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HAFF Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON PROCEDURE AND HOUSE AFFAIRS

COMITÉ PERMANENT DE LA PROCÉDURE ET DES AFFAIRES DE LA CHAMBRE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 23 novembre 1999

• 1036

[Traduction]

Le président (M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.)): La séance est ouverte.

Collègues, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-2, Loi électorale du Canada, nous accueillons ce matin trois témoins: M. Aaron Freeman, de Démocratie en surveillance; M. Patrick Boyer, ex-député; et M. Nick Leonen.

Nous les entendrons dans l'ordre où ils figurent à l'ordre du jour. J'invite donc les témoins à nous faire une exposé d'une dizaine de minutes chacun. Après, nous aurons des tours de questions de cinq minutes.

Commençons par M. Aaron Freeman.

Je vous souhaite la bienvenue. Vous avez la parole.

M. Aaron Freeman (membre du Conseil, Démocratie en surveillance): Merci beaucoup de cette occasion de témoigner devant votre comité.

Démocratie en surveillance suit de près la question du financement politique. Notre coalition qui regroupe 38 organismes, propose un ensemble de recommandations visant à faire en sorte que le système canadien de financement politique soit démocratique. Nos recommandations se fondent sur une enquête menée auprès de toutes les instances législatives en Amérique du Nord.

Démocratie en surveillance craint que les dispositions du projet de loi C-2 ne fassent pas grand-chose pour rendre le système de financement des élections fédérales plus démocratique et pour réduire le risque que les nantis influent sur le processus démocratique. Les problèmes n'ont rien de nouveau. Les lacunes du régime actuel ont déjà fait l'objet d'une longue série de rapports de directeurs généraux des élections du Canada et même d'une commission royale. Or, à en juger par le projet de loi C-2, le gouvernement risque de laisser les pires abus se perpétuer.

Aux termes du projet de loi C-2, le crédit d'impôt, qui s'élève actuellement à 75 p. 100 du montant du don sur la première tranche de 100 $, serait augmenté considérablement pour représenter 75 p. 100 de la première tranche de 200 $ de don, ce qui reviendrait à faire subventionner encore davantage les dons par la population.

Quand il a présenté le projet de loi, le leader du gouvernement à la Chambre n'a fait aucun effort pour indiquer combien cette accroissement coûterait aux contribuables, mais si l'on en juge par les dépenses fiscales qu'occasionnent actuellement le crédit et par le nombre actuel de donateurs, le coût se situerait sans doute aux alentours de 1 million de dollars par an pendant les années où il n'y a pas d'élections et serait considérablement plus élevé pendant les années d'élections.

En ce qui concerne les dépenses, les partis pourraient continuer à ne pas inclure dans leurs formulaires de déclaration le coût des sondages, de la recherche, de la formation et du travail fait par des bénévoles. Le projet de loi omet de plafonner les contributions, comme cela se fait au Québec et en Ontario. Le plafonnement des contributions pourrait grandement contribuer à rendre le système de financement des partis politiques plus démocratique, car il romprait la dépendance des partis vis-à-vis des gros donateurs.

Nous estimons par ailleurs qu'il faudrait interdire les contributions d'entités sans droit de vote, comme les sociétés commerciales et les syndicats, comme cela se fait déjà au Québec.

Pour compenser la perte de revenus que subiraient les partis si les contributions étaient plafonnées, il faudrait remplacer le mécanisme de remboursement actuel par un système dans lequel les subventions des partis seraient distribués sur la base d'une formule plus démocratique. Il faudrait aussi prévoir des dispositions spéciales pour les nouveaux partis, analogues à celles qui régissent l'affectation du temps de radiodiffusion gratuit. Toute ponction additionnelle sur le trésor public pourrait facilement être financée à même les recettes supplémentaires qui résulteraient de la suppression de la déduction pour dépenses de lobbying des sociétés, qui, d'après nos calculs, coûtent plus de 100 millions de dollars par an aux contribuables canadiens.

D'autres réformes encore pourraient contribuer à rendre le système de financement électoral du Canada plus démocratique. Par exemple, la Loi sur les résidences officielles pourrait être modifiée de manière à interdire l'utilisation de Stornoway ou du 24 Sussex pour les fins de campagnes de financement.

L'élément peut-être le plus important de la réforme de la Loi électorale du Canada serait l'élimination de toutes les échappatoires relativement à la divulgation des dons. Le régime en place à l'heure actuelle au Canada peut au mieux être qualifiée de facultatif. Le projet de loi C-2 ne fait pas grand chose pour remédier aux lacunes des plus graves du régime actuel et propose même de relever le seuil à partir duquel les dons doivent être déclarés.

• 1040

On a omis dans le projet de loi d'exiger l'enregistrement obligatoire des associations de circonscription, qualifiées de «trou noir» du financement électoral, et les députés continuent à échapper au régime de divulgation en tout temps en dehors des cinq semaines de la période électorale.

Les lois américaines forcent les donateurs à divulguer leur nom complet, leur profession et leur employeur, leur adresse et la date du don, tandis qu'au Canada, on n'exige que le nom de famille et l'initiale du donateur. Le projet de loi C-2 ne ferait qu'ajouter l'adresse du donateur à ces exigences. Les dons aux candidats durant les courses à la direction des partis ne sont pas déclarés non plus, sauf aux termes des régimes de déclaration facultatifs établis par chaque parti.

Il ne sert à rien de divulguer les dons si l'information n'est pas rendue publique en temps opportun. Au Canada, il peut s'écouler jusqu'à 18 mois avant que l'information sur les dons ne soit rendue publique parce que les partis ont jusqu'au 30 juin de l'année suivante pour produire leur déclaration annuelle. Avec un système de déclaration électronique comme il en existe déjà en Ontario et aux États-Unis, où les candidats doivent produire une déclaration mensuelle, la déclaration se ferait davantage en temps opportun.

En outre, compte tenu du rôle fondamental que jouent les institutions financières du Canada dans le financement de tous les grands partis, sans parler des enjeux considérables que présentent les décisions gouvernementales pour les banques, il faudrait divulguer les principales modalités des prêts bancaires consentis aux partis et aux candidats.

Le projet de loi C-2 propose de plafonner les dépenses des tiers au niveau tant du pays dans son ensemble que de la circonscription. Le Canada a besoin d'une loi qui préserve l'équité durant les élections en limitant les dépenses des tiers tout en offrant à la population des chances raisonnables de s'exprimer sur les questions importantes en période électorale. Il est manifestement antidémocratique de permettre à un particulier ou à une société de dépenser des centaines de milliers de dollars pour lutter contre l'élection d'un candidat donné qui doit limiter ses dépenses à environ 60 000 $ pour l'ensemble de sa campagne électorale.

L'imposition d'un plafond par circonscription dans le projet de loi C-2 est un pas dans la bonne voie en ce sens qu'elle permet de limiter l'impact de la fortune sur le poids d'une personne durant le scrutin. Si toutefois les particuliers ou les organismes canadiens ne sont pas autorisés à mettre en commun leurs ressources, les candidats et les partis officiels continueront en quelque sorte à avoir le monopole de la diffusion des opinions en période électorale.

Nous proposons un régime qui concilie le plafonnement des dépenses avec la liberté d'association. Voici les modalités du système que nous proposons.

Premièrement, chaque personne serait autorisée à dépenser jusqu'à un certain montant, disons 2 000 $. Deuxièmement, chaque personne serait autorisée à mettre une partie de ses fonds en commun avec d'autres—disons 10 p. 100 ou 20 $, selon l'exemple—dans le cadre d'organismes, comme des organismes sans but lucratif, des syndicats ou des entreprises. Toutefois, avant de pouvoir dépenser le moindre sou, ces organismes seraient tenus de démontrer qu'ils ont l'appui de leurs membres et qu'ils sont autorisés à dépenser les fonds d'une façon particulière—par exemple, en tentant de faire battre un candidat ou de promouvoir une position précise sur une question électorale.

Par exemple, si un organisme qui compte 40 000 membres envoie à ceux-ci un formulaire leur demandant leur appui en faveur d'une position donnée, et si 10 000 membres renvoient le formulaire pour appuyer la position, l'organisme pourrait dépenser 200 000 $, soit 20 $ multipliés par 10 000 membres. Pour les entreprises ayant des actionnaires et les syndicats, le système fonctionnerait de la même façon.

Toutes les dépenses faites par des tierces parties seraient aussi soumises aux règles sur la divulgation, y compris les dépenses faites entre les périodes électorales en vue d'influencer le processus démocratique.

La coalition recommande également que la publicité faite par le gouvernement avant et pendant une campagne électorale soit soumise à des limites, sauf en cas d'urgence ou pour des raisons administratives. Il existe une interdiction de ce genre pour les élections provinciales au Manitoba et en Saskatchewan.

En outre, puisque les Canadiens ont le droit de se plaindre de la fausse publicité faite par les entreprises, ils devraient aussi avoir le droit de se plaindre de la fausse publicité faite par les gouvernements et les partis politiques en vue des élections.

En conclusion, certains voudraient nous faire croire que la politique canadienne est parfaitement propre, mais tout système qui comporte autant de failles ne peut pas être propre, surtout quand on sait à quel point il serait facile de prendre des mesures préventives. Le statu quo ne fera rien pour remédier à la situation ni pour diminuer le cynisme de l'électorat.

Merci beaucoup.

Le président: Merci.

Nous passons maintenant à Patrick Boyer.

Nous vous souhaitons à nouveau la bienvenue, monsieur Boyer. Vous revenez souvent nous voir, je le sais.

[Français]

M. Patrick Boyer (témoigne à titre personnel): Merci, monsieur le président.

Je vous remercie de m'avoir invité à participer aux délibérations de votre comité ce matin afin de discuter du projet de loi C-2.

• 1045

Il est toujours important qu'un invité vous rende la pareille, et c'est pourquoi j'ai apporté six exemplaires de mes ouvrages sur la Loi électorale à titre de petit cadeau pour vous, monsieur le président, et pour les membres du comité.

Mme Madeleine Dalphond-Guiral (Laval-Centre, BQ): Est-ce qu'ils sont autographiés?

M. Patrick Boyer: Pas encore, mais je le ferai après la séance.

Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Il faudra le faire.

M. Patrick Boyer: C'est le genre d'écriture que les auteurs préfèrent.

Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Oui.

[Traduction]

M. Patrick Boyer: Je tiens à vous dire par ailleurs qu'il y a une dizaine de jours, monsieur le président, j'ai présenté mes ouvrages sur la loi électorale, les six volumes en question, au président de l'Assemblée nationale de Bulgarie, où j'effectuais des recherches. L'Assemblée nationale de Bulgarie envisage de créer un poste d'ombudsman national, et nous travaillons à la rédaction d'une loi en ce sens.

On ne se sent pas très fier comme Canadien quand on se rend ainsi dans des pays reculés du monde pour aider la population à se doter de structures plus démocratiques et qu'on rencontre les députés de l'Assemblée nationale de Bulgarie qui sont tous élus selon un régime de représentation proportionnelle, alors que chez nous, nous avons un régime électoral qui est périmé depuis quelque 77 ans eu égard à la façon dont les voix sont comptées et les députés sont élus à la Chambre des communes.

Le projet de loi à l'étude, la nouvelle Loi électorale du Canada, est donc un sujet très important. C'est sans doute le texte le plus important dans une société démocratique et politiquement autonome, puisqu'il énonce les règles régissant l'accès au pouvoir politique et la perte de ce pouvoir de même que l'exercice de l'autorité gouvernementale. C'est cette loi qui civilise le conflit de pouvoirs. C'est cette loi qui, plus que tout autre, incarne réellement les valeurs que nous voulons exprimer en tant que société démocratique et politiquement autonome.

Ce matin, je veux donc vous parler, non pas seulement de certains détails de la mise en jour et de la modernisation de la Loi électorale, mais aussi de trois ou quatre des questions plus fondamentales auxquelles nous devons nous intéresser.

Dans le peu de temps dont je dispose, j'aborderai avec vous trois de ces questions: premièrement, le lien entre le pouvoir politique et l'argent; deuxièmement, la fréquence de nos élections nationales et la nécessité de prévoir un mandat d'une durée fixe et une date fixe pour les élections nationales au Canada; et troisièmement, la modification de la formule selon laquelle nous élisons nos députés, qui se fondent sur la pluralité des voix à l'heure actuelle et ne reflète pas bien ni notre Parlement national, ni notre assemblée nationale, ni les voix diverses exprimées par la population du pays tout entier.

Si nous en avons le temps, j'aimerais aussi discuter avec vous de la réalité que recouvre le terme «trou noir» dont on se sert pour décrire les budgets des associations de circonscription et les dépenses faites en dehors des périodes électorales.

J'ai rencontré ce matin le directeur général des élections du Canada, Jean-Pierre Kingsley, qui, je le sais, est venu témoigner devant vous hier. Nous avons discuté d'éventuels réformes à ce chapitre, réformes qui vous intéressent également.

Commençons par le premier point, à savoir le lien entre l'argent et le pouvoir politique. Il y a maintenant un quart de siècle que la Loi sur la réforme du financement des élections a été adoptée sous le gouvernement Trudeau, mais le travail qui y a conduit avait en réalité commencé sous le gouvernement Pearson, avec la Commission Barbeau, en 1966.

Il a toutefois fallu attendre l'intervention d'un député, Hyliard Chappell, député libéral d'une circonscription près de celle de Mme Parrish, un peu au nord d'où vous êtes, qui a commencé à exercer des pressions pour que la législation canadienne sur le financement des élections soit réformée et pour qu'on s'attaque vraiment au dossier. Depuis 1974, nous avons les règles que vous connaissez bien en ce qui a trait au financement des élections.

• 1050

Le processus étant ainsi plus réglementé, nous avons été témoins de la montée des activités de lobbying au Canada. Autrement dit, on cherchait une autre façon d'exercer l'influence que l'on exerçait auparavant par des méthodes de financement politique dorénavant interdites. C'est la présence croissante de lobbyistes professionnels dans la capitale nationale qui a conduit le gouvernement Mulroney à faire adopter la Loi sur l'enregistrement des lobbyistes. Cette loi ne permettait de régler complètement la situation, mais c'était un début.

Après le financement des élections et le lobbying professionnel, la troisième dimension la plus importante en ce qui concerne le lien entre l'argent et l'exercice du pouvoir politique tient aux règles sur les conflits d'intérêt auxquels sont soumis les détenteurs de charge publique.

Nous avons donc ces trois dimensions distinctes des diverses manifestations d'un phénomène constaté dans toutes les régions du pays.

Pour conclure cette première partie de mon exposé, j'ai une proposition à soumettre au comité, mais pour en assurer la mise en oeuvre, il faudrait déborder le cadre de la Loi électorale du Canada.

À ce stade des efforts que nous avons déployés au Canada pour régler le problème, le moment est venu d'en réunir les trois dimensions: financement des élections, contrôle et réglementation des lobbyistes rémunérés et règles régissant les conflits d'intérêt pour les détenteurs de charge publique. Ainsi, nous aurions des modalités administratives, des définitions et des garanties de transparence communes pour les trois dimensions, et la question qui est depuis toujours au coeur de la culture politique canadienne, la question de savoir comment nous pouvons en arriver à un gouvernement ouvert et à des décisions prises selon un processus transparent qui servent l'intérêt de la population, fait partie de la conclusion de ce premier chapitre dont je voulais vous parler.

Le second point concerne l'importance d'avoir des dates fixes pour les élections nationales. Comme nous le savons, la Constitution stipule qu'elles doivent être organisées dans un délai de cinq ans. Naturellement, dans la pratique, elles ont lieu dans un délai plus court qui va de trois à cinq ans. En général, la norme canadienne est d'à peu près quatre ans.

La réalité, c'est qu'on donne des pouvoirs extraordinaires à une personne, le premier ministre d'une province ou le premier ministre d'un pays, en l'occurrence, à qui la Loi électorale du Canada laisse la liberté totale de décider du moment le plus opportun pour déclencher des élections en fonction de la situation économique du pays, de la place de son parti dans les sondages d'opinion ou de la faiblesse des partis politiques rivaux.

Au cours des travaux que j'ai effectués ces dernières années, j'ai pu constater sous divers angles les ravages et le coût que cette incertitude entraîne pour notre pays. De nombreuses transactions commerciales qui devraient aller de l'avant, qui accompagnent notre économie, sont suspendues dans l'attente du résultat des élections car on veut savoir qui va l'emporter et s'il y aura des changements.

Le temps que consacrent les journalistes à spéculer sur la date éventuelle des prochaines élections au lieu d'informer le public sur des activités liées au domaine de la santé ou à d'autres questions, est un véritable gaspillage. C'est une inévitable perte de temps due à l'incertitude qui entoure la date des élections nationales.

Nous sommes habitués à des dates fixes pour l'élection des autorités municipales au Canada; ce système semble fonctionner très bien dans la tradition politique canadienne. Personne ne s'en plaint.

Je recommanderais donc que l'article 57 du projet de loi C-2 soit modifié. Vous verrez cela à la page 29 du projet de loi. En gros, monsieur le président, je recommanderais qu'on envisage un lundi de juin 2001 comme date fixe des prochaines élections nationales, et que les élections aient ensuite lieu à intervalles réguliers de quatre ans.

• 1055

Quant à choisir le lundi de juin en question... il n'est pas nécessaire que ce soit en juin, mais c'est une période excellente car les jours sont très longs partout dans le pays. Naturellement, comme l'a dit M. Solomon, il y a toujours la question des semences. Il faut tenir compte des divers jours fériés nationaux et des diverses fêtes religieuses. C'est un casse-tête qui revient régulièrement quand un dirigeant décide de déclencher des élections. Je me souviens d'une élection pour laquelle non seulement la date du vote, mais aussi celle du vote anticipé coïncidait précisément avec des jours absolument sacrés pour la communauté juive.

Nous n'avons pas besoin de réinventer la roue chaque fois qu'il faut élire une nouvelle assemblée nationale. Si nous tirons les choses au clair une bonne fois pour toutes, les élections pourront à l'avenir se tenir de façon beaucoup plus simple et nous pourrons nous concentrer sur d'autres questions plus importantes que celles de savoir à quelle date l'élection aura lieu et qui pourra être scandalisé par cette date.

Le corollaire, évidement, serait que les élections partielles devraient automatiquement avoir lieu dans les dix jours qui suivent la vacance du poste, que son titulaire ait démissionné ou soit décédé.

Monsieur le président, nous avons aussi très souvent constaté que les élections partielles n'étaient pas organisées en temps opportun parce qu'elles étaient organisées en fonction des intérêts du parti qui pouvait les déclencher. C'est au peuple qu'appartient le droit d'être représenté. On pourrait donc aussi inclure une disposition prévoyant le déclenchement automatique d'élections lorsqu'un poste est vacant.

Le troisième point concerne le système électoral. J'ai fait de nombreux discours sur la nécessité du changement avant d'arriver ici comme député et depuis. J'ai souvent recommandé une forme de représentation proportionnelle. Même maintenant, lorsque j'enseigne dans diverses universités, et que je discute avec des experts en science politique plongés dans toutes les notions de représentation proportionnelle et les modifications qu'on peut apporter à ce régime, du vote unique transférable au vote pondéré et à tout le reste, en quelques minutes le regard de mes interlocuteurs se perd dans la brume.

Le problème que nous avons avec la représentation proportionnelle dans les régimes parmi lesquels nous pouvons choisir comme modèles, ce n'est pas qu'il ne s'agisse pas de bonnes théories. Le problème, c'est de faire fonctionner ces modèles au Canada dans la pratique. C'est pourquoi j'ai une solution précise et simple, fabriquée au Canada que je vais vous recommander. Il s'agirait de modifier le texte de l'article 313 de ce projet de loi.

Avant de vous expliquer cette modification, monsieur le président, je pense qu'il est important que tous les Canadiens, surtout ceux d'entres vous qui avez la responsabilité de ce projet de loi en tant que membres de ce comité, prennent un peu de recul pour mesurer le degré d'insatisfaction que l'on constate actuellement au Canada à l'égard de notre régime électoral.

Par exemple, le 9 mai 1984, Jean Chrétien, alors qu'il était candidat à la direction du Parti libéral du Canada, avait promis à Brandon, au Manitoba, qu'il mettrait en place un régime de représentation proportionnelle pour les élections fédérales. Il avait été cité à l'époque en ces termes: «Si j'étais premier ministre, je le ferais aussitôt que je serais élu».

Il s'agissait donc bien d'un engagement à modifier le régime électoral, et M. Chrétien, qui est maintenant premier ministre, expliquait alors pourquoi il était favorable à ce changement, en disant que c'était à cause du sentiment d'aliénation des Canadiens de l'ouest dans le régime existant.

Par ailleurs, au Québec, le Parti québécois a aussi opté pour la représentation proportionnelle dans sa politique officielle. Cela fait partie de la politique du parti, même si, à l'instar des libéraux au pouvoir à l'échelle nationale, ils ne sont pas en mesure de concrétiser cette politique.

• 1100

On s'aperçoit que nos représentants, une fois qu'ils sont élus, ont tendance à préférer les règles qui leur ont permis de former un gouvernement. Pour mettre en place cette réforme, il est donc important de rallier le soutien général de tous les partis et de toutes les personnes intéressés dans l'ensemble du pays.

Quand j'étais ici au Parlement, j'étais député conservateur. Après la cuisante défaite des Conservateurs aux élections de 1993, j'ai entendu deux dirigeants successifs de ce parti réclamer un régime de représentation proportionnelle. J'ai l'impression que tous les chefs de parti et tous les partis s'intéressent plus ou moins à la question selon les périodes, mais qu'ils s'y intéressent surtout lorsqu'ils ne sont pas au pouvoir. Si ce régime est bon à certains moments, il doit être bon en permanence.

Voilà ce qui explique certaines choses dont je voudrais vous entretenir.

À Toronto, on vient de créer à la faculté de droit de l'Université de Toronto un nouveau centre de droit constitutionnel. On y prépare une contestation constitutionnelle de la Loi électorale du Canada et du régime électoral fondé sur l'absence de proportionnalité dans le régime actuel. Voici un document préparé par ce centre qui va servir de fondement à cette prochaine contestation judiciaire. Les auteurs parlent notamment d'une contestation en vertu de la charte en raison du fait que les valeurs démocratiques explicitement énoncées dans la charte n'ont pas été transposées dans notre régime électoral.

Il ne faut surtout pas s'imaginer que ce genre de contestation judiciaire fondamentale du régime électoral canadien en vertu de la charte doit être pris à la légère ou sera facile à éconduire. Souvenons-nous tout simplement de ce qui s'est passé en Saskatchewan aux avant-dernières élections: au moment où les élections allaient débuter et où le bref allait être émis, il y a eu une contestation de la part de gens qui disaient que la redistribution des circonscriptions dans la province n'était pas proportionnelle. Non seulement le tribunal a décidé que cette contestation était fondée, mais il a suspendu les élections et ordonné une refonte de la carte électorale.

