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La 78
e séance du Comité permanent des finances est ouverte. Selon notre ordre du jour, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous poursuivons notre étude sur le financement du terrorisme au Canada et à l'étranger.
Chers collègues, nous recevons ce matin deux groupes de témoins. Le premier groupe comparaîtra de 8 h 45 à 10 h 15. Nous accueillons ici même, à Ottawa, les témoins suivants: M. Edwin Black, auteur et historien, comparaît à titre personnel; M. Ron King, premier vice-président, Conformité, Services aux grandes entreprises, représente l'Association des banquiers canadiens; nous accueillons également M. Michael Donovan, vice-président et responsable adjoint de la lutte mondiale contre le blanchiment d'argent, du Groupe Financier Banque TD; M. Samuel Schwisberg, membre de l'exécutif, Droit des organismes de bienfaisance et à but non lucratif, de l'Association du Barreau canadien; et M. Terrance Carter, associé directeur général de la Carters Professional Corporation.
Je souhaite à tous la bienvenue. Merci de vous être joints à nous. Vous aurez chacun cinq minutes au maximum pour faire une déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions des membres. Nous commençons par M. Black.
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Bonjour. Merci beaucoup de m'avoir invité. Je n'ai pas beaucoup de temps, alors j'irai droit au but.
On m'a demandé quelles étaient les voies les plus importantes du financement du terrorisme en Amérique du Nord, au Canada et ailleurs. Selon la documentation, le bailleur de fonds du terrorisme le plus convaincu et le mieux organisé, tant à l'échelle du globe qu'en Israël, c'est l'Autorité palestinienne. Et quand je parle de l'Autorité palestinienne, j'entends l'ensemble de l'organisation, jusqu'à son président, Mahmoud Abbas. J'ai en ma possession une fraction seulement des 4 000 documents récemment dévoilés par un tribunal de Brooklyn qui a infligé une amende de 680 millions de dollars à l'AP.
Voici comment cela se passe.
Lorsqu'un citoyen ordinaire commet un acte de terrorisme en Israël, il devient immédiatement un salarié, et son salaire augmente en fonction du nombre de vies qu'il prend et de l'ampleur des dégâts qu'il cause. Tout cela est bien précisé, selon une échelle graduée, dans une loi publiée qu'on appelle la loi du prisonnier. Le salaire peut être de seulement 500 $ par mois, disons, si le citoyen a écopé d'une peine d'emprisonnement de cinq ans, et peut atteindre 2 000 $ par mois s'il a tué suffisamment de gens pour obtenir une peine d'emprisonnement de 30 ans. En réalité, aucun de ces prisonniers ne croit qu'il purgera toute sa peine d'emprisonnement. Ils pensent tous qu'ils seront libérés.
Cet argent passe par le ministère des Prisonniers. Ce ministère débourse de 3 à 7 millions de dollars par mois environ. L'argent est versé par le truchement d'une procuration et envoyé à la petite amie du prisonnier, à sa mère, à son club, à son équipe de soccer, il a le choix. Ce programme et des programmes similaires représentent au total 16 % environ du budget de l'Autorité palestinienne. Il existe une organisation analogue, dont la plupart des gens n'ont jamais entendu parler; on l'appelle l'organisme de soutien aux martyrs. Ce groupe a financé à hauteur de centaines de millions de dollars des activités terroristes partout dans le monde, surtout des activités dont l'auteur devient un martyr, c'est-à-dire qu'il est tué ou blessé. Son nom sera inscrit sur la liste des martyrs. Ces détails sont examinés par tout le monde, jusqu'au président, et ces examens se poursuivent pendant des années.
J'ai ici le dossier d'Ahmed Barghouti, impliqué dans le meurtre d'au moins une douzaine de personnes. Nous voyons qu'il a gravi les échelons du gouvernement chaque année. Je peux transmettre ces documents au comité, si vous le désirez. Il est passé du grade de caporal à celui de sergent, puis à celui d'adjudant. Son salaire a augmenté chaque année. Sa famille a touché des prestations chaque année. La documentation montre que le président lui-même avait examiné son dossier et donné les autorisations nécessaires en conformité avec des conditions strictes. Au sein du gouvernement, il y a d'autres organisations qui contribuent à tout cela, il ne s'agit pas seulement du ministère des Prisonniers; il y a aussi la police, l'organisation responsable des sports, tout le reste. Même s'il y a un manque à gagner, on donne la priorité à ces paiements, qui l'emportent sur toute autre activité liée au bien-être et à la santé.
J'ai terminé.
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Merci, monsieur le président.
J'aimerais commencer par remercier le comité d'avoir convié l'Association des banquiers canadiens — l'ABC — à comparaître aujourd'hui afin d'apporter son point de vue au dossier du financement du terrorisme au Canada et à l'étranger. L'ABC représente 60 banques membres, soit des banques canadiennes ainsi que des filiales et des succursales de banques étrangères exerçant des activités au Canada, et leurs 280 000 employés.
Je suis président du Groupe de spécialistes de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes de l'ABC. Notre secteur est conscient du rôle clé qu'il joue dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, tout en veillant à protéger la vie privée des clients respectueux de la loi. Depuis toujours, les banques du Canada collaborent avec le gouvernement fédéral, les forces de l'ordre, les agences de renseignement et le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, le CANAFE, au développement et à la mise en place d'un régime efficace de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes. En plus des centaines de millions de dollars que le secteur bancaire dépense annuellement afin de lutter contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes, tous les membres de l'ABC ont prévu des politiques et des procédures à cet effet, notamment des règles essentielles pour « connaître son client », ainsi que les rapports sur des transactions particulières envoyés au CANAFE et à l'Agence du revenu du Canada, l’ARC. Ces politiques et procédures sont conçues afin de contribuer à la protection des Canadiens ainsi qu'au maintien de la sécurité, de l'efficacité et de la réputation du système financier du pays.
Nous soumettons quelques recommandations à l'attention du comité, dans l'espoir que ces recommandations pourront considérablement améliorer la capacité des banques du Canada à détecter et à empêcher le financement des activités terroristes et les autres activités criminelles.
Nous pensons qu'il est important de souligner la différence entre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes. Le blanchiment d'argent implique le recyclage du produit des activités criminelles en ce qui pourrait sembler un bien licite. Le financement des activités terroristes signifie l'intention d'utiliser des fonds afin de subventionner des actions à des fins terroristes. Pour les terroristes, qu'elle soit légale ou criminelle, la source du financement n'est absolument pas pertinente. Le financement du terrorisme est souvent fait à travers de petites sommes d'argent, et l'usage de ces sommes peut paraître aussi anodin que le paiement pour un voyage ou pour des frais de subsistance.
Le régime actuel de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes renferme des dispositions relatives à l'acheminement de renseignements au gouvernement et aux forces de l'ordre. Toutefois, aucune disposition ne traite du partage de renseignements entre institutions financières canadiennes ni d'une communication du CANAFE aux entités qui lui soumettent des rapports. Nous sommes d'avis que le gouvernement devrait permettre, dans ce domaine précis, une plus grande communication et un partage de renseignements élargi. À l'exception des organismes d'enquête régis par la LPRPDE, les lois actuelles limitent la communication de renseignements personnels sans la connaissance ou le consentement du client. Il est ainsi très difficile de restreindre les activités d'un client qui présente un risque élevé de financement du terrorisme. Par exemple, si une institution financière met fin à sa relation avec un client, parce qu'elle le soupçonne de financer des activités terroristes, il n'y a absolument rien qui empêchera ce client d'obtenir les mêmes services auprès d'une autre institution financière. Le régime de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes se retrouvera plus solide si les institutions financières peuvent partager davantage de renseignements entre elles.
En outre, nous sommes d'avis que la législation canadienne en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme sera renforcée si le CANAFE peut communiquer des renseignements aux banques et aux autres entités qui lui soumettent des rapports. Le CANAFE pourra alors demander aux institutions financières des renseignements additionnels sur des rapports spécifiques et fournir des commentaires sur les rapports déposés. Ainsi, les entités qui soumettent des rapports, telles que les banques, pourront mettre en œuvre une approche plus efficace basée sur le risque pour identifier les clients qui présentent des risques élevés. Cette question a été soulevée dans le rapport de 2013 du Comité sénatorial des banques sur le régime de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.
D'importants avantages seront tirés du fait que tous les participants au régime puissent travailler en étroite collaboration — soit les banques, les autres entités réglementées, les législateurs, les organismes de réglementation et les forces de l'ordre. Si l'occasion et la capacité d'agir rapidement leur sont données, les banques pourront être un grand atout dans les efforts globaux dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes.
À cette fin, nous recommandons le renforcement du régime actuel en vue de permettre un échange de renseignements entre les institutions financières, le CANAFE et les forces de l'ordre au sujet des personnes d'intérêt, notamment la communication en temps réel des activités de financement du terrorisme. Ainsi, les banques canadiennes pourront mieux déceler les plans complexes de blanchiment d'argent et de financement d'activités terroristes.
Nous sommes d'avis que les fournisseurs de services de paiement et les nouvelles technologies — qui sont non réglementés — doivent être soumis au régime actuel si nous voulons bâtir un cadre réglementaire uniforme qui s'applique à toutes les entités susceptibles d'être vulnérables face au blanchiment d'argent et au financement des activités terroristes. Garder des failles dans le régime ne fera que déplacer le risque vers des organismes qui sont moins outillés pour prévenir, déceler et signaler les opérations douteuses.
En conclusion, nous rappelons l'appui solide du secteur bancaire au régime de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Les banques prennent très au sérieux leur rôle à cet effet tout en maintenant leurs devoirs envers la protection des renseignements personnels des citoyens canadiens.
Nous sommes ravis de pouvoir coopérer avec le gouvernement et les parlementaires afin de veiller à ce que le système de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes au Canada reste exhaustif et efficace.
Merci encore une fois d'accorder à l'ABC cette occasion de fournir son point de vue. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Bonjour, monsieur le président, bonjour aux membres du comité. Merci de me donner l'occasion de comparaître devant vous ici aujourd'hui pour discuter de ce très important sujet.
Cela fait quatre ans maintenant que je suis responsable adjoint de la lutte mondiale contre le blanchiment d'argent pour le Groupe Banque TD. Avant de travailler pour TD, j'ai occupé un poste au CANAFE pendant une dizaine d'années environ.
Je suis d'accord avec les points qu'a soulevés mon collègue, Ron King, en particulier au sujet du fait qu'il faut modifier les politiques de façon à faciliter l'échange d'information entre les institutions financières canadiennes de même qu'entre le CANAFE et les entités qui lui soumettent des rapports.
La Banque TD est déterminée à exercer sa responsabilité de détecter et d'empêcher le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, et nous croyons que le fait de faciliter l'échange d'information entre les institutions financières du Canada rendrait le système financier canadien plus efficace en permettant de brosser un tableau complet des activités des consommateurs lorsqu'on soupçonne un possible blanchiment d'argent ou financement d'activités terroristes. Nous avons constaté que d'autres administrations ayant examiné le problème ont créé des régimes de lutte contre le blanchiment d'argent qui permettent aux institutions financières de s'échanger des renseignements tout en respectant le droit à la protection des renseignements personnels des particuliers.
De plus, nous sommes heureux de voir que, dans le Plan d'action économique de 2015, il est prévu d'améliorer l'accès aux services bancaires de base en permettant la présentation d'un plus large éventail de pièces d'identité au moment de l'ouverture d'un compte. La TD est en faveur d'un cadre stratégique qui prévoit le recours à une gamme plus étendue de techniques d'identification des clients pour les services en personne comme pour les services à distance.
