JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent de la justice et des droits de la personne
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mercredi 22 mai 2002
¹ | 1540 |
Mme Susan Dodd (témoignage à titre personnel) |
¹ | 1545 |
¹ | 1550 |
Le président |
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne) |
¹ | 1555 |
Mme Susan Dodd |
Le président |
M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD) |
º | 1600 |
Mme Susan Dodd |
M. Bill Blaikie |
º | 1605 |
Le président |
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC) |
º | 1610 |
Mme Susan Dodd |
M. Peter MacKay |
º | 1615 |
Mme Susan Dodd |
M. Peter MacKay |
Mme Susan Dodd |
Le président |
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.) |
Mme Susan Dodd |
M. Derek Lee |
º | 1620 |
Mme Susan Dodd |
M. Derek Lee |
Mme Susan Dodd |
M. Derek Lee |
Mme Susan Dodd |
M. Derek Lee |
Mme Susan Dodd |
M. Derek Lee |
Mme Susan Dodd |
M. Derek Lee |
º | 1625 |
Mme Susan Dodd |
Le président |
M. Kevin Sorenson |
Mme Susan Dodd |
M. Kevin Sorenson |
Mme Susan Dodd |
º | 1630 |
Le président |
M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.) |
Mme Susan Dodd |
M. Paul Harold Macklin |
Mme Susan Dodd |
º | 1635 |
Le président |
M. Bill Blaikie |
º | 1640 |
Le président |
Mme Susan Dodd |
Le président |
º | 1645 |
Le président |
Mme Susan Dodd |
Le président |
M. Peter MacKay |
º | 1650 |
Mme Susan Dodd |
Le président |
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.) |
º | 1655 |
Mme Susan Dodd |
M. John Maloney |
Mme Susan Dodd |
M. John Maloney |
Mme Susan Dodd |
M. John Maloney |
Mme Susan Dodd |
M. John Maloney |
Mme Susan Dodd |
Le président |
M. Peter MacKay |
» | 1700 |
Mme Susan Dodd |
M. Peter MacKay |
Mme Susan Dodd |
Le président |
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.) |
Mme Susan Dodd |
M. John McKay |
Mme Susan Dodd |
» | 1705 |
M. John McKay |
Le président |
M. Paul Harold Macklin |
Mme Susan Dodd |
» | 1710 |
M. Paul Harold Macklin |
Mme Susan Dodd |
M. Paul Harold Macklin |
Mme Susan Dodd |
M. Paul Harold Macklin |
Mme Susan Dodd |
M. Paul Harold Macklin |
Mme Susan Dodd |
Le président |
M. Peter MacKay |
» | 1715 |
Mme Susan Dodd |
Le président |
M. Bill Blaikie |
Le président |
M. Bill Blaikie |
Le président |
» | 1720 |
Mme Susan Dodd |
Le président |
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne) |
Mme Susan Dodd |
M. Chuck Cadman |
Mme Susan Dodd |
Le président |
» | 1725 |
M. John Maloney |
Le président |
M. John Maloney |
Le président |
M. Kevin Sorenson |
Le président |
CANADA
Comité permanent de la justice et des droits de la personne |
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l |
|
l |
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TÉMOIGNAGES
Le mercredi 22 mai 2002
[Enregistrement électronique]
¹ (1540)
[Traduction]
Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Bonjour. Je déclare ouverte la 89e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Conformément à l'ordre de renvoi du 19 février 2002, nous étudions la teneur du projet de loi C-284, loi modifiant le Code criminel (infractions commises par des personnes morales, administrateurs et dirigeants). Pour nous aider dans nos délibérations, nous accueillons Susan Dodd, de la University of King's College, de la Nouvelle-Écosse.
Soyez la bienvenue. J'espère qu'on vous a déjà indiqué que vous disposez d'une dizaine de minutes pour présenter vos remarques liminaires. Il y aura ensuite une période de questions.
Vous avez la parole.
Mme Susan Dodd (témoignage à titre personnel): J'aimerais d'abord remercier le comité de m'avoir invitée à témoigner. J'ai jeté un coup d'oeil aux procès-verbaux de vos plus récentes réunions, et je sais que vous avez déjà reçu beaucoup d'information de nature juridique et, dans une certaine mesure, sur la volonté politique de criminaliser les méfaits des personnes morales. J'estime que je contribue plutôt à cette dernière partie du débat; je n'ai pas vraiment d'option juridique à vous proposer.
Il y a quelques semaines, au service commémoratif qui s'est tenu à Plymouth pour marquer le dixième anniversaire de la mort des mineurs dans la mine Westray, deux parents de victimes sont venus me voir pour me dire qu'ils avaient pensé à moi le 15 février. Le 15 février dernier marquait le vingtième anniversaire du naufrage de la plate-forme de forage Ocean Ranger au large de Terre-Neuve et de la mort des 84 hommes qui s'y trouvaient, dont mon frère aîné, Jim. Certains des parents des victimes de Westray me connaissent parce que j'ai interviewé 27 d'entre eux dans le cadre de mes études doctorales sur les répercussions des tragédies industrielles. Le cas particulier que j'ai étudié, c'est celui de Westray.
Mon intérêt pour les répercussions des accidents industriels s'est précisé il y a une dizaine d'années après le décès de mon propre frère. J'ai demandé à mes parents s'ils pouvaient m'expliquer les négociations juridiques qui avaient mené à l'entente financière à l'amiable qu'ils avaient signée avec Mobil Oil Canada et Ocean Drilling and Exploration Company. Mes parents n'ont pu m'expliquer de façon cohérente leurs pourparlers avec ces entreprises. Dans les 12 mois qui ont suivi la mort de mon frère, cette entente à l'amiable est intervenue. C'est alors que j'ai commencé à réfléchir à tout cela. Il ne me semblait pas possible que 84 hommes meurent inutilement et que ce soit les familles endeuillées qui doivent assumer le fardeau d'exiger des comptes des coupables. Or, c'est tout à fait possible, parce que c'est précisément ce qui s'est passé il y a 20 ans lorsque Odeco et Mobil Oil ont choisi de ne pas fournir de l'équipement de sécurité même rudimentaire, de ne pas donner à leurs travailleurs la formation de base en matière de contrôle du ballast, qui permet d'assurer la stabilité de la plate-forme, et de ne pas dresser de plan d'évacuation selon les normes de l'industrie pour leur personnel, entre autres choses.
C'est aussi ce qui s'est produit il y a 10 ans lorsque la société Curragh Resources, qui avait reçu d'importantes subventions, a intimidé ses travailleurs par l'entremise de ses gestionnaires, a harcelé les inspecteurs complaisants pour ensuite faire faillite et disparaître avec des millions de dollars de deniers publics. Et ce genre de choses se reproduiront, à mon avis, si le gouvernement n'indique pas clairement que les lieux de travail dangereux nuisent au Canada comme État et qu'il n'intente pas des poursuites aux termes du Code criminel. À mon sens, c'est tout simplement mal de charger les familles endeuillées et leurs alliés dans les médias et les syndicats d'obtenir des comptes des entreprises coupables de méfaits.
Quand j'étais adolescente, j'ai lu le rapport de notre commission royale d'enquête, et je suis restée perplexe. À mes yeux, ce rapport montrait clairement que les sociétés étaient responsables de la mort de mon frère. Pourtant, Mobil Oil reste un des principaux partenaires du gouvernement fédéral dans l'exploitation des ressources au large de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse. Cela s'est traduit en partie dans mes travaux de doctorat. Dans le cadre de mon étude doctorale, j'ai tenté de comprendre ce que font les commissions d'enquête. J'ai aussi interviewé des parents des victimes de Westray pour mieux comprendre ce qu'avaient été les conséquences de l'enquête du juge Richard pour eux. Ces travaux n'ont pas dissipé mon grand scepticisme à l'égard des commissions d'enquête et de leur travail socio-juridique.
Je sais que d'autres sont aussi sceptiques que moi, et cela fait partie du problème de légitimité dont l'affaire Westray est le parfait exemple. Il incombe donc à votre comité et, ensuite, au gouvernement, de prouver que ces commissions d'enquête peuvent exercer une influence sur les politiques et faire davantage que neutraliser la culpabilité, la colère et, surtout, le pouvoir politique des familles endeuillées.
D'après le procès-verbal de la séance pendant laquelle vous avez accueilli le ministre, il semble que celui-ci n'ait pas su répondre à la question de M. MacKay sur la criminalisation des méfaits des personnes morales, et ce, le jour même du dixième anniversaire de la tragédie de Westray. Cela semblerait indiquer que votre comité jouera le même rôle au niveau fédéral que le juge Richard au niveau provincial. En dépit de toutes vos meilleures intentions, vous servirez à remettre à plus tard l'adoption de véritables solutions, à pacifier ceux qui réclament justice jusqu'à ce qu'ils soient si perturbés et épuisés psychologiquement qu'ils craquent ou abandonnent. Ou, au contraire, vous pourriez saisir cette occasion pour conseiller le législateur sur la meilleure façon d'utiliser la loi pour responsabiliser de façon créative les personnes morales comme culture organisationnelle et ensemble de personnes physiques. Si cela se produit, je serai heureuse de revenir sur mes travaux.
Quand les gens tentent de comprendre ce que ressentent les proches des victimes, ils ont tendance à s'attarder surtout à la tristesse qui accompagne la perte d'un être cher. Il importe que votre comité reconnaisse que la principale source de souffrance pour les parents des victimes n'est pas nécessairement la perte d'un être cher comme telle--comme l'ont fait remarquer des analystes politiques très perspicaces dans les cafés du pays, qui n'a pas perdu un être cher? Ceux dont un parent a été tué inutilement au travail souffrent de ce que justice ne soit pas rendue en plus de vivre leur deuil.
J'ai aussi remarqué que bon nombre d'entre vous ont félicité Allen Martin du courage dont il avait fait preuve quand il est venu témoigner devant vous. En réponse à une question, M. Martin a dit que s'il avait tiré sur un des gestionnaires ou administrateurs de Westray, on l'aurait emprisonné. Cette analogie me rappelle la lourdeur du fardeau que certains parents des victimes ont ressentie quand il leur a fallu tout faire eux-mêmes. Même en 1997, cinq ans après l'explosion et les décès, lorsque j'ai interviewé des parents des victimes, la possibilité que certains décident de se faire justice eux-mêmes sommairement était encore très présente. Les personnes à qui j'ai parlé alors m'ont dit que cette tension, cette possibilité de violence, était très dégradante pour eux. L'échec du système de justice a constitué un grand fardeau pour eux et je crois que le Westray Families Group a beaucoup contribué à prévenir des actes de violence et à aider les parents des victimes à canaliser leur énergie dans la poursuite d'objectifs législatifs.
