:
Merci, monsieur le président, et merci aux membres du comité d'avoir invité le Bureau de la concurrence à participer à ses audiences sur les questions relatives aux cartes de crédit et de débit.
Je m'appelle Richard Taylor et je suis sous-commissaire à la Direction générale des affaires civiles du Bureau de la concurrence. Je suis accompagné de Martine Dagenais, sous-commissaire adjointe à la même direction générale.
[Français]
J'aimerais commencer par vous parler brièvement de la Loi sur la concurrence et du rôle du Bureau de la concurrence.
La concurrence est une force créatrice et utile à notre économie. Elle peut susciter l'innovation et favoriser la réduction des prix. Elle permet d'augmenter l'efficacité et d'offrir un plus grand choix au consommateur. Dans la Loi sur la concurrence, le Parlement a cerné et interdit un certain nombre d'activités qui minent la concurrence au sein du marché. Le Bureau de la concurrence est un organisme indépendant d'application de la loi qui est chargé d'appliquer la Loi sur la concurrence.
[Traduction]
La loi interdit les agissements anti-concurrentiels tels que la fixation des prix, l'abus de position dominante et les pratiques commerciales trompeuses, susceptibles de nuire considérablement à la concurrence. La loi confère également au bureau le mandat d'examiner les fusions afin de déterminer si celles-ci sont susceptibles d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence et le pouvoir de prendre des mesures si nous estimons que c'est effectivement le cas.
La Loi sur la concurrence étant une loi d'application générale, elle ne réglemente pas les transactions particulières entre les acheteurs et les vendeurs. Le but est plutôt de créer et de préserver les conditions nécessaires à un marché concurrentiel. Il importe de noter que, selon la loi, les entreprises sont habituellement libres de fixer leurs propres prix au niveau que le marché peut soutenir. Les prix ou frais élevés deviennent une préoccupation pour le bureau seulement lorsqu'ils sont attribuables à une violation de la loi, du fait notamment de la fixation des prix ou de l'abus de position dominante. Dans le cas de position dominante, les tribunaux ont réduit la portée de la loi de manière à seulement interdire les agissements anti-concurrentiels d'un ou de plusieurs acteurs dominants, qui visent à exclure des concurrents et à diminuer sensiblement la concurrence sur un marché donné.
[Français]
Je tiens à souligner que le Bureau de la concurrence prend très au sérieux les cas d'infractions possibles à la Loi sur la concurrence. Nous n'hésitons pas à intervenir lorsque cela est justifié. Dernièrement, nous avons négocié le dessaisissement de 54 stations-service dans le sud de l'Ontario afin de dissiper notre crainte que, sans cela, la fusion de Suncor et de Petro Canada aurait donné lieu à une réduction substantielle de la concurrence, ce qui aurait entraîné une hausse du prix à la pompe pour les consommateurs.
[Traduction]
Dans une autre affaire, un certain nombre de plaidoyers de culpabilité ont été enregistrés, et des amendes s'élevant à près de trois millions de dollars ont été imposées à ce jour relativement à une importante affaire de fixation des prix de l'essence au Québec, affaire sur laquelle nous avons enquêté et que nous avons renvoyée au directeur des poursuites pénales. Dans un autre champ de notre compétence, en octobre, un homme a été condamné à une peine d'emprisonnement de trois ans et demi pour avoir dirigé une arnaque de possibilités d'emploi avec des chèques contrefaits. Ce résultat est attribuable à une vaste enquête menée par le bureau en collaboration avec des partenaires du domaine de l'application de la loi au pays et à l'étranger. Voilà quelques exemples qui montrent à quel point nous prenons au sérieux notre rôle pour ce qui est du respect de la loi.
[Français]
Le Bureau de la concurrence reçoit et examine plus de 15 000 plaintes par an. Depuis le début de l'année, les tribunaux ont imposé des amendes totalisant plus de 19 millions de dollars à la suite des enquêtes criminelles menées par le Bureau de la concurrence. Il s'agit là de quelques résultats mesurables du travail effectué par le Bureau de la concurrence.
[Traduction]
Cela étant dit, j'aimerais aborder la question qui nous occupe aujourd'hui.
Au printemps dernier, le comité a entendu un certain nombre de témoins concernant l'état actuel et l'avenir du marché des cartes de crédit et de débit au Canada. C'est un marché complexe, où les participants se comptent en grand nombre et les réponses faciles sont rares.
