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Monsieur le président et chers membres du Comité, c'est avec grand plaisir que je m'exprime devant vous aujourd'hui à propos de cette très importante révision de la Loi sur le droit d'auteur.
L'Association des professionnels de l'édition musicale, ou APEM, représente les éditeurs musicaux québécois et francophones du Canada. Nos membres contrôlent 830 maisons d'édition comportant 400 000 oeuvres musicales.
Partenaires des auteurs-compositeurs, les éditeurs musicaux soutiennent la création d'oeuvres musicales, les valorisent et les administrent. Typiquement, une maison d'édition musicale travaille avec plusieurs auteurs-compositeurs pour la création de nouvelles oeuvres et représente des catalogues de chansons existantes. Les éditeurs sont en quelque sorte les agents des auteurs-compositeurs et de leurs oeuvres. Ils sont les professionnels de la gestion du droit d'auteur.
J'aimerais souligner que l'APEM est membre de la Coalition pour une politique musicale canadienne, qui a produit un document de 34 pages, dont vous avez certainement eu copie. Pratiquement toute l'industrie de la musique appuie ce document.
L'APEM a tout de même ciblé quelques points à aborder avec vous aujourd'hui.
Je vais passer tout de suite au point 1, qui propose de modifier les dispositions sur les services réseau, qui s'appliquent de manière indifférenciée à un large éventail d'entreprises.
L'article 31.1 de la Loi sur le droit d'auteur est en quelque sorte la règle canadienne d'exonération. Le texte sous « Services réseau » permet à un prestataire de « services liés à l'exploitation d'Internet » qui « fournit des moyens permettant la télécommunication ou la reproduction » du contenu protégé de ne pas être tenu responsable de la violation du droit d'auteur et de ne pas payer les détenteurs de droits.
Selon la manière dont la Loi est rédigée actuellement, des entreprises offrant des services aussi divers que l'accès à Internet, le stockage d'information dans le nuage, les moteurs de recherche ou les plateformes de partage telles que YouTube, Facebook ou Instagram bénéficient de manière indifférenciée de l'exception sur les services réseau. Pourtant, ces entreprises fournissent des services bien différents: un fournisseur d'accès Internet fournit une connexion à Internet; un service de stockage permet d'entreposer des fichiers et de les rendre disponibles pour un usage privé; un moteur de recherche classe les résultats en fonction de mots clés; les services de partage comme YouTube rendent disponibles des contenus à des millions d'utilisateurs, élaborent des algorithmes de recommandation, font de la promotion, organisent les contenus, vendent de la publicité et récoltent les données des utilisateurs.
Le développement d'Internet peut avoir été difficile à prévoir, mais aujourd'hui, on sait que ces entreprises n'offrent pas tous les mêmes services. La Loi sur le droit d'auteur doit dorénavant prendre en considération le spectre d'activités de ces entreprises et faire en sorte que leurs responsabilités ne soient pas nécessairement les mêmes.
Je vais être clair. Je crois que toutes ces entreprises devraient rémunérer les ayants droit, car elles utilisent du contenu protégé par le droit d'auteur à des fins commerciales. Toutefois, les fournisseurs d'accès Internet pourraient avoir des responsabilités différentes de celles de YouTube, par exemple. Les fournisseurs d'accès Internet devraient rémunérer les détenteurs de droits tout en participant à la lutte contre le piratage de manière plus active, tandis que les services de partage devraient être tenus d'obtenir des licences en bonne et due forme pour l'ensemble du répertoire qu'ils rendent disponible.
Le 12 septembre, soit la semaine dernière, le Parlement européen a adopté une directive sur le droit d'auteur qui va en ce sens. Cette directive établit que les fournisseurs de services de partage de contenu en ligne tels que YouTube réalisent un acte de communication au public et doivent conclure des contrats de licence équitables et appropriés avec les détenteurs de droits, et ce, même pour les contenus mis en ligne par les utilisateurs.
De plus, les services de partage devront faire preuve d'une plus grande transparence quant aux utilisations qu'ils font du contenu. Donc, les utilisateurs vont pouvoir continuer de mettre en ligne des contenus, mais les services de partage vont devoir signer des accords avec les sociétés de gestion collective, payer pour l'utilisation qu'ils font des contenus et faire preuve de transparence. Je crois que le Canada devrait s'inspirer de cette approche européenne.
