:
Merci, monsieur le président.
Je voudrais tout d'abord vous remercier de m'avoir invité.
[Traduction]
C'est un grand plaisir pour moi d'être ici, dans la capitale nationale, moi qui viens de la côte Ouest.
Au cours de la période de questions, je serai heureux d'aborder l'un ou l'autre des sujets que vous avez déjà traités dans vos réunions précédentes, y compris la nature des conventions constitutionnelles, la procédure de révision constitutionnelle, le rôle du gouverneur général et les entités qui peuvent fournir des conseils.
Dans mon exposé, j'aimerais cependant poser deux questions de base. Pour la première, il est assez facile pour moi de donner une réponse: devrait-on essayer de limiter le pouvoir de prorogation?
La prorogation est habituellement une mesure de routine qui remet à zéro le calendrier parlementaire. Dans bon nombre de parlements du Commonwealth, la prorogation se fait sur une base annuelle. En Grande-Bretagne, par exemple, elle a lieu en novembre. Mais un tel calendrier ne laisse tout simplement pas assez de temps pour un examen adéquat des dossiers complexes, et de nombreux parlements permettent maintenant, une fois la nouvelle session commencée, de rétablir les travaux qui étaient à une étape avancée du processus.
Compte tenu de cette mesure, certains systèmes politiques ont remis en question le principe consistant à diviser une législature en différentes sessions. En Nouvelle-Zélande, par exemple, il n'y a plus qu'une session par législature, laquelle dure trois ans. Même s'il y a prorogation, les travaux déjà commencés sont simplement mis en attente. De plus, il est aussi possible de rétablir des travaux lancés au cours d'une législature antérieure.
Il est important de noter qu'on peut utiliser la prorogation de façon constructive en cas d'urgence. On suspend alors le Parlement jusqu'à ce que le temps vienne de reprendre les travaux.
Dans de rares circonstances, toutefois, la Couronne peut utiliser la prorogation pour entraver la capacité de la Chambre de remplir son rôle. Dans ces cas, la prorogation sert à empêcher la Chambre de tenir le gouvernement responsable. Ce troisième titre de prorogation nous ramène à une époque révolue, lorsque la Couronne prorogeait ou dissolvait le Parlement lorsqu'elle se sentait contestée sérieusement.
Je crois que la Chambre doit se défendre contre une telle ingérence. Elle doit faire valoir son droit de contrôler ses propres affaires et limiter le pouvoir de prorogation.
Il est beaucoup plus difficile de répondre à ma deuxième question: comment le pouvoir de prorogation devrait-il être réglementé?
Selon moi, le principe essentiel à respecter est le suivant: avant de proroger le Parlement, il faudrait normalement obtenir le consentement de la Chambre des communes. Je dis « normalement » puisqu'il faut se parer contre les éventualités qui pourraient empêcher la Chambre de siéger, par exemple, les actes de violence, les épidémies et les catastrophes naturelles.
On peut obtenir le consentement grâce à divers outils: une convention constitutionnelle, la présentation d'une motion à la Chambre des communes, un changement au Règlement, des modifications statutaires à la Loi sur le Parlement du Canada, des modifications aux lettres patentes ou une révision constitutionnelle. Il pourrait aussi être nécessaire de recourir à plus d'une méthode.
On pourrait s'attaquer au problème directement en modifiant le pouvoir de prorogation du gouverneur général, mais il y a également des moyens indirects de parvenir aux mêmes résultats. On vous a déjà dit que des mesures dissuasives pourraient être incorporées au Règlement de la Chambre. Je ne suis cependant pas certain que les mesures envisagées seraient assez efficaces.
J'estime quand même que le Règlement pourrait être mis à profit. Par exemple, on pourrait le modifier de façon à ce que tous les travaux soient rétablis automatiquement après la prorogation, à moins que le Chambre en décide autrement.
Le Règlement pourrait exiger qu'un vote sur le rétablissement ait lieu dans un délai défini après le début de la session. De cette façon, le gouvernement pourrait remettre à zéro le calendrier parlementaire si une majorité des députés y consent.