Dans le contexte d'un régime de lutte contre le blanchiment d'argent, l'utilisation par les institutions financières des technologies existantes et des technologies naissantes leur procure de nouvelles techniques d'identification des clients, en particulier des clients avec qui les échanges se font en ligne. Les mots de passe, les questions « hors portefeuille », les vérifications auprès de bureaux de crédit et même les marqueurs des appareils informatiques utilisés fournissent tous des renseignements précieux pour l'identification d'un client. Ils peuvent améliorer nettement les pratiques de diligence raisonnable des clients et permettent de recueillir en toute sécurité de nombreux éléments d'information qui serviront à identifier un client. Ils peuvent également aider à cerner des transactions douteuses qui pourraient être liées au blanchiment d'argent ou au financement des activités terroristes.
Ces modifications des politiques n'allégeraient pas le fardeau réglementaire ni n'affaibliraient l'environnement de la réglementation. Elles permettraient en fait aux organismes de réglementation — en l'occurrence, le CANAFE et le BSIF — d'examiner et de juger les pratiques de chaque institution et de prendre des décisions fondées sur le risque touchant le programme de lutte contre le blanchiment d'argent et contre le financement des activités terroristes de chacune de ces institutions.
Nous sommes impatients de connaître les détails des propositions précises que présentera le gouvernement au cours des jours et des semaines à venir.
Pour conclure, la Banque TD croit que ces changements, accompagnés d'un échange de renseignements accru entre les institutions financières, renforceront de manière appréciable le régime de réglementation canadien visant à prévenir le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes.
J'ai hâte de participer à la discussion d'aujourd'hui, et je répondrai avec plaisir aux questions des membres du comité. Merci.
Je témoigne aujourd'hui au nom de la Section du droit des organismes de bienfaisance et à but non lucratif de l'Association du Barreau canadien. L'ABC — comme vous le savez tous, je crois — est une association professionnelle qui regroupe quelque 36 000 avocats, notaires, professeurs de droit et étudiants en droit, et sa Section du droit des organismes de bienfaisance et à but non lucratif comprend des avocats canadiens qui conseillent les organismes de bienfaisance et font partie de leurs conseils d'administration.
De mon côté, je suis également avocat général et secrétaire corporatif de la Société canadienne de la Croix-Rouge. Aujourd'hui, cependant, c'est en tant que représentant de l'Association du Barreau canadien que je comparais.
Tout d'abord, sachez que mon entretien avec vous aujourd'hui reposera sur une approche « pas très juridique », car je compte brosser un portrait général, sans trop aller dans les détails. Ce dont j'aimerais vous faire part, aujourd'hui, c'est du fait que, en réalité, les organismes de bienfaisance sont un atout dans la lutte contre le terrorisme. On a souvent souligné que les organismes de bienfaisance étaient vulnérables et que les terroristes potentiels pouvaient en abuser, mais je crois qu'il est important de faire valoir que les organismes de bienfaisance sont en fait un atout dans la lutte contre le terrorisme. Vous n'avez pas à me croire ni à croire l'Association du Barreau canadien sur parole; vous pourriez tout simplement prendre connaissance des directives émises en 2013 par le Groupe d'action financière, le GAFI, au sujet des pratiques exemplaires qu'il prône quand il s'agit de lutter contre les abus dont peuvent être la cible les organismes sans but lucratif.
Dans ces directives, le groupe dit que: « Les organismes sans but lucratif peuvent aussi jouer un rôle important pour ce qui est de prévenir l'enracinement des idéologies radicales et, ainsi, devenir des alliés dans la lutte contre le terrorisme. » De plus, si vous ajoutez à cela le fait que l'un des quatre piliers de la stratégie de lutte contre le terrorisme du Canada est la prévention, il est important de souligner que les organismes de bienfaisance peuvent jouer un rôle important, eux aussi, dans l'élément de la stratégie qui est axé sur la prévention, étant donné qu'ils ont des liens dans la collectivité, tant au Canada qu'à l'étranger.
Donc, si vous considérez que les organismes de bienfaisance, dans ce contexte, sont un atout, il est instructif d'envisager également le coût des mesures de conformité qu'ils doivent assumer alors qu'en fait, ils essaient de se conformer aux lois du Canada. C'est bien sûr nécessaire, mais les coûts sont importants. L'adoption de systèmes financiers de pointe, la vérification des bénévoles et des donateurs et les conseils juridiques et financiers sont autant de choses qui occasionnent des coûts. Il y a aussi les politiques en matière d'approvisionnement, les politiques sur l'acceptation de cadeaux, les droits relatifs à la vérification et des contrats complexes sur le contrôle des sommes versées à d'autres entités. Il y a la planification de projets, la gouvernance complexe assurée par les conseils d'administration, qui englobe la bonne gouvernance, les règlements administratifs, les politiques et la formation.
Tout cela coûte beaucoup d'argent aux organismes de bienfaisance, et, quand on pense au fait que le public, au Canada et ailleurs, s'attend à ce que la majeure partie du don aille aux bénéficiaires et à ce que les frais généraux restent peu élevés, on voit un peu à quelle sorte de problème les organismes de bienfaisance font face. De plus, les dons sont possiblement leur seule source de revenus, et les politiques d'investissement doivent être très prudentes. C'est la loi. Un organisme de bienfaisance ne peut pas prendre de risques avec ses actifs, et il ne peut pas vraiment exercer des activités commerciales, parce que l'Agence du revenu du Canada exige que toute activité commerciale soit liée à l'objectif de bienfaisance.
Alors, où les organismes de bienfaisance vont-ils trouver les fonds dont ils ont besoin pour respecter ces importantes exigences en matière de conformité?
Le mémoire présenté par l'Association du Barreau canadien comprend un certain nombre de suggestions qu'il soumet à l'examen du comité, entre autres que l'Agence du revenu du Canada fournisse davantage d'information, avant une vérification, pour éviter que des organismes de bienfaisance mal équipés aient des ennuis et qu'ils sachent à quoi ils doivent s'attendre au chapitre des coûts en matière de conformité. L'Association du Barreau canadien suggère également des mesures de recouvrement des coûts et le versement aux organismes de bienfaisance de subventions visant précisément à renforcer la conformité.
C'était là une partie des suggestions que l'Association du Barreau canadien voulait présenter à votre comité, aujourd'hui, afin de trouver des solutions créatives pour aider les organismes de bienfaisance à remplir leurs obligations juridiques au Canada.
Voilà essentiellement mon exposé. Merci beaucoup de m'avoir accordé du temps, et je vous remercie également au nom de l'Association du Barreau canadien.
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Bonjour, monsieur le président, bonjour aux membres du comité.
C'est un privilège pour moi d'avoir été invité à comparaître en tant que témoin pour discuter du financement des activités terroristes. Je vais m'attacher aux pratiques exemplaires que peuvent adopter les organismes de bienfaisance et les organismes sans but lucratif.
En guise de présentation, je dirai que je suis associé directeur d'un cabinet d'avocats, et nous travaillons avec des organismes de bienfaisance et des organismes sans but lucratif du Canada et de l'étranger, et nous avons travaillé avec des milliers d'organismes de bienfaisance, au Canada ou dans des zones de conflit. Dans le cadre de nos activités en tant que conseillers auprès d'organismes de bienfaisance, nous avons dû donner des conseils à des hauts dirigeants et à des conseils d'administration en ce qui concerne les pratiques de diligence raisonnable à adopter pour se conformer aux lois canadiennes portant sur la lutte contre le terrorisme.
Nous travaillons dans ce domaine depuis plus de 15 ans et nous avons constaté que tous les organismes de bienfaisance, sans exception, veulent se conformer aux lois canadiennes en matière de lutte contre le terrorisme, mais qu'un grand nombre d'entre eux ont du mal à le faire concrètement. De nombreux organismes de bienfaisance adoptent la position que les obligations liées à l’observation des lois antiterroristes ne sont pas utiles pour leurs activités de bienfaisance ou alors, si elles le sont, les mesures qu’ils prennent ne sont peut-être pas aussi robustes qu’elles pourraient l’être, à cause des limites perçues ou réelles de leurs budgets d’exploitation ou de l’ensemble de leurs ressources. Quelques organismes de bienfaisance ont mis en place des politiques exhaustives en matière de diligence raisonnable, mais ils sont généralement l’exception à la règle.
L'incapacité de la plupart des organismes de bienfaisance actifs sur la scène internationale de s'engager correctement dans les mesures de diligence raisonnable nécessaires pour se conformer aux lois antiterroristes canadiennes est due en grande partie aux lois elles-mêmes et au fait que, de manière générale, le gouvernement canadien ne fournit pas suffisamment d'orientations et de directives qui aideraient les organismes de bienfaisance à se conformer aux lois.
Premièrement, lorsqu’on explique les lois antiterroristes canadiennes aux membres de la haute direction ou du conseil d’administration d’un organisme de bienfaisance actif à l’étranger, ces derniers trouvent que les lois sont déroutantes, trop larges et difficiles, voire impossibles, à observer concrètement.
Par exemple, aux termes du paragraphe 83.19(1) du Code criminel, il est interdit de faciliter « sciemment » une activité terroriste. Toutefois, l'intention coupable associée à cette infraction — le fait qu'elle soit commise sciemment — perd pratiquement tout son sens en raison du paragraphe 83.19(2) qui prévoit ceci:
[…] il n’est pas nécessaire pour faciliter une activité terroriste :
a) que l’intéressé sache qu’il se trouve à faciliter une activité terroriste en particulier;
b) qu’une activité terroriste en particulier ait été envisagée au moment où elle est facilitée;
c) qu’une activité terroriste soit effectivement mise à exécution.
Des dispositions aussi larges font que des moyens historiquement légitimes de fournir de l'aide dans une zone de conflit peuvent entraîner des sanctions criminelles, et c'est un aspect qui préoccupe à juste titre les administrateurs et les membres de la haute direction des organismes de bienfaisance canadiens actifs à l'étranger.
Deuxièmement, les organismes de bienfaisance actifs sur la scène internationale constatent généralement l’absence de règles ou de lignes directrices claires du gouvernement canadien qui les aideraient à savoir exactement ce qu’ils devraient faire ou ne pas faire pour se conformer aux lois canadiennes contre le terrorisme. À ce sujet, une courte liste de contrôle, comme celle que l'ARC a fournie en 2009 aux organismes de bienfaisance sur les façons d'éviter l'abus à des fins terroristes, qui ne mentionne qu'en passant les lignes directrices internationales, ne fournit pas suffisamment d'information pour que les organismes de bienfaisance nationaux sachent comment mener de manière adéquate des enquêtes de diligence raisonnable aux fins de la conformité dans la pratique.
Les renvois des lignes directrices internationales, comme les lignes directrices du GAFI ou celles du Trésor américain, ne devraient servir qu'à bonifier des lignes directrices claires sur la diligence raisonnable que les organismes de bienfaisance canadiens doivent respecter plutôt que de brouiller les cartes quant à la cible de la conformité, comme c'est actuellement le cas.
Pour relever tous ces défis, j'aimerais faire les recommandations suivantes. Premièrement, en ce qui concerne la loi proprement dite, il faudrait modifier les dispositions pertinentes du Code criminel afin d'éliminer l'élément de responsabilité stricte de l'infraction et exiger que la Couronne prouve l'intention criminelle pour qu'une personne soit déclarée coupable d'une telle infraction.
Deuxièmement, comme l'ont mentionné l'Association du Barreau canadien et d'autres témoins, je recommanderais l'adoption de lignes directrices établies au Canada qui permettraient aux organismes de bienfaisance désirant être conformes de disposer de paramètres clairs sur ce qu'il convient de faire et ne pas faire pour se conformer aux lois canadiennes en matière de lutte contre le terrorisme et pour être en mesure d'évaluer leur rendement à ce chapitre. À ce sujet, il faudrait encourager l'Agence du revenu du Canada à collaborer avec le secteur des organismes sans but lucratif au moment d'élaborer ces lignes directrices.
C'est un plaisir pour moi de participer aux travaux du Comité permanent des finances; je suis impatient de vous fournir des commentaires supplémentaires.