Voilà jusqu'où peuvent aller les tribunaux canadiens, en s'appuyant sur la charte, quand on leur demande de se prononcer sur l'application des valeurs démocratiques. C'est donc un avertissement bien réel pour nous, car c'est ce qui nous pend au nez.

Vendredi à Ottawa le Groupe canadien des études des questions parlementaires tient son assemblée annuelle. Le sujet sera «L'éclipse du Parlement». Il sera question entre autres du système électoral.

Lundi prochain à l'université Wilfrid Laurier—et j'aurai des exemplaires à l'intention des membres de votre comité, monsieur le président—je dirige un colloque sur les députés de la majorité et la représentation démocratique efficace.

Ce sont donc des choses qui se passent au pays. Je suis certain que vous êtes tous au courant de beaucoup d'autres événements du genre.

Pour conclure, j'aimerais vous dire une dernière chose au sujet des députés de la majorité. C'est la recommandation ferme et urgente que je voudrais faire relativement au système électoral.

À l'heure actuelle, le système électoral est un système uninominal majoritaire à un tour, comme vous le savez. Le nom anglais «first past the post» est une métaphore sportive. C'est comme en athlétisme: le premier à franchir la ligne d'arrivée gagne. Eh bien, si nous voulons garder une métaphore avec les sports pour le système électoral, je dirais qu'il faut alors parler de «runoff», ou de scrutin de ballottage.

Ce que je dis, c'est que le soir des élections, dans n'importe laquelle des 301 circonscriptions électorales, un candidat qui reçoit plus de 50 p. 100 des votes est déclaré député élu à la Chambre des communes du Canada. En d'autres termes, quiconque obtient une majorité au premier tour de scrutin est élu député.

• 1105

Si personne n'a la majorité après le premier jour de vote—le troisième lundi de juin de l'an 2000—alors le directeur du scrutin organisera un deuxième tour de scrutin une semaine plus tard, et sur le bulletin de vote figurera le nom des deux candidats qui ont obtenu le plus grand nombre de votes. En d'autres termes, il y a un scrutin de ballottage une semaine plus tard.

Tout d'abord, l'avantage de ce système est sa simplicité. Il ne s'agit pas d'un système complexe de représentation proportionnelle avec le poids des votes ou quoi que ce soit d'autre. C'est quelque chose que nous connaissons déjà, nous Canadiens, car c'est ainsi que fonctionnent les élections à l'heure actuelle. On retourne aux bureaux de vote une deuxième fois, on prend le même bulletin de vote qu'il faut cocher, mais il n'y a que deux noms à partir desquels on peut faire son choix.

Deuxièmement, nous connaissons très bien le système, car c'est ainsi que la plupart d'entre vous avez été proclamés candidats. C'est ainsi que j'ai été proclamé candidat lors de nos congrès: par un scrutin de ballottage. C'est ainsi que les chefs de partis sont choisis au Canada: il y a un scrutin de ballottage lors de congrès nationaux. Tous les Canadiens comprennent ce qu'est un scrutin de ballottage, car nous comprenons tous ce que sont les éliminatoires pour la coupe Stanley. Ce n'est pas un concept étranger. Cela correspond tout à fait aux normes et aux pratiques du Canada, à notre culture politique et à notre système électoral actuel.

Un autre fait qui est important, c'est que depuis les années 50 et les années 70, la participation électorale a énormément diminuée et tous les sondages indiquent que les gens accordent beaucoup moins de crédibilité aux députés et au rôle de cette institution. Il faut se demander pourquoi. S'agit-il là du vrai problème ou tout simplement des symptômes d'un problème plus grave?

C'est peut-être bien qu'avec notre système électoral actuel, bon nombre de gens en toute légitimité et avec beaucoup d'intelligence haussent tout simplement les épaules et disent: «Pourquoi se donner la peine?» Nous avons constaté que les gens s'éloignaient d'un système qui n'a pas été conçu pour refléter de façon juste et précise le vote populaire.

Il y a plusieurs autres points. Je ne veux pas prendre davantage de temps pour tout vous expliquer cela, mais je voudrais faire quelques observations générales. Je sais que bon nombre d'entre nous sommes troublés par la négativité qui ressort des campagnes électorales passées et par les attaques plutôt personnelles contre les gens qui veulent occuper des fonctions publiques. Ce n'est pas une bonne chose pour la démocratie canadienne. Ce genre d'attaques personnelles n'aide pas notre système d'autonomie gouvernementale en fin de compte. Bien des gens disent que nous avons importé cela de la politique américaine, et je pense que c'est effectivement le cas.

Si on a un système électoral qui permette la semaine prochaine d'aller chercher, dans un scrutin de ballottage, l'aide des candidats qui étaient derrière le candidat pressenti jusqu'au jour du scrutin, cela pourrait avoir, à mon avis, un effet très salutaire sur la façon dont les candidats se comportent lors de la campagne électorale. Ils s'attarderaient beaucoup plus à faire connaître leurs principes et leurs politiques et s'en prendraient aux politiques et programmes de leurs rivaux plutôt que de s'abaisser à des attaques personnelles, comme c'est malheureusement devenu la norme dans le système.

Voilà quelques-uns des avantages qui découleraient de ce système. Je pourrais vous en parler beaucoup plus longuement, mais je sais qu'il y a d'autres témoins à entendre et que les membres du comité auront sans doute d'autres questions à poser.

Pour y parvenir, il suffirait d'une simple modification au libellé actuel du paragraphe 313(1), que vous trouverez à la page 122 du projet de loi. D'après le texte actuel:

    Le directeur du scrutin [...] déclare élu le candidat qui a obtenu le plus grand nombre de votes [...]

Il s'agirait de remplacer l'expression «le plus grand nombre de votes» par «la majorité des voix», ce qui donnerait ce qui suit:

    Le directeur du scrutin [...] déclare élu le candidat qui a obtenu la majorité des voix [...]

Et si aucun candidat n'obtient la majorité des voix, sept jours plus tard, vous pouvez avoir un deuxième tour du scrutin entre les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix.

• 1110

Pendant cette période de sept jours, les candidats auraient sans doute le droit, selon ce que vous aurez jugé bon de leur accorder, de faire des dépenses supplémentaires, équivalent sans doute à un quart ou un cinquième du budget qui leur est fixé pour l'ensemble de leur campagne. Il y a beaucoup de détails comme celui-ci qui sont importants.

Pour ce qui est de l'ensemble des coûts, n'oubliez pas qu'Élections Canada doit déjà assumer les coûts fixes. Par conséquent, il suffirait de rouvrir le bureau de scrutin pendant une autre journée, d'imprimer une autre série de bulletins de vote et de payer le personnel électoral. Il vous est possible de calculer ces dépenses, dans l'ensemble. L'un dans l'autre, le résultat final traduira de façon beaucoup plus exacte la saine diversité de notre pays et illustrera beaucoup mieux le fait que nos partis politiques trouvent leur appui, généralement parlant, d'un bout à l'autre du pays.

En guise de conclusion, je vous ferai part de cinq pensées en bref. Faute de modifier le système actuel, ce que je vous dirai correspondra à cinq grandes lacunes qui peuvent lui être fatales:

En premier lieu, le système ne représente pas la règle de la majorité dans un pays qui se décrit comme démocratique.

En deuxième lieu, le système actuel n'illustre pas correctement les forces respectives de nos divers partis politiques, d'un bout à l'autre du pays.

En troisième lieu, le système décourage l'indépendance d'esprit et soumet la voix authentique des représentants du peuple aux consignes parti, dans le but de préserver l'appui à la Chambre des communes; tout cela sert à alimenter le mythe constitutionnel selon lequel le gouvernement au pouvoir a l'appui de la majorité.

En quatrième lieu, le système enlève aux électeurs la possibilité de choisir réellement, lors d'un scrutin de ballottage, un candidat unique à partir d'une série de quatre, cinq ou plus des postulants les plus forts.

Le système actuel empêche que la saine diversité politique qui existe manifestement au Canada ne se traduise jusqu'à la Chambre des communes par le choix des représentants locaux.

Merci.

Le président: Merci, monsieur Boyer.

Passons maintenant à M. Loenen.

M. Nick Loenen (témoignage à titre personnel): Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de me permettre de m'exprimer sur une question aussi importante, non seulement pour les gens qui font de la politique mais pour tous les citoyens canadiens.

Tout comme M. Boyer, j'aimerais m'éloigner des détails et m'attarder plutôt à la règle la plus importante qui régit le jeu politique du Canada. Je veux parler de la règle du scrutin majoritaire uninominal à un tour, qui sert à traduire le nombre de voix en sièges.

Je suis sidéré de constater que cette règle n'est pas mentionnée dans la Loi électorale, ni vraiment non plus dans le projet de loi C-2. Elle n'a pas fait l'objet d'études de la part de la Commission Lortie, et pourtant, il s'agit là d'une des règles les plus fondamentales.

Cette règle du scrutin majoritaire uninominal à un tour a été conçue pour une société fondamentalement homogène avec un système politique bipartite. Or, le Canada ne présente aucune de ces deux caractéristiques. Par conséquent, moi-même ainsi que beaucoup d'autres, croyons que les Canadiens sont particulièrement desservis par ce régime électoral. Je voudrais expliquer brièvement pourquoi c'est le cas, à mon avis.

Le système uninominal majoritaire à un tour gaspille la plupart des votes, et il n'accorde pas non plus un poids égal ni une valeur égale aux votes. En 1993, un vote pour les libéraux avait 34 fois plus de poids qu'un vote pour les Conservateurs, ce qui est sidérant.

De plus, ce mode de scrutin exacerbe les problèmes d'unité nationale. Il ne permet pas la représentation exacte de la mosaïque sociale canadienne ni non plus la représentation exacte de la diversité politique au Canada. Il contribue également à diminuer la participation population au scrutin. Il empêche les députés et les partis politiques de jouer un rôle important dans l'élaboration des politiques gouvernementales. Il favorise les grands partis, aux dépens des plus petits. Il contribue à une discipline de parti excessive, voire néfaste. Il encourage l'élaboration de politiques gouvernementales modelées plus particulièrement sur les intérêts sectaires à court terme du parti au pouvoir que sur les intérêts à long terme de la population. Comme le signalait M. Boyer, le système va s'en doute à l'encontre de l'article 3 de la charte. Je ne veux pas vous faire peur pour rien, mais c'est sans doute le cas.

• 1115

Tout ce que j'ai dit est vrai et est bien documenté. Cela a même été avoué en public par des tas de gens, y compris—comme le signalait M. Boyer—le premier ministre du Canada avant qu'il occupe le poste de premier ministre. Aujourd'hui, il n'ose plus le dire, mais il l'a avoué avant d'accéder à son poste de premier ministre. Je le répète, tout cela est vrai et documenté.

Dans le temps qu'il me reste, j'aimerais vous expliquer brièvement quelle est l'une des tares additionnelles qu'impose notre système de scrutin majoritaire uninominal à un tour à notre système de gouvernement. Je veux parler, en effet, de l'énorme concentration de pouvoir dans le Cabinet du premier ministre, concentration excessive qui sonne le glas d'un gouvernement responsable.

Pour pouvoir vous l'expliquez, je ferai un bref retour dans l'histoire et je remontrerai aux années 1850, à l'époque de John Stuart Mill, grand théoricien politique du siècle dernier. John Stuart Mill était démocrate et voulait accorder le vote à toutes les classes de la société, y compris aux femmes, car il estimait que c'était juste. Il affirmait également que le vote universel était inévitable, et qu'il fallait cesser d'en parler pour l'imposer enfin.

Mais une chose importante le préoccupait. D'après lui, dès que l'on accordait à tous le droit de vote, les partis politiques de masse allaient commencer à se former et à revendiquer les députés qui deviendraient alors la propriété du parti. Une fois que les politiciens se sentent redevables à un parti, ils perdent leur indépendance, et un gouvernement responsable devient alors improbable. Pourquoi? Parce que le Parlement doit être en mesure de contrebalancer de façon efficace les pouvoirs de l'exécutif et que, pour ce faire, il faut que les députés soient indépendants.

John Mill, qui avait de la vision, avait prévu la situation délicate dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui et avait même offert une solution. Il s'inquiétait de cette éventualité jusqu'à ce qu'il découvre la proposition de Thomas Hare, qu'il qualifia même d'invention, à savoir le vote unique transférable, qui aboutit à des résultats proportionnels, maintient les liens avec la population locale et, en même temps, remet les partis à leur place. Il écrivit ceci à Hare:

    Vous semblez avoir résolu correctement et pour la première fois le problème que pose la représentation populaire; ce faisant, vous avez dissipé le nuage de pessimiste et d'incertitude qui pesait sur l'avenir des gouvernements représentatifs et, conséquemment, de la civilisation.

Passons maintenant en 1892, à Toronto et à un célèbre Canadien, Sir Sanford Fleming dont la célébrité est due au temps universel de Greenwich. Il prononça un jour un discours à Toronto intitulé «On the Rectification of Parliament» qui est devenu un document très important. Il partageait les craintes de John Stuart Mill sur l'influence des partis. En outre, il avait constaté que le pouvoir qui était autrefois entre les mains du Parlement était en train de passer aux mains du conseil des ministres, et croyait que cette évolution sonnait le glas des gouvernements responsables. Voici qu'il a dit:

    Il a été établi qu'au lieu que les représentants du peuple exercent le pouvoir suprême, le pouvoir entier de l'État est détenu de façon absolue par une minorité, voire une minorité excessivement faible. Par conséquent, nous échouons complètement à former ce que l'on appelle un gouvernement représentatif.

    politiques tient à un système électoral incomplet, voire complètement faux. La méthode que nous utilisons prive de son droit de vote la moitié de la population qui a droit d'être représentée au Parlement et, sans aucun doute, constitue la grande tare de notre système politique, c'est-à-dire le grain de sable dans l'engrenage de notre appareil constitutionnel.

• 1120

J'ai mentionné Fleming et j'ai mentionné Mill. Tous deux ont affirmé que la réponse, c'était d'opter pour un système de scrutin largement proportionnel. Ils ont même demandé que l'on opte pour le vote unique transférable. Ces hommes avaient entrevu le problème auquel nous sommes confrontés aujourd'hui. Mill s'inquiétait du pouvoir des partis, et Fleming de celui du conseil des ministres. Or, aujourd'hui, même le conseil des ministres qui est contourné en faveur du cabinet du premier ministre.

Voici ce qu'écrit Don Johnston dans son mémoire:

    L'imposition de la discipline de partis à la Chambre des communes a érodé la valeur de l'institution. Elle a transformé des députés intelligents, vigoureux et créatifs en eunuques. Elle a dévalué les comités permanents. Elle a permis au conseil des ministres de s'arroger toute élaboration valable des politiques gouvernementales. Pis encore, elle a permis au cabinet du premier ministre d'émasculer le conseil des ministres.

Cette concentration excessive du pouvoir est le défaut majeur du système. Nous en sommes conscients, et les Canadiens en sont de plus en plus conscients. Si on lit «Governing from the Centre» ouvrage écrit par Don Savoie, on retrouve certains des arguments mentionnés plus tôt. Il faut réagir, et la seule façon de corriger cette distribution du pouvoir, c'est de modifier le système électoral.

M. Boyer vous a fait certaines suggestions. Pour ma part, je suggère que vous posiez les mêmes questions que je vous pose dans un forum public et que vous laissiez les Canadiens décider, car à chaque fois que les politiques—et en particulier les ministériels—se mettent à vouloir modifier les règles visant à former le gouvernement, règles qui leur ont permis d'accéder pouvoir et qui empêchent les autres d'y accéder, ils ont affaire à un énorme conflit d'intérêts. Laissons la population décider. S'il est une question qui doit être tranchée après un débat et une discussion publics et qui doit être ratifiée par la population au moyen d'un référendum, c'est bien celle-ci. C'est ainsi que la Nouvelle-Zélande a modifié son système électoral. C'est aussi ce que Tony Blair a promis à la population de l'Angleterre, et c'est pourquoi je vous exhorte à faire de même.

Merci.

Le président: Merci. Ce sont là des questions intéressantes que vous avez soulevées, certaines idéologies et d'autres pratiques, mais toutes politiques.

Nous commençons le tour de cinq minutes par M. White.

M. Ted White (North Vancouver, Réf.): Monsieur Freeman, vous avez mentionné la publicité électorale faite par des tiers. Pouvez-vous me donner l'exemple d'élections au Canada ou un candidat ou un parti n'aurait pas eu les ressources nécessaires pour répondre adéquatement à une campagne de publicité faite par un tiers? Autrement dit, donnez-moi un exemple précis d'un cas où la richesse des tiers a entraîné la défaite d'un candidat.

M. Aaron Freeman: Au cours des dernières élections fédérales, plusieurs candidats étaient ciblés par la National Citizen Coalition, qui a fait paraître 250 000 $ environ de publicité dans douze circonscriptions du Canada. Jim Hawkes était ciblé tout particulièrement, car il était le député qui avait réussi à faire accepter le plafond des dépenses électorales par des tiers. Pardon, Jim Hawkes avait été ciblé au cours de la campagne électorale de 1993. Toutefois, au cours de la dernière campagne, la National Citizen Coalition ciblait douze candidats additionnels. Deux syndicats ont dépensé 200 000 $ chacun pour accuser les libéraux de ne pas avoir tenu leurs promesses. Lors de l'élection partielle à laquelle elle se présentait, Sheila Copps a été elle aussi la cible de la National Citizen Coalition dans une série de panneaux réclames. L'exemple le plus célèbre, c'est sans doute celui des élections de 1988, qui mettait l'accent sur l'accord de libre-échange, et à l'occasion de laquelle le milieu des affaires a dépensé quelque 13 millions de dollars, selon l'évaluation de Don Macdonald, c'est-à-dire dix fois plus que les opposants à l'accord du libre-échange.

M. Ted White: Mais vous ne m'avez pas donné un seul exemple d'un candidat dont les ressources aient été insuffisantes pour contrer les arguments invoqués contre lui ou dont le siège a été perdu grâce à la publicité électorale par un tiers.

M. Aaron Freeman: Vous soulevez deux questions. Vous savez tous sans doute que les candidats ont droit à quelques 60 000 $ pour mener toute leur campagne électorale. Ce budget ne leur permet pas de faire de la publicité télévisée pour répondre aux autres messages télévisés dont ils sont la cible, étant donné leurs autres dépenses comme leurs frais généraux, leur loyer, etc.

M. Ted White: Oui, je connais tout cet aspect philosophique.

M. Aaron Freeman: J'en arrive à votre question.

• 1125

M. Ted White: Je vous demande simplement si vous avez des exemples précis à nous fournir de candidats qui ont été injustement déboutés, par suite de publicités électorales faites par des tiers.

M. Aaron Freeman: Vous voulez savoir si la publicité achetée par des tiers peut éventuellement réussir à acheter les résultats des élections, n'est-ce pas?

M. Ted White: Non, je vous demande des exemples précis de candidats qui auraient été défaits injustement par de la publicité achetée par des tiers.

Une voix: Daine Brushett.

Une voix: [Note de la rédaction: Inaudible]... au sujet de la publicité par des tiers. C'est farfelue.

M. Aaron Freeman: Lorsque l'on parle de dépenses sur une grande échelle, cela concerne surtout la publicité télévisée: or, pour ce qui est des dépenses de publicité électorale, il est très difficile de vous donner un exemple et d'affirmer que ce sont ces publicités électorales qui ont réussi à faire élire un candidat. D'ailleurs, ce n'est pas la question qu'il faut se poser. La question qu'il faut se poser, c'est si les dépenses de publicité électorale influent sur les résultats des élections. Dans l'affirmative, c'est-à-dire si c'est l'influence indue de la publicité sur les résultats des élections qui est en cause, notre processus démocratique se heurte alors à un très grave problème.

On peut trouver des exemples sans fin qui illustrent à quel point les dépenses publicitaires influent sur les résultats des élections. L'exemple sans doute le plus célèbre dans le monde entier, c'est celui de Ross Perot. Ross Perot n'a pas acheté les résultats de l'élection, et il n'a pas non plus gagné. Toutefois, si vous considérez les questions qu'il a soulevées au cours de la campagne électorale, en utilisant chaque fois son propre argent à lui, vous constaterez qu'il a changé tout le cours de l'élection présidentielle et le cours du discours politique aux États-Unis.

M. Ted White: Que ce soit juste ou pas, nous ne sommes pas obligés de nous entendre là-dessus.

Monsieur Boyer, je ne puis souscrire avec ce que vous avez dit au début, à savoir que le projet de loi C-2 met à jour, rend plus démocratique, voire modernise la Loi électorale du Canada. C'est faux, à mon avis, car j'estime que le projet de loi ne fait que donner un nouvel ordre numérique aux paragraphes. Le projet de loi restaure la loi du bâillon et la règle illogique des 50 candidats, deux règles qui ont été annulées par les tribunaux. De plus, il entretient le favoritisme qui sévit dans tout le système.

Je vais peut-être vous demander ce que vous pensez d'une date fixe pour les élections, étant donné que la Nouvelle-zélande a institué un système qui se rapproche pas mal d'une date fixe pour les élections. De plus, le gouvernement doit publier un rapport sur l'état des finances du pays six mois avant de déclencher des élections, ce qui équivaut à donner un préavis de six mois de la date des élections.

Or, en Nouvelle-Zélande, il se trouve que dans la période qui a précédé la campagne électorale qui vient tout juste d'être déclenchée, toute activité commerciale a cessé. Personne n'osait prendre de décisions au sujet de mise en valeur, de nouveaux projets ou de nouvelles entreprises. Autrement dit, savoir exactement quand les élections seront déclenchées a le même effet que de ne pas le savoir—et ici nous avons l'effet de la spéculation. Même si le Parti réformiste prône une date fixe pour les élections, je ne suis pas sûr que l'expérience soit probante dans un sens ou dans l'autre. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

J'aimerais également aborder avec vous le défi constitutionnel que pose le système du scrutin uninominal majoritaire à un tour. Le premier ministre avait promis de changer le système électoral; il avait également promis d'abolir la TPS, et nous savons ce qu'il a fait de cette promesse là. De plus, vous êtes un habitué de la Colline, et vous savez que les chances de faire adopter des amendements sont très minces. Mais pourquoi ne proposez-vous pas le mode de scrutin à vote unique transférable?

Il me semble que ce que vous avez proposé perturberait la vie des candidats et des électeurs, tandis que le mode de scrutin à vote unique transférable utiliserait les votes qui ont déjà été comptabilisés et ne ferait que les répartir différemment. Tout cela peut se faire le même soir, ce qui permet de déclarer qu'un candidat a obtenu plus de 50 p. 100 des voix. Vous savez certainement que bon nombre des députés qui ont été élus l'ont été avec moins de 50 p. 100 voix, et certains même avec moins de 40 p. 100, ce qui illustre la nécessité de confirmer une certaine majorité. Je conviens avec vous qu'il faut changer quelque chose, mais il me semble que le mode de scrutin à vote unique transférable est sans doute la meilleure solution.

Pouvez-vous répondre à mes deux questions, je vous prie?

M. Patrick Boyer: Merci.

Pour ce qui est de désigner une date fixe pour les élections nationales, je crois qu'il faut établir un système canadien qui réponde aux besoins du Canada.

