En ce beau lundi après-midi, je vous souhaite la bienvenue à cette nouvelle séance de notre comité. Nous allons poursuivre aujourd'hui notre examen quinquennal prévu par la loi de la Loi sur le droit d'auteur.
Nous accueillons deux représentants de Telus Communications, soit Ann Mainville-Neeson, vice-présidente, Politique de radiodiffusion et Affaires réglementaires; et Antoine Malek, avocat-conseil principal, Affaires réglementaires.
De l'Association québécoise de la production médiatique, nous recevons Hélène Messier, présidente et directrice générale; et Marie-Christine Beaudry, directrice, Affaires juridiques et commerciales, Zone 3. Voilà qui est intéressant, Zone 3.
De la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec, nous accueillons par vidéoconférence depuis Montréal Marie-Josée Dupré, directrice générale. Est-ce que vous m'entendez?
:
C'est parfait, je vous remercie.
[Traduction]
Juste pour faire changement, je vais présenter mon exposé en anglais, mais je serai ravie de répondre à toutes vos questions dans l'une ou l'autre des deux langues officielles.
Bonjour à tous. Je vous remercie au nom de Telus Communications de nous donner l'occasion de comparaître devant le Comité.
Je m'appelle Ann Mainville-Neeson et je suis vice-présidente responsable de la politique de radiodiffusion et des affaires réglementaires pour Telus. Je suis accompagnée d'Antoine Malek, notre avocat-conseil principal spécialisé en propriété intellectuelle.
Telus est une entreprise nationale de communications. Qu'il s'agisse de brancher les Canadiens via nos réseaux sans fil et filaire ou d'améliorer la prestation des services de santé en misant sur la technologie numérique, nous sommes résolus à travailler avec des objectifs bien précis en tête. Nous voulons donner au Canada les moyens de prospérer au sein de l'économie numérique tout en offrant à tous de meilleures perspectives en matière de santé, d'éducation et d'économie.
Nous offrons une vaste gamme de produits et de services qui comprennent la téléphonie filaire et sans fil, l'accès à Internet à large bande, des services de santé, la domotique et la sécurité domiciliaire ainsi que la diffusion télé par Internet. Comme vous avez entendu précédemment les témoignages d'autres exploitants de services de télévision, il est bon de noter que Telus, contrairement à ses principaux compétiteurs, n'est pas une entreprise intégrée verticalement, en ce sens que nous ne possédons pas nos propres services de programmation commerciale. Notre entreprise s'emploie exclusivement à regrouper et à distribuer le meilleur contenu disponible.
Pour faire en sorte que les Canadiens se tournent vers nous lorsqu'ils veulent avoir accès à du contenu, nous sommes à l'écoute de nos clients et constamment à la recherche de moyens plus efficaces pour anticiper leurs besoins et leurs désirs, et y répondre à leur satisfaction. Nous savons à quel point l'innovation peut être essentielle pour soutenir la concurrence dans un environnement numérique où les consommateurs ont plus de choix que jamais auparavant. L'innovation est selon nous primordiale pour que le système canadien de radiodiffusion, une source importante de revenus pour les artistes de chez nous, demeure sain et concurrentiel. Nos remarques d'aujourd'hui viseront donc surtout à proposer des changements qui favoriseront l'innovation, une plus grande efficience et une meilleure capacité d'adaptation de notre loi dans un contexte où les choses évoluent rapidement.
Je vais d'abord vous parler de l'un des aspects au sujet desquels les modifications entrées en vigueur en 2012 n'ont pas suffisamment tenu compte de cette nécessité d'innover. Cette année-là, le Parlement a adopté des mesures prévoyant des exceptions conférant aux utilisateurs le droit d'enregistrer une émission pour la regarder plus tard. Ils peuvent effectuer cet enregistrement sur leur propre appareil ou en utilisant l'espace de stockage d'un réseau. On parle dans ce dernier cas d'un enregistrement numérique personnel en réseau ou en infonuagique.
Bien que les changements apportés en 2012 étaient un pas dans la bonne direction, il faut tout de même noter que le libellé prévoyait un enregistrement distinct pour chaque utilisateur. En conséquence, un fournisseur de services d'enregistrement numérique en réseau comme notre entreprise pourrait être tenu d'emmagasiner des centaines de milliers — voire des millions — de copies d'un même enregistrement, soit une copie pour chaque utilisateur qui a procédé à l'enregistrement. Un dédoublement excessif de la sorte est inefficient et coûteux pour l'exploitant de réseau sans pour autant procurer une valeur ajoutée au titulaire des droits.
Une démarche novatrice consisterait à optimiser l'efficience du réseau en partageant un seul et unique enregistrement d'une émission entre tous les utilisateurs qui l'ont enregistrée pour écoute en différé. Telus recommande que la Loi soit modifiée en ce sens sans que des responsabilités additionnelles n'incombent à l'exploitant du réseau.
Si l'on considère ce que l'avenir nous réserve et les autres mesures à prendre pour que la Loi puisse favoriser d'une manière générale l'innovation en suivant l'évolution des changements technologiques, Telus recommande que les risques associés à l'innovation en cas d'ambiguïté dans la Loi soient répartis plus équitablement entre les titulaires de droits et les innovateurs. Nous proposons plus précisément certains changements au régime de dommages-intérêts préétablis dans la Loi.
En vertu des dispositions en vigueur, les obligations pouvant découler des dommages-intérêts préétablis peuvent être déterminées sans tenir aucunement compte des torts causés aux titulaires de droits ou des profits tirés de la violation. Nous recommandons que les tribunaux soient habilités dans tous les cas à rajuster les dommages-intérêts préétablis pour tenir compte des circonstances particulières de l'infraction. Il est déjà possible pour les tribunaux de le faire, mais seulement dans certaines circonstances. Il faudrait que l'on puisse établir que l'on a agi de mauvaise foi pour justifier l'imposition de dommages-intérêts préétablis disproportionnés par rapport à la gravité de la faute. Si l'on pouvait ainsi s'assurer que des décisions punitives sont rendues uniquement dans les causes où il est approprié et souhaitable de le faire, la Loi sur le droit d'auteur cesserait d'être un contre-incitatif à l'innovation.
J'aimerais maintenant vous parler du régime d'avis et avis.
