compétitives sur le marché interne et sur le marché international et cela requiert des administrateurs et des employés à la fois dévoués et talentueux. L'imposition d'un filet de responsabilités pourrait avoir un effet paralysant. Cela pourrait dissuader des personnes que vous souhaiteriez voir assumer des responsabilités d'administrateur ou de dirigeant d'entreprise et cela pourrait nuire à la compétitivité des entreprises. C'est une question dont il faut tenir compte et cette préoccupation a été évoquée notamment par les représentants de la section Affaires de l'ABC.
Enfin, et brièvement, plusieurs solutions s'offrent à nous et je sais qu'elles ont été abordées ce matin. On peut maintenir le modèle actuel de responsabilité d'entreprise et le clarifier par la loi; le modèle de «l'âme dirigeante» peut être maintenu, tout en étant clarifié par la loi. On peut remplacer le modèle actuel de responsabilité par le modèle de culture d'entreprise qui est proposé dans le projet de loi C-284. On peut créer des infractions particulières en fonction de critères précis de responsabilité sans réécrire toutes les règles de responsabilité criminelle des entreprises. Par exemple, on peut s'intéresser à la question de la sécurité du milieu de travail ou on peut modifier les dispositions relatives à l'imposition des peines du Code criminel afin de prévoir un régime particulier pour les entreprises. Par exemple, on peut prévoir des amendes accrues, des amendes minimales, des dispositions particulières concernant l'emprisonnement des administrateurs, une probation qui permettrait de surveiller le comportement de l'entreprise ou d'autres mesures spécifiques visant à assurer le respect de la loi. Il s'agit de possibilités à envisager, mais il ne s'agit pas de recommandations émanant de l'ABC.
Pour conclure vos travaux, je vous demande de réfléchir au fait qu'une loi complexe peut quelquefois donner lieu à des poursuites complexes et inefficaces. Quelquefois, une loi complexe—c'est-à-dire conçue avec des mots vagues ou des mots dont la portée est considérable—donneront lieu à des poursuites vouées à l'échecs. Il n'est certainement pas dans l'intérêt public d'adopter de telles lois, d'autant plus que les mots vagues ou de portée considérable sont incompatibles avec les normes constitutionnelles. Dans le projet de loi C-284, je vous demanderais réfléchir à des expressions comme «tolérer des pratiques» et «permettre le développement d'une attitude commune». Il s'agit d'expressions dont la signification est incertaine, et je vous suggère d'examiner attentivement de telles expressions. De même, dans le cas de l'inversion du fardeau de la preuve, lorsqu'il y a responsabilité criminelle et possibilité d'amende ou d'emprisonnement, une disposition prévoyant l'inversion du fardeau de la preuve pourrait être incompatible avec les normes constitutionnelles.
Je devrais ajouter que les tribunaux sont habitués à trancher des questions relatives à la mens rea. Ces questions amènent les tribunaux à rechercher un équilibre entre les intérêts en présence, les facteurs d'intérêt social ou d'intérêt public, la dissuasion et la protection, et les droits des individus. Une considération de principe pourrait amener la société canadienne à vouloir stigmatiser un individu ou une entreprise par l'imposition d'une responsabilité criminelle. Il se pourrait que la norme du «il aurait dû savoir» soit insuffisante à cet égard. Si vous me permettez un commentaire supplémentaire, il est vraisemblablement inéquitable et exagéré d'établir un stigmate à l'aide d'une condamnation criminelle et d'un emprisonnement sur la base du «il aurait dû savoir»
Merci.
Á (1110)
Le président: Docteur McCormick, vous avez dix minutes.
Dr Christopher McCormick (professeur, témoignage à titre personnel): Merci.
Je suis professeur associé de criminologie à St. Thomas University au Nouveau-Brunswick. Chose relativement rare étant donné qu'il n'existe pas beaucoup de départements de criminologie. J'enseigne, entre autres, la criminalité des entreprises et mon principal message consiste à dire que dans notre société, ce type de crime est le plus répandu de tous. C'est certainement le plus onéreux, mais aussi le plus mal connu. Il est bien plus sérieux que la criminalité de rue, en termes d'argent, de mal qu'il fait aux personnes et au tissu social. Et pourtant, il ne fait pas partie de notre conscience collective sur le crime dans notre société.
La dernière fois que je visitais Ottawa, il y a deux ans, à l'occasion du lancement au Cercle national des journalistes d'un livre que j'avais colligé et qui avait pour titre The Westray Chronicles, je pris mon petit-déjeuner à l'hôtel en compagnie de Lawrence Mc Brearty des Métallurgistes unis d'Amérique. Il m'a raconté, sur un ton très solennel, une histoire qui s'était passée quelques années auparavant. L'un de ses amis avait été tué lors d'un accident de travail. Les faits prouvaient qu'il y avait eu responsabilité criminelle, mais également une réticence à entamer des poursuites; ainsi personne n'a jamais été poursuivi. Il m'a fallu du temps pour mûrir ma réflexion sur cette affaire et réaliser l'importance qu'elle avait pris dans ma carrière. Je crois que Westray a beaucoup compté dans ma carrière aussi en termes de cheminement de ma réflexion sur la façon dont les mesures prises, ou non prises, par les entreprises, peuvent nuire, surtout aux travailleurs au sein d'économies marginales, comme celles des Maritimes.
