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NDDN Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la défense nationale


NUMÉRO 063 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 23 octobre 2017

[Enregistrement électronique]

(1530)

[Traduction]

    Bienvenue à tous au Comité de la défense pour poursuivre notre discussion sur la crise en Ukraine.
    Je souhaite la bienvenue à nos deux témoins d'aujourd'hui: Paul Grod, président national du Congrès ukrainien canadien, et Chris Westdal, ancien ambassadeur du Canada en Ukraine et en Russie.
    Merci, messieurs, de vous être déplacés.
    Monsieur Grod, si vous êtes prêt, je vais vous donner la parole pour vos remarques liminaires.
    Monsieur le président, je suis honoré, en ma qualité de président national du Congrès ukrainien canadien, de comparaître devant le Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes. Je remercie le Comité de me donner l'occasion de témoigner aujourd'hui sur ce sujet qui est très important pour notre communauté.
    Le Congrès ukrainien canadien réunit sous un même parapluie tous les organismes communautaires ukrainiens nationaux, provinciaux et locaux du Canada répartis en sept conseils provinciaux, soit ceux de l'Atlantique, du Québec, de l'Ontario, du Manitoba, de la Saskatchewan, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique. Nous comptons plus de 20 sections locales à travers le pays et 29 organisations membres nationales qui regroupent plusieurs centaines d'organismes communautaires d'un océan à l'autre.
    Depuis plus de 75 ans, le Congrès ukrainien canadien, ou CUC, dirige, coordonne et représente les intérêts d'une des plus importantes communautés ethnoculturelles du Canada qui compte environ 1,3 million de personnes.
    Le CUC est membre du Congrès mondial ukrainien et des communautés ethnoculturelles partout au Canada, avec qui il travaille en étroite collaboration. Par l'entremise du Conseil consultatif des intervenants Canada-Ukraine, le CUC conseille le gouvernement du Canada sur les relations entre ce pays et l'Ukraine. Les représentants du CUC rencontrent régulièrement des représentants du gouvernement canadien, des politiciens, des parties prenantes et des décideurs.
    À l'heure où votre comité entreprend une étude extrêmement importante sur l'Ukraine, la sécurité et l'intégrité territoriales de ce pays ont un effet direct sur la sécurité du Canada et de nos alliés, de même que sur l'ordre international fondé sur des règles. Au cours de la dernière décennie, la Russie a cherché à imposer de force son hégémonie aux États qui, jadis, faisaient partie de l'Union soviétique. Le point culminant de cette entreprise a été l'annexion de la Crimée par la Russie en février 2014 et, peu après, des régions de Donetsk et de Luhansk, dans l'Est de l'Ukraine. Aujourd'hui, la Crimée est sous occupation russe et les autorités d'occupation y ont instauré un régime de terreur contre le peuple tatare, des Ukrainiens de souche, et contre tous ceux qui s'opposent à l'occupation russe de la Crimée.
    Maintenant dans sa quatrième année, la guerre que mène la Russie dans l'est de l'Ukraine a fait 10 000 morts, 23 000 blessés et 1,5 million de déplacés internes. Il ne se passe pas un jour sans que les forces paramilitaires russes lancent des attaques contre les positions ukrainiennes.
    Ce n'est pas un conflit gelé, mais bien une vraie guerre, une guerre chaude. De plus, il est essentiel de comprendre qu'il ne s'agit pas d'une guerre civile. Il n'y a jamais eu de mouvement séparatiste en Ukraine moderne jusqu'à ce mouvement fabriqué de toutes pièces, financé et exécuté par Vladimir Poutine et par ses lieutenants.
    En très peu de temps, l'Ukraine a réformé ses forces militaires et de sécurité qui étaient pratiquement inexistantes pour en faire des forces de combat efficaces. En face, les forces militaires et paramilitaires russes présentent dans les oblasts occupés de Donetsk et de Luhansk, sont plus importantes que celles de la plupart des armées des forces européennes. L'armée ukrainienne a réussi à stopper leur avance, mais moyennant un lourd tribut. Pour ramener la paix en Ukraine, il faut que le Canada et les alliés occidentaux déploient des efforts plus importants et plus stratégiques. Le Canada doit se concentrer sur deux grands objectifs: le premier consistant à renforcer la capacité de l'Ukraine à se défendre et le deuxième à dissuader les Russes de poursuivre leur agression et d'en planifier d'autres.
    Depuis 2015, l'Ukraine demande à l'ONU de déployer une mission de maintien de la paix dans les territoires occupés de la région de Donbass. Cette demande a récemment été réitérée par le président Porochenko quand il a rencontré le président Trump, à Washington, et le premier ministre Trudeau à Toronto.
    Pour qu'une telle mission soit efficace et valable, elle doit être déployée sur l'ensemble du territoire des oblasts de Donetsk et de Luhansk. Elle doit impliquer le retrait de toutes les troupes et de tous les mercenaires russes, de leurs chars et des autres armes de haute technologie se trouvant actuellement sur le territoire ukrainien. Cette force de maintien de la paix des Nations unies doit être déployée à la frontière russe ou ukrainienne afin d'empêcher l'infiltration continue de militaires, d'armes et d'équipement russes sur le territoire ukrainien.
    Il va sans dire que la Russie, en tant qu'État agresseur, ne peut pas faire partie du contingent de cette mission. Afin d'accroître la pression exercée sur ce pays, pour qu'il accepte une telle mission de maintien de la paix onusienne, une mission efficace et robuste, le Canada et l'OTAN devraient s'y prendre ainsi: premièrement, fournir à l'Ukraine du matériel militaire défensif, en particulier des systèmes antichars, anti-artillerie et des radars, afin de faire payer à la Russie un lourd tribut advenant qu'elle lance une nouvelle agression; deuxièmement, continuer de renforcer les sanctions imposées à la Russie jusqu'à ce qu'elle accepte un tel plan de maintien de la paix, surtout sous la forme de sanctions économiques sectorielles et individuelles.
    Le Canada est particulièrement bien placé pour être un chef de file géopolitique dans une telle approche et pour diriger une éventuelle mission de maintien de la paix de l'ONU. Nous avons une longue et fière histoire de participation aux missions de maintien de la paix et nous jouissons d'une crédibilité internationale qui nous permettrait de rallier l'appui de tous à un tel plan.
(1535)
    Les 14 et 15 novembre de cette année, le Canada sera l'hôte de la réunion ministérielle de la Défense sur le maintien de la paix des Nations unies. Plus de 70 pays y participeront et ce serait une excellente occasion, pour le Canada, d'annoncer son intention de prendre la tête d'une mission onusienne susceptible d'apporter enfin la paix dans l'Est de l'Ukraine.
    Le Canada vient d'adopter la Loi Magnitsky, depuis longtemps soutenue par le Congrès ukrainien canadien et par la communauté ukrainienne en général. Cette loi fournit au gouvernement des outils importants pour sanctionner les auteurs de violations internationales des droits de la personne. Le Canada devrait agir rapidement pour appliquer des sanctions contre les dirigeants russes et les particuliers responsables de l'agression contre l'Ukraine et de la violation des droits de la personne des citoyens ukrainiens. Plus de 40 citoyens ukrainiens sont actuellement illégalement emprisonnés par la Russie.
    La mission d'entraînement militaire du Canada en Ukraine, l'opération Unifier, ainsi que les missions des pays alliés ont grandement contribué à accroître la capacité militaire de l'Ukraine, ce dont nous sommes très reconnaissants. Ces efforts doivent être poursuivis et étendus.
    J'étais très fier de ma citoyenneté canadienne pendant mon séjour à Kiev, le 24 août dernier, où j'ai assisté au défilé de la Fête de l'indépendance à l'occasion duquel les Forces armées canadiennes ont paradé aux côtés des Forces armées ukrainiennes et des forces armées de huit autres pays de l'OTAN. Chers parlementaires, cela a envoyé un message très fort au Kremlin, à savoir que le Canada et l'OTAN sont aux côtés de l'Ukraine.
    La participation du Canada au Conseil consultatif sur la réforme de la défense de l'Ukraine donne des résultats concrets dans la réforme du ministère de la Défense et des Forces armées de l'Ukraine, alors que ce pays met en oeuvre son objectif d'interopérabilité avec l'OTAN, d'ici 2020. Au nom de notre communauté, je tiens à souligner les efforts déployés par la représentante du Canada au Conseil consultatif sur la réforme de la défense, Jill Sinclair, pour l'excellent travail qu'elle a accompli dans ce dossier.
     Il y a quelques semaines, pendant les jeux d'Invictus à Toronto, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec le premier ministre Trudeau et le président Porochenko d'Ukraine au sujet de la demande que son pays nous a adressée afin que nous prenions la tête d'une mission de maintien de la paix de l'ONU en Ukraine, un peu comme le premier ministre Lester B. Pearson l'avait fait en dirigeant la force d'urgence des Nations unies pour résoudre la crise du canal de Suez, ce qui lui a d'ailleurs valu un prix Nobel de la paix.
    Le Canada a maintenant l'occasion de prendre la tête de la communauté internationale dans l'instauration de la paix en Ukraine, pour mettre un terme au carnage quotidien qui se déroule là-bas. En dirigeant une mission de maintien de la paix de l'ONU en Ukraine, le Canada pourrait prendre la place qui lui revient et grandement changer les choses en ramenant le monde dans un ordre international fondé sur des règles.
    Depuis plus de trois ans, la Russie mène une guerre contre l'Ukraine et occupe le territoire souverain ukrainien. Le peuple ukrainien a fait le choix historique de rejoindre la communauté des nations euro-atlantiques tout en se défendant contre une agression étrangère. Le peuple et le gouvernement ukrainiens ont fait d'énormes progrès dans la réforme de leur pays.
    Le Canada, l'un des plus proches amis de l'Ukraine, a l'occasion d'assumer un rôle de chef de file géopolitique et de rallier le soutien international pour instaurer la paix dans ce coin du monde. Ce ne sera pas facile, mais nous devons saisir cette occasion pour ramener la paix en Europe de l'Est et rétablir un ordre international fondé sur des règles.
    Je vous remercie de m'avoir permis de comparaître devant le Comité. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
    Merci de votre témoignage.
    Je cède la parole à M. Westdal.
    Merci, monsieur le président. Je suis vraiment honoré d'être ici.
    Je vais vous parler du contexte mondial, de la crise en Ukraine et de ses origines, de l'impératif vital que l'Occident maintienne la paix avec la Russie, de la façon dont le Canada pourrait l'aider dans ce sens et de ce que vous devriez recommander.
    Le monde est en pleine tourmente. Les forces mondiales changent. L'Ouest connaît un déclin relatif manifeste. Les Américains trébuchent. Les Européens sont en crise. La Chine s'est éveillée et elle est en pleine expansion. La Russie s'est remise sur pied. Le Moyen-Orient est en flammes. Le djihadisme fait rage. Le pouvoir persan étend ses tentacules. En Asie, un fanatique profère des menaces de conflit nucléaire. Nous vivons dans un monde multipolaire particulièrement polarisé.
    Les crises nous frappent de plein fouet. Chacun a sa liste, mais l'Ukraine apparaît partout. La crise a allumé la mèche de cette nouvelle guerre froide que nous menons, plus dangereuse que la précédente, et les enjeux dont vous parlez sont énormes. Ils sont de nature existentielle.
    De nos jours, quand les médias se souviennent de l'Ukraine, ils se sentent toujours obligés de désigner un coupable. Nous aimons tous à penser que tout est de la faute de la Russie. Les Russes, eux, pensent évidemment que c'est toujours de la nôtre. Les blâmes fusent de toutes parts. La Russie est accusée d'agression en Géorgie, en Ukraine, dans les pays baltes et en Syrie. Son président serait un suppôt de Satan, un assassin, un saboteur, un voleur, un criminel de guerre, un truqueur d'élections américaines. Choisissez votre épithète, toutes sont d'usage courant. Poutine veut restaurer l'Union soviétique, conquérir à nouveau les pays baltes, rendre la vie misérable à l'Ukraine et déjouer l'Occident à chaque tournant.
    Or, cette vision des choses est erronée. Je ne pense pas que Poutine soit un démon. En fait, ces jours-ci, il me semble être l'un des acteurs les plus rationnels du groupe et, comme cela a déjà été dit, rien n'est plus offensif qu'une Russie sur la défensive, mais je ne pense pas que Moscou soit un maraudeur agressif. Je ne pense pas que la Russie veuille une guerre ni d'une Ukraine brisée sur son flanc occidental. Je pense toutefois qu'elle ne tolérera pas que sa sécurité soit menacée et qu'elle est prête à payer et à imposer un prix très élevé, comme on le voit, pour éviter que tel soit le cas.
    Plus récemment, la Russie a exigé plus de respect qu'elle n'en reçoit. Poutine est prêt à être notre partenaire, selon ses propres termes, mais jamais notre marionnette et il ne peut plus tolérer que les États-Unis continuent à diriger le monde autant et aussi mal qu'ils l'ont fait. Pensez à tous les fiascos de politique étrangère, surtout au Moyen-Orient, auxquels Poutine a assisté dans ses 17 années de pouvoir et imaginez à quel point l'accusation d'agressivité portée contre lui a pu le perturber.Tout est relatif. Il n'y a pas de sens sans contexte.
    Permettez-moi de passer un peu plus de temps sur cette notion de blâme pour le gâchis dont nous sommes victimes, ce dont nous n'entendons pas beaucoup parler. Nous avons inscrit la Russie au compte des pertes quand l'Union soviétique s'est effondrée. Nous avons décidé que nous pourrions faire fi de ses intérêts. Pendant 10 ans, Boris Eltsine a joué le jeu. Vladimir Poutine ne le fera pas. D'abord, il va contenir l'OTAN. Il l'a dit clairement en Géorgie en 2008 et il le fait maintenant en Ukraine. Les Russes savent que l'OTAN n'est pas un club de fermières. C'est une alliance militaire nucléaire, congénitalement russophobe, la plus puissante de l'histoire du monde, et elle s'est développée à pas de géant. Mettre l'OTAN dans le nez de la Russie a été une erreur colossale, contreproductive et provocante. Cet acte a été commis et nous devons vivre avec. L'élargissement de l'OTAN à la Géorgie et à l'Ukraine, comme le Canada l'a préconisé, serait courir à la catastrophe.
    Quand les historiens évalueront les origines de cette nouvelle guerre froide, je m'attends à ce que l'élargissement de l'OTAN figure en bonne place, en haut de la liste. Les performances de l'Ukraine indépendante en matière de politique, d'économie et de politique étrangère n'ont pas beaucoup aidé non plus.
    Sur le plan politique, Kiev a perdu une grande partie de la loyauté de sa grande minorité ethnique russe, et cela de façon décisive. Un Ukrainien sur cinq était indépendantiste, à peu près dans la même proportion que les francophones du Canada. Kiev n'a pas plus réussi à arracher le contrôle politique aux oligarques qui dirigent le pays.
(1540)
    Sur le plan économique, cependant, l'Ukraine est riche en ressources naturelles et en capital humain, outre qu'elle ne manque pas de cerveaux et, bien qu'elle ait reçu des milliards de dollars d'aide en un quart de siècle, l'Ukraine a pris du retard par rapport à ses voisins, à l'est comme à l'ouest, condamnant des millions de personnes à la pauvreté.
    En politique étrangère, avec l'Ukraine prise en tenaille dans le bras de fer que se livrent les grandes puissances, les erreurs de Kiev ont été dévastatrices. Le gouvernement n'a pas réussi à maintenir la paix avec son géant de voisin. Il y a trois ans, alors que les nationalistes intransigeants au pouvoir rejetaient un accord négocié par l'Union européenne, que nous avions tous salué officiellement, le Maïdan — le mouvement séparatiste — a choisi un combat que Kiev ne pouvait pas gagner contre le Kremlin.
    Kiev ne parviendra pas à retenir davantage l'attention de l'Ouest pas plus qu'il n'arrivera à se détourner des regards du Kremlin. Qu'on le veuille ou non, et toute théorie mise à part, les sphères d'influence des grandes puissances sont bien réelles. Au Canada, nous sommes bien placés pour le savoir. Nous vivons ensemble. Dans les faits, Kiev jouit d'à peu près autant de liberté pour déstabiliser la sécurité de Moscou qu'Ottawa en a pour miner celle de Washington, ce qui veut dire bien sûr que sa souveraineté est compromise sur un plan pratico-pratique. Il en va de même de la souveraineté effective de la plupart des nations sur terre. Bienvenue au club.
    Kiev s'est également trompé en prenant trop au sérieux les promesses européennes d'intégration, d'adhésion à l'Union européenne. La perspective d'une adhésion à l'Union européenne a toujours été un rêve pour les Ukrainiens, mais maintenant que l'Union européenne est confrontée à des problèmes, ce n'est plus que pure fantaisie.
    Kiev a également commis une erreur en laissant les Occidentaux s'occuper de ses propres affaires. Nous avons vu les Américains désigner un premier ministre, puis choisir un ministre des finances. Nous avons vu des étrangers devenir ministres de la réforme et de la lutte contre la corruption et nous avons vu, et nous voyons encore, le spectacle d'un Mikheil Saakashvili, qui vient de se battre contre la Russie et de perdre une bonne partie de son pays, se représenter en Ukraine en tant que gouverneur régional avant de s'exiler, puis de briguer la présidence dans la rue.
    C'est une vieille histoire. Depuis mille ans, c'est toujours quelqu'un d'autre qui est aux commandes du pays. Il est rarement arrivé que Kiev ait les rênes en main. Mais le temps est maintenant venu pour que cela arrive. Il est évident que les étrangers ne savent pas comment résoudre les problèmes de l'Ukraine. Dans leur pays indépendant, les Ukrainiens vont devoir résoudre, eux-mêmes, ou pas, un plus grand nombre de leurs problèmes.
    Cela leur aurait été plus facile s'ils avaient hérité d'un État plus petit et plus homogène sur le plan ethnique, mais tel n'a pas été le cas et ils n'ont pas réussi à maintenir l'unité des lieux. On perçoit une volonté démocratique populaire admirable, mais les institutions politiques du pays viennent régulièrement troubler cette volonté. Il y a eu des mouvements de masse et des soulèvements. Des manifestants en colère campent de nouveau sur la place Maïdan, en ce moment même. Il y a eu des élections démocratiques, massivement surveillées, déclarées libres et équitables, mais elles n'ont pas encore donné lieu à un semblant de paix, d'ordre et de bon gouvernement. Comme ses évangélistes devraient humblement le constater, la démocratie ne s'importe pas.
    Depuis 25 ans que dure l'indépendance de l'Ukraine, le Canada affiche sa détermination à jouer les premiers violons dans ce dossier, surtout sous l'impulsion passionnée de la diaspora ukrainienne. Loin de notre caractère et loin de nos modestes moyens militaires, nous sommes devenus le principal faucon de l'Occident. Cette attitude agressive, assortie d'une hostilité très vive à l'égard de la Russie, se perpétue encore aujourd'hui.