Je vais clore le premier point en parlant de l'ALENA.
Nous savons que les États-Unis, à la demande des grandes entreprises technologiques, font pression pour que le chapitre sur la propriété intellectuelle comporte des règles d'exonération inspirées de leur Digital Millennium Copyright Act. Si le Canada acceptait cette demande, il serait très difficile, voire impossible, de changer sa propre loi afin qu'elle corresponde à la réalité d'aujourd'hui.
Le deuxième point que je veux aborder est la nécessité de rendre le régime de copie privée technologiquement neutre et de mettre en place un fonds de transition.
Les revenus annuels découlant des redevances pour copie privée remis aux créateurs de musique ont baissé de 89 %, passant de 38 millions de dollars en 2004 à moins de 3 millions de dollars en 2016. Comme l'a dit l'économiste Marcel Boyer, c'est « le vol du siècle », et ce n'est pas parce que cela dure depuis des années que c'est devenu acceptable.
L'esprit de la loi canadienne de 1997 n'est plus respecté, simplement en raison de l'évolution technologique. Il faut profiter de l'actuel réexamen de la Loi sur le droit d'auteur pour rendre le régime de copie privée technologiquement neutre et ainsi permettre que des redevances soient exigibles pour une variété d'appareils, dont les tablettes et les téléphones intelligents. On exigerait cette redevance des fabricants et des importateurs d'appareils.
En Europe, la redevance moyenne équivaut à 2,80 $ par téléphone intelligent. Il serait très surprenant que le prix moyen d'un iPhone X passe de 1 529 $ à 1 532 $ à la suite de l'instauration d'une redevance pour copie privée. Ce coût ne serait pas transféré au consommateur.
Enfin, la chute spectaculaire des revenus de copie privée nécessite la mise en place d'un fonds de transition de 40 millions de dollars, comme l'a demandé la Société canadienne de perception de la copie privée. Les libéraux étaient d'accord, et il est plus que temps que ce fonds se concrétise.
Le troisième point propose d'étendre la durée de protection du droit d'auteur à 70 ans après la mort de l'auteur. Dans la vaste majorité des pays de l'OCDE, la durée de protection est de 70 ans, alors qu'au Canada, elle n'est que de 50 ans après la mort de l'auteur.
En matière d'exportation, les détenteurs de droits canadiens sont désavantagés, puisque leurs oeuvres sont assujetties à une protection moindre à l'international. Les lois canadiennes ne devraient pas agir comme un frein à la valorisation internationale de nos oeuvres et de nos créateurs.
Pour les éditeurs de musique, que je représente, porter la durée à 70 ans après la mort de l'auteur signifie davantage de revenus à être investis dans le développement de la carrière des auteurs et des compositeurs canadiens d'aujourd'hui.
Au quatrième point, il est question de préciser et d'éliminer des exceptions. Le nombre d'exceptions contenues dans la Loi sur le droit d'auteur et la nature celles-ci privent les détenteurs de droits de revenus qu'ils devraient normalement toucher. Je n'ai pas le temps de vous présenter aujourd'hui toutes les exceptions qu'on devrait modifier dans la Loi sur le droit d'auteur. Un document de la Coalition pour une politique musicale canadienne revoit en détail ces exceptions.
Je vais terminer par le cinquième point, soit l'importance d'avoir une commission du droit d'auteur fonctionnelle.
Je suis bien au fait que des travaux sont en cours dans le but de réformer la Commission du droit d'auteur du Canada. Je m'en réjouis, je trouve que c'est une excellente nouvelle. J'aimerais simplement souligner l'importance de cette réforme pour l'application de la Loi sur le droit d'auteur.
Actuellement, cette commission prend beaucoup de temps pour rendre des décisions, ce qui est incompatible avec l'environnement d'aujourd'hui. L'incertitude entourant la valeur des droits d'auteur nuit aux éditeurs, aux auteurs-compositeurs et à l'ensemble des intervenants de l'industrie de la musique.
Je vous remercie.
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Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, le Consortium des opérateurs de réseaux canadiens est une association industrielle sans but lucratif formée de plus de 30 fournisseurs de services Internet concurrents de toutes tailles.