La criminalité d'entreprise est très différent de la majorité des autres formes de criminalité. C'est une criminalité de pouvoir. La majorité des crimes dont on entend parler, auxquels nous sommes habitués, sont des crimes d'opportunité. C'est peut-être un crime de malveillance, mais il s'agit le plus souvent de crime d'opportunité. On peut difficilement, par exemple, qualifier de crime de pouvoir celui d'une personne qui profite d'une situation pour s'approprier des biens. En réalité, la majorité des crimes de ce type sont commis par des gens qui ont relativement peu de pouvoir dans notre société.
Il devient alors difficile de traiter de ce sujet parce que nous avons affaire à des gens puissants au sein d'entreprises puissantes et qui peuvent commettent des crimes en vertu de leur puissance. Et du fait de cette puissance, ils s'en tirent indemnes. Je crois qu'il est très important qu'une réflexion sur ce sujet se fasse en fonction de la difficulté qu'il y a à le traiter : nous nous trouvons face à des crimes de pouvoir dans lesquels il n'est souvent pas question de malveillance, mais qui sont toutefois dûs à la négligence, laquelle peut entraîner des blessures chez les travailleurs ou leur mort .
On dénombre cinq types de crimes d'entreprise. En l'occurrence, nous nous préoccupons des crimes à l'endroit des employés et des travailleurs. Il est certainement très clair qu'il y a beaucoup plus de gens qui se blessent au travail que dans la rue. Plus de personnes meurent au travail qu'aux mains d'une autre personne. Ce sont là des faits. On peut en attribuer plusieurs à des accidents, mais certains, en revanche, seraient qualifiés de crimes si jamais ils étaient commis par des personnes.
Prenons le cas où vous me rendriez visite chez moi un après-midi et que vous vous blesseriez. Je pourrais être coupable de ce que j'ai fait ou n'ai pas fait. C'est exactement le cas de Westray. On avait prévu qu'il y aurait un désastre. Peut-être que personne n'a imaginé son importance potentielle, mais on a prévu qu'il y aurait un désastre. Il aurait pu être prévenu mais ne l'a pas été. Les travailleurs se rendaient à leur travail tout en sachant que ça pouvait être leur dernier quart. Ils avaient dit à leurs familles que s'il arrivait quelque chose, ils devraient faire connaître l'histoire. Je crois que l'affaire Westray constitue maintenant un pan important de notre culture.
Á (1115)
Lorsque le droit administratif ne peut, par la coercition, faire en sorte que les entreprises respectent les normes de travail et que les gens soient protégés sur le lieu de leur travail, il serait alors temps que le système de justice criminelle intervienne. Ce n'est pas que la menace de châtiment ait jamais dissuadé certaines personnes de commettre des crimes. Beaucoup de gens persistent à conduire en état d'ébriété malgré la menace de sérieuses pénalités. Toutefois cette menace pourrait ne dissuader que certaines personnes de provoquer des circonstances où les gens pourraient se blesser ou se tuer. Je crois également que ça entraîne l'exercice du châtiment après le fait.
Nous avons constaté, au cours des années 1990, la difficulté de déposer des accusations au criminel dans l'affaire Westray; il faudrait peut-être trouver des recours juridiques pour traiter ce type de situation. À défaut d'autres solutions, la société se réserve le droit de punir les gens et exprimer ainsi sa réprobation des actes qu'ils ont commis. J'ose dire qu'en l'espèce, il ne s'agit pas d'un cas différent. Ce sont des actes qui sont très répandus. Des actes qui coûtent très cher aux travailleurs et à la société. Ils sont très difficiles à constater et encore plus difficiles à rectifier. Il s'agit d'actes qui ne s'inscrivent pas dans nos concepts habituels du criminalité. En allant faire des achats au magasin, on ne s'attend pas à être empoisonnés par les produits achetés. En allant au travail, on ne s'attend pas à y être tués. Nous prenons pour acquis, de différentes manières, que la société est sûre; néanmoins la difficulté intrinsèque du sujet et la difficulté qu'elle entraîne à tenter d'y remédier ne devraient pas nous décourager d'essayer.
Merci beaucoup.
Á (1120)
Le président: Monsieur Cadman, vous avez sept minutes.
M. Chuck Cadman: Je vais vous poser la même question que j'ai posée au groupe d'experts précédent. Jusqu'à quel niveau de la hiérarchie peut-on imputer la responsabilité criminelle? C'est là quelque chose que je dois trancher, et j'essaie de le faire. Je reprends l'exemple que j'ai utilisé la dernière fois, celui d'une entreprise dont le conseil d'administration est à Vancouver et l'usine à Toronto. S'il survient un accident à Toronto, est-ce que la responsabilité réside chez les administrateurs à Vancouver?
M. Greg DelBigio: Posez-vous la question du lieu de responsabilité dans les paramètres du modèle de loi actuelle, ou en vertu de—
M. Chuck Cadman: Non, là où elle devrait être. On nous demande d'éclaircir tout cela, alors, ou pensez-vous que la responsabilité devrait résider? Quel devrait être le critère pour l'évaluer?
M. Greg DelBigio: Eh bien, la réponse à cette question dépend vraiment du modèle de responsabilité dans le mesure où—
M. Chuck Cadman: Eh bien, la responsabilité criminelle.
M. Greg DelBigio: —qui est attrapé dépend de... s'il s'agit du modèle de culture de l'entreprise, par exemple, la responsabilité pourrait être imputée aux administrateurs où qu'ils se trouvent en fonction, vraiment, de la personne ou du groupe responsable de la facette même de la culture qui a causé l'infraction. La répartition de la responsabilité à travers la hiérarchie ou l'emplacement géographique dépend vraiment du responsable de l'infraction. Lorsque j'emploie le mot «responsable», je fais grosso modo référence soit au cerveau directeur—le modèle actuel— soit au responsable de la culture de l'entreprise, comme l'envisage le projet de loi C-284. Je ne sais pas si je peux mieux répondre à votre question.