    Ce que je trouve frappant dans ce dossier, c'est que nous avons bousculé nos valeurs dans le cas de l'Ukraine. Par exemple, tandis que nous nous efforçons de nous entendre avec notre géant de voisin, nous conseillons la confrontation aux Ukrainiens qui vivent aussi à côté d'un géant. Il faudrait donc frapper le museau de l'ours russe à chaque occasion.
    En outre, même si nous pratiquons chez nous le pluralisme, les aménagements inclusifs, le fédéralisme, le bilinguisme et une véritable autonomie régionale, nous nous réjouissons du fait que les Ukrainiens pratiquent un nationalisme exclusif plutôt létal. Ioulia Timochenko, rappelons-le, a plaidé urbi et orbi que la solution à l'ethnicité russe en Ukraine n'est autre qu'une bombe nucléaire.
(1545)
    Le dernier exemple susceptible d'exacerber l'animosité interethnique est la nouvelle politique scolaire qui interdit l'enseignement de la langue russe après la 4e année. Les Ukrainiens russes de souche, tout aussi patriotiques soient-ils, et les Russes ne peuvent qu'en être vexés. Nous le serions à moins?
    Aucun pays au monde n'a davantage d'intérêt à maintenir de bonnes relations bilatérales et occidentales avec la Russie que l'Ukraine, mais aucun pays au monde n'a fait moins que le meilleur ami de l'Ukraine, le Canada, pour encourager une réconciliation pourtant essentielle.
    Pensez à nos sanctions Magnitsky. Vous avez tous voté pour cette loi. Pouvez-vous me dire, s'il vous plaît, si ces sanctions prévoient les recours d'usage? Comment ces listes de personnalités mises à l'index sont-elles établies. Qui décide du nombre de personnes visées? Qui est coupable? Qui ne l'est pas? Les listes sont-elles dressées par les conseillers en politique étrangère? Est-ce fait par des journalistes? Sont-elles dressées par des lobbyistes bien payés? Qui sait?
    En cette période de guerre froide et de bouleversement mondial, surtout en l'absence historique et flagrante de tout effort canadien visant à apaiser les tensions et à réduire les risques, la contribution remarquable du Canada à l'imposition tardive, inopportune, intempestive, redondante et échappant à toute procédure équitable d'un nouvel ensemble de sanctions contre la Russie n'a aucun sens. Est-ce tout ce que nous avons à offrir? Ne pouvons-nous pas faire mieux? Il y a un temps pour tout, même pour l'outrage moral.
    Quoi qu'il en soit, voilà où nous en sommes et, peu importe qui est à blâmer, nous en sommes là où nous sommes, au bord d'une grande catastrophe. Compte tenu des enjeux, nous nous devons de maintenir la paix avec la Russie.
    Pour répondre à cet impératif, j'estime que nous devons cesser l'expansion de l'OTAN et faire en sorte que l'Ukraine puisse tout autant commercer avec la Russie qu'avec l'Europe, sans poser de menace à la sécurité de l'un ni de l'autre. Nous devons également permettre à l'Ukraine de disposer de l'espace, de la paix et du calme dont elle a désespérément besoin pour se réunifier, se rétablir, se réformer et réussir.
    Loin de sacrifier l'Ukraine, comme le prétendent les critiques, la neutralité et la détente seraient garantes de son salut.
    Monsieur le président, j'ai deux autres pages et il me faudrait encore deux ou trois minutes. Je peux m'arrêter maintenant ou poursuivre, comme vous voulez.
(1550)
     D'accord. Nous avons dépassé le temps alloué, alors pour permettre à nos membres de poser leurs questions, j'aimerais que vous vous arrêtiez et que nous passions directement aux questions. Je vous remercie de votre témoignage.
    Eh bien, j'ai...
    Nous aurons assez de temps pour revisiter certaines choses et nous assurer que tout le monde puisse...
    Je n'ai pas eu la chance de vous faire part de mes recommandations.
    Je suis sûr que nous pourrons en parler dans le cadre des questions.
    Je rappelle aux personnes autour de la table, et je l'indique aux nouveaux, que ce panneau signifie généralement qu'il est temps de conclure. Que vous posiez une question ou donniez une réponse, nous devons veiller à ce que tout le monde ait le temps nécessaire pour le faire. Cela simplifie grandement mon travail et si vous voyez cela, c'est qu'il vous reste 30 secondes pour conclure.
    Cela dit, je passe à la première personne sur ma liste pour les questions officielles, pour sept minutes. Monsieur Fisher, c'est à vous.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci beaucoup, messieurs, pour vos témoignages et merci de vous être déplacés.
     Monsieur Grod, nous avons entendu dire que la Russie utilise les médias pour diffuser de la propagande en Ukraine. Dans un article du Economist, où il était question de la région de Donbass, il est dit, et tout aussi absurde que cela puisse paraître, que malgré les bombardements quotidiens, la plupart des habitants de la région blâment l'Ukraine plutôt que la Russie pour leurs malheurs.
    Quand nous étions en Europe, nous avons constaté un grand soutien en faveur de l'UE, du moins à Kiev, où nous sommes passés. Dans quelle mesure les habitants de la région de Donbass soutiennent-ils les unités prorusses?
    Si j'entends dire que 65 à 70 % des Ukrainiens appuient l'idée de se rattacher à l'Europe plutôt qu'à la Russie, il se trouve que, dans cette région... Pourriez-vous nous dire plus précisément ce qu'il en est des niveaux de soutien? La région de Donbass est-elle entièrement...
    Nous ne parviendrons peut-être jamais à négocier la paix si, dans des secteurs comme celui-ci, les gens s'estiment plus attachés à la Russie qu'à l'Ukraine.
    C'est une question très importante parce que la guerre de l'information est intense. Non seulement on est en présence d'une agression militaire réelle en Ukraine, mais aussi d'une agression économique contre l'Ukraine par la Fédération de Russie. La guerre de l'information que la Fédération de Russie mène là-bas et, franchement, dans le monde entier, est peut-être encore plus dramatique et inquiétante. De nombreuses études, notamment aux États-Unis, ont été menées sur l'ampleur de cette guerre de l'information. Toute cette région le long de la frontière ou de la zone de contact est fortement influencée par la guerre de propagande russe. C'est à la fois troublant et problématique.
    La guerre de la désinformation est axée sur le fait que l'Ukraine est un État en déroute. Mon voisin a d'ailleurs décrit l'Ukraine comme un État en faillite et, par conséquent, il a semblé que nous devrions tout simplement abandonner ce pays et le laisser essayer de trouver lui-même une sortie de crise. Mais en réalité, l'est de l'Ukraine et les régions autour de la zone de conflit sont en fait en train de changer et de se rendre compte que... Quand la guerre a éclaté, le soutien apporté à Kiev était nettement moindre que ce qu'il est aujourd'hui.
    J'ai eu le privilège ou l'occasion de visiter les lignes de front où j'ai rencontré des hommes courageux venant surtout de l'Est. Dans mes échanges avec eux, ils m'ont montré que leurs familles étaient en première ligne ou derrière les territoires occupés et qu'ils les défendaient. Ce sont des russophones, certains d'origine ethnique russe. Avec toute cette discussion sur l'opposition entre l'ethnie russe et les russophones... En fin de compte, Vladimir n'a fait que de renforcer et d'unifier l'Ukraine.
    Il sera évidemment très difficile de réintégrer les territoires occupés. C'est pourquoi il serait prématuré de forcer l'Ukraine à tenir des élections immédiates dans cette région. Tout d'abord, il y a entre 1,5 et 2 millions de déplacés et il faudrait un certain temps pour les réintégrer. Voilà pourquoi il est important de mener une mission de maintien de la paix de l'ONU pour évacuer toutes les troupes, l'artillerie russes et les centaines de chars d'assaut de la région, et pour donner le temps aux gens de se réinstaller, pour instaurer la paix et la stabilité et pour tenir des élections démocratiques.
(1555)
    Le gouvernement ukrainien prend-il des mesures ou a-t-il eu la possibilité de rétablir un certain niveau de confiance? Fait-il quelque chose de particulier dans la région de Donbass, pour faire revenir les gens et pour les ramener dans le giron de l'Ukraine, ou considère-t-il que c'est une cause perdue?
    Eh bien, le gouvernement n'a aucun moyen d'accéder à cette région parce qu'il s'agit de territoires occupés. On peut dire qu'il y a 40 000 soldats dans les territoires occupés qui contrôlent tout sur place. Les ONG ukrainiennes et les représentants du gouvernement ukrainien n'ont pas la possibilité d'apporter leur aide aux populations.
    Les gens sur place n'ont-ils pas accès aux médias ou à Internet pour savoir que le gouvernement ukrainien travaille dans le sens du changement?
    Oui, ils ont accès à Internet, mais pas aux médias. Il est quasiment impossible d'accéder aux médias ukrainiens dans les territoires occupés, ce qui fait que la campagne de désinformation russe porte vraiment.
    Mais il y a encore des échanges commerciaux. La Russie était le principal partenaire commercial de l'Ukraine. Maintenant, les échanges ont sans doute été réduits en peau de chagrin, mais il y en a encore. Comment parvenir à sortir la Russie du tableau avec ses propositions de maintien de la paix pour les substituer par celles de l'Ukraine? Comment y parvenir? Comment concrétiser ce que vous pourriez appeler un Minsk III? Comment arriver à instaurer une véritable solution pacifique? Selon vous, est-ce qu'on en prend le chemin?
    C'est à la fois simple et très difficile. La façon simple est de forcer la main des Russes pour qu'ils retirent leurs militaires et leurs équipements et qu'ils cessent de financer les séparatistes parce qu'en fin de compte, comme je l'ai dit au début, il n'y a jamais eu de mouvement séparatiste. Celui-ci a été entièrement fabriqué, financé, exploité et organisé par la Fédération de Russie, par Vladimir Poutine et par ses sbires. En réalité, ceux qui ont dirigé ces mouvements sont des citoyens russes, des militaires russes et des agents du renseignement russes. Une fois que ces personnes auront été expulsées, il sera possible de ramener la paix et la stabilité dans la région.
    Vous donnez l'impression que c'est simple. Je ne sais pas si j'ai...
    Il vous reste 45 secondes pour une question et une réponse.
    Avez-vous une brève question à poser?
    J'aimerais comprendre, de votre point de vue, ce qu'il va falloir faire pour sortir de la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement. C'est presque une impasse. Vous plaidez en faveur d'un renforcement des sanctions et de l'envoi d'armes défensives aux Ukrainiens, mais vous voulez en même temps que nous envisagions une mission de maintien de la paix de l'ONU. Ces deux éléments sont-ils pertinents ou vont-ils à l'encontre d'une éventuelle solution?
    Non, ils sont tout à fait pertinents pour contraindre la Russie à accepter une mission de maintien de la paix en Ukraine, à accepter une mission qui ne donnerait pas lieu à un gel du conflit. Il y a quelques semaines, Vladimir a proposé une mission de maintien de la paix en Ukraine le long de la ligne de contact, dans la zone de conflit, qui aurait essentiellement gelé le conflit, sans rien faire d'autre, tandis que tout ce que nous réclamons, c'est l'application des accords de Minsk. Ceci exige l'arrêt du conflit et le retrait des forces soviétiques pour permettre à l'Ukraine de prendre le contrôle de sa frontière avec la Russie.
    Monsieur Hoback.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les deux témoins d'être venus cet après-midi pour examiner cette étude sur l'Ukraine.
    Monsieur Westdal, je voudrais en savoir un peu plus sur vous. Je vois que vous étiez ambassadeur. Vous avez servi en Ukraine et en Russie, ainsi que dans d'autres régions du monde.
    Soit dit en passant, je tiens à vous remercier pour vos services. Nous vous en sommes bien sûr très reconnaissants.
    Votre curriculum vitae indique que vous êtes membre de l'Association des gens d'affaires Canada-Eurasie-Russie. Qu'est-ce que cette association et comment est-elle financée?
(1600)
    L'Association des gens d'affaires Canada-Eurasie-Russie, la CERBA, est une association de promotion commerciale financée par ses membres. Je suis membre du conseil d'administration national et du conseil d'administration d'Ottawa. CERBA favorise le commerce et l'investissement entre le Canada et la Russie, entre le Canada et l'Ukraine, entre le Canada et le Kazakstan, entre le Canada et l'Arménie et entre le Canada et l'Eurasie, d'où son nom.
    Je suis curieux. Vous êtes président de Silver Bear Resources. Qu'est-ce que Silver Bear Resources? Où se déroule la majorité des activités minières ou d'exploration?
    Silver Bear Resources est une société ouverte, inscrite à la Bourse de Toronto, qui va ouvrir une mine d'argent à Yakutia, en Sibérie.
    Je siège au conseil d'administration de Silver Bear depuis huit ans, soit un an après ma retraite, et je préside maintenant le conseil d'administration de Silver Bear.
    De plus, j'ai siégé au conseil d'administration d'une société appelée Black Iron. Je n'en fais plus partie, mais il s'agissait d'une entreprise qui voulait aussi ouvrir une mine de fer en Ukraine.
    J'ai assuré ces mandats et un ou deux autres et je suis demeuré actif au CERBA.
    D'accord, merci.
    Vous savez que 13 Canadiens ont été sanctionnés par la Russie, et que Poutine leur a essentiellement interdit l'accès à son pays. Cela vous avait-il indigné?
    Il faut voir cela comme un prêté pour un rendu par les Russes. Je n'ai pas été particulièrement indigné par ces sanctions, mais j'ai ressenti un certain scepticisme quant à leur efficacité. L'effet des sanctions sur la Russie...
    Vous nous critiquez pour la loi Magnitski que vous jugez illégitime et irrespectueuse de toute procédure équitable. Or, M. Bezan n'a bénéficié d'aucune procédure équitable quand son nom a été inscrit sur la liste d'exclusion.
    C'est pour cela que je m'oppose à ces sanctions. Elles n'ont pas changé notre politique et elles n'ont pas changé la politique de la Russie. Les sanctions contre la Russie sont innombrables, surtout par les États-Unis et depuis des décennies.
    Certes, mais je pense que cela nous ramène...
    Je ne crois pas que les sanctions constituent une politique efficace. Demandez-vous ce que nos sanctions contre la Russie étaient censées nous permettre d'accomplir, eh bien si l'on s'arrête un instant pour faire un devoir de mémoire, tout d'abord...
    Une seconde, monsieur Westdal. Je n'ai que sept minutes et j'aimerais pouvoir poser toutes mes questions, si vous le permettez.
    Je vous ai interpellé sur l'affaire des 13 Canadiens. Vous avez réagi et je vous ai dit que c'est la raison pour laquelle nous avons adopté la loi Magnitski, justement parce que nous jugeons important de frapper les oligarques en Russie, pour que ça leur fasse mal au portefeuille afin qu'ils arrêtent de piller impunément les ressources de la Russie et de parcourir ensuite le monde en toute liberté et impunité. J'estime que cette mesure est valable dans ce cas et qu'elle a en outre d'importantes répercussions politiques sur Poutine, sur ce qu'il fait et sur la façon dont il le fait.
    Je vais maintenant m'adresser à M. Grod.
    Vous avez dit que tout a été manigancé, qu'il n'y avait pas de guerre civile. Que tout a été concocté, qu'il s'agit d'une guerre hybride. Qu'a donc pu faire la Russie pour vous amener à penser que c'est elle qui a organisé cette guerre hybride?
    Tout d'abord, toute la révolution de la place de l'Indépendance, pour en revenir à ce que disait M. Westdal, était en fait une façon de taper sur l'ours russe, pourrait-on dire. Les Ukrainiens ne veulent pas vivre dans un monde où ils seraient dans la sphère d'influence d'un autre pays. Le peuple ukrainien est très indépendant et il lutte pour être indépendant de la Russie depuis 300 ans.
    Aujourd'hui, l'Ukraine est l'un des derniers phares de la démocratie et de la primauté de droit parmi les pays de l'ex-Union soviétique. Certes, l'Ukraine est face à des défis, mais c'est le sort de n'importe quelle jeune économie ou démocratie.
    D'accord, mais revenons à ma question: en quoi les Russes ont-ils préparé le terrain? Qu'ont-ils fait pour contrarier le peuple ukrainien ou alors, des étrangers sont-ils venus expressément pour miner la société ukrainienne? Donnez-moi une idée de ce qui a bien pu se passer pour fomenter cette déstabilisation.
    Vous voulez dire avant le Maïdan, avant la révolution de la dignité?
    Commencez par le début.
    Vous avez dit que les Russes avaient préparé le terrain pour une guerre civile, mais il n'y a pas eu de guerre civile. Que vouliez-vous dire par là?
    Quand le président ukrainien, Viktor Ianoukovitch a fui le pays, après que 100 manifestants pacifiques furent tués sur la place Maïdan à Kiev, il s'est rendu compte qu'il avait dépassé les bornes et qu'il n'avait nulle part d'autre où aller qu'en Russie.
    C'est alors que la Russie a mis en oeuvre son plan parce qu'elle savait que des forces occidentales nouvelles prendraient le contrôle de l'Ukraine. Les Russes se sont rendu compte qu'ils ne pouvaient plus contrôler les mouvements politiques ni les dirigeants sur place et c'est pour cela qu'ils ont décidé de déstabiliser le pays.
    À ce moment-là, quand l'Ukraine était à son point le plus faible — elle n'avait pas de président, mais un président par intérim et il n'y avait pas d'armée — les agents russes ont pu intervenir, et tout cela est de notoriété publique. Ce sont donc des citoyens russes, d'anciens agents du renseignement russes et d'anciens officiers de l'armée russe qui ont pris la tête des soi-disant républiques populaires de Donetsk et de Luhansk. Ce sont eux qui ont pris de force les parlements de Donetsk et de Luhansk; il ont agi de façon agressive.
(1605)
    Il a bien fallu que quelqu'un coordonne le tout pour que cela aboutisse. Ce n'étaient pas des actions isolées.
    Il suffit de songer à la façon dont ces bandes de soi-disant séparatistes ont pu prendre le contrôle d'un système de missile Buk, mettre la main sur l'équipement militaire le plus sophistiqué pour abattre le vol MH17 qu'ils avaient pris pour un avion militaire ukrainien, et de songer qu'il y a des centaines de chars dernier cri en Ukraine, pour se convaincre que tout a été financé et organisé par la Fédération de Russie.
    Pouvez-vous nous expliquer comment tout cela s'est passé? L'Ukraine avance. Vous avez dit qu'il y a eu une forte résistance pour vous défendre. Vous avez parlé des casques bleus.
    Que pouvons-nous faire? Nous avons eu recours à RADARSAT, par exemple. Pensez-vous qu'il faudrait recommencer? Y a-t-il d'autres choses que nous devrions faire? Devrions-nous agir sur un plan cybernétique? Donnez-moi des idées, sans parler simplement d'armes conventionnelles et autres, mais parlez-moi d'autre chose.
    Je vois que mon temps est écoulé, mais je dirais essentiellement que le Canada va dans la bonne direction.
    N'y faites pas attention.
    C'est que j'aimerais qu'on me réinvite et...