Je vais commencer par les cartes de crédit. Le bureau poursuit actuellement son enquête sur les commissions d'interchange dans le but de déterminer s'il y a violation de la loi. Lors de ma comparution devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce au printemps dernier, j'ai confirmé que le bureau examinait des cas de contravention possibles à la loi relativement aux frais des cartes de crédit. Nous examinons plus particulièrement les commissions d'interchange et les règles applicables aux commerçants qui acceptent les cartes de crédit, ainsi que la question de savoir si les dispositions de la Loi sur la concurrence concernant le maintien des prix et l'abus de position dominante ont été violées. Comme je l'ai dit plus tôt, il s'agit d'enquêtes complexes qui font appel à d'énormes quantités de données et qui exigent une analyse détaillée de la part du personnel du bureau et de spécialistes de l'économie et de l'industrie extérieur au bureau.
[Français]
La disposition relative au maintien des prix est stipulée à l'article 76, lequel a récemment été modifié à la suite de l'adoption du projet de loi C-10. Il peut y avoir maintien des prix si un fournisseur, par entente, menace ou promesse, influence un prix à la hausse ou décourage une réduction de prix d'un produit ou d'un service. Il peut aussi s'agir d'un fournisseur qui refuse de fournir un client ou qui prend quelque autre mesure discriminatoire à son endroit en raison de son régime de bas prix.
[Traduction]
L'article 79 de la loi est celui qui traite de l'abus de position dominante. On y interdit aux entreprises dominantes de se livrer à une pratique d'agissements anti-concurrentiels qui a, a eu ou aura pour effet d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence sur un marché. Par ailleurs, même si une entreprise domine un marché en particulier, sa taille ne constitue pas en elle-même un motif de préoccupation aux termes de la Loi sur la concurrence. Comme je l'ai déjà mentionné, les tribunaux ont limité la définition d'abus de position dominante aux gestes qui visent à exclure les concurrents et à nuire à la concurrence.
Je tiens à faire remarquer que nous ne sommes pas les seuls à examiner les commissions d'interchange pour déterminer s'il y a violation de la loi. Évidemment, nous nous tenons au courant de ce qui se passe dans l'industrie des cartes de crédit au Canada. Nous suivons également les actions privées intentées aux États-Unis et les enquêtes menées par les autorités compétentes en matière de concurrence et de réglementation d'autres pays. Nous avons suivi les délibérations et les audiences à la Chambre des communes et au Sénat sur cette question. Manifestement, les questions qu'étudie le comité intéressent et préoccupent beaucoup de gens au Canada et dans le monde. Nous avons fermement l'intention de prendre dans les prochaines semaines des mesures relativement à l'enquête actuellement en cours.
[Français]
La deuxième question que l'on nous a demandé de traiter aujourd'hui, le marché des cartes de débit, suscite certes un vif intérêt, surtout depuis l'entrée de Visa et MasterCard sur ce marché.
[Traduction]
Ces questions interpellent le bureau parce qu'Interac veut obtenir son approbation avant de déposer auprès du Tribunal de la concurrence une demande de restructuration, lui permettant de changer son statut d'association sans but lucratif pour celui d'entité à but lucratif. En 1996, le tribunal a rendu une ordonnance sur consentement visant à régler les préoccupations que le bureau avait à ce moment-là au sujet des activités des membres d'Interac, les grandes banques pour la plupart, qui contrôlaient le réseau des cartes de débit à cette époque. L'ordonnance prévoyait plusieurs mesures destinées à accroître la concurrence sur le marché des produits de débit, y compris un accès plus facile au réseau. L'ordonnance interdisait à Interac d'exploiter son réseau dans un « but lucratif ».
[Français]
Cette ordonnance n'a pas été rendue à la légère. Or, la modification d'une ordonnance n'est pas une mince affaire et ne devrait avoir lieu qu'après un examen minutieux de tous les faits disponibles. Je tiens à préciser qu'il est erroné de dire que le bureau tranchera cette question. Nous devons décider si, après avoir examiné tous les éléments de la preuve, nous contesterons une demande d'Interac déposée au Tribunal de la concurrence et qui viserait à modifier les modalités de l'ordonnance. Quoi qu'il en soit, que le Bureau conteste ou non une telle demande, il revient au Tribunal de la concurrence de décider, en dernier ressort, si Interac peut procéder à sa restructuration.
[Traduction]
Le bureau entend, dans les semaines qui viennent, décider s'il y a lieu pour lui de contester en justice la demande d'Interac. Nous ferons alors connaître notre décision. Le bureau est conscient de l'importance que cette industrie très complexe revêt pour tous les Canadiens. Nous procédons avec prudence à l'aide des outils à notre disposition pour nous assurer d'un résultat favorable à la concurrence.
[Français]
Sur ces propos, monsieur le président, je vous remercie, ainsi que les membres du comité, de votre temps. Je répondrai volontiers à toutes vos questions.
:
Merci, monsieur le président et tous les collègues. Je vais partager le temps qui m'est alloué avec M. Garneau.