Je tiens à souligner d'emblée que le Consortium prend la violation du droit d'auteur très au sérieux. De fait, aujourd'hui, un certain nombre de ses membres sont des entreprises de distribution de radiodiffusion qui sont soit titulaires d'une licence, soit exploitées en vertu d'une ordonnance d'exemption. Notre message principal est que le régime d'avis et avis continue à établir un équilibre raisonnable entre les droits des propriétaires de contenu et les internautes pour répondre aux allégations de violation en ligne du droit d'auteur et pour atteindre les objectifs éducatifs connexes.
Toutefois, les expériences vécues par les membres du Consortium montrent qu'il faudrait apporter quelques modifications légères au régime. Plus précisément, le Consortium propose les recommandations suivantes.
Premièrement, la Loi devrait obliger les propriétaires de contenu à envoyer des avis qui contiennent uniquement les éléments prescrits par la Loi. Une telle disposition empêcherait les parties d'abuser de ces avis et de les utiliser pour transmettre des demandes de règlement, des annonces publicitaires ou d'autres formes de contenu non pertinent.
Deuxièmement, il faudrait exiger que les avis soient fournis simultanément en format texte et en code lisible par machine. Ainsi, les FSI pourraient plus facilement choisir comment les traiter, soit manuellement ou automatiquement, selon l'envergure de leurs activités.
Troisièmement, les propriétaires de contenu devraient être obligés d'envoyer les avis exclusivement aux adresses électroniques réservées aux violations et accessibles au public que les FSI enregistrent auprès de l'American Registry for Internet Numbers. Ainsi, les avis seraient toujours envoyés aux adresses électroniques que les FSI souhaitent utiliser pour les traiter.
Quatrièmement, il faudrait limiter le nombre d'avis qu'un titulaire du droit d'auteur peut envoyer à un FSI concernant une violation alléguée liée à une adresse IP précise à un avis par période donnée, par exemple, 48 heures. Une telle disposition éviterait que les FSI soient inondés d'avis multiples visant les mêmes adresses IP et la même violation.
J'aimerais maintenant vous présenter les raisons pour lesquelles l'approche recommandée par la coalition FairPlay Canada, que j'appellerai simplement « la coalition », et d'autres mesures plus strictes devraient être rejetées. Notre analyse est fondée sur un cadre de proportionnalité qui prend en considération la détermination de l'envergure du problème, l'évaluation des avantages et des coûts de la solution proposée, ainsi que l'équité.
Les membres de la coalition, qui comprennent les fournisseurs de contenu et les FSI verticalement intégrés les plus importants au Canada, n'ont pas lésiné pour commanditer et trouver des études privées qui montrent que les répercussions financières des violations du droit d'auteur sur les propriétaires de contenu sont tellement désastreuses que la solution proposée par la coalition est nécessaire. Aucun autre organisme ne dispose des ressources requises pour bien répondre à l'ensemble des propositions présentées par la coalition. Heureusement, ce n'est pas nécessaire. L'an dernier, durant l'instance du CRTC ayant pour objet l'évaluation de la demande déposée par la coalition de mettre en oeuvre son régime administratif de blocage de contenu, des intervenants tels que le Canadian Media Concentration Research Project (le CMCRP) et le Centre pour la défense de l'intérêt public ont utilisé des données publiques pour montrer que l'envergure des violations du droit d'auteur en ligne et leurs répercussions sur les propriétaires de contenu sont loin d'être aussi inquiétantes que la coalition souhaite nous le faire croire. Conséquemment, il n'est pas nécessaire d'adopter le régime proposé par la coalition.
En ce qui concerne les avantages, rien ne sert d'instaurer le genre de régime recommandé par la coalition si un tel régime est en grande partie inefficace. Le blocage d'adresses IP, le blocage de serveurs de noms de domaines ou de DNS et le recours à l'inspection approfondie des paquets ou à l'IAP sont toutes des méthodes qui peuvent être contournées par divers moyens techniques, y compris les réseaux privés virtuels ou les RPV. En outre, les techniques de blocage finissent parfois par bloquer tant les sites Web qui respectent le droit d'auteur que ceux qui le violent.