La principale conséquence positive de l'enquête qu'a menée le juge Richard a été de réduire cette possibilité de violence, peut-être même de la dissiper, et ce, à mon avis, en mettant fin à une tradition qui prévalait depuis longtemps dans les enquêtes sur les accidents miniers en Nouvelle-Écosse, tradition qui voulait que l'on blâme les mineurs pour leur propre mort. J'ai remarqué que la possibilité que l'on blâme les mineurs n'est toujours pas entièrement exclue; elle provient notamment d'une tradition de longue date dans les enquêtes sur les accidents miniers en Nouvelle-Écosse. Les parents des victimes que j'ai interviewés en 1997 étaient nombreux à croire que l'on blâmerait les mineurs, et cela les tourmentait.
J'ai mené une deuxième série d'entrevues avec les parents des victimes après la publication du rapport du juge Richard. Bon nombre des parents des victimes s'étaient retirés de la vie publique. Grâce au rapport d'enquête, la réputation des victimes était sauve et bon nombre de leurs proches étaient d'avis que le temps était venu pour eux de vivre leur deuil en privé et de tourner la page.
La tragédie de Westray a aussi eu pour effet de miner la crédibilité de ceux qui ont reçu des prestations d'accidentés du travail. Barbara Davidson a présenté un témoignage très éloquent sur l'aliénation que ressentent ceux qui voient la perte d'un être cher se traduire en argent. On appelle souvent l'argent du sang les paiements d'assurance et les dommages-intérêts accordés en matière de responsabilité civile délictuelle. Même si ces versements d'argent s'accompagnent d'une grande stigmatisation, ils sont souvent aussi considérés comme un point tournant dans ce que nous considérons comme l'émergence de la civilisation de l'ère pré-homérique. Lorsqu'on décrit l'histoire du système judiciaire de la culture occidentale, on souligne ce moment important où le cycle de violence s'est arrêté lorsque la partie lésée a accepté d'être payée plutôt que de poursuivre les hostilités.
Cela soulève des questions de droit pénal, surtout celle de savoir à quel moment une collectivité estime qu'un méfait constitue un crime non pas seulement contre une personne en particulier mais contre toute la collectivité. Les préjudices que subissent des personnes physiques deviennent des crimes comme tels lorsqu'ils sont considérés comme remettant en question la sécurité de toute la collectivité et qu'ils s'accompagnent d'un minimum de violence apparente. À mon sens, le temps est venu pour le Canada de reconnaître que la création et la perpétuation de lieux de travail dangereux sont préjudiciables pour nous tous. Il est donc crucial de prévoir des sanctions pénales pour les personnes morales.
¹ (1545)
Il nous faut reconnaître que la culture organisationnelle est faite et refaite par des gens chaque jour, et que les décès comme ceux qui se sont produits dans la mine Westray ne sont pas le résultat inévitable de l'inaction. Il ne s'agit pas de négligence, mais des conséquences d'actes qui ont été posés, de choix qui ont été faits dans la recherche des profits dans des milieux de travail qui sont, de nos jours, de plus en plus déréglementés. Souvent, les auteurs de ces choix se cachent derrière la hiérarchie de l'entreprise; cette hiérarchie est une culture dans le cadre de laquelle les décideurs établissent les priorités de l'organisation. Si le gouvernement veut convaincre les Canadiens que la justice existe au Canada, il devra compter sur les nombreuses études qui ont été faites en matière de criminalité des sociétés et trouver des façons de jeter la lumière sur le contenu des hiérarchies organisationnelles ou de compenser cette absence de transparence en trouvant des façons de discipliner les entreprises comme si elles étaient des agents en soi.
En reconnaissant que les entreprises ont une culture organisationnelle, on met en lumière les pratiques de longue date d'entreprises telles que Curragh Resources, des pratiques de longue date telles que les violations de règlemens, le fait de faire fi de la culture de sécurité dans les mines et du gros bon sens, qui sont tout aussi graves que les actes de stupidité et de brutalité. Un gestionnaire comme Roger Parry qui intimide, humilie et harcèle les employés pour les forcer à enfreindre tous les règlements est un agent du conseil d'administration. Le conseil d'administration devrait être tenu responsable du choix qu'il a fait de tout sacrifier sur l'autel des profits. Il est essentiel que notre Code criminel reconnaisse que certaines cultures organisationnelles sont criminogènes, qu'elles tendent à produire, ou à tout le moins, à encourager, des violations de la loi.
J'ai jeté un rapide coup d'oeil au mémoire du Syndicat des métallurgistes qui m'est apparu excellent. Il suggère des façons de discipliner les personnes morales: la peine capitale pour les personnes morales, autrement dit le démantèlement de l'organisation et la saisie de ses actifs; la probation pour les personnes morales, soit un examen approfondi des agissements du conseil d'administration jusqu'à ce qu'il prouve qu'il s'est réformé; l'imposition de services communautaires, y compris l'obligation pour l'entreprise fautive d'investir une part de ses profits dans la recherche et le développement en matière de sécurité au travail et de protection de l'environnement. Beaucoup d'études ont été faites sur ce sujet.
Le Code criminel est notre meilleur outil contre les comportements antisociaux. Quand la réglementation échoue, l'assurance sans faute et les dommages-intérêts pour responsabilité délictuelle peuvent remplacer une partie du revenu que les familles ont perdu, les commissions d'enquête peuvent faire la lumière sur les lacunes des politiques et répondre à certains des besoins culturels de ceux qui veulent expliquer pourquoi ils ont agi comme ils l'ont fait, mais seules des poursuites au criminel peuvent traduire l'attitude du Canada devant la course au profit qui est devenue fatale.
La responsabilité fondamentale de notre gouvernement est de nous protéger contre les prédateurs opportunistes comme Clifford Frame. Pour l'instant, les Néo-Écossais et les Canadiens en général ont très peu de raisons de croire que le gouvernement assume cette responsabilité fondamentale. Tant que les lieux de travail sûrs seront moins rentables que les lieux de travail dangereux et tant que les administrateurs et les dirigeants sauront qu'ils ne seront pas tenus criminellement responsables de la sécurité de leurs employés, les travailleurs continueront de mourir. Tant que des travailleurs continueront de mourir inutilement dans l'exercice de leurs fonctions et que les administrateurs et les dirigeants ne seront pas tenus responsables au criminel de leurs rôles dans la création et la perpétuation de lieux de travail dangereux, les proches des victimes continueront de se perdre dans le labyrinthe de la futilité juridique dans leur quête de justice.
Merci.
¹ (1550)
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Sorenson, vous avez la parole pour sept minutes.
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président, et merci à vous, madame Dodd, de votre témoignage. Je suis désolé de n'avoir pas entendu le début de votre allocution.
Je n'ai pas beaucoup de questions à vous poser. Je dirai toutefois que lorsque nous avons commencé ces audiences découlant de l'affaire Westray, j'en connaissais très peu sur la mine Westray. Je savais bien sûr qu'il y avait eu là un terrible accident qui avait entraîné de nombreuses pertes de vie. J'ai écouté les témoignages et j'ai été frappé par certaines des questions juridiques qui ont été soulevées par M. MacKay et M. Toews et tous ceux qui comprennent le droit, par les députés d'en face aussi, dont M. Macklin, qui s'inquiètent de la possibilité que nous n'ayons pas tous les éléments en main. Je suis un député à son premier mandat et, quand ces audiences ont commencé, je croyais qu'il s'agirait d'attaques répétées contre les entreprises dont on donnerait comme preuve la tragédie de Westray. Ce drame sans nom s'est produit; il est le fruit d'une négligence grave, peut-être l'un des pires exemples de l'histoire. Je suis certain qu'il y a bien d'autres cas où l'entreprise néglige d'assurer la sécurité de ses travailleurs et ceux que cela touche doivent faire en sorte que les sociétés assument leur responsabilité.
Une des questions juridiques qui a été soulevée—je ne sais plus quel juriste parmi les membres du comité l'a soulevée—est celle concernant la mens rea, l'intention coupable. Les personnes en cause avaient-elles véritablement l'intention de commettre cet acte? Il faut trouver le juste équilibre. Qu'il y ait eu ou non intention coupable, cela ne change pas la responsabilité à l'égard de la sécurité en milieu de travail. À votre avis, qu'est-ce qui serait suffisant et jusqu'où devrait-on aller dans la hiérarchie? Vous avez parlé des administrateurs. Des témoins nous ont dit que des travailleurs ont utilisé dans la mine des machines dont ils savaient pertinemment que le détecteur à méthane était désactivé. Doit-on tenir ces travailleurs responsables? Les administrateurs doivent assumer une certaine part de responsabilité, tout comme les gestionnaires. Mais cela ne règle pas mon problème. Jusqu'où devrait-on aller dans la hiérarchie pour attribuer la responsabilité dans le cas d'actes comme ceux qui se sont produits à Westray? Quelle peine serait indiquée? Vous en avez peut-être parlé en mon absence. Préconisez-vous une peine d'emprisonnement ou une peine autre que celle déjà prévue au Code criminel ou dans les poursuites civiles, ou une période de probation?
¹ (1555)
Mme Susan Dodd: Je tiens d'abord à préciser que je n'ai pas de formation en droit. J'ai lu beaucoup de documents juridiques, cela m'intéresse beaucoup, mais vous accueillerez demain tout un groupe de témoins de Osgoode Hall qui seront mieux en mesure que moi de traiter de ces questions qui semblent accaparer une bonne part du temps du comité, surtout pour ce qui est de la possibilité que ce projet de loi soit considéré non conforme à la Charte. Je ne veux pas entrer dans ces sujets. D'autres sont mieux en mesure que moi de le faire.
Moi, je voulais souligner le manque de légitimité, le fait que les gens estiment que les administrateurs et les agents des grandes sociétés ne sont pas tenus responsables pour les événements qu'ils auraient dû, raisonnablement, prévenir. Il faut trouver une façon de prévoir au Code criminel que les personnes morales représentent des entités de deux façons: ce sont des ensembles de personnes physiques qui devraient avoir le droit à la protection mais qui doivent aussi être tenues responsables. À mon sens, les dispositions existantes sur l'homicide involontaire coupable, par exemple, sont utiles dans une certaine mesure, mais une personne morale est aussi un monde moral, un milieu culturel où il y a une structure hiérarchique, des procédures et des normes imposées par les dirigeants. Il faut trouver une façon de criminaliser le fait de n'avoir pas eu l'intention suffisante de ne pas créer un lieu de travail dangereux, si je peux employer la double négation. Voyez-vous ce que je veux dire? Cela vous semble-t-il logique?