    Vous aurez peut-être plus de temps plus tard. Je soupçonne fort que nous pourrons revenir sur ce sujet après d'autres questions.
    Entretemps, je donne la parole à M. Garrison.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci à nos deux témoins pour leur présence aujourd'hui.
    Je fais partie de ceux qui croient que, si nous voulons contribuer à la sécurité de l'Ukraine, nous devons renforcer les relations du Canada sur la base de valeurs communes.
    Monsieur Grod, quel genre d'action éventuelle le Congrès ukrainien canadien a-t-il fait pour renforcer la société civile en Ukraine?
    Nous travaillons avec nos organisations membres à divers niveaux.
    Premièrement, nous cherchons à renforcer l'infrastructure, parce que des aspects comme la réforme des soins de santé et le soutien aux initiatives humanitaires ont été une grande priorité pour nous afin d'aider le peuple ukrainien à traverser cette période de crise. La première est humanitaire.
    Deuxièmement, nous travaillons auprès de nombreuses ONG ukrainiennes axées sur les réformes et nous les aidons à affiner leur action, à mieux connaître les réalités et à améliorer leur capacité à promouvoir le changement et les réformes en Ukraine. Une personne seule ne peut y parvenir, le président de l'Ukraine ne peut pas tout faire à lui tout seul et tout réformer. Il doit s'agir d'un processus, d'une action politique, tout comme au Canada ou n'importe où dans le monde. En présence d'intérêts divers, nous essayons d'accompagner les ONG intéressées par la réforme dans la réalisation d'un programme structuré.
    Nous avons très activement contribué à la promotion de nouvelles réformes dans les soins de la santé, réformes qui ont été adoptées par le parlement, il y a un jour ou deux. Nous déployons des efforts constants.
    Et puis, nous encourageons les ONG qui mènent des projets en Ukraine sur le plan de la réforme judiciaire, de la réforme de la magistrature, de la réforme de la police et de l'encouragement à la décentralisation du gouvernement, ce qui est très bénéfique pour l'Ukraine.
    Ce qui est troublant, monsieur Garrison, c'est que la ministre du Développement international nous a appris que l'Ukraine ne serait plus destinataire d'un financement prévisible au titre de l'assistance technique internationale. Les programmes qui ont été financés, qui arrivent à échéance en 2018-2019, ne devraient faire l'objet d'aucun financement supplémentaire. C'est très troublant parce que, pour un maigre montant de 50 millions de dollars par an, le Canada a fait un travail extraordinaire pour appuyer les réformes en Ukraine et nous jugeons que c'était un travail très important parce qu'il faut que l'Ukraine réussisse.
    Vous aurez sans doute remarqué que tout le monde autour de la table a pris note de ce que vous venez de dire et je pense que nous allons en reparler.
    Je cherche à déterminer par quel autre moyen le gouvernement du Canada pourrait faciliter votre travail. La députée d'Edmonton—Strathcona, Linda Duncan, a proposé aujourd'hui au gouvernement d'accueillir les Ukrainiens au Canada, sans visa, étant donné que nous avons un accord de libre-échange avec l'Ukraine et que les résidents de ce pays ont déjà accès aux pays européens sans visa.
    Est-ce qu'un tel accès plus facile faciliterait les relations interpersonnelles sur lesquelles vous travaillez?
    Absolument, malheureusement, beaucoup en Ukraine n'ont pas voyagé à l'étranger, ni en Europe, ni au Canada. Nous aimerions voir beaucoup plus d'échanges de jeunes, de possibilités pour les étudiants de venir étudier ici et d'occasions pour les jeunes professionnels d'acquérir une expérience à l'étranger.
    Nous sommes résolument en faveur d'un régime sans visa. Comme beaucoup le savent, l'Ukraine a récemment obtenu un statut d'entrée sans visa dans l'ensemble des pays de l'UE, ce qui n'a pas donné lieu à une vague de migration incontrôlée. Je pense que ce serait un signe très positif qu'enverrait le Canada s'il accordait aux Ukrainiens un accès sans visa.
(1610)
    Nous allons examiner la réponse qu'a donnée la ministre aujourd'hui, qui était un peu compliquée, pour voir si nous pouvons faire avancer les choses à cet égard.
    J'ai été très intéressé de vous entendre dire que, selon vous, le Canada devrait jouer un rôle de chef de file dans la mission de maintien de la paix en Ukraine qui est proposée. Mme Alleslev a commencé à poser la question et je vais enchaîner. Voyez-vous une contradiction dans le fait de demander au Canada de livrer des armes létales à l'Ukraine et d'essayer ensuite d'assumer un rôle de chef de file dans la mission de maintien de la paix? Je crois que vous avez dit le contraire, mais j'aimerais que vous explicitiez davantage votre réponse, parce que celle-ci m'est apparue contradictoire.
    Aucune mission de maintien de la paix ne sera mise sur pied de sitôt. Comme nous le savons, ce genre de chose prend beaucoup de temps à négocier et à organiser. Nous aimerions beaucoup que cela se produise bientôt, mais en réalité, on commence tout juste à en parler. Nous serions ravis d'entendre des suggestions pour accélérer les choses. C'est, en fin de compte, à cause de la capacité limitée des Ukrainiens à se défendre eux-mêmes que nous demandons au Canada de fournir du matériel militaire défensif à ce pays. On peut donner de nombreuses définitions au mot « défensif ». Il peut s'agir d'imagerie radar et d'autres technologies permettant de surveiller les lignes de front.
    Être défensif, c'est également exercer des pressions sur la Russie pour qu'elle permette à l'OSCE de surveiller la frontière. Les Russes se sont engagés à permettre à l'OSCE de contrôler la frontière russo-ukrainienne. Pour le moment, il n'existe que deux points de contrôle. En fait, je viens de lire, pas plus tard qu'aujourd'hui, un rapport de l'OSCE disant qu'il n'y a que deux points de contrôle à quelques centaines de mètres l'un de l'autre, le long de la ligne de front, sur la frontière russo-ukrainienne, que l'OSCE est autorisée à surveiller. Quelque 2 300 kilomètres de frontière ne sont donc pas surveillés et la Russie ne permet pas à l'OSCE de le faire. Cette faille permet la libre circulation du matériel militaire. Voilà le genre de chose que nous devrions sans cesse réclamer.
     Il y a à peine une semaine, nous avons appris que le ministre Sajjan est en train d'étudier la façon dont il pourrait contribuer à professionnaliser l'armée ukrainienne en lui offrant un entraînement en logistique et d'autres formations du genre.
    Il y a tout un ensemble de choses que nous pourrions faire, mais je pense qu'il est important que le Canada s'engage, ne serait-ce que symboliquement, à fournir du matériel militaire défensif au peuple ukrainien pour lui permettre de se défendre. La Russie comprend une chose: l'effet de dissuasion; devoir payer un prix très élevé pour quelques avancées. Elle n'insistera pas. La dissuasion permettrait d'empêcher la Russie de continuer à réaliser des gains sur le territoire ukrainien. C'est là tout l'objet de la fourniture d'un matériel défensif: pouvoir se défendre.
    Je veux en revenir à la mission de maintien de la paix elle-même. Vous avez dit que cette mission devrait être tenue sur l'ensemble du territoire occupé, y compris le long de la frontière avec la Russie. Le fait que ce pays ait formulé sa propre proposition de maintien de la paix, même si elle est différente de celle de l'Occident, nous donne quelque espoir parce qu'elle nous permet de croire que nous avons trouvé un terrain commun dès que tout le monde parle de mission de la paix.
    Quand vous dites que le Canada doit jouer un rôle de chef de file dans le maintien de la paix, pensez-vous que nous devons contribuer à l'avancement des pourparlers autour de la définition de la mission de maintien de la paix ou plutôt que nous devrions simplement assumer un rôle de chef de file dans la mission proprement dite?
    Je parle des deux. Pour commencer, il faut que le Canada assume la direction du dialogue, tant aux Nations unies qu'à la présidence du G7, quand il l'assumera en janvier, pour faire de ce sujet un thème clé: comment les pays du G7 peuvent-ils s'unir et agir différemment. Si nous continuons à faire la même chose encore et toujours, nous ne devons pas nous attendre à des résultats différents. Il est grand temps que nous agissions de façon plus stratégique pour assurer la paix et la sécurité dans cette région.
    En fin de compte, la situation est chaotique et l'on ne peut pas vraiment parler d'état de droit dans les territoires actuellement occupés. C'est pourquoi il est important, si vous voulez instaurer la paix et la stabilité dans la région, de déployer des Casques bleus sur ce territoire et à la frontière entre la Russie et l'Ukraine, cela pour empêcher que de nouvelles troupes et de nouveaux équipements militaires russes ne soient déployés dans la région.
    Merci beaucoup.
    Pour la dernière série de questions de sept minutes, nous passons à Mark Gerretsen.
    Monsieur Westdal, je ne connaissais pas vos antécédents avant que M. Hoback ne vous pose certaines questions, et je veux obtenir quelques clarifications. Vous demandez que le Comité recommande l'adoption de sanctions réduites. Avez-vous des avantages financiers à tirer d'une réduction éventuelle des sanctions?
    Non.
    D'accord. C'est très bien. Je tenais à ce qu'il soit précisé, à la transcription, que tel n'est pas le cas.
    Pour ce qui est des relations entre le Canada et les États-Unis, vous avez dit que nous faisions tout en notre pouvoir pour nous entendre avec nos voisins. Ce qui revient à dire que l'Ukraine devrait faire de même avec son voisin, mais je n'imagine pas un moment plus approprié dans l'histoire pour qu'un pays occidental intervienne afin d'aider un autre pays à revendiquer son indépendance et à se débarrasser de la corruption, surtout quand cette corruption est fortement influencée par son voisin.
    Ne pensez-vous pas que, s'il était temps qu'un pays occidental s'engage pour en aider un autre à se construire, le cas de l'Ukraine serait un bel exemple?
(1615)
    Il ne faut pas perdre de vue ce qui s'est produit en février 2014. Quand je parle de l'entente entre l'Ukraine et son voisin, je n'oublie pas que c'est le Maïdan qui s'est battu contre le Kremlin. Vous vous souviendrez que...
    Excusez-moi, mon temps est limité et je suis désolé de vous interrompre, mais je ne parle pas de dispute avec le Kremlin. Je parle de notre pays qui intervient auprès de l'Ukraine. N'est-ce pas un bel exemple?
    Nous aidons l'Ukraine depuis 25 ans et nous continuerons à l'aider, mais il est clair que nous ne savons pas comment résoudre ses problèmes. Si nous savions comment le faire, nous aurions fait davantage de progrès. Il est également clair que nos programmes d'aide, qui durent depuis 25 ans — et je ne savais pas qu'il était maintenant question d'envisager de réduire le budget de l'aide — ne changeront pas l'orientation d'un pays de 40 millions d'habitants.
    D'un point de vue philosophique, pensez-vous qu'il est temps d'intervenir dans une situation comme celle-ci?
    Comme je l'ai dit, nous intervenons à l'appui de l'Ukraine depuis 25 ans. Nous soutenons ce pays...
    Cependant, vous avez clairement indiqué que, d'après vous, nous ne devrions pas le faire, parce que vous pensez que nous devrions laisser ce pays agir seul pour, je vous cite, « résoudre ses propres problèmes ».
    J'ai dit que ce pays devrait beaucoup plus résoudre ses propres problèmes. Il est tout à fait clair que les problèmes de l'Ukraine ne peuvent être dissociés d'un contexte plus large. Les deux aspects sont étroitement liés.
    J'estime que nous devons tous, l'Occident et la Russie, au sein du Conseil OTAN-Russie et de l'OSCE, accorder la priorité à cet effort visant à ménager un espace pour que l'Ukraine puisse commercer avec ses voisins de l'Est et de l'Ouest sans constituer de menace à la sécurité de l'un et de l'autre. Nous allons donc...
    Notre rôle actuel, du moins sur les plans diplomatique et militaire, consiste à aider à former les troupes ukrainiennes, à accompagner ce pays dans son processus judiciaire et à aider les élus et les fonctionnaires à trouver un moyen de se débarrasser de la corruption. Nous agissons à titre consultatif.
    Cela donne-t-il des résultats?
    Mais c'est... D'un point de vue philosophique, ma question est la suivante: pensez-vous qu'il soit approprié qu'un autre pays intervienne de façon générale? Pourriez-vous me donner l'exemple d'un autre...
    Oui, effectivement. Cela étant, les fenêtres d'opportunité pour qu'une influence étrangère puisse s'exercer dans un pays tantôt s'ouvrent, tantôt se ferment. Parfois, une intervention étrangère est la bienvenue et parfois non. Habituellement, au bout d'un certain temps, la population locale en a assez des étrangers qui interviennent dans ses affaires internes pour lui dire ce qu'elle doit faire, parce qu'elle ne pense pas que les étrangers comprennent la profondeur des problèmes locaux. C'est habituellement le cas, mais il est certain que...
    En réponse à votre question, je dirais que ce genre d'intervention fonctionne. Nous l'avons constaté. Cela, nous le tenons de bien des sources, surtout de ceux qui ont essayé de faire bouger les choses et de faire avancer la révolution. Ils nous ont dit très clairement que la participation du Canada est utile, ne serait-ce que pour empêcher que les oligarques ne sévissent de nouveau et que la corruption ne réapparaisse. Nous avons eu clairement les preuves que cette action a payé.
    Je dois passer à autre chose, parce qu'il ne me reste que deux minutes.
    Monsieur Grod, je crois savoir que vous êtes au nombre d'un groupe d'élite de 13 Canadiens, tout comme M. Bezan, parce que vous...
    Il ne fait pas partie de l'élite.
    Effectivement pas.
    Disons que vous faites partie de ce groupe d'élite de 13 personnes qui n'ont plus le droit d'aller en Russie. Pouvez-vous nous expliquer le contexte dans lequel se place cette sanction?
    J'ai été inscrit sur cette liste dans la foulée de ma visite en Ukraine avec le premier ministre Harper, quand il était allé manifester son appui à ce pays, juste après la révolution du Maïdan et la fuite du président Ianoukovitch. À ce moment-là, le premier ministre Harper préconisait d'exclure la Russie du G8 et il a réussi. Après que cette décision fut prise, le président Poutine a, par ressentiment, créé cette liste de 13 personnes à sanctionner.
    Comment en êtes-vous venu à prendre part à la délégation de M. Harper qui avait été qualifiée de très partisane? Le National Post a publié un article après coup dans lequel on a pu lire qu'il s'agissait d'une délégation partisane. J'aimerais savoir comment vous avez été appelé à y participer.
(1620)
    En qualité de président du Congrès ukrainien canadien. Nous sommes un acteur majeur dans l'appui apporté à l'Ukraine dans sa lutte pour la démocratie. C'est la raison pour laquelle on nous a demandé d'y participer. J'ai été de presque tous les voyages avec les premiers ministres et les ministres. Il y a un an, j'étais en Ukraine avec le premier ministre Trudeau. Je suis aussi allé en Ukraine avec Stéphane Dion, quand il était ministre. C'est habituel...
    D'accord. Je tiens à ce qu'il soit également consigné à la transcription que vous ne vous considérez pas comme étant politiquement engagé au Canada.
    Je suis tout à fait apolitique.
    Merci.
    Je pense que mon temps est écoulé.
    Nous allons passer maintenant aux séries de questions de cinq minutes.
    Monsieur Spengemann.
    Merci beaucoup, messieurs, d'être parmi nous.
    Merci de votre leadership au sein de la communauté, monsieur Grod, et de votre connaissance des dossiers, monsieur l'ambassadeur Westdal.
    Je dispose de cinq minutes. Je me propose d'explorer trois thèmes: l'objectif ultime visé par Poutine; la situation économique de Donbass et de la région voisine de l'Ukraine en général ainsi que de la frontière avec la Russie et, enfin, l'engagement en faveur de l'accord de Minsk.
    Si vous deviez vous prononcer sur ce que souhaite Poutine en 2017 ou en 2020, en tant que leader mondial, que diriez-vous? Comment situez-vous, de la façon la plus objective possible, sa position en termes de sécurité et de leadership économique et culturel? Veut-il nouer des partenariats? Est-il isolationniste? Est-il expansionniste?
    Pouvez-vous brièvement nous parler de ses caractéristiques de leader?
    Je ne pense pas qu'il soit expansionniste. Je pense qu'il veut que la Russie soit respectée, qu'il veut contenir l'OTAN. Comme je l'ai indiqué dans mes remarques liminaires, je ne pense pas, contrairement à ce dont on l'a accusé, qu'il ait intérêt à mener une guerre contre l'Ukraine ou d'avoir un pays brisé sur son flanc occidental. En revanche, il ne tolérera pas que l'OTAN soit présente sur ce flanc ouest et il ne tolérera pas plus cette présence dans le Caucase. Je dirais qu'il veut que la Russie joue un rôle de grande puissance. Il n'y a qu'une poignée de grandes puissances sur terre et la Russie en fait partie.
    Je pense que nous devons accepter le fait que la Russie est une civilisation séculaire. Elle est vieille de mille ans. C'est une véritable civilisation. On l'a déjà condamnée par le passé. Comme je l'ai dit, je crois que nous l'avions inscrite au compte du passif et que nous pensions, il y a 25 ans, que nous n'avions plus à nous soucier de ses intérêts. Or, nous devons être conscients de ses intérêts. La Russie veut être notre partenaire dans l'Arctique, elle veut être notre partenaire contre le terrorisme, elle s'intéresse de près à la façon de composer avec l'islam. Un sixième de la population russe est musulmane. Je dirais que la Russie veut être une grande puissance, qu'elle veut être respectée et qu'elle ne veut pas voir les forces de l'OTAN dans sa cour arrière, dans le Caucase ou en Ukraine.
    Merci.
    Monsieur Grod, comment décririez-vous Poutine?
    Premièrement, nous croyons tous au droit à l'autodétermination des peuples et des nations. C'est pourquoi toute cette prémisse des sphères d'influence est fondamentalement imparfaite.
    L'objectif ultime visé par Poutine est de restaurer l'ancienne Union soviétique, sous une autre forme. Au bout du compte, c'est une question de sphère d'influence. Il a déclaré publiquement qu'une des plus grandes tragédies de l'histoire a été la chute de l'URSS. Et il n'est malheureusement pas le seul à penser ainsi. Le peuple russe tout entier a du mal à reconnaître la nation ukrainienne comme étant une nation indépendante. Le concept même d'un grand peuple slave est très important pour Poutine et pour les Russes. Je pense que l'objectif ultime de Poutine est de recréer une union ressemblant plus ou moins à l'URSS où il pourrait contrôler, directement ou indirectement, les pays qui faisaient autrefois partie de l'Union soviétique. Il le fait en les déstabilisant.
    À l'analyse, on se rend compte qu'il est parvenu à déstabiliser les régions entourant l'Azerbaïdjan et l'Arménie grâce à des conflits gelés. Il a aussi réussi à déstabiliser la région de Transnistrie, toujours grâce à un conflit gelé. Il l'a fait en Ossétie, en Géorgie et il le fait maintenant dans l'Est de l'Ukraine.
