PROC Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le jeudi 10 mars 2005
Á | 1110 |
Le président (L'hon. Don Boudria (Glengarry—Prescott—Russell, Lib.)) |
M. Ken Carty (professeur de sciences politiques, Université de la Colombie-Britannique) |
Á | 1115 |
Á | 1120 |
Á | 1125 |
Le président |
M. Gordon Gibson (agrégé supérieur de recherche d' études canadiennes, L'Institut Fraser) |
Á | 1130 |
Á | 1135 |
Á | 1140 |
Le président |
M. Scott Reid (Lanark—Frontenac—Lennox and Addington, PCC) |
M. Gordon Gibson |
M. Ken Carty |
M. Scott Reid |
M. Jay Hill (Prince George—Peace River, PCC) |
M. Scott Reid |
Á | 1145 |
M. Ken Carty |
M. Gordon Gibson |
Le président |
M. Michel Guimond (Montmorency—Charlevoix—Haute-Côte-Nord, BQ) |
Á | 1150 |
M. Gordon Gibson |
M. Ken Carty |
Le président |
L'hon. Ed Broadbent (Ottawa-Centre, NPD) |
Á | 1155 |
M. Ken Carty |
L'hon. Ed Broadbent |
M. Ken Carty |
 | 1200 |
Le président |
Mme Françoise Boivin (Gatineau, Lib.) |
M. Gordon Gibson |
Mme Françoise Boivin |
M. Gordon Gibson |
 | 1205 |
Mme Françoise Boivin |
Le président |
M. Gordon Gibson |
M. Ken Carty |
Le président |
M. Jay Hill |
M. Ken Carty |
Le président |
 | 1210 |
M. Jay Hill |
M. Ken Carty |
Le président |
M. Gordon Gibson |
Le président |
M. Ken Carty |
Le président |
M. Gordon Gibson |
Le président |
 | 1215 |
M. Gordon Gibson |
Le président |
M. Scott Reid |
Le président |
M. Scott Reid |
M. Ken Carty |
M. Scott Reid |
M. Ken Carty |
 | 1220 |
Le président |
M. Scott Reid |
M. Ken Carty |
Le président |
M. Ken Carty |
Le président |
L'hon. Ed Broadbent |
M. Ken Carty |
 | 1225 |
L'hon. Ed Broadbent |
M. Ken Carty |
M. Gordon Gibson |
Le président |
 | 1230 |
M. Pierre Rodrigue (Greffier du Comité, Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre) |
Le président |
L'hon. Ed Broadbent |
Le président |
M. Scott Reid |
Le président |
L'hon. Ed Broadbent |
Le président |
CANADA
Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le jeudi 10 mars 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
Á (1110)
[Traduction]
Le président (L'hon. Don Boudria (Glengarry—Prescott—Russell, Lib.)): La séance est ouverte.
Un grand merci à tous.
Comme je le fais à la plupart des réunions, je vous rappelle l'ordre de renvoi adopté pour faire suite à l'Adresse en réponse au discours du Trône :
Il est ordonné que la Chambre charge le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre de recommander un processus qui engage les citoyens et les parlementaires dans une étude de notre système électoral en procédant à un examen de toutes les options. |
C'est donc l'objet de notre étude.
[Français]
Donc, conformément à cet ordre de renvoi du jeudi 25 novembre 2004, nous recommençons notre étude sur la réforme électorale.
[Traduction]
Ce matin, nous recevons deux témoins.
M. Ken Carty est professeur à l'Université de la Colombie-Britannique. Nous vous souhaitons la bienvenue.
M. Gordon Gibson, agrégé supérieur de recherche d'études canadiennes à l'Institut Fraser est quelqu'un de bien connu pour bon nombre d'entre nous également. Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur Gibson.
Je ne sais pas lequel de vous deux voudra débuter avec une brève déclaration. Après les exposés, les députés interviendront pour poser des questions aux deux témoins de manière à tirer le meilleur parti possible de leur contribution qui sera, sans nul doute, fort utile et intéressante.
Monsieur Carty, voulez-vous débuter?
M. Ken Carty (professeur de sciences politiques, Université de la Colombie-Britannique): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vais prendre quelques minutes pour vous parler de l'assemblée des citoyens et de son fonctionnement parce qu'on m'a demandé de vous entretenir de ce processus. Par la suite, je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Je vais commencer par quelques mots au sujet de la création de cette assemblée. Il est vrai qu'elle fait suite à un engagement pris par un nouveau gouvernement, mais il est important de préciser qu'elle s'inscrit dans une réforme plus globale mise de l'avant par ce gouvernement. Cette réforme comprenait des innovations comme des réunions publiques du Cabinet, ce qui a été fait, et une date fixe pour les élections, proposition qui a fait l'objet d'un projet de loi adopté par le gouvernement. Selon moi, l'assemblée des citoyens doit donc être considérée dans ce contexte plus général.
La structure de l'assemblée a été élaborée non pas par le gouvernement, mais par l'un des citoyens les plus éminents de la Colombie-Britannique. Il est d'ailleurs assis ici même à ma gauche. L'assemblée législative de la Colombie-Britannique a approuvé la structure proposée lors d'un vote de tous les partis. Le président a été nommé par l'assemblée législative, et une résolution a été adoptée avec le soutien unanime de tous les partis. Un comité législatif a entériné la nomination de trois des membres du bureau de direction. Le gouvernement a donc créé cette assemblée, avec le soutien de tous les députés, avant de lui octroyer un budget et de lui dire d'aller faire son travail.
L'assemblée des citoyens avait un mandat très restreint et très ciblé. Je crois que cela a joué un rôle important dans ses activités. Elle était chargée de procéder à un examen du système électoral en place. La teneur de cet examen était bien précisée; on devait s'intéresser à la façon dont les votes se traduisent en termes de sièges. Tous les autres éléments connexes au système électoral, comme le financement des partis, n'étaient pas visés par cet examen. On parle donc d'un mandat très pointu. L'assemblée devait étudier le fonctionnement du système et ses répercussions sur les électeurs, les partis politiques, le travail de l'assemblée législative et le travail du gouvernement, et déterminer si un autre système pourrait produire de meilleurs résultats. Si elle en arrivait à cerner une solution de rechange unique, elle devait en faire la recommandation. Elle ne devait faire une telle recommandation que si elle estimait qu'un changement s'imposait. En effet, il était prévu que la recommandation de l'assemblée serait soumise directement à la population dans le cadre d'un référendum. Il fallait donc que l'on recommande une option précise. La population devait avoir une connaissance suffisamment approfondie de l'option sur laquelle elle se prononçait. C'est donc ainsi que l'assemblée a été créée et que son mandant lui a été confié.
L'assemblée était tout simplement composée de 160 citoyens de la Colombie-Britannique choisis au hasard dans la liste électorale. Outre les politiciens actifs, toutes les personnes inscrites sur la liste électorale pouvaient être retenues. Et chacun avait la possibilité de refuser. Les personnes choisies recevaient une lettre leur indiquant qu'elles avaient été sélectionnées au hasard par l'ordinateur central d'Élections Colombie-Britannique et qu'elles pouvaient ainsi faire partie de l'assemblée des citoyens. On les invitait à une réunion locale où elles pouvaient en apprendre davantage au sujet du processus et mettre leur nom dans un chapeau si elles le désiraient. Il s'agissait vraiment d'un chapeau à partir duquel les noms des membres ont été tirés au sort.
Le travail de l'assemblée était appuyé par un personnel relativement réduit, dont les membres ont été nommés par le président. On y retrouvait quelque six professionnels et six employés de soutien.
Je crois qu'on peut affirmer sans crainte que l'assemblée constituait un échantillon représentatif de l'électorat de la Colombie-Britannique. L'équilibre des âges était en fait meilleur que celui qu'offrait la liste électorale. On a même atteint l'équilibre parfait pour ce qui est du sexe—80 hommes et 80 femmes. Même chose pour la représentation des régions étant donné que l'assemblée comptait un homme et une femme de chacun des districts électoraux de la province. Mais plus important encore, le processus de sélection aléatoire a produit une assemblée regroupant 160 citoyens de la Colombie-Britannique représentant bien toutes les caractéristiques de la province du point de vue social, économique, culturel, ethnique et éducationnel.
Il s'agissait d'un groupe vraiment représentatif de la population de la Colombie-Britannique pour ce qui est de l'expérience, des antécédents et des origines. Environ le tiers des membres provenaient de l'extérieur du Canada. C'est un peu la situation qui prévaut en Colombie-Britannique. Environ un autre tiers étaient nés dans une autre région du pays, et quelque 40 p. 100 étaient natifs de la Colombie-Britannique. L'assemblée pouvait donc compter sur un ensemble très diversifié de points de vue, ceux-là mêmes qui guident les électeurs vers les bureaux de scrutin.
Le processus de sélection était la première phase du programme de travail de l'assemblée. La sélection s'est faite à l'automne 2003. Elle a été suivie d'une période dite d'apprentissage. Tous les membres ont dû passer six week-end à Vancouver à cette fin. Ils ont été renseignés sur le fonctionnement de différents types de systèmes électoraux et ont appris que tous les pays du monde avaient des mécanismes différents pour constituer leurs parlements et leurs assemblées législatives. Ils ont appris de quelle façon les systèmes électoraux étaient fonction des valeurs fondamentales d'une société et en quoi ils sont reliés au contexte constitutionnel plus vaste. À bien des égards, c'était vraiment un cours supérieur en sciences politiques assorti de liens avec l'histoire et les valeurs de la société.
Á (1115)
Par la suite, l'assemblée a tenu une série d'audiences publiques. Ses membres ont ainsi pu entendre les points de vue des citoyens de toute la province. Comme la demande était particulièrement forte, on a tenu 50 audiences publiques, soit davantage que ce qui était prévu. La participation a été bonne dans tous les cas. Je me souviens d'une audience tenue à Smithers le soir de la dernière partie de la finale de la Coupe Stanley où 60 personnes sont venues parler de la réforme électorale. Nous avons obtenu une aussi bonne participation partout dans la province.
Les citoyens avaient en outre la possibilité de soumettre des propositions à l'assemblée. Au total, plus de 1 600 propositions ont été soumises, la plupart via Internet. Ce processus ne manquait pas d'intérêt en soi car lorsque des propositions étaient diffusées sur le Web, d'autres citoyens pouvaient les lire et se dire qu'ils n'étaient pas d'accord, ce qui les incitait par la suite à soumettre leur propre proposition. Ce processus Internet a donc servi de tribune pour un dialogue public à part entière. Selon moi, ce volet a joué un rôle très important qui a fortement influencé l'ensemble des activités. Les membres de l'assemblée ont reçu des résumés de toutes les propositions. Je pense que bon nombre d'entre eux ont pris connaissance de la totalité des 1 600 propositions soumises. Ils ont réellement beaucoup travaillé au cours de cet été-là.