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De manière générale, le secteur caritatif en est un que nous encourageons tous. Je regarde les gens qui sont assis autour de la table, nous avons tous participé à divers événements, nous avons tous fait des dons. Je pense à la récente tragédie qui a frappé le Népal. Nous sommes nombreux à avoir donné généreusement, tout comme nos électeurs l'ont fait.
Voici ce qui m'ennuie dans la façon dont la loi est décrite, et en particulier dont vous l'avez présentée, monsieur Carter. Je fais des dons à la Croix-Rouge, à Oxfam ou à la Société canadienne pour nourrir les enfants, et les intervenants se rendent sur place à Kandahar pour aider les enfants à aller à l'école. La disposition de la loi que vous avez mise en relief, qui porte sur la culpabilité des membres du conseil d'administration de la Croix-Rouge, d'Oxfam ou d'un autre organisme de bienfaisance, semble faire porter beaucoup de responsabilités sur le conseil d'administration, qui doit pouvoir déterminer si une partie de l'aide pourrait finir entre les mains d'une personne qui va, plus tard, commettre un acte terroriste. Il y a certains endroits, en particulier dans le milieu du développement international et de l'aide internationale, où cela représente un défi.
Comment pouvons-nous concilier toutes ces choses? L'intention est bonne. Nous ne voulons pas que l'argent que les Canadiens versent à des organismes de bienfaisance légitimes finisse entre les mains de personnes qui cherchent à faire du mal là-bas ou encore ici. Comment peut-on blâmer les membres d'un conseil d'administration au Canada — celui d'Aide à l'enfance, par exemple, qui fournit une aide alimentaire et des livres scolaires d'une valeur d'environ 100 000 $ — si une partie de ces aliments ou de ces livres finit entre les mains d'un groupe terroriste?
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Oui. Dans le cadre de contrats avec le MAECD, parfois, il est possible d'obtenir un peu de financement pour couvrir les coûts liés à la conformité, mais il faut le demander, et il faut savoir que ce financement existe. Il est certain qu'il faut informer les intéressés.
Même dans le cas des grandes organisations, vu la façon dont la loi est structurée à l'heure actuelle... Imaginez que je m'entretiens avec un conseil d'administration et qu'il me demande: « Est-ce que nous respectons toutes les lois du Canada? » Puis-je répondre à cette question en toute confiance, étant donné la façon dont la loi est formulée? Il est tout à fait possible qu'un terroriste en puissance, dans trois ans, après avoir été traité par une équipe d'intervention d'urgence, dans un hôpital militaire de campagne que nous avons mis sur pied dans cette région, décide d'aller commettre un acte de terrorisme.
Si vous vous en tenez à la lettre de la loi, à sa signification littérale, nous pourrions être tenus responsables de cette situation. On s'appuie beaucoup sur le pouvoir de poursuite discrétionnaire, mais nous ne pensons pas que cela est compatible avec la primauté du droit. Dans notre mémoire, nous faisons valoir qu'il faut que la loi soit plus claire afin que les organismes de bienfaisance comprennent clairement ce qu'ils peuvent et ne peuvent pas faire.
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Au départ, j'ai divulgué cette information, à la fin de 2013, dans mon ouvrage intitulé
Financing the Flames, dont j'ai apporté un exemplaire pour l'offrir au comité. D'ailleurs, je crois avoir publié dans cet ouvrage une copie de la loi, la loi publique, en indiquant les montants d'argent que chaque terroriste recevait. Soulignons qu'il ne s'agit pas de combattants du djihad islamique ou de l'OLP; nous parlons de simples citoyens. Parfois, ils ont simplement besoin d'argent pour leur famille ou pour un mariage, et cela leur permet d'arriver à leurs fins.
J'ai visité quatre parlements en quatre semaines: la Chambre des communes de Londres, le Parlement européen, la Knesset et la Chambre des représentants — vous êtes le cinquième parlement que je visite — et ils n'en revenaient pas. Aux États-Unis, le sujet a suscité beaucoup de discussions. Dans le dernier projet de loi de dépense omnibus, en décembre, il y avait une disposition spécifique indiquant que toute somme versée à des terroristes serait déduite du montant global de l'aide internationale versée à l'AP. Tous les banquiers savent que le concept de la fongibilité rend impossible la réalisation de cet objectif. Quand l'Autorité palestinienne en a entendu parler — elle ne l'a jamais nié, il n'y a eu aucun démenti, on sait cela depuis des années —, elle a dit qu'elle allait créer une commission extérieure qui permettrait à l'argent d'emprunter plusieurs voies, faisant en sorte qu'il ne serait pas lié à l'AP.
J'aimerais offrir une opinion différente touchant le concept des organismes de bienfaisance. Bon nombre des organismes de bienfaisance que j'ai étudiés sont en fait enchevêtrés avec des activités terroristes ou avec des organisations qui financent des activités terroristes, pour ce qui est de la fongibilité et du soutien. Un rapport publié en 2003 par le gouvernement militaire israélien — il s'agit en fait du ministère des Affaires extérieures — dresse une liste des divers organismes de bienfaisance impliqués dans le détournement d'une bonne partie de cet argent. Et, il ne faut pas l'oublier, les organismes de bienfaisance sont maintenant transnationaux. Ce sont des organismes internationaux, supranationaux, et, dans certains cas, ils n'ont aucune allégeance à un pays quelconque, surtout dans le cas d'organismes qui, comme nous en voyons aux États-Unis, ont leur siège en Suisse. Personne ne sait d'où vient l'argent. L'argent est transféré par carte de crédit. Il existe aux États-Unis des fonds gérés par les donateurs. Vous n'avez qu'à y verser de l'argent. La solution à ce problème consiste non pas à améliorer les règlements visant les ONG — je crois que vous parlez ici d'organismes sans but lucratif — ou les banques, mais à démanteler les installations, l'institution...
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Pour répondre à votre seconde question d'abord, je crois que la réponse est oui. Et l'une des choses que nous avons observées, c'est que, dans la mesure où nos tentatives de limiter le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme donnent des résultats, il s'agit d'une menace polymorphe qui va changer très rapidement afin de s'adapter et de trouver une échappatoire.
Pour répondre à votre première question, qu'il s'agisse d'activités bancaires parallèles, de systèmes de paiement de rechange ou d'autres types d'entités non réglementées, je crois que, dans la mesure où ces systèmes présentent des caractéristiques que des criminels peuvent exploiter, cela va se faire. Très souvent, les criminels cherchent d'abord à placer l'argent, puis à le transférer à plusieurs personnes à l'étranger; par conséquent, dans la mesure où ils peuvent utiliser différents mécanismes pour transférer de l'argent ou des valeurs d'une personne à une autre, et en particulier si cela permet de brouiller la piste de la vérification, ils s'en serviront. Et, troisièmement, l'anonymat est une chose...
Peu importe le type de services financiers offerts, nous adoptons une approche fondée sur le risque et devons explorer ces types de vulnérabilités en cherchant à savoir comment elles peuvent être exploitées.
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Mais il est de plus en plus facile d'obtenir du crédit, de transférer de l'argent et d'utiliser tous les services associés depuis toujours aux banques, même si on n'est pas client d'une banque, et c'est vrai au Canada et, en particulier, dans les économies émergentes des pays en développement, où la croissance des services bancaires mobiles et des services bancaires fondés sur la technologie s'est faite complètement en l'absence de tout cadre réglementaire.
Avez-vous des idées quant à la façon dont nous pourrions, en tant que pays et membre d'un cadre multilatéral, nous attaquer à ce problème?
J'aimerais bien savoir, monsieur Carter et monsieur Schwisberg, si vous avez aussi quelques réflexions à formuler à ce sujet, car il me semble vraiment que c'est quelque chose dont nous devrions nous préoccuper. Je suis d'accord avec le Comité sénatorial des banques, qui a fait état, dans son rapport de 2013, de problèmes au chapitre de l'échange d'information entre les intervenants du système bancaire et l'Agence du revenu du Canada.
Nous avons même entendu des témoins dire plus tôt que certains problèmes affectent l'échange de données entre l'Agence du revenu du Canada et le CANAFE. Y a-t-il des pays qui en font peut-être plus sur le plan de la technologie? Comment pourrions-nous participer à leurs initiatives ou les appuyer?
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Si vous me le permettez, j'aimerais parler de deux choses.
Mon premier point, c'est que toutes ces technologies de rechange, très souvent, ont besoin au bout du compte de se relier au système financier légitime ou classique, d'une façon ou d'une autre. À certains égards, si vous pouvez mettre en place des mécanismes de protection à ces points d'entrée, ce sera utile. L'une des choses que les nouvelles lois, ou les nouveaux règlements, envisagent, c'est la possibilité de demander aux institutions financières de déterminer à quel endroit les entreprises de services financiers étrangères sont enregistrées au Canada.
Mon autre point, cependant, c'est que tout cela se déroule dans un monde qui évolue constamment. Nous devons envisager le système financier dans sa globalité et réfléchir aux moyens d'assurer la sécurité de tous ses aspects.
Merci à tous nos témoins. Tout cela est très intéressant. Je vous remercie de nous consacrer un peu de votre temps ce matin.
J'aimerais revenir sur vos commentaires, messieurs King et Donovan. Vous avez tous les deux parlé du CANAFE, vous avez une expérience particulière du CANAFE, et vous avez tous deux dit que, même si nous investissons bien l'argent des contribuables, nous pourrions faire mieux.
J'aimerais beaucoup que vous nous expliquiez les étapes d'une transaction des deux côtés. C'est la comptable en moi qui s'exprime, qui veut voir les deux côtés de la chose. D'un côté, il y a le CANAFE qui vous alerte et les améliorations possibles que l'on pourrait cerner. Mais nous ferions peut-être mieux de commencer par l'autre côté, celui où vous alertez le CANAFE. Au regard de cette transaction, comment pourrions-nous utiliser de façon plus efficace et plus efficiente les ressources des contribuables pour défendre l'intérêt supérieur de l'ensemble des Canadiens?
Je vais vous laisser tous les deux décider par vous-mêmes de quelle façon vous voulez répondre à la question. Il est évident que vous avez l'expérience de cette situation, vous en avez tous les deux parlé dans votre déclaration préliminaire.
Je commencerais peut-être par un exemple; supposons que nous observons une activité inhabituelle ou suspecte dans un compte bancaire donné. Les renseignements reçus concerneraient peut-être de l'argent provenant d'autres institutions du Canada ou envoyé à l'étranger. Il pourrait s'agir par exemple de transactions où interviennent un certain nombre de filiales du Groupe Banque TD, disons, ou d'affiliés d'une autre grande banque.
Nous allons évaluer l'information. Si nous remontons la filière et que nous avons des motifs raisonnables de soupçonner que les transactions en question pourraient avoir un lien avec le blanchiment d'argent, nous devons les signaler au CANAFE, qui va examiner l'information à la lumière de sa base de données contenant des renseignements et des signalements qu'il reçoit des autres institutions, des autres entités qui lui présentent des rapports. Le CANAFE suit les processus visant à déterminer s'il a des motifs raisonnables d'avoir des soupçons et, en se fondant sur les autres renseignements qu'il pourrait avoir en sa possession, il porte à l'attention des organismes d'application de la loi les cas où un certain seuil de certitude est atteint.
Un certain nombre de parties interviennent dans ce processus. Quand nous transmettons des informations, comme M. Cullen l'a dit plus tôt, nous n'avons pas une rétroaction directe. En fait, la loi interdit au CANAFE de nous transmettre quelque information que ce soit. Elle ne lui permet de transmettre ces informations aux forces de l'ordre que lorsque le seuil fixé est atteint. Le CANAFE joue un peu le rôle d'un gardien chargé de prévenir l'utilisation abusive de cette information.
Nous voyons toutefois un potentiel, en ce qui concerne l'exemple que je vous ai donné, dans lequel, dans mon cas, je constatais que de l'argent arrivait d'une institution et allait vers une autre institution. Je ne suis pas autorisé à poser des questions à cette autre institution, ou à l'institution à laquelle ma banque envoie de l'argent, et de lui faire savoir que — en passant — nous avons des soupçons.