    Il s'est rendu compte qu'en déstabilisant ses voisins, il est capable d'exercer un contrôle sur eux. Il commence aussi à déstabiliser l'ordre international fondé sur des règles. C'est visible au fait qu'il appuie diverses initiatives de la droite en Europe. Nous devons être conscients qu'en brisant l'ordre international fondé sur des règles, Poutine est en mesure d'exercer un contrôle sur le monde entier.
    Que pensez-vous du prix que Poutine doit payer pour maintenir sa mainmise sur la région de Donbass? Est-ce un territoire intéressant? Est-ce une région qui représente pour lui une certaine valeur et pour laquelle il vaut la peine de se battre, ou arriverons-nous à un stade où il se dira que c'est trop cher payer et qu'il va retirer ses billes?
    Quand nous l'avons accueilli au Comité, il y a quelques semaines, l'ambassadeur Waschuk a laissé entendre que ce prix n'est peut-être pas trop élevé au point que Poutine peut continuer à se battre dans cette région.
(1625)
    C'est difficile à dire. Premièrement, cette région était le coeur industriel de l'Ukraine. Depuis le déclenchement de la guerre, cette économie a été décimée et il est évident qu'on peut parler d'un coût très élevé pour la Russie.
    La question est de savoir si Poutine, en qualité de président russe, cherche une voie de sortie. Je n'en suis pas sûr. Je ne peux pas lire dans ses pensées, mais j'estime que nous devons toujours être prêts à lui permettre une voie de sortie.
    La mission de maintien de la paix pourrait lui donner cette occasion. S'il pense qu'il est trop coûteux pour lui de poursuivre le combat, que ce soit dans la région ou sous la forme des sanctions qui lui ont été imposées, à lui et à ses partisans, s'il estime donc que tous ces coûts sont trop élevés, il pourrait se sentir obligé de lâcher prise. C'est cela le plus important. Il faut essayer de lui forcer la main pour qu'il accepte des Casques bleus étrangers dans cette région.
    Merci beaucoup.
    Merci à vous deux.
    Monsieur Yurdiga.
    Merci, monsieur le président.
    Je souhaite la bienvenue à nos témoins.
    Nous vivons une période particulièrement troublante où les choses évoluent. Je suis particulièrement préoccupé par le fait que les multiples sanctions imposées contre la Russie ne semblent pas avoir fonctionné. Je ne sais pas si tous les acteurs mondiaux appliquent les sanctions convenues, mais la Russie subit énormément de pression.
    Quels sont les principaux inconvénients de ces sanctions? Je ne vois pas la Russie bouger d'un seul pouce. Les choses évoluent-elles? J'aimerais savoir dans quelle mesure ces sanctions donnent des résultats.
    Premièrement, il s'agit de sanctions financières contre la Russie et contre ceux qui appuient les agressions de Poutine dans le monde. Je pense que ces sanctions ont un impact économique important sur la Russie. C'est pour cela que Vladimir Poutine réclame sans cesse au monde d'y mettre un terme, ce qui prouve qu'elles sont un levier important.
    Comment pourrions-nous vivre en commerçant avec un pays qui est actuellement responsable d'une véritable guerre qui a coûté la vie à au moins 10 000 innocents, un pays qui en a envahi un autre, qui a pris le pouvoir illégalement sur un autre territoire? Devrions-nous récompenser ce genre de comportement? En fait, nous devrions resserrer les sanctions jusqu'à ce que ce comportement cesse. Voilà où réside la valeur d'une politique de sanctions.
    Chris, voulez-vous réagir?
    S'il est question de savoir si ces sanctions ont donné les résultats escomptés, je répondrai qu'elles n'ont pas amené la Russie à changer de position. Elles n'ont rien donné.
    Deuxièmement, vous vous souviendrez qu'il était question d'isoler Poutine. Les sanctions visaient ses amis oligarques et ses sympathisants. Elles devaient servir à affaiblir la base de pouvoir de Poutine pour la couper du chef. Eh bien, elles n'ont abouti à aucun de ces égards. Au contraire, elles ont renforcé la position de Poutine auprès des gens les plus puissants en Russie et de la population. Il m'apparaît assez clairement que ces sanctions n'ont rien donné.
    De plus, même si elles imposent des coûts économiques à la Russie, elles ont des effets qui sont sans doute contre-productifs aux yeux de ceux qui réclament de telles sanctions. Par exemple, elles ont amené la Russie à relancer son agriculture parce que les produits agricoles importés— dont le porc canadien qui l'était en grandes quantités — ne sont plus livrés. Cette situation a eu pour effet de stimuler l'agriculture russe. Les sanctions ont eu pour effet de contribuer à la diversification de l'économie russe, ce que tout le monde a toujours réclamé, les Russes estimant qu'ils dépendaient beaucoup trop du secteur pétrochimique.
    Merci. Je suis conscient que mon temps est limité.
    Je crains vraiment qu'on ne fasse pas assez. Nous devons faire pression dans le sens d'une solution diplomatique, car il est évident que la Russie ne va pas librement renoncer à la Crimée et que la civilisation occidentale ne permettra pas à ce pays de mettre la main sur d'autres territoires.
    Jusqu'où devons-nous aller pour parvenir à cette solution diplomatique?
    Tout d'abord, avant d'en venir à une solution diplomatique, il faut que les parties qui désirent une telle solution soient consentantes. En ce moment, Vladimir Poutine n'est pas intéressé par une solution diplomatique en Ukraine. Il n'a pas cherché à en obtenir une et c'est pourquoi nous devons continuer de donner à l'Ukraine la capacité de se défendre et aussi l'aider à devenir une économie et une société prospère, deux aspects à propos desquels le Canada a fait un travail extraordinaire.
    Même si 25 ans d'assistance peuvent sembler beaucoup, il ne faut pas oublier que nous sommes en train de réformer un pays post-soviétique et, à part les pays baltes, il n'y a pas d'autres pays post-soviétiques où la démocratie soit aussi forte qu'en Ukraine.
    L'Ukraine a des institutions démocratiques faibles, mais celles-ci sont en phase de reconstruction. C'est un signe qu'en plus de 25 ans, nous avons réalisé d'immenses progrès et il est donc nécessaire de poursuivre dans ce sens. Encore une fois, il faut exercer suffisamment de pression sur la Russie pour qu'elle envisage de s'asseoir à la table et qu'elle permette une mission de maintien de la paix en Ukraine. C'est ce qu'il faut faire pour parvenir à une solution diplomatique.
(1630)
    Allez-y.
    Brièvement. Je pense que la Russie est ouverte aux solutions diplomatiques. Elle est prête à mettre en oeuvre l'accord de Minsk, mais celui-ci devra l'être par les deux parties en présence. Je pense que la Russie est prête à envisager un rôle pour les Nations unies. Bien sûr, il y a mésentente quant à la zone dans laquelle les Casques bleus pourraient être déployés, mais ces questions pourraient être réglées.
    Pour ce qui est d'une force de l'ONU, nous devrions en promouvoir l'idée, mais je ne pense pas que nous soyons en mesure de la diriger, car les principaux acteurs, dont les Russes et les rebelles de la région de Donbass, ne nous considèrent pas comme neutres. Nous ne le sommes pas. Je ne pense pas que nous puissions être des leaders reconnus par ce groupe. Nous pourrions peut-être y participer et nous devrions en promouvoir le principe, mais je ne pense pas que l'idée de diriger une mission de maintien de la paix de l'ONU dans la région de Donbass soit réaliste.
    Madame Alleslev.
    Merci beaucoup.
    Comme je n'ai que cinq minutes, j'aimerais savoir ce que vous nous recommandez, monsieur Westdal.
    C'est aimable à vous. Je vous en remercie.
    Je ne reviendrai pas sur la fin de mon intervention liminaire, mais je vais passer directement aux recommandations.
    Voici ce que j'aimerais que vous recommandiez.
    Premièrement, le Canada devrait consacrer des talents intellectuels et diplomatiques à la conception et à la promotion, sur les plans bilatéral et multilatéral, d'une vision cohérente et réaliste de la sécurité en Eurasie.
    Deuxièmement, nous devons admettre et comprendre la nécessité d'instaurer des relations rationnelles avec la Russie, par exemple grâce à un comité comme le vôtre ou à votre pendant en politique étrangère, qui irait en Russie pour écouter les Russes.
    Troisièmement, nous devrions reconsidérer notre position qui est favorable à l'expansion de l'OTAN.
    Quatrièmement, nous devons promouvoir la réconciliation entre l'Ukraine et la Russie, qui est essentielle.
    Cinquièmement, nous devrions entretemps maintenir notre contribution, nécessairement modeste, à l'OTAN en Europe et renforcer nos forces armées nationales. La tâche est ardue parce que nous sommes entourés de trois océans, mais nous avons des promesses à tenir.
    Voilà mes recommandations.
    Merci.
    J'ai une petite idée du rôle des Casques bleus par rapport à notre rôle actuel et je me demande si cela ne serait pas contre-productif, mais pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Si nous devions changer légèrement de cap, cela nous donnerait-il l'occasion d'être un chef de file dans une mission de maintien de la paix des Nations unies ou n'est-ce même pas envisageable en ce qui vous concerne?
    Je ne pense pas qu'il en soit question. Ni Moscou ni les rebelles du Donbass ne nous considèrent comme neutres. Lors du Maïdan, les ministres canadiens l'ont bien montré, même à une époque où nous disions aux autres de ne pas s'immiscer dans notre politique. C'est ce que nous avons démontré lors du Maïdan.
    Certains observateurs électoraux canadiens — et nous en avons envoyé 500 lors d'une élection, en dépit des objections de l'OSCE qui s'oppose par principe à des missions électorales bilatérales — portaient des ceintures orange. Il suffit de lire régulièrement les communiqués de presse canadiens pour savoir que nous sommes du côté de Kiev, même s'il est impopulaire et il l'est énormément en Ukraine. Nous ne pouvons pas nous présenter de façon crédible comme un pays neutre. Nous ne serons pas considérés comme étant neutres par les principaux acteurs sur le terrain.
    Effectivement. Vous nous avez clairement expliqué en quoi notre approche dans cette région pourrait ne pas rejoindre notre philosophie en général, la façon dont nous nous sommes comportés dans d'autres circonstances. Vous nous avez aussi rappelé que nous appartenons à notre sphère d'influence.
    Avez-vous une idée de la marge de manoeuvre dont le Canada dispose, dans sa propre sphère d'influence, pour véritablement définir sa politique étrangère selon cette perspective? Pourriez-vous nous dire aussi si cela peut avoir une influence quelconque sur notre ligne de conduite?
    Comme je l'ai dit, toute théorie mise à part, qu'on le veuille ou non, les zones d'influence et les sphères d'influence sont bel et bien réelles. Les Ukrainiens vivent dans la leur et nous vivons dans la nôtre. Comme je l'ai dit, les Ukrainiens jouissent d'à peu près autant de liberté — ils sont libres, mais il y a toujours un prix à payer — pour miner la sécurité de la Russie que nous le faisons pour miner celle de Washington, mais ce n'est certainement pas ce que nous voudrions faire.
    Souvenez-vous de la rapidité avec laquelle nous avons pris conscience de la nécessité de sécuriser la frontière du continent tout entier afin que personne à Washington ne puisse penser que le Canada allait, d'une façon ou d'une autre, mettre la sécurité des États-Unis en péril. Eh bien, vue de Moscou, l'idée que l'Ukraine puisse compromettre sa sécurité en adhérant à l'OTAN — qui, comme je l'ai dit, n'est pas un club de fermières — est tout simplement inacceptable.
(1635)
    Diriez-vous que notre approche ukrainienne est teintée par notre sphère d'influence?
    C'est ce que j'ai trouvé de tellement frappant: même si nous sommes bien conscients de la nécessité de nous entendre avec notre grand voisin, avec qui nous sommes parfois en désaccord, nous faisons un procès à la Russie et nous conseillons aux Ukrainiens de s'opposer à elle à chaque fois que c'est possible. Cela me semble être contradictoire.
    De plus, même si nous pratiquons un fédéralisme pluraliste éclairé, ce n'est pas le cas des Ukrainiens. J'ai parlé de la nouvelle politique éducative. Je ne comprends pas comment on peut imaginer qu'il y aura réconciliation et réintégration à un moment où l'on insulte les Ukrainiens de souche russe en interdisant l'enseignement de leur langue après la 4e année.
    Merci.
    Monsieur Bezan.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier nos témoins d'être venus nous voir.
    Monsieur Westdal, je n'ai pas beaucoup de temps, mais j'aimerais rapidement passer en revue certaines choses avec vous.
     Avez-vous lu le projet de loi S-226, oui ou non?
    Le projet de loi Magnitsky?
    Oui.
    J'ai lu le préambule et ce préambule...
     Ça, ce n'est pas lire le projet de loi. Si vous lisez le projet de loi, vous constaterez que celui-ci précise clairement que l'établissement de la liste est décidé par décret et que le Parlement, tant en ce qui concerne le Sénat que la Chambre et le Comité des affaires étrangères, sanctionne ce genre de décision. De plus, il est juste que les personnes inscrites sur la liste puissent faire appel pour demander à ce que leur nom soit retiré. La procédure est équitable; il existe une façon de régler le problème et je pense que cette façon est raisonnable.
    Et puis, ce projet de loi ne vise pas seulement les kleptocrates du Kremlin. Il vise aussi les acteurs de violations flagrantes des droits de la personne et ceux qui abusent de leur position d'autorité partout dans le monde. En ce moment, il y a Maduro, au Venezuela, qui a affamé une grande partie de ses concitoyens et dont le nom devrait être sur cette liste, puisque celle-ci existe maintenant. Il a utilisé la nourriture comme arme, ce qu'il a sûrement appris de Lénine et de Staline. C'est la réalité, puisque nous voulons nous assurer que le Canada ne sert pas de refuge pour l'argent obtenu par des moyens illicites appliqués par des fonctionnaires étrangers corrompus, dont les Russes et les Ukrainiens. Si ces gens-là commettent des violations flagrantes des droits de la personne, il faut pouvoir les tenir pour responsables et le Canada peut alors projeter ses valeurs.
     En mars 2014, dans le Globe and Mail, vous avez écrit que les Ukrainiens devraient faire fi de tous les conseils juridiques qu'on leur donne et se préparer à laisser aller la Crimée. Estimez-vous toujours que la Crimée est ukrainienne ou pensez-vous plutôt que c'est un territoire russe?
    Je ne me rappelle pas avoir écrit cela...
    M. James Bezan: C'est dans le Globe and Mail du 10 mars 2014.
    M. Chris Westdal: ... je n'ai pas écrit que les Ukrainiens doivent faire fi des conseils juridiques qui leur sont donnés, mais je crois qu'à moins de se lancer dans une guerre, les Ukrainiens ne récupéreront pas la Crimée. C'est aussi simple que cela.
    Mais cette annexion est une violation complète par la Fédération de Russie des règles et des normes internationales, n'est-ce pas? Oui ou non?
    Je pense que c'était illégal. Je pense que...
    M. James Bezan: Je suis surpris...
    M. Chris Westdal: ... dans certains cas, des actes de politique étrangère sont illégaux. Je pense que la sécurité l'emporte parfois sur la loi. Je ne crois pas que ce que vous décrivez soit un processus judiciaire juste. Je ne sais pas ce que cela suppose sur le plan de l'innocence. Je ne vois pas quelles possibilités sont offertes aux personnes dont les noms apparaissent sur ces listes.
    Je vais passer à autre chose, mais il se trouve que j'ai moi-même été inscrit sur une telle liste, comme M. Grod...
    C'est compris.
    ... et que dans notre cas, il n'existe pas de processus judiciaire.
    Permettez-moi cependant d'ajouter que nous ne pouvons pas...
    J'aimerais passer à autre chose, monsieur le président.
    Laissons à M. Bezan le soin de gérer son temps.
    Je m'adresse à M. Grod qui connaît bien la région et les violations des droits de la personne qui s'y produisent en ce moment. Pouvez-vous nous parler du traitement que le gouvernement russe réserve aux journalistes et aux indigènes, les Tatars, en Crimée?
    Je vais commencer par les Tatars, qui est un peuple indigène. Le Mejlis, qui représente le peuple tatar de Crimée, a été proscrit en Crimée. L'organisation et le groupe qui représentent les indigènes de Crimée ont été interdits. Leurs dirigeants ont été soit emprisonnés, soit interdits de séjour en Crimée. On constate une répression constante contre quiconque, Ukrainien ou autre, s'oppose à l'occupation illégale de la Crimée, manifeste à l'occasion d'un quelconque rassemblement, ce qui est d'ailleurs encadré par des lois très strictes. Des journalistes ont été emprisonnés. On en dénombre actuellement 40 dans les prisons russes. Les violations des droits de l'homme en Russie, sans parler des églises... L'Église catholique ukrainienne est essentiellement interdite en Crimée et nous disposons de toute une liste de violations perpétrées contre les droits de l'homme dans cette région.
(1640)
    La liberté de presse n'existe pas, les peuples indigènes n'ont aucune liberté et il n'existe pas de liberté de religion.
    C'est exact.
    Alors, je suppose qu'à l'encontre de la Convention de Genève, ces gens-là sont déplacés de ce territoire pour être emprisonnés et jugés à Moscou.
    En Russie, effectivement.
    M. Westdal a parlé de l'expansion de l'OTAN. Qu'en est-il du droit à l'autodétermination? Il dit qu'il ne veut pas voir le flanc occidental de la Russie dans les mains de l'OTAN, mais tous les pays baltes ont déjà adhéré à l'OTAN de leur plein gré. La Pologne a adhéré à l'OTAN de son plein gré. La Roumanie y est entrée de son plein gré. Les Ukrainiens ne devraient-ils pas avoir le même droit d'adhésion à l'OTAN?
    Si c'est ce que veut le peuple ukrainien, il devrait effectivement avoir cette possibilité. Nous ne vivons plus dans un monde où les politiques sont décrétées par les grandes puissances que nous devrions toujours écouter. J'estime que nous avons maintenant beaucoup plus...
    J'estime que nous partageons les mêmes valeurs que le peuple ukrainien, comme le droit à l'autodétermination et le droit de choisir son propre destin et de ne pas se faire imposer de diktats par une grande puissance. Je crois donc, monsieur Bezan, qu'il est très important de défendre le droit de l'Ukraine à l'autodétermination et de ne pas permettre que ce droit soit bafoué parce qu'une grande puissance veut contrôler la région.
    Maintenant...
    En fait, vous en êtes pile à cinq minutes, mais nous aurons la possibilité de refaire un tour. Il nous reste beaucoup de temps. Je vais permettre que soient posées les deux ou trois dernières questions après quoi, comme la fois précédente, je répartirai équitablement le temps entre les partis.
    Monsieur Bezan, vous aurez plus de temps tout à l'heure, mais je vais maintenant céder la parole à M. Robillard.
    Merci, monsieur le président.
    Je vais poser mes trois questions en français, à M. Grod et à M. Westdal.