La question normative, de savoir qui devrait porter la responsabilité, est primordiale. Elle l'est en termes de droit criminel. Elle appelle à des considérations politiques, mais il ne fait pas de doute que les arguments traditionnels du droit criminel exigent ces notions d'mens rea auxquelles je me référais précédemment—pas de responsabilité criminelle s'il n'y a pas d'intention criminelle.
Le président: Docteur McCormick, vouliez-vous...
Dr Christopher McCormick: Il est difficile de répondre de façon abstraite à des questions comme celles-ci, mais peut-être que nous pourrions nous servir d'un cas particulier pour le faire.
L'enquête publique sur la mine, menée par le juge Peter Richard, a fait état des très nombreux témoignages de ceux qui étaient au courant de ce qui se passait dans la mine; qui donnait les instructions concernant les activités souterraines qui pouvait prendre des mesures préventives et ne l'a pas fait et qui disait aux gens ce qu'il fallait faire lorsqu'il y avait infraction au code de sécurité. À l'instar des affaires criminelles, je crois qu'on peut constater qui était au courant et qui n'a pas pris les mesures nécessaires. Peut-être que c'est là le critère. Plutôt que d'établir de façon abstraite le niveau où elle doit se situer, examinons la question de la connaissance et de la responsabilité.
M. Chuck Cadman: Merci.
Le président: John McKay.
M. John McKay: Je voudrais poser plusieurs questions. La première concerne le laisser-faire des administrateurs, à défaut d'une meilleure expression, et vous étiez peut-être là lorsque le professeur Puri a répondu à la question sur la loi des conséquences non intentionnelles, si vous voulez, et la possibilité de se retrouver en présence de directeurs en réalité moins compétents, d'une façon ou d'une autre. En gros, elle a répondu que les bons administrateurs ne seront pas dissuadés et que les autres, de toute manière, ne sont pas souhaitables. Sa réponse était plus élaborée et je ne lui fais pas justice en la raccourcissant ainsi, mais je voudrais avoir votre avis sur cette question.
La deuxième question concerne l'objectif de la politique de M. DelBigio. J'étais en train d'examiner mes notes sur d'autres témoignages. Le parrain de l'ancien projet de loi C-284, devenu depuis une étude sur le contenu de ce projet de loi, traite de façon éloquente de l'objectif de la politique en l'espèce. En réalité, il s'agit de l'échec d'une culture d'entreprise, parce qu'une personne laisse s'instaurer une culture. Elle arguait que l'événement de Westray n'était pas accidentel. Il était prévisible qu'un désastre se produise.
La Dr Susan Dodd a dit hier que les gens qui subissent une perte du fait de la négligence industrielle sont encore plus pénalisés, parce qu'ils n'ont pas accès à la justice. On a l'impression que les lois sur la santé, la sécurité et la négligence n'ont pas eu l'effet voulu et qu'en bout de ligne, on n'a pas accès à ce compendium de valeurs, que les gens sont privés du droit fondamental d'accès à la justice et, par conséquent, sont encore plus victimisés.
C'était là ma deuxième question et je souhaiterais savoir ce que vous en pensez.
La troisième question porte sur le modèle australien qu'on propose comme solution intéressante. Évidemment, il s'écarte de la notion que nous avons tous apprise à l'école de droit, celle de mens rea ou l'acte coupable. Il le solutionne, mais il y a probablement des conséquences non intentionnelles dans l'adoption de ce type de culture d'entreprise,que je ne peux imaginer à ce stade. Je me demande si votre comité a réfléchi à cette question. Quels seraient les autres problèmes qui découleraient du traitement, si vous voulez, d'une forme de responsabilité criminelle qui, jusqu'ici, n'a pas fait partie de la culture criminelle canadienne?
Á (1125)
M. Greg DelBigio: En ce qui concerne le laisser-faire des administrateurs et la question de savoir si les bons administrateurs resteront ou non, l'ABC en a fait un point à prendre en compte: c'est une question délicate. En réalité, c'est une question pour laquelle nous ne disposons pas de données empiriques, mais il ne fait cependant pas de doute que face au risque accru, au moins certaines personnes seront dissuadées. C'est à vous de décider du poids à donner à cette considération. Nous pensons toutefois que face à une croissance du risque, elle aura un effet dissuasif. Il ne s'agit pas ici de dire que les bonnes gens resteront quel que soit le niveau de risque. S'il y a risque injustifié, même les bonnes gens s'en iront.
En ce qui concerne les considérations de politique et la question de savoir s'il y a ou non des désastres prévisibles où la justice n'est pas accessible, je me réfère à certaines observations que j'ai déjà faites à propos des méfaits dont on se préoccupe ici. S'il s'agit d'un méfait précis—la sécurité en milieu de travail, par exemple—il est préférable de traiter d'une seule infraction plutôt que de refaire la loi sur la responsabilité criminelle de l'entreprise. Le fait de ne traiter que d'une seule infraction laisse moins de place aux embûches juridiques et constitutionnelles, si je peux m'exprimer ainsi. Je ne sais pas si des procureurs de la couronne ou des groupements de policiers viendront témoigner, mais si effectivement on se rend compte que l'accès à la justice est inexistant, il pourrait alors être intéressant de leur demander leur point de vue concernant le fait que le droit criminel actuel ne soit pas appliqué à des cas, qui de l'avis général, devraient y être assujettis.