Une autre option consiste à fixer la durée d'une session parlementaire. Comme la durée maximale d'une législature est aujourd'hui de quatre ans, la Loi sur le Parlement du Canada pourrait exiger qu'il y ait normalement deux sessions par législature. La durée de chacune des deux sessions pourrait être établie selon la pratique, mais la loi pourrait aussi fixer des durées précises. Peu importe le cas, toutefois, il faudrait permettre la prorogation en cas d'urgence.
Aucun de ces changements ne permet à lui seul de faire en sorte que la Chambre consente normalement à la prorogation. Il faudrait aussi utiliser une déclaration sur le besoin de consentement, et cette déclaration devrait être formulée en termes très clairs et très directs.
Il pourrait aussi suffire à la Chambre d'adopter une motion dans laquelle elle affirme qu'une prorogation sans consentement constitue une obstruction à la capacité de la Chambre de mener ses travaux. Le Règlement pourrait alors définir la procédure à suivre pour obtenir la sanction requise.
Bien entendu, une loi allant dans le même sens serait plus puissante.
Quoi qu'il en soit, il faudrait quand même autoriser la prorogation en cas d'urgence.
On pourrait aussi, comme vous l'avez entendu, adopter une motion dans laquelle on affirme que tout gouvernement qui proroge le Parlement sans consentement perd la confiance de la Chambre. Cette méthode a cependant une faiblesse: elle procure un moyen facile au gouvernement de demander une dissolution précoce en vertu de la Loi sur les élections à date fixe.
Par ailleurs, l'apport de modification législative exige de vérifier s'il faut procéder à une révision constitutionnelle officielle, étant donné que les pouvoirs du gouverneur général sont en jeu. Il s'agit d'une question intéressante et complexe que je serais heureux d'explorer, mais je me limiterai à dire pour le moment qu'on peut proposer de façon convaincante que le Parlement légifère sur la prorogation ou la durée des sessions.
Malheureusement, les mesures dissuasives qui entrent en vigueur après coup risquent de ne pas être assez efficaces. Il pourrait s'avérer nécessaire de trouver un moyen de faire en sorte que les prorogations abusives ne puissent pas avoir lieu.
Pour ce faire, il n'est pas nécessaire de restreindre le pouvoir de prorogation du gouverneur général. Il pourrait être suffisant de permettre au gouverneur général d'exercer ses pouvoirs de réserve et de refuser l'avis du premier ministre.
La Chambre pourrait, par le biais d'une motion en ce sens, déclarer qu'elle approuve le refus du gouverneur général de proroger le Parlement lorsque la Chambre n'a pas donné son consentement et qu'aucune urgence ne justifie la prorogation. Le refus serait donc donné avec l'assentiment des députés.
En conclusion, je crois qu'il serait sage d'établir une règle selon laquelle la Chambre des communes doit normalement consentir à la prorogation. Divers instruments peuvent permettre d'atteindre cet objectif, et on pourrait employer différentes approches en parallèle pour assurer le respect de cette règle.
Merci.
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Votre comité en a examiné une il y a quelques années relativement à la question des élections à date fixe et à la dissolution. Nous disons souvent que la dissolution est une prérogative de la Couronne. Ce que nous savons, c'est qu'il y a en fait trois lois: une qui dissout la Chambre; une qui fixe la date des élections; et une qui convoque le Parlement à une autre session.
La dissolution et la convocation sont traitées dans la Loi constitutionnelle de 1867. Certains pensent que cette mesure a eu un effet sur les pouvoirs conférés par la common law, d'autres non. Nous ne savons pas avec certitude qui a raison, et il y a certainement un chevauchement, et normalement, on dirait que la loi a changé les pouvoirs conférés par la common law.
Ces pouvoirs sont clairement constitutionnels, dans un sens, parce qu'on y fait référence dans la Loi de 1867. Toutefois, le fait de fixer la date des élections et de déclencher des élections est un pouvoir conféré par la loi du gouverneur en conseil en vertu de la Loi électorale du Canada. Ce changement a été apporté dans neuf des dix provinces où le déclenchement des élections est effectué par le gouverneur en conseil.