[Français]

    Quelles sont les chances que l'Ukraine parvienne à réformer son ministère de la Défense d'ici la fin de 2018 et que l'interopérabilité militaire complète avec les membres de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, ou OTAN, soit assurée d'ici 2020?
    Est-il vraisemblable que l'Ukraine puisse devenir membre de l'OTAN d'ici 2020?
    Comment la Russie réagit-elle à l'aide et à la contribution de l'OTAN dans le cadre des réformes en Ukraine?

[Traduction]

    Je ne pense pas probable que l'Ukraine se joigne à l'OTAN. Je crois que certains membres européens de l'OTAN veilleront à ce que cela ne se produise pas.
    Comme je l'ai dit, la Russie n'est pas prête à accepter que l'Ukraine fasse partie de l'OTAN. Ce pays, aux yeux de la Russie, n'est pas comparable à la Pologne ou aux pays baltes. Sébastopol et la Crimée ne sont pas en Pologne ni dans les États baltes. Ils sont en Ukraine. L'Ukraine et la Russie ont une histoire commune vieille de mille ans. Il n'y a aucune comparaison entre, d'une part, la Pologne et les pays baltes et, d'autre part, l'Ukraine.
    Et puis, je ne pense pas que l'Ukraine soit prête à adhérer à l'OTAN à cause des exigences et des conditions fixées par l'OTAN, autrement dit qu'il ne doit pas y avoir de différends sur le territoire des membres. Je dirais que certains membres de l'OTAN sont conscients que ce serait là une provocation contre-productive.
    Merci pour la question.
    Nous devons tout d'abord être conscients de la valeur que les pays baltes — autrement dit la Pologne, la Roumanie et d'autres — voient dans leur adhésion à l'OTAN. Ils y voient une question de sécurité parce qu'ils redoutent tous l'agression croissante de la Russie.
    En ce qui concerne l'état de préparation de l'Ukraine, il faut savoir que ce pays a établi une feuille de route très dynamique, avec un horizon à 2020; cette feuille de route lui fixe ce qu'elle doit faire pour aboutir dans les délais impartis, parce qu'elle manque de temps. L'Ukraine a dû reconstruire son armée et repartir de zéro. Elle doit se fixer des objectifs ambitieux. Voilà pourquoi il est important que les pays de l'OTAN soutiennent ce pays dans la quête d'interopérabilité.
    Quant à l'adhésion à l'OTAN, c'est en fait au peuple ukrainien qu'il appartient de décider. L'idée de l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN gagne en popularité. Certes, on est en présence de différentes sensibilités et nous devons nous montrer sensibles à cette situation en Ukraine et à la question du conflit. Même si beaucoup souhaitent peut-être que l'Ukraine adhère à l'OTAN, en réalité, il va d'abord falloir commencer par résoudre le conflit et mettre fin à l'agression russe dans l'Est.
    Quant à la réaction russe, nous pensons savoir ce qu'elle sera. La question est de déterminer quels éléments dissuasifs nous pourrons appliquer. Quelles sont les conséquences de l'agression russe en Ukraine? Voilà la question importante que l'OTAN doit se poser.
(1645)

[Français]

    Quelle est la situation à la frontière entre l'Ukraine et la Russie? La frontière est-elle poreuse? Si oui, comment l'est-elle?

[Traduction]