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Merci, monsieur le président.
Cela fait quelques semaines que nous réfléchissons au financement du terrorisme au Canada et à l'étranger et du Canada vers l'étranger. Je suis en train de me faire une petite idée de la façon que cela fonctionne.
La majorité des intervenants provenant d'institutions, par exemple les banques, l'Agence du revenu du Canada, le CANAFE ou la GRC, parlent de la nécessité d'augmenter le partage d'information. Il y a beaucoup d'informations. Depuis janvier, les banques sont obligées de déclarer au CANAFE tous les télévirements de 10 000 $ et plus. Le CANAFE devra traiter cette année plus de 10 millions de ces informations. C'est beaucoup d'informations.
Ce que j'ai appris ici, c'est qu'en réalité, le financement du terrorisme du Canada vers l'étranger se fait par de petits montants d'argent qui ne sont pas couverts par ces déclarations. Il peut s'agir d'une personne qui vend son auto et qui envoie cet argent à son frère dans un pays quelconque. Une fois là-bas, on ne sait pas si cet argent servira ou non à financer des activités terroristes. Il peut aussi s'agir de quelqu'un dont la mère est au Moyen-Orient à qui il envoie 800 $ ou 500 $ par mois. Cette personne à l'autre bout utilise peut-être cet argent pour se nourrir ou elle le transfère peut-être à des organisations terroristes. Le problème, c'est que la nature des informations dont on dispose présentement ne cerne pas vraiment ce qui se passe en réalité.
Je veux revenir à M. King, qui demande à être informé en temps réel. D'après ce que j'ai entendu jusqu'à présent, on n'a pas l'impression que ce sont des gros montants qui partent du Canada vers l'étranger. Même si c'était le cas, parmi les 10 millions de télévirements qui sont faits, comment peut-on distinguer le bon grain de l'ivraie?
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Merci, monsieur le président.
Je souhaite le bonjour aux témoins et je les remercie d'être venus.
Comme vous le savez, c'est le ministre des Finances, M. Oliver, qui nous a demandé par lettre d'étudier cette grave question, le financement du terrorisme et ses implications, pas juste localement, mais à l'échelle du Canada et du monde.
Ma première question s'adresserait à M. King qui a, je crois, déjà habité dans la région de l'Okanagan. Ce n'est pas très loin de chez moi, je suis heureux de rencontrer un autre Britanno-Colombien.
Dans votre déclaration préliminaire, vous avez comparé le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes, vous en avez donné des descriptions différentes. J'aimerais clarifier la question, en revenant sur les commentaires de ma collègue, Mme Bateman. Pensez-vous que ce sont des activités qui s'excluent l'une l'autre?
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Je vais vous répondre du point de vue de la Banque TD. Pour faire suite à ce que j'ai mentionné durant mon exposé à propos de la responsabilité de détecter et de dissuader, je vous dirai que la mise en place d'une foule de procédures et de processus de ce genre a un effet dissuasif sur les personnes mal intentionnées et permet de les tenir à distance de notre régime financier. Nous menons également des activités de surveillance et d'évaluation des risques visant les personnes à l'intérieur du régime de façon à signaler leur présence au CANAFE et, si tout va bien, à ce que les organismes d'exécution de la loi les expulsent de notre régime et prennent à leur égard les mesures qui s'imposent.
Dans la mesure où cela impose aux banques un fardeau lié à l'observation de la loi, nous cherchons des occasions de nous assurer que la réglementation ou les directives qui nous sont imposées par le gouvernement sont compatibles, sur le plan pratique, avec les activités des banques. Nous avons des discussions à cet égard avec le ministère des Finances, le CANAFE et le BSIF. Dans la mesure où cela fonctionne, je crois que, à ce chapitre, nos relations sont très bonnes. Bien entendu, il y a toujours place à l'amélioration, et nous continuons de tenir des discussions là-dessus.
Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il s'agit là d'une préoccupation excessivement pénible pour nous, mais nous sommes toujours à la recherche d'occasions de nous assurer que tout cela est efficient et efficace.
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Merci, monsieur le président, et merci à vous tous d'être ici.
Notre discussion est intéressante. Comme je l'ai dit au cours de notre réunion précédente, les choses deviennent de plus en plus intéressantes à mesure que nous creusons le sujet. J'aimerais adresser quelques-unes de mes questions — et peut-être toutes mes questions — à M. Black.
Monsieur Black, je vais avoir 60 ans cette année. Je croyais que, à mesure que je prendrais de l'âge, je comprendrais de mieux en mieux les choses, mais je constate que c'est le contraire qui se produit. Bien souvent, nous découvrons que ce que nous prenions pour la réalité n'était en fait qu'une illusion. Je crois que vous comprenez ce que je veux dire. Quelques-unes des choses que vous avez mentionnées sont étonnantes, mais je suppose que je ne devrais pas être surpris.
J'aimerais d'abord que vous me disiez si le Canada participe à tout cela — probablement par l'entremise des Nations unies — de la même façon que les États-Unis le font. Il semble s'agir d'un problème qui concerne les Américains. Je ne veux pas formuler de critique à l'endroit de M. Schwisberg, mais je crois que, à un moment donné, une bonne partie de cela était fondée sur de bonnes intentions. Nous pensions être en mesure d'atténuer un peu la misère au Moyen-Orient, et des gens bien intentionnés ont exercé des pressions sur leur législateur afin que des millions — et probablement des milliards — de dollars soient envoyés là-bas, mais nous nous sommes fait berner.
J'aimerais que vous disiez au comité si le gouvernement du Canada participe aussi à cela.
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Tout d'abord, les États-Unis ne sont pas les seuls à participer à cela — l'Europe et des organismes de bienfaisance du monde entier jouent également un rôle à ce chapitre. Le système d'acheminement des fonds qu'utilisent les organismes de bienfaisance est complexe. Un premier organisme transmet des fonds à un second, lequel les envoie à un troisième organisme, qui se charge de les acheminer vers des organismes et des activités sans vocation de bienfaisance. Par exemple, si des fonds étaient transmis par un organisme A à un organisme B, ils pourraient aboutir dans les coffres d'un organisme comme l'Union of Good, dirigé par le Cheikh Qaradawi. Il s'agit du principal organisme de bienfaisance du Hamas. Les fonds sont donc envoyés là.
Et puis, il y a le ministère des Affaires sociales de l'Autorité palestinienne. Tout le monde ici parle de criminels, mais il ne s'agit pas du mot juste. Il faut parler non pas des criminels, mais des politiciens. On cherche la petite bête... L'un de mes collègues ici présents a évoqué un montant de 150 $. Ce n'est pas de sommes de cet ordre qu'il est question. Le ministère des Affaires sociales, qui a des relations avec tous ces organismes de bienfaisance, a mené une vérification interne qui a révélé qu'ils avaient financé à 13 351 occasions des activités terroristes menées à l'extérieur de la Palestine, un peu partout dans le monde — de Tokyo à Toronto. Ces sommes totalisent environ 20 millions de dollars. On peut créer une infrastructure complexe pour surveiller les transactions de 1 000 $ ou de 10 000 $, mais il s'agit là de vétilles. Ce qui importe, ce sont les 450 millions de dollars que les États-Unis versent chaque année. Quant au Canada, il verse plus de 66 millions de dollars par l'entremise d'une multitude d'organismes, d'organisations non gouvernementales ou des Nations unies. Bien entendu, les Nations unies soutiennent massivement le terrorisme, surtout par le truchement de l'UNRRA. Ces éléments sont étroitement liés.
Je suis heureux que vous disposiez d'une infrastructure perfectionnée vous permettant d'identifier ceux qui envoient des sommes de 150 $, mais si vous voulez véritablement aller au coeur de ce financement, vous devez vous rendre à Bruxelles, à Washington et dans d'autres capitales, où les contribuables et leurs représentants ignorent qu'ils versent chaque jour des millions de dollars à des organisations terroristes.
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J'avancerais que les organismes de bienfaisance participent indirectement au financement du terrorisme. Ils sont interactifs. Comme ils collaborent tous avec le ministère des Affaires sociales et d'autres organismes des Nations unies, il est très courant qu'une personne de l'intérieur, surtout des membres du Hamas, recommande l'inscription d'une personne sur une feuille de paie. On compte quelque 80 000 employés fantômes. C'est de cette façon que les choses se passent.
Ces prisonniers et ces terroristes qui touchent une allocation mensuelle se voient tous attribuer un titre de fonction au sein du gouvernement, par exemple celui de greffier, de sous-secrétaire ou de caporal.
Ainsi, lorsque vous recevez à Ottawa un rapport qui indique que vous financez une organisation dont les membres occupent tel ou tel emploi de bureau, vous devez savoir qu'il s'agit là de personnes qui ont tranché la gorge de petits enfants et qui ont été reconnues coupables de terrorisme. Tout le monde sait cela.
Je ne suis pas en train de vous révéler un rare secret qui m'a été confié par une personne dans un café. Ces informations sont tirées de documents publiés par l'Autorité palestinienne. Ainsi, vous pouvez continuer à consacrer votre temps à tenter de retracer des transactions de 150 $, mais le plus important, ce sont les 450 millions de dollars qui sont versés à l'ensemble des organisations de l'Autorité palestinienne et de l'organisme de soutien des martyrs, lequel finance à l'échelle mondiale ces activités terroristes.
Je serai heureux de vous en dire davantage après la réunion.
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Je ne peux pas vous fournir de précision en ce qui concerne le Canada, vu que je n'ai disposé que de deux ou trois jours pour me préparer après avoir reçu l'invitation du comité, mais je peux vous dire que quelques-unes des organisations qui reçoivent du financement, par exemple le New Israel Fund des États-Unis, lequel dispose d'un bureau au Canada et aussi d'un bureau en Suisse — je ne sais pas exactement pourquoi un organisme de bienfaisance américain menant des activités en Israël a besoin d'un bureau en Suisse —, de même que d'autres organisations comme Adalah et B'Tselem, reçoivent également des fonds de la Welfare Association de la banque islamique et du NGO Development Fund, lesquels sont gérés par l'Iran, l'Arabie saoudite et d'autres pays de cette région. Qu'est-ce que ces organisations ont en commun avec l'Iran et des organismes de bienfaisance?
J'ai mené une enquête qui a débouché sur un rapport, Funding Hate. Mon enquête portait sur la Fondation Ford, et elle a mené cette organisation à mettre fin à ses activités de financement des ONG racistes. Dans le cadre de ce travail, j'ai découvert que cette fondation versait des millions et des millions de dollars à des organisations qui soutenaient des groupes antisémites et terroristes ayant participé à la conférence de Durban, en Afrique du Sud. En fin de compte, la fondation a dû établir des règles selon lesquelles aucun de ses bénéficiaires ne pouvait permettre que ses fonds puissent, d'une façon ou d'une autre, financer des terroristes.
Ainsi, je le répète, il est impossible pour les banques de suivre à la trace les fonds qui passent d'un organisme à un autre. Il peut s'agir d'organismes non gouvernementaux ou d'organismes établis en vertu du paragraphe 501c)(3), lesquels constituent, aux États-Unis, des organismes de bienfaisance. Que se passe-t-il sur le terrain lorsque ces organismes financent des gens qui vont commettre des attentats suicides loin de chez eux, lorsqu'ils prennent en charge des familles et qu'ils inscrivent des gens sur la feuille de paie? On doit examiner les causes profondes du problème et l'infrastructure. Le responsable de la paie, la banque centrale qui gère toutes ces sommes — les petits montants provenant du Canada et les sommes astronomiques provenant du Qatar, de l'Union européenne et des États-Unis — est l'Autorité palestinienne, et elle ne le nie pas. Elle possède ses lois, qui sont connues et qu'elle défend, et elle affirme être dans son bon droit.