Donc, d'une part, nous voulons reconnaître que chacun est responsable de ses actes et qu'il jouit du droit d'être protégé, le fondement de notre système judiciaire, mais, d'autre part, les théoristes de l'organisation veulent que nous reconnaissions que le comportement peut être déterminé très fortement par le milieu culturel, et que ces milieux culturels ne sont pas tous égaux. Il nous faut trouver une façon de tenir responsables ceux qui créent des milieux culturels où les travailleurs risquent leur vie.
Le président: Merci beaucoup, madame Dodd et monsieur Sorenson.
Monsieur Blaikie, vous avez sept minutes.
M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Merci, monsieur le président.
Je vais me lancer dans ce qui est davantage une conversation qu'un interrogatoire, il me semble. En effet, nous parlons de ce qui se faisait généralement dans les enquêtes qui ont précédé l'enquête Westray, c'est-à-dire attribuer le blâme aux mineurs. Or, on ne comprenait pas suffisamment les rapports de force qui existent au sein d'une entreprise. Les travailleurs, surtout dans les entreprises non syndiquées, comme c'était le cas à la Westray, ne sont pas en mesure de refuser un travail dangereux sans risquer la subsistance de leur famille, et ainsi de suite. Lorsqu'on essaie de faire porter le blâme à la victime ou de repousser la responsabilité dans la hiérarchie jusqu'aux travailleurs eux-mêmes, on fait preuve d'une certaine ignorance du type de rapports de force que l'on retrouve dans une exploitation minière ou tout autre milieu de travail. J'aimerais entendre votre point de vue là-dessus, et puis j'aurai une autre question.
º (1600)
Mme Susan Dodd: Pour revenir à l'idée de l'évaluation du risque, nous nous sommes retrouvés, en Nouvelle-Écosse, avec un régime réglementaire factice, en quelque sorte. Le public avait l'impression que des règlements étaient en place pour protéger les employés en milieu de travail, alors qu'il n'y avait plus la volonté politique pour appliquer ces règlements. Les gens sont portés à croire qu'il y a un régime réglementaire efficace qui permet de contrôler les conditions de travail et de veiller à l'application des normes, et c'est ce sentiment qui a engendré une sorte de problème de communication pour les mineurs, de sorte que leur expérience dans la mine ne pouvait être bien comprise par les gens de l'extérieur, même lorsqu'ils utilisaient les moyens légitimes à leur disposition. Ainsi, la situation a eu notamment pour effet de rejeter sur les travailleurs la responsabilité de calculer le risque, plutôt que d'avoir une évaluation institutionnelle.
Les mineurs étaient assurément partie à une philosophie d'entreprise favorisant un lieu de travail dangereux, c'est évident. Dans quelle mesure cela découle de... Ce que j'aimerais, c'est que l'on criminalise la création d'un milieu de travail horrible et dur qui oblige les travailleurs à enfreindre des règlements à tous les jours. Les familles des victimes de l'accident Westray et le public en général demandent que le gouvernement agisse.
M. Bill Blaikie: Je voulais vous dire que je suis désolé d'apprendre que votre frère a perdu la vie dans la tragédie de la plate-forme Ocean Ranger. Quand cela s'est produit, j'étais en voyage parlementaire en Europe en compagnie de John Crosbie, de Terre-Neuve, et je me souviens que toute la délégation était préoccupée par les événements qui se produisaient, mais surtout le député de Terre-Neuve, manifestement.
Il me semble, monsieur le président, qu'il faut faire quelque chose que nous avons déjà fait auparavant, c'est-à-dire criminaliser un acte, changer notre définition de l'intention coupable. C'est ce que nous avons fait pour la conduite en état d'ébriété. Il fut un temps où, lorsqu'un conducteur causait la mort d'une personne alors qu'il avait les facultés affaiblies, il n'écopait que d'une amende; on jugeait qu'il n'avait pas l'intention de tuer, qu'il n'avait donc pas d'intention criminelle, et on a changé cela. Nous avons jugé que, lorsqu'une personne engendre les circonstances où cela devient possible, en d'autres mots, lorsqu'une personne boit et que son alcoolémie dépasse 0,08, il y a mens rea, ou intention coupable. Il me semble que nous avons besoin d'une évolution semblable, dans ce cas-ci, et je parle en connaissance de cause pour avoir vécu une pénible expérience. Je compatis avec le témoin. En effet, mon frère cadet a été tué par un conducteur en ébriété en 1979. Ce dernier a écopé d'une amende de 150 $. C'était bien avant que l'on ne modifie la loi, en 1985 ou 1986. Il y a donc un besoin d'agir. Nous avons fait beaucoup de chemin depuis 1979, alors que la vie de mon frère était évaluée à 150 $. Depuis 1985, on peut porter une accusation de meurtre et traduire l'inculpé en justice de façon beaucoup plus sévère.
Les enquêtes ne permettent de faire qu'une partie du deuil, car il n'y a pas de repentir de la part de la société qui permet que se produise un tel événement en refusant de se doter d'un Code criminel adéquat. Sans justice, peu importe le soulagement à court terme qu'offrent ces enquêtes, il finit par se dissiper et ceux qui sont en deuil doivent vivre leur vie entière sachant que rien n'a été fait, que non seulement les responsables s'en sont tirés, mais que ceux qui créent ces conditions à l'avenir continueront de jouir d'une impunité à moins que notre comité n'agisse.
º (1605)
Le président: Merci.
Monsieur MacKay, sept minutes.
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci, monsieur le président.
J'aimerais d'abord remercier Mme Dodd de sa présence. Comme vous l'avez constaté au fil de votre étude et à travers la tragédie qui s'est abattue sur votre famille, il s'agit là du type de sujet qui va droit au coeur des gens et les interpelle jusque dans leur foyer lorsqu'ils en saisissent la dimension humaine. Les familles des victimes du désastre de la Westray ont assisté aux diverses machinations qui se dont déroulées au tribunal, avant que les accusations ne soient portées, lorsque les accusations provinciales ont été retirées et les accusations au criminel rejetées, et je crois que vous avez bien raison lorsque vous dites que le sens de la justice chez ces gens a été gravement ébranlé.
J'habite le comté de Pictou, et j'y étais lorsque l'explosion s'est produite dans la mine. Je travaillais dans le bureau du procureur qui menait la poursuite. J'étais là la fin de semaine dernière et je me suis retrouvé devant le monument Westray. Je n'ai pu m'empêcher de croire qu'il s'agit d'un monument sans vie, un monument fait d'objets inertes, bien qu'il soit très beau. Le monument vivant que nous pourrions ériger consisterait à changer les lois de sorte que, dans la mesure du possible, nous évitions que ne se reproduise ce type de tragédie et que, s'il faut que cela se produise, que le régime veille à ce qu'il y ait un certain deuil, comme l'a dit M. Blaikie. Je crois que vous avez mis le doigt dessus lorsque vous dites--et j'espère que je vous cite correctement--qu'il est immoral d'imposer aux personnes en deuil le fardeau de poursuivre l'entreprise. Aujourd'hui, nous avons l'occasion d'agir. Vous avez raison, il incombe à notre comité de le faire.
En partie, le problème tient au fait qu'il est difficile d'exprimer dans un texte le problème auquel vous êtes confrontée. Comment tenir les entreprises responsables de ce qui s'avère être des omissions, dans bien des cas, certaines choses qu'il aurait dû leur incomber de faire et qu'elles ont choisi de ne pas faire? C'est le défi qui se posait à la Couronne dans son argumentation. Il y a un chapitre entier dans le rapport de Richard, sur les échecs de la Couronne, qui n'ont fait qu'aggraver la tragédie et le sentiment de perte. J'ai parlé au procureur en chef aujourd'hui même de cette affaire. En vertu de la loi actuelle, cette affaire aurait pu et aurait dû aller de l'avant. Il y a eu toutes sortes de vices de procédure, comme vous le savez, relativement à la divulgation; il y a eu un manque de discrétion de la part du juge, une complexité énorme qui a provoqué l'effondrement de la poursuite, mais en dernière analyse, je crois que la Couronne avait suffisamment de preuves pour poursuivre. En fait, la Cour suprême a partagé cet avis, en statuant sur le bien-fondé de l'affaire.
Croyez-vous qu'il nous faut ajouter certains mots qui engloberaient l'homicide involontaire par une personne morale, créant la notion de l'entreprise meurtrière? Nous nous efforçons parfois d'améliorer la loi en la rendant plus complexe, plus tortueuse, plutôt que d'ajouter tout simplement les mots qui changeraient la philosophie en place, et créeraient l'attitude nécessaire. La rédaction d'un nouvel article pénal, c'est bien une façon d'y arriver, mais peut-être devrions-nous étudier les articles qui traitent de négligence criminelle et d'homicide involontaire, et y inclure les mots qui engloberaient la responsabilité de la personne morale, la responsabilité de l'entreprise qui suit les maillons de la chaîne, le lien entre la prise de décisions et les actes. C'est ce fil ténu qui doit être présenté aux tribunaux. Il faut pouvoir faire la preuve d'un lien entre les actes et les omissions d'une part et la tragédie d'autre part.
Êtes-vous d'accord avec cette vue d'ensemble, à savoir que c'est cette approche que nous devrions envisager?
º (1610)
Mme Susan Dodd: Je n'en suis pas sûre, parce que nous avons encore, je crois, le sentiment qu'il faut tout simplement percer la philosophie d'entreprise et suivre les lignes individuelles, les voies hiérarchiques. Il me semble qu'il sera très difficile de tracer le lien des employés jusqu'aux administrateurs. Il doit y avoir un moyen de reconnaître que les entreprises représentent en fait une culture et que ceux qui gèrent cette culture sont responsables de veiller à ce que toutes les mesures raisonnables soient prises pour qu'un milieu de travail sain et sûr constitue une priorité. Il doit y avoir, il me semble, une combinaison des mécanismes existants permettant de tenir les individus responsables de leurs actions et des liens directs dont vous parlez. Il y a le niveau individuel, mais il faut aussi faire preuve de créativité pour trouver le moyen de reconnaître que les entreprises sont des personnes morales, des agents dont le comportement, en tant qu'entités, nécessite peut-être des modifications.
M. Peter MacKay: C'est de cette chaîne de la preuve dont je parle. Vous savez très bien qu'il faut prouver à la fois l'acte, l'actus reus, et la mens rea, soit l'intention criminelle. Une autre tragédie qui s'est produite dans notre région, à Antigonish, en Nouvelle-Écosse, en représente l'exemple parfait. Un jeune garçon a été tué alors qu'il travaillait dans un dépanneur. L'affaire s'est conclue la semaine dernière, je peux donc en parler aujourd'hui. Il travaillait seul, quelqu'un est entré dans le magasin et l'a tué à coups de poignard. L'affaire a été jugée et on a l'impression que justice a été faite et que l'affaire s'est conclue du point de vue pénal, et pourtant, on ne s'est pas encore attaqué à la responsabilité qui incombe à la personne morale de l'entreprise de créer un milieu de travail sécuritaire.