Vous avez donné l'exemple d'un autre pays. On pourrait sans doute faire remarquer que l'incertitude règne dans tous les pays du monde en période électorale. Les changements qu'entraînent les élections sont plus ou moins radicaux selon l'endroit. Dans certains pays, on ne fait que changer de gouvernement. Dans d'autres encore, après les élections le pays change de fond en comble parce que le nouveau gouvernement impose des politiques et des programmes radicalement différents de ceux de son prédécesseur. Dans notre cas, nous connaissons depuis longuement l'incertitude qui règne actuellement en période électorale—c'est-à-dire ce qu'il en coûte au système, et le coût de renonciation qui existe du simple fait que l'on ne connaît pas l'issue du vote et qu'on ne peut rien prédire des résultats—au point que nous en connaissons tous les problèmes et qu'il n'est certainement pas hors de notre portée de les résoudre.

• 1130

Les autres pays utilisent différents systèmes, et dans votre deuxième question, vous vous interrogez au sujet de toutes sortes de choses, dont les votes transférables, notamment. On peut bien tirer des leçons de ce qu'ont fait les autres pays et regarder ce qui a été couronné de succès ou ce qui a échoué.

Ce qu'a dit un jour John Robarts, alors qu'il était premier ministre de l'Ontario, m'a toujours frappé. Il souhaitait trouver des solutions à l'ontarienne pour les problèmes ontariens. À l'échelle nationale, nous devrions nous aussi chercher des solutions à la canadienne pour les problèmes canadiens, c'est-à-dire essayer de voir chez nous ce qui donnera de bons résultats.

Pour ce qui est du ballottage, ce qui marchera, c'est un système que nous connaissons déjà. Les Canadiens ont l'expérience des bureaux de scrutin et savent comment marquer leur bulletin de vote. Les Canadiens ont l'expérience du scrutin de ballottage. Autrement dit, il faut tenir compte de la culture politique des Canadiens et travailler à partir de leur expérience. Après 1974, c'est-à-dire après la réforme de la Loi sur le financement des élections, il a fallu deux élections dans certaines régions du pays, c'est-à-dire là où la culture politique évoluait plus lentement, pour faire accepter la réforme.

Les habitants de deux ou trois provinces de la région de l'Atlantique avec qui j'ai eu des contacts directs la rejetaient. Les gens disent: «D'accord, vous pouvez bien décider que nous devrons prendre compte de nos dépenses, mais nous le ferons tout simplement pas. Ce n'est pas ainsi que cela se passe ici.»

Il faut que l'évolution du processus électoral corresponde à l'expérience qu'ont les Canadiens des élections, et voilà pourquoi j'affirme que le scrutin de ballottage qui aurait lieu une semaine après les élections générales et qui se limiterait aux deux candidats ayant reçu le plus de voix serait très facile: pour que cela fonctionne, il faut que cela reste simple.

J'ai étudié tous les différents systèmes électoraux. Les trois fois où j'ai présenté ma candidature comme député fédéral, j'ai toujours eu le même résultat, 44 à 45 p. 100 des voix. Les deux premières fois, j'ai été déclaré élu, mais pas la troisième fois, alors que j'avais à peu près le même pourcentage de voix: d'ailleurs, le candidat élu n'en avait même pas 45 p. 100. Par conséquent, aucun des candidats d'Etobicoke—Lakeshore ne peut prétendre avoir jamais eu plus qu'une pluralité à cette époque là. Nous n'étions pas des députés élus avec une majorité des voix. Aujourd'hui, nous prétendons avoir un gouvernement majoritaire, simplement parce qu'il y a une majorité de députés à la Chambre des communes qui ont été élus avec 38 à 39 p. 100 du vote populaire.

Si vous vous demandez pourquoi la population est désenchantée des partis politiques et du système gouvernemental actuel, c'est à cause du résultat cumulatif de ce genre de situation au fil des ans et du fait que nous avons eu des gouvernements minoritaires consécutifs au Canada. Si je prône un système simple, celui du deuxième tour de scrutin, c'est parce que c'est possible à mettre en place.

Pourquoi deux personnes qui ont été des chefs de partis puissants au Canada—Jean Chrétien comme premier ministre du Canada et René Lévesque comme premier ministre du Québec—et qui s'étaient tous deux engagés à instaurer un système de représentation proportionnelle, n'ont-ils jamais été capables de l'instaurer? C'est parce que dès lors que des députés sont élus, ils sont entourés de titulaires de charges que ces règles satisfont. C'est facile à comprendre pourquoi. Mais qui plus est, tous les autres systèmes sont complexes au point d'en défier toute mise en oeuvre efficace.

Voilà pourquoi je prône fortement le système du scrutin de ballottage qui se tiendrait une semaine plus tard opposant les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix. C'est si simple. Nous pouvons l'instaurer, et le Canada ainsi que les députés fédéraux s'en porteront tous mieux.

M. Ted White: Me reste-t-il du temps?

Le président: Non.

M. Bergeron a cinq minutes.

[Français]

M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ): Nous sommes ici en politique et nous faisons de la politique, mais j'estime que lorsque nous écoutons des témoins, nous devons nous inspirer de leur expérience pour enrichir notre propre réflexion sur un projet de loi, et non pas tenter de convaincre les témoins de notre propre point de vue.

Cela dit, j'ai quelques questions à poser, principalement à M. Boyer, quoique je remercie les autres témoins de leur contribution, notamment M. Freeman, qui a traité de questions qui m'apparaissent fort importantes au sujet du financement des partis politiques.

J'aimerais reprendre les trois points de la présentation de M. Boyer. D'abord, sur le financement des partis, je dois dire que vous m'avez laissé un peu sur ma faim. Vous avez dressé la table, expliqué un peu le processus et décrit ce qui nous a amenés au système actuel, mais sans en arriver à une véritable conclusion puisque vous avez dit qu'il faudrait peut-être amalgamer les différentes lois. Est-ce qu'on ne passe pas sous silence le véritable problème, qui est peut-être la façon dont sont financées les élections au Canada? À cet égard, le directeur général des élections soumettait hier que d'ici quelques années, le système de financement par les sociétés n'existera plus, selon lui. J'aimerais vous entendre sur cette question par rapport au modèle québécois.

• 1135

Au sujet de la question des élections à dates fixes, je voudrais simplement savoir ce que vous pensez de l'éventualité d'un gouvernement minoritaire qui pourrait être défait en Chambre. Comment agence-t-on une telle réalité avec la proposition d'élections à dates fixes?

Quant à la question de la proportionnelle, je comprends votre suggestion. Je conviens qu'une telle proposition permettrait probablement d'avoir ici des députés qui soient plus représentatifs de leur population, dans la mesure où ils seraient élus par une majorité absolue de leurs électeurs, mais en quoi une telle élection réussirait-elle à éliminer les distorsions du système électoral actuel et à faire en sorte que les petits partis ou les idéologies un peu plus isolées soient mieux représentés à la Chambre? Je crains qu'une élection de cette nature ne risque d'accentuer le caractère bipartisan du système parlementaire britannique. Enfin, c'est l'impression que j'en ai à prime abord. J'aimerais vous entendre là-dessus également.

M. Patrick Boyer: Merci, monsieur le président.

Ce sont trois questions profondes. En ce qui concerne la première, j'estime qu'il est possible d'avoir un bureau, une commission ou une composante qui effectuerait la vérification du financement du processus politique au Canada et qui toucherait à diverses dimensions, dont le financement des partis politiques et des candidats aux élections, le rôle des lobbyistes au sein du gouvernement même, des questions qui touchent les députés et d'autres membres de la fonction publique au chapitre du financement, ainsi que les considérations non financières liées à leurs activités. Nous en sommes arrivés à une étape de l'évolution de notre démocratie vers la maturité où il faut établir certaines institutions pour régir le processus politique et avoir une perspective plus élevée afin de savoir exactement ce qui se passe au sein du gouvernement.

Nous sommes biens conscients de la nécessité du financement politique et d'une ouverture à ce niveau. Ma proposition est très simple. Nous devons d'abord reconnaître que trois fonctions existent actuellement et qu'on traite de façons différentes la même situation. On retrouve dans les lois des définitions différentes liées à l'enregistrement des lobbyistes et aux rapports en vue de contrôler le financement des partis politiques. Je crois qu'il serait préférable que nous ayons une structure et une intégration à un certain niveau, ce qui favoriserait l'ouverture et la transparence du processus politique et gouvernemental du Canada.

Vous avez en deuxième lieu soulevé la question d'une date fixe pour les élections. Puisque plusieurs de mes suggestions sont très simples, on craint les grandes répercussions qu'elles pourraient avoir. Vous avez raison de soulever le fait que cette recommandation pourrait avoir une incidence à la Chambre des communes si l'on devait tenir un vote de confiance à l'égard du gouvernement. Je crois que les votes de confiance ont eu une grande importance au plan historique, mais qu'ils ne reflètent pas la réalité de notre gouvernement moderne. Ils sont issus d'un système où il était nécessaire d'exercer un certain contrôle dans la législature. Comme l'expliquait M. Loenen, nous sommes passés à un contrôle trop strict qui empêche maintenant les députés de bien fonctionner.

• 1140

Si la Chambre des communes pouvait fonctionner sans ces règlements régissant les votes de confiance à l'égard du gouvernement, sauf lorsqu'il s'agit de mesures essentielles comme le budget, et si les députés pouvaient voter librement sans être soumis à la discipline de parti, la législature nationale du Canada reprendrait vie et on assurerait la survie de la démocratie canadienne. À l'heure actuelle, la législature nationale de notre pays est totalement soumise au contrôle de l'exécutif. Heureusement, nous avons des tribunaux indépendants. Mais la division des pouvoirs qui prévaut dans notre pays fait en sorte que la législature est presque inexistante.

À mon avis, il serait important d'établir une date fixe pour les élections de pair avec des mesures qui s'avéreraient nécessaires à la Chambre des communes, dont une révision des règles régissant les votes de confiance, afin de donner au Canada une renaissance parlementaire nécessaire.

Quel était l'objet de votre troisième question?

M. Stéphane Bergeron: La proportionnelle.

M. Patrick Boyer: D'accord. Lors des dernières élections, au moment où vous étiez élus à la Chambre des communes, le magazine Maclean's annonçait en première page:

[Traduction]

«Canada, A Country Divided». C'était la page couverture de la revue Macleans: on disait que tous les Réformistes étaient dans l'Ouest, tous les libéraux à Toronto, tous les Bloquistes au Québec et tous les Conservateurs dans la région de l'Atlantique. L'article expliquait que le Canada était un pays divisé.

Or, notre pays est l'un des plus unis au monde. Le Canada, pour ce qui est de ses valeurs culturelles, de ses pratiques sociales, de ses systèmes de communication et de son intégration financière et économique est plus uni que les prétendus États-Unis d'Amérique et que le soi-disant appelé Royaume-Uni. Nous, nous sommes très unis.

Mais ce qu'il nous manque, c'est un système électoral qui illustre cette diversité dans la façon dont il élit ses députés. La revue Macleans en imputait la faute au Canada qu'elle affirmait être un pays divisé, tout cela à cause des résultats des dernières élections générales. C'est faire du journalisme pathétique! On ne s'attendrait à plus de jugeote de la part d'un enfant qui irait se promener au cirque, dans la galerie des miroirs convexes et concaves, et qui—après avoir des petites gens se transformer en grandes personnes tout comme des minces en grosses—déclarerait à la sortie que nous sommes tous grands et gros. Ce n'est pas vrai, nous ne sommes pas tous grands et gros. Nous sommes qui nous sommes, et c'est pourquoi il nous faut un système électoral qui nous convienne, et qui ne soit pas fait de miroirs convexes et concaves qui déforment la réalité de ce qu'est le Canada.

Voilà pourquoi, même si le système de ballottage n'illustrera pas de façon parfaite le vote populaire, faute d'être un miroir totalement plat comme peut l'être le système de la représentation proportionnelle, je suis d'avis que nous nous en rapprocherons de beaucoup plus près et beaucoup plus facilement. Ce régime sera tellement simple, que les critères de proportionnalité et d'équilibre en découleront.

S'il y a un deuxième tour de scrutin, on se retrouvera dans certaines circonscriptions avec un candidat libéral et un Conservateur, dans d'autres avec un candidat néo-démocrate et un candidat libéral. Toutes les combinaisons seront possibles. Il vous suffit de regarder quels ont été les résultats des quelques dernières élections pour voir qui est arrivé premier et qui est arrivé second: cela varie énormément d'un bout à l'autre du pays.

Personne ne pourra prédire l'issue du vote. Prenez, par exemple, le comté de Spadina à Toronto, qui était un comté fortement libéral représenté autrefois par Peter Stollery. Lorsque Jim Coutts, qui travaillait au cabinet du premier ministre, a voulu devenir député à la Chambre des communes, on s'est organisé pour nommer M. Stollery au Sénat, libérant ainsi un siège qu'on a offert à M. Coutts, parachuté candidat libéral à Spadina. Ce devait être du tout cuit, sauf que les Néo-démocrates ont réussi à persuader les électeurs de la circonscription qu'ils étaient bons deuxièmes. Ils n'ont jamais fait la campagne électorale en affirmant qu'ils gagneraient le siège; ils ont tout simplement continué à affirmer qu'ils étaient bons seconds.

• 1145

Beaucoup de gens n'ont pas aimé la façon dont cette élection partielle avait été orchestrée, car on semblait plus s'intéresser à la carrière des candidats qu'à bien représenter les habitants de cette circonscription. La population a donc voulu choisir autrement, et voilà pourquoi beaucoup de Conservateurs ont voté pour Dan Heap, candidat néo-démocrate. Dan Heap s'est donc retrouvé député à la Chambre des communes, représentant d'un comté traditionnellement libéral.

Ce que j'essaie de vous dire, c'est que même si on regarde les résultats des élections précédentes, personne ne pourra prédire quel sera le résultat des élections futures dès lors que le scrutin de ballottage sera instauré. Lorsque j'étais candidat, nous étions neuf à onze à être inscrits sur le bulletin de vote, et quatre ou cinq d'entre nous étaient très forts comme candidats. Il est insidieux dans une démocratie de demander à la population de choisir de façon définitive celui qui sera son représentant, à partir de cinq candidats.

C'est une bien belle façon tout à fait raisonnable, démocratique et pratique de dire qu'on fait un choix préliminaire et que, si l'on n'obtient pas la majorité, et tant mieux si on peut l'avoir, on aura un deuxième scrutin. Ce pourrait être les Canadiens, les Rangers de New York ou une autre équipe et nous verrons alors qui pourra remporter la coupe Stanley, c'est-à-dire qui viendra siéger à la Chambre des communes.

Le président: Les questions et les réponses sont intéressantes, mais c'est un peu longuet. Nous devons essayer d'aboutir d'ici 15 minutes. Il y a encore des députés qui veulent poser des questions.

Je vais donner la parole à Mme Bakopanos pour cinq minutes.

Mme Eleni Bakopanos (Ahuntsic, Lib.): Merci beaucoup.

Je vous remercie beaucoup de vos observations. Je vais commencer par M. Freeman.

Je trouve ce genre de publicité très inquiétante et je vais vous dire pourquoi. Combien un arbitre de la LNH gagne-t-il?

M. Aaron Freeman: Je n'en ai pas la moindre idée.

Mme Eleni Bakopanos: Certainement plus qu'un député, je pense.

Combien un joueur de la Ligue nationale gagne-t-il? Il gagne des millions de dollars de plus qu'un député. Vous dites que vous ne permettez pas une telle chose dans le sport, mais il faut aussi comparer ce qui se passe dans les deux cas.

Je sais que vous essayez de dire quelque chose au sujet des dons, mais il me semble que vous avez recours à des arguments massue au sujet d'une question dont nous avons discuté. Si la société n'accorde pas à ceux qui font un certain travail la rémunération convenable, c'est aussi un problème pour la société. Vous n'en avez pas parlé. Il me semble qu'aucun intervenant jusqu'ici n'a parlé du fait que les représentants élus du peuple canadien ne sont pas rémunérés convenablement pour leur travail. Plus nous dévaluons le travail, sur le plan monétaire et autrement, moins de gens compétents vont se porter candidats. C'est ce que j'en pense.

Vous dites aussi dans votre communiqué que nous ne savons pas qui fait des dons aux associations de circonscription, aux candidats entre les élections ou par l'entremise d'organismes fictifs. À ma connaissance, dans le cas du Parti libéral du Québec et du Parti libéral fédéral, pour lesquels j'ai travaillé pendant bien des années, on fait la comptabilité de tous les dons. Mon association ne reçoit rien qui n'est pas comptabilisé. Quand je reçois un don, mon parti émet un reçu et le montant est divisé en trois, un tiers pour le parti, un tiers pour mon association de circonscription et un tiers dans un compte de fiducie pour les élections. Chaque don est comptabilisé.

Le trésorier de mon association de circonscription rend des comptes régulièrement à l'association et lui présente, aussi régulièrement, des rapports sur ce qu'on a dépensé et pourquoi. L'association rend aussi des comptes au parti une fois par an. Je sais qu'il n'y a pas de vérificateur, mais il y a reddition de comptes.

Quand vous dites que nous ne savons pas d'où viennent les dons, je dois vous dire que tout est relatif. Je ne sais pas de quoi vous voulez parler, mais d'après ce que j'ai constaté auprès de mon association, il y a imputabilité parce qu'il existe un mécanisme pour rendre compte de chaque don.

C'est ma première question. Je passe à M. Boyer. Je vais poser toutes mes questions en même temps.

Au sujet de la majorité de 50 p. 100 plus un, supposons qu'il y a sept personnes pour des élections et que, la première fois, 49 p. 100 des électeurs vont voter. Il n'y a pas de majorité claire. Sept jours plus tard, vous demandez aux mêmes électeurs de retourner voter mais à cause de l'apathie de l'électorat, le pourcentage de ceux qui voteront sera plus faible. Bien sûr, ce n'est qu'une hypothèse. Il pourrait y en avoir plus, mais supposons qu'il y en ait moins. Supposons que 10 p. 100 des électeurs aillent voter, et, bien sûr, j'exagère. Le candidat qui avait 49 p. 100 des voix ou un autre pourcentage est défait parce que ceux qui avaient voté pour lui ne voulaient pas retourner voter une deuxième fois. Celui qui s'était classé deuxième remporte donc les élections. Est- ce une possibilité selon votre système de scrutin de ballottage?

• 1150

La troisième question s'adresse à M. Loenen. J'ai trouvé votre diagramme fort intéressant. Comment dois-je l'interpréter? Cela veut-il dire que les deux sièges remportés par les Conservateurs en 1993 représentaient chacun un million de votes et que mon siège à la Chambre des communes comme députée libérale ne représentait que 31 000 votes. Cela me trouble beaucoup qu'on puisse avoir de tels diagrammes sans expliquer le contexte.

Ce sont mes questions, monsieur le président.

Le président: Voyons maintenant quelles sont les réponses. Y a-t-il une réponse? Monsieur Freeman.

M. Aaron Freeman: Merci.

Vous m'avez posé deux questions et je vais y répondre séparément. La première avait trait à un communiqué d'une page où nous faisons une comparaison financière avec les arbitres au hockey. À mon avis, cette analogie est tout à fait appropriée. Nous ne parlons pas ici, et la loi électorale n'en parle pas non plus, de la rémunération des députés. Il ne s'agit pas de comparer les salaires des arbitres, des joueurs de hockey ou des députés. Nous pourrions essayer de voir si ces salaires sont suffisants ou s'il reflètent bien la situation économique et la réalité politique.

En réalité, ce que vous nous voulons dire, c'est que, dans n'importe quel sport, peu importe combien on paie les arbitres ou les joueurs, au hockey mineur... Nous n'aurions peut-être pas dû nous servir de la Ligue nationale. Nous ne mentionnons pas la Ligue nationale dans notre communiqué. Cependant, dans les ligues mineures, dans le hockey junior n'importe où au Canada, si on apprend qu'une équipe donne de l'argent à l'arbitre ou que les deux équipes donnent de l'argent à l'arbitre, et peut-être qu'une équipe en donne un peu plus que l'autre, il y aurait un scandale. Cela ferait les manchettes des journaux. À notre avis, l'analogie est tout à fait appropriée. Les députés et le parti au pouvoir jouent un rôle d'arbitres sur la scène politique.

Une telle chose serait-elle plus scandaleuse dans le sport qu'en politique? Le sport a-t-il plus d'importance pour nos vies que la politique? Je trouve l'analogie très appropriée et je suis prêt à la défendre.

Je ne peux pas vraiment dire si le traitement des députés est suffisant ou non. Ce que je n'aime pas, c'est que ceux qui ont le plus gros enjeu dans la prise de décisions du gouvernement financent le processus de prise de décisions. C'est ce qui se passe au Canada et c'est ce qui mérite réflexion.

Si vous songez à ceux qui donnent le plus à chaque parti, vous verrez que ce sont ceux qui ont le plus en jeu dans les décisions du gouvernement. Je veux parler des industries réglementées. Je veux parler des cinq grandes banques du Canada. Je veux parler des entreprises qui obtiennent le plus de contrats du gouvernement. Ce sont toujours les mêmes. On peut dire la même chose de presque tous ceux qui donnent le plus aux partis. Par exemple, il n'y a pas beaucoup d'industries réglementées à l'échelle provinciale sur la liste. Ce sont des noms qu'on ne trouve pas sur la liste.

Votre deuxième question avait trait à ce que nous considérons comme étant des échappatoires dans le système de divulgation. Ce serait peut-être une bonne chose de passer ces échappatoires en revue. Essentiellement, vous m'avez demandé de vous croire sur parole quand vous dites que vous n'avez pas exploité ces échappatoires. Je ne vous connais pas...

Mme Eleni Bakopanos: Ce n'était qu'un exemple. Je ne pense pas être la seule dans cette situation.

M. Aaron Freeman: Le fait est que j'ignore si vous êtes la seule et les Canadiens ne le savent pas non plus.

Mme Eleni Bakopanos: On peut le vérifier. C'est exactement ce que j'ai dit. Vous pouvez vérifier.

M. Aaron Freeman: Je peux vérifier pour voir les noms que vous avez divulgués, mais je ne peux pas savoir, par exemple, si vous avez exploité une échappatoire au niveau de l'association de circonscription.

Par exemple, si l'on prend le cas de deux anciens députés, dont un était ministre, Doug Young, d'Acadie-Bathurst, on peut voir que, pour la dernière campagne électorale, on a fait état dans sa circonscription électorale d'un seul don et c'est tout. Tout son budget venait de son association de circonscription et nous n'avons pas la moindre idée de qui a pu contribuer à l'association de circonscription.

• 1155

Nous ne savons pas du tout non plus qui fait des dons aux députés entre les périodes électorales parce que les députés doivent faire rapport des dons uniquement pendant cette période de cinq semaines. Le système de divulgation ne s'applique pas du tout aux élections à la direction des partis. Chacun des partis demande simplement au public de lui faire confiance même si, bien sûr, chacun a intérêt à cacher toute irrégularité.