Disons d'entrée de jeu que Telus est d'accord avec les autres fournisseurs de services Internet qui ont comparu devant le Comité. Nous croyons nous aussi que le régime d'avis et avis représente une approche raisonnable à l'égard des violations du droit d'auteur, car elle tient compte tout autant des intérêts des titulaires de droits que de ceux des utilisateurs. Nous sommes également en faveur des propositions visant à imposer un format et un contenu pour ces avis en exigeant notamment qu'ils soient lisibles par machine de manière à ce que leur traitement puisse être automatisé dans toute la mesure du possible.
Telus est également d'accord avec le qui annonçait que ces avis ne devaient pas renfermer de contenu superflu, comme des demandes de règlement, pas plus que de la publicité indiquant où trouver des renseignements d'ordre judiciaire, comme certains l'ont suggéré. Ce n'est pas à cela que doit servir le régime d'avis et avis.
Telus appuie en outre la proposition de TekSavvy voulant que l'on autorise les fournisseurs de services Internet à imposer des frais raisonnables pour la transmission de tels avis. Non seulement s'agit-il d'une question d'équité envers les fournisseurs de services qui sont des tiers innocents dans les différends concernant le droit d'auteur, mais c'est aussi un moyen de prévenir une éventuelle utilisation abusive du régime. Le gouvernement a dit vouloir prendre des mesures pour empêcher une utilisation inappropriée en interdisant les demandes de règlement, mais cela ne diminue en rien les risques d'utilisation abusive sous d'autres formes comme les avis frauduleux ou ceux renfermant des liens visant l'hameçonnage, ce qui est préoccupant du point de vue de la sécurité des consommateurs. L'imposition de frais pour l'accès au régime contribuerait grandement à minimiser les risques d'utilisation abusive.
Telus propose enfin que les dispositions distinctes prévoyant des dommages-intérêts préétablis dans le cadre du régime d'avis et avis soient modifiées dans le sens de ce que nous proposons pour ces mêmes dommages dans leur application plus générale en vertu de la Loi. Telus recommande à ce sujet que les tribunaux disposent de la latitude nécessaire pour adjuger moins que le montant minimum préétabli pour le régime d'avis et avis de telle sorte que les dommages-intérêts octroyés soient proportionnels aux torts causés aux titulaires de droits, et qu'une preuve de mauvaise foi de la part du fournisseur de services Internet fautif soit nécessaire pour justifier des dommages-intérêts dont le montant est disproportionné et punitif. Une modification semblable contribuerait grandement à aider les fournisseurs de services Internet à assumer les frais de plus en plus considérables qu'ils doivent engager pour aider les titulaires à faire valoir leurs droits.
En terminant, nous tenons à remercier le Comité pour les efforts qu'il déploie aux fins de l'examen de cette importante loi. La Loi sur le droit d'auteur est l'un des principaux outils législatifs à notre disposition pour voir au bon fonctionnement des marchés numériques au sein de l'économie moderne, et nous souscrivons à son intention. Pour que l'économie numérique canadienne puisse s'épanouir pleinement, nous avons besoin d'un cadre législatif fondé sur un juste équilibre entre le soutien à offrir aux créateurs et la nécessité d'appuyer l'innovation favorisant de nouvelles possibilités technologiques et commerciales au bénéfice de tous les Canadiens. Merci.
Je vais m'exprimer en français.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, je m'appelle Hélène Messier.
Je suis la présidente-directrice générale de l'Association québécoise de la production médiatique, ou l'AQPM. Je suis accompagnée de Me Marie-Christine Beaudry, directrice des Affaires juridiques et commerciales pour la maison de production Zone3.
Zone3 est l'une des plus importantes entreprises de production du Québec. Elle oeuvre dans le domaine de cinéma, et sa filiale Cinémaginaire a produit récemment La chute de l'empire américain, un film réalisé par Denys Arcand.
En télévision, cette maison produit des émissions de tous genres, dont des séries jeunesse, comme Jérémie, des magazines, par exemple Les Francs-tireurs ou Curieux Bégin, des émissions de variété comme Infoman, ou des comédies, telles Like-moi!
L'AQPM regroupe 150 entreprises de production indépendante en audiovisuel qui produisent pour le cinéma, la télévision et le Web, soit la vaste majorité des entreprises québécoises produisant pour tous les écrans en langue française et en langue anglaise. Les membres de l'AQPM produisent plus de 500 films, émissions de télévision et émissions Web par année, qui sont toujours vus, sur tous les écrans, par des millions de spectateurs.
Pensons au long métrage Bon Cop Bad Cop, à Mommy, lauréat du Prix du Jury du Festival de Cannes et du César du meilleur film étranger, et des émissions comme La Voix, Fugueuse ou encore de la quotidienne District 31, pour n'en nommer que quelques-unes. Ce sont des succès d'auditoires qui font l'envie de plusieurs.
En 2016-2017, la production cinématographique et télévisuelle au Canada a représenté une valeur globale de près de 8,4 milliards de dollars, ce qui est la source directe et indirecte de plus de 171 700 emplois équivalents temps plein. Au Québec, l'ensemble de la production cinématographique et télévisuelle représente une valeur de 1,8 milliard de dollars, et cette industrie génère 36 400 emplois.
Nous remercions donc le Comité de nous offrir l'occasion de contribuer à son examen parlementaire de la Loi sur le droit d'auteur. Bien que plusieurs enjeux intéressent l'AQPM, comme le piratage et l'extension de la copie privée pour y inclure l'oeuvre audiovisuelle, notre intervention d'aujourd'hui portera essentiellement sur la question de la titularité des droits en audiovisuel.
En effet, s'il est aisé de déterminer qui est l'auteur d'une sculpture ou d'une chanson, il en est tout autrement pour une oeuvre audiovisuelle, qu'il s'agisse d'une émission de télévision, d'une oeuvre cinématographique ou d'une oeuvre conçue pour le Web. La Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques prévoit l'autonomie des pays pour établir la titularité des droits sur les oeuvres cinématographiques.
Au Canada, le processus d'identification a été amorcé au début des années 1990, mais il est reporté depuis. La législation canadienne est donc silencieuse à ce sujet. Conséquemment, seuls les tribunaux sont habilités à identifier les auteurs d'une oeuvre cinématographique donnée sur la base des faits propres à cette oeuvre. Peu de cas ayant été répertoriés, aucune règle claire ne s'en dégage.
Plusieurs pays ont choisi d'identifier l'auteur de l'oeuvre audiovisuelle dans leur législation nationale. Aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande — des pays ayant une philosophie de droit d'auteur analogue à celle du Canada —, on identifie le producteur comme étant le seul titulaire du droit d'auteur, à l'exception du Royaume-Uni, où les titulaires sont le producteur et le réalisateur.