À défaut des efforts de sensibilisation dont vous avez parlé, de la prévention du danger en milieu de travail et de la création d'un milieu de travail sûr, nous parlons ici de créer une responsabilité a posteriori et une mesure dissuasive qui affirme, essentiellement, qu'il y a un prix à payer lorsque l'on ne se conforme pas à la loi, lorsque l'on omet de créer un tel milieu. Il faut pouvoir faire un lien entre l'entreprise et les résultats désastreux. Il faut qu'il y ait un lien direct entre les événements et ce que l'entreprise a omis de faire ou a sciemment ignoré. Quelquefois, cela dépend de la personne embauchée par l'entreprise pour gérer ses activités. La décision de faire passer la rentabilité avant tout doit aussi être prise en compte en dernière analyse.
En soutenant ces arguments, la Couronne doit néanmoins suivre ce fil conducteur. Même si on ajoutait dans le Code criminel des phrases qui laissent entendre l'existence possible d'une responsabilité de la personne morale, la Couronne doit néanmoins en faire la preuve au-delà d'un doute raisonnable. Mais je crois que cela aide à comprendre cette notion de culture. C'est une notion ésotérique, difficile à cerner concrètement, mais cela obligerait les entreprises à changer leur philosophie, à adopter un nouveau mode de pensée. Je crois que ces dispositions permettraient également à la Couronne de dire aux juges que les législateurs reconnaissent la possibilité d'une infraction criminelle. Toute mesure que nous prendrons ici aboutira devant les tribunaux, fera l'objet de contestations en vertu de la Charte, absolument tout.
º (1615)
Mme Susan Dodd: Je le répète, je ne peux me prononcer sur la nature précise des changements qui permettraient...
M. Peter MacKay: Je ne vous demande pas de me fournir le libellé précis. Croyez-vous qu'une telle modification au Code criminel aidera à créer la nouvelle attitude que vous souhaitez?
Mme Susan Dodd: Je l'espère. Il faudrait voir.
Le président: Monsieur Lee, vous avez sept minutes.
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Madame Dodd, au début de votre exposé, vous avez parlé d'un échec de l'appareil judiciaire. Bien sûr, vous avez perdu votre frère, qui est mort dans un accident industriel, mais êtes-vous d'accord pour dire que ce n'est pas le système judiciaire en entier qui a failli au lendemain du désastre de la Westray, que certains éléments de l'appareil judiciaire ont fonctionné? Pour vous situer, je pense aux éléments de responsabilité civile de notre système, aux éléments réglementaires quasi pénaux et, enfin et surtout, aux liens avec le Code criminel, s'il y en a.
Mme Susan Dodd: J'aurais aimé que vous posiez la question à M. Allen Martin. Je ne veux pas répondre pour lui.
Il y a sans doute une opinion généralisée à l'effet que le système de justice pénale, ou plus généralement, le système de justice, a échoué dans l'affaire Westray. À mon avis, le rôle du gouvernement est en partie de veiller à ce que cette perception ne persiste pas. Clifford Frame revient en Nouvelle-Écosse pour essayer d'ouvrir une autre mine.
M. Derek Lee: Le général qui avait sous son commandement les quatre soldats canadiens morts récemment en Afghanistan des suites d'un accident est toujours en poste. Ce sont des accidents, ce ne sont pas des gestes intentionnels. Je ne parle pas d'actes intentionnels qui provoquent des morts ou des blessures, je parle d'événements qui arrivent inopinément. La négligence entre peut-être en cause, mais ce ne sont pas des incidents voulus. Il y a peut-être négligence, mais pas d'intention. Et pour quiconque a été touché par le désastre de Westray, soit les parents des victimes ou les mineurs ayant survécu, la vie continue.
Je rejette l'idée qu'il y a eu échec total du système de justice dans l'affaire Westray. Reconnaissez-vous qu'il y a eu des règlements financiers en compensation des morts de la mine Westray? Y en a-t-il eu?
º (1620)
Mme Susan Dodd: Il y a eu les indemnités pour accident de travail.
Le terme «accident» me renverse. Il est très difficile de considérer l'explosion de la mine Westray et les morts ainsi provoquées comme des accidents, parce que ces personnes travaillaient dans la poussière de charbon jusqu'aux genous, certains jours. Quiconque s'y connaît en charbonnage sait que...
M. Derek Lee: Sauf votre respect, nous connaissons les faits. Je comprends que ce n'est pas un événement qui est arrivé de façon complètement inattendue, que certains facteurs y ont mené, la négligence, l'omission de faire certaines choses; certaines personnes ont omis de faire certaines choses, d'autres ont mal agi.
Pour en revenir au système de justice, il y a des éléments qui ont fonctionné. Dans le cas de la mort de votre frère, il y a eu des règlements financiers, il y a l'assurance qui a payé. Tout cela fait partie du système judiciaire, tel que je le conçois, et vous reconnaissez que ces mécanismes se sont déployés. Vous dites que c'est le système de justice pénale qui n'a pas fonctionné?
Mme Susan Dodd: C'est exact.
M. Derek Lee: D'accord. Et peut-être que d'autres volets du régime réglementaire n'ont pas fonctionné?
Mme Susan Dodd: Mais le fonctionnement de ces autres éléments de l'appareil judiciaire a peut-être soulagé les pressions qui s'exercent obtenir des comptes des personnes morales et des administrateurs d'entreprise par le moyen le plus ferme dont nous disposons, soit la responsabilité criminelle.
M. Derek Lee: Mais puisque les dirigeants ne savaient rien ou ne savaient pas grand-chose de la situation, je ne vois pas comment nous pouvons appliquer le droit pénal à eux, faire entrer en jeu le droit pénal par la porte d'en arrière dans un cas où un cadre n'a peut-être aucune idée de ce qui se passe au niveau des employés, je pense à un administrateur, par exemple.
Mme Susan Dodd: En fait, ce que vous dites est très utile, et dans le mémoire des métallos, il y a un point qui est très utile, c'est qu'ils auraient dû savoir. Dans ce cas, en effet, vous êtes directement responsable. L'explosion dans la mine Westray et les morts qu'elle a provoquées, et j'ajouterai à cela le naufrage du Ocean Ranger, n'ont pas résulté de simples omissions ayant engendré naturellement un accident. On a créé et créé à nouveau de façon active, sur une base quotidienne, un milieu de travail mortel, et il y avait un aspect actif...
M. Derek Lee: Vous dites que c'était intentionnel?
Mme Susan Dodd: Oui, je le crois, parce que, à la mine Westray, à l'arrivée des inspecteurs, on prétendait ramasser la poussière de charbon et se conformer aux normes minimales de santé et sécurité au travail. Oui, on a délibérément violé les exigences fondamentales en matière de sécurité au travail.
M. Derek Lee: Pour ce qui est de modifier le comportement des sociétés, je présume que vous avez personnellement conclu que nos régimes réglementant les lieux de travail ne sont pas suffisants. Il faut se rappeler qu'une fois que le crime a été commis, c'est fini; il n'y a plus rien à modifier, c'est fini. Le défi que notre société doit relever, c'est d'assurer la sécurité au travail avant qu'un drame se produise. Notre meilleur moyen d'intervention est probablement le processus réglementaire, les incitatifs financiers et l'imposition de peines aux inspecteurs. Ce serait une façon peut-être plus efficace d'atteindre votre objectif, plus efficace que le dépôt d'accusation au criminel après le fait, quand il s'agit de cas de personnes qui, selon les normes du droit pénal, n'auraient pas participé délibérément à des crimes dans le but de provoquer l'événement qui s'est produit.
º (1625)
Mme Susan Dodd: Je crois qu'il faut les deux. Il faut élaborer de bons systèmes réglementaires externes en matière de santé et sécurité au travail pour renforcer les systèmes internes de responsabilité. Parallèlement, nous devons trouver une façon de responsabiliser les agents, ceux qui sont au coeur de la structure décisionnelle d'une entreprise, les amener à comprendre que leur réputation, leur vie, leurs moyens de subsistance sont en jeu si le lieu de travail est dangereux. La législation pénale est l'outil le plus puissant pour ce faire.
Le président: Merci beaucoup.
Je cède la parole à monsieur Sorenson.
M. Kevin Sorenson: Pour poursuivre dans le même ordre d'idées que M. Lee, ne craignez-vous pas qu'on aille trop loin? Vous dites que la législation pénale est l'outil le plus puissant dont on dispose pour amener ces personnes à prendre et à assumer leurs responsabilités, et je suis d'accord. Je connais une municipalité, par exemple, qui a engagé des étudiants pour faire l'entretien des terrains dans la ville. L'un de ces jeunes avait un taille-bordure auquel il manquait une petite plaque de protection. Le taille-bordure a frappé un objet dur, a tourné sur lui-même et a ensuite tranché une artère de la jambe du jeune homme qui en est mort—un accident dévastateur. Il y avait déjà eu des mises en garde au sujet de l'absence de ce petit écran de protection, et peut-être que certains de ces étudiants n'avaient pas eu de formation sur l'utilisation de ces taille-bordure, mais quoi qu'il en soit, le jeune homme est mort au bout de son sang.
Est-ce que nous n'ouvrirons pas la porte à des poursuites au criminel contre des entreprises qui ne seront pas en mesure de se payer une défense? Notre exemple est celui de la mine Westray, qui est peut-être le cas le plus horrible de l'histoire du Canada, où il y a eu négligence grave, c'est un exemple de ce qu'il y a de pire, mais en réalité, bon nombre des poursuites pénales de cette nature viseront des municipalités, des ranchs ou des exploitations agricoles qui n'ont qu'un employé. Plutôt que d'intenter une action au civil, on intente des poursuites au pénal et un type se retrouve en prison. N'est-ce pas aller un peu trop loin?
Mme Susan Dodd: Pas du tout, si la personne responsable de la formation n'a pas bien formé ce jeune homme.
M. Kevin Sorenson: Par conséquent, le travailleur n'a aucune responsabilité à assumer? Je sais qu'à Westray, c'était une affaire différente, mais vous dites qu'il n'incombe pas au travailleur de refuser de travailler avec un appareil qu'il n'a pas été formé à utiliser?
Mme Susan Dodd: Dans ces débats, on cherche souvent à attirer l'attention sur le fait qu'il y a des cultures qui produisent des lieux de travail dangereux où on est forcé à employer le langage de la victime, ce qui nous amène à croire que les travailleurs sont toujours passifs. D'une certaine façon, votre question se fonde sur une fausse dichotomie: je dois répondre ou bien que les travailleurs sont complètement passifs et que ce sont les gestionnaires qui contrôlent tout, ou bien que chacun est responsable de sa propre vie. Moi, ce que je veux vous faire comprendre, c'est qu'il faut trouver une façon de reconnaître que les deux existent dans les organisations hiérarchiques.