Tous les chiffres que je mentionne — ces 20 millions de dollars et ces 13 000 bénéficiaires — sont tirés de documents internes. Les gens disaient qu'il s'agissait de fonds de bienfaisance, mais récemment, ils ont déclaré: « N'insultez pas nos guerriers. Il ne s'agit pas de dons de bienfaisance. Il s'agit de leurs salaires. » Ils ont utilisé le mot arabe ratib, qui signifie « salaire ».
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Si vous jetez un coup d'oeil aux lignes directrices du GAFI, du Trésor américain ou de la Charity Commission of England and Wales, vous constaterez qu'elles sont beaucoup plus exhaustives.
Le document dont nous parlons est constitué d'une très courte liste qui ne rend pas compte de la nature complexe des dispositions législatives antiterroristes. L'une des questions contenues dans la liste est la suivante: connaissez-vous bien les antécédents et les affiliations de vos bénévoles? Il s'agit d'un exemple de question. Comment doit-on s'y prendre pour faire cela? Quelles mesures concrètes doit-on prendre à cette fin? Savez-vous qui utilise vos installations, votre bureau, votre téléphone et votre télécopieur? Savez-vous ce que communiquent les gens qui les utilisent? Comment est-il possible, d'un point de vue pratique, de créer un cadre de référence valable sur le fondement de telles questions?
Nous avons élaboré à l'intention de nos clients une politique substantielle — elle tient sur quelque 27 pages — afin de tenter de mettre cela en contexte. Une mesure beaucoup plus efficace que pourrait prendre l'ARC consisterait à collaborer avec le secteur caritatif en vue de mettre au point un document pratique qui serait constitué non pas de questions, mais plutôt de recommandations relatives aux mesures à prendre, à l'instar de ce qu'a fait, à l'échelle internationale, le GAFI, ou de ce qu'ont fait des organismes aux États-Unis, en Angleterre et au Pays de Galles.
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Chers membres du comité, je vous demanderais de regagner vos places. Nous allons reprendre nos travaux. Nous avons quelques minutes de retard.
J'aimerais souhaiter la bienvenue aux témoins qui sont ici, à Ottawa, de même qu'à ceux qui participeront à la réunion par vidéoconférence depuis Londres et Milan.
D'abord et avant tout, je dois présenter des excuses aux témoins. Il semble qu'on se prépare à tenir quelques votes à la Chambre des communes, mais le comité a décidé que quelques-uns de ses membres demeureraient ici et que d'autres iraient participer au vote à la Chambre. Cela nous permettra d'éviter d'interrompre la réunion et de perdre un temps précieux. Nous allons entendre le plus grand nombre possible de témoignages, de questions et de réponses.
Commençons par les témoins qui sont présents à Ottawa. Ils disposent d'un maximum de cinq minutes. Nous entendrons ensuite les témoins qui s'adresseront à nous par vidéoconférence.
Vous pourriez peut-être ouvrir le bal, monsieur Hunter.
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Merci, monsieur le président. Je vous sais gré de m'avoir invité à me présenter ici aujourd'hui.
Je dois avouer que j'ai été un peu surpris de recevoir votre invitation, vu que, contrairement aux autres invités, je ne suis pas spécialiste des questions liées au terrorisme ou au financement du terrorisme. Je suppose qu'on m'a invité ici parce que je possède quelques connaissances à propos de la loi en question. De fait, j'ai agi comme conseiller juridique de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada au moment où elle a contesté des dispositions de la loi en raison de leurs répercussions sur les avocats.
J'ai rédigé un mémoire à votre intention. J'espère que vous l'avez sous les yeux. Il donne un aperçu du litige qui a eu lieu. Ce litige, qui s'est étendu sur 15 ans, a été tranché il y a de cela deux ou trois mois par la Cour suprême du Canada, qui a déclaré inopérantes certaines dispositions de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, et donné une interprétation atténuée de certaines autres.
Je me suis dit qu'il serait peut-être utile pour vous — et j'espère que ce sera le cas — que je vous explique brièvement ce litige et ses origines, de manière à ce qu'on puisse éviter que cela se répète dans l'avenir.
Il est évidemment tentant d'essayer d'adopter des dispositions législatives qui obligeront les avocats à obtenir de leurs clients des renseignements pouvant être utilisés pour lutter contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes. Toutefois, bien entendu, cela contrevient à quelques principes constitutionnels en vigueur au pays, notamment le principe — qualifié de principe de justice fondamentale — du secret professionnel de l'avocat, le principe de l'accès des avocats aux renseignements détenus par leurs clients et la protection de la confidentialité de ces renseignements, de même que le principe selon lequel — comme la Cour suprême l'a mentionné il y a quelques mois dans le cadre de son jugement — un État ne doit pas porter atteinte au devoir des avocats de se dévouer à la cause de leurs clients. En d'autres termes, un avocat a un devoir à l'égard de son client; il s'agit d'un devoir absolu assujetti à des principes d'éthique et auquel l'État ne doit pas porter atteinte.
L'autre problème que pose le texte législatif est lié à ses dispositions en matière de perquisition et de saisie, lesquelles autorisaient les perquisitions sans mandat. Bien honnêtement, les tribunaux n'autoriseront jamais qu'un cabinet d'avocats en soit la cible.
À mes yeux, il y a deux ou trois leçons à tirer de ce litige. Si vous envisagez de promulguer de nouvelles dispositions législatives relatives au financement des activités terroristes, je vous enjoins de faire preuve de prudence au moment de prendre des mesures afin d'obliger les avocats à participer à la lutte contre ce financement au détriment de leurs clients. La profession juridique est très sensible sur ces questions, et les tribunaux se sont eux aussi montrés très protecteurs à l'égard de la confidentialité des renseignements fournis par les clients. Il s'agit là de principes importants de notre structure constitutionnelle, et il me semble que les tribunaux ont assez régulièrement rappelé qu'ils allaient protéger la confidentialité de ces renseignements. Les avocats ont un rôle à jouer au chapitre de l'administration de la justice, et tout cela est compatible avec ce rôle.
J'avancerais que ce processus fait également passer le message selon lequel les barreaux peuvent jouer un rôle dans tout cela. Les barreaux — et j'utilise ce terme dans un sens général pour désigner tous les organismes de réglementation juridique provinciaux et territoriaux du Canada — possèdent le pouvoir d'instaurer des règles. Comme il est mentionné dans le mémoire, les barreaux ont redoublé d'efforts au cours des 10 ou 15 dernières années en adoptant des règles visant à réduire au minimum la possibilité que des avocats se fassent duper par leurs clients, par exemple en interdisant aux avocats de recevoir de grosses sommes d'argent que leurs clients pourraient leur remettre à des fins de blanchiment ou d'autres fins de cette nature.
Les barreaux pourraient très bien jouer un rôle de collaboration si vous en arrivez à la conclusion que les avocats pourraient prendre des mesures supplémentaires pour s'assurer que leurs clients ne les utilisent pas à leur insu en leur faisant prendre part à des activités auxquelles ils ne devraient pas se livrer.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Chers membres du comité, au regard des recherches que j'ai menées et que je continue de mener en Europe et au Canada sur la lutte contre le financement du terrorisme, j'aimerais mettre à profit les quelques minutes qui me sont accordées pour aborder un point de tension qui structure la lutte contre le financement du terrorisme.
Comme vous le savez, la lutte contre le financement du terrorisme — l'aspect financier du contre-terrorisme — a été promu en étant articulé autour de deux stratégies officiellement complémentaires.
Une première stratégie vise à désigner publiquement des personnes ou des entités suspectées d'activités, ou de soutien des activités, de financement du terrorisme, et ce, afin de geler leurs avoirs financiers, leurs comptes bancaires, en espérant, par ce fait, diminuer les ressources de groupes considérés comme terroristes et que cela puisse réduire leur capacité d'action.
Ce postulat stratégique mériterait d'être discuté et peut-être fortement nuancé. Je me tiens à votre disposition pendant la période de questions pour pointer les controverses et les difficultés liées à la mise en oeuvre concrète et pratique de cette stratégie.
La deuxième stratégie considère, ou vise davantage à voir, l'argent et la piste financière comme une source d'information. L'objectif final de cette deuxième stratégie n'est pas tant de geler les flux financiers, mais plutôt de les suivre afin de produire du renseignement financier sur des individus ou des relations financières entre individus.
Je souhaite véritablement insister sur cette deuxième stratégie qui conjugue la finance et la sécurité. Autrement dit, les pratiques de surveillance et de renseignement financier sont, en quelque sorte, le point de rencontre entre des acteurs très différents qui, il y a encore quelques années, n'avaient pas du tout l'habitude de coopérer ou même de parler ensemble. Cela veut dire que d'un côté, il y a des acteurs issus du monde économique et financier — à commencer évidemment par les acteurs bancaires — et de l'autre côté, il y a des acteurs issus du monde de la sécurité et du renseignement, à commencer par la cellule de renseignement financier, le CANAFE, au Canada et des agences d'application de la loi et des services de renseignement.
Une telle coopération existe. Elle produit des effets, mais à mon sens elle renvoie à un point de tension, ou un équilibre de tension, voire un malentendu qui se cristallise complètement dans une notion, celle du risque. En effet, la lutte contre le financement du terrorisme et du blanchiment d'argent est fondée sur une approche basée sur le risque et la gestion du risque. L'ensemble des acteurs que j'ai mentionnés partagent cette terminologie et pratiquent le langage du risque. Cependant, cela ne reflète pas forcément le partage d'une représentation commune du risque à gérer.
Autrement dit, si je puis m'exprimer ainsi, les acteurs s'accordent sur l'utilisation du même mot, qui est la notion de risque, mais ils ne parlent pas forcément de la même chose. Selon la mission qui leur est confiée, les agents de police et de renseignement, quand ils évoquent la notion de risque de financement du terrorisme, parlent avant tout de risque de violence ou d'attentat pour la société et la population.
En revanche, les agents de conformité des banques, quand ils évoquent la notion de risque de financement du terrorisme, parlent avant tout de risque pour leur réputation financière et juridique pour eux-mêmes, leur employeur et pour leur institution. C'est ainsi que les uns parlent de risques sociétaux alors que les autres ont davantage en tête des risques institutionnels.
En quelque sorte, il y a une convergence entre les deux. Il y a une coopération, mais elle se fait au prix d'un malentendu, ou à tout le moins, d'une divergence d'interprétation sur ce que représente cette idée de risque de financement du terrorisme.
On pourrait penser et faire l'hypothèse que ces deux conceptions du risque peuvent aller dans le même sens, converger et se superposer. Cependant, les études empiriques que nous avons pu faire sur ces enjeux montrent plutôt l'inverse: les agents de conformité, dans les banques notamment, agissent dans un contexte de défense organisationnelle, de défense de leur institution. Dans ce cadre, énormément d'agents de conformité ont tendance à effectuer ce qu'il convient d'appeler des déclarations de complaisance ou défensives. Cela signifie qu'ils vont avoir tendance à transformer le moindre doute en soupçon suffisant pour déclarer et signaler toute transaction inhabituelle.
Au nom d'une aversion au risque institutionnel, ils préfèrent déclarer la transaction, au risque de mal le faire et de la déclarer de façon abusive aux autorités compétentes, notamment à la cellule de renseignements financiers. Cela risque, finalement, de produire davantage de bruit informationnel que de renseignements financiers utiles. Certes, cette gestion du risque institutionnel peut être utile pour protéger les institutions financières. De là à savoir si c'est productif ou non pour gérer le risque de financement du terrorisme pour la société, c'est une question qui demeure ouverte.
Le débat se pose donc là, autour de ce malentendu, autour de la notion de risque et de cette coopération fondée sur ce malentendu à l'égard de ce que doit être la lutte contre le financement du terrorisme.
En conclusion, on pourrait dire que cette coopération, cette lutte contre le financement du terrorisme est effective au sens où elle produit des effets; il y a une coopération quotidienne. Par contre, de là à savoir si cette coopération, au-delà d'être effective, est efficace, c'est une question qui soulève débat et qui demeure ouverte encore aujourd'hui.