Or, au Canada, non seulement les producteurs ne sont pas reconnus comme titulaires de droit mais, de surcroît, ils doivent produire et exploiter des oeuvres audiovisuelles sur la base d'un modèle incertain, et ils doivent gérer tous les risques qui en découlent. Notons toutefois qu'afin de limiter ces risques, certaines précisions ont été apportées dans le cadre des ententes collectives intervenues, d'une part, entre les syndicats qui représentent les scénaristes, les réalisateurs, les compositeurs de musique et les artistes-interprètes et, d'autre part, l'AQPM au nom des producteurs qu'elle représente. De manière générale, le producteur obtient des droits et paie des cachets ou des redevances pour l'utilisation de ces droits.
Il faut se demander si la catégorie « oeuvre cinématographique » est encore la dénomination appropriée pour inclure toute la réalité actuelle des oeuvres créées dans le secteur de l'audiovisuel, incluant celles créées pour les médias numériques. L'AQPM croit que, telle que définie, l'oeuvre cinématographique n'est pas technologiquement neutre car elle fait référence à des techniques traditionnelles de production, soit la cinématographie, plutôt qu'à l'oeuvre en soi.
C'est pourquoi nous recommandons que la catégorie « oeuvre audiovisuelle » soit créée et définie comme étant des séquences animées d'images, accompagnées ou non de son, à laquelle seraient assimilées les oeuvres cinématographiques.
Se pose ensuite la question de l'identité des titulaires de droits de cette oeuvre audiovisuelle. Pour y répondre, on doit qualifier l'oeuvre. Est-ce une oeuvre en soi, ou bien s'agit-il d'une oeuvre de collaboration ou d'une compilation qui assemble plusieurs oeuvres sous-jacentes? Est-ce que le scénario ou la musique, par exemple, forment un tout indissociable, ou sont-ils plutôt des oeuvres distinctes qui font partie d'un tout plus grand que ses parties? Alors, qui est le titulaire des droits sur ce tout?
L'AQPM prétend que le rôle du producteur dans le processus de la création et de la confection d'une oeuvre audiovisuelle commanderait qu'on reconnaisse son apport créatif à l'oeuvre. Il serait ainsi le titulaire de droits sur l'oeuvre audiovisuelle, avec tous les droits qui en découlent, mais sans que soient pénalisés les créateurs des oeuvres sous-jacentes. Il conviendrait alors de préciser qu'une personne morale pourrait être le premier titulaire du droit d'auteur sur l'oeuvre audiovisuelle.
Me Beaudry va vous expliquer pourquoi pourquoi il est essentiel que le producteur soit titulaire de l'ensemble des droits sur l'oeuvre audiovisuelle dès ses premiers balbutiements.
Être producteur d'une oeuvre cinématographique, c'est tout un art!
Le producteur est le chef d'orchestre de l'oeuvre cinématographique, audiovisuelle, peut-on dire. Il est le seul à être présent du début de la création de l'oeuvre jusqu'à sa livraison finale, et même après, lors de l'exploitation de l'oeuvre. Il est le maître d'oeuvre du financement, de la gestion du projet, de même que de ses éléments créatifs.
En effet, tant par l'établissement du financement que par le choix des artisans qu'il engage au fur et à mesure du projet, le producteur détermine, oriente et influence le contenu de l'oeuvre audiovisuelle, qu'elle soit un magazine, un talk-show, une émission de variétés, un documentaire ou une dramatique.
Qui plus est, par son implication au jour le jour dans le développement créatif de l'oeuvre cinématographique, il participe à la création même de cette oeuvre. En dernier ressort, il est l'ultime décideur, tout en respectant, bien sûr, les prérogatives des scénaristes et des réalisateurs.
Selon le type de production, que ce soit une fiction, une émission de variétés, la captation d'un concert ou un documentaire, la nature de la participation des artisans, des scénaristes, des réalisateurs et des compositeurs sera différente.
Les composantes d'une oeuvre sont également variables: musique originale ou existante, textes originaux ou adaptation d'un livre, séquences d'archives, oeuvres d'art existantes ou création d'oeuvres originales. Les combinaisons sont infinies, et les personnes pouvant prétendre être l'auteur de l'un ou de l'autre des éléments composant une oeuvre sont nombreuses.
Le producteur doit pouvoir s'assurer de détenir, sans incertitude, tous les droits sur l'oeuvre audiovisuelle. Il joue non seulement un rôle créatif important, mais il est également l'unique responsable du respect des engagements contractuels à l'égard des tiers, dont ses partenaires financiers et l'équipe de production.
Enfin, c'est encore le producteur qui assume seul les risques de dépassements budgétaires qui pourraient survenir en cours de production de l'oeuvre audiovisuelle. Son implication est totale.
Aujourd'hui, il est presque impossible de produire une oeuvre cinématographique sans procéder à son financement par crédit d'impôt. Pour avoir accès au crédit d'impôt cinématographique fédéral, le Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens, le BCPAC, exige d'ailleurs, dans ses lignes directrices sur le crédit d'impôt pour services de production cinématographique et magnétoscopique, que le producteur soit le titulaire exclusif du droit d'auteur mondial sur l'oeuvre aux fins de son exploitation. Dans la version anglaise, on parle de copyright ownership.
De plus, la presque totalité des fonds de financement de production cinématographique au Canada, de même que certains financements bancaires, exigent que le producteur soit accrédité par le BCPAC et, donc, qu'il respecte cette exigence comme condition pour le financement de la production de l'oeuvre. Tout changement à la Loi sur le droit d'auteur qui accorderait la titularité à un tiers serait en contradiction avec ces exigences de financement et fragiliserait la production canadienne cinématographique.
Une fois l'oeuvre produite, c'est également le producteur qui détermine, finance et gère l'exploitation de l'oeuvre cinématographique. Il sous-traite des éléments à des tiers à cet effet, et ce, partout dans le monde. Il peut choisir de procéder seul ou d'agir par l'intermédiaire d'un distributeur ou d'agents de distribution.
L'exploitation d'une oeuvre cinématographique a de multiples facettes exigeant une panoplie de droits à détenir sur l'oeuvre. Par exemple, il peut s'agir de la distribution de l'oeuvre elle-même dans les différents marchés existants ici ou dans d'autres territoires, de la vente d'un format basé sur l'oeuvre, de la commercialisation de produits dérivés...
Monsieur le président et membres du Comité, nous vous remercions de l'invitation à participer aux présentes consultations.