L'assemblée a ensuite repris son travail à l'automne pour six semaines de délibérations et le processus décisionnel final. On a discuté des valeurs fondamentales que l'on souhaitait retrouver dans le système électoral et de la façon dont chacun percevait le processus électoral. On s'est ensuite demandé quel système électoral pourrait être satisfaisant à la lumière de ces valeurs fondamentales et de ces considérations. Les membres se sont ensuite employés à élaborer deux options assez détaillées parce qu'ils étaient d'avis qu'il convenait d'aborder ces sujets de façon très concrète. Si on veut parler du système mixte proportionnel, du système majoritaire plurinominal, du scrutin à vote unique transférable ou du vote préférentiel, il faut entrer dans les détails et s'intéresser à la manière dont ces systèmes fonctionnent dans la réalité.
On en est donc arrivé à concevoir deux systèmes de façon assez détaillée. L'assemblée a consacré un week-end à chacun d'eux. On a ensuite tenu une discussion finale pour comparer les deux systèmes. L'un d'eux a été retenu dans une proportion de quatre contre un. Il a fallu par la suite répondre aux questions suivantes: « Est-ce que le système que nous avons conçu comme option possible est vraiment meilleur que le système en place? Comment ce système fonctionnerait-il dans le cadre de notre régime parlementaire? Voulons-nous vraiment renoncer au système uninominal majoritaire? » L'assemblée a finalement tranché en faveur du nouveau système et a recommandé à la province que l'on adopte une version du mode de scrutin à vote unique transférable.
Je dirais qu'en moyenne les membres de l'assemblée ont consacré au moins 40 jours de leur année 2004 à leur participation au processus sous forme notamment de réunions, de lectures et d'études.
Si on veut parler du rendement, l'assemblée a respecté l'échéancier et le budget établis, une réussite que son président ne manque pas de nous rappeler. Elle a produit une recommandation cohérente et détaillée. Ce ne fut pas unanime, mais le soutien obtenu a été exceptionnellement généralisé, se rapprochant d'un soutien unanime.
Pendant l'ensemble de l'année visée, qui a exigé, je vous le répète, au moins 40 journées de travail, un seul membre a quitté l'assemblée. L'absentéisme a été pratiquement nul tout au long du processus. Cette assiduité a contribué à la mobilisation des citoyens. Ce fut vraiment assez remarquable. Un membre s'est présenté 10 jours après avoir subi un triple pontage coronarien. Il ne voulait pas manquer une réunion où l'on allait prendre une décision importante. Une autre membre était là cinq jours après avoir accouché. Ces exemples témoignent bien de la détermination dont on fait montre les participants. Les membres se sont dits extrêmement heureux d'avoir la possibilité de participer à part entière.
Le journaliste politique le plus éminent de la province a indiqué que le débat final a été la discussion politique la plus intelligente, la plus respectueuse et la plus réfléchie à laquelle il ait assisté au cours des 20 dernières années.
Le processus a donc donné de bons résultats à bien des égards. Il a permis de formuler une recommandation. Il s'est gagné un soutien généralisé. Pourquoi cela a-t-il si bien fonctionné? Pourquoi ce modèle a-t-il été aussi efficace? Je crois qu'il y a cinq éléments de réponse que l'on peut ressortir assez facilement. Tout d'abord, le processus de sélection aléatoire a revêtu une importance capitale. Les membres ont pu travailler en tant qu'individus libres de toute attache. Dans bien des processus de mobilisation des citoyens, les gens représentent un groupe, des intérêts particuliers ou un parti. Les membres de cette assemblée étaient de simples électeurs, dont beaucoup n'avaient jamais participé à de tels processus; ils avaient l'esprit ouvert et étaient prêts à apprendre, à discuter et à écouter les autres. À mon avis, on pouvait considérer qu'ils formaient un groupe assez représentatif de la population. Ils étaient conscients de constituer une représentation de la Colombie-Britannique en format réduit. J'estime que cela a contribué grandement à légitimer leurs efforts pour en arriver à une décision.
Á (1120)
L'équilibre entre hommes et femmes est le second élément ayant eu son importance à notre avis. Il est difficile de déterminer avec précision à quel point l'équilibre parfait obtenu à cet égard a joué un rôle primordial. Presque tous les membres étaient de cet avis. Certains ne parvenaient pas à expliquer pourquoi, mais ils estimaient que cela avait certes imprimé un caractère très particulier aux discussions et aux délibérations, par rapport à ce que l'on constate habituellement dans ce genre de rencontres publiques. Tout naturellement, ils étaient également d'avis que le fait d'être peut-être la toute première assemblée atteignant un tel équilibre contribuait à donner davantage de légitimité au processus, tant à leurs yeux qu'à ceux de l'ensemble de la population.
En troisième lieu, la réussite s'explique probablement aussi par l'importance du sujet étudié—le système électoral. Peu de choses sont plus capitales et essentielles pour notre démocratie que la façon dont nous choisissons ceux qui vont prendre la parole en notre nom et prendre des décisions politiques cruciales. Mais le mandat était bien précis; on ne ratissait pas trop large. Je pense que l'importance et la précision du mandat ont été une source de stimulation pour les membres, les incitant à s'appuyer les uns les autres pour favoriser la réalisation de ce mandat. La tâche bien ciblée les a amenés à conjuguer leurs efforts pour atteindre un but précis. Ils savaient qu'ils accomplissaient un travail vraiment crucial pour eux-mêmes, mais pas pour eux-mêmes en tant qu'individus. Personne n'allait obtenir une augmentation de salaire à la fin de l'année ou gagner une Cadillac, mais peut-être allaient-ils contribuer à l'amélioration de leur société et de leur province. Il s'agissait là d'une mission capitale.
L'indépendance des membres est le quatrième élément que je juge important. Ils étaient totalement libres de toute influence extérieure et de tout intérêt pouvant entrer en jeu, et ils en étaient bien conscients. Cette indépendance était primordiale pour eux, car ils n'avaient pas l'impression d'être utilisés d'une manière ou d'une autre ou de participer à un exercice purement symbolique. De plus, cela a amené la population à s'intéresser de beaucoup plus près à leur travail et à avoir confiance dans ce processus. Les gens ne se disaient pas qu'il s'agissait simplement d'un autre genre d'exercice.
Enfin, l'initiative a probablement porté fruit parce que l'assemblée jouissait de pouvoirs réels. Il ne s'agissait pas seulement de produire un autre rapport qui se retrouverait sur les tablettes de la bibliothèque en attendant qu'un étudiant en histoire le découvre vingt ans plus tard. Ils savaient que leurs recommandations seraient soumises à la population et que celle-ci allait trancher. Il n'était pas question de diluer ou de modifier leurs recommandations. J'estime qu'il aurait été difficile sans cela d'obtenir le type d'engagement, d'effort et d'énergie qui étaient raisonnablement nécessaires et que ce fut vraiment pour tous un incitatif très fort pour travailler ensemble et s'acquitter de leur mandat.
Par ailleurs, permettez-moi quelques observations au sujet des enseignements que nous croyons avoir tirés de ce processus. Tout d'abord, je pense qu'il a été démontré que les citoyens souhaitent pouvoir contribuer à la prise de décisions importantes pour leur société. Ils sont prêts à mettre le temps et les efforts nécessaires à cette fin. En effet, ces personnes ont déployé des efforts considérables pour assimiler une matière qui était peu connue pour bon nombre d'entre eux au départ, parce qu'ils avaient l'impression d'apporter une véritable contribution à la société. Certains se plaignaient seulement de ne pas avoir l'occasion de faire cela plus souvent et du fait que les autres citoyens n'avaient pas accès à ce genre de possibilités.
Par ailleurs, l'expérience a également prouvé de façon très concluante que des citoyens ordinaires sont capables de maîtriser des sujets complexes. La loi électorale est en effet une question plutôt obscure et compliquée. Des concepts très philosophiques au sujet de la représentation entrent en jeu à un certain niveau, alors qu'à un niveau différent, c'est davantage une question de mettre les points sur les i et les barres sur les t, comme les membres le savent bien, en plus du fait qu'il existe des centaines de systèmes électoraux différents. Je serais porté à dire qu'il existe autant de systèmes électoraux que de mathématiciens en chômage qui cherchent à en inventer un autre. Les membres de cette assemblée ont ainsi acquis une connaissance très pointue de ces systèmes; certains d'entre eux ont même procédé à des simulations informatiques et effectué de nombreuses recherches de leur propre initiative.
Les participants ont pu apprendre des choses fondamentales. Ils ont constaté que la prise de décisions par une assemblée délibérante pouvait fonctionner. Il faut parfois y mettre le temps nécessaire, mais il est possible d'obtenir de bons résultats dans un esprit de respect, de compromis et d'échange au sujet des valeurs fondamentales et des types d'institutions susceptibles de les concrétiser. Selon eux, ce n'est pas ce qui se produit dans leur assemblée législative. Ils y retrouvent plutôt deux armées belligérantes qui soutiennent: « Nous avons raison sur toute la ligne; vous avez tort à tous les points de vue. » Ils n'y voient aucune forme de délibération et estiment avoir démontré de manière fort révélatrice que ce genre d'approche peut fonctionner lorsqu'il s'agit d'intégrer des gens qui ont eu des points de départ différents pour en arriver à une décision.
Je crois qu'ils ont réussi à démontrer que des groupes multiculturels et diversifiés peuvent prendre des décisions fondées sur des principes et des valeurs; ils ont en effet pris des décisions s'appuyant sur des débats et des discussions au sujet de leurs valeurs fondamentales sous-jacentes. Ils présentaient un juste reflet de la diversité culturelle et sociale de la Colombie-Britannique. Malgré cette particularité, le groupe a pu conjuguer ses efforts et prendre une décision fondée sur des valeurs en articulant une solution de type institutionnel pour cette situation.
Enfin, je crois que nous avons appris que les citoyens définissent les problèmes, et par conséquent les solutions, sans doute assez différemment de ce que font les experts et les élites en place. À la lecture de leur rapport, on peut constater qu'ils définissent le problème du système électoral d'une manière probablement différente de la définition qu'en donnent les partis politiques ou les politologues. Il en résulte donc que leur point de vue sur la forme que devrait prendre un système électoral était probablement aussi différent.
Á (1125)
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Carty.
Monsieur Gibson, nous allons entendre votre déclaration après quoi les membres du comité auront, j'en suis persuadé, de nombreuses questions à vous poser parce que la situation diffère de bon nombre des exposés qui nous ont été faits en raison de la nature de l'exercice, lequel est plutôt unique, que vous venez de mener à bonne fin.
Monsieur Gibson.
M. Gordon Gibson (agrégé supérieur de recherche d' études canadiennes, L'Institut Fraser): Monsieur le président, je veux d'abord et avant tout vous dire que c'est un plaisir et un honneur pour moi d'être ici et je tiens à remercier les membres du comité et vous-même pour cette occasion que vous m'offrez.
Je peux résumer brièvement mes commentaires au moyen des deux points suivants. Le gouvernement et l'assemblée législative de la Colombie-Britannique ont tenté une expérience très audacieuse et elle a réussi. C'était mon premier point.
Deuxièmement, je suis d'avis, et je vais m'expliquer plus en détail tout à l'heure, que cette initiative pourrait facilement être adaptée pour servir aux mêmes fins à l'échelon fédéral, s'il existe une volonté en ce sens.