Quant aux coûts, il y en a à la fois pour le secteur public et le secteur privé. Du côté du secteur privé, les parties comme les FSI doivent débourser de l'argent pour respecter le régime. De plus, comme il est inévitable que du contenu non interdit soit bloqué à cause de la façon dont les techniques de blocage fonctionnent, ces parties s'exposent à des litiges. Du côté du secteur public, les coûts comprennent les frais supplémentaires liés à l'établissement et au maintien du régime administratif, ainsi que l'érosion de valeurs juridiques et démocratiques comme la liberté d'expression, la confidentialité des communications et la prévention de la surveillance inutile, valeurs qui font actuellement partie des principes du transport commun et de la neutralité du Net.
C'est pour cette raison que nous vous recommandons de faire preuve de prudence face à la pente glissante vers laquelle nous mènent les demandes des membres de la coalition et d'autres. Au début, la majorité des grands fournisseurs de contenu et des FSI verticalement intégrés appuyaient le régime d'avis et avis. Puis, ils se sont ralliés à la coalition. Peut-être qu'ils déclareront maintenant, comme la MPA, qu'on devrait pouvoir déposer des injonctions contre les FSI pour bloquer du contenu et qu'on devrait limiter les règles refuges visant les FSI. Ensuite, ils affirmeront peut-être que la seule façon d'empêcher le contournement du blocage est en interdisant complètement les RPV, qui sont utilisés couramment pour protéger les données privées et pour permettre la liberté d'expression.
Les propriétaires de contenu pourraient aller encore plus loin; ils pourraient préconiser un régime d'avis et retrait, sans la moindre supervision judiciaire ou administrative.
Les Canadiens ne devraient pas avoir à payer les coûts exorbitants associés à ces solutions, et rien de tout cela n'est nécessaire. La Loi sur le droit d'auteur prévoit déjà un mécanisme qui permet aux propriétaires de contenu de demander des injonctions pour faire retirer du contenu violant le droit d'auteur. On peut trouver le critère de ce qui constitue une approche raisonnable au sein d'une société libre et démocratique dans une analyse faite par le CMCRP de 40 pays de l'OCDE et de l'Union européenne: 18 d'entre eux bloquent rarement des sites Web, 18 les bloquent sur ordonnance d'un tribunal et seulement 4 les bloquent au moyen de procédures administratives.
Si, malgré ces arguments, le Parlement adopte une solution comme celle proposée par la coalition, pour des questions d'équité, il devra aussi autoriser les FSI à recouvrer les frais d'instauration et de gestion des mécanismes de blocage. Ces frais peuvent être considérables; ils peuvent même forcer les petits FSI à fermer leurs portes s'ils ne sont pas recouvrés.
Toutefois, nous exhortons le Comité à recommander au Parlement de maintenir le régime actuel d'avis et avis, en y apportant les modifications mineures que nous vous avons proposées. D'autres mesures plus strictes devraient être rejetées.
Merci.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs.
Je suis ici au nom de l'Association des cinémas au Canada; par souci de concision, je l'appellerai aussi aujourd'hui par son sigle: la MTAC. Nous sommes l'organisation commerciale qui représente les intérêts des exploitants de plus de 3 000 écrans de cinéma partout au Canada. Nous sommes exactement ce que notre nom laisse entendre. Nos membres vendent les billets et le maïs soufflé, et ils font en sorte que les films soient présentés de la façon prévue par les créateurs: au grand écran.
Entre autres, la MTAC représente les exploitants de salles dans les négociations avec les sociétés de gestion et elle intervient dans des séances comme celle-ci. Cela étant dit, nous ne participons pas souvent à des délibérations sur le droit d'auteur et nous vous remercions de nous avoir invités. Nous ne sommes pas une société ou un organisme qui intervient régulièrement dans les questions de droit d'auteur, bien que ces questions aient certainement une incidence sur nos membres et que nous payions des redevances à certaines sociétés de gestion.
Je vais vous présenter rapidement quelques faits que vous ne connaissez peut-être pas sur les exploitants de salles. D'abord, les exploitants louent les films aux distributeurs, et nous gardons moins de 50 % de chaque billet que nos membres vendent. Ils n'ont aucune influence sur le contenu des films qu'ils présentent, alors si vous en avez assez de voir des suites, je vous recommande d'en parler aux producteurs.