Terre-Neuve-et-Labrador est la seule province où — en vertu de la loi en fait, et non plus en vertu de la common law — les élections sont déclenchées par le lieutenant-gouverneur en vertu de la loi. En Grande-Bretagne, il s'agit toujours d'un pouvoir conféré par la common law à la monarchie; elle est chargée de dissoudre le Parlement et de déclencher les élections.
Alors voilà un exemple de changement apporté et des différences entre les administrations.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je vous remercie de votre présence, monsieur Heard.
J'aimerais en savoir un peu plus sur votre analyse et votre opinion, du moins sur la façon dont la prorogation pourrait être limitée dans le cadre de nos conventions constitutionnelles actuelles. Vous avez dit, par exemple, que, particulièrement dans un Parlement minoritaire, si nous avions des élections à date fixe, un gouvernement voulant forcer une élection ou changer une date d'élection fixe pourrait peut-être demander une prorogation. S'il était refusé par la Chambre, cela pourrait possiblement déclencher une élection.
Vous avez aussi dit que vous vous attendiez — et corrigez-moi si j'ai tort, je ne veux pas vous faire dire ce que vous n'avez pas dit — ou à tout le moins puissiez entrevoir une situation par laquelle, grâce à une combinaison de changements au Règlement, à la loi ou à d'autres écrits législatifs, et à ce genre d'approche, le Parlement n'aurait pas nécessairement à amender la Constitution.
Voici ma première question. Y a-t-il d'autres modèles de gouvernement de Westminster qui prévoient, à votre connaissance, une telle combinaison de facteurs et qui permettent ce que vous proposez de faire ici pour ce qui est de limiter la capacité du gouvernement de proroger?
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Ce que j'avais suggéré, c'était une motion pour déclarer que le recours à la prorogation sans le consentement de la Chambre constituait une obstruction quant à la capacité de la Chambre de poursuivre ses travaux. J'utilise ce langage car cela soulève alors la question d'une motion éventuelle d'outrage.
Et dans ce cas-ci, je deviendrais schizophrène, car je pense qu'il est important d'utiliser des termes très directs pour monter la barre. J'hésiterais certainement à faire en sorte que cela devienne automatiquement une question de confiance, car si la Chambre doit décider si le gouvernement est coupable d'un outrage à la Chambre, je pense que le gouvernement pourrait naturellement dire qu'il s'agit d'une question de confiance. Comment la Chambre peut-elle avoir confiance dans un gouvernement qui est coupable d'outrage à son égard?
Il y a deux façons d'éviter cela. La première c'est que la Chambre apporte plus de précisions. Si elle estime qu'elle veut faire en sorte que la prorogation soit une affaire courante, la Chambre pourrait alors, dans le cadre de la motion, dire que « cela ne constituera pas une question de confiance », que c'est une question très sérieuse, mais elle dit qu'il ne s'agit pas là d'une question de confiance. C'est un couteau à deux tranchants également, mais si c'est une question de confiance, alors le gouvernement monte la barre et s'il perdait la motion, il pourrait démissionner et déclencher des élections hâtives.
J'ai dit précédemment que le problème lorsque cela devient automatiquement une question de confiance, c'est que le gouvernement pourrait recourir à la prorogation pour déclencher des élections hâtives aux termes de la Loi sur les élections à date fixe.
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L'une des choses que je suggérais, c'était que la Chambre adopte une motion disant qu'elle allait appuyer ou approuver — quelque chose à cet effet — que le gouverneur général refuserait une prorogation qui n'avait pas été entendue sans son consentement ou qui n'était pas nécessaire pour des raisons d'urgence. En ce sens, le gouverneur général agirait de façon à refléter ce que souhaite la Chambre des communes élue plutôt qu'uniquement selon des prérogatives personnelles. Il s'agirait d'habiliter le gouverneur général à empêcher une prorogation injustifiée au départ.
Encore une fois, il s'agit d'un couteau à deux tranchants car si le gouverneur général refuse d'agir conformément aux conseils du premier ministre, ce dernier pourrait démissionner et on se retrouverait ensuite dans de beaux draps. Cependant, comme je l'ai dit, si on pouvait avoir une sorte de motion disant qu'il ne s'agit pas là d'une question de confiance, alors le gouverneur général serait tout à fait autorisé, je pense, à refuser la démission et à dire: « Désolé, je n'accepte pas votre démission car le Parlement doit tout simplement poursuivre ses travaux et vous êtes le premier ministre, alors allez-y et gouvernez ».