Je veux d'abord préciser qu'il y a, selon moi, trois façons fondamentales de procéder pour concevoir un nouveau système électoral une fois qu'on a décidé d'emprunter cette avenue. La première est la constitution d'un groupe de spécialistes qui peut prendre la forme d'une commission royale ou d'une simple consultation d'experts comme l'a fait le gouvernement du Québec dans son processus, par exemple.
La deuxième option serait un comité parlementaire ou un quelconque regroupement de législateurs professionnels. Certains pays ont eu recours à des comités mixtes constitués de spécialistes de législateurs pour réaliser de tels travaux.
La troisième solution générale consiste en la mise en place d'un groupe de citoyens. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a choisi cette troisième option et il semblerait que l'Ontario suive actuellement la même voie. Le parti actuellement au pouvoir en Colombie-Britannique avait fait cette promesse dans son programme électoral de 2001 préconisant une « ère nouvelle ». On ne mentionnait pas dans ce programme les raisons pour lesquelles on avait choisi cette option parmi toutes celles qui étaient disponibles, mais si je pouvais risquer une incursion en coulisses pour deviner leur mode de réflexion, je dirais, tout d'abord, qu'ils estimaient que la réforme du système électoral devait jouir d'une certaine légitimité; elle avait besoin de crédibilité. Les gens de la Colombie-Britannique et, d'une manière générale, l'ensemble des Canadiens, semblent avoir l'impression que les groupes de spécialistes sont très efficaces à bien des égards, mais ne sont pas nécessairement impartiaux lorsqu'ils sont nommés par les gouvernements pour étudier des questions très délicates du point de vue politique. La légitimité de la troisième option, celle du groupe de citoyens, ne fait aucun doute.
Je serais d'avis que pour ce qui est des questions constitutionnelles, même s'il s'agit de constitution avec un petit c plutôt qu'avec un grand C, le système électoral est certes un élément fondamental, tant pour le gouvernement fédéral que pour les provinces. Pour qu'un changement soit considéré légitime, je crois que le processus est aussi important que le résultat final. Autrement dit, les moyens utilisés pour parvenir aux résultats ont également leur importance.
À mon avis, le processus utilisé est l'une des raisons pour lesquelles l'accord de Charlottetown a été défait en référendum, malgré tout le travail accompli et tous les compromis consentis. Les gens y ont vu un mécanisme d'accommodement élitaire plutôt qu'une mobilisation plus générale de la population, en dépit des interventions en ce sens de Joe Clark et d'autres intéressés.
La deuxième option pour l'élaboration d'un processus de réforme électorale, soit le recours à un comité de législateurs ou de parlementaires, pose également un problème très grave, à savoir celui des conflits d'intérêts ou des perception en ce sens. Lorsque des politiciens discutent de la façon dont ils obtiendront un emploi ou le conserveront, soit du système électoral, il y a inévitablement conflit d'intérêts. Il n'y a rien que l'on puisse faire à ce sujet; c'est une réalité qui existe tout simplement. D'un point de vue strictement technique, il est tout à fait normal que les législateurs disposent de ce pouvoir et c'est la façon dont les réformes de ce type ont été effectuées dans le passé. Quant à savoir si cette méthode est toujours pertinente dans le Canada actuel, je n'en suis pas convaincu. Quoi qu'il en soit, l'assemblée législative a adopté à l'unanimité cette option, comme l'a indiqué Ken Carty, et sa confiance n'a pas été trahie. Cette méthode peut maintenant être considérée comme une option qui a fait ses preuves.
L'assemblée législative et le gouvernement ont posé un geste fondamental. Le concept de groupes de citoyens a été assorti de la garantie d'accès direct à la population. Autrement dit, cela signifie que leur recommandation, s'ils en arrivaient à recommander un changement, ce qui n'était absolument pas automatique, serait soumise directement, sans être diluée ni modifiée, à la population dans le cadre d'un référendum, pour autant que la proposition soit acceptée par un certain seuil de majorité. Si la recommandation de l'assemblée des citoyens est approuvée le 17 mai, le gouvernement en poste s'est engagé à la mettre en oeuvre s'il est réélu.
Ainsi, comme M. Carty l'a mentionné, les membres de l'assemblée et les citoyens de la province savaient dès le départ qu'il s'agissait d'un exercice très sérieux. Il n'était nullement question d'un projet purement théorique. L'assiduité et la diligence dont ont fait preuve les membres de l'assemblée pour accomplir leur travail en témoignent fort éloquemment.
Á (1130)
En ce qui concerne le rendement de l'assemblée, on peut dire qu'elle a bénéficié d'une très forte réputation de légitimité, de crédibilité et de représentativité tout au cours de l'initiative. Elle est parvenue à maintenir sans cesse l'intégrité du processus et sa transparence. Presque toutes les activités étaient publiques. Certains groupes de discussions se réunissaient en privé, mais toutes les séances plénières étaient publiques, tous les documents ont été rendus publics et ainsi de suite.
À mon avis, les règles ont leur importance quand vient le temps de concevoir ce genre de processus. La règle de l'assemblée en matière de prise de décisions était la majorité simple. De toute manière, la décision prise a été le fruit d'un consensus presque total. Lors du vote final comparant le scrutin à vote unique transférable au système uninominal majoritaire actuel, le nouveau système l'a emporté par 146 voix contre sept.
Quand on s'y arrête un peu, il s'agit là d'un niveau de consensus extraordinaire. Je me suis demandé si c'était le fruit du hasard ou un résultat habituel pour ce type de processus. Je pense que c'est un résultat auquel il faut s'attendre, si on procède de la façon dont l'a fait cette assemblée. Je ne saurais accorder trop de crédit au personnel de l'assemblée pour la manière dont il a géré le fonctionnement sans gérer d'aucune façon les résultats.
D'abord et avant tout, l'assemblée s'est entendue sur différents protocoles régissant les relations entre les membres. En bref, il a été convenu que chacun allait traiter les autres avec respect et qu'on allait discuter des idées et non des personnes. En second lieu, on a établi qu'il fallait dès le départ discuter des valeurs et des objectifs. On s'est ainsi efforcé de définir de quelle façon un système électoral devait pouvoir répondre aux besoins de la Colombie-Britannique en matière de politique publique. Troisièmement, les commentaires des spécialistes et du public ont été pris en compte. Enfin, on s'est engagé dans un processus décisionnel ordonné et consensuel qui accordait de façon claire et transparente une chance équitable à tous les systèmes.
Pour illustrer l'équité du processus, je peux vous dire que je me souviens très bien de la journée du vote final. M. Carty était l'un de ceux qui devaient de temps à autre fournir des explications sur les différents systèmes. Il a présenté une argumentation si convaincante en faveur du système actuel que je suis venu bien près de me lever de mon siège pour crier: « Oui, vous avez raison ». Je veux démontrer par là que tous les systèmes ont eu droit à un examen équitable.
Il reste une grande question en suspens. Qu'est-ce que la population va penser de tout cela? Nous aurons la réponse dans un peu plus de deux mois. On peut affirmer sans crainte que le processus a très bien fonctionné jusqu'à maintenant, mais il est bien certain que les politiciens doués de sens pratique attendront pour voir si le public valide son utilité. L'attente ne sera pas trop longue.
Permettez-moi quelques commentaires au sujet des utilisations possibles des assemblées de citoyens car on peut y avoir recours pour des questions autres que la réforme électorale et d'autres aspects de la réforme démocratique. Selon moi, il est essentiel que tout thème admissible revête une grande importance parce que ces assemblées ne sont pas une mince affaire. Elles coûtent cher et exigent beaucoup de temps. Elles ne devraient être utilisées que dans le cas des questions qui, pour une raison ou une autre, ne peuvent pas être résolues et réglementées par un mécanisme représentatif normal de la démocratie. C'est un rôle qui incombe aux parlements et aux assemblées législatives. Il n'est pas souhaitable d'outrepasser ces instances trop fréquemment.
Il existe d'autres contraintes théoriques, mais, pour les besoins de cet audience, la réforme électorale représente manifestement une utilisation appropriée de cette méthode. J'irais même plus loin en affirmant que maintenant que l'efficacité d'une telle assemblée a été démontrée, il faudrait considérer cette option comme la façon nettement la plus légitime d'aborder la réforme électorale.
Pour ce qui est des questions de conception, je serai bref, mais certains facteurs ne sont pas à négliger. Le mandat est essentiel; il doit être clair et limité et les sujets de controverse inutiles doivent être évités.
Par exemple, l'assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique n'a pas considéré des questions telles que le financement des campagnes, les sièges réservés aux femmes ou aux Autochtones, les limites des circonscriptions, le vote obligatoire, la taille du Parlement, etc. Toutes ces questions ne manquent pas d'intérêt et d'importance, mais elles ont été mises de côté en faveur d'un mandat unique et ciblé. Il sera toujours possible de les étudier suivant la méthode appropriée en temps opportun.
Certains contraintes en matière de résultats sont fondamentales. Selon moi, il est nécessaire qu'une assemblée en arrive à formuler une recommandation très détaillée. Certaines expériences vécues en Colombie-Britannique nous montrent bien les raisons pour lesquelles il faut imposer cette exigence.
Lors des élections de 1991, le bulletin de vote comportait deux questions référendaires où l'on demandait à la population si elle souhaitait que des lois sur les initiatives et les destitutions soient adoptées. Le oui l'a emporté avec un écrasant 83 p. 100, si je me souviens bien. Mais comme la question référendaire ne comportait aucune indication précise et visait simplement à savoir si les gens souhaitaient de telles mesures, les législateurs ont fait montre de très peu d'empressement. Les mesures qui ont été proposées en bout de ligne n'étaient pas applicables dans la pratique.
Á (1135)
Il est donc important que la recommandation formulée par une assemblée de citoyens soit bien précise. En outre, je pense qu'il convient de présenter aux électeurs un seul choix et non un éventail d'options.
La technique de sélection aléatoire a eu des résultats probants. Il existe bien sûr d'autres solutions, comme l'approche des états généraux déjà utilisée au Québec.
Un président et du personnel compétents et neutres sont essentiels; l'expérience de la Colombie-Britannique a permis d'élaborer un certain nombre de protocoles qui faciliteront la tâche aux assemblées futures qui n'auront qu'à s'y conformer.
Enfin, le lien avec un référendum constitue un facteur indispensable pour que l'assemblée soit prise au sérieux. Sinon, il ne s'agit que d'un grand groupe de discussions—sans plus—non seulement pour la population, mais surtout pour les participants eux-mêmes.
Est-ce que ce mécanisme pourrait être utilisé par le gouvernement fédéral? J'estime que oui, s'il existe une volonté en ce sens. Il faudrait toutefois apporter une modification importante aux règles applicables à la prise de décisions. Selon moi, une assemblée fédérale devrait, lorsqu'elle prend sa décision, obtenir une majorité suivant la formule « 7-50 » de l'amendement constitutionnel avec application de l'approbation par veto régional, tel qu'adopté par le Parlement en 1995. Ainsi, pour tout référendum découlant d'une recommandation d'une assemblée fédérale, il faudrait appliquer les mêmes seuils d'approbation constitutionnelle pour qu'une telle réforme soit considérée.