Nous formons un secteur de l'industrie cinématographique, et plus de 80 % des exploitants de salles sont des entreprises détenues et gérées par des Canadiens. Des centaines d'exploitants sont des entreprises familiales situées à des endroits de toutes tailles. De plus, nous employons des milliers de Canadiens et nous sommes un des plus grands pourvoyeurs de premiers emplois.
Nous sommes aussi une industrie en proie à des perturbations importantes. Comme l'indique une étude récente menée par Téléfilm, bien que les cinémas attirent encore occasionnellement deux tiers des Canadiens, les Canadiens se tournent de plus en plus vers la diffusion continue. Les choix de divertissement prolifèrent, et les exploitants de salles n'ont jamais été soumis à une si grande concurrence.
Tout cela étant dit, il y a un dossier qui a été soulevé devant le Comité et qui intéresse la MTAC depuis toujours; il s'agit de la proposition, faite par des membres de l'industrie de la musique, de modifier la définition du terme « enregistrement sonore » contenue dans la Loi. C'est le seul sujet dont je vais parler aujourd'hui, et je serai très bref.
Dans le contexte de l'examen de la Loi, un groupe d'intervenants dirigé par des maisons de disques multinationales et des filiales canadiennes a investi des ressources considérables dans la promotion de l'idée qu'il existe une faille dans le domaine du droit d'auteur. Ce groupe prédit un avenir sombre pour les créateurs, un avenir menacé où la technologie leur fera perdre encore plus de terrain si l'on ne répond pas aux demandes du groupe en modifiant la Loi.
Ce que le groupe propose, c'est de modifier la définition d'un enregistrement sonore contenue dans la Loi en retirant l'exclusion des bandes sonores d'oeuvres cinématographiques lorsqu'elles accompagnent celles-ci. À partir de maintenant, je vais employer simplement le terme « film », si vous le voulez bien. Le seul but de cette modification est d'ouvrir un flux de redevances que les exploitants de salles auraient à payer, ce qui fournirait à ce groupe une part des recettes des salles de cinéma.
La MTAC est d'avis que la définition actuelle du terme « enregistrement sonore » prévue par la Loi établit un juste équilibre entre les créateurs, les titulaires des droits et les exploitants. La modification proposée par certains membres de l'industrie de la musique aggravera les perturbations technologiques que les exploitants subissent déjà. Elle risque aussi de miner encore davantage le rôle des salles de cinéma comme vitrine principale pour les créateurs canadiens au sein des industries cinématographiques nationale et mondiale.
Aussi, la proposition n'est pas nouvelle. De 2009 à 2012, la MTAC s'est défendue avec succès lors de poursuites judiciaires engagées par des membres de l'industrie de la musique, qui soutenaient que la définition actuelle d'un enregistrement sonore devrait être interprétée comme n'excluant pas les trames sonores, alors qu'elle les exclut expressément. Il a fallu attendre la décision de la Cour suprême du Canada en 2012 pour clore le dossier.
Contrairement à ce que certains continuent de répéter, la définition d'un enregistrement sonore n'est ni arbitraire, ni inéquitable, ni injustifiée. Comme les tribunaux l'ont conclu, l'exclusion est tout à fait intentionnelle et elle reflète l'équilibre établi par de sages législateurs entre les créateurs, les titulaires de droit d'auteur et les exploitants.
Aujourd'hui, ces intervenants demandent au Comité de reprendre le travail là où leurs litiges se sont arrêtés. Or, la modification proposée continue de poser les mêmes problèmes qui ont été relevés par les tribunaux.
La première chose que je dirais, c'est que la modification n'est pas aussi simple qu'ils le prétendent. Elle demanderait de remanier considérablement la Loi pour éliminer les absurdités que les tribunaux ont soulevées dans leurs décisions et d'autres iniquités qui seraient créées par la modification. Je n'ai pas le temps de toutes les présenter, mais je vais mentionner celle que je trouve la plus critiquable: la modification créerait un système de doubles redevances, car les créateurs et les titulaires de droit d'auteur recevraient de l'argent au début, lorsque leurs oeuvres sont incluses dans un film, et à la fin, lorsque le film est présenté. C'est exactement pour cette raison que l'exclusion a été établie, et la Loi traite les oeuvres d'autres créateurs de la même manière lorsque ces oeuvres sont incluses dans un film.