Je m'appelle Marie-Josée Dupré. Je suis la directrice générale de la Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec, mieux connue chez nous sous SPACQ. Fondée il y a maintenant 37 ans, la SPACQ a pour but de promouvoir, de protéger et de favoriser de toutes les manières les intérêts économiques, sociaux et professionnels des créateurs de musique, soit plusieurs milliers d'auteurs et de compositeurs de musique du Québec et de la francophonie canadienne.
La culture occupe une part importante de l'économie canadienne, mais tous les acteurs n'y trouvent pas leur compte. Les auteurs-compositeurs travaillent très souvent dans l'ombre et ne sont pas nécessairement des têtes d'affiche reconnues. Ce sont pourtant eux qui forment le premier maillon d'une longue chaîne d'intervenants, mais ils sont souvent les moins bien rémunérés.
Voici les éléments qui retiennent particulièrement notre attention pour que le Canada ait une loi sur le droit d'auteur simplement adéquate.
Le premier élément est la durée du droit d'auteur. À la lumière de la conclusion, hier, de l'Accord États-Unis–Mexique–Canada, ou AEUMC, nous sommes heureux d'apprendre que le Canada portera la durée du droit d'auteur à 70 ans après la vie de l'auteur, comme c'est déjà le cas dans les pays qui sont nos principaux partenaires commerciaux.
Tous nos créateurs seront maintenant traités équitablement. Cependant, comme il existe déjà un grand nombre d'exceptions dans notre loi sur le droit d'auteur, il sera essentiel de garder une portée restrictive et limitative dans leur nombre et leur interprétation, afin de préserver le gain d'une prolongation de cette durée à 70 ans. Il serait effectivement dommage de voir s'éroder la rémunération liée à l'exploitation des oeuvres à cause d'une interprétation trop large des exceptions en place.
Le deuxième élément est la responsabilité des plateformes en matière de contenus générés par les utilisateurs. Nous saluons aussi la récente décision majoritaire du Parlement européen sur la responsabilité des plateformes de partage de contenus voulant qu'on paie des redevances aux créateurs et aux ayants droit. Encore une fois, le Canada, jusqu'à hier soir, était l'un des très rares pays, sinon le seul, à considérer cette forme de diffusion des oeuvres exempte de toute responsabilité.
Il est temps que le législateur revoie sa position et adopte les mesures qui s'imposent, à savoir responsabiliser les entreprises telles que YouTube — pour ne pas la nommer —, afin qu'elles paient des redevances appropriées, compte tenu de la diffusion de contenus sur leurs plateformes.
Le troisième élément est le régime de copie privée. Introduit en 1997, ce régime permet aux Canadiens de reproduire, pour leur usage personnel, le contenu musical de leur choix; en contrepartie, les auteurs perçoivent des redevances pour ces copies. Le régime est censé s'appliquer à tous les supports audio habituellement utilisés par les consommateurs pour reproduire des enregistrements sonores.
L'intention du Parlement était clairement de créer un régime qui soit technologiquement neutre, c'est-à-dire qui ne devienne pas obsolète simplement parce que les supports évoluent. Malheureusement, en 2012, l'application du régime a été restreinte aux seuls CD vierges, un support dont l'utilisation est maintenant en désuétude, alors que les consommateurs continuent à faire autant de copies de musique enregistrée sur d'autres types de supports, tels les tablettes et les téléphones, qui échappent au régime. Cette restriction prive d'ailleurs les créateurs de plusieurs dizaines de millions de dollars de redevances.
Il est impératif de remédier à cette situation en s'assurant que la Loi sur le droit d'auteur précise clairement que le régime doit s'appliquer à tous les supports et qu'on doit interpréter largement le mot « support » pour inclure tous les supports actuels et à découvrir.
D'ailleurs, il est intéressant de noter que les entreprises avec lesquelles transigent les créateurs utilisent, dans les libellés de leurs contrats, la capacité de diffuser et de reproduire les oeuvres de ces derniers par tous les moyens connus et à découvrir, alors que le législateur met un frein à la rémunération des créateurs en modifiant un régime qui ne peut suivre les développements technologiques.
Pour ce qui est de la Commission du droit d'auteur du Canada, je souligne, en complément de ce qui précède, qu'il est essentiel d'en arriver à un allégement des procédures et à des décisions plus rapides, afin de permettre aux créateurs de bénéficier d'une rémunération ajustée et majorée selon les situations sous étude, et du même coup, de permettre aux utilisateurs de savoir à quoi s'en tenir dans un laps de temps raisonnable.
Attendre des années avant que les décisions soient rendues ne permet pas une application efficace des tarifs par les sociétés de gestion, et c'est une grande source d'irritation pour les utilisateurs. Au surplus, ces longues périodes d'attente peuvent faire en sorte que les utilisations à la source de tarifs et les enjeux liés à celles-ci ne soient plus les mêmes, compte tenu de la vitesse de développement des technologies.
Le gouvernement doit surtout voir à ce que les ressources nécessaires soient allouées à la Commission, qui pourra ainsi gagner en efficacité et avoir un impact positif autant sur les créateurs que sur les utilisateurs-consommateurs.
En conclusion, le gouvernement doit poursuivre sur sa lancée, à savoir reconnaître la valeur des oeuvres consommées et utilisées au quotidien et s'assurer que leurs créateurs bénéficient d'une juste rémunération. Autrement, c'est la culture en général qui y perdra. Les créateurs sont au coeur de la culture; sans eux, aucun contenu ne serait possible.
Je vous remercie de votre écoute.
:
Monsieur le président, chers membres du Comité, c'est avec grand plaisir que l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec comparaît devant vous aujourd'hui pour s'exprimer sur cet important réexamen de la Loi sur le droit d'auteur. Je me nomme Mylène Cyr et je suis la directrice générale de l'Association. Je suis accompagnée du président, M. Gabriel Pelletier.
L'ARRQ est un syndicat professionnel de réalisateurs et de réalisatrices pigistes qui compte plus de 750 membres oeuvrant principalement en français dans les domaines du cinéma, de la télévision et du Web. Notre association défend les intérêts ainsi que les droits professionnels, économiques, culturels, sociaux et moraux de tous les réalisateurs et les réalisatrices du Québec. La négociation d'ententes collectives avec divers producteurs constitue l'une des démarches de l'Association pour ce qui est de la défense des droits des réalisateurs et du respect de leurs conditions de création.