Je parlais à un candidat à la direction du Parti conservateur qui m'a dit que, quand son parti l'a avisé des règles, on lui a dit qu'il avait le choix. S'il voulait donner un reçu pour un don, il devrait le divulguer, mais s'il ne donnait pas de reçu, il ne serait pas obligé de le divulguer.

C'est peut-être satisfaisant dans certains cas et bon nombre des échappatoires font partie de cette catégorie, c'est-à-dire qu'on peut exploiter l'échappatoire, mais celui qui fait le don n'obtiendra pas de reçu. Cela pose donc quelques problèmes. D'abord, selon la commission Lortie, seulement le cinquième, c'est- à-dire une entreprise sur cinq admissible à recevoir un reçu aux fins d'impôt, le réclament en réalité. Ce n'est donc pas ce qui compte. Dans le cas des particuliers, la proportion allait du tiers aux deux tiers. On ne réclame donc pas de crédit d'impôt de toute façon.

Deuxièmement, on peut réclamer le crédit d'impôt seulement jusqu'à concurrence de 500 $, et ce, pour un don de 1 150 $. Ce pourrait aussi être un don de 100 000 $. Une fois le maximum atteint, vous pouvez vous servir d'une échappatoire pour faire d'autres dons. Autrement dit, vous n'aurez pas de crédit d'impôt supplémentaire. Il y a donc plusieurs difficultés si on veut que le reçu garantisse la divulgation.

Bien sûr, l'autre problème relié à la divulgation a trait au délai. Si je fais un don de 100 000 $ cette année, personne ne le saura avant juillet prochain. Si je fais un don en janvier, personne ne le sait pendant 18 mois. Non seulement ne sait-on pas qu'il y a eu un don, mais on ne sait pas non plus quand il a été fait. On ne peut pas savoir s'il a été fait en janvier, en juillet ou en décembre.

Par conséquent, si la Société Onex, par exemple, qui a donné beaucoup d'argent au Parti libéral dans le passé, fait encore un don au parti l'année prochaine, nous l'apprendrons en juillet et nous ne saurons pas du tout si Onex a fait ce don avant de faire son offre le fusionnement, pendant ou après le rejet de son offre. Ce sont les genres d'échappatoires qui existent dans le régime de divulgation et je vous remercie d'avoir posé une question qui me permette de l'expliquer.

M. Patrick Boyer: Ma réponse est non. L'apathie qui vous inquiète à juste titre existe déjà dans le système actuel et c'est en partie pour cela que je propose cette amélioration. En réalité, si la participation électorale diminue, comme cela semble être le cas chaque fois qu'il y a des élections, on pourrait obtenir un revirement de cette tendance si les électeurs pouvaient se rendre aux bureaux de scrutin une semaine plus tard et faire un choix réel entre deux candidats. Dans l'intervalle, les deux candidats feraient beaucoup pour stimuler l'intérêt et l'attention des électeurs partout dans la circonscription, et, à mon avis, plus d'électeurs iraient voter parce qu'ils sauraient qu'ils ont vraiment le choix.

À la fin de votre question, vous avez parlé de la possibilité, en reconnaissant vous-même que vous exagériez les chiffres, qu'on élise le candidat qui s'était classé deuxième la première fois. Il ne s'agit pas de savoir qui est le meilleur, le deuxième ou le troisième. Nous sommes une démocratie. Ce sont des élections. Il s'agit de savoir qui obtient le plus de voix et il s'agit de compter les voix. Ce sont les chiffres qui comptent.

Nous ne parlons pas ici de la théorie ou de l'idéologie de la démocratie, ni des institutions ou des procédures que cela comporte. Cet aspect de la démocratie consiste à compter le nombre de bulletins de vote. Il ne s'agit donc pas de savoir qui se classe au deuxième rang, mais plutôt qui a obtenu le plus de voix.

Le deuxième choix, ce serait le système actuel qui a permis à beaucoup de gens—y compris moi-même les deux fois où j'ai été élu ici—de devenir député et de faire des déclarations à l'Assemblée nationale sans avoir jamais obtenu l'appui majoritaire des gens qu'ils représentaient. Je ne pense pas que ce système soit viable et c'est peut-être une des raisons pour lesquelles le Parlement perd de son influence.

• 1200

Le président: M. Loenen veut répondre.

Je tiens simplement à souligner que chacun des partis a eu un tour de cinq minutes à rallonge. Il est maintenant midi...

M. Patrick Boyer: Quel président!

Le président: ... et M. Loenen va pouvoir répondre, mais chers collègues, ceux d'entre vous qui désirent poser des questions pourront poser une seule question sans préambule. Cela nous permettra de terminer l'audition de ce groupe de témoins et de passer bientôt au groupe suivant.

Monsieur Loenen, vous désirez répondre à cette dernière question?

M. Nick Loenen: On m'a demandé d'interpréter le tableau à partir duquel j'affirme qu'un vote libéral avait 34 fois plus de poids qu'un vote conservateur. C'était aux élections de 1993. Lors de ces élections, plus de deux millions de Canadiens on voté pour les Conservateurs, mais ces derniers n'ont obtenu que deux sièges. C'est la ventilation du nombre de votes par siège. Cela ne vise pas directement votre localité ou ce qui s'est passé dans votre circonscription.

Vous dites avoir trouvé ces résultats sidérants. Je les trouve sidérants moi aussi.

Si vous le permettez, monsieur le président, je sais que vous voudriez couper la parole à tout le monde, mais comme personne n'écoute...

Le président: Monsieur Loenen, je tiens seulement à souligner que je n'ai coupé la parole à personne. C'est pourquoi nous avons dépassé l'heure prévue, je vous demanderais donc de bien vouloir changer d'opinion quant à ce que j'ai fait ou n'ai pas fait.

M. Nick Loenen: Désolé.

Le président: Maintenez-vous que je coupe la parole aux gens?

M. Nick Loenen: Je m'en excuse. Je me suis mal exprimé.

Le président: Merci beaucoup.

M. Nick Loenen: Je m'en excuse.

Le président: Je ne vais pas vous couper la parole. Je vais vous laisser poursuivre votre réponse.

M. Nick Loenen: Je m'excuse. Quand c'est sorti, je me suis rendu compte que je n'aurais pas dû m'exprimer de cette façon.

Le président: Très bien. Continuez.

M. Patrick Boyer: Il faisait allusion, je crois, au fait que j'écrivais pendant qu'il parlait. Cela ne visait pas les membres du comité.

M. Nick Loenen: Je voulais simplement dire ceci. Il a été longuement question de diverses solutions. Je suis à la recherche de solutions depuis longtemps. Dès que vous examinez des systèmes différents, tout devient assez complexe et difficile.

Je crois qu'il faudrait s'inspirer de ce qu'a fait le Parlement britannique. Il a donné des instructions à la Commission Jenkins. Il lui a dit: voici nos objectifs, alors trouvez-nous une solution qui tiendra compte de nos particularités géographiques, de notre histoire politique bien particulière, etc. Il a dit qu'il voulait un système largement proportionnel, ce qui revient à dire qu'il voulait un système selon lequel la plupart des votes compteraient. Il voulait un système qui assurerait un gouvernement stable, car on ne voulait pas d'instabilité. Il voulait un système qui ferait le lien entre un député et une certaine zone géographique de même qu'un système qui laisserait un plus grand choix aux électeurs.

Un comité comme le vôtre devrait s'inspirer de cet exemple au lieu de discuter de tous les détails techniques de tel ou tel système, car ce sont les décisions politiques générales que la plupart des Canadiens approuveraient sans doute.

Merci beaucoup.

Le président: Merci.

Je vais maintenant vous limiter à une question par membre du comité. C'est ce que je préférerais. Comme on ne semble pas y voir d'objection, ce sera d'abord M. Harvey, ensuite M. Solomon, M. Wappel, Mme Catterall et M. Anders.

Essayons cela, monsieur Harvey.

[Français]

M. André Harvey (Chicoutimi, PC): Il est dommage que le temps nous presse, mais je respecterai l'horaire auquel vous êtes soumis. Je suis capable de comprendre les intérêts politiques qui sous-tendent cette approche, mais je trouve que nous procédons de façon extrêmement rapide, voire même quasi marathonienne. Ce n'est sûrement pas la meilleure manière de jeter un peu d'éclairage sur toutes nos préoccupations. Ne vous en faites pas, je ne poserai qu'une brève question. Nous avons toujours des témoins de très grande qualité et j'ose dire qu'en procédant de cette façon, nous agissons de façon un peu irrespectueuse à leur égard.

• 1205

Je me permets quand même de poser une seule petite question à M. Boyer et de féliciter les deux autres témoins. Si je comprends bien, monsieur le président, en politique comme ailleurs, il ne faut pas penser qu'on peut tout faire. Il faut en laisser à ceux qui nous suivent, n'est-ce pas? Ainsi, les corrections que nous apporterons ne seront que des corrections partielles.

J'aimerais poser ma question à M. Boyer, avec qui j'ai eu le plaisir de siéger à la Chambre des communes. Je voudrais le féliciter tout particulièrement d'avoir continué à s'intéresser à la réforme parlementaire. Très peu nombreux sont les anciens députés qui continuent de se préoccuper du parlementarisme canadien.

La question du financement des campagnes électorales nous préoccupe tous et on semble toujours avoir peur d'aller au bout de notre pensée, sauf peut-être en ce qui concerne le financement populaire au Québec.

Puisque les Canadiens soupçonnent qu'il arrive parfois que des intérêts un petit peu occultes puissent motiver certains gros donateurs, pensez-vous qu'ils seraient prêts à ce que le gouvernement majore sa participation aux campagnes électorales afin que nous soyons tous assurés que le processus démocratique est respectueux de tous les intérêts des Canadiens, et non pas seulement de certains intérêts élitistes? C'est ma seule question, monsieur le président.

M. Patrick Boyer: Vous nous recommandez d'adopter une Loi électorale semblable à celle du Québec?

M. André Harvey: Oui.

M. Patrick Boyer: Oui. Où seuls les citoyens...

M. André Harvey: Non. Même si nous n'adoptions pas à 100 p. 100 le modèle québécois, pensez-vous que les Canadiens seraient d'accord pour que le gouvernement fédéral—ça ne coûte pas un milliard de dollars, une campagne électorale—participe encore plus activement aux campagnes électorales nationales?

M. Patrick Boyer: Je ne sais pas ce que la population canadienne pense, mais je sais bien que les candidats et les partis politiques ont besoin d'argent pour fonctionner. Nous avons deux sources: les subventions du gouvernement et les contributions du secteur privé.

Au cours des 25 dernières années, nous avons réussi à établir un certain équilibre entre les deux. À mon avis, il est possible de donner un plus grand rôle au financement public des partis et des candidates. D'ailleurs, on propose dans le projet de loi de doubler certains montants. Il faut également continuer à exercer des contrôles réels afin de s'assurer que ceux qui s'engagent dans ce processus seront protégés contre de grandes dépenses qui risqueraient de bouleverser leur vie privée, le rôle des partis et la vie politique du pays même.

M. André Harvey: Vous aimeriez intervenir, monsieur?

[Traduction]

Le président: Une brève réponse, monsieur Freeman.

M. Aaron Freeman: J'allais répondre très brièvement.

Si vous remplacez la totalité des subventions du système actuel par un financement public complet—ce que nous ne préconisons par, mais c'est simplement pour vous donner une idée de ce que cela représente—cela coûterait environ 30 millions de dollars par an. C'est à peu près un dollar par Canadien. À notre avis, ce n'est pas payer très cher pour avoir des élections équitables.

Mais même si vous ne voulez pas puiser le moindre sou dans les recettes de l'État, il serait très facile de rentrer dans ses frais en supprimant la déduction accordée aux entreprises pour frais de lobbying, qui coûtent aux Canadiens 100 millions de dollars par an ou en permettant aux contribuables de cocher une case sur leur déclaration d'impôt pour verser leurs contributions. Cela ne comprend évidement pas les sommes que nous pourrions obtenir sous la forme de petites contributions et d'autres mesures telles que l'augmentation du temps d'antenne gratuit.

[Français]

M. André Harvey: Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Monsieur Wappel, monsieur Anders et madame Catterall.

M. Tom Wappel (Scarborough-Sud-Ouest, Lib.): Merci, monsieur le président. Bien entendu, je suis un néophyte, mais j'ai une question à poser.

Démocratie en surveillance a présenté une liste de recommandations. La onzième recommandation porte sur la course à la direction d'un parti. J'ai participé à ce genre de course et je suis donc très bien placé pour savoir ce qui s'est passé lors des discussions à huis clos, mais c'est une question qui regarde le parti.

• 1210

Chaque parti a ses propres règles et je dirais que la mise en candidature de chaque candidat de chacun des partis est une sorte de course à la direction du parti qui se déroule dans les 301 circonscriptions du Canada. Voulez-vous dire que la recommandation 11 devrait également s'appliquer à la présentation des candidatures dans chacun des partis? Comment pouvez-vous justifier qu'on s'ingère dans les règles d'une organisation privée?

M. Aaron Freeman: Je vais répondre séparément à chacun des éléments de votre question.

Si j'ai bien compris, vous avez d'abord demandé comment, étant donné que les partis sont des organismes privés, nous pouvons justifier de superviser leurs activités et d'intervenir dans leurs activités? Ensuite, vous voulez savoir si nous préconisons de combler les lacunes, au niveau local, pour ce qui est de la course à la direction du parti.

Pour ce qui est de votre deuxième question, nous n'avons pas pris position quant à savoir si cette règle devrait s'appliquer au niveau de la circonscription locale, mais je ne vois pas ce qui s'y oppose. La question que vous soulevez ici est la suivante: c'est une chose que d'appliquer cette règle à un candidat à la direction du parti, mais c'est trop exiger d'un candidat local qui dispose de très peu de temps et d'argent. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas avoir un certain niveau de divulgation au niveau local, car en fait il est seulement question ici d'une liste des donateurs. Nous ne l'avons pas recommandé formellement. Nous n'avons pas pris position à ce sujet.

Votre deuxième question est davantage d'ordre idéologique et elle est soulevée chaque fois que les députés examinent le financement des partis politiques. Comme l'un des argentiers du Parti libéral me l'a dit un jour, les partis politiques sont des organismes privés qu'il faut laisser établir leurs propres règles et se surveiller mutuellement.

Selon nous, le rôle que les partis politiques jouent dans le processus démocratique exige qu'ils respectent un certain niveau de transparence. Selon le raisonnement voulant qu'on ne puisse pas les réglementer parce qu'il s'agit d'un organisme privé, nous ne devrions pas les obliger à divulguer quoi que ce soit. Je ne vois aucune raison pour ne pas appliquer aux courses à la direction du parti les obligations que nous imposons actuellement aux candidats et aux partis. Il s'agit seulement d'étendre les mêmes obligations de divulgation à un secteur qui n'est pas encore couvert et qui devrait l'être.

Étant donné que ces obligations sont imposées aux partis et aux candidats, il n'y a aucune raison de ne pas les imposer également aux candidats à la direction du parti. Ce sont les gens qui deviendront les leaders du pays. Si Jean Chrétien démissionnait demain et si l'on organisait un congrès pour le remplacer, ceux qui financeront cette campagne ne joueront-ils pas un rôle aussi important que ceux qui contribuent au financement d'un parti politique ou d'un candidat pendant des élections? C'est du dirigeant du pays dont nous parlons ici.

Le président: M. Boyer a dit qu'il voulait répondre, mais nous manquons de temps.

Je vais vous accorder dix secondes, monsieur Boyer.

M. Patrick Boyer: Je dirais que ce n'est pas une activité entièrement privée au cours de laquelle les partis choisissent leurs chefs étant donné que les trois partis, le Parti libéral, le Parti progressiste-conservateur et le nouveau Parti démocratique, au moins ces trois partis que je connais—se sont servis des reçus que la Loi électorale permet de délivrer pour les contributions. Étant donné la façon dont ces dons ont été canalisés vers la campagne à la direction du parti, le public a subventionné le processus. Du fait que le parti peut délivrer ces reçus pour le choix de son chef, il fait intervenir l'intérêt public.

M. Tom Wappel: Dommage que je ne l'ai pas su avant.

Le président: Monsieur Anders, pour une question rapide, suivi de Mme Catterall.

M. Rob Anders (Calgary-Ouest, Réf.): Ma question s'adresse à M. Freeman. Je suis d'accord avec un certain nombre de choses dont il a parlé, mais je voudrais revenir sur une question.

• 1215

Vous avez cité l'exemple de la National Citizens' Coalition qui s'en est pris à l'un des députés Sheila Copps, qui a quand même gagné ses élections. Vous avez cité l'exemple d'organisations commerciales qui étaient pour le libre-échange, mais dont la majorité des membres ont voté pour des partis et des candidats qui s'y opposaient. Mon parti était pour le libre-échange, soit dit en passant. J'ai donc pris note de cet exemple.

Le troisième exemple que vous avez donné du financement par un tiers était celui de Jim Hawkes, l'ancien député de Calgary-Ouest. Voulez-vous dire que c'est l'argent de tiers qui a contribué à la défaite de M. Hawkes? Prétendez-vous qu'il n'y pas eu d'autres facteurs?

En dernier lieu, quelqu'un comme Ross Perot, la National Citizens' Coalition ou qui que ce soit d'autre ne pourrait-il pas influencer le débat au Canada?

M. Aaron Freeman: Je ne répéterai pas ce que j'ai dit tout à l'heure pour répondre à la question de M. White. Mais je réitérerai que la question n'est pas de savoir si l'argent permet d'acheter les résultats d'une élection. Le problème ne se situe pas à ce niveau-là. Il s'agit plutôt de se demander si l'argent influe sur les élections? Nous avons souvent constaté que c'était le cas.

En plus de ce que j'ai dit tout à l'heure, je mentionnerais une étude de Donald MacDonald, l'ancien chef de la Commission sur le financement des élections de l'Ontario, de même que des études approfondies qui ont analysé le comportement des électeurs. Elles concluent, les unes après les autres, que dans la plupart des élections, c'est la publicité à la télévision qui influençait le plus leur comportement. On l'a constaté en posant aux électeurs des questions guidées ou non guidées en leur offrant une série d'options, par exemple à l'occasion des débats des chefs. Selon l'étude MacDonald, la publicité télévisée représentait le principal facteur qui influençait les électeurs lors du débat des chefs, dans une proportion d'environ 37 p. 100. C'est le premier facteur qui influence le comportement des électeurs et c'est également la principale dépense que les partis font lors d'une campagne électorale. C'est ce qui permet, plus que n'importe quoi, aux groupes d'intérêts et aux partis d'influer sur le résultat des élections et c'est une chose pour laquelle vous avez besoin de beaucoup d'argent.

C'est donc ce dont nous parlons vraiment ici lorsqu'il est question du financement de tiers. C'est pour la publicité et surtout la publicité à la télévision. Les études démontrent que cela a une influence énorme sur le comportement des électeurs.

Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, le modèle que nous préconisons—je n'y reviendrai pas en détail, car cela exigerait plusieurs minutes—établit un juste équilibre entre l'équité du processus électoral et le droit de participer. Nous reconnaissons que les gens ont le droit de s'associer à d'autres pour exprimer leurs opinions. Souvent, les partis politiques n'abordent pas certaines questions que les électeurs jugent importantes et il faudrait donc que les électeurs puissent soulever ces questions. Je crois que notre modèle permet de le faire, selon l'appui dont certaines opinions jouissent au sein de la population.

Le président: Merci. Madame Catterall.

Mme Marlene Catterall (Ottawa-Ouest—Nepean, Lib.): Monsieur le président, comme vous me limitez à une question, je vais la poser à nos trois témoins. Peut-être pourrais-je faire une observation en demandant des renseignements supplémentaires.

Je connais la plupart des organismes qui ont comparu devant nous. Je ne connais pas beaucoup Démocratie en surveillance et j'aimerais donc que vous nous fournissiez quelques renseignements. Je voudrais savoir, par exemple, quand les 36 groupes membres de votre coalition se sont réunis pour la dernière fois, combien de fois ils se sont réunis au cours de vos six années d'existence et qui élit le conseil d'administration. Je vois seulement ici la liste des fondateurs. J'essaie d'établir quelle est l'importance de votre organisations. Je connais plusieurs de ces groupes qui en font partie, mais je ne sais quelle est leur participation à Démocratie en surveillance.

La principale question que je vous pose à tous les trois est la suivante. Aussi intéressantes et ésotériques, dans une certaine mesure, ces discussions sur le processus électoral ont-elles été, selon moi, la grande faiblesse de la démocratie canadienne, au bout de 133 ans, est le fait que 52 p. 100 de la population qui est du sexe féminin est gravement sous-représentée dans une proportion de cinq contre un au Parlement canadien. Si vous vous souciez tous les trois de la démocratie, comme c'est sans doute le cas, je suis sidérée que vous n'ayez pas abordé cette question. Je voudrais savoir ce que vous en pensez et quelles recommandations vous formuleriez pour que nous ne passions pas encore 133 ans sans améliorer la situation.

• 1220

Le président: Faisons le tour de nos témoins. Comme M. Freeman a été le dernier à prendre la parole, je vais commencer par monsieur Loenen, si vous désirez répondre à cela.

M. Nick Loenen: Merci beaucoup.

C'est une question très importante. Si je ne l'ai pas mentionnée, bien que j'y ai fait allusion, c'est que nous disposons de très peu de temps.

Je sais qu'un certain nombre de représentants vous ont dit, comme l'a fait la Commission Lortie, que les incitatifs financiers permettraient d'accroître le nombre de femmes et de parvenir à la parité. Je ne crois pas que ce soit une solution acceptable. En premier lieu, c'est insultant pour les femmes. C'est une forme de discrimination à l'envers. Deuxièmement, ça ne permettra pas d'atteindre l'objectif visé.

D'innombrables études universitaires se sont penchées très attentivement sur le problème. Il ne fait aucun doute que c'est le système électoral comme tel qui est le plus déterminant. Lorsqu'on a modifié le système en Nouvelle-Zélande, le nombre de femmes a augmenté. En Écosse, les résultats ont été spectaculaires. Le nombre de femmes a pratiquement doublé. Il est passé à 37 p. 100 au Parlement écossais parce qu'on a changé le système uninominal majoritaire à un tour.

Pourquoi la Commission Lortie n'a-t-elle pas suggéré cette solution? C'est parce que son mandat la limitait. Elle n'était pas autorisée à examiner le système uninominal majoritaire à un tour ou d'autres solutions et elle a dû perdre son temps avec toutes sortes de petits détails.

Il ne fait aucun doute que c'est le principal obstacle. Tout le reste a sûrement une importance mineure. Il faut se demander pourquoi le système uninominal majoritaire à un tour constitue un obstacle? C'est parce qu'il réduit les questions électorales à une seule grande question. Tout est canalisé et le choix des électeurs est très limité. Vous avez un seul choix et vous devez indiquer qui vous voulez comme candidat local, quel parti vous voulez élire et quel parti constituera le meilleur gouvernement. Tout cela doit être ramené à un seul X. Lorsque vous placez ce X derrière un nom, vous dites que vous êtes d'accord à 100 p. 100 avec ce candidat, avec ce parti et avec cette série de politiques. Vous dites aussi que vous n'êtes absolument pas d'accord avec toutes les autres possibilités. C'est une façon tout à fait irréaliste de voter, car la politique canadienne est beaucoup plus nuancée.