[Traduction]
Monsieur Taylor, je vais faire ce que je peux malgré une légère extinction de voix.
La plupart d'entre nous sont, je pense, fortement préoccupés par l'idée que nous allons arriver au point où nous ne pourrons plus remettre un peu d'ordre dans tout cela et rétablir la situation. On a, naturellement, évoqué, dans le domaine des cartes de crédit, les positions dominantes de Visa et de MasterCard sur lesquelles vous enquêtez dans une double optique, celle du régime de prix imposé et celle de l'abus de position dominante. Ce qui m'inquiète cependant, c'est qu'alors que nous examinons la question ici au sein du comité, et que le bureau étudie la décision qu'il va devoir rendre à l'égard de Visa, le marché des cartes de débit continue d'évoluer.
Les terminaux installés dans les points de vente sont en cours de transfert, la priorité d'acheminement faisant que les transactions aboutissent soit chez Visa soit chez MasterCard. Si Interac ne peut pas obtenir une modification de l'ordonnance sur consentement, elle ne pourra pas faire face à leur concurrence, étant donné les termes de son mandat et la manière dont cette association est structurée.
Je me demande, monsieur Taylor, si de votre point de vue, il n'y aurait pas lieu d'accorder la priorité à la rapidité de votre intervention dans ce dossier. Comment entendez-vous procéder? Comment allez-vous pouvoir maintenir un degré suffisant de concurrence si les changements éventuels que nous étudions actuellement sont devenus effectifs? En l'absence d'une réglementation les en empêchant, les commerçants auront naturellement déjà signé les contrats.
:
Monsieur le président, la question se pose effectivement sur plusieurs plans.
Je vous assure que nous faisons diligence et que nous espérons être en mesure de répondre à Interac dans les semaines qui viennent. Précisons tout de même qu'Interac possède encore 99,99 p. 100 du marché des paiements par carte de débit aux points de vente.
S'il est vrai que MasterCard vient de sortir son système Maestro, qu'elle propose aux commerçants, et que Visa va, elle aussi, bientôt offrir sa propre carte de débit, il n'est pas du tout certain que ces deux entreprises parviendront à une position dominante. Cette question, bien sûr, nous préoccupe beaucoup et nous ne voulons tout de même pas donner sans besoin à Interac toute latitude . Cela dit, nous souhaitons également, dans l'hypothèse où l'ordonnance signée en 1996, qui a fait la preuve de son efficacité, est modifiée, que les modifications apportées se justifient pleinement par rapport aux faits.
:
Merci, monsieur le président.
Je tiens à vous remercier de l'exposé que vous nous avez présenté.
Vous avez parfaitement raison de dire que le marché des cartes de débit est un marché d'une grande complexité puisque je crois savoir qu'Interac gère un flux de quelque 168 milliards de dollars. Vous nous avez dit, je crois, que cela correspond à 99,9 p. 100 du marché. C'est dire l'importance des sommes en jeu.
Je sais qu'il vous est difficile de répondre à certaines de nos questions et je vais donc tenter de les formuler sous forme d'une demande d'avis.
Serait-il exact de dire que si Interac n'obtient pas le consentement qu'elle sollicite, elle va être injustement désavantagée au niveau de la concurrence par rapport à Visa et à MasterCard puisque ces deux entreprises poursuivent un but lucratif, ce qui n'est pas le cas d'Interac.
Peut-on, dans ces conditions-là, parler d'une juste concurrence? Je vous demande simplement votre avis sur ce point.
:
Je ne sais pas si cela leur conférerait un avantage indu. Je ne saurais me prononcer sur les raisons qui portent Interac à demander un tel changement. Il ne me semble pas exact de dire que cela conférerait aux deux entreprises un avantage indu. Je crois en fait qu'Interac pense exactement le contraire.
Nous nous penchons justement sur la question de savoir si sa qualité d'association sans but lucratif, qui a tellement contribué, depuis 1996, à assurer le caractère concurrentiel du réseau de débit, empêcherait actuellement Interac d'affronter la concurrence en raison des diverses restrictions imposées aux entreprises sans but lucratif. C'est effectivement la question que nous sommes en train d'examiner.
Nous souhaitons en effet maintenir le caractère concurrentiel de ce marché et prévenir l'abus de position dominante ou l'emprise sur le marché, et faire en sorte que ceux qui prennent pied sur ce marché, ne puissent pas profiter de leur position de force sur d'autres marchés pour dominer celui-ci. Nous nous penchons actuellement sur toutes ces questions que les membres du comité ont, à juste titre, soulevées aujourd'hui. Ce sont précisément ces choses-là qui nous préoccupent.
Mais, comme je l'ai dit, ce n'est pas la question d'un avantage indu qui retient notre attention, mais la question de savoir si Interac sera effectivement désavantagée.