Est-ce le bon moment? Les activités de réforme électorale d'envergure entreprises dans les provinces reflètent l'esprit du siècle selon certains et devraient être reconnues et imitées par le Parlement fédéral. On soutient également que les contraintes régionales et les anomalies au titre de la représentation font en sorte qu'une réforme à l'échelle nationale est encore plus urgente que dans les provinces. L'argument contraire se fonde sur l'idée de « laboratoire du fédéralisme ». Il s'agit d'un changement très important; peut-être vaut-il mieux attendre et voir comment la réforme fonctionne dans d'autres parties de la fédération. C'est la décision politique que vous devrez prendre.
Il existe de nombreux aspects de la réforme démocratique que vous voudrez envisager en plus de la réforme électorale. On pense notamment à la réforme parlementaire, à la réforme du Sénat et au processus de nomination à la Cour suprême. Il faut évaluer toutes ces possibilités et décider d'un calendrier d'action.
Pour conclure, monsieur le président, je dirais qu'une assemblée des citoyens donne de bons résultats et que c'est la meilleure façon de procéder si vous décidez d'effectuer une réforme électorale.
Merci.
Á (1140)
Le président: Merci beaucoup, monsieur Gibson.
[Français]
Monsieur Reid, vous disposez de cinq minutes.
[Traduction]
M. Scott Reid (Lanark—Frontenac—Lennox and Addington, PCC): Un grand merci à vous deux. Votre enthousiasme est contagieux.
J'avais préparé toute une série de questions, mais je vais débuter par une interrogation qui fait suite à l'un des tout derniers commentaires que vous avez faits, monsieur Gibson, concernant l'adoption d'une forme quelconque de veto régional, tant pour le référendum que pour l'assemblée des citoyens elle-même, je présume, relativement aux décisions prises.
S'il existe une si grande différence entre les discussions à ce sujet à l'intérieur d'une province, même s'il s'agit d'une très grande province comme la Colombie-Britannique, et celles tenues pour l'ensemble d'un pays comme le Canada, c'est notamment parce que tout le monde accepte comme règle générale qu'il n'est pas question d'un seul système pouvant s'appliquer dans tout le pays. Ainsi, il n'y aura jamais de député élu partiellement à l'Île-du-Prince-Édouard et partiellement au Nouveau-Brunswick; nous représenterons toujours une seule province. Cela soulève une possibilité dont certains pays se sont prévalus pour leur Chambre haute. Par exemple, c'est toujours le cas en Suisse, où chaque province, ou plutôt chaque canton dans leur cas, peut avoir un système différent.
Je me demande donc, en considérant l'exemple de l'Île-du-Prince-Édouard qui est dans une situation si différente du point de vue électoral, avec seulement quatre députés, par rapport à des grandes provinces comme l'Ontario ou le Québec—où l'on peut adopter un système davantage proportionnel—s'il ne devrait pas exister une certaine marge de manoeuvre permettant une réforme électorale dans une ou plusieurs provinces, même si certaines d'entre elles préfèrent s'en tenir à une version plus proche du statu quo? Est-il nécessaire que toutes les provinces utilisent un seul et même système pour élire leurs députés?
M. Gordon Gibson: S'il s'agit d'une question d'ordre constitutionnel, je ne suis pas certain. Cela relève davantage de votre compétence que de la mienne.
D'un point de vue pratique, je m'inquiéterais du risque qu'on en vienne à considérer qu'il existe différentes classes de députés.
Ken, peut-être connaissez-vous des pays qui fonctionnent de cette façon.
M. Ken Carty: Il n'y en a aucun qui me vienne à l'esprit.
Il existe effectivement des exemples de ce genre, des chambres hautes notamment. L'assemblée a d'ailleurs reçu des propositions en ce sens, c'est-à-dire que différentes parties de la province puissent utiliser des systèmes différents, et certains sont même allés jusqu'à proposer des modèles différents pour les régions rurales et les régions urbaines et des formules de ce genre. Je ne pense pas que les propositions de ce genre ont été bien accueillies par les membres de l'assemblée.
Selon moi, notre fédération est déjà soumise à suffisamment de contraintes; ce ne serait probablement pas une bonne chose que les membres de notre Parlement national soient élus suivant des principes pouvant différer grandement. Dans l'état actuel des choses, le nombre de Canadiens représentés par les différents députés peut varier considérablement en raison de la Constitution, ce qui est certes un sujet de mécontentement pour certaines personnes. J'ai fait partie de la Commission de délimitation des circonscriptions fédérales en Colombie-Britannique et nous avons entendu sans cesse des gens nous dire à quel point il était inéquitable que les districts ruraux de la province doivent être aussi étendus alors que même les districts urbains de l'Île-du-Prince-Édouard sont si petits. Ces phénomènes n'échappent pas aux gens. Vaudrait mieux y réfléchir à deux fois avant d'emprunter l'avenue du recours à différents types de systèmes.
M. Scott Reid: C'est une bonne réponse. Cela répond sans doute à la question et je serais enclin à penser un peu de la même façon. Avant le remaniement de la carte électorale, je représentais une circonscription qui était plus étendue que l'Île-du-Prince-Édouard et comptait une population plus élevée que cette province qui a pourtant droit à quatre députés en plus de quatre sénateurs. Les citoyens de Lanark—Carleton devaient se contenter de moi.
M. Jay Hill (Prince George—Peace River, PCC): Ils en sont sortis gagnants.
M. Scott Reid: Tout à fait.
Vous avez indiqué que le budget prévu pour l'exercice a été respecté. Pourriez-vous d'abord nous dire quel était ce budget? Je ne sais pas si vous avez réfléchi à la question, mais de quel budget aurions-nous réalistement besoin à l'échelle nationale afin de tenir suffisamment de réunions pour créer une véritable dynamique de groupe, compte tenu de la nécessité de faire déplacer des gens sur de longues distances? On peut présumer qu'il faudrait recruter un nombre considérable de participants. Je ne sais pas si vous vous êtes penché sur cet aspect. Y aurait-il un représentant par circonscription? Pour ce qui est des problèmes associés à la nécessité de regrouper des gens provenant d'un si vaste territoire... je vous demanderais simplement comment les gens ont réagi de façon générale.
Á (1145)
M. Ken Carty: Le budget était de 5,5 millions de dollars pour l'ensemble de l'exercice tenu en Colombie-Britannique. Nous avons dépensé un peu moins que cela, même si nous avons utilisé une partie de ces fonds pour distribuer le rapport dans tous les foyers de la province afin de nous assurer que tous y aient accès.
Les participants de l'assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique ont dû se réunir pendant plusieurs week-ends. À toutes les deux fins de semaine, ils se regroupaient à Vancouver pour toute la journée du samedi et une partie de celle du dimanche.
Je ne sais pas si une telle initiative serait réalisable à l'échelle nationale. Je crois qu'il faudrait procéder de façon passablement différente. Il faudrait notamment fonctionner tout au moins dans les deux langues officielles. Cela dépendrait de l'endroit des délibérations. Une des possibilités serait de tenir des assemblées régionales qui aboutiraient à une assemblée nationale. C'est une question qui mérite réflexion. Les questions d'ordre linguistique et géographique changeraient beaucoup de choses au chapitre de l'organisation et j'estime que ce serait une tâche plutôt complexe.
Je ne sais pas si vous vous êtes intéressé à la question, Gordon.
M. Gordon Gibson: J'y ai réfléchi un peu et j'aurais des recommandations légèrement différentes. Je ne serais pas favorable à la tenue d'assemblées régionales menant à une assemblée nationale parce qu'une telle formule serait propice au développement de points de vue opposés. Au sein de l'assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique, d'importants moyens organisationnels ont été mis en oeuvre, notamment une rotation des membres des groupes de discussion, pour essayer d'éviter la création précoce de cliques ou de groupes d'intérêts.
Si nous procédons à cet exercice à l'échelle nationale, je crois qu'il serait préférable de suivre le modèle de la Colombie-Britannique qui a réuni tous les participants pour la période d'apprentissage dont M. Carty nous a parlé. Combien de participants faudrait-il? Le nombre de 160 a semblé donner de bons résultats en Colombie-Britannique. Si on veut en arriver au même chiffre à l'échelon fédéral, je suppose qu'il faudrait diviser le pays en blocs de quatre circonscriptions et choisir un homme et une femme dans chacun de ces blocs. Ce serait une façon de procéder. Il est aussi possible de sélectionner une personne dans chaque circonscription. Plus de 300 membres dans une assemblée, ça commence à faire beaucoup, si vous voulez mon avis, mais il faudrait que j'examine la question de plus près.
Pour ce qui est des coûts, je ne me risquerais même pas à hasarder un chiffre, mais je me contenterais de dire que peu importe le montant à investir, cela ne devrait pas causer de problème compte tenu de l'importance du sujet en question.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Guimond.
[Français]
M. Michel Guimond (Montmorency—Charlevoix—Haute-Côte-Nord, BQ): Merci, monsieur le président.
Messieurs, merci d'être ici présents ce matin. Mes questions s'adressent davantage à M. Gibson.
La dernière fois que je vous ai rencontré, c'était en 1996 ou 1997, à l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique, où j'étais allé en délégation avec le Comité permanent des comptes publics. Vous étiez le leader parlementaire de votre parti, le whip de votre parti et le président du caucus de votre parti. Je crois que ces années-là, vous étiez le seul représentant de votre parti à l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique. J'avais apprécié les discussions que nous avions eues. Vous avez la réputation de bien connaître le Québec. Je vais vous adresser immédiatement mes questions afin de vous donner plus de temps pour y répondre.
Vous avez parlé des trois méthodes générales pour effectuer des consultations. Vous avez parlé de groupes de spécialistes et vous avez fait allusion à l'expérience du Québec. Pensiez-vous, entre autres, à la Commission Bélanger-Campeau, qui avait été instituée par le premier ministre Bourassa en 1990-1991, ou encore aux commissions régionales sur la souveraineté qui avaient été mises sur pied par le premier ministre Parizeau avant le référendum de 1995? J'aimerais savoir à quoi vous faisiez allusion particulièrement lorsque vous avez parlé de l'expérience québécoise.
Deuxièmement, vous avez parlé de la méthode des comités parlementaires, que vous ne privilégiez pas. Soit dit en passant, je suis d'accord avec vous à ce sujet. Dans vos notes, vous avez écrit que certains pays ont eu recours à des comités mixtes de parlementaires. Pourriez-vous nous donner des exemples de pays?
Troisièmement, M. Campbell, du Parti libéral—je crois que c'est le Parti libéral qui est au pouvoir en Colombie-Britannique—, s'était engagé, lors de la campagne électorale de 2001 en Colombie-Britannique, à nommer une assemblée de citoyens. Certains éléments ont pu m'échapper. Néanmoins, quels étaient les critères de nomination? Plus loin dans votre texte, vous dites que si on choisit cette option, que vous privilégiez, il devrait y avoir sélection aléatoire. J'aimerais que vous nous donniez plus de détails.