Si vous élargissez le choix des électeurs en utilisant différents systèmes—je ne ferai pas ici le tour de tous ces systèmes—le vote devient plus significatif et vous pouvez exprimer une opinion sur un éventail beaucoup plus vaste de questions. Par exemple, dans le système néo-zélandais, le système allemand et le système écossais, vous avez deux tours de scrutin. C'est déjà un gros progrès.

Quand tout est réduit à un seul choix, la question de la représentativité des sexes devient secondaire. C'est la même chose pour le parti des verts. Il y a toujours une autre question—les emplois, la réduction du déficit, que sais-je—qui tout compte fait est plus importante que la promotion des femmes ou la représentativité des deux sexes ou le programme des verts. Beaucoup de gens sont écologistes dans l'âme et seraient prêts à appuyer le parti des verts, mais quand le choix est limité au moment du vote, on se rabat sur la question la plus importante et la représentativité des sexes n'en fait pas partie.

Le président: Merci.

Je demanderais aux deux autres témoins de répondre aussi brièvement que possible. Monsieur Boyer.

• 1225

M. Patrick Boyer: Je n'aurai pas de mal à être bref car j'estime que le Canada sera mieux gouverné lorsque notre gouvernement national et notre Parlement national refléteront véritablement le pays qu'ils gouvernent et qu'ils légifèrent ce qui devrait inclure un nombre approximativement égal d'hommes et de femmes à la Chambre des communes pour refléter la proportion démographique.

Cela signifierait certainement que nombre des questions qui m'intéressent actuellement—la recherche et le traitement du cancer ovarien, la violence contre les femmes, tous ces problèmes—auraient depuis longtemps occupés une place beaucoup plus élevée à l'ordre du jour national si nos gouvernants et nos élus étaient en mesure de se faire entendre et d'exercer des pressions politiques pour que ces questions soient inscrites à l'ordre du jour. Notre propre expérience nous montre que c'est possible puisque par exemple lorsque Monique Bégin était ministre de la Santé nationale et du Bien-être nombre de ses questions ont eu la priorité alors qu'autrement ce n'aurait pas du tout été évident.

J'aimerais dire deux choses en guise de conclusion.

Cette contestation constitutionnelle du système électoral préparé par le centre de droit constitutionnel à l'université de Toronto—qui m'a invité à participer à ses travaux il y a une semaine ou deux—est une contestation de la Charte fondée sur la proportionnalité. Le demandeur et plaignant principal est Joan Russow de Victoria. Cette contestation concerne les femmes, les Autochtones et les minorités géographiquement dispersées. C'est l'étape qui s'en vient que la question soit ou non réglée par la Loi électorale du Canada.

Enfin, je crois qu'un système à deux tours offre une possibilité réelle d'un plus grand nombre de femmes élues à la Chambre des communes mais ce n'est pas automatique. Il reste qu'à l'heure actuelle les choix sont injustes, non seulement au niveau de la sélection des candidats mais au niveau des candidats élus.

La réforme de la procédure de sélection devrait, je l'espère, grâce à ce système à deux tours, nous conduire plus près du but. Mais je ne le préconise pas comme étant le seul ou le meilleur moyen de donner la priorité à la représentativité des sexes dans l'arène politique nationale parce que ce n'est pas le seul. Il y a toutes sortes de facteurs qui entrent en jeu dans un contexte beaucoup plus global.

Le président: Merci.

Monsieur Freeman.

M. Aaron Freeman: Je serai très bref à propos du deuxième point que vous soulevez. Nos recommandations ne traitent que des questions du financement de la politique et de la réduction de l'influence des intérêts financiers dans notre système politique, donc pour cette raison, aucune des 16 recommandations que nous faisons ne touche à cette question.

Pour ce qui est de votre première question concernant notre coalition, Démocratie en surveillance existe depuis environ 1993. Nous venons tout juste de célébrer notre sixième anniversaire. Nous comptons pour l'ensemble du Canada un millier d'adhérents. Nous ne sollicitons pas d'argent ni du gouvernement ni du secteur privé, il n'y a donc que des particuliers qui nous soutiennent. Nous recevons un petit financement de fondation pour certains de nos projets.

Notre coalition compte 38 membres pour l'ensemble du Canada et représente pratiquement tout l'éventail politique. La raison en est que nombre d'organismes au Canada, qu'ils soient importants ou petits—nous comptons dans nos rangs de grands organismes nationaux et de petits organismes communautaires—se rendent compte que tant que les intérêts financiers exerceront le genre d'influence qu'ils exercent sur la politique actuellement, il leur sera toujours difficile de faire entendre leur point de vue quel qu'il soit.

Nous avons des engagements écrits et j'ai parlé moi-même à tous les membres de la coalition. Nous avons envoyé une sollicitation aux groupes que nous connaissons et que nous considérions comme des alliés potentiels sur cette question et tous ont accepté de ratifier nos recommandations et de se joindre à notre coalition.

Mme Marlene Catterall: Je dois faire un commentaire. Pendant des décennies, les hommes n'ont jamais trouvé avilissant pour les partis politiques d'accepter des milliards de dollars pour élire des milliers d'entre eux. Je ne vois pas pourquoi les femmes devraient le trouver avilissant.

M. Aaron Freeman: J'ajouterais une chose. Nous comptons plusieurs organismes de femmes dans notre coalition, y compris le Comité d'action nationale sur le statut de la femme.

• 1230

Mme Marlene Catterall: Je vous demande quel genre de pouvoir elles sont dans votre organisme.

Peu importe, j'ai dit ce que je voulais dire, monsieur le président.

Le président: Merci.

J'aimerais, pour conclure cette partie de notre réunion, faire un commentaire sur certaines statistiques.

Lors de nos audiences d'hier soir, un témoin a utilisé un chiffre, je crois, de 12,9 p. 100 pour décrire la représentation des femmes à la Chambre des communes. Elle s'est rendue compte par la suite qu'il s'agissait du chiffre correspondant à la représentation au sein du Conseil des ministres et non pas au sein de la Chambre. La statistique sur la participation des femmes à la Chambre des communes a été citée aujourd'hui comme étant d'une femme pour cinq hommes, alors qu'en réalité c'est une femme pour quatre. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que 20 p. 100 des parlementaires sont de sexe féminin et que le rapport exact est donc de quatre à une.

Mme Marlene Catterall: Vous avez raison. Mon arithmétique était fautive ce matin, monsieur le président.

Le président: Monsieur Freeman, dans la copie de l'encart publicitaire qui a précédé votre comparution ici aujourd'hui, et lors de votre témoignage, vous comparez en quelque sorte des parlementaires à des arbitres. Bien que je puisse croire que les Canadiens envoient ici des parlementaires parce qu'ils croient qu'ils feront appel à leur jugement pour résoudre des conflits et que leurs décisions serviront au mieux l'intérêt public, aucun d'entre nous n'a été élu pour jouer les arbitres. Les arbitres doivent être impartiaux. Ils sont considérés comme étant impartiaux dans le domaine des sports. Nous autres parlementaires, ne sommes pas du tout élus pour jouer les arbitres, nous sommes élus pour représenter un parti. Nous l'avons toujours été et nous le serons toujours. Nous ne sommes pas impartiaux quand il s'agit de politique. Nous sommes des partisans, nous sommes des guerriers et à mon avis il me semble pervers de vouloir faire croire aux Canadiens que nous devons nous cantonner à un rôle de juge et ne pas accepter de contributions politiques pour nos campagnes.

Je comprends donc votre perspective lorsque vous essayez de caractériser ainsi les dons aux campagnes politiques, mais je refuse que nous soyons présentés comme des juges impartiaux ou des arbitres. Nous représentons des partis.

Je vous accorde cinq ou dix secondes pour répondre, si vous le souhaitez.

M. Aaron Freeman: Cette image de l'arbitre est une analogie, une métaphore.

Le président: Je sais.

M. Aaron Freeman: Puisque vous en parlez, les députés sont élus pour jouer un rôle impartial au niveau de la résolution de questions qui concernent les Canadiens. Ils représentent un parti, mais ils ne représentent pas les intérêts de ceux qui les ont financés ou ils ne le devraient pas. C'est ça le point important. Ils représentent un parti, mais l'analogie avec les arbitres—et je ne voudrais pas qu'on s'en tienne uniquement à cette analogie je préférerais de loin que l'on parle de la substance de nos recommandations...

Le président: La même chose pour moi.

M. Aaron Freeman: ... c'est d'éviter que votre partisanerie ne soit liée aux intérêts de ceux qui ont financé votre campagne. Nous aimerions limiter cette influence et nous ne voyons pas la légitimité du rôle que jouent les gros dons ou les dons d'entités qui ne participent pas au processus démocratique en votant.

Le président: Je suis en partie d'accord avec vous parce que je n'ai constaté rien de tel dans ma propre campagne—et la majorité des députés autour de cette table opinent dans ce sens.

Des voix: Oh!

Le président: Quoi qu'il en soit, c'est à souhaiter.

Merci d'être venus. Chers collègues, nous allons faire une petite pause d'une ou deux minutes pendant que les nouveaux témoins s'installent.

Merci aux témoins qui sont déjà ici.

Nous suspendons la séance pour deux minutes.

• 1234




• 1242

Le président: La séance reprend. Nous poursuivons notre examen du projet de loi C-2 modifiant la Loi électorale du Canada.

Nos témoins sont installés. Il s'agit pour cette deuxième partie de notre réunion, de M. Stephen Best, de Mme Liz White, de Mme Monique Deslauriers et de M. Gerald Chipeur.

Je demanderais à chacun des témoins qui sont divisés en trois groupes—Environment Voters; Mouvement pour la Démocratie dans les Villes; et M. Chipeur, qui se présente à titre personnel—de faire un exposé de 10 minutes. Ensuite nous passerons à la période des questions de cinq minutes par député.

Je suivrai l'ordre du jour tel qu'il a été rédigé et nous commencerons donc par Environment Voters, par M. Best et Mme White. Bonjour. C'est à vous.

M. Stephen Best (directeur, Environment Voters): Merci, monsieur Lee. J'aimerais remercier le comité de nous permettre de comparaître. Je tiens à saluer tout spécialement M. White...

M. Ted White: Bonjour.

M. Stephen Best: ... parce que j'ai grandi dans les rues de Lonsdale et dans Keith Road. Cela fait longtemps que je ne suis pas retourné sur la côte Ouest mais je suis heureux de le voir ici.

Je m'appelle Stephen Best. Comme la pancarte vous l'indique, Liz White et moi-même sommes directeurs d'Environment Voters.

Votre comité a entendu différents témoignages sur la publicité faite par les tiers. Afin de jeter un nouvel éclairage sur cette question, nous voudrions présenter au comité le cas d'un tiers dont les activités visent essentiellement les campagnes électorales et c'est Environment Voters et c'est tout ce que nous faisons. Les campagnes menées par Environment Voters représentent l'exemple type des campagnes qui ont soulevé le plus de préoccupations auprès des membres du comité, de la Cour suprême du Canada, de la commission Lortie, du directeur général des élections et des rédacteurs du projet de loi C-2.

• 1245

Nous voulons vous expliquer aujourd'hui, par un exemple concret, que les campagnes des tiers, comme celles que mènent Environment Voters, ne représentent pas une perversion de la démocratie ou du système électoral, bien au contraire. C'est là une des façons—peut-être même la seule—par laquelle les Canadiens peuvent contourner les aspects antidémocratiques de notre régime électoral actuel.

Au cours des dix prochaines minutes, je vous exposerai la situation environnementale qui a mené à la création d'Environment Voters, les raisons politiques qui nous ont poussé à participer au processus électoral, nos stratégies et tactiques de campagnes électorales ainsi qu'une option qui s'offre à Environment Voters si le projet de loi C-2 devait être adopté sous sa forme actuelle.

Depuis 1970, le mouvement environnementaliste a connu une croissance d'environ 5 000 p. 100. On estime que les contributions publiques apportées chaque année aux groupes environnementalistes varient entre 100 et 250 millions de dollars. Ce «vote par le portefeuille» témoigne d'un degré très élevé de préoccupation du public à l'égard de l'environnement.

Pourtant, si l'on met en parallèle cette croissance du mouvement environnementaliste depuis 1970 et le changement qui s'est opéré dans la qualité de l'environnement au pays, on ne peut que s'inquiéter de ce qui se passe sur la scène politique. Depuis 1970, malgré le développement exponentiel du mouvement environnementaliste, on enregistre une diminution de 35 p. 100 de la qualité de l'environnement. Aujourd'hui, le Canada présente l'une des pires situations environnementales de tous les pays industrialisés. Comment en sommes-nous arrivés là?

Malgré un soutien général du public à l'égard de l'adoption de lois vigoureuses assurant la protection de l'environnement et des espèces sauvages ainsi que l'urgence d'agir au niveau écologique, tous les gouvernements—sauf quelques rares exceptions—ont non seulement refusé d'adopter les lois nécessaires à la protection de l'environnement du Canada, mais ils se sont même efforcés d'affaiblir les rares lois environnementales existantes. Environment Voters a été fondé en réaction à cet échec des politiques publiques.

Rappelons qu'un tel échec entraîne la mort d'êtres humains et contribue à la destruction des écosystèmes dont dépend notre santé, notre sécurité et notre bien-être économique. L'environnement n'est pas une question à prendre à la légère: le fait de ne pas protéger l'environnement a entraîné des conséquences catastrophiques par le passé et continue à en entraîner.

Les politiques d'ordre public sont le résultat de calculs politiques terre-à-terre et sont toujours établis avec une arrière- pensée électorale. L'élaboration des politiques gouvernementales ne visent généralement pas à prendre la bonne décision—les politiciens ne sont pas des arbitres—mais plutôt à répondre aux demandes d'intervenants influents sur le plan politique. Le but de nos dirigeants est davantage d'assurer leur réélection que de former un gouvernement efficace. Nous entendons par l'expression «influents sur le plan politique» la capacité d'influer sur le vote. Les sans-abri ne votent pas; leurs demandes pèsent donc moins lourd dans la balance politique que celle des fabricants de produits chimiques.

Avant la création d'Environment Voters, les questions environnementales—tout comme les sans-abri—avaient moins de poids politique que les fabricants de produits chimiques. Une bonne performance sur le plan environnemental ne contribue pas à la réélection des candidats du parti au pouvoir dans leurs circonscriptions électorales, pas plus qu'un mauvais dossier environnemental ne pourrait leur nuire.

Cette situation est attribuable à notre régime électoral à scrutin majoritaire, système désuet fondé sur les divisions par comtés, qui déforme la pertinence politique des enjeux et des groupes d'intérêts. Les intérêts qui présentent un élément puissant, propre à une région géographique, comme l'extraction du pétrole, la pêche ou les mines, revêtent une plus grande importance politique que les intérêts diffus sur le plan géographique, comme l'environnement. D'ailleurs, les témoins précédents y ont fait allusion.

En fait, ce parti pris systémique est presque dans tous les cas au détriment de l'environnement. La nouvelle Loi canadienne pour la protection de l'environnement, la position du Canada par rapport aux mesures de Kyoto concernant le réchauffement climatique ainsi que les quotas actuels pour la chasse aux phoques sont des exemples récents illustrant cette situation.

Environment Voters a été fondé pour conférer une pertinence politique aux questions environnementales. Il importe de signaler ici que la stratégie que nous allons exposer ne serait pas nécessaire si le Canada appliquait un régime électoral fondé sur les concepts modernes de la représentation proportionnelle. Dans les pays qui ont adopté la représentation proportionnelle, les politiques environnementales sont nettement meilleures que celles du Canada car, dans ces pays, les questions environnementales influent sur le vote.

Afin d'augmenter l'importance politique des questions environnementales, Environment Voters mène des campagnes électorales dans le but d'accorder un avantage politique au parti présentant un bon dossier environnemental à la direction du gouvernement et de faire payer un prix politique pour un mauvais rendement à cet égard. Les avantages et les coûts se mesurent en termes de votes et de sièges gagnés ou perdus.

• 1250

Environment Voters a fait campagne pour la première fois lors des élections provinciales en Ontario, en 1999. Le Parti progressiste-conservateur de l'Ontario présentait un des pires dossiers environnementaux en Amérique du Nord. Afin de faire payer un prix politique pour ce mauvais rendement, Environment Voters a fait campagne dans sept circonscriptions. Sur les sept candidats visés, seulement trois sont retournés à Queen's Park. Cependant, si l'actuel ministre de l'Environnement est capable d'améliorer la situation de l'environnement en Ontario, comme il a promis, Environment Voters va appuyer les candidats du PC lors des prochaines élections en Ontario.

Environment Voters fait campagne au niveau des circonscriptions. Par expérience, nous savons que nous pouvons faire fléchir 4 p. 100 des votes, en moyenne. Dans cette optique, Environment Voters fait campagne dans les circonscriptions électorales dans lesquelles l'issue du vote est généralement déterminée par une marge de 4 p. 100 au moins. Environment Voters ne fait campagne que dans les circonscriptions détenus par des membres du parti au pouvoir. Il représente les seuls politiciens que les électeurs peuvent tenir responsables du rendement du gouvernement en matière d'environnement. Que nous fassions campagne en faveur du candidat du parti au pouvoir ou de celui de l'opposition, le processus reste le même: Environment Voters utilise les plus récentes techniques électorales.

Afin de déterminer les circonscriptions à privilégier, nous effectuons une analyse des antécédents de vote pour trois élections, par bureau de vote. Nous déterminons les secteurs où se trouvent l'essentiel des votes ainsi que les secteurs susceptibles de faire changer l'issue du scrutin. Afin de déterminer les électeurs à qui nous devrons nous adresser et ce que nous devons leur dire, nous recueillons de l'information démographique et nous effectuons des sondages d'opinion détaillés dans les secteurs susceptibles d'influer sur l'issue du vote. Nous préparons des dossiers et des profils complets sur le candidat, qui peuvent comprendre des coupures de presse, des photos et des documents vidéo de la Chambre des communes. Nous recueillons aussi de l'information sur ses opposants à mesure que leur identité est connue.

Nous élaborons notre message politique à partir de ces recherches. Nous véhiculons notre message au moyen de documents vidéo que nous distribuons de porte à porte. Nous utilisons aussi d'autres médiums directs comme le téléphone ou les envois postaux.

Des membres du comité ont demandé s'il existait des preuves des dommages par les campagnes des tiers et, monsieur White, je le dis particulièrement à votre attention. Les élections représentent un jeu à somme nulle. Les difficultés d'un candidat sont autant de bonnes nouvelles pour l'autre. Une analyse par bureau de scrutin effectuée après les élections en Ontario a révélé une diminution de 5,46 p. 100 des votes pour le PC dans les bureaux où Environment Voters a fait campagne, en comparaison d'une diminution de 0,95 p. 100 dans les bureaux où nous n'avons pas fait campagne.

En ce qui concerne les libéraux, principaux bénéficiaires de notre campagne, le vote en faveur du candidat libéral dans les bureaux où Environment Voters a fait campagne a augmenté de 14,31 p. 100 en comparaison de 8,81 p. 100 pour les bureaux où nous n'avons pas fait campagne.

Les campagnes d'Environment Voters, très ciblées et fondées sur la recherche, semblent efficaces, alors que la publicité politique générale, non ciblée, a un impact plutôt faible ou même inexistant.

Les limites sur les dépenses des tiers prévues dans le projet de loi C-2 visent à éliminer le type même des campagnes menées par Environment Voters. La limite de 3 000 $ imposée aux tiers dans le projet de loi C-2 les met dans l'impossibilité de communiquer efficacement avec les milliers d'électeurs susceptibles d'avoir une influence dans une circonscription électorale. Cette conséquence est non seulement comprise par le gouvernement, mais elle est voulue.

Toutefois, Environment Voters peut malgré tout faire campagne lors des prochaines élections fédérales selon le mode de fonctionnement décrit ci-dessus sans contrevenir aux dispositions du projet de loi C-2 et dépenser tant qu'il veut—s'il en a les moyens. Les rédacteurs du projet de loi C-2 ont choisi dans les travaux de la Commission Lortie et la cause Libman c. Québec les éléments les plus efficaces pour restreindre le droit d'expression politique durant les élections et servir les intérêts des grands partis au chapitre des avantages électoraux, des levées de fonds et des pratiques de favoritisme.

Environment Voters peut encore user de différentes stratégies aux termes du projet de loi C-2, la plus évidente étant de présenter ou d'appuyer une liste de candidats indépendants qui distribueront du matériel électoral d'Environment Voters dans leurs limites de dépenses. Si une campagne exige davantage de fonds qu'il n'est possible d'en dépenser en vertu de la limite de dépenses d'un candidat, il sera possible de présenter plus d'un candidat. Le projet de loi C-2 interdit aux partis politiques inscrits et éligibles de présenter plus d'un candidat dans une circonscription. Pour leur part, les tiers—comme les personnes, les entreprises, les syndicats, les organismes et Environment Voters—peuvent présenter autant de candidats indépendants et dépenser autant d'argent qu'ils le veulent.

C'est donc dire qu'en termes concrets, le projet de loi C-2 aura un impact négligeable sur les plans électoraux d'Environment Voters, si ce n'est d'augmenter légèrement les activités de comptabilité et la paperasserie.

• 1255

Le régime électoral du Canada déforme considérablement la priorité qu'accorde le gouvernement aux différents enjeux. C'est pour cela que les Canadiens se voient imposer des conditions environnementales qui figurent parmi les pires des pays développés. Environment Voters a été formé pour corriger ce problème en augmentant le poids politique accordé aux questions environnementales en donnant, pour la première fois, de l'importance aux politiques environnementales du gouvernement au cours des élections. Il s'agit là d'un événement marquant dans le domaine de la démocratie.

Nous demandons au comité de recommander au gouvernement de retirer du projet de loi C-2 les limites imposées aux dépenses des tiers. Ce n'est que par la participation des tiers aux campagnes électorales que bien des questions, comme l'environnement, ont la possibilité d'être examinées de façon adéquate et juste par le gouvernement, jusqu'à ce que le Canada réforme son régime électoral.

Cette demande est formulée dans le même esprit manifesté par le ministre lorsqu'il a souligné devant le comité «l'importance de la tâche qui nous incombe: perfectionner notre processus démocratique».

Depuis que nous avons préparé ce mémoire, une autre option s'offre à nous: une contestation judiciaire, lorsque le projet de loi sera adopté, en fait en violant délibérément les dispositions du projet de loi C-2 au cours d'une campagne électorale afin de déclencher une contestation à cet égard... Si nous participions à la campagne, comme nous le faisons habituellement, et que nous décidions de le faire dans 20 circonscriptions électorales au niveau où le faisons habituellement, nous nous retrouverions sans doute avec 20 élections qui seraient nulles et sans effet et il faudrait recommencer.