Permettez-moi de souligner certains des objectifs exprimés par les ministres et dans leur lettre au président du présent comité:
Comment pouvons-nous nous assurer que la Loi sur le droit d'auteur fonctionne efficacement [...] tout en aidant les créateurs à obtenir une juste valeur marchande pour leur contenu protégé par le droit d'auteur?
Finalement, comment notre régime domestique peut-il positionner les créateurs [...] pour être compétitifs et maximiser leur potentiel sur la scène internationale?
Dans l'état actuel de la Loi sur le droit d'auteur, la détermination de l'auteur d'une oeuvre est d'abord une question de faits, et en aucun cas la Loi ne précise qui est l'auteur. L'oeuvre cinématographique, qui est généralement une oeuvre de collaboration, ne fait pas exception. La jurisprudence canadienne précise que, s'il existe de nombreux candidats au titre d'auteur de l'oeuvre cinématographique, le réalisateur sera généralement du nombre, tout comme le scénariste.
Selon le principe émis par la Cour suprême, il ne fait aucun doute que ces auteurs exercent leur talent et leur jugement pour créer l'oeuvre cinématographique. En tant qu'auteurs, tel que prévu par la loi, ils sont les premiers titulaires des droits d'auteur dans l'oeuvre cinématographique. Pourtant, certains articles de la loi, notamment en ce qui a trait aux présomptions, créent une certaine ambiguïté à ce sujet. Dans le cas des réalisateurs, cette ambiguïté les empêche d'obtenir une juste valeur marchande pour leurs droits. Le mémoire de la SACD et de la SCAM précise ce qui suit:
Lorsque la SACD-SCAM a tenté de négocier des licences générales pour le bénéfice des réalisateurs avec certains utilisateurs d’œuvres audiovisuelles, ceux-ci se sont appuyés sur ce flou juridique pour refuser de négocier. À l’heure actuelle, les réalisateurs ne reçoivent pas toute la rémunération à laquelle ils ont droit pour l’utilisation des œuvres audiovisuelles.
Encore récemment, dans nos négociations d'ententes collectives, une association de producteurs a mis en doute la titularité des droits des réalisateurs pigistes sur l'oeuvre cinématographique. Les effets de cette ambiguïté sont particulièrement importants dans un contexte où le marché de la diffusion est en évolution constante et où la valeur marchande des droits d'auteur doit pouvoir évoluer avec lui. Il est donc essentiel d'offrir au marché une chaîne de titres claire qui puisse être négociée à sa juste valeur pour les créateurs.
Nous sommes donc d'avis qu'il serait opportun, dans le cadre de l'examen de la Loi, d'apporter une précision qui corrigerait toute ambiguïté concernant le statut et les droits du réalisateur ainsi que du scénariste relativement à l'oeuvre cinématographique au Canada. L'ARRQ propose donc un amendement simple à la loi qui ne remet nullement en question ni les principes de la loi ni le mode de rémunération actuel, mais qui aurait l'avantage de corriger toute ambiguïté à l'égard des droits des réalisateurs pigistes. Nous vous soumettons en conséquence une modification de l'article 34.1, lequel introduit une présomption de propriété des droits d'auteur dans l'oeuvre cinématographique pour le réalisateur et le scénariste en tant que coauteurs de l'oeuvre cinématographique.
Cette proposition, à laquelle l'ARRQ est favorable, fait l'objet d'un consensus auprès des associations d'artistes suivantes: la SARTEC, la WGC et la DGC. Elle rejoint aussi les objectifs de la société de gestion collective SACD-SCAM.
:
Monsieur le président, chers membres du Comité, je m'appelle Gabriel Pelletier et non seulement je suis président de l'ARRQ, mais je suis aussi réalisateur.
Je suis extrêmement heureux de pouvoir enfin m'exprimer devant vous, aujourd'hui, car il y a de nombreuses années que j'attendais ce moment.
En l'an 2000, j'ai réalisé un film intitulé La vie après l'amour, qui a gagné le Billet d'or pour les recettes les plus élevées du cinéma québécois. Il a même atteint la deuxième place pour ce qui est des recettes réalisées dans tout le cinéma canadien. Son succès commercial a évidemment été très profitable pour les entreprises qui l'ont diffusé, ainsi que pour l'entreprise de mon producteur.
Quant à moi, je me souviens très bien du montant que j'ai obtenu pour mes droits d'auteur de réalisateur de ce film, au Canada, car c'est un montant dont il est facile de se souvenir. C'est un chiffre rond et même très rond: zéro dollar et zéro cent. Pour les six films que j'ai eu la chance de réaliser dans ma carrière, dont plusieurs ont atteint 1 million de dollars en recettes, j'ai obtenu le même montant pour mes droits de réalisateur au Canada. Pourtant, je n'ai aucune difficulté à me faire payer mes droits dans les autres pays de la Francophonie. Il n'y a qu'au Canada qu'on conteste la titularité de mes droits comme réalisateur et qu'on ne me donne pas ma juste part. À cause d'une ambiguïté dans la loi canadienne, la SACD, qui représente mes droits, n'a pas la capacité de négocier avec les entreprises qui exploitent mes oeuvres.
Je ne suis pas le seul à vivre cette situation. C'est le cas de tous les réalisateurs francophones que je représente. Personne ne conteste les droits des autres artistes que nous dirigeons pour créer nos films ou nos émissions de télévision, comme les compositeurs de musique ou les comédiens, qui obtiennent des droits voisins. Alors, pourquoi mettre en doute les droits d'auteur du réalisateur? Peut-on vraiment prétendre que les Xavier Dolan, Philippe Falardeau ou Léa Pool n'impriment pas une signature originale à leurs oeuvres? Il faudrait être de mauvaise foi.
Comme mes collègues réalisateurs et réalisatrices du Québec, je suis un artiste pigiste et chacun de nous doit composer avec la précarité d'emploi dans un milieu extrêmement compétitif. Il faut élaborer des idées et des projets, pour ensuite les défendre auprès des producteurs et, enfin, des investisseurs.
Une minorité de ces projets deviendront des réalisations. Nombre d'entre nous doivent donc recourir à un deuxième emploi pour répondre à leurs obligations financières quand ils ne sont pas en train de réaliser une oeuvre. Obtenir une juste rémunération pour la diffusion de nos oeuvres constitue la meilleure façon de nous donner la quiétude financière nécessaire pour continuer à faire ce que nous faisons le mieux: créer de nouvelles oeuvres.
C'est ainsi que nous pourrons maximiser notre potentiel et devenir compétitifs sur les scènes nationale et internationale, comme le suggèrent le et la .