Ma dernière question n'est pas pertinente à notre mandat, mais je l'ai déjà posée à quelques reprises. Est-ce qu'il a été question du vote à 16 ans? Peut-être que M. Carty pourrait répondre à cette question. On a envisagé de changer le mode de scrutin, mais a-t-on aussi envisagé d'abaisser à 16 ou 17 ans l'âge à partir duquel on peut voter?
Á (1150)
[Traduction]
M. Gordon Gibson: Merci.
C'est en 1976 que j'étais leader, whip, stratège en chef, etc. pour mon parti, parce que j'étais le seul membre du caucus. En 1996, je n'étais plus là.
Pour ce qui est de l'expérience québécoise, je faisais allusion à l'exercice qui vient tout juste de se dérouler aux fins duquel M. Massicotte et ses collègues ont agi comme conseillers experts auprès du bureau de M. Dupuis. Je ne pensais pas à la commission Bélanger-Campeau. La commission Béland et les États généraux pourraient servir de modèles partiels, mais, pour une raison ou pour une autre, ces exercices ont eu lieu dans un climat de précipitation juste avant des élections, comme vous vous en souviendrez.
Quant aux recours à un comité mixte parlementaires et de spécialistes, je peux vous citer un exemple ici même au Canada. Vous vous rappellerez peut-être du comité Fox—Wally Fox au Manitoba—qui s'est penché sur le processus constitutionnel au début des années 90.
Le mode de nomination des membres de l'assemblée est une question très importante. Pourquoi ont-ils été sélectionnés de façon aléatoire? L'autre manière possible de choisir les membres d'une assemblée des citoyens aurait été de les élire. On a procédé de cette façon pour ce qu'on a appelé des assemblées constituantes chargées d'élaborer une constitution dans d'autres régions du monde. Je crois pouvoir affirmer que le gouvernement avait l'esprit ouvert à ce sujet bien qu'il avait une certaine préférence pour la sélection aléatoire. Après avoir discuté de la question, il est devenu très clair que c'était l'option à privilégier, du moins en Colombie-Britannique.
La Colombie-Britannique est une province fortement polarisée—l'esprit de partisanerie politique est très développé. Je pense que si une élection avait été organisée pour choisir les membres de l'assemblée des citoyens, cette élection serait rapidement devenue un référendum portant sur le gouvernement en place, où on se serait demandé si les futurs membres possibles étaient néodémocrates ou libéraux. Un grand nombre d'aspects partisans seraient entrés en jeu, alors même que l'assemblée souhaitait être un organisme objectif et non partisan, ce qui fait que la sélection aléatoire était l'option qui s'imposait.
Je crois que votre dernière question s'adressait à Ken.
M. Ken Carty: Votre question portait sur l'âge électoral. Il n'y a eu aucune discussion à ce sujet; cela ne faisait pas partie du mandat de l'assemblée. Par ailleurs, lors des discussions de l'assemblée et dans toutes les audiences publiques, de nombreuses préoccupations ont été soulevées quant à la réduction de la participation électorale. C'est un phénomène qui inquiète beaucoup les Canadiens et il est arrivé fréquemment que des membres de l'assemblée demandent aux gens présents à ces audiences ce qu'ils pensaient du vote obligatoire, comme c'est le cas en Australie. Je ne sais pas si une cinquantaine d'audiences publiques suffisent pour dégager une tendance, mais je peux vous dire que les gens ne semblent pas favorables du tout à ce concept de vote obligatoire.
Le président: Merci beaucoup.
Maintenant, monsieur Broadbent.
L'hon. Ed Broadbent (Ottawa-Centre, NPD): Merci, monsieur le président.
Comme nos deux témoins d'aujourd'hui le savent bien, à l'origine, j'étais largement favorable à l'ensemble de l'exercice tenu en Colombie-Britannique. Mon opinion a depuis évolué de telle sorte que j'ai maintenant certaines réserves très sérieuses; j'aimerais que vous me répondiez à ce sujet et peut-être parviendrez-vous à me convaincre de revenir à mes idées premières.
Monsieur Carty, vous avez mentionné, par exemple, que la réussite du processus pouvait s'expliquer notamment par le fait que les membres étaient « libres de toute attache ». Je vais vous faire part de mes commentaires à ce sujet et j'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez par la suite.
D'abord et avant tout, personne n'est vraiment libre de toute attache. Nous arrivons chargés d'un bagage complet de valeurs, et même si nous n'avons jamais été membres actifs d'un parti politique, nous avons tous grandi au sein d'une famille, et si l'on s'intéresse aux tendances électorales normales, nous constatons que nos tendances politiques nous sont, comme bien d'autres, insufflées en même temps que le lait maternel. Aucun de nous n'est libre de toute attache.
Deuxièmement, je m'inquiète particulièrement du fait, et cela va à l'encontre de mon point de vue du départ alors que j'y voyais un avantage, que les personnes ayant une expérience politique sont exclues de l'assemblée des citoyens. Non seulement les politiciens actifs ont-ils été mis de côté, mais ce fut également le cas, si je ne m'abuse, de ceux qui avaient eu une expérience de politique active depuis les deux élections précédentes. Il me semble que c'est un peu comme si on voulait concevoir un système de santé sans demander l'avis des médecins et des infirmiers et infirmières, ce qui serait une erreur grave. Je pense donc que l'on a également fait erreur dans le cas qui nous intéresse et j'aimerais connaître votre point de vue à ce sujet.
J'estime que ce que vous considérez être un avantage essentiel, et c'était mon opinion également au départ, est en fait un défaut majeur car cette assemblée ne va pas seulement exprimer une opinion sur des valeurs qu'elle souhaite voir refléter dans un système électoral, mais va concrètement proposer un système électoral détaillé. L'absence d'hommes et de femmes ayant déjà participé à ce processus politique est un sérieux handicap pour la conception d'un tel système.
Il n'existe aucun précédent en la matière nulle part dans le monde. Il fut un temps où je considérais également que c'était l'un des avantages du processus mis de l'avant en Colombie-Britannique. Nous avons entendu d'autres témoins nous dire hier qu'en Europe, en Asie et ailleurs, à peu près 90 p. 100 des réformes effectuées dans les démocraties modernes ont été entreprises par les assemblées législatives, et non pas par une assemblée de citoyens. Quelqu'un a dit que cela n'était pas le fruit du hasard, parce que les membres des assemblées législatives connaissent vraiment le processus politique—le rôle des partis politiques et le fonctionnement des institutions.
C'est un peu long comme observation; j'aimerais maintenant connaître votre point de vue à tous les deux, parce que vous avez contribué de près au processus.
Á (1155)
M. Ken Carty: C'est très bien, monsieur Broadbent.
J'ai dit que ces personnes sont libres de toute attache, mais il est bien évident qu'elles amènent avec elles leurs propres valeurs et leur expérience du monde en tant qu'électeurs et que citoyens. D'une certaine façon, je voulais dire que ces personnes ne se présentaient pas en tant que représentants de groupes d'intérêts particuliers ayant le mandat de défendre lesdits intérêts. Nous savons que ce sont généralement ces représentants qui s'expriment dans la plupart des exercices de consultation publique. Les gens représentent tel ou tel groupe; ils ont une ligne de pensée à défendre et n'en dérogent pas. À certains égards, les membres de l'assemblée des citoyens étaient disposés à se laisser convaincre, ce qui a grandement distingué ce processus.
Pour ce qui est de la comparaison avec la conception d'un système de santé sans consulter les médecins... sans faire de commentaires sur l'état actuel du système de santé, je suppose que nous pourrions renverser l'analogie en disant qu'il s'agissait de concevoir un système de santé en consultant les patients. Je ne veux pas jouer avec...
L'hon. Ed Broadbent: Mais c'est une question d'exclusion. On a exclu un groupe.
M. Ken Carty: Oui, je comprends bien cela, mais nous devrions éviter d'aller trop loin dans nos métaphores. Les politiciens ont été exclus en vertu des règles établies, lesquelles ont été imposées à l'assemblée. M. Gibson pourrait vous en parler. Je suppose que cela relève en partie d'une décision gouvernementale découlant de la crainte des conflits d'intérêt dont il nous a glissé mot.
Il est certain que des gens ayant fait de la politique active antérieurement aux deux élections précédentes ont pu être sélectionnés. Les politiciens avaient la possibilité de soumettre des mémoires. Une ou deux personnes qui avaient déjà été actives sur le plan politique l'ont fait; la plupart ne se sont pas prévalues de cette possibilité. Ils auraient pu participer aux audiences publiques tenues dans leurs collectivités respectives. Je ne me souviens pas qu'un politicien actuel ou ancien l'ait fait.
Lorsque l'assemblée a décidé qu'elle souhaitait entendre un représentant lui parler de chacun des systèmes existants, elle a invité un ancien ministre du gouvernement de Bill Bennett à venir l'entretenir des avantages du système actuel. Ce ministre, l'un des plus puissants de ce gouvernement pendant de nombreuses années, a répondu à l'invitation et est venu leur parler.
En supposant qu'une assemblée de cette taille aurait compté quatre ou cinq personnes qui étaient membres de l'assemblée législative, j'estime qu'il est à peu près certain que ces personnes auraient fini par dominer facilement les débats. Elles n'auraient eu qu'à dire: nous le savons, nous l'avons vécu et c'est comme ça que les choses se passent dans la réalité. D'une certaine manière, les simples citoyens ont tendance à s'incliner devant les personnes qu'ils ont élues dans ce genre de débat.
Je pense qu'une telle situation aurait été difficile à gérer. Mais peut-être que la taille du groupe aurait permis d'éviter le problème. Il n'était pas vraiment possible de diriger ces 160 personnes.
 (1200)
Le président: Nous devons passer à la prochaine intervention et peut-être pourrons-nous revenir à vous par la suite, monsieur Broadbent.
Madame Boivin, s'il vous plaît.
[Français]
Mme Françoise Boivin (Gatineau, Lib.): Merci d'être présents. Je trouve cela intéressant.
J'aimerais vous entendre sur l'objectif visé lors de la création de cette assemblée de citoyens. Si j'ai bien compris, c'était une promesse électorale. J'approuve la participation des citoyens au processus, mais je m'inquiète lorsque, dans votre document, monsieur Gibson, vous dites ceci:
Le mandat est essentiel; il doit être clair etlimité. Les sujets inutiles sont à éviter. Parexemple, l’Assemblée de la Colombie-Britannique n’a pas examiné des questions telles que le financement des campagnes, leslimites des circonscriptions, les sièges réservésaux femmes et aux Autochtones, le voteobligatoire, la taille du Parlement, etc. |
À mon avis, lorsqu'on décide d'un système électoral à venir, on ne doit pas évacuer des questions aussi importantes que celles-là. Est-ce que cela ne fausse pas un peu les données, en ce sens qu'on se limite à présenter divers systèmes électoraux possibles et à demander aux gens de voter en faveur de celui qui leur plaît? Lorsque je regarde les deux options qui étaient en lice pour remplacer le système actuel, et celui qui l'a emporté, je me pose une question. Je ne sais pas si les citoyens participants se la sont posée aussi. Avez-vous l'impression que cela va régler le problème que l'on vit, tant en Colombie-Britannique qu'au Québec ou ailleurs au Canada, à savoir cette espèce de désengagement des citoyens vis-à-vis de la classe politique? Les citoyens se sentent très loin de leurs politiciens. Ils ont l'impression que leur vote n'a pas d'importance, etc. Avez-vous l'impression que le système retenu et la méthode utilisée répondent à toutes ces questions? J'ai pour ma part de sérieux doutes.