En ce qui concerne le modèle australien et le fait qu'il y ait ou non des conséquences non intentionnelles et d'autres problèmes qui pourraient survenir, nous nous inquiétons entre autres qu'un remaniement important et rapide de la loi ne permette pas d'examiner suffisamment ces types de questions importantes. Nous n'avons pas eu le temps d'examiner les conséquences très importantes du projet de loi C-284. À notre avis, il faut prendre plus de temps avant de remanier profondément le droit criminel.
Á (1130)
Le président: Docteur McCormick.
Dr Christopher McCormick: La question est probablement beaucoup trop juridique pour moi. J'aimerais néanmoins vous dire qu'en l'occurrence vous traitez d'une situation très complexe dans laquelle les travailleurs sont poussés à prendre des risques dans un milieu peu sûr. Le boni de production est relié à la croissance de cette dernière, ce qui veut dire qu'on prend des raccourcis. Gerald White de l'Université Queen's a bien documenté la chose. Plutôt que de relier le boni à l'amélioration de la sécurité, il a été relié à l'augmentation de la production aux dépens de la sécurité. Le contexte voulait que les gestionnaires dictent aux travailleurs de ne pas tenir compte de la sécurité ou les menacent de mise à pied s'ils tentaient de soulever la question de la sécurité, le tout couronné par la négligence des inspecteurs gouvernementaux qui n'exerçaient pas l'autorité qui leur revenait juridiquement et qu'ils étaient tenus d'exercer.
Ainsi, nous traitons d'une affaire très complexe qui implique de nombreux acteurs. Je crois que d'une certaine façon, il est difficile de séparer ces actes des autres que commettent les gens. Nous pouvons adopter une loi sur la conduite en état d'ébriété, comme je l'ai déjà mentionné, et augmenter les pénalités de façon très significative. Toutefois, la réalité en est que la majorité de ceux qui conduisent dans cet état ne se font pas attraper. Si les policiers ne font pas respecter la loi, vous pouvez en adopter autant que vous voulez, elles resteront sans effet.
Peut-être que c'est de cela qu'il s'agit. Il nous faut arriver à comprendre les motifs sous-jacents qui font que ces choses arrivent. Ainsi, bien que j'appuie l'adoption d'une telle loi, je crois qu'il faudrait peut-être voir comment les faiblesses qui affectaient les normes ont permis que cela arrive.
Le président: Monsieur Macklin.
M. Paul Harold Macklin: Inutile de vous dire que le défi à relever est énorme. Le fait d'essayer de démêler tout cela n'est pas une mince affaire, parce que nous avons celle de Westray dans laquelle il est fortement question de pouvoir et de politique. Il ne s'agissait pas nécessairement de la loi, mais plutôt de son exécution.
En prenant le temps d'y réfléchir—par exemple, lorsque nous parlons de ce que nous pouvons faire et devrions faire—je ne crois pas que l'un d'entre nous veuille se précipiter pour adopter d'autres lois, uniquement pour le plaisir de rendre plus volumineux le recueil dont nous disposons déjà. La question est en fin de compte celle d'assurer un milieu de travail sûr et d'utiliser les outils dont nous disposons déjà, comme vous l'avez dit.
À l'examen de l'affaire Westray, il semble que nous éprouvions des difficultés concernant le fait qu'à travers la politique, le pouvoir, ou que sais-je encore, les outils adéquats qui semblent exister—c'est-à-dire, ceux qui sont prescrits par la réglementation sur la sécurité au travail—ont tout simplement été ignorés. Ils n'ont pas été observés.
En ce qui concerne ce dont nous venons de parler, je ne sais pas si la proposition d'imposer des sanctions pénales constituerait la réponse qui s'impose en matière de réglementation de la sécurité au travail. Risquons-nous de provoquer des contestations, en vertu de la Constitution, concernant la compétence pour légiférer dans un domaine particulier?
Je souhaiterais pouvoir avoir une idée de ce sur quoi a porté votre réflexion à ce chapitre, si cela ne vous dérange pas. Dites-nous dans les grandes lignes ce que nous devons rechercher, par opposition à des choix. Avez-vous vraiment une bonne idée de ce que nous devons faire en l'occurrence?
Á (1135)
M. Greg DelBigio: L'ABC n'a pas encore rédigé de réponse finale sur cette question, que ce soit le remaniement de toute la question de la responsabilité en précisant une nouvelle infraction ou en faisant une lecture différente des dispositions de détermination de la sentence. Ces propositions pourraient servir à votre réflexion sur ce dont il faut tenir compte en examinant ces questions.
En ce qui concerne le non respect des lois sur la sécurité, il est toujours vrai que les lois seront ignorées. Si les sanctions devenaient plus sévères et les risques plus grands, ils ne manqueraient pas d'attirer l'attention de ceux qui croient qu'ils peuvent autrement ignorer la loi. Si le risque réglementaire se transforme en risque pénal, et que les sanctions deviennent plus sévères et s'accompagnent d'une réprobation sociale, peut-être qu'à ce moment là les gens qui ont tendance à ne pas respecter la loi y feront plus attention. Vous ne pourrez jamais empêcher les gens d'enfreindre la loi.