Mesdames et messieurs membres du Comité, vous avez aujourd'hui l'occasion de corriger une situation qui affaiblit des créateurs incontournables de l'oeuvre cinématographique, les réalisateurs et les scénaristes, dans la représentation des droits qui leur reviennent. Par une simple clarification de la Loi et sans trahir ses principes, vous pourrez aider ces créateurs à contribuer efficacement à l'économie créative canadienne, tout en la consolidant.
Je vous remercie.
:
En fait, il y a différentes façons de monnayer les droits d'auteur pour les réalisateurs. C'est fait, soit par l'entremise des ententes collectives, quand on accorde des licences au producteur, soit par les diffuseurs lors de l'utilisation. Ce sont donc tous les marchés secondaires, par exemple, et les rediffusions à la télévision ou sur des plateformes numériques, à présent.
Disons que la Guilde canadienne des réalisateurs, la GCR, ou DGC en anglais, perçoit une avance de droit, c'est-à-dire que ses membres se font payer leurs droits à l'avance alors que, du côté des réalisateurs francophones, nous sommes plutôt payés à l'étape finale du projet. Nous sommes donc payés lorsqu'il y a utilisation. Toutefois, comme les diffuseurs contestent la titularité du droit d'auteur des réalisateurs, ils ont refusé de négocier des redevances pour les réalisateurs lors de l'utilisation.
La raison en est que, historiquement, les réalisateurs étaient des employés des diffuseurs; dans la loi canadienne, les premiers titulaires des droits d'auteurs étaient donc les employeurs. Cependant, notre marché a changé et les diffuseurs ont confié la production des oeuvres à des entreprises de production. À partir de ce là, la titularité de nos droits d'auteur aurait donc dû nous revenir. On devait négocier un arrangement, mais les entreprises ont refusé de le faire.
On ne tient pas compte du cachet initial qui est versé au réalisateur et qui emporte quand même une partie de ses droits d'utilisation. Par la suite, en effet, le réalisateur à droit à une partie des revenus du producteur pour ses droits de suite.
S'il n'en reçoit pas, c'est parce que le producteur, au départ, n'en reçoit pas. Alors, s'il reçoit un pourcentage des droits perçus par le producteur pour l'utilisation, sur d'autres plateformes par exemple, mais que le producteur n'en reçoit pas, la somme va être réduite si le réalisateur reçoit 4 %, 5 % ou 10 % du montant perçu par le producteur. Je dirais que c'est aussi le problème du producteur, mais le cachet initial est quand même un cachet considérable qui emporte les droits du réalisateur pour les utilisations premières.
Madame Beaudry, voulez-vous compléter ma réponse?
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En tant que producteurs, nous avons, par exemple, des ententes avec la SARTEC pour les scénaristes, les auteurs de scénarios. Quand le matériel est diffusé, ceux-ci reçoivent de la SACD une somme qui provient directement des diffuseurs.
Par ailleurs, les scénaristes ont négocié avec nous, les producteurs, l'exploitation et les revenus d'exploitation de l'oeuvre audiovisuelle, un droit d'accès à la vie économique de l'oeuvre, alors des redevances de 4 %, 5 %, ou selon la négociation particulière qu'ils ont conclue avec les producteurs.
Les réalisateurs ont ce même droit dans nos ententes collectives où, selon la vie économique de l'oeuvre, ils vont être associés à cela. Si on exploite l'oeuvre ailleurs, ils ont accès à des redevances de 4 %, 5 % ou plus, selon la négociation qu'ils ont conclue directement avec leur producteur. C'est prévu dans leur entente collective.
Il faut aussi comprendre qu'il y a différents types de réalisation. Lorsque nous parlons d'oeuvres audiovisuelles, nous parlons autant de magazines que de longs métrages. Il faut comprendre la panoplie de situations qu'il peut y avoir lorsqu'il est question d'oeuvres cinématographiques, actuellement. Il faut garder cela en tête.
Je voudrais simplement souligner que, d'abord, les scénaristes obtiennent des droits sur l'utilisation. La SACD est donc capable de négocier des droits pour eux parce que, traditionnellement, comme je le disais tout à l'heure, ils étaient des pigistes à l'origine, même pour les diffuseurs.
D'autre part, Mme Beaudry confond les oeuvres dramatiques et les oeuvres non dramatiques. Il est ici question des oeuvres dramatiques et les droits d'auteur s'appliquent différemment. En fait, c'est notre capacité de négocier qui est en cause. Nous accordons une licence d'exploitation aux producteurs. Cela fait, nous obtenons une participation aux profits. Cependant, en raison de la définition des profits, il est mathématiquement impossible d'obtenir des droits.
Par exemple, le film le plus populaire, qui a généré les plus grandes recettes au Canada, le film Bon Cop Bad Cop, que vous devez tous connaître, a rapporté 8 millions de dollars. Cinquante pour cent de ces 8 millions de dollars vont aux exploitants de salles, il reste donc 4 millions de dollars. De 25 à 30 % vont aux distributeurs. Il reste donc 1,5 million de dollars. Par ailleurs, puisqu'il est question de profits, le film a coûté 5 millions de dollars à produire. Il est donc impossible d'obtenir une part des profits.
Autrement dit, ce que je vous demande aujourd'hui, c'est de donner aux créateurs une capacité de négocier.
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J'ai les cheveux gris, et je suis assez vieux pour me rappeler que les musiciens n'ont jamais connu leur heure de gloire dans le monde du droit d'auteur. On nous a toujours volés.
Une année, j'ai coécrit la vidéo de l'année et j'ai dit à ma femme: « Cette année, c'est notre année, chérie. Nous allons faire de l'argent », parce que notre vidéo tournait beaucoup. J'ai reçu un chèque de 25 $.
À l'époque, les câblodistributeurs qui diffusaient les émissions de télévision prétendaient ne pas faire d'argent avec cela et déjà rendre service aux musiciens en diffusant leur vidéo. La SOCAN a contesté, et on a modifié la loi. Puis, bien sûr, les câblodistributeurs ont cessé leurs activités.
À l'arrivée de YouTube, tout le monde se disait que ce n'était qu'une petite entreprise fondée dans un garage, une jeune entreprise en démarrage. Aujourd'hui, la chaîne fait partie de la plus grande entreprise au monde, Google. Tout le monde que je connais partage de la musique sur YouTube. Je vis sur YouTube.