[Traduction]
M. Gordon Gibson: Si j'ai bien compris, vous posez trois questions principales.
Tout d'abord, qu'est-ce qui a mené à la création de l'assemblée? Il faudrait que je puisse lire dans les pensées du premier ministre Campbell pour pouvoir vous répondre avec certitude. Il est cependant bien clair que nous avons eu, en 1996, une élection au cours de laquelle le Parti libéral a obtenu davantage de votes que les néo-démocrates pour se retrouver avec beaucoup moins de sièges. Bien évidemment, c'est un résultat qui marque l'esprit d'un politicien. En 2001, le Parti libéral a obtenu environ 58 p. 100 des voix, mais quelque 97 p. 100 des sièges. Ce résultat-là a marqué l'esprit de toute la population de la province.
En Colombie-Britannique, des mouvements en faveur de différents types de réforme démocratique se faisaient déjà sentir depuis quelques années; c'est donc une idée qui était sur la table au cours des années 90. Il semble bien que M. Campbell l'ait fait sienne aux environs de 1998 lorsqu'elle est apparue dans le programme de son parti.
Votre deuxième question, maintenant. Pourquoi exclure des questions importantes comme le financement des campagnes, notamment?
Mme Françoise Boivin: Considérez-vous que ces questions sont importantes? Dans la traduction, on dit bien « sujets inutiles ».
M. Gordon Gibson: Oh non, je les considère certes comme des questions très importantes.
Leur exclusion s'explique par deux raisons. Premièrement, c'est la toute première fois qu'on utilisait un tel mécanisme, du moins si l'on ne remonte pas plus loin que les calendes grecques. Nous ne savions donc pas exactement comment cela allait fonctionner et nous avons jugé préférable de ne pas surcharger cette assemblée avec trop de dossiers de manière à garder son travail aussi simple que possible.
Deuxièmement, il y avait aussi un risque de mettre en péril la possibilité d'obtenir une réforme en y adjoignant un sujet non essentiel. Par exemple, si l'assemblée avait eu le pouvoir et la possibilité de recommander un accroissement de la taille de l'assemblée législative—ce qui aurait pu leur faciliter la tâche à certains égards—je suis à peu près convaincu que cette option aurait été totalement rejetée lors du référendum. Les gens auraient dit qu'il y a déjà suffisamment de politiciens.
 (1205)
Mme Françoise Boivin: Vous êtes donc persuadé que la solution proposée permettra de régler le problème?
[Français]
Le président: Vous allez devoir vous arrêter là, madame Boivin. Je vais permettre à M. Gibson de vous répondre, puis ce sera tout.
[Traduction]
Vous pouvez répondre.
M. Gordon Gibson: Est-ce que le système réglera le problème? Je m'en remets à l'expertise de mon collègue en sciences politiques.
M. Ken Carty: Je pense que les membres sont d'avis que c'est la solution la plus appropriée pour régler les problèmes tels qu'ils les ont définis—offrir davantage de choix aux électeurs, responsabiliser davantage les politiciens en raison du vote transférable dans des districts plurinominaux et offrir un scrutin proportionnel. Ils ont défini comme suit les problèmes du système électoral en place: les bulletins de vote ne leur offraient pas le genre de choix dont ils souhaitaient disposer; les résultats ne correspondaient pas à la façon dont ils votaient; et ils voulaient des liens plus étroits avec les politiciens qu'ils élisaient en tant que représentants locaux. Ils ont jugé que le système proposé était celui qui convenait le mieux pour régler ces trois problèmes.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Hill.
M. Jay Hill: Merci, monsieur le président. Je vous prie d'excuser mon retard, messieurs. Bienvenue au comité.
J'aimerais faire une observation avant de vous poser quelques questions. Mon commentaire nous ramène aux questions de M. Reid concernant la possibilité ou la faisabilité d'avoir des systèmes électoraux différents dans certains secteurs, certaines régions ou certaines provinces du pays en raison des anomalies liées à la représentation. À cet égard, nous connaissons tous le cas de l'Île-du-Prince-Édouard. Il devrait exister une façon de régler la question, si nous souhaitons apporter des changements constitutionnels. Je ne crois donc pas que le statu quo soit acceptable dans ce contexte. J'estime que nous devons aborder la situation sous un angle plus général.
Monsieur Gibson, j'ai trouvé intéressante votre remarque à l'encontre d'une telle possibilité parce que cela créerait des classes différentes de députés. Je crois bien que c'est l'expression que vous avez utilisée. Je peux bien vous le dire tout de suite : en faisant le tour de ma très grande circonscription de Prince George-Peace River, qui occupe toute la partie nord-est de la Colombie-Britannique, je n'ai pas trouvé beaucoup de partisans de cette proposition, si ce n'est les gens qui étaient membres de l'assemblée et quelques-uns des membres de leur famille.
Cela s'explique notamment par sa complexité, par le fait qu'elle soit si difficile à expliquer. J'ai parlé à des gens qui, comme je l'ai moi-même fait, ont pris le temps de lire les documents que vous avez distribués, et ils avaient de la difficulté à comprendre où nous voulions en venir exactement et quel était l'objectif visé en bout de ligne. C'est lorsque vous commencez à parler de districts plurinominaux que vous les perdez. Comment est-il possible de ne pas créer différentes classes de députés provinciaux lorsque nos grands districts ruraux en comptent deux, alors qu'un district urbain en a sept? C'est ce genre de situation qui leur pose problème. Pour l'instant, que vous le vouliez ou non, ils considèrent que le système est inéquitable.
Pourquoi donc, en guise de première étape, l'assemblée ne recommanderait-elle pas un vote unique transférable, adjoint au système actuel, pour permettre à la population d'apprivoiser le changement? Deuxièmement, concernant ce système de districts plurinominaux, pourriez-vous nous expliquer de quelle manière cela n'entraînerait pas, tout au moins, un risque de créer des classes différentes de députés provinciaux—et de députés fédéraux également?
M. Ken Carty: J'aimerais tout d'abord préciser qu'il y a eu pendant longtemps des districts plurinominaux en Colombie-Britannique. De fait, j'ai été membre de la commission Fisher qui les a abolis et ce n'est qu'au début des années 90 qu'ils ont disparu de la carte électorale de la Colombie-Britannique.
Quant à savoir si les députés seraient de classe différente, il est impossible d'avoir des résultats proportionnels sans une forme quelconque de districts plurinominaux.
Le président: Ce ne sont pas des questions faciles, messieurs.
 (1210)
M. Jay Hill: Pourquoi?
M. Ken Carty: Parce que dans un district uninominal, seul un parti peut l'emporter. Qu'il obtienne 5 p. 100 ou bien 95 p. 100 des voix, c'est celui qui en a le plus qui se retrouve avec 100 p. 100 des sièges. Si ces sièges doivent être partagés de façon proportionnelle, il faut un système où plus d'une personne est élue dans chaque district. Ces districts peuvent s'étendre sur toute la superficie d'un pays. En Israël et aux Pays-Bas, par exemple, l'ensemble du pays ne forme qu'un seul et même district. Il peut aussi s'agir de districts régionaux ou de divisions plus petites.
Je crois que l'assemblée s'est intéressée au système de vote unique transférable parce qu'il permet la création de districts de taille relativement modeste, avec une certaine marge de manoeuvre permettant de former des districts un peu plus grands dans les régions urbaines pour ce qui est du nombre de députés, mais pas de la superficie. On pourrait également s'en tenir à une taille un peu plus raisonnable pour les districts ruraux, qui se rapprocheraient ainsi à ce chapitre des circonscriptions fédérales. D'une certaine manière, l'assemblée voulait également éviter le système à « deux classes de députés » qui risquait fort de s'installer si elle optait pour l'autre type de système proportionnel qui était populaire, celui qu'on appelle le système mixte proportionnel, parce que certains députés seraient alors élus à partir des listes des partis et que d'autres seraient élus directement dans les circonscriptions. Les membres de l'assemblée ont indiqué que cette option ne leur plaisait pas. En fait, je crois que ce sont les membres du nord de la province qui se sont opposés avec le plus de vigueur à cette possibilité, parce que cela aurait réduit encore davantage le nombre de districts dans cette partie de la Colombie-Britannique.
Les membres de l'assemblée ont tranché en faveur du vote unique transférable parce qu'ils estimaient que cela leur assurait un lien plus étroit avec leurs députés. En fait, dans un district comptant quatre députés, par exemple, un parti obtenant la moitié des voix va hériter de deux des quatre sièges, mais il est fort possible qu'il ait désigné trois ou quatre candidats. En pareil cas, ce sont les électeurs qui, d'une certaine façon, vont décider lesquels des candidats de ce parti ils veulent avoir comme députés. Ainsi, les candidats en question devront se montrer plus attentifs aux préoccupations et aux besoins de leurs commettants, comme l'expérience nous l'a démontré dans d'autres cas. Les électeurs auront à faire un plus grand nombre de choix de ce type.
Dans le système actuel, si vous favorisez le candidat d'un parti, mais préférez un autre parti, vous devez choisir entre les deux. Le système proposé permet aux électeurs d'indiquer leur préférence première, mais aussi leur second choix, s'ils estiment qu'une autre personne peut également faire un bon travail. À l'heure actuelle, si leur premier choix n'est pas élu, on leur dit : tant pis pour vous, vous devrez attendre quatre ans pour faire valoir votre second choix. Je crois que c'est la principale raison pour laquelle les membres de l'assemblée ont opté pour ce système. C'est la façon dont j'ai interprété leurs délibérations.
Le président: Monsieur Gibson, vouliez-vous ajouter quelque chose?
M. Gordon Gibson: Non, merci, monsieur le président.
Le président: J'aurais moi-même une question. Je ne sais pas si cela faisait partie de votre mandat. Quoi qu'il en soit, avez-vous déjà songé à la possibilité d'aborder cette réforme démocratique en officialisant le processus de mise en candidature des partis, de manière à assurer le respect de la démocratie à partir de la base? On pourrait assimiler cela à une forme d'élections primaires comme il en existe ailleurs, sachant bien qu'il y a environ un million de façons différentes de procéder à cet égard dans les 50 États américains. Chacun a sa propre manière ou du moins, il n'y en a pas beaucoup qui procèdent de la même façon. À l'intérieur du même pays, on retrouve différentes formes de processus officiels, quasi-officiels et non officiels à cette fin.
Est-ce que cette possibilité a été abordée? Devrait-elle être envisagée?
M. Ken Carty: Il y a eu de nombreuses discussions à ce sujet. Comme vous le savez probablement, monsieur le président, la Commission sur la démocratie législative du Nouveau-Brunswick a formulé plusieurs recommandations très détaillées précisément à cet effet parce qu'elle estimait que c'était une partie importante du processus.