Par le passé nous avons eu des exemples de lieutenants-gouverneurs qui ont refusé d'agir selon les conseils du premier ministre et que ce dernier a été obligé de continuer dans ses fonctions. À Terre-Neuve en 1971, le premier ministre voulait une élection. Le lieutenant-gouverneur lui a dit en privé qu'il refusait et le premier ministre a dû simplement continuer, car le lieutenant-gouverneur lui a dit: « Je dis non car nous avons eu des élections récemment et je veux que le gouvernement fonctionne ». Donc le premier ministre a accepté. Ce n'est que des mois plus tard qu'il y a eu en fait des élections, une fois qu'il était clair que la Chambre ne pouvait fonctionner.
Je pense qu'il s'agit là d'un principe important qu'il faut rétablir: Ce n'est pas parce que ses conseils sont refusés qu'un premier ministre devrait être automatiquement autorisé à démissionner et en faire une question de confiance. Ce que nous cherchons à inculquer ici, c'est le principe selon lequel le Parlement devrait pouvoir fonctionner tant qu'il le peut et le gouvernement devrait continuer de gouverner tant qu'il le peut.
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Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Heard, d'être ici avec nous aujourd'hui également.
J'ai lu votre article en date de décembre 2008. Au milieu de cet article vous déclarez que: « ... l'on pourrait tout à fait faire valoir qu'il serait tout à fait inconstitutionnel de conseiller la prorogation du Parlement ». Pourtant, au début de l'article, vous soulignez que « la gouverneure générale a pris une décision très difficile et historique... », et vous ajoutez, « une décision difficile signifie qu'il y a de bonnes raisons de décider dans un sens ou dans l'autre... ». Vous dites que « ... la gouverneure générale a le devoir d'intervenir le moins possible dans le processus politique. »
Votre deuxième point dit ce qui suit:
... la gouverneure générale est tenue d'agir normalement selon les conseils constitutionnels donnés par un premier ministre qui a la confiance d'une majorité à la Chambre des communes. Étant donné que le gouvernement conservateur a gagné les votes de confiance à la suite du discours du Trône au cours de la dernière semaine du mois de novembre, M. Harper serait apparemment autorisé à s'adresser à la gouverneure générale.
À mon avis, ces deux pensées au milieu de votre article et celles qui se trouvent au début sont en quelque sorte aux deux extrémités du spectre. Cela confirme ce que nous avons observé au cours des dernières semaines alors que nous tentons d'examiner cette question. Nous entendons une large gamme d'opinions divergentes de différents experts de partout au pays.
Ma question est la suivante. Si vous rédigiez cet article aujourd'hui, est-ce que vous modifieriez vos positions à la lumière de ce qui s'est produit depuis cette prorogation? Ou est-ce que vos positions seraient à 99 p. 100 les mêmes que dans ce que vous avez écrit en 2008? Je ne sais pas si vous comprenez le sens de ma question. C'est une longue question.
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Si je comprends bien, la plupart des travaux sont rétablis systématiquement; ils ne le sont pas tous, mais en grande partie. Les travaux entamés au cours d'une session sont repris à la session suivante à peu près là où ils avaient été suspendus. C'est ce que je comprends.
J'ai peut-être tort, mais il me semble que cela est semblable à la procédure qui prévaut ici à la Chambre des communes, puisque ces dernières années un grand nombre des mesures qui sont mortes au Feuilleton ont été présentées à nouveau à la session suivante, et on a repris les travaux à peu près là où ils avaient été suspendus. Je pense qu'on fonctionne ainsi dans la plupart des parlements modernes; on reprend la plupart des travaux.
Par contre, ce qui est plus inhabituel, c'est que dans certains cas, un parlement peut indiquer qu'il désire que certains travaux soient rapportés à la session suivante. Il sera donc possible, là où il y a régulièrement prorogation, que la Chambre adopte auparavant une motion selon laquelle, par exemple, les projets de loi 34, 36, et 59 soient présentés à nouveau, ce qui ne laisserait pas le choix à la Chambre ni au gouvernement à la session suivante.