La SOCAN peut se faire insistante auprès des salons de coiffure et des petits restaurants pour qu'ils paient leurs droits d'auteur, mais ne serait-il pas mieux de nous doter d'une loi générale sur le droit d'auteur, de sorte que tous ceux qui publient des chansons ou qui font des vidéos à partir de chansons paient des frais généraux qui seraient redistribués aux artistes, comme on le faisait à l'époque de la câblodistribution, entre autres? Cela nous procurerait-il une source de revenus garantie pour l'utilisation de la musique sur YouTube?
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Je crois que votre question s'adresse surtout à moi et j'aimerais apporter une correction: nous ne voulons pas changer cet écosystème. Au contraire, nous voulons le préserver. En ce moment, les auteurs accordent des licences aux producteurs afin que ceux-ci puissent exploiter les oeuvres. Nous ne voulons pas changer cela.
Nous voulons simplement clarifier la Loi pour qu'elle offre une présomption de propriété. Cela veut dire qu'en l'absence d'une preuve contraire comme un contrat avec un producteur ou la revendication du droit d'auteur par un autre créateur, il est présumé que le scénariste et le réalisateur sont au moins des auteurs de l'oeuvre. Il faut donc clarifier cette ambiguïté actuelle de la Loi en lien avec la présomption de propriété.
Selon la Loi, le producteur est présumé tel si son nom est indiqué au générique. Ce libellé, sous un intertitre qui se lit « Présomption de propriété », pourrait porter à croire que les producteurs sont des auteurs. Or ce n'est pas le cas, et rien dans la jurisprudence canadienne ne dit que les producteurs sont des auteurs.
Les auteurs sont des gens qui recourent à leurs talents et à leur jugement pour créer une oeuvre dramatique. Je respecte le travail des producteurs qui prennent des risques financiers, mais je ne pense pas que créer un budget équivaille à créer une oeuvre d'art.
Le système actuel fonctionne et nous ne voulons pas le changer.
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J'entends mon collègue ne parler que de longs métrages, et je le comprends puisqu'il est réalisateur de longs métrages. Or il est aussi question ici de bien d'autres choses, dont des magazines télévisés, des émissions de variétés ou des téléréalités. Souvent, il n'y a pas de scénariste. Il peut aussi y avoir différents réalisateurs qui interviennent à la fin du développement de l'oeuvre. Je vous dis cela pour préciser les différents genres d'oeuvres qui existent et qui, ne l'oublions pas, tombent toutes sous la définition d'« oeuvre audiovisuelle ».
Bien souvent, c'est le producteur qui débute le processus de développement d'une oeuvre, que ce soit une émission de variétés ou une dramatique. Dans ce dernier cas, il le fera avec l'auteur, bien sûr, qui aura des droits sur son scénario, puisqu'il s'agit d'une oeuvre distincte de l'oeuvre cinématographique et qu'il va pouvoir l'exploiter en édition. Les producteurs n'ont pas nécessairement tous ces droits.
Dans le cadre du développement de l'oeuvre, le producteur participe à l'élaboration de cette oeuvre. Il y a des discussions, des échanges. Nous parlons ici de dramatiques, mais pensez aux émissions de variétés ou aux magazines télévisés: le producteur sait ce que le diffuseur veut, et c'est lui qui reste en contact et qui pilote d'une certaine façon le développement de cette oeuvre.
C'est à l'étape de la production qu'arrive le réalisateur. En établissant et en négociant le budget de production, nous allons déterminer l'ampleur de cette oeuvre et sa catégorie: série lourde, téléroman, d'une durée de 30 minutes ou de 60 minutes, tournée à l'extérieur ou non, et le reste. Toutes ces décisions touchent au contenu même de l'oeuvre, à sa vision.
Dire aujourd'hui que nous n'avons aucun impact sur la création de l'oeuvre serait donc totalement faux. Dans le cas d'un long métrage, je reconnais que l'élaboration de l'oeuvre peut différer quelque peu. Cependant, cela ne se produit pas dans tous les cas, et nous ne pouvons pas passer sous silence l'implication du producteur dans le processus de création.
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Chez les éditeurs de musique, il existe des acteurs importants comme Universal, Sony et Warner/Chappell, et d'autres, plus petits ou de taille moyenne. Ces éditeurs signent des contrats avec plusieurs créateurs. Je ne parle pas ici des interprètes ou des chanteurs, mais bien des auteurs-compositeurs.
Les contrats que les auteurs-compositeurs signent les obligent à céder la propriété de leurs oeuvres aux éditeurs. Il est pratique courante au Canada — et même ailleurs dans le monde — qu'un auteur-compositeur cède la propriété de ses oeuvres, qui cesseront alors de lui appartenir en contrepartie d'une rémunération. Au Canada, 50 % de la rémunération va à l'éditeur et l'autre moitié va à l'auteur-compositeur. Si vous êtes seul auteur-compositeur, vous obtenez la totalité des 50 %, mais cette proportion diminue si vous êtes deux ou plus.
Les compagnies sont donc à même d'augmenter leurs actifs et leur capital, alors que chaque fois l'auteur-compositeur, lui, va se faire prendre 50 % par l'éditeur. S'il a la chance d'être également interprète, sa compagnie de disques va s'occuper de lui, mais ne lui versera encore une fois qu'un petit pourcentage. Les revenus sont donc malheureusement morcelés de cette façon.
On a dit à de nombreuses reprises que les redevances aux auteurs-compositeurs liées à la diffusion de leurs oeuvres en ligne n'ont jamais réussi à compenser la perte de revenus tirés de la vente de leurs disques compacts, puisque ces redevances ont été totalement morcelées de la même façon. Leurs revenus ne peuvent donc que stagner ou diminuer, et ils n'étaient déjà pas faramineux au départ. Si un auteur-compositeur est aussi interprète, il tombe alors dans une autre catégorie et pourrait toucher davantage d'argent. Toutefois, pour les créateurs, c'est la situation qui prévaut.
À l'époque des disques compacts en boîtier, chaque chanson valait 10 sous à ses créateurs. Un album de 10 chansons rapportait donc un dollar pour sa création, dont une moitié allait à l'éditeur ou aux éditeurs, et l'autre à l'auteur-compositeur ou aux auteurs-compositeurs. Quelqu'un perd au change, et ce ne sont visiblement ni les éditeurs ni les compagnies, mais bien les créateurs de musique qui sont obligés, eux, de céder la propriété de leurs droits et de se contenter les maigres revenus qui leur sont consentis.
Nous nous penchons actuellement sur différents modèles d'entrepreneuriat. De nombreux auteurs-compositeurs, dont beaucoup sont également interprètes de nos jours, se tournent vers l'autoproduction afin de conserver la plus grande partie de leurs droits et ainsi gagner le plus de revenus possible.