La mise en garde que je ferais serait de ne pas voir trop grand dans l'espoir d'empêcher tout le monde d'enfreindre la loi, tout le temps. De plus, il est important de ne pas faire d'extrapolations trop larges à partir d'un seul cas, celui de Westray. Je ne dis pas cela pour minimiser, de quelque façon que ce soit, la tragédie qui s'y est déroulée. En revanche, il est important de ne pas l'utiliser comme prétexte pour remanier le droit criminel s'il n'est pas utile de remanier l'ensemble de ce droit.
Le président: Docteur McCormick, vouliez-vous répondre?
Dr Christopher McCormick: Il s'agit là pour moi d'une question très compliquée. Je ne crois pas qu'il soit uniquement question de Westray. À mon avis, les exemples de crimes d'entreprise ne manquent pas. Il s'agit de crimes commis par des personnes ayant un pouvoir et qui l'utilisent indirectement à leur avantage, mais plus directement à l'avantage de l'entreprise, que ce soit par la vente de produits de consommation qui ne satisfont pas aux normes; en ne respectant pas les normes de sécurité en milieu de travail; en livrant une concurrence déloyale; en ne respectant pas les lois de l'État; ou en commettant des actes qui nuisent à l'environnement. Il y a de nombreux cas comme celui-ci—des affaires dans lesquelles on peut constater que les responsables étaient dans une position où ils auraient dû savoir ou bien qu'ils étaient parfaitement au courant de ce qui se passait. Je crois que la difficulté de poursuivre les responsables a été éloquemment prouvée en Australie et en Grande-Bretagne, comme d'autres l'ont dit .
Je crois effectivement qu'il est très important de faire quelque chose, pas seulement en ce qui concerne Westray mais également en ce qui concerne de nombreux cas de crimes de pouvoir commis à l'endroit des employés, des consommateurs, de l'État, de la concurrence et de l'environnement. Alors, franchement, je ne pense pas que le fait de laisser faire soit une mauvaise chose pour le moment. Ce laisser-faire serait utile si les gestionnaires réalisaient qu'ils pourraient être directement tenus responsables de leurs actions ou leur inaction.
Le président: Monsieur Lee, aviez-vous quelque chose à ajouter? Non?
Vu que personne ne se propose, je vais moi-même profiter de cette occasion.
Je crois qu'une certaine discussion a semé la confusion—et j'hésite à utiliser le mot «confusion»—dans les concepts signifiant que quelque chose «puisse arriver» ou que quelque chose «arrivera». Dans le contexte de cette partie du dialogue concernant l'imputabilité des gens, cela ne signifie pas nécessairement que du seul fait qu'ils puissent être tenus responsables, le système ne fera pas de distinction entre le possible et le réel. C'est là une chose sur laquelle nous devons rapidement nous entendre lorsqu'il est question, par exemple, du niveau hiérarchique où se situe la responsabilité. Il s'agit seulement de savoir s'il existe un niveau quelconque de responsabilité. Cela ne signifie toutefois pas que si nous trouvons une entreprise coupable d'un acte criminel, d'autres normes de preuve et de culpabilité ne s'appliqueraient pas en termes de responsabilité automatique des administrateurs pour ledit acte criminel au sein de l'entreprise.
Je crois qu'il est important que je vous dise que je vais chercher à obtenir une réponse pour m'assurer qu'on a bien compris, du moins dans nos esprits.
L'autre point concerne le fait que bien que nous ayons discuté de sécurité publique, je crois que nous devons également aborder une sorte de justice fondamentale. Je crois qu'ils vont quand même de pair. Je lis la 73e recommandation du juge Richard, à laquelle les gens se sont souvent référés. Il y est question de la sécurité au travail en tant que principe fondamental sous-jacent ou objectif. Mais il y est également souvent question d'imputabilité. Cela ne concerne pas seulement l'efficacité de la loi en matière d'imputabilité, mais également la justice qui en relève.
J'imagine que le juge Richard voulait dire—et beaucoup de témoins l'ont fait—qu'en fin de compte, il y a des forces concurrentes, celles qui imputeraient une responsabilité au gestionnaire intermédiaire pour sa conduite et celles venues de niveaux plus élevés de la hiérarchie qui exerceraient des pressions dans une autre direction. Vu que la responsabilité ne remonte pas très loin, il n'y a rien qui empêche les pressions en aval sur ce gestionnaire intermédiaire. Peut-être que ce que nous tentons de faire ici est d'établir un meilleur équilibre dans cette relation de pouvoir au sein de l'entreprise de manière qu'au nom de ce gestionnaire intermédiaire, nous repoussions les cadres supérieurs étant donné que nous pouvons les tenir pour responsables de cette pression. Je crois donc qu'il est ici question à la fois de sécurité et d'efficacité, mais également de justice. Nous souhaiterions que les comportements évoluent, mais actuellement les structures ne favorisent pas nécessairement une telle évolution.
À titre de président et en termes de discussions à venir, je m'intéresserais même à connaître la réaction du comité sur la portée de cet aspect, en dehors de l'exemple de Westray. Je ne veux pas dire que cela exclut ceci, mais le docteur McCormick a également fait allusion aux produits de consommation qui ne répondent pas aux normes. Je crois qu'il s'agit de la même dynamique qui entre en jeu si l'on se fie à l'exemple de—encore une fois, il s'agit de choses des Maritimes et, en l'occurrence, du Nouveau-Brunswick—l'affaire Starkist et du thon dit avarié. Des pressions se sont exercées pour orienter l'action d'une certaine manière, action qui s'est avérée non seulement nuisible aux employés, mais également malsaine pour le grand public. Il suffit d'imaginer l'application de valeurs semblables à une telle circonstance, où les conséquences du comportement ont une portée dépassant leurs effets sur les employés de l'entreprise.