Cela n'a jamais été une subvention. Les droits voisins compensent l'utilisation non contrôlée des enregistrements sonores qui peut être faite sans la participation de la maison de disques. Toutefois, pour avoir le droit d'utiliser de la musique dans un film, il faut obtenir une licence, pour laquelle les cinéastes ont déjà versé une compensation. Cette compensation est établie expressément dans un contrat. Les droits d'inclusion sont négociés directement avec le titulaire de droit d'auteur et ils sont acquis à l'échelle mondiale pour permettre la distribution mondiale et la présentation du film comme un seul produit, et non comme une collection d'oeuvres.
Les recettes mondiales des salles de cinéma dépendent de ce modèle de distribution, et ce sont ces recettes qui paient les frais des cinéastes, y compris les paiements versés aux intervenants de l'industrie de la musique.
C'est à peu près tout ce que je peux dire dans le peu de temps qui m'est accordé. Nous soumettrons un mémoire détaillé au Comité plus tard cette semaine, au nom de nos membres. Merci de l'invitation et de votre attention. Je serai ravi de répondre à vos questions.
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Merci de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui.
Nous aimerions vous parler du travail des auteurs comme scénaristes et de la façon dont la Loi sur le droit d'auteur pourrait enrichir à long terme la culture et l'économie canadiennes.
Tout d'abord, permettez-moi de vous parler de notre organisme, la SARTEC. Sa mission est de protéger et de défendre les intérêts professionnels, économiques et moraux de tous les auteurs de langue française qui sont des travailleurs autonomes dans le domaine de l'audiovisuel au Canada. Elle négocie des ententes collectives avec les producteurs, conseille les auteurs quant à leurs contrats, perçoit en leur nom des redevances et contribue au respect de leur travail.
Nos ententes collectives interdisent la cession de droits, mais elles accordent aux producteurs des licences d'exploitation du texte sous forme d'oeuvres audiovisuelles, elles encadrent la possibilité d'octroyer des licences à d'autres fins et elles permettent aux auteurs de percevoir des redevances des producteurs ou des sociétés de gestion collective, selon le type d'exploitation. Tout cela est précisé dans les ententes.
Les scénaristes sont des créateurs qui consacrent leur vie à écrire et à imaginer les récits des héros et des valeurs canadiennes. Leurs scénarios sont la source d'oeuvres audiovisuelles qui rassemblent, émeuvent, font rire et réfléchir, font rayonner notre culture, notre pays, et font la promotion de sa grande richesse. Les retombées qu'ils génèrent sont des plus positives pour l'économie et le mieux-être des Canadiens. Pour que notre production audiovisuelle canadienne soit compétitive, nous avons la responsabilité de mettre en place dans la Loi des mécanismes modernes permettant aux créateurs d'être adéquatement rémunérés pour le fruit de leur travail.
Il ne faut pas oublier que, pour faire son travail, l'auteur doit pouvoir accorder les droits liés à son oeuvre moyennant rémunération, que ce soit en vue d'un film, à une compagnie de théâtre pour une pièce ou à un éditeur dans le cas d'un livre. L'auteur doit avoir la capacité de monnayer les droits d'adaptation de son scénario et de bénéficier de ses retombées. Il s'agit d'un travailleur autonome qui assume souvent seul le risque de la création de son oeuvre. La Loi doit donc lui permettre d'atténuer ce risque, pour qu'il continue de créer et soit assuré de revenus décents dans l'économie numérique.
Selon nous, la Loi doit permettre à nos enfants qui en ont le désir et le talent de rêver, eux aussi, de travailler un jour comme créateurs.
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Pour ce faire, nous vous demandons essentiellement cinq choses. Aujourd'hui, le temps dont nous disposons nous oblige à vous présenter seulement trois d'entre elles.
Premièrement, nous demandons que soient éliminées les exceptions injustes introduites en 2012 dans la Loi sur le droit d'auteur et dont souffrent les créateurs canadiens. Nous continuons vivement à dénoncer ces exceptions. En effet, elles compromettent la capacité de nos scénaristes à continuer d'écrire nos histoires, ce dont le Canada doit pourtant s'assurer.