Au lieu de céder totalement ses droits, on octroie des licences, mais cette pratique n'est pas encore courante dans le milieu de l'édition. Tant que la situation ne changera pas, le sort des auteurs-compositeurs ne s'améliorera pas vraiment.
Par contre, comme je le mentionnais, si le régime de la copie privée avait évolué avec la technologie, les millions de copies qui sont faites sur les tablettes et les téléphones — qui ont remplacé le disque compact et la cassette, à l'époque de laquelle le régime avait été instauré —généreraient davantage de redevances, ce qui aiderait les auteurs-compositeurs.
Dans l'état actuel des choses, il faut des millions de visionnements ou d'écoutes sur YouTube ou Spotify avant de générer des redevances de 150 $. Où est la justice dans cela pour un créateur de musique? Sans son activité créatrice, personne n'aurait eu d'oeuvre à exploiter. L'interprète est important, certes, mais il n'aurait rien eu à chanter si l'auteur-compositeur n'avait pas créé d'oeuvre. Le producteur d'enregistrements sonores n'aurait quant à lui rien pu produire si l'oeuvre n'avait pas existé.
Il semble que l'on veuille reléguer la notion de création à l'arrière-plan. Pour un album de 10 chansons, on parle d'un seul dollar versé pour la création malgré un prix total de vente de 15 $, 16 $ ou 20 $ — les albums coûtent peut-être seulement entre 10 $ et 15 $ de nos jours, pour ceux qui se vendent encore. On s'entendra pour dire que cela n'est pas énorme.
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Nous proposons cette transition, parce que la technologie vous permet désormais l'enregistrement direct sur le réseau. Mais l'innovation qui y a conduit a tardé à arriver sur le marché, en raison du risque qu'elle présentait pour le fournisseur de réseau.
Nous proposons la mise en marché de cette innovation si la loi était modifiée de manière à ne pas nous charger d'une responsabilité supplémentaire.
En ce qui concerne le propre espace de stockage dont vous disposeriez normalement sur votre disque dur individuel, supposez qu'il se trouve transporté dans le nuage, sauf qu'il appartiendrait à l'exploitant du nuage, dont l'espace, plutôt que d'être constitué de tous ces espaces individuels, pourrait être d'une capacité tellement grande...
Bien sûr, cela entraîne un coût, non seulement pour le fournisseur de réseau, mais aussi un coût pour l'environnement. Cet espace de stockage a besoin d'être refroidi et il consomme diverses formes d'électricité, ce qui introduit diverses inefficacités que nous essayons de corriger.
Tout ce qu'on stocke dans son disque dur, chez soi, pourrait l'être dans le nuage. L'exploitant du nuage pourrait ensuite rationaliser ce stockage dans l'arrière-guichet, à votre insu même. Vous récupérez plus ou moins intégralement votre enregistrement. Sur votre disque dur personnel ou dans le nuage, ce serait en douceur. L'exploitant du réseau, sans que le consommateur s'en aperçoive, rassemblerait les enregistrements, sans devoir en conserver les millions et millions de copies.
Grâce aux métadonnées et à d'autres renseignements sauvegardés à partir des enregistrements individuels de chacun, qui débutent cinq minutes trop tôt ou cinq minutes en retard — quelle que soit la durée souhaitée de l'enregistrement — nous pouvons assurer la fourniture de ce que chacun a enregistré. On peut sauvegarder ces renseignements dans devoir sauvegarder une copie entière nouvelle du même original.
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Non. Netflix est différent.
Netflix ressemble davantage à notre service de vidéo à la demande, pour lequel nous avons négocié des droits, tandis que vous n'avez pas décidé d'enregistrer quelque chose.
Actuellement, la Loi sur le droit d'auteur vous autorise à enregistrer quelque chose sur votre propre appareil ou sur un réseau. Netflix ou notre service de vidéo à la demande vous dégage de cette obligation et vous offre un service. Si vous oubliez d'enregistrer ou si vous ne voulez pas être tracassé par les préparatifs de l'enregistrement, nous vous offrons le service — l'accès à cette riche vidéothèque — celle de Netflix ou des services individuels de vidéo à la demande.
La différence est que ces droits sont négociés avec les ayants droit, qui agissent indépendamment du droit en vigueur. Vous avez encore la possibilité d'enregistrement dans le nuage, que ce soit dans le nuage proprement dit ou sur votre propre disque dur. Ces modes coexistent de manière indépendante.
Nous demandons seulement de ne pas être obligés, dans l'arrière-guichet de nos opérations du réseau, à des procédés si inefficaces que le service en est rendu beaucoup plus coûteux que nécessaire.
À mes 17 ans, j'ai adhéré à l'Association des compositeurs, auteurs et éditeurs du Canada Limitée et je suis parti en tournée. C'est devenu ensuite la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. Je ne dirai pas à combien d'années ça remonte. Au fil des ans, j'ai reçu des revenus de la télévision, de la publication de livres et de musique, et ça continue.
La question qui se pose dans le cas de la musique est très intéressante, madame Dupré, parce que la révolution numérique a eu des conséquences très avantageuses. Le coût des enregistrements a considérablement diminué. Nous dépensions presque tout notre argent en honoraires d'avocat, sans en voir un sou, à cause de tous les frais récupérables qu'ils facturaient à notre compte. Si les sociétés d'enregistrement ne voulaient pas nous approvisionner, c'en était fait de notre produit. Maintenant, on peut stocker le produit soi-même en ligne. C'est donc un avantage.
L'inconvénient est la disparition de la musique en direct dans le pays, alors qu'on demande aux groupes musicaux de payer maintenant leurs tournées grâce à la vente de T-shirts. Il y a 20 ans, on en aurait ri.
Nous avons notamment perdu la source de revenus qu'étaient la redevance pour la copie privée, les redevances de la radiodiffusion. Les revenus des musiciens baissent sans cesse. Le dernier coup vient de Spotify, qui remet, je pense, cinq dix millièmes de cents pour chaque tranche de 1 000 écoutes ou quelque chose comme ça.
Je ne connais aucun autre secteur artistique qui affronte une telle incertitude de ses sources de revenu. De belles occasions s'offrent aux musiciens dans le monde numérique, mais il y a aussi encore beaucoup de pièges. Comment décririez-vous la réalité des artistes qui travaillent aujourd'hui dans le monde de la musique? Par où commencer pour trouver un certain niveau de rémunération cohérente?