De toute manière, je sais que je divague un peu. Je me suis étendu sur la question pour vous permettre de rassembler vos idées, et M. Cadman me l'a pardonné.
Monsieur DelBigio ou Docteur McCormick.
Á (1140)
M. Greg DelBigio: Certains ont exprimé la volonté d'essayer d'imputer la responsabilité à des échelons plus élevés de la hiérarchie. La question devient alors celle de savoir ce qui motive cette volonté. Pour commencer par le terme «devrait», pourquoi la responsabilité devrait-elle être imputée au sommet plutôt qu'à la base ou au milieu? Je ne sais pas si l'on peut répondre à cette question de façon abstraite. Je vous dirais que la meilleure façon de l'examiner serait de déterminer la responsabilité concernant une infraction précise. Peut-être qu'elle se situe au sommet, au centre ou à la base. Mais sans en savoir plus, il est probable que la volonté d'imputer la responsabilité au sommet ne fera qu'entraîner des problèmes.
La sécurité publique et la justice fondamentale sont deux notions concurrentes. On souhaite assurer une sécurité maximale. On souhaite également que justice soit rendue à ceux auxquels l'infraction a nui, infraction qui a instauré un milieu de travail dangereux. Mais il faut prendre garde au fait que ces deux souhaits ne puissent être utilisés pour affaiblir la protection constitutionnelle dont bénéficient les accusés ou, autrement dit, les dispositions des lois pénales actuelles. Les critères de politique doivent établir un équilibre délicat entre ces deux souhaits concurrents. Et j'utilise le terme «équilibre délicat», parce que je suis convaincu qu'il l'est.
Á (1145)
Le président: Docteur McCormick.
Dr Christopher McCormick: Je suis heureux de constater que vous avez classé la chose sous la rubrique de la justice, vu que je crois que la question va plus loin que le droit criminel. Il s'agit de savoir comment nous choisissons de nous comporter en tant que société et comment doivent se comporter les citoyens.
J'ai toujours été d'avis que quoi que nous fassions pour dissuader les gens de commettre des crimes, il y aura toujours ceux qui, par ignorance ou par volonté, continueront de les commettre. Le droit que se réserve la société est celui de punir certains, mais également de transmettre par le biais de cette punition le message à tous les citoyens. Non seulement nous disons «ne faites pas ça» mais en plus nous disons «nous vous protégerons».
Je crois que le message public dans l'affaire Westray a été de dire, «nous ne pouvons pas vous protéger». Il est possible, cependant, que si les instances de la Nouvelle-Écosse qui pouvaient engager des poursuites avaient disposé de ressources suffisantes et de temps elles auraient pu, en réalité, entamer et réussir des poursuites en vertu des lois en vigueur à l'époque—peut-être, mais la question demeure. Il était assez évident que le personnel n'était pas suffisant, pas plus que le soutien technologique. Même le simple catalogage des millions de pages de documentation déposée par l'accusation s'est avéré difficile. La police a également éprouvé des difficultés à interdire l'accès à la mine et à conserver les preuves, etc. Ainsi, compte tenu d'une série de mauvais pas, le public a interprété la chose comme voulant dire que c'est arrivé et que ça devrait arriver de nouveau. Il n'était pas nécessaire que ça arrive, mais c'est arrivé et personne n'a été puni en fin de compte. Je crois que c'est là quelque chose de très important. Comme l'a dit le juge, en définitive, la mine a sauté. En fait, tout a sauté.
Malgré la difficulté d'imputer la responsabilité, au niveau hiérarchique, de l'intention criminelle, etc. je pense que la loi revêt un caractère symbolique très important. Elle véhicule des messages voulant que chacun porte une responsabilité, que la société représente plus que la somme de ses membres et que le droit est destiné à protéger la société. C'est donc tout à fait une question de justice.
L'échouement de l'Exxon Valdez avait été prévu par la Garde côtière des États-Unis quelque quinze ans auparavant. Également, la plate-forme pétrolière Ocean Ranger, au large des côtes de Terre-Neuve, éprouvait de toute évidence des problèmes. Des lacunes dans la législation permettaient aux entreprises espagnoles de substituer à l'huile d'olive de l'huile pour les machines et de vendre ces produits dans les magasins. Des failles en matière d'exécution de la réglementation permettaient aux entreprises américaines de mettre des déchets contenant des BPC dans du mazout et de l'expédier au Canada. Nous avons des exemples de toutes sortes de l'emplacement de ces crimes. En général, le public n'est pas au courant de ces crimes, mais lorsqu'ils apparaissent au grand jour, il devient impératif de faire savoir que nous prenons la chose au sérieux et que tout ce qu'il est possible de faire le sera en vue de traduire en justice ceux qui en sont responsables.
Le président: Merci, Docteur McCormick.
Monsieur Cadman.
M. Chuck Cadman: Sur un autre point, Docteur McCormick, je crois que vous avez déclaré qu'il y a beaucoup plus de gens qui se tuent au travail que de gens qui se font tuer par quelqu'un d'autre. Je me demande sur quoi vous avez fondé votre déclaration. Tout d'abord, parmi ceux qui se tuent au travail, avez-vous une idée du nombre de décès qui pourraient être évités si nous adoptions une législation comme celle qui est recommandée?