Deuxièmement, nous demandons que soit étendu aux oeuvres audiovisuelles le régime de copie pour usage privé. Les créateurs et les producteurs canadiens de l'audiovisuel sont les grands oubliés de ce régime, lequel fonctionne pourtant bien dans la majorité des pays d'Europe et ailleurs.
Troisièmement, nous demandons que soit ajoutée une présomption de cotitularité du droit d'auteur de l'oeuvre audiovisuelle. Conformément à la jurisprudence canadienne, la Loi devrait préciser que le scénariste et le réalisateur sont présumés être les cotitulaires du droit d'auteur de l'oeuvre audiovisuelle. Le scénariste écrit le texte, une oeuvre littéraire qui guidera l'ensemble des collaborateurs subséquents vers l'oeuvre audiovisuelle. Pour sa part, le réalisateur fera des choix créatifs permettant de transformer le texte en une oeuvre audiovisuelle, choix qui en influenceront la facture.
Le scénario décrit le plus concrètement possible le film à faire. En l'écrivant, le scénariste crée le récit. Il en décrit les personnages, leurs intentions, leurs comportements, leurs dialogues et leur évolution. Il énonce le film à faire scène par scène, incluant ses lieux, sa temporalité et son environnement sonore. De son côté, le réalisateur dirige les interprètes, les concepteurs et les techniciens pour que le travail du scénariste prenne sa forme audiovisuelle. Les choix de sa direction influenceront le style, le rythme, le ton et le son du film.
Nous vous invitons donc à reconnaître que l'auteur du scénario, de l'adaptation et du texte parlé ainsi que le réalisateur sont présumés être les cotitulaires du droit d'auteur lié à l'oeuvre audiovisuelle. Nous n'aurions pas d'objection à ce que l'on tienne compte également de l'auteur des compositions musicales spécialement créées pour l'oeuvre.
Finalement, nous demandons que la Loi soit modernisée pour que la protection qu'elle accorde aux oeuvres passe de 50 ans à 70 ans après la mort de l'auteur et pour qu'elle respecte mieux la propriété intellectuelle dans le cas d'oeuvres audiovisuelles numérisées et diffusées sur des plateformes numériques. Un mémoire plus explicite à ce sujet vous sera transmis ultérieurement.
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Bien sûr. La disposition à laquelle je fais référence ici, c'est l'article 19. Vous mettez ma mémoire à l'épreuve, mais selon mon souvenir, l'article fait référence à toute forme de communication publique ou à la communication de l'oeuvre par l'entremise des télécommunications. Je ne suis pas ici au nom d'un service de diffusion en continu et je ne suis pas un avocat spécialiste du droit d'auteur, mais selon ce que je comprends cela s'appliquerait à la diffusion en continu.
Dans le cas hypothétique auquel vous faites référence, Monsieur Smith au Sénat est une oeuvre historique et l'exploitant paierait le distributeur qui détient les droits de ce film. Nous prendrions une partie des ventes de billets au cinéma, puisqu'il s'agit d'une représentation publique. Les gens entrent au cinéma et regardent le film.
Si vous supprimez l'exemption qui donne aux détenteurs des droits voisins ou qui permet d'associer des redevances à une représentation publique ou à la télécommunication de l'oeuvre, alors nos droits dépasseraient l'obligation du distributeur et nous devrions payer des redevances au créateur ou à l'interprète de l'enregistrement qui a été intégré à un film.
À notre avis, nous avons atteint un équilibre parce que lorsque vous vendez vos droits afin que votre travail fasse partie d'un film, vous ne pouvez pas vous prévaloir aussi de vos droits voisins, qui visent à rémunérer l'artiste lorsque la communication publique de son travail est hors de son contrôle. Pensons par exemple aux chansons diffusées à la radio. La maison de disques ne donne pas sa permission chaque fois qu'une chanson tourne à la radio. Les droits voisins existent pour permettre que des redevances émanent de l'utilisation incontrôlée et peut-être involontaire de l'oeuvre, tandis que dans un film, l'utilisation d'une chanson, d'un numéro de danse, d'un monologue ou peu importe est tout à fait intentionnelle, négociée et rémunérée dès le départ.