º (1630)
Le président: Monsieur Macklin, vous avez la parole pour trois minutes.
M. Paul Harold Macklin (Northumberland, Lib.): Merci.
J'aimerais d'abord savoir dans quel domaine vous vous spécialisez, parce que cela n'a pas été précisé au début.
Mme Susan Dodd: Je suis sociologue spécialisée surtout dans la théorie du langage. Mais je m'intéresse aussi aux répercussions des accidents industriels et à la façon dont les débats qui suivent ce genre d'événements forcent les gens à adopter des positions bien arrêtées.
M. Paul Harold Macklin: Merci.
Je ne sais pas si vous avez relu tous les témoignages que nous avons entendus, mais une des questions qui m'intéresse particulièrement—j'ignore si c'est généralisé ou si c'est particulier à Westray—c'est qu'on a laissé entendre que Westray n'était pas une mine très rentable. C'était plus ou moins une façon de survivre et, bien qu'on puisse faire valoir que cela donnait aux gestionnaires encore plus de pouvoir, il semble en effet que tous aient été complices de la survie dans cet environnement. Des témoins nous ont dit qu'il n'y avait pas d'autre emploi et qu'ils avaient accepté de travailler à la mine pour subvenir aux besoins de leurs familles. Ces gens se sont presque fait les complices des violations des règles pour survivre. Par conséquent, l'imposition d'une peine dans une telle situation n'aurait rien donné car il semble que personne n'aurait été prêt à dénoncer l'employeur par crainte que l'entreprise ait à payer une peine et qu'elle ferme la mine. Pouvez-vous nous parler un peu de cette relation? Il semble que la rapport de force ne jouait pas seulement en faveur de la direction. Comment pouvons-nous traiter de ce problème par le biais du système de justice pénale? Est-ce qu'une sanction pénale suffit à modifier les attitudes. En l'occurrence, des sanctions auraient pu être imposées, elles ne l'ont tout simplement pas été.
Mme Susan Dodd: À propos de la prise de risque et de l'évaluation des risques, il y a énormément de documentation expliquant pourquoi les travailleurs assument de tels risques. Je pense aux mineurs qui acceptent de retourner à maintes reprises dans les mines dont ils savent, dans une certaine mesure, qu'elles sont dangereuses. Lorsque j'ai interviewé les membres des familles, j'ai constaté énormément de culpabilité, parce que les familles avaient l'impression que leurs attentes sociales avaient contribué aux risques mortels qu'avait pris l'homme de la maison. Je ne crois pas que cette pression soit comparable à la pression qui oblige à prendre les décisions favorisant la production à tout prix avec les risques que cela comporte.
En Nouvelle-Écosse, les gens associent l'explosion de la mine Westray à l'explosion de 1926 à Glace Bay, où on a établi que ceux qui travaillaient là-bas bloquaient délibérément les détecteurs de méthane pour pouvoir maintenir le niveau de production et toucher des primes. On a conclu que les primes à la production encourageaient les hommes à prendre de graves risques. C'était la même situation dans la mine Westray, mais dans un milieu plus dur. Encore une fois, je crois que nous avons besoin d'une disposition qui affirme la responsabilité des personnes qui tirent profit ou qui tentent de tirer profit de la précarité sociale qui découle de la perte possible des moyens de subsistance, mais aussi de l'emploi, qui est profondément important du point de vue culturel.
º (1635)
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Blaikie.
M. Bill Blaikie: Merci, monsieur le président.
Je ne crois pas que nous devions recommencer à la case départ. Nous étudions la teneur d'un projet de loi qui nous a été renvoyé à une étape précise d'un processus amorcé au lendemain du désastre de la mine Westray et de l'enquête, qui a révélé qu'il y avait eu ce type de comportement. Si M. Lee veut recommencer à neuf, tant mieux pour lui, mais j'espère que nous ne serons pas tous obligés d'apprendre en même temps que lui. Nous avons un point de départ. C'est l'enquête qui a engendré la demande pour une telle loi qui, je présume, constitue notre point de départ. Nous n'allons pas remonter plus loin, au nom d'un exercice intellectuel juridique pour satisfaire ceux de l'autre côté, et nous n'allons pas débattre à nouveau les conclusions du juge Richard eu égard à la mine Westray. Je souhaite vivement que nous évitions cela. Nous avons la recommandation 73 de la commission d'enquête. À moins que notre comité n'ait pour mandat d'examiner les conclusions de cette commission d'enquête, et je ne crois pas que ce soit le cas, nous ne devrions pas remâcher tout ça.
Le noeud de la question, telle que soulevée par M. Sorenson, c'est de savoir si la mort qui résulte de la recherche de sa subsistance ou de la recherche de profits—comme la recherche de sa propre subsistance si la victime est fautive, et la recherche du profit si la faute appartient à celui qui vous a ordonné d'agir d'une certaine façon—est moins importante d'une certaine façon ou moins sujette à la réprobation morale que la mort découlant d'autres circonstances. Je crois qu'il nous incombe de reconnaître que nous devons dépasser ce type d'attitude. En tout cas, moi je le reconnais.
Depuis des années, des personnes meurent au travail et l'on dit: «Vous savez, c'est la vie; ils auraient dû mettre le cran de sûreté sur la machine-outil, mais ils ne l'ont pas fait.» J'aimerais que la société s'indigne tout autant des morts qui se produisent parce qu'un cadre, un contremaître ou un superviseur a dit: «Au diable! Nous installerons ce dispositif de sûreté ou cet écran quand nous en aurons le temps.» Entre temps, le jeune employé est mis en péril, il se tranche une artère et meurt. Eh bien, vous savez, c'est la vie. On entend souvent dire «c'est la vie» dans le cas des accidents mortels au travail, depuis des décennies et des décennies. L'idée, c'est d'essayer d'aller au-delà de ce discours, et d'envisager ces morts sous un tout autre jour.
º (1640)
Au cours des dernières années, j'ai eu une correspondance avec une femme dont le fils est mort dans un accident de travail au lac Winnipeg. On embauche un jeune de 17 ans pour une journée de pêche. Il est au beau milieu du lac Winnipeg et il n'y a même pas de gilet de sauvetage à bord de l'embarcation. L'employeur a-t-il jamais été mis en accusation? Il pêche encore, probablement avec d'autres jeunes de 17 ans qui ne peuvent se permettre de dire: «Je suis désolé, je refuse de travailler s'il n'y a pas de gilet de sauvetage à bord.» On sous-entend oh combien souvent qu'il devrait y avoir une sorte d'équivalence morale entre la situation de ces jeunes et le pouvoir dont dispose la direction. Jusqu'où cela ira-t-il? Quelqu'un dit: «Jeune homme, si tu ne veux pas travailler avec un taille-bordure qui n'a pas d'écran protecteur, tant pis, il y en a 100 autres dans le quartier qui accepteront de le faire. Au revoir.» Ces gens finissent par trouver le jeune qui est assez désespéré pour travailler avec l'outil qui n'est pas sécuritaire, et on dit que c'est de la faute du jeune? Le responsable, n'est-ce pas plutôt le type qui interviewe tous ces jeunes jusqu'à ce qu'il en trouve un qui soit prêt à travailler avec le taille-bordure dépourvu d'écran de protection? Il est diablement facile de voir à qui appartient la responsabilité morale, dans ce cas-ci. Je trouve de plus en plus répugnant moralement de mettre la faute sur le jeune ou sur les mineurs, peu importe. En fait, j'en ai ras-le-bol.
Le président: Madame Dodd.
Mme Susan Dodd: Je peux vous parler de la tradition qui existe, en Nouvelle-Écosse, de faire porter le blâme pour les accidents aux mineurs. De façon générale, on reconnaît qu'il y a eu trois vagues dans l'histoire de la réglementation en matière de santé et sécurité au travail, en particulier dans les mines de charbon. J'ai fait une sorte d'analyse du discours des rapports d'enquête, à partir des tous premiers produits en Nouvelle-Écosse jusqu'au rapport Westray.
Dans la première vague, les premiers balbutiements de l'industrie minière et de l'industrialisation, de 1830 à 1880, on considérait que les blessures résultaient d'une faiblesse morale des travailleurs, dans un cadre très chrétien, où règne la prémisse de la nature imparfaite, et où les accidents sont considérés comme étant causés par un manque d'attention ou une autre forme d'indiscipline de la part des travailleurs.
La deuxième vague de règlements, de 1880 à 1970, est la période pendant laquelle des règlements objectifs ont été mis en place et pendant laquelle les organismes d'aide ont été pris en charge par les gouvernements. Pendant cette période, les rapports semblaient conclure que les nombreuses blessures dans les mines représentaient un problème administratif. Il fallait essayer de trouver une solution. Ce n'était pas nécessairement quelque chose que les gouvernements essayaient d'éliminer, mais ils voulaient recueillir des données statistiques et le plus d'informations possible sur ces incidents. La mise sur pied d'un régime d'indemnisation des accidentés du travail est l'une des solutions qui a été proposée, mais je n'entrerai pas dans le détail.
La troisième vague recouvre la période de 1970 à aujourd'hui—et ces trois vagues sont décrites par Eric Tucker dans un autre ouvrage. C'est à cette étape que l'on voit se développer le système des responsabilités à l'interne. L'idée de l'imprudence des travailleurs se transforme et cède la place à l'idée qui veut que le droit de refuser un travail engendre aussi la responsabilité de refuser un travail. Ensuite, une fois que la volonté politique qui sous-tend la réglementation commence à s'estomper, comme ce fut clairement le cas en Nouvelle-Écosse dans l'affaire Westray, il ne reste plus rien que la responsabilité précise du travailleur à se faire lui-même justice. Ainsi, d'une certaine façon, les travailleurs doivent évaluer seuls le risque que pose le milieu de travail, et pourtant on observe toujours la vieille tendance, dans les rapports d'enquête, à jeter le blâme sur le travailleur pour ses propres blessures.
Le président: Merci beaucoup.
Hedy Fry, vous avez trois minutes.