Dr Christopher McCormick: La question est simple, mais la réponse est compliquée. Je crois qu'on se trouve actuellement en marge de la criminalité des entreprises dans le sens qu'il a fallu beaucoup de temps à la criminologie pour seulement identifier les crimes de pouvoir des entreprises. La recherche montre qu'au Canada, dans les années 80, les gens risquaient 28 fois plus de souffrir de blessures en milieu de travail qu'ailleurs, et presque 4 fois plus d'y mourir qu'ailleurs. On obtient toujours les mêmes résultats aujourd'hui. De mémoire, j'ignore s'il est possible d'obtenir des estimations fiables du nombre d'accidents dus à la négligence de la part de l'entreprise et encore moins du nombre d'accidents qui auraient pu être évités. Bien qu'il s'agisse là, à plusieurs égards, d'un nouveau domaine de recherche, il souligne en réalité le fait que le crime d'entreprise est invisible pour notre société. Nous avons l'habitude d'utiliser des termes comme «blessures au travail» et «accident du travail». Nous qualifions l'affaire Westray de tragédie. Bien sûr que c'en est une. Nous avons tendance à utiliser ces euphémismes, ce qui mène entre autres à camoufler le problème. En quelques mots, non, je ne peux pas répondre à votre question.
Á (1150)
M. Chuck Cadman: En réalité, combien y a-t-il eu de morts suite à des accidents de travail, l'année dernière?
Dr Christopher McCormick: Je crois, selon les dernières estimations que j'ai consultées, qu'il y en a eu entre 700 et 800. Mais nous ne pouvons pas les qualifier toutes d'intentionnelles ou dire qu'elles sont toutes dues à la négligence.
M. Chuck Cadman: Je me posais simplement la question suite à votre commentaire voulant que plus de gens sont morts au travail que tués par d'autres. Par exemple, j'examinais hier des statistiques sur la conduite en état d'ébriété et découvrais que la moyenne annuelle d'accidents au volant dus à l'éthylisme s'établissait à 1 700 accidents par année. Je répète que je ne veux pas minimiser la chose, mais je veux seulement m'assurer que nous comprenons bien les chiffres.
Dr Christopher McCormick: Je crois que cette question est très importante. La façon de la traiter est de trouver ce qui doit compter lorsqu'il s'agit de compiler des statistiques sur le crime. La mort relève-t-elle de l'homicide lorsque le conducteur est en état d'ébriété? La mort relève-t-elle de l'homicide lorsque les normes de sécurité n'ont pas été respectées, ou s'agit-il d'un accident? Nous pouvons relever ces exemples, mais je crois qu'ils ne font que prouver qu'il y a des faux fuyants politiques sur la façon de compiler des statistiques sur la mort dans notre société. Des faux fuyants politiques dans la façon dont nous comptabilisons les risques de mort. Certaines morts ne sont pas qualifiées d'homicides à cause de l'endroit où elles surviennent, et je pense que cela est criminel.
Le président: Monsieur DelBigio.
M. Greg DelBigio: Si je peux me permettre une remarque à cet égard, il est très important de tenir compte du taux d'accidents de travail et du taux de mortalité au travail. Il ne fait pas de doute que les risques encourus au travail ne sont pas les mêmes que ceux encourus en marchant dans la rue, tout simplement à cause de la nature de certaines tâches effectuées au travail.
En ce qui concerne la phrase de M. McCormick à l'effet que le «crime d'entreprise est invisible pour notre société», s'il y a incidence d'accidents ou de décès en milieu de travail—ce qui est alarmant—on ne peut conclure nécessairement de cet énoncé qu'il y a crime d'entreprise et que, par conséquent, il est invisible, ou invisible jusqu'ici. Il pourrait montrer qu'il y a des motifs d'inquiétude. Il pourrait montrer qu'il y a motif d'examen approfondi ou de normes plus sévères de sécurité. Mais on ne peut pas en conclure, pour les besoins de la cause, qu'il y a crime invisible d'entreprise et qu'il faut s'en préoccuper en remaniant le droit pénal.
Le président: Monsieur McKay.
M. John McKay: Lorsque les professeurs Boisvert et Puri ont comparu, je leur ai posé une question sur les trois choix que nous avons réellement : suivre le modèle de la culture d'entreprise; mettre en place une infraction précise; ou se préoccuper des lignes directrices sur les sentences et de l'amélioration des observations du rapport sur les sentences, ou de choses de ce type, de manière à ce que les juges deviennent plus créatifs. Le professeur Boisvert s'est opposé—je crois ne pas faire erreur—à la mise en place d'un crime précis. Par ailleurs, Monsieur DelBigio, vous semblez croire que la mise en place de ce crime précis, plutôt que le remaniement de la loi sur la responsabilité corporative—c'est-à-dire, le modèle australien—conviendrait mieux.
Avez-vous réfléchi au contenu plus étriqué de ce que vous prévoyez lorsque vous parlez de «mettre en place un crime précis»? Deuxièmement, avez-vous réfléchi à ce qu'a dit le professeur sur les lignes directrices et sur les problèmes des sentences? Jusqu'ici, je ne pense que vous ayez fait de commentaires sur les sentences. Je crois qu'il s'agissait de l'exemple où une entreprise est trouvée coupable d'une infraction qui la force à publier des aveux dans le journal «The Globe and Mail» ou quelque autre quotidien national, ou quelque chose de ce style. Je souhaiterais que vous me disiez ce que vous en pensez.