Les membres de l'assemblée voyaient notamment comme avantage au vote unique transférable qu'il allait assortir aux élections principales une certaine forme de scrutin primaire, parce que les électeurs pourraient choisir entre les différents candidats proposés par un parti. Ce serait une façon de faire participer les électeurs à ce stade du processus démocratique.
Lors des délibérations concernant les systèmes mixtes proportionnels, qui prévoyaient l'établissement d'une liste de parti, l'un des éléments qui déplaisaient certes aux électeurs était le fait que ces listes seraient dressées souvent de la même manière qui est utilisée pour certaines mises en candidature des partis : en coulisses, selon les choix des leaders, etc. J'estime donc que beaucoup de gens sont intéressés à voir ce processus s'ouvrir davantage de telle sorte que la population puisse y contribuer d'une manière ou d'une autre, mais cela concernait le fonctionnement interne des partis, ce qui fait qu'on a pas abordé directement cette question qui ne relevait pas du mandat de l'assemblée. Je crois tout de même que certains membres de l'assemblée—et ils n'ont pas manqué de le faire savoir dans leurs discussions—y voyait l'un des avantages du système de vote unique transférable car cela contribue à intégrer cette étape du processus.
Le président: Monsieur Gibson, avez-vous des opinions à ce sujet?
M. Gordon Gibson: D'un point de vue purement philosophique, je me dois d'être d'accord avec les inférences de votre question, à savoir que les opérations internes des partis politiques sont extrêmement importantes et devraient être examinées avec grande minutie dans toute démarche de réforme démocratique.
Le président: Si j'ai posé la question, c'est parce que j'estime qu'il ne fait aucun doute que les députés se présentant sous la bannière d'un parti ont la faveur des électeurs. C'est pour ces députés qu'ils votent à chaque élection. Des 308 candidats élus aux dernières élections, un seul était indépendant. On peut tout au moins affirmer que c'est un type de député qui intéresse les électeurs. Si nous examinons le processus sans tenir compte du choix des candidats par les partis, servons-nous bien les intérêts de l'exercice dans son ensemble? Si je vous ai bien compris, vous croyez que non et que nous devrions nous intéresser à cette étape.
 (1215)
M. Gordon Gibson: Par ailleurs, pour reprendre la réponse de M. Carty, le système de vote unique transférable entraîne, du moins partiellement, un transfert à la population d'une portion des pouvoirs décisionnels des partis en matière de politique, à l'instar du système des élections primaires aux États-Unis. À mon avis, cela permet de répondre en partie à cette préoccupation.
Le président: Merci.
Monsieur Reid, c'est de nouveau à vous. Je crois que vous vouliez poser d'autres questions.
M. Scott Reid: Oui, merci.
J'aimerais revenir à un commentaire que vous avez fait, monsieur Carty. Vous avez dit que le vote proportionnel n'était possible que dans les districts plurinominaux. Certains des problèmes les plus flagrants qui se produisent... et j'ai bénéficié de l'une de ces situations. En 2000, j'ai été élu en Ontario avec 38 p. 100 des voix. Mon adversaire libéral avait obtenu 36 p. 100 des votes, ce qui fait que je me suis retrouvé député alors même que plus de 60 p. 100 des électeurs avaient voté pour quelqu'un d'autre.
Les problèmes de ce genre peuvent être réglés sans recourir aux districts plurinominaux si vous adoptez le système utilisé par la chambre basse australienne. En Australie, la Chambre des représentants est bien sûr formée à partir de districts uninominaux. Les différents députés sont élus au moyen d'un système de vote préférentiel. Dès qu'un candidat est éliminé du scrutin, les votes sont redistribués jusqu'à ce qu'une personne obtienne plus de 50 p. 100 des suffrages. À partir de ce moment-là, les calculs s'arrêtent.
Dans la même circonscription, j'ai été mis en candidature au moyen d'un tel système. Alors que je me situais à l'une des extrémités du spectre des candidats pour les élections elles-mêmes, j'étais le candidat du centre au moment de la mise en candidature, et c'est pour cette raison que je l'ai emporté. J'étais le candidat le moins dangereux pour le plus grand nombre de gens. J'ai depuis consolidé cette réputation en Chambre où je me montre plutôt inoffensif.
Le président: Tout à fait inoffensif.
M. Scott Reid: Il me semble que c'est là une solution qui pourrait tout au moins régler partiellement le problème. Il y a deux points que j'aimerais soulever. Si le Canada devait opter, suivant la recommandation de la Commission de réforme du droit, pour un système où les députés seraient élus dans des districts uninominaux avant que des réaménagements soient effectués pour assurer la proportionnalité au moyen de candidats provenant de listes, il est encore question de système majoritaire uninominal, plutôt que d'une forme quelconque de liste où l'on indique ses préférences. Cela m'apparaît problématique. En outre, peu importe le système que nous adoptons au Canada, il y aura au moins trois districts dans nos trois territoires qui seront uninominaux. À la lumière de toutes ces observations, j'aimerais obtenir vos commentaires sur un système dont on a à peu près pas parlé dans le débat jusqu'à maintenant, soit le système uninominal utilisé pour la chambre basse australienne.
M. Ken Carty: Bien évidemment, nous connaissons bien ce système parce qu'il était en usage en Colombie-Britannique en 1952 et en 1953 et cela nous a donné un demi-siècle de pouvoir pour le Crédit Social.
M. Scott Reid: Il faut bien dire qu'il y a eu des élections après 1952 et 1953.
M. Ken Carty: Et on a eu tôt fait de revenir à l'ancienne méthode. Il s'agit essentiellement d'un système fondé sur la majorité dont les principes fondamentaux, pour ce qui est de la répartition des résultats, ne diffèrent pas énormément de ceux du système majoritaire uninominal. En fait, il rend peut-être la tâche plus difficile aux petits partis ou aux partis mineurs, parce que ceux-ci obtiennent souvent des appuis solides dans certaines régions précises. Dans un système de ce genre, ils se font généralement déclassés dans à peu près toutes les circonscriptions et doivent tirer leur révérence. À la base, ce n'est pas un système proportionnel.
Alors, si on veut adopter un système proportionnel, ce qui signifie simplement que la part de votes doit se rapprocher de la part de sièges obtenus—aucun système n'est parfaitement proportionnel, c'est un continuum—ce n'est pas l'une des avenues possibles. À partir du moment où l'assemblée a décidé qu'elle voulait une certaine proportionnalité, ce genre de système était à exclure tout comme le système français, qui fonctionne de la même façon mais sur une série de dimanches successifs. L'assemblée voulait également une forte représentation locale, ce qui sonnait le glas des systèmes de proportionnalité fondés sur un scrutin de listes qui sont utilisés dans bon nombre de petits pays d'Europe occidentale, parce qu'ils n'offrent pas le genre de représentation locale que souhaitent les Canadiens.
Est-ce que cela répond à votre question, monsieur Reed?
 (1220)
Le président: Vous avez le temps pour une autre, monsieur Reid.
M. Scott Reid: En pratique, dans un pays comme le Canada, il y aurait tout de même encore quelques sièges assujettis au système majoritaire uninominal. Ce serait notamment le cas dans les trois territoires.
Plutôt que de poser une question, je vais me permettre un bref éditorial. Au Yukon, par exemple, les suffrages semblent vouloir être partagés en trois à jamais. Le vote des électeurs fluctue de 1 p.100 ou 2 p. 100 à chaque élection. On passe ainsi d'un parti à un autre. Je crois qu'il y aurait lieu, dans des circonscriptions comme celles-là tout au moins, d'envisager le recours à un système semblable à celui utilisé en Australie. Peut-être puis-je vous demander votre avis sur ces cas exceptionnels. Croyez-vous toujours que cela n'est pas une bonne idée, même dans ces situations-là?
M. Ken Carty: Il est bien évident que la réforme électorale ne sera pas chose facile au Canada. Il y a les territoires du Nord et il y a l'Île-du-Prince-Édouard. La commission du droit du Canada a indiqué qu'elle souhaitait un système mixte proportionnel pour l'Île-du-Prince-Édouard, mais on veut trois sièges comblés à partir de listes de candidats et un siège régulier. Cela donne tout de même quatre sièges.
Le président: N'est-ce pas le cas actuellement?
M. Ken Carty: Oui, c'est une situation très difficile. C'est quand même une solution innovatrice. Nous avions dit que nous souhaitions une certaine forme de proportionnalité, mais il est impossible de l'obtenir dans ces secteurs bien particuliers. Peut-être faudra-t-il prévoir des mécanismes distincts pour les régions très petites. Il est possible que le scrutin préférentiel soit la solution appropriée pour ces régions-là.
Le président: Monsieur Broadbent, une dernière question, s'il vous plaît.
L'hon. Ed Broadbent: Ce qui m'inquiète avec la recommandation formulée—et j'aimerais connaître votre point de vue à tous les deux à ce sujet—c'est que le modèle convenu par l'assemblée n'est utilisé, comme vous le savez, que par l'Irlande et Malte. Cette solution a été mise de côté par la vaste majorité des démocraties, y compris les toutes nouvelles qui ont dû se doter d'un système électoral. À mon avis, cela s'explique notamment par le contrôle accru qu'un tel système accorde à chaque électeur, même si je sais que vous y voyez un avantage tous les deux, quant au choix des députés parce que les membres de différents partis entrent en compétition les uns contre les autres. Non seulement les libéraux devraient-ils affronter les néo-démocrates, les conservateurs et les bloquistes, par exemple, mais ils devraient aussi faire la concurrence à d'autres libéraux dans les mêmes districts.
Pour certains d'entre nous, y compris des Européens qui ont envisagé la possibilité d'adopter le système irlandais, une telle formule réduit la responsabilisation des partis à l'égard de leurs propres programmes. Les députés, ou les candidats députés, se retrouvent constamment en lutte contre quelqu'un d'autre. Cela contribue à miner la responsabilité des partis laquelle, soit dit en passant, pourrait être maximisée au moyen d'autres réformes touchant la structure et la nomination des candidats. Je ne renonce pas à cette possibilité. C'est une forme d'individualisme porté à l'extrême semblable à ce qu'on retrouve dans bon nombre d'administrations municipales où les électeurs exercent un contrôle si étroit sur les différents candidats que cela enlève à peu près toute valeur aux partis politiques. J'aurais tendance à croire que bon nombre d'entre nous ne seraient pas candidats dans un tel système. Il est déjà assez difficile de faire la lutte aux autres partis sans devoir passer son temps à compétitionner publiquement avec les membres de son propre parti. C'est peut-être là l'une des raisons pour lesquelles les nouvelles démocraties d'Europe de l'Est, notamment, n'ont pas adopté le système irlandais. Les Irlandais en ont hérité en 1920 en même temps que leur constitution et ont tenu depuis deux référendums pour s'en débarrasser, mais les citoyens tiennent à ce système. Il ne fait aucun doute que bon nombre des partis irlandais n'y sont pas favorables.
Si vous voulez bien nous faire part de vos commentaires.