Mme Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je ne suis pas avocate, veuillez me pardonner si je n'emploie pas les termes juridiques justes, mais il me semble que ce dont nous parlons ici, c'est du concept de la mens rea, soit de l'intention. On peut ensuite parler de l'actus reus, soit de l'acte posé. Pour leur part, les syndicats préfèrent s'écarter de ce modèle pour employer le concept de négligence criminelle. En médecine, pour prouver la négligence criminelle, il doit y avoir au départ une grille, des règles de base qui doivent être suivies, la négligence étant de ne pas les suivre. Il faut donc qu'il y ait au départ un ensemble de lignes directrices auxquelles doivent se conformer les sociétés et les entreprises, des règles claires qu'elles doivent connaître, au sujet de la santé et de la sécurité au travail, il va de soi. Chaque entreprise doit connaître la santé et la sécurité au travail. Quels sont les problèmes, pour l'exploitation minière? Il faut le savoir. L'entreprise ou sa direction doit être au courant de certains faits, avant de se lancer dans l'exploitation minière, ou son activité, quelle qu'elle soit. On s'attend à ce genre de chose d'un médecin.
Quant à savoir si des personnes étaient complices parce qu'elles ont fait le travail et qu'elles n'avaient pas le choix, c'est la même chose. On peut comparer la situation à celle d'un malade qui n'a d'autre choix que d'aller voir le médecin. Aller chez le médecin équivaut à aller travailler à la mine. On s'attend à ce que le médecin sache, et le médecin doit savoir. Il doit respecter un ensemble de règles. De la même manière, si on travaille pour une compagnie minière, elle doit avoir ces connaissances. Les travailleurs ont le droit de connaître certaines choses au sujet de l'exploitation minière. Ils ont le droit de savoir ce qui est dangereux et ce qui ne l'est pas. Des règles de santé et de sécurité au travail doivent être suivies. Quand elles ne le sont pas, il s'agit certainement de négligence criminelle.
Je pense que c'est ce que nous devons faire: produire des règles qui sont visibles et connues des intéressés, peu importe leur activité. Nous parlons ici d'exploitation minière, mais il pourrait s'agir d'une municipalité qui sait qu'il faut doter un outil d'un machin-truc pour éviter que le travailleur se blesse. Si la municipalité ne le fait pas, sa négligence est évidente. Elle doit s'acquitter de ses devoirs, faire ce qu'elle a à faire. Il serait si simple, n'est-ce pas, de dire que les entreprises, les sociétés doivent connaître un ensemble de règles en matière de santé et sécurité, particulièrement celles qui se rapportent à leur secteur d'emploi. Les sociétés minières doivent connaître les problèmes se rapportant à l'exploitation minière. Les municipalités doivent connaître les règles de sécurité pour ceux qui tondent le gazon. Les médecins doivent savoir ce qu'il faut faire quand une personne arrive avec un problème donné. Il n'est pas nécessaire d'avoir des connaissances très spécialisées. En médecine, le sens commun nous dit ce que le médecin est censé savoir. S'il ne sait pas, il commet une négligence criminelle. Son patient n'est pas fautif, puisqu'il n'a d'autre choix que de s'adresser à un médecin. Si vous cherchez un emploi, vous devez vous adresser à une entreprise, à une société, pour décrocher un poste. Cet employeur a aussi le devoir juridique de ne pas profiter de la situation et de savoir très bien ce qu'il fait.
Est-ce que c'est aussi simple que ça? Je ne sais pas, je ne suis pas avocate. Il me semble que pour nous, c'est si simple d'agir ainsi. Il y a là une question morale claire: l'entreprise doit avoir un devoir moral. On peut faire un devoir moral du fait d'avoir ces connaissances, et l'ignorance de ces choses doit être tenue pour coupable. On ne devrait pas diriger une entreprise, sans ces connaissances. C'est mon argument. S'il est simpliste, je vous le présente tout de même et je vous demande ce que vous en pensez.
º (1645)
Le président: Merci, madame Fry.
Malgré que vous connaissiez peu la langue juridique, j'ai constaté que tous les avocats ont opiné du bonnet quand vous avez parlé d'un machin-truc. Je crois qu'ils vous ont acceptée.
Allez-y, madame Dodd.
Mme Susan Dodd: Merci.
Je suis d'accord avec vous. J'ajouterai que la responsabilité de savoir incombe aussi aux entreprises qui viennent au Canada, de l'étranger. Par exemple, dans le cas du Ocean Ranger, pendant l'enquête, on avait l'impression, d'après les déclarations de la Ocean Drilling and Exploration Company, qu'elle devait apprendre les méthodes sûres et adéquates d'exploitation d'une plate-forme de forage dans des eaux nordiques. En fait, ces organismes avaient bien plus d'expérience et de connaissance de ce genre d'activité que le gouvernement du Canada. Une fois qu'on entre dans le domaine transnational, on est dans un monde où les organisations avec lesquelles traite le gouvernement ont beaucoup plus d'expérience que lui.
Le président: Merci beaucoup.
Je donne la parole à monsieur MacKay.
M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.
Je crois que le gros de ce qu'a dit Mme Fry est exact, même si dans un procès criminel, il faut présenter le témoignage d'experts, dans le secteur minier, par exemple. La plupart des gens ne travaillent pas dans un milieu de travail où ils ont de la poussière de charbon jusqu'aux genous. Il est nécessaire aussi d'avoir des connaissances régionales. À cause des émissions de gaz méthane, cette couche était l'une des plus dangereuses d'Amérique du Nord, sinon du monde. Le témoignage d'experts était important, mais aussi, le simple bon sens. Devant un juge, un jury ou un juge des faits, le gros bon sens a un rôle à jouer.
Au sujet de la négligence criminelle et, encore une fois, du fait d'être partie à une infraction ou d'être blâmable, là où voulait en venir M. Sorenson, je crois, le droit pénal comme le droit civil permet de prendre en considération qu'une personne est responsable d'une partie du résultat, ou est blâmable en partie. Une procédure de mise en cause peut servir à prouver qu'une personne était partie à l'infraction ou qu'elle a contribué aux circonstances de l'infraction. En essayant de rédiger des lois pénales sur la responsabilité criminelle des personnes morales, on ne saurait oublier leur obligation de répondre à une norme, d'offrir un milieu de travail sûr, selon le sens commun, d'où les gens partiront à la fin de leur journée en un seul morceau, sans s'être exposés à des situations particulièrement dangereuses.
Il y a lieu de répéter que ce n'est pas seulement au moment du dépôt des accusations et du procès qu'on peut attribuer des torts ou mettre en cause des parties, mais aussi en toute fin de procédure, une fois prononcée la condamnation, lorsque sont présentées au juge les circonstances aggravantes ou atténuantes. Les travailleurs eux-mêmes ont-ils été imprudents? Je ne tiens pas à relancer ce débat, mais il faut se demander quelles étaient les circonstances aggravantes ou atténuantes.
Madame Dodd, diriez-vous qu'outre le libellé qui nous permettra de changer la mentalité, de changer le degré de responsabilité, il s'agit là de nuances importantes à intégrer au Code criminel, afin d'avoir un instrument de recours juridique pour attribuer la responsabilité, dont vous avez parlé? Mais l'aspect organisationnel est crucial. Personne, pas même les travailleurs syndiqués ou non syndiqués, ne veut éloigner les gens d'affaires. Ils veulent des emplois, et c'est l'aspect social dont vous parliez. Les gens du comté de Pictou en Nouvelle-Écosse comme de toutes les autres régions du pays veulent du travail.
º (1650)
Mme Susan Dodd: Je dirais que c'est ce qu'il convient de faire. En vous écoutant, je me disais qu'on avait pu constater l'échec du système judiciaire dans son ensemble, même si certaines de ses parties fonctionnaient encore, après la tragédie de Westray. Je parle d'échec parce que même si le rapport d'enquête est excellent, même si les indemnisations des travailleurs étaient nécessaires et même si les procès au civil ont été déchirants pour les membres des familles, tout cela a gardé ces gens affairés, sans qu'ils puissent se concentrer précisément sur les responsabilités des administrateurs et dirigeants de l'entreprise. On a donc l'impression que certaines parties du système judiciaire servent à détourner l'attention des changements dont vous parlez.
Le président: Monsieur Maloney, vous avez la parole.
M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Merci.
J'ai plusieurs questions. Parmi les sanctions que vous proposez, il y a la peine capitale pour les sociétés. Je me demande comment vous feriez avaler ça aux 50, 100 ou 500 autres employés de l'entreprise.
Si on peut me convaincre qu'il y a moyen de tenir responsable criminellement un administrateur pour un incident qui s'est produit à son insu, sans qu'il l'ait voulu ou qu'il ait été délibérément insouciant ou qu'il ait fermé les yeux sur la situation, comme les administrateurs sont précieux à cause de leur sens des affaires, de leur instruction, de leur expérience, de leurs antécédents pour les entreprises…
º (1655)
Mme Susan Dodd: À leur insu, peut-être, mais ils ont la responsabilité de savoir.
M. John Maloney: J'en suis à ma deuxième question.
Pourquoi une personne saine d'esprit voudrait-elle d'un poste d'administrateur? Quel effet cela aura-t-il sur l'avantage concurrentiel des entreprises et sur le contexte économique avec lequel composent actuellement les entreprises dans l'intérêt de tous, employés, actionnaires, dirigeants et administrateurs?
Mme Susan Dodd: À mon avis, cela ne changerait rien pour la majorité des administrateurs, qui peuvent raisonnablement croire que les lieux de travail dont ils sont responsables sont sûrs et gérés conformément aux règles de santé et sécurité au travail, ainsi que selon le sens commun. Pour ceux qui estiment devoir mettre un terme à leurs affaires, c'est probablement qu'ils ont raison, n'est-ce pas?
M. John Maloney: De quelle responsabilité parle-t-on donc? Suffit-il de nommer un responsable de la santé et de la sécurité? Cela me suffit-il, comme administrateur?
Mme Susan Dodd: Il me semble que c'est le genre de question que pourront régler les tribunaux.
M. John Maloney: Je ne veux pas m'adresser aux tribunaux. Je veux éviter des pertes de vie. Je veux que des correctifs soient apportés avant qu'un problème survienne.
Mme Susan Dodd: Alors il faudrait que les détails soient précisés dans la loi.
On semble présumer que les administrateurs ne doivent pas être tenus responsables de ce que font les gens dans l'atelier. À mon avis, ils devraient l'être. Peut-être tenons-nous un dialogue de sourd. Je crois qu'un administrateur doit être responsable, s'il offre sur son lieu de travail un régime de santé et sécurité tout à fait inepte. S'il n'en est pas responsable, il faut le forcer à fermer ses portes. J'ai du mal à comprendre... Je vais m'arrêter ici.
M. John Maloney: Mais si mon conseil d'administration, pour General Motors, par exemple, siège à Halifax, Vancouver, Toronto ou Montréal, comment puis-je être tenu responsable de l'incompétence ou de la négligence d'un surveillant de la santé et de la sécurité de notre usine d'Oshawa?