:
La question de l'acheminement en matière de cartes de débit est justement une des questions à l'égard desquelles, dans son rapport, le Comité des banques et du commerce du Sénat a formulé un certain nombre de recommandations. Vous n'ignorez pas qu'il a été demandé au gouvernement de réagir officiellement au rapport du comité et cette réponse est en cours. Cela étant, nous ne sommes pas actuellement en mesure de vous fournir de précisions concernant les suites que le gouvernement entend donner à cette demande.
Il convient tout de même de rappeler que la question de l'acheminement n'est pas du tout simple. Il s'agit, au contraire, d'une question particulièrement complexe, dans laquelle interviennent les divers acteurs du marché et tout un ensemble de questions étroitement imbriquées. En matière de paiement par carte de débit, l'acheminement est le moyen par lequel un réseau — que ce soit le réseau Interac, le réseau Visa, ou le réseau Maestro de MasterCard — est choisi pour acheminer le message électronique autorisant la transaction.
Cela étant, on peut se demander de qui devrait relever cette décision — du réseau, de la carte, du titulaire de la carte, du commerçant ou du consommateur. Selon le réseau servant à acheminer la transaction, les coûts facturés au commerçant peuvent varier. En ce qui nous concerne, nous ne privilégions à cet égard aucun des acteurs en présence. C'est, je pense, le gouvernement qui tranchera.
Martine, voudriez-vous ajouter quelque chose à cela?
Mme Martine Dagenais: Non.
:
Il convient de préciser que nous n'agissons pas uniquement sur plainte. Je dirais même que certaines de nos affaires les plus importantes ont eu leur origine dans des articles de presse. Si, par exemple, nous apprenons par la presse que telle ou telle compagnie détient une grande part du marché, nous serons peut-être portés à entreprendre des recherches sur cela. Parfois, un plaignant, une petite entreprise, par exemple, vient se plaindre du fait qu'une grande entreprise lui fait du tort. C'est dire que les choses ne se passent pas toujours de la même manière. Parfois, ce sont des parlementaires qui soulèvent le problème au nom d'un de leurs électeurs et nous prenons alors la chose au sérieux même si toutes les plaintes ne sont malheureusement pas fondées sur des agissements contraires à la loi.
Voilà un peu les diverses manières dont nous pouvons être saisis d'une plainte. Nous avons en cela toute latitude.
En ce qui concerne l'abus de position dominante, c'est-à-dire l'objet de votre deuxième question, il nous est possible d'intervenir avant que l'entreprise acquière une position dominante, au moment où elle l'acquiert ou après qu'elle l'ait acquise. C'est ce que prévoit la loi.
En ce qui concerne la troisième partie de votre question, concernant l'abus de position dominante, je dois dire que ce terme recouvre en fait trois choses. Le texte même de la disposition applicable ne contribue guère à une meilleure compréhension de ce qu'il faut entendre par abus. Il s'agit de l'ancienne disposition réprimant les monopoles, modifiée par le Parlement en 1986 pour la rendre plus efficace. Elle exige la réunion de trois éléments. D'abord, il faut que l'entreprise ait effectivement une position dominante, c'est-à-dire une emprise sur le marché. On entend par cela que l'entreprise en question occupe sur le marché une position de force, c'est-à-dire que sa part de marché est importante et que ce fait même entrave l'accès au marché. Il faut, en outre, qu'elle se livre à des agissements anticoncurrentiels, c'est-à-dire à des agissements qui tendent à exclure du marché ses concurrents, ou à leur faire du tort. Et, enfin, il faut que cela entraîne, sur un marché donné, un affaiblissement sensible de la concurrence. Comme vous le voyez, en ce qui concerne l'abus de position dominante, le critère applicable comporte trois volets.
:
Merci, monsieur le président.
J'ai bien écouté vos interventions. Quelque chose m'étonne. Dans votre document, il est mentionné qu'aux États-Unis, le taux est de 1,9 p. 100. Supposons que toutes les cartes ont le même taux de 1,9 p. 100, soit MasterCard, Visa et les cartes de débit, et qu'un an plus tard il y a une hausse à 2,5 p. 100 pour les trois et que je vous appelle pour vous dire que les trois ont profité de leur position dominante pour hausser leur taux au même moment. Selon le Bureau de la concurrence, il doit y avoir une certaine concurrence, ce qui veut dire qu'on joue avec les taux. Cependant, si les taux sont toujours égaux, il n'y a pas de concurrence.
À qui, dans un tel cas, dois-je me référer? À qui dois-je parler pour qu'il y ait une enquête de la part du Bureau de la concurrence afin qu'il n'y ait pas toujours une hausse systématique ou une baisse systématique? Que dois-je faire pour déclencher une enquête?