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Je pense que nous devrions analyser ce qui s'est passé avec le groupe État islamique, qui a mis au point un nouveau modèle de financement des activités terroristes. À mes yeux, le plus grand risque que pose ce modèle tient au fait que d'autres organisations en adopteront un semblable et qu'il se propagera d'un pays à l'autre. Les éléments les plus importants sont les suivants: le contrôle du territoire dans les régions dotées de ressources stratégiques et où sévissent les fléaux de la guerre et de l'anarchie politique; l'élaboration, de concert avec la population locale, d'initiatives visant à établir un consensus, mais également à optimiser les recettes; et enfin, la création d'une structure fiscale grâce à laquelle le groupe État islamique peut prélever auprès de la population un impôt lié à l'utilisation des infrastructures et des services — par exemple l'électricité et l'approvisionnement d'eau —, mais également à l'accès au système judiciaire.
Il s'agit là d'un régime qu'il est très difficile de changer en ce qui a trait au financement des activités terroristes, vu qu'il est totalement autofinancé. Sur le plan structurel, il s'agit d'une économie fermée qui ne fait pas affaire avec le reste du monde. Aucuns fonds ne transigent par le régime bancaire islamique ou le régime bancaire conventionnel. Tout se passe à l'échelle locale. Bien souvent, la population des régions avoisinantes avec lesquelles le groupe État islamique mène la plupart de ses activités de contrebande et d'échanges commerciaux, n'a d'autre choix que de collaborer. Ces populations ne font pas partie de ce groupe, mais elles sont, dans une certaine mesure, déterminées par ses activités. L'unique façon d'intervenir dans ce nouveau modèle de financement du terrorisme consiste à verser depuis un pays occidental de petits dons qu'il est toujours possible de faire. En règle générale, ceux qui le font sont des amis ou des membres de la famille de djihadistes qui ont rejoint les rangs du groupe État islamique, ou même des épouses de djihadistes.
Il s'agit là d'une certaine forme de microfinancement. Les virements d'argent sont effectués par l'entremise du système bancaire parallèle, de Western Union, d'un système hawala ou d'amis qui se rendent dans les pays avoisinants. Les montants virés sont toujours très petits. Il s'agit de montants inférieurs à 500 $. L'argent électronique constitue un autre moyen de financement. Le Hamas y a eu recours dans le passé. Il est très difficile d'exercer une surveillance sur les transactions de ce genre, vu que, chaque jour, un très grand nombre d'entre elles sont conclues partout dans le monde. Il est fréquent que des collectivités parviennent à subvenir à leurs besoins grâce à l'argent qui leur est envoyé par des membres de la diaspora de leur propre pays au moyen de ce type de transaction.
Pour terminer, je vais formuler deux recommandations.
La première est la suivante: nous devons absolument empêcher que le modèle du groupe État islamique fasse recette, car si cela se produit, il deviendra le modèle du 21e siècle. À cette fin, il est inutile de déclencher une guerre ou une intervention militaire, vu que, comme on l'a constaté, nous avons affaire à un modèle qui s'épanouit dans ce genre d'environnement. Il serait beaucoup plus efficace d'offrir un choix ou une solution de rechange aux collectivités dont l'économie est imbriquée dans celle du groupe État islamique, par exemple celles qui font des échanges commerciaux ou celles des pays limitrophes. Bien entendu, cela passe par une pacification de ces régions. Tant que nous sommes en guerre et tant que l'anarchie politique règne, il y a très peu de choses que nous puissions faire à cet égard.
Ma deuxième recommandation est la suivante: il faut passer au crible ces transactions de microfinancement. À cette fin, on doit établir des profils. Une multitude de personnes envoient régulièrement de l'argent aux membres de leur famille et à leurs amis. Grâce à des activités d'établissement de profils, nous pourrons créer une base de données qui nous aidera à déceler les cas de personnes qui transmettent de l'argent non pas pour des raisons familiales, mais plutôt pour financer des djihadistes ou des personnes qui deviennent membres du groupe État islamique ou d'une autre organisation.
Merci.
Bonjour à tous. Je suis enchanté de l'occasion qui m'est offerte.
Je m'appelle Tom Keatinge, je suis directeur du Centre for Financial Crime and Security Studies du Royal United Services Institute, centre d'études sur la défense et la sécurité dont le siège se situe à Londres. Avant cela, j'ai été banquier en investissement chez J.P. Morgan pendant 20 ans.
Le centre se consacre à la recherche sur les finances et la sécurité, et plus particulièrement sur les deux thèmes suivants: les politiques relatives aux crimes financiers, par exemple, celles visant l'établissement de liens entre les gouvernements et les banques du secteur privé pour combattre le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes, ce qui englobe l'amélioration de l'échange de l'information; puis les questions d'actualité, par exemple le financement de l'EIIS, le rôle du renseignement financier au chapitre de l'identification des combattants étrangers en provenance du Royaume-Uni et d'autres sujets du genre.
Le financement des activités terroristes de l'EIIS est devenu un sujet couramment abordé. Comme on l'a mentionné, l'EIIS dispose d'un certain nombre de sources de financement, notamment l'impôt, l'extorsion, le pétrole et le vol d'antiquités. Il s'agit véritablement d'un sujet d'actualité, mais bien entendu, il ne s'agit pas d'un phénomène nouveau; il remonte à de nombreuses années. Immédiatement après les attentats du 11 septembre, le premier coup que le président Bush a porté contre Al-Qaïda dans le cadre de sa guerre contre le terrorisme a été d'annoncer qu'il s'attaquerait aux fondements financiers du réseau terroriste mondial. Au Royaume-Uni, bien avant cela, bien entendu, l'IRA provisoire avait établi des modèles de financement impressionnants.
Les groupes qui ne veulent plus s'en tenir à une existence au jour le jour et souhaitent passer à un modèle mieux organisé ont besoin de fonds pour atteindre leurs objectifs. Le financement est le moteur des groupes terroristes, mais il représente aussi l'un de leurs points les plus vulnérables. Il en coûte peu pour mener une simple attaque, mais il faut de l'argent pour mettre en place et entretenir une infrastructure et instaurer un climat favorable.
Comme vous le savez certainement, la politique mondiale de lutte contre le financement des activités terroristes est de nature multilatérale, et elle repose sur les recommandations du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux, une série de résolutions connexes du Conseil de sécurité des Nations Unies — par exemple les résolutions 1267 et 1373 — et les diverses résolutions touchant le financement de l'EIIS adoptées au cours des 12 derniers mois.
En général, les groupes de terroristes peuvent puiser des fonds de deux grandes sources, soit les sources internes et les sources externes. Le financement interne a lieu aux endroits où un groupe contrôle un territoire et la population qui s'y trouve. Les fonds proviennent de l'imposition de taxes qui touche les entreprises, les particuliers, les transports et les routes des contrebandiers, de même que du commerce. Comme on l'a mentionné, l'EIIS est passé maître dans cet art.
Les fonds peuvent aussi provenir de sources externes, par exemple de donateurs — par exemple de riches partisans comme ceux de pays du Golfe —, de membres de la diaspora ou de simples particuliers motivés à appuyer une cause donnée.
De toute évidence, il est beaucoup plus facile d'endiguer l'afflux de capitaux provenant de sources externes que de perturber le financement de sources internes. Cependant, il peut être difficile de perturber les activités de financement externes si la communauté internationale n'unit pas ses efforts. Il suffit de constater à quel point l'industrie du charbon continue de financer al-Chabab malgré les condamnations de la communauté internationale et les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. L'enlèvement contre rançon est une autre source externe de financement que la communauté internationale n'a pas réussi à endiguer en raison d'un manque de coordination.
Pour bien s'établir, survivre et prospérer, les groupes terroristes ont besoin de mettre en place des sources fiables de financement en fonction du territoire où ils sont actifs et de la population et des ressources qui s'y trouvent. Al-Qaïda en Irak s'était rendu compte de l'importance capitale du financement. Un document déclassifié sur les « leçons apprises » saisi à la suite de l'invasion de l'Irak en 2003 révèle que le groupe estime qu'une mauvaise gestion financière et l'irrégularité de ses revenus étaient des facteurs importants ayant contribué à sa défaite.
Cela dit, les rapports remettent régulièrement en question l'efficacité des efforts de lutte contre le financement des activités terroristes. Les donateurs acheminent davantage de fonds en Syrie; on continue de payer des rançons; les échanges commerciaux liés, par exemple, au pétrole, aux stupéfiants et au charbon, continuent de financer les activités de groupes terroristes; et, malgré les analyses menées par le GAFI et d'autres organismes multilatéraux, les cadres de lutte contre le financement des activités terroristes de bien des pays ne répondent pas aux attentes. On peut déduire de la prolifération des groupes terroristes que ces groupes s'adaptent et profitent de ce que Oussama ben Laden appelait les « failles du système financier occidental ».
L'architecture nationale et internationale de lutte contre le financement des activités terroristes doit donc être constamment réévaluée. Contrairement au risque relativement stable que représente le blanchiment d'argent, le risque que fait peser le financement des activités terroristes varie et évolue en fonction des événements géopolitiques. Il n'y a pas si longtemps, les entreprises et les banques investissaient des sommes importantes en Turquie et en Libye, mais aujourd'hui, ces investissements les font peut-être participer au financement d'activités terroristes.
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Eh bien, si j'ai dit qu'une intervention militaire ne donnerait pas de bons résultats, c'est que le modèle de financement des activités terroristes que le groupe État islamique a créé est fondé sur la guerre, en l'occurrence une guerre civile, qui a dégénéré en une guerre par factions interposées. Dans de telles circonstances, il est très facile pour une organisation comme le groupe État islamique de chercher de très bons commanditaires, mais aussi d'utiliser leur argent, et plutôt que de participer à la guerre par factions interposées, de prendre le contrôle d'enclaves dont j'ai parlé plus tôt — et où se trouvent les ressources stratégiques — et de créer ensuite son propre État.
À l'heure actuelle, ces enclaves font du commerce — évidemment illégal, puisqu'il s'agit de contrebande — avec les régions avoisinantes, lesquelles ne relèvent pas nécessairement du groupe État islamique, mais qui demeurent en proie à la guerre et à l'anarchie politique. Le pétrole est l'un des nombreux produits faisant l'objet d'une contrebande. Les produits agricoles représentent une autre marchandise stratégique régulièrement vendue aux régions limitrophes. Bien souvent, aucune autre option ne s'offre à ces régions. C'est évidemment le cas de la Syrie; si l'on n'achète pas d'électricité et de pétrole du groupe État islamique, on n'a rien du tout.
Une stratégie plus efficace consisterait à pacifier ces régions afin d'encercler le groupe État islamique. Plutôt que d'agir de l'intérieur, il faudrait s'attaquer à sa structure financière fondée sur le commerce illégal en améliorant la situation économique de la région. Bien sûr, cela exige une solution politique à l'échelle internationale. Le groupe État islamique est particulièrement puissant dans le nord de la Syrie, et, bien entendu, cette région fait du commerce avec le sud.
À mon avis, si nous persistons à mener des interventions militaires, nous ne ferons que renforcer ce modèle, qui est issu des interventions militaires et de la guerre. Cela ne ferait que renforcer le groupe État islamique. Il prendra de l'expansion, comme cela est en train de se produire. Nous avons bombardé le nord de l'Irak. Nous avons réussi à reconquérir des positions stratégiques, et le groupe s'est déplacé vers le sud. Ainsi, les frontières évoluent elles aussi. Elles le font notamment en fonction des ressources stratégiques dont l'État a besoin pour se maintenir.
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Merci, monsieur le président. Je remercie les témoins d'être ici aujourd'hui.
Madame Napoleoni, j'aimerais poursuivre dans le même ordre d'idées, car j'essaie de comprendre votre position à l'égard de l'intervention militaire.