    M. Grod s'est rendu sur la frontière entre la Russie et l'Ukraine beaucoup plus récemment que moi et je ne peux donc pas répondre à cette question pour ce qui est de la situation actuelle.
    Pour en revenir à la notion d'intervention de l'ONU, je dirais qu'il faudrait déployer les Casques bleus le long de cette frontière et le long de la ligne des combats.
    Le long de la frontière russo-ukrainienne, 2 300 kilomètres ne sont pas contrôlés par l'Ukraine. La frontière est extrêmement poreuse. Hier, l'OSCE a publié un rapport disant qu'elle ne peut surveiller que deux points de contrôle, à quelques centaines de mètres seulement l'un de l'autre. C'est ce que l'OSCE peut surveiller le long de la frontière russo-ukrainienne, si bien que celle-ci est extrêmement poreuse et qu'elle échappe à tout contrôle.
    Votre temps est écoulé. Nous pourrons revenir tout à l'heure.
    Je vais céder la parole à M. Garrison pour la dernière question officielle, après quoi nous entamerons un deuxième tour.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Comme le président aime à le dire, il est toujours possible de revisiter une question et c'est précisément ce que je vais faire en revenant sur la proposition de maintien de la paix avec M. Grod.
    Lors de notre visite en Ukraine, nous avons constaté que le Canada ne respecte pas ses engagements envers l'OSCE en ce qui a trait au détachement de contrôleurs sur le terrain. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?
    Je ne savais pas que le Canada ne respecte pas ses engagements envers la mission de l'OSCE. Je pensais que tout allait très bien. C'est là une chose que nous devrions examiner, mais bien franchement, la mission de l'OSCE en Ukraine ne peut pas faire grand-chose en ce sens qu'elle n'a pas accès aux zones où elle a demandé à être, comme la frontière entre la Russie et l'Ukraine. Les drones de l'OSCE sont régulièrement abattus. Les observateurs n'ont même pas de drones, parce qu'ils ont été abattus par l'occupant russe.
    La mission de l'OSCE n'est franchement pas efficace. Il faut d'abord commencer par corriger la situation, mais nous allons aussi devoir trouver une autre solution. Il ne servira à rien d'essayer de réparer ce qui ne fonctionne pas et la Russie ne veut pas d'une mission de surveillance à part entière dans les territoires occupés.
    La vision de la mission de maintien de la paix dont vous parlez est celle qui a été proposée, c'est-à-dire l'envoi de casques bleus sur place pour donner à la mission de surveillance la chance d'effectuer un véritable travail de contrôle des accords de Minsk.
    Il faut surveiller la frontière. La proposition de la Russie est de surveiller la zone de conflit, mais pas de véritablement instaurer la paix et la stabilité dans les territoires occupés ni de contrôler la frontière russo-ukrainienne qui, très honnêtement, est l'un des aspects importants de l'accord de Minsk, accord qui veut que l'Ukraine ait le contrôle de sa frontière avec la Russie, ce qui n'est actuellement pas le cas.
    Votre vision de la mission de maintien de la paix que le Canada chercherait à diriger consisterait à appuyer la mission de surveillance de l'OSCE dans l'accomplissement de son mandat en vertu des accords de Minsk?
    Il ne sera pas nécessaire que l'OSCE assure une surveillance plus étroite quand les casques bleus seront déployés sur le terrain en Ukraine. Essentiellement, il sera question de demander que toutes les forces en présence déposent les armes et qu'une force d'interposition assure la paix sur place et permette à ces territoires de se reconstruire et de reconstruire les institutions que doit avoir tout pays souverain.
    Je pense que c'est une vision un peu différente de la mission de maintien de la paix dont d'autres nous ont parlé.
    Tout à l'heure, vous avez dit avoir appris que l'assistance technique pouvait prendre fin en 2018. Revenons là-dessus parce que je veux être bien certain de savoir qui a dit quoi et quels programmes d'aide technique sont concernés. S'agit-il des programmes pour lesquels le gouvernement canadien offre de l'aide aux ONG pour qu'elles puissent faire certaines choses ou s'agit-il de programmes d'aide bilatérale?
(1650)
    Il s'agit de programmes censés appuyer les diverses réformes en Ukraine. La formation des magistrats ou la formation des nouvelles forces de police en Ukraine en sont deux exemples.
    Il s'agit donc à la fois de l'aide bilatérale et des autres programmes.
    C'est exact.
    Et qui vous a averti qu'il n'y aurait plus de fonds disponibles?
    Quand nous l'avons rencontrée cet été, la ministre Bibeau nous a dit qu'il n'y avait plus d'engagement à l'égard d'un financement supplémentaire après la date d'expiration des programmes actuels, soit 2018-2019.
    Merci.
    Il nous reste une quarantaine de minutes et nous allons refaire un tour de table pour des questions de cinq minutes. Nous enchaînerons par les libéraux, suivis des conservateurs, puis des néo-démocrates, et il restera du temps, mais nous allons commencer ainsi.
    M. Spengemann va poser la première question.
    Merci beaucoup, monsieur le président. Je n'ai pas eu la possibilité de poser ma troisième question lors de la série précédente et je suis heureux de pouvoir le faire maintenant.
    Quel est l'état actuel de l'accord de Minsk? Quel est son attrait sur le plan normatif? Et histoire de faire complètement le tour de la question, pourriez-vous nous dire dans quelle mesure l'Union européenne partage un même point de vue sur l'Ukraine et la Russie?
    Il existe deux versions de l'accord de Minsk. Pour progresser à partir de maintenant, il va falloir régler ce qui est sur la table, mais les deux parties disent: « Je n'en ferai rien, à vous l'honneur. » Moscou dit: « Nous n'agirons pas tant que les élections et la décentralisation qui faisaient partie de l'accord de Minsk n'auront pas pris place », et Kiev rétorque: « Nous ne le ferons pas tant que vous n'aurez pas retiré vos forces armées de la région frontalière. » Je ne sais pas combien de versions de l'accord de Minsk il faudra, mais je soupçonne que celle-ci ne sera pas la dernière.
    L'accord de Minsk est souvent critiqué au Verkhovna Rada, et cette discussion sur le rôle que l'ONU pourrait jouer, de concert avec l'OSCE, nous montre bien que, jusqu'à présent du moins, l'accord de Minsk n'est pas réalisable ou du moins qu'il ne peut pas être mis en oeuvre.
    Si vous demandez aux Européens ce qu'ils en pensent, il se trouve qu'Angela Merkel dit fréquemment que la solution n'est pas militaire. Elle l'a dit à maintes reprises et a affirmé que nous devrions travailler en fonction de Minsk. Quel que soit le nombre de mouture des accords de Minsk, c'est la voie que nous allons devoir suivre.
    Monsieur Grod.
    Il est important de comprendre le contexte dans lequel les deux accords de Minsk ont été signés, en particulier le second. La signature est intervenue à une époque où les soldats ukrainiens, ou l'armée ukrainienne, qui tentaient de se défendre à Debaltsevo ou dans d'autres régions, encaissaient de lourdes pertes et comptait de nombreuses victimes. L'Ukraine a essentiellement été contrainte d'accepter cet accord plutôt léonin.
    Cela étant dit, quand on regarde l'accord de Minsk, on ne peut que juger fallacieux l'argument voulant que les deux parties ne veulent pas le mettre en oeuvre. On ne peut pas tenir d'élections dans un territoire contrôlé par des agents étrangers. On ne peut pas trouver de véritable solution ou appliquer un processus démocratique. Cela ressemblerait fort au processus démocratique lors du référendum en Crimée, tandis que les forces russes, portant des uniformes banalisés, cherchaient à orchestrer le tout.
    En réalité, tant que cette guerre n'aura pas pris fin et que l'Ukraine n'aura pas repris le contrôle de sa frontière et de son territoire, on ne pourra pas demander à l'Ukraine de tenir des élections. Les accords de Minsk sont essentiellement désuets et ce n'est qu'après que la Russie aura trouvé une solution et aura mis fin au conflit et à son agression militaire que l'on pourra commencer à parler de mise en oeuvre.
    Cependant, la Russie n'est pas prête. Nous avons assisté à une escalade de violence au cours de la semaine dernière, escalade qui a été directement contrôlée et organisée par la Russie. Mieux vaut ne pas nous livrer à des petits jeux autour des élections ou d'actions de ce genre. La Russie doit d'abord arrêter la guerre en Ukraine.
    Nous avons parlé de mesures incitatives ou dissuasives pour amener les acteurs à changer de comportement et il semble que beaucoup parmi nous connaissent les bâtons posés sur la table, soit un régime de sanctions et le renforcement de la capacité militaire en Ukraine pour dissuader la Russie de poursuivre son action ou pour faire en sorte que celle-ci soit plus coûteuse. Y a-t-il des carottes également sur la table, en dehors de la levée des sanctions? Y a-t-il autre chose que nous pourrions proposer à la Russie pour l'amener à conclure un accord qui soit viable à long terme et qui n'implique pas de sanctions ou de bâtons?
(1655)
    Eh bien, si les sanctions sont maintenues et que vous retirez les carottes, parce qu'elles sont coûteuses, nous pourrions répondre à l'invitation de la Russie de coopérer davantage avec elle dans l'Arctique. Nous pourrions répondre à l'invitation de la Russie de coopérer davantage dans la lutte contre le terrorisme. Nous pourrions appliquer une certaine démarche dans le cas de la Russie afin de lui montrer un certain respect. Je pense que ce genre d'engagement respectueux pourrait constituer une carotte.
    Monsieur Grod, cela entraînerait-il un changement de comportement de la part de la Russie? Pensez-vous cela possible?
    Nous avons vu ce qu'a donné la réaction d'anciens présidents américains et la Russie ne se montre pas plus coopérative. Malheureusement, par le passé, nous avons constaté que la Russie comprend uniquement quand elle est face à une force égale et pas nécessairement quand il est question de mieux collaborer. Malheureusement, la stratégie de coopération sans dissuasion est inefficace. À moins que telle ou telle activité n'occasionne un coût pour elle, nous devrons essentiellement appliquer la stratégie de la dissuasion forte avec la Russie.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    La prochaine personne à poser une question est M. Bezan ou Mme Gallant.
    Madame Gallant.
    Merci, monsieur le président. J'aimerais que les témoins nous disent s'ils comparent la mission de maintien de la paix des Russes en Ukraine avec celle que mènerait le Canada? La Russie a sa version de ce que devrait être la mission de maintien de la paix en Ukraine. En quoi diffère-t-elle de ce que le Canada envisage?
    En 2015, l'Ukraine a déposé une proposition de maintien de la paix de l'ONU et celle-ci est toujours sur la table depuis lors. Ce n'est que très récemment que la Russie a essayé de présenter sa propre version d'une mission de maintien de la paix, parce que les États-Unis menaçaient de fournir du matériel militaire défensif à l'Ukraine, ce que la Maison-Blanche envisage très sérieusement à l'heure actuelle. Les Américains feraient partie de la mission de paix de l'ONU. Ils participeraient donc à cette mission de maintien de la paix, mais c'est un peu étrange que l'agresseur fasse partie d'une mission de maintien de la paix à la frontière où se déroule le conflit. Ce genre de mission reviendrait à maintenir un conflit gelé.
    L'Ukraine a demandé, avec l'appui d'autres pays européens et d'alliés, que les casques bleus de l'ONU, déployés le long de la frontière russo-ukrainienne, stoppent le flux d'armes. Des centaines de chars se trouvent en Ukraine, mais ils n'ont pas été construits dans la région de Donbass. La première étape consisterait donc à stopper le flot d'armes et de soldats vers l'Ukraine.
    La deuxième étape consisterait à mettre en place une force de maintien de la paix de l'ONU dans cette région afin, peut-on espérer qu'elle démilitarise la région et qu'elle permette le retour des personnes déplacées, un retour à la normalité et l'arrêt des effusions de sans en Ukraine.
    Monsieur Grod, vous avez dit que la mission de maintien de la paix serait une véritable guerre. En ce moment, c'est déjà la guerre dans la région. Cela étant, et comme l'Ukraine souhaite atteindre l'interopérabilité avec l'OTAN d'ici 2020, ne serait-il pas plus logique que des troupes nationales, sous l'égide de l'OTAN, participent à la mission de maintien de la paix plutôt que des forces russes?
    Honnêtement, je crois que cela provoquerait encore plus de tension. Je pense qu'une force de maintien de la paix des Nations unies devrait être approuvée par le Conseil de sécurité où la Russie a un droit de veto. S'il existe un risque d'engagement supplémentaire de l'OTAN en Ukraine, il pourrait s'agir du bâton qui forcera la main de la Russie pour qu'elle accepte cette mission de maintien de la paix.
    Encore une fois, nous ne voulons pas provoquer la Russie. Nous voulons instaurer la paix dans la région et la meilleure façon d'y parvenir dans le contexte actuel est de proposer une mission de maintien de la paix que la Russie acceptera. Ensuite, les Russes devront mettre un terme à la poursuite de leur agression militaire. Le territoire ukrainien est régulièrement bombardé par des tirs d'artillerie venant des territoires occupés, et il convient, tout d'abord, que cela cesse. Nous devons obtenir de la Russie qu'elle accepte de mettre fin à l'agression dans cette région et qu'elle permette ensuite aux casques bleus de se déployer en Ukraine pour démilitariser la zone.
    Mais alors à quoi sert un accord? Le Mémorandum de Budapest a été bafoué. Les accords de Minsk ne sont pas respectés. Les conventions de l'ONU sont continuellement renversées. Pourquoi essayons-nous de faire participer les Russes? Ils reviennent sur leur parole à chaque fois.
(1700)
    C'est la raison pour laquelle nous devons réinstaurer un ordre international fondé sur des règles, et c'est pourquoi il faut que le non-respect de l'ordre international fondé sur des règles par la Russie soit sanctionné. Nous avons parlé des différentes façons d'y parvenir. Il s'agit notamment d'exclure les Russes, de les isoler dans les différentes institutions internationales, ce qui passe aussi par les sanctions. Il s'agit notamment d'appuyer les diverses missions dans le monde, comme ce que le Canada a fait à l'appui de la mission de l'OTAN dans les états baltes, en Pologne, en Roumanie et même en Méditerranée et en Mer noire.
    Pour en revenir à la question des Russes qui ne respectent pas leur parole et de l'utilité des accords, permettez-moi de dire que, du point de vue de la Russie, une promesse lui avait été faite lors de la réunification des deux Allemagne, soit que l'OTAN ne bougerait pas d'un pouce vers l'est. Cette promesse a été rompue, ce qui a de graves répercussions sur la sécurité.
    Quant à savoir où se déploiera cette mission de l'ONU dans le Donbass — s'il y en a bien une — soit à la frontière entre la Russie et l'Ukraine ou le long de la ligne de front, je crois que tout cela peut être réglé. Le déploiement pourrait se faire sur les deux fronts.
    Il convient de faire remarquer que les Russes ne sont pas en train d'essayer de modifier le tracé de la frontière entre la Russie et l'Ukraine et qu'ils ne s'opposeront pas à ce qu'il soit changé. Vous vous souviendrez que les rebelles ont demandé aux Russes de les intégrer comme cela a été fait en Crimée et que le Kremlin et Poutine ont refusé. Ils ont refusé parce que leur intérêt interne en matière d'orientation géopolitique de l'Ukraine est lié à l'Ukraine tout entière. L'Ukraine n'a pas été envahie deux fois par la mer Noire et par la Crimée, et les Russes ne veulent donc pas changer la frontière entre le Donbass et la Russie.
    Monsieur Garrison.
    Dans les missions de paix et de sécurité, nous avons appris que la participation des femmes, surtout de celles qui sont à des échelons élevés de la société, est davantage garante de succès.
    Monsieur Grod, voici ma question: êtes-vous au courant de programmes visant à encourager davantage la participation des femmes en Ukraine, à tous les paliers de gouvernement et, dans l'affirmative, estimez-vous qu'elles ont du succès? Nous avons appris que, lors des élections locales, un quota de 30 % avait été fixé pour la représentation féminine, mais devrait-on examiner d'autres aspects?
    En ce qui concerne la politique de l'égalité entre les sexes, quand on regarde la composition du gouvernement ukrainien d'aujourd'hui, on se rend compte que de nombreuses femmes de haut rang occupent des postes influents, comme la toute première vice-première ministre, Ivanna Klympush-Tsintsadze, qui viendra d'ailleurs témoigner demain devant ce comité et qui est responsable de l'intégration euro-atlantique. Il y a aussi la ministre de la santé, une personnalité éminente — une américano-ukrainienne — qui participe à la réforme du système de soins de santé. Elle est mariée avec Marko Suprun, un Canado-Ukrainien. La présidente de la Commission des affaires étrangères est Hanna Hopko. La vice-présidente du Parlement ukrainien est Oksana Syroyid. Il y a beaucoup de femmes en vue en ces hauts lieux.
    Malheureusement, il reste encore beaucoup à faire sur le plan militaire, mais j'ai rencontré des officiers ukrainiens qui s'entraînent au Québec, dont deux femmes qui font partie d'un contingent de huit. Les Ukrainiens déploient donc des efforts, mais il y a encore place à l'amélioration, même s'il s'agit déjà d'une société ouverte.