M. Ken Carty: C'est un système très utilisé en Australie dans la plupart des chambres hautes ainsi que pour la chambre basse de l'un des États. On retrouve là-bas un régime à deux partis où travaillistes et libéraux se livrent une chaude lutte. Un tel système n'empêche donc pas d'avoir des partis forts.
Il est tout à fait possible que ce soit la nature des caucus des partis qui change. Il se peut que cela favorise une plus grande ouverture des partis et d'une portion de leur processus décisionnel en faveur des caucus. Il est probable que cela complique un peu la tâche des chefs de parti. Ils vont entendre des membres de leur caucus leur dire : « Désolé, cela ne passera pas dans mon district, et il faut que je me fasse réélire. »
 (1225)
L'hon. Ed Broadbent: Non, mais vous n'avez pas de programme commun.
M. Ken Carty: Non. D'une certaine manière, le programme commun émerge davantage des interactions plus équilibrées entre tous les membres du caucus. Je suppose que cela peut être plus difficile pour les chefs de parti. Ils ne peuvent plus se contenter d'invoquer la loi du parti pour ordonner aux membres de se présenter et de voter. Ils doivent donc être davantage à l'écoute de leurs propres membres et de leur caucus. La discipline de parti est le fruit de décisions collectives.
Je peux vous dire que Fianna Fail, le parti au pouvoir en Irlande depuis les années 30, est l'un des partis politiques les plus disciplinés et les plus coriaces au monde. Le caucus prend les mesures nécessaires pour refléter les aspirations des partisans. En Australie, le Parti travailliste est tout ce qu'il y a de plus discipliné. Il est probable que leur mode de fonctionnement interne ait changé. On tient sans doute davantage compte des préoccupations des partisans et il se peut fort bien que des aménagements aient dû être effectués pour assurer un bon fonctionnement à l'interne.
M. Gordon Gibson: J'ajouterais qu'un système électoral doit d'abord et avant tout servir les intérêts de ceux qui en sont propriétaires, soit les électeurs eux-mêmes. Si cela crée un inconvénient pour les politiciens par rapport au système actuel, tant pis. Ce sont les électeurs qui doivent passer en premier.
Manquerait-on de candidats? Ce n'est certainement pas le cas en Irlande.
Je profite de l'occasion pour revenir à votre commentaire de tout à l'heure suivant lequel 90 p. 100 des systèmes électoraux de la planète sont conçus par des politiciens, ce qui est tout à fait vrai. C'est peut-être pour cette raison que l'on retrouve si peu de systèmes à vote unique transférable dans le monde. Il est tout naturel pour les politiciens de considérer qu'un tel système est assimilable à un transfert de certains des pouvoirs qu'ils exercent habituellement—particulièrement dans le cas des leaders des partis politiques—en faveur des électeurs ordinaires. En outre, cela compliquerait la tâche du whip qui doit exercer un contrôle sur les membres du parti, parce que le vote unique transférable permet notamment l'élection de candidats indépendants. Tout membre du parti déterminé à bien représenter le point de vue de ses commettants et opposé à la discipline de parti dans un dossier donné peut alors affirmer de façon très crédible: « Je ne peux tout simplement pas vous appuyer sur cette question; si vous me mettez à la porte du parti, je peux me faire réélire comme indépendant. J'espère que nous n'en arriverons pas à cette extrémité. » Cela influerait de façon très considérable sur la balance du pouvoir, ce qui ne manquerait de déplaire à certains politiciens.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Gibson.
J'aimerais conclure en remerciant nos témoins.
Je demande aux membres du comité de patienter un instant. Nous devons examiner pendant quelques minutes le programme de travail du comité avant d'aller vaquer à nos autres occupations.
Mais permettez-moi d'abord de remercier nos témoins, M. Ken Carty et M. Gordon Gibson, que je connais personnellement depuis un bon moment déjà. Ce fut un plaisir de vous accueillir tous les deux. Nous vous remercions de nous avoir fait profiter de votre expérience concrète dans ce dossier auquel vous continuerez sans doute à vous intéresser jusqu'à la naissance d'un nouveau système, si tel doit être le cas, d'ici quelques semaines. Merci beaucoup.
Chers collègues, j'aurais quelques questions à vous soumettre. Il y a d'autres dossiers que je ne vais pas porter à votre attention aujourd'hui parce qu'il y a quand même beaucoup d'absents, mais peut-être pourrions-nous régler rapidement ces questions-ci.
Il y a deux dossiers plutôt urgents pour nous. Il y a d'abord le budget des dépenses. Le budget des dépenses principal pour 2005-2006 nous a été soumis. Je suis d'avis que notre comité doit montrer l'exemple pour ce qui est de la procédure parlementaire à suivre, alors je crois que nous devrions certes consacrer au moins une réunion à ce budget. Si vous souhaitez le faire pendant la semaine de notre retour, c'est votre décision.
Deuxièmement, on nous a demandé de participer au processus d'étude des nominations par décret. Comme vous le savez, j'ai écrit au nom de notre comité à tous les autres présidents de comité. Un rapport a été produit par James Robertson. Nous pouvons vous le distribuer dès maintenant; je crois qu'il est prêt. Vous pourriez y jeter un coup d'oeil de sorte que nous puissions le mettre à l'ordre du jour de notre prochaine réunion. Nous devons faire part de nos commentaires sur la façon d'étudier les nominations par décret.
Je vous rappelle que nous reprendrons nos travaux lors d'une semaine de quatre jours. En pareil cas, j'aimerais bien que nous puissions nous réunir le jeudi, mais je ne suis pas non plus né de la dernière pluie. Je sais pertinemment que cela ne sera probablement pas possible, même si c'est ce que nous souhaitons. Il se peut bien que nous ne tenions qu'une seule réunion, soit le mardi.
Préféreriez-vous que nous nous penchions sur l'étude préalable des nominations—sommaire et options—ou sur le budget des dépenses? Il est probable que la question de l'étude des nominations exige moins de préparation. Comme nous retournons tous dans nos circonscriptions, voudriez-vous que nous étudions les nominations ce mardi-là? Si c'est ce que vous désirez, peut-être pourrons-nous régler cette question et formuler nos recommandations à cet effet au leader parlementaire. Il faudrait alors que notre attaché de recherche rédige un rapport que nous pourrions déposer par la suite. Voudriez-vous que nous procédions ainsi en remettant peut-être l'examen du budget des dépenses...?
Quand devons-nous faire rapport au sujet du budget des dépenses?
 (1230)
M. Pierre Rodrigue (Greffier du Comité, Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre): À la fin mai.
Le président: D'accord. Nous pouvons donc le faire après notre retour.
L'hon. Ed Broadbent: Pouvons-nous régler ces deux questions lors d'une même réunion?
Le président: Étudier les nominations par décret et l'ensemble du budget des dépenses au cours d'une seule réunion? Je ne prétends par parler au nom de tous les membres, mais je ne pense pas que cette perspective plairait à beaucoup de monde. Je crois que nous devrons probablement consacrer notre prochaine réunion en entier à l'étude préalable des nominations.
Voulez-vous que cela soit au programme de notre prochaine réunion? Êtes-vous d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: Pour ce qui est des autres personnes qui souhaitent témoigner devant nous, attendons d'avoir effectué nos visites et nous déciderons par la suite, en fonction de ce que nous aurons vu, s'il nous faut entendre d'autres témoins. Est-ce que cela vous paraît logique? N'oublions pas que nous disposons de peu de temps pour produire un rapport.
Concernant la production de notre rapport, M. Reid m'a fait part d'une suggestion précédemment. Souhaitez-vous maintenant la porter à l'attention du comité?
M. Scott Reid: Oui. Nous essayons de déterminer non pas le système électoral qui convient pour le Canada, mais bien le mécanisme à mettre en oeuvre pour choisir ce système électoral. L'un des modèles qui nous a été proposé est celui de l'assemblée des citoyens de la Colombie-Britannique. Leur référendum aura lieu le 17 mai et notre calendrier actuel prévoit que nous produirons notre rapport avant ce référendum, duquel nous pourrions probablement tirer de précieux enseignements.
J'estime donc qu'il serait avantageux de reporter quelque peu notre échéancier de manière à pouvoir profiter pleinement de l'expérience du référendum et du débat qui se tiendra pendant les dernières journées le précédant. Comme nous le savons tous, les débats référendaires atteignent généralement leur summum de pertinence juste avant le scrutin et je crois que nous ne devrions pas nous priver d'un tel éclairage. Je suggère que nous reportions donc après le 17 mai nos échéanciers pour la production de notre rapport.
Le président: Pourquoi ne pas réfléchir à cette suggestion pendant nos visites pour l'examiner à nouveau à notre retour? N'oublions pas que cette date a été établie par une motion que nous avons adoptée pour nous-mêmes. Je crois qu'il s'agissait d'une motion de M. Broadbent. Il est bien évident que nous pouvons toujours modifier cette date, si c'est là notre volonté, mais je crois de toute façon qu'il serait un peu prématuré de prendre une décision à ce sujet ce matin.
Mais, monsieur Broadbent, étant donné que c'était votre motion...
L'hon. Ed Broadbent: Je conviens avec vous qu'il n'est pas nécessaire de prendre une décision finale à ce sujet et que nous pouvons y réfléchir jusqu'à notre retour. Mais j'aurais deux brèves observations à formuler.
Premièrement, quel que soit le résultat du référendum, cela n'a rien à voir avec le processus, si je puis m'exprimer ainsi. Nous avons bien examiné le processus, alors tout ce qui nous reste à savoir c'est le résultat du vote. C'est une réaction préliminaire.
Deuxièmement, la date que j'ai proposée n'était bien évidemment pas choisie au hasard. J'estimais que c'était un échéancier réaliste compte tenu du temps à notre disposition et de la nécessité d'examiner les différentes options possibles—et je crois qu'il est important que nous examinions bien le processus. Par ailleurs, le respect de cette date ferait également en sorte que le gouvernement serait obligé de répondre avant son retour à l'automne. Avec un nouvel échéancier de quatre mois... Si nous soumettons notre rapport aux environs du 22 ou du 23 avril, alors le gouvernement doit répondre—et je m'exprime ici en toute franchise sans rien vous cacher—ce qui signifierait qu'au mois d'août, que le Parlement siège ou non, le gouvernement devrait dire comment il compte réagir. Il me semble que, de cette façon, le gouvernement ne pourrait pas faire autrement que d'enclencher le processus que nous allons recommander en septembre ou au cours de l'automne au retour du Parlement. Alors, si nous reportons notre échéancier après la fin d'avril, nous encourons le risque de voir la réponse gouvernementale tarder considérablement.
Le président: Je crois que nous avons suffisamment matière à réflexion pour un bon moment.
Monsieur Reid, peut-être qu'à notre retour nous pourrons réexaminer toute cette question, mais nous n'en faisons pas la recommandation pour l'instant. Notre mandat consiste à déterminer le système à mettre en place pour consulter les Canadiens. Il ne s'agit pas de recommander le système électoral qui devrait être adopté. Il y a toute une marge.
M. Reid a proposé la levée de la séance.
La séance est levée.