Nous avons retenu les services de Clayton Ruby et lui avons demandé de rédiger une lettre d'une page que j'aimerais maintenant vous lire. Ça ne prendra qu'un moment.

Le président: Nous avons la lettre.

M. Stephen Best: Et bien, je terminerai en vous remerciant.

Le président: Aux fins du compte rendu, vous voudriez peut- être nous donner une idée du contenu de la lettre sans la lire mot pour mot.

M. Stephen Best: Je lirai les deux derniers paragraphes:

    Si le gouvernement croit qu'il peut soutenir de telles limites,

... à savoir les limites de 3 000 $...

    il en sera quitte pour un bon choc. Il ne peut imposer un régime adopté en théorie dans un contexte,

... le contexte de l'affaire Libman c. le Québec, la contestation sur le référendum...

    et l'appliquer à une autre situation beaucoup plus complexe et beaucoup plus nuancée.

En invoquant l'arrêt Libman, le gouvernement se place dans une situation précaire du point de vue juridique.

À cet égard, j'aimerais offrir de sincères remerciements. Au nom d'Environment Voters—je sais que Liz White serait d'accord avec moi—je tiens à dire que, dans notre organisation, nous avons énormément de respect pour nos élus. Ce sont ceux qui ont pris un risque, celui de faire face à des enjeux très difficiles. J'aimerais bien qu'il y ait d'autres façons de mettre en relief, dans notre système, les questions liées à l'environnement.

Merci beaucoup.

Le président: Merci.

Nous cédons maintenant la parole à Monique Deslauriers, qui représente le Mouvement pour la démocratie dans les villes.

[Français]

Mme Monique Deslauriers (présidente, Mouvement pour la démocratie dans les villes): Au Québec, nous avons une loi qui contrôle le financement et les dépenses électorales. Mon intervention portera plutôt sur le niveau municipal, où nous n'avons aucune loi.

[Traduction]

Nous n'avons pas de loi au niveau municipal. Quatre-vingt- quatre pour cent du territoire n'a pas de loi. Cela crée des problèmes. Il y a actuellement une enquête sur des groupes, une machine électorale qui aurait manipulé les élections.

[Français]

Nous avons des preuves, et des preuves ont également paru dans les journaux, que ces groupes trichent lors des élections et qu'ils essaient de porter au pouvoir leur candidat.

Je vais vous en donner un exemple. Il y a un maire qui est venu trouver notre mouvement. Nous détenons des enregistrements et des procès-verbaux appuyant ce que nous avançons à l'heure actuelle. Ce maire avait fait financer sa campagne par des groupes d'intérêt. Après les élections, on lui a présenté des honoraires professionnels gonflés qu'il a refusés. On lui a demandé de donner suite à des travaux publics qu'il a questionnés. On lui a demandé de donner des permis qu'il a refusé d'accorder. On lui a demandé de faire des études inutiles qu'il a aussi refusé de faire. Ses organisateurs politiques lui ont dit qu'il manifestait fort peu de gratitude. Si un homme m'offre un manteau de fourrure, je vais peut-être être obligée de coucher avec lui. C'est ce qui se produit ici: ces groupes d'intérêt s'attendaient à ce qu'on retourne l'ascenseur.

• 1300

Qu'est-il arrivé? Ils ont commencé à attaquer son intégrité, à faire de la diffamation en le traitant de pédophile, d'homosexuel, et à attaquer sa femme et ses enfants. On l'a mis de côté en regroupant le reste des conseillers. J'ai en main un procès-verbal qui montre qu'une séance de conseil est devenue publique tout d'un coup, après que le conseil se soit mis d'accord sur les contrats à donner à certaines entreprises pour la construction d'un bâtiment public.

Comme l'ont dévoilé les journaux, ce n'est pas une situation isolée. En tant que mouvement, nous avons des liens dans différentes municipalités. Comme on peut le constater, il s'agit d'une machine, d'une industrie intégrée verticalement qui fabrique des pancartes et qui finance les élections avec un financement illimité

[Traduction]

dont nous ignorons la provenance.

[Français]

Ces groupes s'arrangent pour faire nommer des candidats souples, en vue d'en arriver, à l'autre extrémité, à ce que les décisions et orientations politiques favorisent leur action et leur intérêt, et surtout pour mettre la main sur le portefeuille municipal.

M. Harvey a demandé tout à l'heure si la population canadienne était prête à financer les élections.

M. André Harvey: C'était la meilleure question d'ailleurs.

Mme Monique Deslauriers: C'est d'ailleurs très important.

Je vous invite à suivre le raisonnement suivant. Le maire dont il est question a enregistré sur bobine des affirmations selon lesquelles, sans la magouille de ses organisateurs politiques, il pourrait faire épargner 200 $ à ses concitoyens sur chaque compte de taxes, ce qui est très intéressant étant donné que nos comptes de taxes foncières sont quand même élevés. En multipliant cette somme par un grand nombre de villes, on risque d'arriver à des dépenses qui sont très très élevées. Seulement pour vous donner un ordre de grandeur, je vous dirai que le budget consolidé en immobilisations des municipalités québécoises s'élève à 10,92 milliards de dollars et que la dette est encore plus élevée puisqu'elle s'élève à 11 milliards de dollars, ce qui représente à peu près 30 p. 100 du budget québécois.

Vous vous imaginez un peu ce qu'on pourrait épargner seulement en ayant des élections propres, des élections transparentes et contrôlées, où ceux qui trichent pourraient être punis et où les citoyens, qui sont le rempart de la démocratie, pourraient avoir un recours auprès du directeur général des élections.

Comme je vous l'ai dit, à l'heure actuelle, une enquête publique est en cours, et nous espérons que les têtes de pont de ce réseau seront incriminées. Mais il est évident que derrière cela se trouvent des groupes financiers dont on ignore la provenance.

J'aimerais également vous faire part de certaines directives de l'OCDE enjoignant les pays de renforcer leur code de déontologie et d'éthique face à la mondialisation des marchés et à l'ouverture des frontières aux capitaux étrangers.

J'aimerais aussi souligner que le trafic d'influence, la manipulation des élections, l'attaque à l'intégrité des personnes et le contrôle de portefeuille public n'ont rien à voir avec notre Charte canadienne des droits et libertés, avec la Charte des droits et libertés de la personne du Québec ou avec quelque pacte

[Traduction]

et un accord international sur les droits et les libertés

[Français]

qui s'applique au Canada. Est-ce que, selon les termes de notre Constitution, nous avons droit à des élections nettes?

[Traduction]

M. Gerald Chipeur (témoignage à titre personnel): Je crois que si.

Mme Monique Deslauriers: C'est dans la constitution?

M. Gerald Chipeur: Oui, à l'article 3.

Mme Monique Deslauriers: Merci beaucoup.

[Français]

Je me suis portée candidate à des élections et je dois vous dire que les organisateurs qui se sont acharnés à ma défaite étaient également présents au niveau fédéral. À l'heure actuelle, nous devons de toutes les manières contrôler ce mouvement avant qu'il n'étende ses ramifications au-delà de ce qui peut être contenu.

Si le fédéral bloque cet accès, ce sera une manière de plus de limiter ce qui attaque directement notre démocratie et notre droit à des élections.

• 1305

Le président: Merci.

[Traduction]

Je cède maintenant la parole à M. Chipeur, qui aura 10 minutes.

M. Gerald Chipeur: Merci beaucoup, monsieur le président.

Je suis ici à titre personnel, à titre d'avocat constitutionnaliste. Je m'intéresse à ce domaine car j'ai représenté trois ou quatre partis politiques à la Cour d'appel de l'Alberta, à la Cour fédérale et à la Cour suprême du Canada, sur différentes questions; j'ai représenté le Parti réformiste, le Parti de la loi naturelle, le Parti national et le Parti progressiste-conservateur. Dans tous les cas, ces partis ont eu besoin d'un conseiller en matière électorale, et c'est fort de cette expérience que je me présente devant votre comité.

Mon point de vue est celui d'un avocat qui a examiné le projet de loi C-2 et qui constate que bon nombre des décisions prises par les tribunaux n'ont pas été traduites dans ce projet de loi dans sa forme actuelle. Je suis ici pour vous indiquer quelles dispositions sont particulièrement problématiques du point de vue constitutionnel. Je n'ai aucun point de vue politique. Je vous offre des conseils juridiques gratuitement, ce qui signifiera peut- être, je l'espère, moins de travail pour d'autres avocats comme moi, et que nous n'ayons pas à prendre les mesures auxquelles ont fait allusion Clayton Ruby et Stephen Best.

J'aimerais d'abord souligner que les nouvelles sont en partie bonnes. L'alinéa 4c) du projet de loi C-2 est manifestement constitutionnel. Non seulement cet alinéa est constitutionnel, mais le Parlement semble dorénavant jouir d'un plus grand pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait au vote des détenus.

Je remettrai au comité un rapport de l'assemblée législative de l'Alberta sur le vote des détenus. Je ne suggère pas que vous modifiez ce qui figure ici, car la Cour fédérale d'appel a récemment confirmé l'interdiction de voter imposée aux détenus par la Loi électorale du Canada. Ce rapport indique que cette interdiction est non seulement constitutionnelle, mais aussi nécessaire afin de préserver et de maintenir bon nombre des principes qui sous-tendent la charte.

Je vous renvoie à la décision Sauvé de la Cour fédérale d'appel, numéro de dossier A-68-96. Le juge Linden y fait une déclaration dont il serait important que les parlementaires se souviennent. Cette étude en comité et le débat dans lequel vous vous êtes engagés sont essentiels au succès de vos travaux législatifs devant les tribunaux. Ce que vous avez fait à la Commission Lortie, ce que vous faites aujourd'hui, tout cela est crucial pour la constitutionnalité de ce projet de loi, peu importe ce qu'on pense du droit de vote des détenus ou de quelque autre disposition de cette mesure législative.

Voici ce qu'a déclaré le juge Linden:

    Je suis d'avis que le Parlement n'est pas tenu d'examiner dans le menu détail chacune des solutions possibles pour pouvoir bénéficier de la retenue judiciaire.

Il indique ici que les tribunaux doivent s'en remettre à vos opinions, à l'opinion des parlementaires, sur les enjeux électoraux importants tels que, en l'occurrence, le vote des détenus.

Il poursuit:

    Il n'est pas non plus obligé de choisir le moyen absolument le moins radical de réaliser un objectif législatif, plus particulièrement lorsque la loi a notamment pour objectif de réprouver fortement un comportement criminel grave.

Il ajoute ensuite que le Parlement était bien informé de toutes les options et avait reçu des conseils sur le sujet. Il avait pris connaissance du rapport de la Commission Lortie et d'autres affaires portant sur cette question. À son avis, dans le cas du vote des détenus, le Parlement n'a pas agi arbitrairement et a plutôt débattu activement de la question.

Je n'entrerai pas dans les détails. La décision a 63 pages, mais je recommande à tout parlementaire préoccupé du juste équilibre entre les tribunaux et le Parlement... Ce juge affirme que c'est à vous qu'incombe la responsabilité et que les tribunaux devraient s'en remettre au Parlement pour ce qui est des décisions touchant des enjeux électoraux importants.

• 1310

J'aborderai maintenant d'autres dispositions du projet de loi. En dépit de cette soumission des tribunaux à la volonté du Parlement, il reste quelques problèmes. À mon avis, vous ne devriez pas causer inutilement des problèmes au Procureur général du Canada et au Parlement en matière de lois électorales alors que de simples amendements, que je vais passer en revue ici, suffiraient à corriger les imperfections constitutionnelles.

Les articles 253 à 256 proposent l'établissement de bureaux de scrutin dans les prisons. Ce n'est pas une question constitutionnelle, mais j'encourage le comité à repenser cette proposition. Étant moi-même avocat qui pratique dans la réalité, je crois que si vous en parliez à ceux qui sont chargés des élections, ainsi qu'à ceux qui travaillent pour vous pendant vos campagnes électorales, vous constateriez qu'ils ne tiennent pas à jouer le rôle de scrutateurs ou autres dans les pénitenciers pendant les campagnes électorales.

Cette recommandation ne m'apparaît pas sage. Premièrement, elle présente un risque sérieux de sécurité. Deuxièmement, elle fait fi du processus électoral puisqu'elle permet à ceux qui ont violé la règle de droit de participer activement au scrutin. Il ne serait ni indiqué ni raisonnable d'imposer ce fardeau aux candidats et à leurs partisans et, enfin, cela créerait des occasions d'intimidation.

Je recommande au comité de faire en sorte que le vote des détenus qui ont le droit de vote, par exemple, s'ils font l'objet de renvoi ou qu'ils purgent une peine de moins de deux ans, se fasse par courrier et non pas à des bureaux de scrutin dans les pénitenciers.

L'article 323 crée beaucoup d'ambiguïté, compte tenu de tous les outils de communication dont disposent les gens de nos jours, sur le Web et à la télévision, et compte tenu des services de courrier et de messageries qui s'offrent aux candidats. Je vous recommande de relire attentivement l'article 323. Il y a une ambiguïté concernant ce qu'est un panneau et du genre de publicité qui est interdite pendant la période en question. Ce genre de restrictions m'apparaît tout à fait inefficace et, en outre, elle est une telle source d'ambiguïté que les tribunaux la jugeront fort probablement inconstitutionnelle.

Eu égard à l'article 328, je suis d'accord avec les témoins précédents qui ont affirmé qu'il est illogique de vouloir interdire les sondages. La Cour suprême a clairement indiqué que rien ne peut justifier l'interdiction de publier des informations dont disposent déjà l'élite politique—les chefs politiques, ceux qui ont les moyens de financer ces sondages, mais auxquels le public n'a pas accès. Vous pourriez peut-être transmettre ces informations en personne, mais vous ne pouvez les diffuser.

Il s'agit d'une disposition illogique et je suis sûr que la Cour suprême du Canada l'invalidera. Si elle le fait, elle invalidera sans doute aussi l'article 323. Je comprends l'intention visée par ces deux articles. On veut éviter que des déclarations de dernière minute faites par des candidats induisent en erreur les électeurs. À mon avis, ces articles ne permettent pas d'atteindre cet objectif et les tribunaux le confirmeront en les invalidant.

Pour ce qui est des articles 332 à 348, contrairement à l'objectif visé, je ne pense pas qu'ils permettent vraiment de respecter la décision rendue par la Cour suprême de l'Alberta en ce qui touche l'attribution aux partis politiques du temps d'antenne et de leur capacité à acheter ce temps d'antenne. La décision majoritaire de la Cour d'appel de l'Alberta a été rendue par trois juges sur cinq. Je crois que la Cour suprême du Canada aurait renversé cette décision et confirmé la décision minoritaire si elle avait été appelée à se prononcer sur cette affaire.

À mon avis, si ces articles sont de nouveau contestés devant les tribunaux, ils confirmeront la décision rendue dans l'affaire Figueroa, l'affaire mettant en cause le Parti communiste, à savoir que tous les partis doivent être traités absolument de la même façon, en particulier si, comme le prévoient ces articles, l'arbitre en matière de radiodiffusion attribuait plus de temps au parti ministériel qu'aux petits partis.

Je propose de revenir à l'approche recommandée par la Commission Lortie, c'est-à-dire que tous les partis se voient accorder le même temps d'antenne. Il n'est pas nécessaire que nous investissions inutilement dans la création d'un poste d'arbitre en matière de radiodiffusion. Il s'agit d'une approche anachronique qui se fonde sur l'histoire et la tradition, mais qui est inutile et qui, à mon avis, est inconstitutionnelle.

• 1315

En ce qui touche les articles 349 à 362, opposer un plafond de 3 000 $ à un plafond de 60 000 $ n'est pas une approche équilibrée ni proportionnelle. La même chose vaut pour un plafond de 150 000 $ par opposition à un plafond de 11,4 millions de dollars. Je fais ici allusion aux plafonds fixés pour ce qui est des dépenses de publicité électorale des tiers par opposition aux dépenses de publicité électorale des candidats et des partis. Je suis convaincu que ces articles ne résisteront pas à une analyse aux termes de la Constitution. Comme on vous l'a déjà expliqué, il y a des façons évidentes de contourner ces articles qui, ce qui est encore plus important, sont tout simplement injustes. Ils sont d'ailleurs contraires à l'esprit démocratique et je presse le comité de les abroger.

L'article 385 fait de toute évidence problème. Les tribunaux ont déjà statué qu'il suffit de deux personnes pour constituer un parti. Ils confirmeront certainement cette décision. Ils s'opposeront à ce que l'on retourne à la règle des 50 membres. Je soupçonne que le Parti communiste portera cet article devant les tribunaux le jour suivant l'entrée en vigueur du projet de loi et leur demandera de confirmer la décision antérieure rendue.

Enfin, l'article 496 crée une infraction de responsabilité stricte à l'égard de la règle portant sur la publicité électorale faite par des tiers. À mon avis, les articles 349 à 362 visant la publicité électorale faite par des tiers ne sont pas naturels. On ne peut donc pas s'attendre à ce que les gens sachent intuitivement qu'ils sont assujettis à ces règles. Je recommanderais de modifier l'article 496 pour faire en sorte qu'au lieu de créer une infraction de responsabilité stricte, on crée une infraction comportant un élément de culpabilité morale. Ainsi, il faudrait qu'une personne sache qu'elle a enfreint la loi pour qu'il soit possible de porter des accusations contre elle.

Voilà quelles sont mes recommandations au sujet de ces articles.

Le président: Je vous remercie beaucoup.

Monsieur Chipeur, je veux vous remercier d'avoir dit publiquement que tant les tribunaux que la population se reportent de plus en plus à nos délibérations pour comprendre la portée des lois. Je suis heureux que vous l'ayez fait.

Vous avez mentionné l'article 385 ainsi que la décision récente rendue dans l'affaire mettant en cause le Parti communiste du Canada. Je voudrais dire au nom de mes collègues que bien que nous nous reportions de temps à autre dans notre travail aux décisions rendues par les tribunaux, nous n'acceptons pas du tout que les juges s'arrogent le droit de légiférer à notre place. Je m'oppose en particulier à cette décision—et je le dis publiquement—, car une juge a dans ce cas-ci dépassé le cadre de son mandat et a osé définir ce que constituait un parti politique alors qu'elle aurait dû laisser ce soin aux législateurs. Cette juge est allée trop loin. Je l'invite simplement à faire son travail et à ne plus se substituer aux législateurs.

Je fais cette observation aussi respectueusement que possible, sachant bien que je ne donne peut-être pas l'impression d'être très respectueux envers la magistrature. Ceux qui s'opposent cependant à une loi pensent qu'il suffit de s'adresser aux tribunaux pour la faire modifier. Cela ne se passera pas de cette façon. Le Parlement a un travail à faire et c'est le Parlement qui doit légiférer. Ce que vous venez de dire m'a simplement permis de réaffirmer quelque chose que j'ai dit de façon plus polie lors d'une réunion précédente.

J'ouvre maintenant la période de questions. Nous procéderons par tour de cinq minutes. Les témoins ont soulevé des questions fort intéressantes.

Monsieur White, vous avez cinq minutes.

M. Ted White: Je vous remercie.

Ma question s'adresse à MM. Best et Chipeur. J'aimerais qu'ils y répondent tous les deux.

Je ne le dis pas simplement parce que vous fréquentiez aussi l'avenue Lonsdale, monsieur Best, mais je crois que l'exposé que vous nous avez fait est l'un des meilleurs que nous ayons entendus sur la question de l'affaire Libman ainsi que sur la question des dépenses électorales des tiers.

Je suis d'accord avec votre interprétation. Contrairement à ce que vient de dire le président, je crois que la juge a eu raison dans l'affaire Libman de s'opposer à ce qu'on fixe arbitrairement à 50 le nombre de candidats qu'un parti doit présenter lors d'un scrutin. Il n'y a aucune logique à cette règle. Les représentants de tous les petits partis qui ont comparu devant nous ont dit appuyer le projet de loi d'initiative parlementaire que j'ai présenté et qui fixe à 12 le nombre de candidats qu'un parti doit présenter lors d'un scrutin. C'est un chiffre qui a au moins un certain sens dans la tradition parlementaire.

• 1320

Je crois que votre avocat, M. Clayton Ruby, a également raison lorsqu'il dit que l'affaire Libman, qui traite d'un référendum, n'a absolument rien à voir avec un scrutin. La position du ministre ne s'appuie sur aucun élément solide.

J'aimerais maintenant vous parler quelque peu de la partie de votre exposé qui portait sur les dépenses électorales des tiers puisque vous avez étayé vos observations de données. Vous prétendez avoir aidé à assurer la défaite de certains candidats progressistes-conservateurs, et je vous demande si vous pensez que votre intervention était juste ou injuste. Expliquez-moi pourquoi vous pensez qu'elle est juste ou injuste compte tenu du résultat du scrutin.

Monsieur Chipeur, votre exposé reflétait clairement l'expérience pratique que vous avez de la contestation judiciaire et je vous en remercie. Bien que vous disiez au sujet des articles 332 à 348 que la Loi électorale du Canada devrait tenir compte des décisions rendues par les tribunaux, vous voyez que ce n'est malheureusement pas le cas. Le ministre ne tient de toute évidence pas du tout compte des décisions rendues par les tribunaux.

Je crois que vous ne chômerez pas de sitôt. Je crois qu'il est presque certain que le solliciteur général du Canada ne chômera pas non plus. Si j'en juge par la façon dont fonctionne cet endroit, il n'est pas permis d'en douter.

J'aimerais vous poser une question sur l'article 323 puisque vous dites que les panneaux publicitaires font problème. Je n'ai pas tout à fait saisi les exemples que vous donniez. Pourriez-vous répéter ces exemples de cas où cet article pourrait donner lieu à une mauvaise interprétation ou de cas où il ferait problème.

Je vous remercie, messieurs.

M. Stephen Best: J'ai oublié de mentionner que nous avions songé à devenir un parti inscrit. Nous ne comptions pas présenter de candidats lors des scrutins, mais nous aurions profité des avantages qui sont accordés aux partis en matière de collecte de fonds. Nous nous sommes dit que si le Bloc québécois pouvait exister parce qu'il était parvenu à faire élire suffisamment de députés bien qu'il s'agisse d'un parti provincial, on devrait aussi permettre l'existence d'un parti qui ne ferait élire des candidats qu'à l'Île-du-Prince-Édouard. Il y aurait donc le Bloc Île-du- Prince-Édouard, ce qui ferait donc quatre partis.

Si le nombre de candidats est fixé à 50, on ne pourrait même pas avoir le Bloc Atlantique. Seules trois provinces pourraient avoir des partis fédéraux représentés à l'échelle provinciale. Compte tenu de la balkanisation de la politique canadienne, cela assurerait une meilleure représentation.

La question que vous posez quant à savoir si ce que nous avons fait est juste ou injuste est intéressante. Nous respectons pleinement les règles du jeu. Je crois que la façon dont nous abordons la question est mauvaise et déplaisante. Je connais suffisamment la politique et les campagnes politiques pour savoir que le système uninominal majoritaire à un tour se prête à ce genre de choses.