    Il est également important de noter que tout cela n'est pas uniquement dû à la politique de genre, mais aussi à la politique ethnique. On constate en effet, à l'examen de la composition des organes du pouvoir, que le premier ministre de l'Ukraine est un Juif bien connu. Cela prouve une certaine tolérance. La société ukrainienne est multiculturelle et elle poursuit dans cette voie.
    Nous profitons de chaque occasion pour revenir sur des questions antérieures. Mme Alleslev a donné à M. Westdal l'occasion d'ajouter quelque chose et je vais donc faire maintenant la même chose pour M. Grod.
    Maintenant que vous avez entendu le genre de question qui se pose, y a-t-il quoi que ce soit que vous aimeriez ajouter à votre exposé d'aujourd'hui?
    Merci.
    Je dirais simplement que le peuple ukrainien veut vivre dans une société qui partage des valeurs semblables à celles du Canada. C'est pourquoi le « Maïdan de la dignité humaine », comme on l'appelle, a abouti, c'est parce que les gens camperaient sur leur position tant qu'ils ne disposeraient pas d'une société dans laquelle ils pourraient vivre librement.
    Le pays subit des pressions considérables. Il essaie de faire des réformes. Il avance, mais pas aussi rapidement que nous le souhaitons tous, mais il va de l'avant, tout en participant à une guerre.
    Soyons clairs, il s'agit bien d'une guerre. L'Ukraine a été envahie par la Russie et par ses mandataires. Appeler ça différemment revient à obscurcir la vérité. En réalité, l'Ukraine veut exercer son droit à l'autodétermination et vivre dans une société où les valeurs seront semblables à celles du Canada. C'est pour cela que le Canada et les Canadiens appuient si fortement l'Ukraine. Je crois que nous partageons les mêmes valeurs et que nous voulons appuyer l'Ukraine, maintenir son intégrité territoriale et éviter qu'elle fasse partie d'un jeu d'influence. Disons-le franchement, les Canadiens devraient être consternés par toute cette discussion sur les « sphères d'influence » et le droit d'autres pays d'imposer leur diktat.
    Je pense que le Canada progresse dans la bonne direction, mais que nous pouvons faire davantage. Nous devons penser stratégiquement et audacieusement, et proposer de nouvelles visions et de nouveaux concepts, comme le maintien de la paix, parce que je pense que nous pouvons jouer un rôle de premier plan à cet égard.
    Et puis, pour ce qui est de la partisannerie, quand on appuie un pays qui défend son intégrité territoriale et que cela est considéré comme de la partisannerie, il y a lieu d'être fier d'être partisan parce que le gouvernement du Canada se range aux côtés d'un peuple qui veut défendre son intégrité territoriale et ses familles.
(1705)
    Merci.
    Vu le temps qu'il nous reste, nous pouvons avoir un autre tour de parole de cinq minutes pour les questions. Il y a encore quelques personnes qui ont demandé à intervenir après cela et nous aurons assez de temps.
    Je commencerai par Mme Alleslev. Les cinq prochaines minutes sont à vous.
    Merci beaucoup.
    Nous avons vu qu'il y a une certaine contradiction entre ce qui pourrait constituer une réussite de part et d'autres et l'idée de progrès. Je voudrais refaire un tour de table et vous demander comment on doit mesurer le progrès et quels sont les paramètres à retenir pour déterminer les facteurs de succès critiques et évaluer les progrès et avancer dans ce conflit.
     Cette question s'adresse à vous deux.
    Mesurer les progrès en matière de violence signifie simplement s'efforcer de juguler la violence et la guerre en cours. Personne ne veut d'un conflit gelé, mais un conflit gelé comme l'a signalé Paul Grod, vaut mieux qu'un conflit actif, qui fait rage, comme c'est le cas actuellement pour ce conflit-ci. C'est peut-être ce qu'on peut espérer de mieux, un conflit gelé, mais, personnellement, j'espère beaucoup plus.
    Pour ce qui est des paramètres permettant de mesurer les progrès dans la lutte contre la corruption, je n'ai pas de statistiques précises, mais de toute évidence les progrès sur ce front sont maigres. Quant à la mesure du progrès économique, il n'y a pas là de difficulté. On peut mesurer le revenu par tête, on peut examiner la distribution du revenu, le rôle que jouent les oligarques dans l'économie et à la Rada. Voilà quelques-uns des paramètres à retenir.
    On mesure, alors, la violence et la corruption, les facteurs économiques et l'influence des oligarques. Merci.
    Monsieur Grod.
    Il faut bien comprendre, entre autres choses, que la Russie traite l'Ukraine comme un état failli et qu'elle fait tout au niveau international et intérieur pour saper la viabilité de l'Ukraine afin d'arriver à ce résultat et de monter les pays occidentaux contre l'Ukraine. C'est ce que montrent les pressions économiques et la forte activité des services de renseignements étrangers sur place.
    Nous y investissons pourtant. Comment savoir si nous obtenons les résultats attendus, comment mesure-t-on la réussite de nos efforts?
    Vous voulez savoir comment nous mesurons le succès dans ce conflit. Premièrement, de manière très simple, en comptant les obus tirés sur l'Ukraine à partir des territoires occupés. On fait ce compte chaque jour. L'OSCE le fait et publie son rapport chaque jour. On voit bien d'où viennent les obus. Alors ne disons pas que les deux parties doivent s'entendre. On sait parfaitement d'où viennent les obus qui s'abattent dans les villages. Ça c'est le premier point: il faut que cela prenne fin.
    Il faut également que prennent fin les atteintes aux droits de la personne. Il nous faudrait recenser ces infractions dans les territoires occupés, en Crimée, et franchement, en Russie même. Des opposants politiques sont exécutés. Des journalistes en Crimée sont soumis à des enquêtes et mis dans l'impossibilité de travailler. Voici un autre paramètre: que fait la Russie pour se comporter en honnête citoyen et ne pas attenter aux droits de la personne de ses propres citoyens ou dans les territoires occupés?
    Il faut appeler un chat un chat et ne pas continuer à prétendre que « c'est un conflit ». Ce n'est pas un conflit. C'est une guerre menée par la Russie contre l'Ukraine.
    Pour ce qui est de l'Ukraine, les progrès me semblent évidents. On pourrait dire... et en fait, au moment de quitter l'Ukraine, le dernier ambassadeur américain a dit qu'il y avait eu plus de réformes au cours des deux dernières années et demi que pendant 25 ans, et que l'Ukraine était dans la bonne voie.
    Nous n'avons plus à surveiller les élections...
(1710)
    Pourriez-vous maintenant envisager la perspective opposée? Plaise au ciel que cela n'arrive pas, mais quel type d'indicateur ou de paramètre attesterait d'une escalade, d'une détérioration ou d'une aggravation de la situation? Lesquels doit-on surveiller pour vérifier que la situation ne s'aggrave pas?
    Premièrement, il nous faut surveiller les mouvements de troupes. Les mouvements de troupes russes les plus récents, avec Zapad, leur dernier exercice militaire, l'été dernier, ont semé le trouble. L'accumulation de troupes russes en Biélorussie sur la frontière ukrainienne et la frontière avec les pays baltes a suscité beaucoup d'inquiétude. Il nous faudrait surveiller ces paramètres et sonner l'alerte immédiatement, parce qu'on ne peut pas à la fois prôner le dialogue avec la Russie et la laisser masser des troupes par centaines de milliers à la frontière de ces pays souverains pour tenter de déstabiliser la situation.
    Monsieur Westdal.
    J'ajouterai seulement que, sur le plan économique, il faudra voir si l'Ukraine saura gagner la confiance des principaux investisseurs étrangers, parce que la relance de l'économie exigera des investissements.
    Il faudra voir en particulier si cette semaine, demain même, la capitale ne connaîtra pas une nouvelle flambée d'agitation. Comme je le disais, des manifestants se rassemblent à nouveau sur Maïdan et le gouvernement en place est très impopulaire. Vous imaginez facilement l'effet d'une telle instabilité politique sur les efforts visant à attirer des investissements en Ukraine, à recueillir des fonds sur notre marché ou en Europe. Le pays en a un besoin urgent, mais la situation politique ne va pas aider. C'est là un indicateur de problèmes.
    Merci.
    Monsieur Bezan.
    Je signalerai seulement au comité que 13 Canadiens ont été inscrits sur cette première liste, qu'ils sont interdits de séjour en Russie. Douze étaient des parlementaires de tous les partis politiques, très engagés dans la dénonciation de l'agression de la Russie en Ukraine. Je tiens à signaler que M. Grod a été mis sur la liste simplement parce qu'il représente la communauté ukrainienne ici au Canada. C'est en raison de son origine ethnique qu'il a été mis sur la liste. Je juge cela déplorable et c'est exactement ce que Vladimir Poutine, le Kremlin, ont fait.
    Monsieur Grod, partagez-vous l'avis — maintes fois exprimé — que Poutine répond à la faiblesse par la provocation? Êtes-vous d'accord avec cela?
    Je suis tout à fait d'accord avec cette affirmation. Il profite des faiblesses. C'est juste après que le président de l'Ukraine, Ianoukovitch, s'est enfui, au moment où le parlement cherchait une solution démocratique au vide régnant, que Vladimir Poutine a frappé, tant en Crimée que dans le Donbass.
    N'oublions pas non plus, monsieur Bezan, que la Russie n' a pas déclaré la guerre à l'Ukraine. Vladimir Poutine nie devant son propre peuple qu'il finance et mène une guerre en Ukraine, sachant que cela pourrait être très impopulaire. On sait, grâce aux documents fournis par des ONG comme le Conseil de l'Atlantique et Freedom House entre autres, que les soldats russes qui meurent dans le Donbass sont enterrés en toute discrétion, pour éviter que cette guerre ne devienne un autre Afghanistan pour eux. Il y a aussi des soldats russes qui meurent dans le Donbass, car ils y ont été envoyés pour prendre plus de territoire.
    Monsieur Westdal ne cesse de répéter... Vous avez parlé des manifestations en cours à Maïdan.
    Ces manifestations ont lieu en ce moment même devant la Rada, devant leur parlement. Les manifestants réclament des mesures de lutte contre la corruption plus vigoureuses. Le ton a monté à plus d'une occasion. Mais il n'est pas rare que les milliers de manifestants devant le parlement soient là pour défendre différentes causes, et cela ne veut pas dire que notre démocratie est en train de s'effondrer ni que nous sommes un État failli. J'ose croire que vous permettriez aux citoyens... Il y a ici des jeunes qui prennent part au programme de stage parlementaire Canada- Ukraine qui ont manifesté à Maïdan. Ce ne sont pas des soldats qui faisaient un coup d'état contre Ianoukovitch; ce sont les visages de l'avenir. Ils sont le présent de l'Ukraine, qui veulent le changement et une intégration plus étroite avec l'Europe.
    Vous et moi avons grandi dans la région de Parkland, au Manitoba, où nous décrivons l'endormissement des foules en parlant de boire du « Kool-Aid ». Avez-vous séjourné suffisamment longtemps en Russie, maintenant que vos intérêts d'affaires sont là-bas, pour avoir bu du Kool-Aid russe?
(1715)
    Non, pas du tout. Je ne pense pas qu'il y ait jamais eu sur la colline du Parlement de manifestations qui se comparent aux mois de manifestations qui ont précédé le dernier renversement, et je...
    J'étais en Ukraine pour les élections législatives de 2010, quand Ianoukovitch l'a emporté. Croyez-moi, les voyous qui faisaient la loi dans les rues à l'époque n'étaient rien à côté de ce qu'on a vu à Maïdan, de tous les gens qu'on a fait venir de...
    Ce que je disais, c'est que, dans toute notre histoire, on n'a rien vu de comparable à ces manifestations, sur la Colline du Parlement. Cela pour dire simplement qu'en termes de perspectives économiques pour l'Ukraine, ce genre d'instabilité politique n'aide évidemment pas.
    Les dirigeants ukrainiens seront les premiers à vous dire qu'ils doivent procéder à une réforme parlementaire et gouvernementale. Ils y travaillent et les gens perdent patience et veulent que cela aboutisse plus rapidement.
    Je dirai ceci, que tandis que Iouchtchenko a gaspillé l'occasion qui lui a été donnée après la révolution orange, Porochenko du moins prend les mesures pour aller de l'avant. C'est pourquoi le Canada continue d'appuyer l'Ukraine, dans l'espoir que ces réformes démocratiques et ces mesures anticorruption seront mises en place.
    Je voudrais revenir sur la question de savoir ce que nous pouvons faire d'autre pour l'Ukraine.
    Monsieur Grod, vous avez fait état de l'arrivée à échéance de certaines mesures. D'autres ont été demandées par le président Porochenko, comme un meilleur accès aux images Radarsat pour faciliter le partage d'informations sur ce qui se passe au Donbass.
    Pourriez-vous nous en dire davantage sur celles qu'il conviendrait de proroger sans retard dans le cadre de nos programmes en cours avec l'Ukraine?
    Nous avons déjà pas mal parlé des mesures défensives, aussi ne m'attarderai-je pas là-dessus. C'est sur la réforme du pays qu'il nous faut absolument nous concentrer selon moi.
    Elle avance à grands pas. Nous serons très bientôt, je crois, en mesure de donner une forme solide et institutionnelle aux initiatives démocratiques que nous avons mises en chantier, qu'il s'agisse de la réforme judiciaire et de l'élimination des juges corrompus, du renforcement du bureau chargé de la lutte contre la corruption ou du soutien à la décentralisation et du renforcement du dispositif visant à combattre et éliminer les pratiques corrompues malheureusement héritées de l'Union soviétique. Voilà le genre de choses que le Canada peut continuer à faire.
    C'est pourquoi j'ai été très perturbé, quand on voit les remarquables progrès que nous avons réalisés...
    Soit dit en passant, si le Canada n'est pas le plus gros donateur à l'égard de l'Ukraine, il figure, comme on nous l'a dit à maintes reprises, parmi les chefs de file, dans ce sens que notre petit budget de 15 millions de dollars nous permet de lancer un projet, lequel ne manquera pas d'attirer d'autres donateurs, précisément parce que le Canada est derrière. On ne peut que déplorer qu'un si petit montant, qui a été très efficace, risque de disparaître entièrement. Nous réclamons à cor et à cri la totale harmonisation de notre politique étrangère, de notre politique de défense et de notre politique de développement international et l'emploi de tous les leviers pour garantir le succès en Ukraine.
    Mark Gerretsen et Yves Robillard se partageront le temps de parole, je crois, mais à vous de voir.
    Mark, vous avez la parole.
    Monsieur Westdal, je veux être sûr de bien comprendre vos commentaires d'il y a quelques minutes sur la Russie qui a intérêt à ce que le conflit dans la région du Donbass reste confiné dans ses limites actuelles.
    Il est exact, n'est-ce pas, que vous ne pensez pas que les Russes aient intérêt à aller plus loin?
    Je ne pense pas qu'ils aient intérêt à modifier cette frontière. C'est l'orientation géopolitique de l'ensemble de l'Ukraine qui présente et présentera toujours un intérêt pour la Russie. C'est ce que je tiens à souligner.
    Vous avez également dit, n'est-ce pas, que les habitants de la région qu'ils occupent actuellement souhaitaient leur présence?
    Je pense que Kiev a perdu la loyauté d'une fraction critique de la population de la Crimée et du Donbass. Oui, il y a eu invasion — ces petits hommes vêtus de vert étaient Russes —, mais il y a eu aussi cette perte de loyauté.
    Cela la justifie-t-il?
    La Crimée a été prise sans coup férir. Pour beaucoup dans le Donbass et certainement en Crimée...
    Cela la justifie-t-il? C'est vous qui proposiez de les laisser régler entre eux leurs problèmes, mais comment pouvez-vous justifier que puisque les populations locales souhaitaient la présence des Russes, en gros, et que les Russes n'iront pas plus loin, en quoi cela justifie-t-il qu'ils envahissent un autre pays et l'occupent, même si ce n'est qu'un territoire de celui-ci? C'est comme si le Québec disait tout à coup « nous voulons faire partie des États-Unis ». Est-ce que le reste d'entre nous devrait se contenter de dire « d'accord, c'est très bien »?
    Je sais que je schématise à l'excès avec un exemple vraiment bébête, mais je cherche juste à suivre votre raisonnement. En quoi cela justifie-t-il leur action?
(1720)
    Si vous voulez imaginer des situations analogues, il vous faudrait vous reporter à l'époque du pacte de Varsovie et imaginer ce que serait la réaction des États-Unis en voyant tout d'un coup le pacte de Varsovie dans l'île du Prince-Édouard.
    Dans l'optique russe, c'est un territoire qui est et sera toujours stratégique. Lorsque l'accord conclu dans la foulée de la médiation de l'UE a été rejeté par le mouvement Maïdan — on vivait là les heures les plus funestes de l'histoire moderne de l'Ukraine — et que les autorités ont annoncé le déclassement de la langue russe, la nomination de personnalités réputées russophobes aux postes de sécurité et l'adhésion prochaine à l'OTAN, n'importe quel leader sensé du Kremlin aurait réagi.
    Ou peut-être réagi à l'excès, selon vous...
    Désolé de vous interrompre, il me reste peu de temps.
    Ne pensez-vous pas qu'il aurait mieux valu que les Ukrainiens se mettent d'accord entre eux sur la question de l'adhésion ou non à l'OTAN et de... qu'ils règlent ce problème eux-mêmes plutôt que d'avoir un autre pays qui vienne les occuper juste parce qu'une partie de la région voyait d'un bon œil ce qu'ils proposaient.
    Ce n'est pas l'Ukraine qui a rejeté l'accord de l'UE. C'est bien plutôt la foule du Maïdan. L'Ukraine avait accepté une prolongation de 10 mois.
     Ce n'est pas ainsi que nous l'avons entendu. Mais, quoi qu'il en soit ...
    Lisez ce qui s'est passé le 21 février à Kiev.
    La dernière minute et demie doit aller à M. Robillard.
    J'ai 30 secondes, je pense.
    Des députés: Oh, oh!