Tout d'abord, vous avez dit que l'EIIS vendait du pétrole — sur le marché noir, je présume — pour financer ses activités. Il s'agit probablement de l'une de ses principales sources de financement. Vous avez également dit qu'une intervention militaire serait inutile.
Eh bien, vous êtes certainement consciente du fait que l'intervention militaire vise les champs de pétrole que le groupe utilise pour financer ses activités. Par conséquent, je tente de comprendre votre position. Vous pourriez peut-être me fournir des explications là-dessus.
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Je dois vous interrompre, car il ne me reste que peu de temps pour poser mes questions.
Je comprends votre argument, mais je crois que vous oubliez que les bombardements visent à miner la capacité de l'État islamique à vendre du pétrole et à fabriquer ou à entreposer des armes, ce qui sapera sans aucun doute ses efforts de guerre contre son propre peuple et contre la coalition.
Ce que vous dites, c'est qu'il faut gagner la confiance et l'estime de la population locale, mais je crois que vous omettez de mentionner que les interventions militaires affaiblissent considérablement les efforts de guerre de l'État islamique en coupant son approvisionnement en ressources et en détruisant ses armes. C'est du moins ce que nous comprenons.
J'aimerais maintenant poser une question à M. Keatinge.
Monsieur Keatinge, dans votre déclaration préliminaire, vous avez mentionné que l'État islamique se finance en partie par la vente d'antiquités. Je croyais toutefois que l'État détruisait la plupart des antiquités. Pouvez-vous m'éclairer sur cette question?
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie tous d'être ici. Encore une fois, la discussion est fascinante. Nous pourrions vraiment nous éparpiller, mais je veux revenir à l'essentiel du sujet, alors je vais m'adresser à vous, monsieur Amicelle.
Malheureusement, je vais devoir vous parler dans ma langue, mais nous avons de bons interprètes, alors je ne crois pas que vous aurez autant de difficultés que j'en aurais dans la situation inverse.
J'aimerais que vous nous disiez quelles mesures de surveillance des activités de financement du terrorisme fonctionnent. J'ai plusieurs questions, vous pourriez peut-être y répondre une fois que j'aurai terminé.
Au chapitre de la surveillance des activités de financement du terrorisme, qu'est-ce qui fonctionne et qu'est-ce qui ne fonctionne pas? Dans l'ensemble, les gouvernements et les institutions financières du monde ont-ils une approche désuète à cet égard? Quels changements devons-nous apporter, et que recommandez-vous?
Pouvez-vous émettre des commentaires sur tout ce que j'ai dit?
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Évidemment, il s'agit ici d'une question vaste. Comme je l'ai mentionné plus tôt, il faut toujours garder en tête la lutte contre le financement du terrorisme, telle que nous la connaissons aujourd'hui. J'ai aussi parlé des deux stratégies. Ce sont à la fois des sanctions ciblées semblables au régime des Nations unies et des pratiques de renseignement financier. Il s'agissait au début de la lutte contre le blanchiment d'argent, mais la question du financement du terrorisme s'y est greffée par la suite.
Ce qui est intéressant, au niveau international, c'est qu'un rapport publié en juin 2001 disait que les mesures antiblanchiment n'étaient pas adaptées à la lutte contre le financement du terrorisme. Puis, les événements du 11 septembre 2001 sont survenus. Le financement du terrorisme a alors été inclus dans les recommandations. On sait que le financement du terrorisme a cette particularité de ne pas avoir forcément une origine illégale. Les fonds ne sont pas forcément illégaux, mais la destination peut l'être. Souvent, il s'agit de montants relativement faibles.
La tension entre ces deux aspects est liée à la survalorisation du financement du terrorisme. On croyait que le renseignement financier permettrait éventuellement de prévenir certaines attaques ou certains problèmes terroristes. Or il s'avère que son utilisation est efficace surtout après un attentat, c'est-à-dire dans la logique d'une enquête criminelle classique, où une attaque a été commise par un ou plusieurs individus. À partir de là, on essaie de remonter la trace financière, établir les relations financières en vue de « cartographier » un certain nombre de relations de suspects potentiels. L'idée, ici, est d'utiliser cette méthode après une attaque, comme une enquête.
L'importance accordée aux sanctions ciblées constitue un autre problème. On peut penser ici aux mesures des Nations unies concernant Al-Qaïda et les talibans. Il s'agit de désigner des individus ou des groupes pour ensuite geler leurs comptes bancaires. Or il n'est pas facile de savoir si ces individus utilisent réellement des comptes bancaires. Une autre difficulté qui se pose concrètement, c'est l'abondante controverse autour de la façon dont sont désignés les individus et les groupes. On parle ici du respect des droits, du fait de savoir pourquoi un individu se retrouve sur une liste donnée et comment il peut se défendre s'il considère que c'est une erreur.
Par contre, il y a une question qui n'a pas encore été soulevée aujourd'hui, mais qui est centrale, à mon avis. Il s'agit des difficultés pratiques qu'implique la mise en oeuvre du gel des avoirs. On considère que, une fois la personne ou le groupe inscrit sur la liste, son compte bancaire va être automatiquement gelé, sans autre forme d'analyse. En réalité, les acteurs bancaires ont énormément de difficulté à identifier et à détecter les personnes sur les listes parce qu'il leur manque souvent d'identifiants. Il arrive qu'ils aient un nom ou un prénom, mais pas plus. Imaginez qu'ils n'aient que le prénom Anthony. La difficulté est qu'il faut alors filtrer plusieurs millions de transactions financières, chaque jour et pour chaque banque, afin de déterminer si c'est le vrai Anthony qui est concerné, soit la personne qui est sur la liste, ou si c'est plutôt ce qu'on appelle un « faux positif ».
Il faut toujours garder en tête que l'équilibre à trouver consiste à lutter contre le terrorisme, certes, mais sans gêner l'ordre financier existant. C'est la façon dont ce système a été conçu. Les deux objectifs sont de protéger le système financier existant et de lutter contre le terrorisme, mais si la lutte contre le terrorisme perturbe le système financier, ça cause problème. Il faut à la fois ne pas ralentir le flux financier et lutter contre le terrorisme. Or il y a clairement une difficulté en ce sens, à l'heure actuelle.
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Sur ce point, l'enjeu principal est de savoir quels types de véhicules financiers sont utilisés.
Si vous passez par le système bancaire classique, des transactions vont passer par les États-Unis, tout simplement parce que ces transactions internationales sont faites en dollars et passent par des banques correspondantes, aux États-Unis ou au Canada. Là, l'enjeu principal est de mettre en place une surveillance de ces flux financiers qui existent dans les banques, et qui existent dans d'autres entités du secteur économique et financier, afin de filtrer ces transactions et d'en tracer le profil.
Encore une fois, il y a une grande difficulté, qui ne porte pas seulement sur le blanchiment d'argent — déjà, c'est compliqué — et sur le financement du terrorisme: il pourrait ne s'agir que de transactions complètement anodines. Si ce sont des fonds de faible importance, des petits montants, et si c'est de l'argent gagné légalement qui est envoyé à telle organisation qui n'est peut-être même pas au courant que cet argent va ensuite être utilisé par une organisation considérée comme terroriste par certains États, la difficulté est là.
Par ailleurs, l'enjeu que vous soulevez de façon plus générale est, au-delà du système financier et du système bancaire, l'utilisation éventuelle d'autres voies — ou simplement de valises d'argent. La difficulté est, encore une fois, différente. Finalement, le dispositif qui a été mis en place au Canada est un dispositif de surveillance des flux financiers passant par le dispositif bancaire classique. L'effort a été mis là-dessus.
J'ai évoqué toutes sortes de difficultés sur le plan de la détection, ce qui est extrêmement difficile à repérer et, lors de ma présentation, l'éventuel malentendu entre les deux. Les acteurs bancaires ou autres vont d'abord chercher à se protéger des régulateurs. Ils vont montrer patte blanche et dire qu'ils ont déclaré ce qu'il fallait déclarer. Dans quelle mesure cela est-il utile, par la suite, pour les services de renseignements financiers? Là est la question.
Si j'avais une recommandation à faire, ce serait de réfléchir à tout cela. Au-delà de l'utilisation de cette notion de risque, dont la définition semble être une évidence, il faudrait se demander comment chaque acteur du dispositif interprète la gestion de risque, comment il la pense et quelle dynamique de déclaration et de surveillance cela entraîne. Réfléchir à cette coopération et à comment chacun perçoit son rôle pourrait être un enjeu très canadien.
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Parfait, c'est excellent.
Monsieur Amicelle, puisque vous êtes sur une lancée, je vais en profiter.
J'aimerais vous amener sur un autre terrain. Au cours d'une séance passée, un de nos témoins, M. Haras Rafiq, avait fait une présentation très intéressante sur le problème de la radicalisation. Il a mis l'accent sur le fait que, pour tarir le financement et le soutien aux organisations terroristes, il fallait faire un travail très important afin de comprendre comment les gens qui se radicalisent le font, et dans quel but. Je lui ai posé une question concernant le problème actuel du financement de la recherche fondamentale, plus particulièrement du financement de la recherche humaine en me basant sur un article paru dans The Globe and Mail concernant un groupe de recherche dédié à l'étude du terrorisme, de la sécurité et de la société, dont le financement fédéral a été aboli.
J'imagine que vous faites face, vous-même, à des problèmes de financement de votre travail. On sait que le réseau universitaire du Québec se plaint de manquer de soutien. Nous n'aborderons pas la question des relations avec le gouvernement provincial, mais le fédéral a quand même une responsabilité à cet égard. Pensez-vous, comme M. Rafiq, que le fait de dédier des sommes au soutien des groupes qui vont pouvoir rendre compte sous différents angles du phénomène de la radicalisation aiderait énormément à lutter, par d'autres voies, contre le financement et le soutien au terrorisme?
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Je vous remercie de votre question.
Il se trouve que je fais partie de ces réseaux de recherche qui ont subi des compressions. Je pense que le point central pour comprendre l'intérêt d'une recherche empirique sur ces questions est qu'à chaque fois, on essaie de tenir compte de la radicalisation et de la lutte contre la radicalisation.
Bien sûr, on parle de financement du terrorisme, mais en même temps, il faut comprendre la lutte contre le financement du terrorisme. Tous les éléments que je vous ai présentés et que j'ai essayé d'expliciter aujourd'hui sont effectivement basés sur des recherches de terrain que j'ai faites avec d'autres collègues en Europe et ici. Cela exige bel et bien des fonds de recherche, puisqu'il faut de tels fonds pour observer les pratiques des acteurs étudiés. Il faut des fonds de recherche pour mener des entretiens et avoir des équipes de recherche. Avoir des outils d'analyse est central, en effet.
De ce point de vue, si on souhaite ne pas se limiter à de grandes généralités ou à de grandes banalités sur le groupe État islamique — comme ce qu'on lit dans les journaux — et aller un peu plus loin — ce que nous essayons de faire — dans les pratiques quotidiennes de surveillance et de renseignement de la radicalisation et du financement du terrorisme, oui, il faut faire de la recherche en sociologie ou en criminologie qui va vraiment au fond des pratiques. Il faut essayer de les observer et de les comprendre pour soulever ces difficultés et ces ambiguïtés que j'essayais de souligner plus tôt.
Vous avez tout à fait raison, des fonds de recherche sur ces aspects sont importants.
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Dernièrement, la question des personnes qui quittent le Royaume-Uni pour se rendre en Syrie ou en Irak afin de combattre, ceux qu'on appelle les combattants étrangers, a fait l'objet de débats enflammés.
Il est évident que le gouvernement du Royaume-Uni a adopté la ligne dure à l'égard de ceux qui désirent revenir au Royaume-Uni. À l'inverse, d'autres pays d'Europe — le Danemark, par exemple — ont essayé de faciliter le retour de ces personnes et d'intervenir auprès d'elles. Le Royaume-Uni a envoyé un message beaucoup plus ferme.