Nous avons pris comme modèle la National Rifle Association des États-Unis. Cette organisation fait du lobbying auprès des membres du Congrès, des sénateurs et des membres de la Chambre des représentants. La politique que défend cette association est complètement à l'opposé de la politique qui a l'appui de la population. La population est favorable au contrôle des armes à feu aux États-Unis, mais c'est la NRA—ce qui est moins vrai aujourd'hui qu'il y a quelques années—qui dicte au gouvernement sa conduite dans ce domaine.

D'après nos recherches, 4 p. 100 des voix séparent les perdants des gagnants dans environ 35 circonscriptions du pays. Il suffit de peu pour faire changer d'opinion 4 p. 100 des électeurs. Si les efforts sont bien ciblés, il n'est pas nécessaire de dépenser 60 000 $ pour le faire. Je pense donc que c'est une mauvaise chose.

C'est juste parce qu'on respecte les règles. C'est injuste parce que cela fausse les résultats. Nous pouvons avoir plus de pouvoir que le mouvement environnemental, ce qui n'est pas normal. Il faut tenir compte de l'environnement. On peut donc dire que c'est un élément négatif du système qui pourrait être corrigé par les changements systémiques que propose M. Boyer.

Nous faisions valoir plus tôt que le Parti libéral est un organisme privé. On peut dire la même chose d'Environment Voters. Il s'agit dans les deux cas d'organismes politiques qui défendent leur point de vue par l'intermédiaire du système. Le Parti libéral a un programme politique et nous avons le nôtre. Le projet de loi C-2 fixe les règles du jeu électoral et nous nous y conformerons.

À mon avis, le système électoral ne devrait pas pouvoir être manipulé de cette façon. J'aimerais bien que nous ayons un autre système, mais c'est le système que nous avons.

• 1325

M. Gerald Chipeur: Je n'ai fait qu'effleurer l'article 323 et je m'excuse de ne pas avoir été plus précis à ce sujet. J'aimerais faire valoir trois points au sujet de cet article.

Ce sont les exceptions à l'interdiction de publicité prévues à l'article 323 qui créent de l'incertitude. La définition de panneau est très claire. Le panneau en plastique que les gens mettent sur leur pelouse est-il cependant une bannière, un panneau- réclame ou une affiche? Je l'ignore. Je crois que ce n'est pas clair. Je crois qu'il serait préférable de parler de «panneau», car je ne suis pas sûr que le panneau politique que les gens mettent sur leur pelouse est visé par les exceptions prévues à l'article 324. C'est tellement peu clair que je ne pourrais pas dire de quelle façon les tribunaux se prononceraient à cet égard. Je ne pense pas qu'un juge saurait plus que moi à quoi s'en tenir. Je vous demande donc de préciser ce dont il s'agit. Faites en sorte qu'on sache clairement quels sont les panneaux qui sont permis et quels sont ceux qui sont interdits.

Deux autres points qui sont source d'ambiguïté ont trait au fait que tous les gens communiquent maintenant par l'Internet. Je sais que vous le faites tout comme moi. En fait tout le monde le fait de 6 ans à 106 ans. Je suis sûr que c'est par l'Internet que nous communiquerons entre nous lors du prochain scrutin. C'est simplement une réalité. Ceux qui ont regardé les nouvelles à CTV ce matin ont appris que les gens passent leur vie sur Internet. En prévoyant une exception pour l'Internet, vous venez d'exclure 90 p. 100 des méthodes électorales qui seront utilisées dans l'avenir, car l'avenir est à l'Internet.

Enfin, je crois que la possibilité de pouvoir diffuser un discours rend inopérante la disposition visant à interdire la publicité. Si l'on produit un dépliant qui contient un discours d'un dirigeant politique ou une analyse d'un dirigeant politique, qu'est-ce qui reste à interdire? Je ne peux songer à rien qui ne soit visé par les exceptions prévues aux alinéas 319a) à d). J'aimerais bien qu'on puisse me donner un exemple, mais à mon avis, l'article 319 est trop ambigu; par ailleurs, les exceptions prévues sont trop vastes.

M. Ted White: Si l'on vous demandait de choisir parmi tous les points que vous avez soulevés dans votre exposé celui qui pourrait être le plus facilement contesté devant les tribunaux, quel serait- il?

M. Gerald Chipeur: Devant les tribunaux?

M. Ted White: Oui.

M. Gerald Chipeur: Ce serait l'interdiction touchant les sondages puisqu'il existe déjà un précédent.

Sauf le respect que je vous dois, monsieur Lee, je crois comme vous en la souveraineté du Parlement. Bien que la décision de la juge ne vous plaise pas beaucoup, je crois qu'il serait assez facile de contester aussi cet article devant les tribunaux. Je conviens cependant avec vous qu'on devrait reconnaître la souveraineté du Parlement dans certains de ces domaines.

Le président: J'accorde maintenant la parole à Mme Dalphond- Guiral. J'aimerais simplement préciser que je ne m'oppose pas à ce que les tribunaux invalident certaines lois parce qu'elles sont contraires à la Charte, mais je m'oppose cependant à ce que des juges en profitent pour légiférer à la place du Parlement.

M. Gerald Chipeur: Je suis tout à fait d'accord avec vous à ce sujet.

Le président: Je vous remercie.

Madame Dalphond-Guiral.

[Français]

Mme Madeleine Dalphond-Guiral: J'ai une question pour M. Best et je voudrais avoir une explication de la part de Mme Deslauriers.

Monsieur Best, durant votre présentation, vous avez clairement démontré que les préoccupations environnementales étaient une réalité au Canada. Quand on recueille entre 100 et 250 millions de dollars, c'est beaucoup d'argent.

Par ailleurs, vous avez fait le choix d'aller faire campagne dans un certain nombre de comtés, ce que je peux reconnaître. Cependant, votre préoccupation de faire avancer des objectifs liés à la qualité de notre environnement nous regarde tous puisque, comme vous le dites si bien, cela dépasse les frontières, même les frontières nord-sud. Par conséquent, je suis très surprise que vous n'ayez pas du tout fait allusion au mode de scrutin proportionnel. Bien sûr, lorsqu'on a un mode de scrutin proportionnel, des enjeux peuvent être reconnus. Par exemple, dans l'hypothèse où un parti vert recueillerait 10 p. 100 des votes, il y aurait nécessairement des élus de ce parti vert. Cela m'a donc beaucoup étonnée. Quand on parle d'enlever les restrictions, c'est sympathique et on peut bien le faire, mais il y a aussi tout ce que cela veut dire de façon plus large. Est-ce que la démocratie serait beaucoup mieux servie si on se retrouvait avec 25 ou 30 partis politiques poursuivant chacun des idéaux qui ne seraient pas tous nécessairement aussi nobles que ceux liés à l'environnement?

• 1330

[Traduction]

M. Stephen Best: J'ai abordé la question de la représentation proportionnelle dans mon mémoire. En fait, Environment Voters existe parce que le système uninominal majoritaire à un tour le permet. J'ai fait remarquer dans le mémoire que la représentation proportionnelle réglerait le problème.

Qu'on songe à ce qui se passe en Allemagne et dans l'Union européenne. Le Parti vert remporte de temps en temps des sièges. On a même vu une alliance entre le Parti communiste et le Parti vert en Allemagne. En raison de l'existence d'un parti environnemental, ces pays adoptent des lois environnementales plus strictes pour essayer de se gagner les faveurs de ces 10, 12 ou 15 p. 100 des électeurs qui votent pour le Parti vert. Dans le système fondé sur la représentation proportionnelle, un écart de quelques points de pourcentage entre les partis peut signifier la réélection ou la défaite d'un gouvernement.

Je suis personnellement favorable à l'existence de 25, de 30 ou de 50 partis politiques parce que de cette façon, le député, au lieu de représenter une région géographique, représenterait un certain point de vue. Un député pourrait se faire le champion de la cause féministe, de la cause environnementale ou de l'industrie. Différents points de vue seraient alors représentés plutôt que des régions géographiques.

En Allemagne, par exemple, les membres de l'une des deux Chambres sont élus pour représenter une circonscription et discutent donc de l'état des trottoirs et des égouts. Les membres de l'autre Chambre sont élus selon le système de la représentation proportionnelle et ils défendent donc des idéologies. Je ne pense pas que ce soit un problème.

Quand le nombre de partis politiques est élevé, il se constitue des coalitions, ce qui me plaît. Autrement dit, les petits partis peuvent négocier avec les partis plus importants et obtenir que ceux-ci tiennent compte de leurs vues parce qu'ils doivent former des alliances avec eux. À mon avis, ce système est plus sain, plus démocratique et plus représentatif. C'est un système complexe qui semble meilleur que le nôtre. Je ne pense pas que deux ou trois partis peuvent vraiment refléter toutes les tendances qui se manifestent au sein de la population.

[Francais]

Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Ce n'est pas mal!

[Traduction]

M. Stephen Best: Oui, plus on est de fous, plus on rit.

Je pense que le système devrait être très représentatif pour qu'aucun parti puisse prétendre comme Environment Voters que le système ne le représente pas. C'est aussi le point de vue du mouvement environnemental. Chacun devrait savoir qu'il peut faire campagne et être représenté par un parti.

[Français]

Mme Madeleine Dalphond-Guiral: Voici mon commentaire et ma question à l'intention de Mme Deslauriers.

Dans ma perception, et je ne pense pas me tromper, les municipalités sont des créatures des provinces. Je n'ai pas très bien saisi pourquoi vous avez demandé à témoigner devant ce comité-ci. Vous nous avez fait part de situations tout à fait déplorables, mais je n'arrive pas à comprendre l'objectif poursuivi par votre présentation dans le contexte d'un comité qui étudie la Loi électorale fédérale.

Mme Monique Deslauriers: J'ai voulu témoigner d'une situation déplorable pour mettre en évidence la nécessité d'une loi qui contrôle le financement électoral.

[Traduction]

J'ai vécu en Italie pendant 12 ans et je connais bien le problème de la corruption et de la mafia. Tout ce qu'on a trouvé pour régler le problème, c'est

[Français]

un financement public des élections. C'est la seule solution. Je crois qu'il y avait un projet de loi, dont je ne sais pas s'il a été adopté, qui prévoyait que le gouvernement prenait directement 3 p. 100 à même les déclarations d'impôt des citoyens et distribuait cet argent aux partis politiques.

Donc, c'est un réel problème. Je crois que le fait de ne pas avoir de loi ouvre la porte à la corruption, surtout à un moment, comme je l'ai dit tout à l'heure, où le problème n'est pas seulement interne, mais peut venir aussi de l'externe avec des capitaux qu'on blanchit très facilement, notamment au niveau des municipalités: travaux publics, permis, projets immobiliers, etc.

Je vous ai simplement fait part du regard que je porte sur les problèmes actuels des municipalités québécoises, étant donné qu'il n'y a pas de loi.

• 1335

Jusqu'à maintenant, nous avons fait un intense lobbying auprès du parti du gouvernement, et il nous a entendus à deux reprises.

[Traduction]

Le gouvernement a procédé à des réformes à deux reprises, mais cela n'a pas suffi. Il faudrait faire davantage au niveau municipal si l'on veut vraiment s'attaquer à la corruption.

Me suis-je fait bien comprendre? Ai-je répondu à votre question?

Aucune entreprise ou société ne devrait contribuer à la caisse électorale d'un candidat. Les députés, une fois élus, doivent être libres. C'est mon avis.

[Français]

Le président: C'est tout?

Mme Monique Deslauriers: Oui.

Le président: Merci.

[Traduction]

Monsieur Wappel, vous avez cinq minutes.

M. Tom Wappel: Je remercie nos témoins de leurs excellents exposés.

J'aimerais poser quelques questions à M. Chipeur. Vous avez commencé par parler de l'alinéa 4c). Si je vous ai bien compris, vous voudriez remplacer «purgeant une peine de deux ans» par «purgeant une peine de 10 jours», n'est-ce pas?

M. Gerald Chipeur: À mon avis, le comité devrait tenir compte du fait que la Cour fédérale d'appel a maintenu la limite de deux ans et que la Cour d'appel de l'Alberta a approuvé la limite de 10 jours. Le comité peut donc faire une recommandation en ce qui touche les peines allant de dix jours à deux ans. Je ne dis pas qu'il devrait le faire, mais je fais simplement remarquer que les tribunaux ont dit que le Parlement, et ce comité en particulier ou tout autre comité qui étudiera cette loi, peut faire ce qu'il juge bon sans craindre que les tribunaux contestent ensuite la décision qu'il aura prise.

Je vous ai cité un extrait de la décision du juge Linden. Il a dit que le Parlement pouvait choisir parmi plusieurs options et qu'il n'avait pas à craindre que les tribunaux contestent ensuite la décision qu'il aura prise.

J'allais vous laisser le rapport du Comité de l'Assemblée législative de l'Alberta qui s'est penché sur les droits électoraux des prisonniers. Je ne dis pas que vous avez à modifier cette disposition pour l'instant, mais vous pourriez le faire si vous le souhaitiez à un autre moment.

M. Tom Wappel: J'ai cinq minutes et je veux poser plus d'une question.

M. Gerald Chipeur: Très bien, je regrette.

M. Tom Wappel: Supposons que nous voulions priver du droit de vote tout détenu purgeant une peine dans un établissement correctionnel.

M. Gerald Chipeur: Vous ne pourriez pas le faire. La Cour suprême a rendu une décision selon laquelle...

M. Tom Wappel: Nous ne pourrions pas le faire.

M. Gerald Chipeur: Vous pourriez le faire, mais la loi serait invalidée en raison du précédent créé par l'affaire Sauvé. Cette décision stipule que l'interdiction ne doit pas être absolue. La Cour d'appel de l'Alberta a fixé la peine à dix jours et la Cour fédérale d'appel a maintenu la peine de deux ans prévue dans l'ancienne loi.

M. Tom Wappel: Je vois pourquoi on a choisi une peine de deux ans puisqu'il s'agit d'une loi fédérale. Toute personne purgeant une peine dans un pénitencier fédéral purge une peine d'au moins deux ans.

M. Gerald Chipeur: C'est vrai, mais cette loi ne traite pas de prisons fédérales, mais d'élections fédérales. Cette disposition vise également les détenus des établissements provinciaux comme ceux des établissements fédéraux.

M. Tom Wappel: J'y venais. Comme on ne définit pas dans la loi ce qu'on entend par «établissement correctionnel», je présume que cela comprend les établissements provinciaux...

M. Gerald Chipeur: Les établissements provinciaux ainsi que les établissements fédéraux.

M. Tom Wappel: Les prisons municipales également?

M. Gerald Chipeur: Tout à fait.

M. Tom Wappel: Passons à l'alinéa 65g) qui prévoit que les personnes incarcérées dans un établissement correctionnel ne peuvent pas se porter candidat à une élection. Supposons qu'un détenu soit libéré après le déclenchement des élections, mais avant la date limite fixée pour le dépôt des candidatures.

M. Gerald Chipeur: Dans ce cas, cette personne pourrait se porter candidat. Il faudrait poser la question au directeur général des élections, mais je crois que celui-ci serait tenu d'accepter la candidature d'une personne qui ne serait plus détenue dans un établissement correctionnel.

M. Tom Wappel: Je ne veux pas poser la question au directeur général des élections. Tout ce que je veux savoir, c'est si la loi que nous proposons est claire à ce sujet.

M. Gerald Chipeur: Je crois que la loi dit qu'une personne ne peut pas se porter candidat à une élection si elle est emprisonnée, mais si elle sortait de prison avant la date limite fixée pour le dépôt des candidatures...

M. Tom Wappel: Où voyez-vous cela, monsieur?

M. Gerald Chipeur: ... le directeur général des élections serait obligé d'accepter sa candidature.

M. Tom Wappel: Je trouve cela intéressant.

Je reconnais avec vous que l'article 324 n'est pas clair au sujet des panneaux.

M. Gerald Chipeur: Les articles 323, 324 et 319.

M. Tom Wappel: Je crois que la loi n'est pas claire et je vois mal comment quelqu'un pourrait s'attendre à ce que nous enlevions nos panneaux avant le jour des élections. J'installe mes panneaux devant les bureaux de scrutin.

M. Gerald Chipeur: À la distance réglementaire prévue.

M. Tom Wappel: Naturellement.

Des voix: Oh, oh!

• 1340

M. Tom Wappel: J'ai du mal à accepter votre point de vue au sujet de l'article 385. Je tends à être d'accord avec le président pour dire que c'est au Parlement d'établir ce que constitue un parti politique inscrit. Rien n'empêche qui que ce soit de se porter candidat lors d'une élection. Il s'agit dans cet article de définir ce qu'on entend par un parti politique inscrit. Je sais que la question de l'argent importe, mais il ne s'agit pas d'une question juridique. Il s'agit plutôt de s'entendre sur le nombre de candidats qu'un parti doit présenter pour continuer d'être un parti inscrit. Ce peut être 50, 40, 10 ou 2. Qui va prendre cette décision? Devrait-elle appartenir aux juges ou aux représentants élus? Je pense qu'elle devrait appartenir aux représentants élus. C'est une question qui peut faire l'objet d'un débat, mais c'est, en bout de ligne, au Parlement qu'il appartient de trancher.

M. Gerald Chipeur: Je suis d'accord avec vous sur ce principe. Il existe cependant un précédent dont vous devez vous préoccuper. Vous pouvez être prêt à défendre ce point de vue devant les tribunaux, mais je dis simplement que votre position serait plus solide si elle ne reposait pas sur le nombre de candidats qui doivent être présentés lors d'une élection.

Le nombre de candidats qui sera retenu ne posera pas de problème dans le cas des finances ou d'autres critères. La décision Figueroa met l'accent sur le fait de se présenter comme candidat. Parce que si vous ne permettez pas à quelqu'un de se présenter sous la bannière d'un parti parce que ce parti ne présente pas 50 candidats, vous limitez la capacité de cette personne à communiquer avec les électeurs, ce qui constitue une violation des articles 2 et 3. Voilà le vrai problème. Ce sont les droits du candidat qui sont en cause.

Je ne vois cependant pas de mal à ce que vous soumettiez la question aux tribunaux puisque la Cour suprême a recommandé qu'il y ait un dialogue à cet égard.

M. Tom Wappel: Merci.

Le président: Merci, monsieur Wappel.

Je vais céder la parole à M. Solomon, qui dispose d'au moins cinq minutes.

M. John Solomon (Regina—Lumsden—Lake Centre, NPD): Merci, monsieur le président.

Monsieur Chipeur, à propos de votre suggestion relative à l'embargo sur les sondages, de nombreuses personnes à qui j'ai parlé au fil des années—pour la plupart des électeurs—aiment jouir d'une période d'accalmie pour réfléchir aux événements de la campagne électorale avant de voter. Entre autres, elles m'ont dit qu'il est arrivé que des sondages aberrants aient été publiés sans que les parties concernées aient l'occasion de répliquer. Si vous favorisez l'abolition de l'embargo sur les sondages, seriez-vous aussi pour l'abolition de l'embargo sur l'annonce des résultats du scrutin le jour des élections? Comment combiner ces deux éléments?

M. Gerald Chipeur: Non, je ne crois pas qu'il faille avoir une période d'embargo. En fait, il serait à mon avis préférable que les bureaux de scrutin soient ouverts pendant les mêmes heures d'un bout à l'autre du pays, ce qui permettrait d'éviter ce problème. Mais si les bureaux de scrutin ne sont pas ouverts pendant toute la période, je n'ai aucune objection à ce qu'un résident de la Colombie-Britannique connaisse les résultats du vote dans les Maritimes. C'est mon opinion personnelle, si vous me la demandez. J'ignore ce que diraient les tribunaux.

Je ne crois pas que les tribunaux se fonderaient sur cette distinction pour affirmer que parce que nous limitons la capacité des gens de dire au public ce qui s'est produit dans les Maritimes, cela va nous permettre d'interdire les sondages d'opinion publique. Si vous avez un sondage aberrant, si quelqu'un est coupable de fraude électorale, il me semblerait préférable que vous le poursuiviez en justice. Si quelqu'un publie quelque chose de frauduleux, un sondage faux et biaisé, des règles existent. Et vous pourriez même les renforcer si vous le vouliez.

Cependant, supposons que je suis multimilliardaire et que je peux me permettre de suivre l'opinion des électeurs d'un bout à l'autre du pays. Si je peux le faire parce que je suis riche, il serait injuste ou antidémocratique d'affirmer que quelqu'un qui n'a pas les mêmes moyens n'a pas le droit de se fier au Globe and Mail pour obtenir les mêmes renseignements que moi, et je crois que les tribunaux seraient du même avis.

M. John Solomon: Les représentants des médias qui ont témoigné devant notre comité ont dit que les sondages n'influençaient pas le vote, et ils ont présenté le commentaire d'un juge pour étayer leur argument. Je me demande si vous êtes du même avis, compte tenu du fait que des milliers de personnes m'ont dit au fil des ans—des milliers—qu'assez, c'est assez, et qu'ils voulaient qu'on leur accorde quelques jours de réflexion. Cela s'applique particulièrement aux indécis, et des électeurs engagés nous ont dit la même chose.

• 1345

M. Gerald Chipeur: Je leur dirais d'aller dans le parc Algonquin, d'aller dans les collines de la Gatineau, de rester à la maison et d'éteindre leur téléviseur. Si vous ne voulez pas savoir, il vous appartient de prendre les mesures nécessaires. Vous n'avez pas à contrôler les autres pour contrôler votre capacité de réfléchir pendant le week-end avant d'aller voter. Je pense que c'est une approche sensée, parce que vous devriez prendre le vote au sérieux. Mais je ne crois pas que ce soit une raison pour restreindre la liberté d'expression dans une démocratie.

M. John Solomon: Au sujet de l'exposé de M. Best qui, à mon avis, était excellent, le parti politique que je représente, le NPD, défend vigoureusement l'environnement depuis des années, tant à l'échelle nationale qu'en Saskatchewan. Nous pourrions faire mieux, mais nous sommes très dynamiques à cet égard. Je serais tout à fait favorable à ce qu'une organisation comme la vôtre distribue des documents d'information aux électeurs à propos des véritables enjeux environnementaux, car cela nous touche vraiment tous.

Cependant, j'ai certaines réserves quant à la suppression des limites des tiers partis, surtout parce que votre organisation ne fait pas le poids face aux milliers d'autres organisations qui disposent de beaucoup plus d'argent et de ressources et qui ont d'autres intérêts en jeu. Selon moi, cela fausserait tout exposé que votre organisation pourrait faire si les dépenses n'étaient pas limitées.

Monsieur Best, vous avez quatre ans moins cinq semaines pour transmettre votre message à ceux d'entre nous qui ont été élus et pour exercer des pressions sur le gouvernement, le parti de l'opposition officielle, et tous les autres partis politiques, les 12 partis inscrits au Canada. Pourquoi est-ce insuffisant?