Mme Susan Dodd: Et si le coordonnateur de votre campagne publicitaire, par erreur, farcissait de jurons vos principales publicités, vous vous sentiriez la responsabilité de veiller à ce qu'il lui arrive quelque chose, à ce qu'il parte et soit remplacé par une personne compétente. Ce dont nous parlons, c'est de la mise sur pied d'une structure juridique qui fera en sorte que vous vous sentiez responsable de la compétence de vos employés chargés de la santé et de la sécurité au travail. Les administrateurs ont la responsabilité de veiller à la viabilité de l'entreprise et nous disons ici que cette viabilité passe notamment par la santé et la sécurité au travail.
Le président: Monsieur MacKay, vous avez la parole.
M. Peter MacKay: J'ai une brève question, en complément à celle de M. Maloney. On semble avoir oublié une chose, et c'est la responsabilité des inspecteurs. Dans ce cas-ci, il s'agit d'inspecteurs provinciaux qui avaient une obligation plus importante, peut-être pas que celle des directeurs de la mine, mais certainement plus importante que celle des administrateurs? Comme M. Maloney l'a souligné, les administrateurs n'ont peut-être jamais vu la mine, ni le lieu de travail qu'ils administrent. Vous n'appuyez pas le raisonnement qui fait qu'on exploite les travailleurs pour faire des profits, cette vile intention de servir le dieu dollar. Le seul rôle d'un inspecteur, c'est de se rendre sur les lieux, de constater ce qui ne va pas, et d'agir, peut-être même de fermer la mine. Il n'est pas motivé par l'appât du gain qui anime la société, sa responsabilité, quel que soit le nom qu'on lui donne. Pensez-vous que la responsabilité pénale pourrait lui être imposée à lui aussi? Si quelqu'un a précisément pour mandat de faire un travail qui sauve des vies ou qui évite des pertes de vie ou des amputations, devrait-il aussi être tenu responsable?
» (1700)
Mme Susan Dodd: Si je ne m'abuse, on commence à parler de l'indemnisation des travailleurs et de la responsabilité de la province. Je ne vois pas pourquoi on ne les tiendrait pas criminellement responsables de cela, et du point de vue éthique, d'une certaine façon, leur responsabilité est plus grande, parce qu'il s'agit de fonctionnaires.
M. Peter MacKay: Je me rends compte que nous nous écartons du sujet. Il ne s'agit plus de la responsabilité des personnes morales, mais de celle des personnes.
Mme Susan Dodd: Mais il s'agit bien d'une responsabilité organisationnelle, quand on songe à la responsabilité de chacun en reconnaissant qu'ils travaillent au sein d'une certaine culture organisationnelle.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur John McKay, vous avez la parole.
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Merci, monsieur le président.
Vous avez formulé une observation très intéressante, que j'ai notée: les gens qui subissent des pertes à cause d'une négligence industrielle sont pénalisés encore plus du fait qu'ils n'ont pas accès à la justice. Comme vous avez parlé à bon nombre de personnes, je veux que vous nous disiez si ce constat résulte d'un échec du système judiciaire ou d'une lacune dans nos lois. J'ai retrouvé la recommandation 73 du juge Richard, qui demande qu'on introduise devant le Parlement du Canada les amendements législatifs nécessaires afin d'assurer que ces dirigeants et administrateurs soient tenus responsables de la sécurité des lieux de travail. C'est assez vague. Des accusations ont été portées. On présume donc qu'un procureur a jugé le Code criminel suffisant pour obtenir une condamnation, que les faits étaient appropriés, qu'ils pouvaient être prouvés et qu'on pouvait déposer des accusations menant à une condamnation. Je ne connais pas les tenants et aboutissants de cette affaire autant que M. MacKay, mais d'après ce que j'ai compris, à partir des témoignages reçus, il semble y avoir eu des problèmes dans ce dossier, peut-être que le juge a tenu des propos inopportuns, ou peut-être que d'autres problèmes se rapportaient aux procureurs eux-mêmes.
Compte tenu de tout cela, pensez-vous que c'est davantage un échec du système judiciaire qu'une insuffisance de la loi, ou est-ce simplement le Code criminel qui n'est pas adéquat dans ce cas-ci?
Mme Susan Dodd: Je ne suis pas sûre. Au cours des entrevues avec les membres de la famille, nous avons régulièrement entendu dire qu'en dépit des procès qu'il y avait eus, il s'agissait de personnes qui étaient effectivement des cadres intermédiaires. Certaines des personnes que les membres de la famille estimaient les plus responsables n'ont jamais été inquiétés. En fait, on n'a même pas réussi à les faire venir témoigner lors des audiences. Donc ils n'ont jamais pu avoir accès à ces personnes. C'est tout ce que j'ai à dire à ce sujet.
M. John McKay: La question est donc de savoir si c'est à cause d'une lacune du droit qu'on ne peut pas remonter à ce niveau ou si c'est simplement parce que la poursuite a été bâclée.
Mme Susan Dodd: Je ne sais pas si vous avez lu le résumé du rapport du juge Richard. Dans l'affaire Westray, c'est quelque chose de colossal. Tout l'ensemble était complètement pourri, la mine n'était pas réglementée, on n'a pas donné de ressources suffisantes aux procureurs qui essayaient d'intenter des poursuites, lorsque finalement on a décidé de poursuivre. Donc l'affaire Westray pose problème en un sens car elle a un caractère très général et soulève toutes sortes de problèmes qui n'avaient pas de rapport direct les questions juridiques sur lesquelles vous essayez de vous concentrer.
Je pense que le sentiment des membres de la famille qui estiment avoir été privés de justice n'est pas simplement une volonté de se venger contre les personnalités les plus importantes. À cet égard, l'affaire Westray est utile car Clifford Frame est une personnalité publique bien connue et les gens peuvent dire: regardez, c'est lui qui veut encore continuer à faire ce genre de choses, il faut prendre des mesures pour l'en empêcher.
» (1705)
M. John McKay: Bon. Merci beaucoup.
Le président: Monsieur Macklin.
M. Paul Harold Macklin: J'aimerais poursuivre un peu là-dessus. J'aimerais m'appuyer sur votre formation de sociologue et de personne compétente pour vous prononcer sur Westray et sur les mesures qui pourraient être utiles. J'ai l'impression que nous sommes plus ou moins sur la même longueur d'onde. J'aimerais savoir comment vous envisagez la mise en place de conditions de travail plus sûres. Pensez-vous, par exemple, que le problème a pu venir du fait qu'on n'a pas responsabilisé les travailleurs dans cette situation? Pensez-vous que le problème est venu de l'absence de lois qui auraient vraiment eu un effet dissuasif ou estimez-vous que l'échec est dû au fait qu'on n'a pas eu la volonté politique de poursuivre sérieusement les responsables alors que les lois existent? J'aimerais savoir comment à votre avis on aurait pu avoir des conditions de travail plus sûres dans ce cas particulier. D'après votre étude, quels sont les éléments qui auraient pu permettre d'accroître la sécurité du lieu de travail?
Mme Susan Dodd: C'est une drôle de question. Si les lois existent et que personne ne s'en sert, on a vraiment un problème catastrophique, non?
Je répondrais «tout cela à la fois» à votre liste des causes de l'explosion et des décès à la mine de Westray. À un certain niveau, le problème venait de la politique de patronage en Nouvelle-Écosse, ou pour être moins violent, disons qu'il y avait une démarche de développement économique régional qui faisait qu'on polarisait tellement tout sur le succès d'un employeur qu'on avait peur d'avoir le moindre problème avec lui, ce qui fait qu'il y a toutes sortes de pressions culturelles dans ce cas-là pour dissuader les gens de se plaindre; on leur dit qu'ils ont des emplois et qu'ils n'ont qu'à se taire.
La division de la santé et de la sécurité du travail du ministère du Travail était complètement en morceaux. Mais ce qui est le plus fondamental—et c'est pour cela que j'ai mentionné l'expérience de ma propre famille à cet égard—c'est que rien de tout cela n'aurait tellement d'importance si les administrateurs et les agents de Westray avaient su qu'ils pourraient être déclarés criminellement responsables du caractère dangereux des lieux de travail. Le fait de criminaliser cette activité ne saperait pas et n'éliminerait pas les autres dispositifs ou méthodes en place et ne signifierait pas qu'ils sont superflus, mais au contraire cela les renforcerait.
» (1710)
M. Paul Harold Macklin: Croyez-vous qu'il existe quelque chose de plus efficace, une méthode quelconque? Vous avez parlé de protéger les dénonciateurs, de donner aux travailleurs le pouvoir de se protéger eux-mêmes. Je vois cela sous un angle sociologique. Quels seraient les moyens de renforcer la sécurité du lieu de travail au lieu d'intervenir après coup?
Mme Susan Dodd: Le fait d'avoir des dispositions pénales ne signifie pas qu'on intervient après coup, si les personnes qui prennent les décisions savent qu'elles vont être criminellement responsables en cas de morts ou de blessures sur les lieux de travail.
Pour ce qui est des dispositions de protection des dénonciateurs, je trouve ahurissant qu'il n'y en ait pas. Il me semble que si l'on travaille dans des locaux qui ne sont pas sûrs, on devrait être protégé si l'on dénonce ces conditions dangereuses.
M. Paul Harold Macklin: Mais d'après vos études, y a-t-il autre chose qui serait plus efficace?
Mme Susan Dodd: Je crois que dans le cas de Westray, une protection des dénonciateurs aurait pu être utile. En tout cas, cela n'aurait pas été un mal. Vu la pagaille du régime de réglementation de ces gens qui essayaient de faire leur travail, je ne sais pas si quelqu'un aurait pris des mesures pour modifier le fonctionnement de la mine de toute façon.
M. Paul Harold Macklin: Donc, le fait ne vient peut-être pas d'une lacune de la législation?
Mme Susan Dodd: Si la législation n'était pas fautive, alors je me demande ce qui l'était?
M. Paul Harold Macklin: C'est la question que je vous pose en tant que sociologue. Qu'avez-vous constaté lorsque vous avez fait votre enquête, examiné la situation et interviewé les personnes?
Mme Susan Dodd: Je ne crois pas bien comprendre votre question. La législation n'a pas été à la hauteur puisqu'elle n'a pas permis de modifier les conditions dans lesquelles fonctionnait cette mine.
Le président: Merci, monsieur Macklin.
Peter MacKay.