À notre avis, en demandant aux exploitants de payer une autre fois, on bouleverse l'équilibre qui a si bien servi l'industrie cinématographique jusqu'à présent.
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Merci, monsieur le président.
Merci pour tous vos témoignages.
L'une des préoccupations que j'ai... J'en ai beaucoup. Je me préoccupe de l'incapacité des musiciens de subvenir aux besoins de leur famille et de faire respecter leurs droits. C'est important. Je m'inquiète aussi beaucoup de l'innovation et de la façon dont les gens peuvent produire du nouveau contenu. J'ai entendu des histoires, comme celle de la façon dont une personne va écrire une chanson et la publier sur YouTube. Mais parce que chaque jour, il s'ajoute des années de contenu sur YouTube, la plateforme ne peut absolument pas retenir les services d'assez de personnes pour tout regarder. J'ai entendu parler de cas où, à cause de ces filtres, vous aurez tout à coup le message: « Nous sommes désolés, mais vous portez atteinte aux droits de quelqu'un d'autre. » Et le contenu est alors retiré. C'est du contenu nouveau et original. De toute évidence, la technologie n'est pas encore au point. Je pense à certaines nouvelles règles dont on parle en Europe, et je m'inquiète de ce qu'elles entraînent le retrait de contenu légitime, que ce soit le cas d'une personne qui critique une pièce ou qui produit du nouveau contenu, qu'il s'agisse de musique utilisée à des fins satiriques ou pour faire une critique, etc.
Je vois qu'il y a un équilibre, mais j'aimerais en entendre un peu plus sur la façon dont vous abordez un problème comme celui-là, où la technologie... En particulier en Europe, où les exigences sont beaucoup plus sévères, je m'inquiète de ce que ces règles visant le contenu obligent les applications du même genre que YouTube à exclure des innovations légitimes, ou des critiques légitimes, et ainsi de suite.
Monsieur Payette.
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Merci, monsieur le président.
Je suis bien tenté, mais je ne mordrai pas à l'hameçon. Le secrétaire parlementaire, M. Lametti, connaît bien ma position en ce qui concerne le régime d'avis simple, ainsi que de notification et de retrait. Je ne veux nullement faire monter ma tension artérielle en abordant le sujet.
J'aimerais dire une seule chose, cependant. Nous avons recueilli plusieurs témoignages sur les problèmes liés à YouTube. Loin de moi d'être critique, mais j'aimerais tout au moins présenter une perspective différente.
Quelqu'un a dit que Justin Bieber a lancé sa carrière sur YouTube, mais il reste que YouTube a énormément profité de cette relation. En fait, si vous allez sur YouTube maintenant, vous y verrez une annonce pour les hamburgers d'une chaîne de restauration. YouTube héberge, entre autres, des vidéos de Fortnite. La plateforme YouTube profite énormément de ses relations avec les auteurs de vidéos à succès... Dans bien des endroits, on court des risques dans la sphère publique en publiant des vidéos sur YouTube. Les gens devraient y réfléchir.
Or, notre comité participe à un examen quinquennal. Nous allons faire des recommandations au ministre si nous arrivons à nous entendre en comité. Les décisions n'ont pas encore été prises.
Voilà ce qui se passe ici. Aucun projet de loi n'a été déposé. Pour ce faire, il faudrait tout d'abord que le ministre accepte de revenir et de répondre aux questions du Comité, et ce, dans les délais impartis par la loi. Il pourrait ensuite y avoir une prolongation, ce qui nous occasionnerait beaucoup de retard. À cela s'ajouteraient d'éventuelles instructions spécifiques pour le Parlement si nous voulions modifier la loi, auquel cas nous présenterions des modifications à la Chambre des communes. Ensuite il faudrait suivre une série d'étapes législatives pour acheminer les modifications au Sénat et les faire adopter.
C'est toute une tâche à accomplir, et il y a différentes façons de procéder.
Avez-vous des commentaires sur ce que nous devrions faire, les priorités... Que diriez-vous si, par exemple, nous ne faisions rien? Il se peut que rien ne se produise d'ici 2019 ou 2020. Compte tenu de la loi actuelle, c'est une réalité. J'aimerais bien savoir ce que vous en pensez. Cela nous sera fort utile, notamment en raison de ce qui se passe en Europe et aux États-Unis depuis hier.