De plus, vous disposez de 160 000 $ pendant la période de cinq semaines pour laquelle vous devez rendre compte de vos dépenses. Vous n'avez aucune obligation additionnelle avant cela. Pourquoi devrions-nous l'envisager? Pourquoi croyez-vous que les électeurs y seraient favorables? Lorsqu'une période d'élection sert à soupeser les pressions que votre organisation et les milliers d'autres organisations ont exercées pendant quatre années ainsi que les centaines de millions de dollars que vous avez dépensés pour influencer les politiciens, les partis politiques et le public, pourquoi ne donnerions-nous pas au public des règles du jeu qui obligeraient les organisations comme la vôtre à rendre des comptes pour cette période de cinq semaines? Les partis doivent également rendre des comptes pour cette période de cinq semaines.

M. Stephen Best: Le public est sensibilisé à l'environnement. Je ne crois pas pouvoir vous dire quoi que ce soit au sujet de l'environnement que chaque député ne sait probablement pas déjà.

M. John Solomon: Vous nous faites trop d'honneurs.

Le président: Nous les acceptons.

M. Stephen Best: Comme je l'ai dit plus tôt, la politique gouvernementale est élaborée en fonction des électeurs. Les questions pertinentes sur le plan politique sont celles qui ont le plus de poids. Pour que des questions environnementales aient préséance ou un certain poids à la table de négociation, il faut que des votes y soient rattachés.

Au sujet de la période de cinq semaines, examinons cette question sous l'angle des électeurs soucieux de l'environnement. En ce qui me concerne, les partis politiques sont des organismes privés qui se trouvent à avoir pour mandat de prendre le pouvoir. Rien de spécial ne les caractérise. Ils ne sont pas inscrits dans la Constitution. Des gens se sont réunis et ont créé le Parti réformiste. Un groupe de citoyens s'est réuni autour d'une table, a commandé une pizza et des boissons gazeuses et a déclaré, nous sommes mécontents, nous allons créer une nouvelle organisation, devenir dingues et prendre le contrôle du gouvernement. Ils ont fait un sacré bon boulot, il me semble.

M. John Solomon: Jusqu'à présent, vous avez raison.

M. Stephen Best: Pour les électeurs soucieux de l'environnement, c'est la même chose. Nous sommes une organisation politique comme la vôtre, mais nous examinons les règles du jeu différemment. Nous ne sommes pas intéressés à prendre le pouvoir ni à contrôler toutes les ficelles du gouvernement.

Une voix: Comme le NPD fédéral.

Des députés: Oh, oh!

M. Stephen Best: Nous n'aimons pas subir de défaite morale non plus.

Notre travail consiste à influencer la politique gouvernementale. Les politiciens travaillent en fonction du vote. Si vous influencez le vote—et je ne parle pas de sensibilisation publique et de ce genre de chose, ce que nous avons fait pendant 30 ans sans grand succès—et si vous réussissez à changer le vote, nous pouvons nous asseoir avec cette monnaie d'échange et commencer à négocier la politique gouvernementale. Nous ne faisons qu'examiner les règles différemment.

Je n'ai rien contre l'idée de remplir tous les formulaires. Nous sommes une organisation tout à fait transparente. Je n'ai aucune hésitation à divulguer nos sources de financement, combien de membres nous avons, qui nous finance, et ce genre de chose. Selon moi, 99,99 p. 100 des membres du public ne s'y intéressent pas de toute façon. Le public ne s'intéresse pas à la politique de la même façon que les gens assis autour de cette table. C'est simplement la nature de la politique.

Notre approche est simplement différente. Je n'ai rien contre l'existence de règles. Si vous voulez que l'on précise dans les règles ce que l'on dit et ce que l'on fait, je n'ai rien contre. Toutefois, je ne crois pas que le gouvernement devrait me dire avec quelle vigueur je dois parler, où je peux parler, et comment je peux m'exprimer. Je crois que je devrais pouvoir crier aussi fort que je le veux, aussi longtemps que je le veux, et comme je le veux.

• 1350

M. John Solomon: Mais pourquoi les partis politiques seraient- ils différents? On nous empêche de le faire.

M. Stephen Best: Levez les restrictions. Instituez autant de latitude que vous le souhaitez, ou créez un système...

M. John Solomon: Ainsi, la règle d'or s'appliquerait. Ceux qui ont l'argent définissent les règles. C'est ce que vous dites.

M. Stephen Best: C'est ce qui se fait déjà. J'affirme que vous pouvez corriger la situation. Si vous voulez arranger le système politique—et je vous en féliciterais—il vous suffit d'adopter la représentation proportionnelle. Vous n'aurez plus de problème.

M. John Solomon: C'est une autre plate-forme du NPD, soit dit en passant.

M. Stephen Best: Oui, c'est ce qu'on m'a dit.

Si vous pensez pouvoir retoucher le système en apportant un petit changement ici et un autre là afin de le rendre démocratique, vous allez échouer. Vous devez reconnaître que nous avons besoin d'un système politique moderne qui représente la population non pas en fonction de la distribution géographique mais en fonction de ses intérêts. Vous aurez alors un système adéquat. Les partis nantis auront un certain pouvoir, mais les groupes plus petits pourront se rassembler et exercer une certaine influence.

Je n'ai rien contre les riches. Je n'ai rien contre l'industrie. Je crois que l'industrie est formidable. Je crois qu'il faut toutefois la réglementer en ce qui concerne l'environnement. Nous pouvons créer un climat beaucoup plus dynamique. Je crois que vous jonglez avec quelque chose qui est fondamentalement bancal.

Mme Liz White (directrice, Environment Voters): Depuis 1994, j'essaie de faire adopter une loi sur les espèces menacées au Canada. J'en ai parlé à tous les partis. J'en ai parlé au ministre de l'Industrie et au ministre de l'Agriculture ainsi qu'à tous les membres du Cabinet compétents en ce qui concerne l'adoption d'une loi sur les espèces menacées.

Je crois que l'expérience la plus éloquente avant la création d'Environment Voters, c'est lorsque j'ai rencontré le ministre de l'Agriculture. Il a dit: «madame White, il y a tous ces éleveurs de porcs et ces producteurs de blé qui créent une économie. De mon point de vue, dans la collectivité où résident les producteurs céréaliers, je sais que je peux compter sur leurs votes. Que pouvez-vous faire?» En fin de compte, je n'avais pas de réponse à lui donner, car je ne jouais pas le jeu du processus démocratique, sauf à l'occasion, sauf lorsque je rencontrais des gens au cours d'une élection.

Lorsque des gens doivent composer avec différents intérêts, l'environnement est constamment écarté. Je défends de nombreux dossiers environnementaux à l'échelle fédérale et provinciale depuis de nombreuses années, et lorsqu'il faut faire des compromis, c'est toujours l'environnement qui en souffre.

Je dirais que c'est le cas en Saskatchewan et que c'était aussi le cas en Ontario lorsque le NPD était au pouvoir, parce que j'y ai fait des pressions là aussi. Cela ne s'applique pas qu'au Parti libéral, au Parti conservateur, au NPD, au Bloc ou au Parti réformiste. Tout le monde a des intérêts à défendre et le fait en fonction des votes. Si le dossier que vous défendez n'apporte aucun vote, vous ne comptez simplement pas. C'est aussi simple que ça.

M. John Solomon: Je crois que vous êtes très cynique, car selon mon expérience ce n'est pas toujours le cas, même si cela l'a été à de nombreuses occasions.

Toutefois, il me semble, madame White—mon intention n'est pas de vous conseiller, mais c'est un conseil gratuit qui vaut son pesant d'or—que peut-être un troisième parti devrait présenter des candidats et proposer un programme, et il pourra ensuite dépenser 60 000 $ ou plus par circonscription. Si vous pouvez rassembler 301 candidats, vous disposerez de beaucoup d'argent. Je crois que c'est peut-être la voie à suivre si les partis politiques ont échoué si lamentablement. Je me réjouirais que 100 partis différents se fassent la lutte dans ma circonscription. Cela pourrait être une expérience démocratique formidable. En particulier, dans un système de représentation proportionnelle.

Mme Liz White: Je ne crois pas être cynique, simplement pratique.

J'ai examiné l'expérience politique. J'ai examiné l'état actuel de l'environnement, les organismes les plus conservateurs et les organismes de l'extérieur qui mesurent ce genre de chose faisant état d'une baisse de 38 p. 100. J'ai étudié ce que proposent les partis au chapitre de l'environnement. Je prétends qu'à moins que nous fassions partie du processus politique en tant que troisième parti en vue d'influencer le programme politique en la matière, nous n'allons pas avoir voix au chapitre et nous ne pourrons pas intervenir sur le plan politique.

• 1355

Ce n'est pas que les gens ne se déplacent pas... je viens à Ottawa et des gens m'invitent à leurs bureaux, nous avons d'extraordinaires réunions d'une heure, où je présente mon dossier, puis je m'en vais et c'est tout. Cela ne va pas plus loin. Je ne fais que regarder l'aspect pratique, et c'est tout. Je ne suis pas cynique.

Le président: Nous vous sommes reconnaissants de votre empathie pour ceux qui oeuvrent au sein du processus politique.

En tant que président, je vais céder la parole temporairement à M. Anders, mais sauf erreur, je crois que le but de la loi est de permettre aux groupes comme le vôtre de participer pleinement en ce qui concerne les candidatures. Je vous en prie, présentez-vous. Des volontaires? Certainement, rassemblez les volontaires. La défense des droits, certainement. Toutefois le projet de loi fixe une limite quant à l'utilisation de fonds par les tiers partis—vous pouvez participer à la joute, mais vous devez y être, mais vous ne pouvez pas acheter votre victoire. Je crois que c'est ce que le projet de loi cherche à prévenir.

Je comprends que vous puissiez y voir d'autres conséquences. Les restrictions monétaires peuvent en fait servir à empêcher certains genres de participation au processus. Vous voyez peut-être un peu plus loin que nous, et c'est très sain.

Je cède la parole à M. Anders.

M. Rob Anders: Merci beaucoup, monsieur le président. J'ai trois questions. Étant donné la nature de mes questions, je crois que je vais les adresser à M. Chipeur.

La première question a trait aux prisons. Vous avez mentionné les articles 253 à 256, qui traitent des bureaux de scrutin dans les prisons. Vous avez fait état d'un risque possible en matière de sécurité.

Ce qui me vient à l'esprit, ce sont des questions comme les drogues. Nous avons entre autres un problème de contrebande dans nos pénitenciers; peut-être que cela risque de créer un problème plus grave. Peut-être pouvez-vous nous en parler. La sécurité ou l'intégrité physique des détenus ou des représentants des partis pourrait être menacée. J'aimerais que vous m'en parliez, car je crois que vous comprenez peut-être mieux la situation.

Je vais poser brièvement mes deux autres questions, en fait j'en ai cinq. La question suivante a trait aux sondages et à l'interdiction de les publier. J'ai essayé de suivre sur Internet la dernière élection partielle à Saskatoon—Rosetown—Biggar, pour vous donner un exemple. Je crois, comme vous l'avez dit, que le problème va prendre de l'ampleur. Je m'interroge sur l'efficacité de l'interdiction de publier les résultats de sondages—ou tout renseignement de ce genre—alors que nous assistons à une prolifération de l'information sur Internet.

À ce sujet, le troisième élément de ma question a trait à l'interdiction de publication. On a soulevé une question au sujet de l'interdiction de publier les résultats des élections.

Je me souviens très bien qu'en 1993, j'étais assis derrière un cameraman qui avait tous les résultats des élections en provenance de Terre-Neuve et du reste du pays. Il connaissait les résultats. Les annonceurs, chargés de commenter le déroulement des élections, connaissaient également les résultats en 1993. Je le sais parce que j'étais assis derrière le cameraman et je pouvais observer ce qui se passait au bureau de scrutin et au bureau central du Parti réformiste à l'époque. Je crois donc qu'on se leurre si l'on pense que ces genres de mesures sont efficaces à notre époque.

De toute façon, ce sont les trois questions que je vais vous poser, monsieur Chipeur.

M. Gerald Chipeur: Comme je me suis occupé d'affaires mettant en jeu le vote de détenus et comme cela m'a mené à visiter les prisons pour travailler avec les membres du personnel, je peux vous dire que j'ai été intimidé, même si je suis avocat au criminel.

Je ne me porterais pas volontaire, même pour aider mon candidat, pour être représentant au scrutin dans une prison, parce que c'est intimidant d'être à un endroit où on sait que d'autres personnes ne sont pas traitées avec la même dignité humaine que soi et ne sont pas libres de faire bien des choses. Ils sont enfermés. Ils sont obligés d'être là contre leur gré. Vous ne savez pas ce qu'ils peuvent vous faire et ils pourraient même vous blesser. Probablement que cela n'arriverait pas 999 000 fois sur un million de fois. Les chances d'être agressé sont très minces. Mais le fait est que je ne voudrais pas être représentant de candidats dans une prison.

• 1400

Je suis certain que tous ici ont participé au processus électoral. Nous savons tous ce que font les représentants au scrutin. Ils sont là pour surveiller tout ce qui se passe. À mon avis, jouer un tel rôle dans une prison constitue un risque inutile, non pas à cause simplement de l'intimidation et de la possibilité d'une menace physique. Il est bien évident que les rédacteurs du projet de loi voulaient simplifier les choses sur le plan administratif, mais je pense qu'on ouvrira une boîte de Pandore si l'on maintient cette disposition.

Pour répondre brièvement à vos deux dernières questions, au sujet des résultats du vote, vous avez bien dit... Autrement dit, il n'y a rien dans le projet de loi qui m'empêche d'aller visiter un site Web aux États-Unis ou dans un autre pays. Il est toujours possible de connaître les résultats des élections. On peut connaître les résultats de sondages menés quelques minutes à peine avant l'ouverture des bureaux de scrutin le lundi matin. C'est impossible à éviter.

Quelle était votre troisième question?

M. Rob Anders: Nous avons essayé de légiférer pour interdire la publication, par exemple pour les résultats d'élections, avant un certain délai, mais je pense que la technologie a dépassé notre capacité d'appliquer cet aspect de la loi.

M. Gerald Chipeur: Essentiellement, vous allez être pénalisés en vertu de la loi parce que vous n'êtes pas à la page sur le plan technologique. Vous avez signalé le problème et je pense que les tribunaux vont en tenir compte. À mon avis, il y a de graves lacunes dans ce projet de loi parce que, même si l'objectif est valable, les tribunaux ne pourront pas appliquer cette disposition.

M. Rob Anders: Je voudrais terminer par une dernière question, monsieur le président, qui s'adresse à M. Best et à son organisme.

Hier soir, on a discuté de la question de savoir si on devrait imprimer ou non dix exemplaires des listes des électeurs pour tous les candidats dans chaque circonscription. Un calcul rapide me dit que dix listes électorales fois cinq candidats, en moyenne, fois 300 circonscriptions, nous donne plus de 15 000 listes électorales. M. Solomon du NPD insistait hier pour que les candidats aient accès à des exemplaires multiples de la liste électorale.

Dans ma circonscription, nous nous servons beaucoup d'une liste électronique, et si nous avons besoin d'un exemplaire, nous en imprimons un et nous faisons des photocopies, non pas de toute la liste, mais d'une certaine page, du bureau de scrutin ou de la rue. Je voudrais savoir ce que vous pensez de tout cela. À mon avis, il vaut mieux que mes bénévoles et moi-même puissions faire des copies au besoin au lieu de faire payer les contribuables. Soit dit en passant, cela coûte 6 millions de dollars par année.

M. Stephen Best: Je ne m'inquiète pas à propos de la liste électorale. La campagne en Ontario a été plus élémentaire que la campagne fédérale. Nous identifions des secteurs girouettes dans les circonscriptions et nous obtenons des listes commerciales pour connaître les noms et adresses des électeurs afin de nous donner une base démographique des habitants de ces secteurs. La liste électorale importe peu pour moi. Elle est publiée tellement tard qu'elle n'est pas vraiment importante pour notre planification démographique et psychographique des secteurs girouettes. Ce n'est vraiment pas important pour nous.

Le président: Monsieur Wappel, puis M. White.

M. Tom Wappel: Je vous remercie. Très rapidement, monsieur le président, je voudrais revenir encore une fois à la question des prisons.

Ne conviendriez-vous pas que les articles 253 à 256 parlent d'établissements correctionnels qui ne sont pas sous juridiction fédérale?

M. Gerald Chipeur: C'est possible. Dans le cas d'un détenu considéré à haut risque qui est condamné à une peine de deux ans ou moins, celui-ci pourrait effectivement être emprisonné dans un établissement fédéral.

Ne me demandez pas de vous expliquer la chose de façon trop détaillée, mais je sais qu'il y a dans les établissements fédéraux des détenus condamnés à une peine de deux ans ou moins, tout comme on trouve également dans certains établissements provinciaux des détenus ayant été condamnés à plus de deux ans. Ce n'est pas une ligne de démarcation bien tranchée. Mais je vous dirais que pour moi, un établissement carcéral provincial n'est pas plus joyeux qu'un établissement fédéral. Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de différences entre les deux.

M. Tom Wappel: Je n'en sais rien.

• 1405

M. Gerald Chipeur: J'en ai visité des deux catégories...

M. Tom Wappel: Le pénitencier de Kingston fait pas mal peur.

M. Gerald Chipeur: Venez donc voir le centre de détention provisoire de Calgary.

M. Tom Wappel: J'imagine que les articles 253 à 256 sont là précisément parce qu'on a l'impression que les tribunaux estiment que les détenus des établissements provinciaux devraient pouvoir voter.

M. Gerald Chipeur: Je pense qu'il n'y a pas que cela. À l'heure actuelle, la majorité des gens qui sont en prison, peu importe que ce soit dans une prison fédérale ou dans une prison provinciale, sont condamnés à deux ans ou moins. C'est ce que montrent les statistiques. Il y aura donc, le jour des élections, un certain nombre de gens en prison et qui vont pouvoir voter peu importe l'alinéa 4c). Avec un aussi grand nombre de gens habilités à voter, le raisonnement est qu'il faudrait donc faciliter les choses. C'est plus facile à faire de cette façon qu'avec la formule du bulletin de vote.

Je préconise personnellement de ne rien changer à la formule actuelle et de continuer à utiliser les bulletins de vote sur papier. C'est plus sûr comme cela et il n'y a pas de raison qu'on ne puisse pas procéder ainsi. Cela n'empêcherait aucun détenu d'exercer son droit de vote. Les détenus pourraient voter tout aussi facilement et je pense d'ailleurs que cette formule serait plus sécuritaire pour le personnel, pour les candidats et pour la société en général, et j'entends par là continuer comme à l'accoutumée à utiliser les bulletins de vote et à les expédier ensuite pour dépouillement.

M. Tom Wappel: Je vous remercie.

Le président: Je voudrais vous rappeler que M. Wappel et d'autres de nos collègues terminent actuellement ce que nous appelons l'examen quinquennal de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, de sorte que les deux questions semblent ici se chevaucher.

Monsieur White.

M. Ted White: En effet, je vous remercie.

Madame White, même si M. Solomon nous a dit qu'à son avis, votre exposé sur la situation électorale était teintée de cynisme, je dirais personnellement qu'à mon avis, c'est également la réalité, et je vous en remercie donc.

Monsieur Chipeur, concernant l'organisation des scrutins dans les prisons, le directeur général des élections nous a demandé, et je devrais plutôt dire nous a implorés, d'ajouter à la loi une disposition qui lui permettrait de commencer à étudier les nouvelles technologies, les méthodes de scrutin électronique par Internet et par téléphone à clavier par exemple, pourvu qu'il réussisse à nous convaincre que ces méthodes sont sécuritaires et ne contraindraient personne à les utiliser.

À vous écouter, il m'a semblé que les prisons seraient peut- être un environnement tout à fait propice pour que le directeur général des élections fasse l'essai de ce genre de technologie, pour autant que les autres membres du comité l'y autorisent.

Quel est votre sentiment à ce sujet? Cela risquerait-il de poser problème ou persisteriez-vous à dire qu'un scrutin par voie postale serait la meilleure formule pour le milieu carcéral?

M. Gerald Chipeur: Non, si vous permettez aux détenus de voter... et j'exhorte le comité à lire le jugement de M. le juge Linden dans lequel il dit en fait que ce serait faire affront aux victimes que de permettre à ceux qui ont enfreint la loi et qui ont été mis en prison de voter. Pour moi donc, ce juge nous dit qu'à son avis, la loi telle qu'elle a été rédigée était bonne il y a dix ans.

J'invite donc instamment le comité à réfléchir très sérieusement à la possibilité de se rapprocher des dix jours et, par conséquent, dans cette éventualité, il n'y aura quasiment personne qui pourra voter hormis ceux qui en sont aux toutes dernières étapes ou alors qui sont encore dans une situation d'entre-deux. Personnellement, étant donné ce qu'a dit M. le juge Linden, mais aussi la Cour d'appel de l'Alberta, je vous dirais qu'il serait probablement contraire à nos valeurs démocratiques de permettre aux détenus de voter. Par conséquent, faciliter le scrutin en adoptant un mode électronique ne serait pas pour moi de bonne politique compte tenu de la Charte.

S'agissant de politique, si vous voulez permettre aux détenus de voter—vous, les législateurs—vous êtes assurément libres de le faire, mais compte tenu de la Charte, je pense que ce serait vraiment porter préjudice au processus démocratique que de dire que si nous étions ici sur une île déserte et si nous décidions de nous doter d'une structure juridique, si la majorité d'entre nous décidaient de violer cette structure et que si nous devions donc faire jeter en prison cette même majorité, cette dernière pourrait se faire libérer en votant.

C'est cela qui se passe dans le tiers monde. Nous l'avons constaté récemment au Pakistan où, selon le dirigeant qui est au pouvoir, l'une ou l'autre faction se retrouve en liberté.

Je ne pense assurément pas qu'il faille gouverner de cette façon un pays qui se réclame de l'état de droit. Si vous violez les principes fondamentaux qui régissent le modus operandi de la société, vous ne devriez pas pouvoir faire jouer un pouvoir politique. C'est l'expression même qui est utilisée par M. le juge Linden. Vous ne devriez pas pouvoir faire jouer le pouvoir politique dès lors que vous n'avez pas respecté le résultat de ce même processus politique. Et c'est précisément pour cette raison que ces gens ne devraient pas pouvoir voter.

M. Ted White: Si je vous entends bien, vous nous dites...

M. Gerald Chipeur: Oui, excusez-moi.

M. Ted White: ... que le problème consiste à réduire le préavis, mais je voulais pour ma part présenter plutôt le point de vue des victimes...

M. Gerald Chipeur: Je suis d'accord avec vous, en effet.

M. Ted White: ... que nous ne souhaitons pas contraindre à risquer un quelconque danger.

M. Gerald Chipeur: Ce que vous dites a du sens. De toute évidence, ma réponse m'était dictée par l'émotion.

M. Ted White: Je vous remercie.

• 1410

Le président: Je voudrais remercier notre groupe de témoins ainsi que celui qui l'a précédé. Nous avons entendu des interventions de très grande qualité, d'excellentes questions et des réponses qui ne l'étaient pas moins, et tout cela a été fort utile pour nos travaux.

Je vous remercie tous et toutes.

La séance est levée.