M. Peter MacKay: Il nous faut une réponse à cette dernière question. Y a-t-il eu défaillance de la loi? Pour reprendre la démarche clinique de M. Lee, il est vrai qu'on a porté des accusations, quoique tardivement, et qu'il y a eu des questions concernant la preuve et la façon dont elle a été recueillie. On a porté des accusations et on a condamné la société. Celle-ci était alors insolvable, donc l'accusation est devenue superflue, on n'a pas condamné le propriétaire exploitant et il y a peut-être là une lacune qu'il faudrait combler. Mais le problème est alors devenu la façon de procéder. C'est la procédure qui a été un échec. Elle a complètement dérapé, et pour toutes sortes de raisons. Nous savons comment ces hommes sont morts, et nous voulons savoir pourquoi, nous voulons l'explication de tout cet enchevêtrement de circonstances qui a abouti à cette catastrophe.
Y a-t-il un moyen de nous assurer du bon fonctionnement de la procédure, de mener à bon terme un procès, d'aboutir à une conclusion, que ce soit un constat de culpabilité ou de non-culpabilité? À votre avis, est-ce que cela aurait au moins contribué à un certain apaisement des victimes et des familles? Est-ce une question sur laquelle nous devrions nous concentrer?
Il y a aussi le problème de la détermination de la peine, à laquelle vous avez fait allusion dans vos remarques d'ouverture, le fait qu'il faudrait faire pleinement comprendre à ces personnes morales le plein poids des conséquences, que ce soit des amendes ou même le risque de faire de la prison. On ne peut pas condamner une société à faire de la prison, mais si l'on avait constaté une culpabilité, si l'on avait attribué la responsabilité à quelqu'un, connaissant certains des membres des familles et certaines des victimes, je pense que cela aurait pu apaiser un peu... On ne va jamais ressusciter ces hommes ou combler le gouffre que leur disparition a creusé dans l'existence d'autres personnes, mais si cette procédure avait fonctionné et s'il y avait eu une condamnation, on aurait tout de même accompli quelque chose. Vous êtes d'accord?
» (1715)
Mme Susan Dodd: On aurait certainement accompli quelque chose.
Le président: Bill Blaikie.
M. Bill Blaikie: J'en reviens à l'enquête. À ma connaissance, l'enquête n'a pas établi que le fait qu'on n'ait tenu personne responsable de la catastrophe de la mine Westray était attribuable à des poursuites bâclées. Cela ne veut pas dire que la loi est parfaite, c'est simplement qu'il y a eu une défaillance du système et qu'il faut modifier la loi. Est-ce que nous ne sommes pas encore une fois en train de ressasser quelque chose qui a déjà été clairement montré?
Je pense néanmoins qu'il serait intéressant de savoir pourquoi on n'a pas pu aller de l'avant avec les poursuites dans le cadre de la loi qui existait déjà. Monsieur le président, je me demande s'il est dans les pouvoirs de notre comité de convoquer le procureur de la Couronne de la Nouvelle-Écosse qui était chargé de cette affaire.
Le président: À la fin des questions, j'aurais un ou deux points administratifs à évoquer avec le comité, et peut-être M. MacKay pourra-t-il m'aider sur celui-là en particulier.
M. Bill Blaikie: J'ai l'impression que le comité est en droit de convoquer ce genre de témoin et que ce témoin n'aurait pas le droit de refuser cette convocation. Est-ce que j'ai raison?
Le président: Nous avons le pouvoir, en faisant rapport à la Chambre, de convoquer un témoin, mais nous devrons peut-être attendre d'avoir des renseignements supplémentaires avant de prendre cette décision.
Je vais passer à Mme Fry.
Mme Hedy Fry: J'aimerais poser une question sur quelque chose dont vient de parler Pete McKay. Il y a manifestement eu une faille dans la loi en ce qui concerne les dirigeants de la société. Il ne s'agit pas simplement de trouver quelqu'un pour le déclarer responsable et le condamner ou l'emprisonner ou n'importe quoi. Il faut qu'il y ait aussi d'autres responsabilités, c'est-à-dire que cette personne qui a été déclarée criminellement responsable, coupable de négligence ou n'importe quoi ne doit pas être autorisée à la fin à remonter une nouvelle entreprise en ayant exactement la même mentalité d'entreprise, la même attitude négligente ou les mêmes comportements. Il faut veiller à ce que cette personne, si elle se retrouve de nouveau à la tête d'une entreprise, ait appris ses leçons et soit déterminée à diriger sa société dans un esprit nouveau de respect de la légalité.
J'en reviens à ce que je connais. Si un médecin est reconnu coupable de négligence criminelle, on ne le laisse pas recommencer à exercer une fois qu'il a purgé sa condamnation. Il doit réobtenir sa licence et il doit montrer qu'il connaît son affaire et qu'il ne pratique plus de la même façon. Je pense que ce qui vous inquiète, et pas seulement vous, mais d'autres aussi, c'est l'idée que la personne responsable qui dirige la société, ou le conseil d'administration par extension, va pouvoir recommencer, après s'être fait taper sur les doigts ou avoir payé des amendes extraordinaires, et redémarrer dans une autre entreprise ou une autre industrie sans avoir changé quoi que ce soit à sa façon d'agir. Je pense qu'il faut que, dans la condamnation, on dise que la personne doit avoir une certaine responsabilité, doit suivre une formation, qu'il faut laisser passer un certain délai ou quelque chose comme cela avant que ces gens-là puissent lancer une autre entreprise.
» (1720)
Mme Susan Dodd: Cela me semble correct.
Pour moi, il y a un régime de réglementation en Nouvelle-Écosse et il y a un système qui permet de poursuivre des individus pour homicide ou pour négligence. Tout cela existe, et il y a eu un excellent rapport d'enquête très complet. Pourtant, les gens sont profondément convaincus qu'on n'est pas allé au fond des choses et qu'on pourrait combler cette lacune en élargissant les dispositions du Code criminel pour couvrir les administrateurs et agents de la société. Dans la détermination de la peine, on pourrait énoncer toutes sortes de conditions concernant la réhabilitation de ces criminels.
Le président: Merci, madame Dodd et madame Fry.
Je crois que M. Cadman a une dernière question.
M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
L'essentiel pour moi, c'est de savoir jusqu'où on remonte, combien de personnes sont concernées, qui est déclaré responsable et à quel niveau. J'ai travaillé autrefois dans un petit atelier où je branchais des panneaux de commande électrique à haute tension. Il y avait un inspecteur du gouvernement qui était chargé de vérifier ces panneaux et de s'assurer lors de contrôles impromptus qu'ils fonctionnaient bien. Je me suis rendu compte par la suite que cet inspecteur du gouvernement avait une petite entreprise de fabrication de disjoncteurs de fuite de terre et qu'il avait conclu une espèce d'entente avec le chef d'atelier—pas le propriétaire, pas l'administrateur, mais le chef d'atelier—pour regarder ailleurs de temps en temps si l'autre lui achetait ses produits. Si je branche un panneau de contrôle et que quelqu'un se fait électrocuter, je ne sais pas qu'il y avait un défaut à la terre parce que je ne suis pas l'inspecteur. Est-ce que c'est le propriétaire de l'entreprise qui est responsable à ce moment-là? Est-ce que c'est le conseil d'administration? Il y avait collusion entre l'inspecteur et le responsable d'atelier. Jusqu'où va la responsabilité?
Mme Susan Dodd: À mon avis, là encore il faudrait déterminer ce que chacun avait le devoir de savoir.
M. Chuck Cadman: Je voulais simplement savoir si à votre avis le propriétaire ou le conseil d'administration, les PDG devaient être tenus responsables à ce moment-là, puisque c'était quelque chose qui s'était produit en bas de chaîne, à la base, et qu'ils ne pouvaient absolument pas être au courant de cette situation. En fait, moi-même je ne le savais pas.
Mme Susan Dodd: Je dirais comme hypothèse qu'à mon avis le conseil d'administration ne serait pas responsable dans ce cas-là. Ce n'est pas du tout la même chose que le fait de participer à la création d'un environnement comme celui de la mine de Westray.
M. Chuck Cadman: À mon avis, c'est analogue, c'est juste une question d'échelle.
Mme Susan Dodd: Il faudrait en savoir plus sur la mesure dans laquelle cette collusion faisait partie intégrante de l'ensemble du fonctionnement de l'organisation.
Le président: Je tiens à remercier Mme Dodd. Les membres du comité ne sont pas tous des avocats, bien que plusieurs le soient, et il nous arrive de temps à autre de devoir entrer dans des considérations juridiques, mais dans ce cas-là ceux d'entre nous qui ne sont pas des juristes se sentent poussés à le dire. Je suis très heureux de constater que les membres du comité ont tous dit qu'ils n'étaient pas des sociologues. Je le suis, et je n'ai pas souvent l'occasion de le dire. Donc, pour une fois, j'ai eu le sentiment de parler d'autorité. Quoi qu'il en soit, merci beaucoup pour votre témoignage.
Je vais maintenant demander aux membres du comité de m'accorder quelques instants avant que nous passions à huis clos, et ensuite nous examinerons à huis clos une question qui a été soulevée lors de notre séance d'aujourd'hui.
Les deux premiers points sont à mon avis très simples, c'est uniquement une question d'information. Le 29 mai, nous accueillerons à huis clos le juge Richard. Je le précise parce que même si c'est quelque chose d'inhabituel pour le comité, en même temps, dans le cas particulier d'un juge saisi, ce n'est pas du tout inhabituel. J'imagine qu'il n'y a pas d'objection particulière à ce que nous entendions le juge Richard à huis clos.
Le même jour, je crois, on nous a invités à une réunion officieuse avec une délégation dirigée par le ministre de la Justice du Vietnam. C'est une importante délégation de neuf personnes qui souhaiteraient nous rencontrer officieusement après cette séance. Je n'y vois pas d'objection et nous le ferons donc. J'espère que le président ne sera pas le seul pour accueillir cette délégation et je vous invite donc à noter cela dans vos calepins.
C'étaient là les deux points que je voulais vous signaler.
Monsieur Maloney.
» (1725)
M. John Maloney: Pourrais-je avoir un exemplaire du résumé? A-t-il été traduit?
Le président: Je crois qu'on l'a envoyé.
M. John Maloney: J'aimerais bien l'avoir avant d'entendre le juge Richard.
Le président: Je crois qu'on l'a envoyé.
Monsieur Sorenson.
M. Kevin Sorenson: Ces délégués du Vietnam sont là pour nous poser des questions, ou est-ce que c'est nous qui leur posons des questions? Qu'est-ce qui est prévu?
Le président: Je ne pense pas qu'ils soient venus au Canada pour nous rencontrer. Ils sont là pour autre chose, mais ils souhaitaient simplement ajouter à leur programme la possibilité de nous rencontrer et de discuter peut-être de notre rôle dans cette organisation. Enfin, j'imagine. On m'a dit que ce serait vraiment une rencontre à bâtons rompus.
Nous allons maintenant lever la séance quelques instants pour poursuivre à huis clos.
[Note de la rédaction—La séance se poursuit à huis clos]