[Français]

    Ma question s'adresse à MM. Grod et Westdal.
    Quelles ont été les stratégies de communication de la Russie concernant ses activités en Europe de l'Est et en Ukraine? Ces stratégies ont-elles été efficaces? À l'inverse, quelles ont été les stratégies de communication de l'OTAN concernant ses opérations en Europe centrale et en Europe de l'Est? De quelle façon pourraient-elles être améliorées?

[Traduction]

    Eh bien, les guerres d'information et de propagande font rage des deux côtés. Quand j'ai dit que nous retombions dans une guerre froide plus dangereuse que la précédente, c'est, entre autres, parce que l'époque d'aujourd'hui est celle, des plus effrayantes, de la cyber guerre et des cyber armements, que la conquête des coeurs et des esprits est un enjeu plus important que jamais et que la manipulation de l'information et des médias sociaux fait désormais partie du combat. Le match a commencé et il faudra bien que l'on joue. Les Russes font tout pour faire passer leurs points de vue dans les médias là-bas et ailleurs, tout comme l'OTAN et notre camp également.
    Cela n'est pas prêt de se terminer, selon moi. Cela participe à ce que l'on a appelé la guerre hybride. Que l'effort de guerre englobe la formation, la propagande n'a rien de neuf. Mais la technologie, elle, est nouvelle.
    L'OTAN n'en fait pas assez selon moi pour combattre la guerre de l'information. Il me semble que vous avez été pris de court parce que cela n'entrait pas réellement dans le mandat de l'OTAN et le résultat, c'est que le retard à rattraper est énorme.
    Il importe également de ne pas perdre de vue que nous sommes une puissance moyenne. Le Canada est une puissance moyenne. L'Ukraine est une puissance moyenne. Comment se sentirait-on si les États-Unis n'aimaient pas notre politique étrangère? Qu'on décide de ne pas appuyer une de leurs missions ou de s'engager dans une autre voie en disant que nous allons changer d'orientation. Que nous ne voulons pas faire partie d'une alliance particulière. Cela justifierait-il que les États-Unis envahissent Windsor et peut-être le coeur industriel du Canada pour prélever une livre de chair et disent « nous ne permettrons pas au Canada de choisir sa propre politique étrangère. Nos armées vont prendre le contrôle d'une région du Canada et déstabiliser le Canada »? C'est exactement ce qui se passe en Ukraine.
    La dernière fois que cela s'est passé, c'était la guerre de 1812. Nous ne permettrons pas que cela se reproduise.
    M. Yves Robillard: Merci.
    J'aborderai brièvement un point, parce qu'on n'en a pas parlé aujourd'hui et que j'ai entendu cela à l'occasion de mon voyage avec le comité.
    Dans l'hypothèse où l'ONU aurait une présence dans la région, dans un avenir non précisé, et il ne serait déjà pas facile d'en arriver là, mais supposons qu'on y arrive, si la force de l'ONU est positionnée sur la ligne de contact et que rien n'ait changé d'ici là, pensez-vous, monsieur Grod, que cela puisse avoir pour effet non prévu de légitimer l'occupation du territoire ukrainien par la Russie?
(1725)
    Si la mission est simplement sur la ligne de contact, elle aura pour principal effet de geler le conflit. Mais on ne veut ni d'un conflit gelé ni d'un conflit à chaud parce qu'alors les populations auraient à subir les mêmes atteintes aux droits de l'homme que ce n'est le cas aujourd'hui en Crimée.
    Pourquoi devrions-nous punir les Ukrainiens d'avoir choisi leur propre destinée?
    Je penche dans le même sens que vous. Mais il nous faudrait ramener cela à la frontière et il faudrait avoir l'accord de la Russie pour que les casques bleus de l'ONU puissent se rendre sur les lieux pour s'assurer que la situation reste comme elle devrait l'être.
    Eh bien, la Russie est convenue de cela, pour l'essentiel, aux termes des accords de Minsk. Nous voulons simplement qu'elle les mette en œuvre et permette d'assurer à nouveau le contrôle de cette frontière sous la responsabilité des Ukrainiens ou, de préférence, des casques bleus de l'ONU.
    D'accord.
    Messieurs, je vous remercie tous deux d'être venus aujourd'hui. Votre témoignage était intéressant et instructif et sera utile au Comité dans la suite de ses travaux.
    Merci beaucoup.
    La séance est levée.
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