En Nouvelle-Zélande, c'est ce qu'a fait le Parlement. On pouvait faire reporter des mesures d'un parlement à l'autre, ce qui était étrange, parce qu'une élection pouvait être déclenchée entre-temps, laquelle pouvait avoir comme enjeu le rejet par la population des politiques qui ont été proposées par l'ancien Parlement.
C'est l'une des raisons pour lesquelles, en 2005, la Nouvelle-Zélande a pris des mesures pour empêcher un parlement de déclarer que les travaux seront repris durant le prochain parlement. En effet, on croyait que c'était au nouveau Parlement de décider de la reprise de ces travaux. Ce n'est pas du tout comme une nouvelle session au sein d'une même législature, puisque dans ce cas, en théorie, le fait qu'un parlement s'engage à présenter à nouveau certaines mesures ne pose pas problème.
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Oui, je serai bref, monsieur le président.
Je veux seulement en finir avec la question que je voulais vous poser à la fin du précédent tour de table.
L'effet du hasard a fait en sorte que, lors des deux dernières années, le premier ministre a utilisé la prorogation à la fin de l'année, en décembre. Rappelez-vous, il y a deux ans. C'était pour éviter de faire face à une coalition libérale–néo-démocrate appuyée par le Bloc québécois. Il a utilisé la prorogation. Et, cette fois-ci, le 30 décembre 2009, c'était pour éviter toute la question des prisonniers afghans, etc.
Si, comme en Angleterre, le Parlement était prorogé le 31 décembre de chaque année, faudrait-il alors modifier en conséquence divers instruments légaux et législatifs pour éviter que...? L'événement s'est produit à la fin de décembre. Or s'il est certain que la Chambre soit prorogée en décembre de chaque année, et qu'en mars ou en septembre, il arrive un autre événement, une autre coalition ou d'autres documents que le gouvernement ne veut pas montrer, le premier ministre pourrait encore une fois utiliser la prorogation si l'on avait pas circonscrit ce pouvoir.
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Il s'agit là d'une question intéressante. Cela va droit au but, puisqu'il s'agit de savoir si on peut se fier uniquement aux conventions constitutionnelles et aux ententes officieuses qui avaient en quelque sorte structuré les pouvoirs à l'égard de la prorogation. Jusqu'à il y a environ 15 ou 20 ans, je pense qu'on comprenait très bien l'importance et la nature de ces conventions et de ces règles morales, du moins au sein de la classe dirigeante.
Or, au cours des 15 à 20 dernières années, j'ai observé une érosion du consensus sur la valeur de ces règles, et l'émergence d'une conviction chez de nombreux intervenants, et même chez des universitaires, selon laquelle les conventions ne sont qu'un guide pouvant être adaptées à volonté, et qu'advienne que pourra — ces règles ne sont pas considérées comme étant contraignantes, à quelques exceptions près.
Au sein de l'élite, on a donc constaté une érosion du consensus sur ces règles, qui reflète la compréhension de la population en général. Cette compréhension de ce qui se passe au Parlement et en cas d'élection a été minée par des messages tout à fait contradictoires en provenance des classes dirigeantes et des commentateurs politiques, notamment.
Par conséquent, le niveau d'éducation politique est extrêmement bas. Cela ne me surprend pas, parce que je donne un cours de sciences politiques de première année chaque an, et je suis toujours grandement étonné de voir ce que mes étudiants considèrent comme étant les règles du jeu. En outre, au cours de l'épisode de 2008, j'ai participé à un certain nombre de tribunes téléphoniques à la radio, et je dois dire que j'ai été amusé par les opinions farouches présentées, surtout celles concernant la légitimité de la coalition et la question de savoir si un nouveau gouvernement pouvait véritablement être formé si peu de temps après une élection. J'ai été particulièrement exalté par les attaques à l'encontre de la légitimité de la participation du Bloc québécois à la coalition.