Á (1155)
M. Greg DelBigio: L'ABC n'a pas encore émis de modèle et n'a pas non plus eu l'occasion d'examiner précisément lequel des modèles recommander : la culture d'entreprise; le crime précis; ou les lignes directrices sur les sentences. Je considère que ce sont là des éléments à considérer. À mon avis, le plus simple serait probablement de mettre en place un crime précis ou d'établir des lignes directrices en matière de sentence plutôt que de vouloir adopter la culture d'entreprise comme fondement de la responsabilité criminelle. Et, lorsque je dis «le plus simple», j'entends qu'il faudrait que la législation pénale actuelle soit modifiée de façon moins fondamentale. L'insertion d'une infraction constitue une tâche relativement plus ordinaire, entreprise souvent; ou la définition des lignes directrices en matière de sentence, entreprise de façon occasionnelle. Je crois avoir déjà dit que cela comporterait moins de risques que le fait de remanier le droit pénal.
M. John McKay: Savez-vous si l'Australie possède une charte semblable à la nôtre?
M. Greg DelBigio: Je ne le crois pas.
M. John McKay: C'est donc un pays sous le régime de la common law classique?
M. Greg DelBigio: Oui, et selon ce que j'en sais, grâce au document de travail préparé par le ministère de la Justice, la loi n'a pas encore été éprouvée en cour.
Le président: Monsieur Macklin.
M. Paul Harold Macklin: J'aimerais bien adopter une tangente légèrement différente. En examinant la question de la responsabilité des administrateurs, de l'emplacement de l'entreprise et de la mondialisation, je me demande si vous avez réfléchi à la question de prendre en compte, d'une certaine façon, la relation de partenariat commercial en termes de responsabilité criminelle de l'entreprise. C'est-à-dire, notre partenaire commercial le plus important étant les États-Unis, pensez-vous qu'au plan juridique une uniformité se justifierait dans ce domaine, plutôt que de choisir un lieu pour les sièges sociaux des entreprises, etc.
M. Greg DelBigio: Une précision, lorsque vous parlez d'uniformité, voulez-vous dire de rédiger les lois canadiennes sur le modèle américain?
M. Paul Harold Macklin: En ce qui concerne la responsabilité pénale des entreprises, oui.
M. Greg DelBigio: C'est un problème compliqué. La question de s'implanter où le droit pénal est le moins sévère n'a pas encore fait l'objet d'un examen de notre part. C'est là quelque chose que nous pourrions peut-être faire s'il est important ou nécessaire de le faire.
M. Paul Harold Macklin: Docteur McCormick.
Dr Christopher McCormick: C'est une bonne question. J'ai également commencé à examiner la documentation pour savoir comment ce type de loi a été élaboré dans d'autres pays—en Australie, en Grande-Bretagne, aux É.-U. et en Allemagne aussi je crois—je ne suis donc pas très compétent pour en parler.
D'une certaine façon, le choix d'implantation en fonction de la sévérité du droit existe déjà. Dans certains cas, les entreprises déploient tous les efforts pour s'assurer d'être poursuivies dans un pays plutôt qu'un autre parce que les conséquences y sont moins graves. Vous avez donc raison, à l'ère de la mondialisation, c'est une réalité très importante dont il faut tenir compte.
M. Paul Harold Macklin: Vous ne voulez pas vous faire prendre au jeu de trouver le plus petit dénominateur commun, mais je crois qu'on souhaiterait atteindre, à travers un objectif de politique, un certain équilibre.
M. Greg DelBigio: Si je peux me permettre de faire une dernière remarque, c'est une question compliquée parce qu'il y a deux types de droit aux États-Unis, droit fédéral et droit des États, bien sûr. En ce qui concerne les marchés internationaux, on devrait examiner un grand nombre de pays et leurs lois, mais je ne pense pas qu'il y ait d'uniformité entre les pays.
Il faut également examiner le contexte constitutionnel de chaque pays. Il est très clair que dans d'autres questions pénales examinées par la Cour suprême du Canada nous ne devons pas adopter le droit américain parce qu'il est tout simplement là. Le contexte canadien fait en sorte qu'il faut tenir compte de facteurs différents et distincts qui auront pour résultat de produire une législation différente de celle des États-Unis.
 (1200)
Le président: Merci, monsieur Macklin.
Je voudrais poser une dernière question à M. DelBigio. Dans le rapport du commissaire d'enquête, le juge Richard a clairement adopté la position qui veut que le Parlement du Canada adopte une législation pour pallier aux insuffisances actuelles du Code criminel concernant le cas en l'espèce. Nous avons mentionné trois choix pour remédier à cette carence. Je crois comprendre que l'Association du Barreau canadien ne tient pas à appuyer ces choix, mais accorderait-elle cependant son appui, que la législation actuelle soit ou non adéquate?
M. Greg DelBigio: Nous n'avons pas tranché cette question. Si l'on nous demandait de le faire, je vous répondrais que nous l'examinerons.
Lorsqu'on examine la question de savoir si elle est adéquate ou non, il est important d'y réfléchir en termes de clarté. La législation actuelle offre-t-elle la clarté et la certitude souhaitable dans toute législation de manière à ce que les gens qui veulent respecter la loi puissent s'y référer et s'assurer qu'ils la respectent? Actuellement, je préfère ne pas répondre à la question de savoir si la législation le fait ou non.
Le président: Je voudrais remercier les témoins et les membres de ce comité. La complexité de la question est de plus en plus évidente et nos témoins nous ont beaucoup aidés à y réfléchir.
La séance est levée.