Un vaste débat fait rage au Royaume-Uni pour ce qui est de savoir si c'est la bonne approche. Le noeud du problème réside dans le fait qu'un grand nombre de personnes ont quitté le Royaume-Uni pour aller en Syrie ou en Irak. Il y a des indications assez claires qu'un certain nombre de ces personnes aimeraient revenir, mais les pénalités éventuelles prévues par le Royaume-Uni aux personnes qui reviennent semblent si sévères que cela peut les dissuader de revenir. C'est le coeur du débat: est-ce la bonne approche?
Le Royaume-Uni est en campagne électorale en ce moment, et on y discute beaucoup de l'approche adoptée par le Royaume-Uni en ce qui concerne « Prevent », un des volets de notre stratégie pour contrer le terrorisme. Il est clair que, peu importe le gouvernement élu mardi prochain, l'affaire sera réexaminée dans son intégralité. Conséquemment, je crois que la stratégie du Royaume-Uni va changer. La personne qui résidera au 10 Downing Street vendredi décidera si l'approche doit être plus ferme ou plus souple.
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Je crois que le pire danger que les terroristes posent pour l'Occident est la création d'un front anti-impérialiste à l'échelle du monde musulman. Nous avons vu que Boko Haram a proclamé son allégeance. Il est très important de s'attarder à la langue, aux mots utilisés: ils se sont « soumis » à l'autorité de nouveau calife.
Nous avons également remarqué la présence en Libye de groupes liés à l'État islamique. La même chose est en train de se reproduire au Yémen et en Asie du Sud-Est. Pas plus tard qu'hier, nous en avons vu aux Philippines et en Afghanistan. Ce n'est qu'une question de temps avant que l'Asie centrale rejoigne ce front.
Cela représente un danger très important. Le message de l'État islamique est très différent de celui d'Al-Qaïda. Il n'est pas tant religieux que nationaliste. C'est un élément très important qui est très attirant pour les jeunes occidentaux, des musulmans nés en Occident qui ont le sentiment que se joindre à l'État islamique est une sorte d'expérience patriotique. Il s'agit de la création d'une utopie politique musulmane: le rêve de leurs parents, de leurs grands-parents et de leurs ancêtres. C'est grave, parce que ce n'est évidemment pas vrai, mais c'est le message de l'État islamique.
Le financement du terrorisme, en toute franchise, y a joué un rôle très important. D'abord, de 2011 à 2013, ce groupe a été financé par nos alliés dans le Golfe. Il a été financé officiellement et a bénéficié de contributions d'autres groupes. Bien sûr, personne n'aurait pu prévoir que ce groupe avait en fait un programme complètement différent, c'est-à-dire un programme nationaliste. Mais il demeure que cela s'est fait.
Le financement du terrorisme ne s'est pas fait par l'intermédiaire du système bancaire international. Depuis le 11 septembre, très peu de cela passe par le système bancaire international. Cela se fait par le truchement du système bancaire parallèle ou avec de l'argent liquide, à savoir des valises ou de l'argent expédié en vrac. Il aurait été très difficile de mettre un terme à cela au moyen de nos instruments habituels, comme la liste des organisations terroristes.
Je crois que le vrai danger à l'heure actuelle réside dans ce phénomène: notre système de freins et de contrepoids lié au financement du terrorisme n'a pas fonctionné, et voilà le résultat. Nous affrontons maintenant un nouvel ennemi, un nouveau modèle, et vous continuez à recourir aux anciennes méthodes. Nous devons regarder en avant, parce que cela comprend aussi la radicalisation. Il y a un nouveau discours, à saveur nationaliste cette fois-ci, alors nous devons porter un regard neuf sur le phénomène. C'est pourquoi ma déclaration préliminaire portait sur les façons de combattre ce phénomène en utilisant d'autres outils que ceux que nous avons utilisés jusqu'à aujourd'hui.
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Avant de parler de cette notion, j'aimerais apporter une petite précision.
Depuis tout à l'heure, on parle de financement du terrorisme et de terrorisme au singulier. Pourtant, il y a des groupes extrêmement différents parmi les groupes qui sont étiquetés comme terroristes. On se focalise beaucoup sur le groupe État islamique, mais la liste terroriste de l'Union européenne d'il y a quelques années va de groupes anarchistes italiens de trois personnes jusqu'aux FARC, en passant par le Hamas. C'est simplement pour dire que la notion de terrorisme est utilisée pour plusieurs groupes différents et qu'elle n'est pas synonyme du groupe État islamique. Il y a aussi un enjeu sur ce point.
Concernant l'efficacité, il y a effectivement un système en place au Canada. Il est assez unique par rapport à celui d'autres États dans la mesure où, pour une dizaine de secteurs économiques, il repose sur une obligation de déclaration, sur la base du soupçon et sur la base du seuil. Autrement dit, toute transaction de plus de 10 000 $ doit automatiquement être envoyée au CANAFE, qui est la cellule de renseignements financiers. Au Canada, tout l'enjeu se pose ici.
Je vais vous donner un ordre de grandeur. En Europe, c'est la cellule britannique, soit le Royaume-Uni, qui reçoit le plus de déclarations par an, soit environ 200 000; ce chiffre est peut-être moindre maintenant. Au Canada, on en reçoit 20 millions par an. L'enjeu principal qui se pose est à l'inverse: les informations financières vont jusqu'à la cellule de renseignements financiers. L'enjeu principal concerne le traitement de ces masses de données, qui soulèvent également certaines questions, notamment de la part du commissaire à la protection de vie privée sur l'usage de données personnelles collectées en fonction du seuil de 10 000 $ ou autre, et non sur des cas particuliers fondés sur des soupçons.
L'enjeu est là. En quelque sorte, l'information circule, c'est-à-dire qu'une coopération s'est vraiment établie avec des points de tension et des ambiguïtés. Toutefois, l'enjeu demeure l'analyse de l'information et la production du renseignement financier. Le point charnière est vraiment ici, au Canada.
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Je crois que l'État islamique tire la plus grande partie de l'argent de son régime fiscal. Il se comporte comme un État, alors les gens qui doivent accéder aux infrastructures doivent payer des droits à l'État islamique. Et cela représente un très grand nombre de personnes.
La contrebande ne représente pas une partie aussi importante, je crois, parce que celle-ci est menée conjointement avec la population locale. Les gens qui s'occupent effectivement de l'extraction, de la contrebande et du transport du pétrole jusqu'aux frontières sont non pas des membres de l'État islamique, mais des personnes qui versent un pourcentage de leurs profits au gouvernement local.
La structure de l'État islamique est très différente de celle d'autres organisations armées, comme les talibans ou les FARC ou même les Brigades rouges italiennes. L'État islamique est constitué d'un groupe — appelons-le l'aile militaire de l'État islamique — qui ne fait que combattre et qui est essentiellement constitué de combattants étrangers, et d'une organisation administrative qui est dans l'ensemble constituée de personnes de la localité. En fin de compte, il y a une sorte d'interaction entre la population locale et ceux qui représentent l'État islamique, et c'est de là que provient la plus grande partie de son financement. L'État islamique est géré exactement comme un appareil étatique.
Puis-je dire une chose à propos du Club de Madrid? J'ai présidé la conférence du Club de Madrid de 2005 sur la lutte contre le financement du terrorisme, et j'ai rédigé l'article de la proposition concernant les finances des pays. Je crois que l'ensemble de la proposition du Club de Madrid de 2005 est encore tout à fait d'actualité aujourd'hui. Le problème, c'est que la mise en oeuvre nécessite une coopération à l'échelle mondiale, ce qui n'a pas eu lieu en 2005. Mais même aujourd'hui, je crois que la proposition dans son ensemble est toujours incroyablement d'actualité.
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D'accord, je suppose que je vais conclure, alors.
Il est presque impossible de résumer notre discussion, parce que nous avons abordé une telle multitude de sujets qui étaient tous fascinants. Je ne remets pas en question votre expertise, madame, au sujet du terrorisme et de son financement et de tout le reste, mais vous avez omis un grand nombre d'éléments et d'aspects — l'aspect géopolitique par exemple, y compris l'islamisme. Nous avons entendu un témoignage, il y a environ une semaine, à propos du radicalisme. Je ne crois pas que nous devons approfondir davantage.
J'aimerais ramener la discussion à sa source. Le but de notre étude était de déterminer comment le Canada, en tant que pays, peut interrompre le flux monétaire afin de prévenir la montée du terrorisme ici, et nous allons également faire tout en notre pouvoir à l'étranger.
Je vais tous vous donner la possibilité de résumer très rapidement votre point de vue quant à l'efficacité des systèmes que nous mettons en oeuvre et pour présenter des suggestions visant à renforcer notre efficacité.
J'ai épuisé environ deux minutes de mon temps, ce qui veut dire qu'il reste trois minutes pour vous quatre, ou environ 45 secondes par personne.
Commençons par M. Van Kesteren.
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Il faut bien comprendre que la lutte contre le financement du terrorisme est venue en quelque sorte se greffer à la lutte contre le blanchiment d'argent. On est parti du même postulat, celui de dire que l'argent est le nerf de la guerre. Dans cette optique, on croit qu'en s'attaquant aux finances, on va pouvoir mettre en échec certains groupes terroristes comme on peut mettre en échec certains groupes criminels. La question est de savoir quelle importance a l'argent pour ces groupes.
Certes, il y a une organisation particulière armée dans le groupe État islamique. On imagine que, dans ce cas, l'argent est important. Cependant, pour des cas au Canada, la question de la centralité des flux financiers peut se poser. Dans quelle mesure, pour une personne seule, cela coûte-t-il cher d'aller poser une bombe ou d'aller faire telle ou telle chose? Cette idée qu'en tarissant les ressources financières on va mettre fin au terrorisme ou à des activités terroristes, notamment, au Canada mérite d'être questionnée.
En revanche, dans le cadre d'une logique d'enquête criminelle classique, le fait d'avoir recours aux renseignements financiers pour résoudre une enquête est approprié. L'enjeu serait donc plutôt là.
Il ne faut pas survaloriser ce qu'on peut faire sur le plan de la lutte contre le financement du terrorisme au Canada, mais bien voir quels sont nos enjeux, quel type de violence politique on pourrait avoir au Canada et comment on pourrait utiliser au mieux cet aspect financier, dans une logique criminelle, et ne pas penser qu'on va prévenir un attentat avec ce type d'enjeux ou en tarissant les ressources financières.
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Je crois que le Canada pourrait se pencher sur la question de la radicalisation afin de prévenir que des jeunes soient séduits par le terrorisme. Le front islamique anti-impérialiste mine une véritable campagne de charme.
Au sujet du financement du terrorisme, je dois mettre l'accent sur le fait qu'il y a une grande différence entre le blanchiment d'argent et le financement d'activités terroristes. Le blanchiment d'argent est toujours effectué avec des fonds illégaux, alors que le financement du terrorisme se fait parfois avec des fonds obtenus pas des voies licites. Souvent, l'argent ne devient que sale ou illicite que lorsqu'il est utilisé pour financer une attaque terroriste. La question principale à laquelle nous devons répondre consiste à savoir comment pouvons-nous nous attaquer à l'argent gagné légalement, puis envoyé quelque part pour être utilisé à des fins terroristes ou pour mener une attaque.
Avant le 11 septembre — j'ai fait le calcul —, la somme que représentaient les fonds légitimes dans l'économie liée au terrorisme s'élevait à environ un tiers. C'est beaucoup d'argent.
En ce qui concerne le Canada, l'argent envoyé par la diaspora, comme la diaspora irakienne au Canada ou la diaspora somalienne, est propre. L'argent est gagné légalement par les gens. Mais une fois envoyée là-bas, une partie des fonds est utilisée pour financer des activités terroristes. C'est un aspect qu'on doit vraiment approfondir afin de déterminer le cadre juridique dans lequel nous pourrons bloquer légalement ce genre de fonds.