Je me suis bien amusé au cours d'une tribune téléphonique à la radio en Alberta à essayer de convaincre les Albertains que le Bloc québécois contribuait en fait de façon constructive à notre système politique, et que nous étions très chanceux qu'un parti comme celui-ci ait la possibilité de réaliser ses rêves grâce au processus électoral. Il est par conséquent extrêmement important que notre processus électoral soit de la plus grande intégrité et que les règles qui l'entourent soient respectées autant que possible.
Enfin, je l'ai lu il y a déjà de nombreuses années, et je l'avais beaucoup apprécié. Je suis convaincu que j'aimerai tout autant votre mise à jour.
J'ai comparé vos observations à l'égard des pouvoirs du gouverneur général avec ceux d'autres auteurs. Par exemple, voici un article de Bradley Miller, de l'Université de Western Ontario, qui porte sur les conventions à l'égard de la prorogation du Parlement.
Vous avez déjà abordé l'une des questions que je voulais soulever, je ne crois pas que cela ait été concluant. Il est question de savoir si les gouverneurs généraux ou les lieutenants-gouverneurs, selon le cas, devraient être considérés comme ayant certains véritables pouvoirs discrétionnaires ou comme des personnes qui ne font que suivre les règles, ce qui implique que n'importe qui pourrait faire le travail — ils n'ont qu'à trouver la règle qui s'applique et à la respecter jusqu'au bout.
C'est presque aussi compliqué que les règles au golf, c'est-à-dire qu'il y a une règle pour absolument tout ce que vous faites, et on présume que chaque golfeur doit être en mesure de le faire.
Vous donnez l'exemple de la décision de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse de 1986, selon laquelle le lieutenant-gouverneur aurait pu rejeter un avis, ce qui laisse entendre qu'il aurait pu le rejeter ou l'accepter. Je vous pose donc la question. Qu'en pensez-vous? Y a-t-il un certain pouvoir discrétionnaire dans les situations telles que la prorogation?
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J'ai en fait beaucoup réfléchi et j'ai réécrit ce chapitre sur le gouverneur général plus tôt au cours de l'année.
Je dirais que oui: le gouverneur général a tout de même un important pouvoir discrétionnaire. Toutefois, il convient de nuancer cet énoncé: bien que le gouverneur général ou que le lieutenant-gouverneur puissent prendre des décisions en certaines circonstances, il ne s'agit pas complètement d'une décision personnelle.
Pour qu'un gouverneur général puisse prendre une décision, il faut que le gouvernement donne son accord. Donc le gouverneur général n'a pas la prérogative de faire ce que bon lui plaît. Le gouverneur général peut faire ce qui lui plaît si le gouvernement y consent, qu'il s'agisse du gouvernement actuel ou d'un nouveau gouvernement.
Si le gouverneur général refuse l'avis du premier ministre, il pourrait y avoir démission. Avant de refuser un tel avis, le gouverneur général doit donc déterminer si elle peut former un gouvernement viable qui assumerait ses responsabilités politiques. J'insiste là-dessus: les politiciens élus doivent être prêts à assumer les responsabilités politiques et des décisions prises par le gouverneur général, qu'il s'agisse du gouvernement du jour ou d'un nouveau gouvernement.
Le gouverneur général dispose donc d'un certain pouvoir discrétionnaire, mais cela ne veut aucunement dire qu'il ou elle peut faire comme bon lui semble. Il ou elle ne peut faire que ce que le gouvernement actuel ou son remplaçant accepterait, et, au bout du compte, pourrait justifier auprès de la population.
J'ai une deuxième question, que je poserai brièvement parce que je sais qu'il ne me reste que peu de temps. Dans chacun des cas, il s'agit d'une prorogation dans le contexte d'un gouvernement minoritaire — évidemment, c'est merveilleux que d'être majoritaire —, ce qui veut dire que lorsque que la Chambre va reprendre ses travaux, elle peut choisir de faire tomber le gouvernement.
M. Andrew Heard: C'est exact.
M. Scott Reid: Il me semble que cela a des conséquences considérables, puisque, s'il y a prorogation parce que... Supposons tout d'abord que c'est parce que les électeurs n'appuient pas le gouvernement; ce n'est qu'une façon de repousser l'inévitable.
Or, en 2008-2009, la Chambre des communes n'appuyait pas, ou du moins si elle avait eu la chance de voter, elle n'aurait pas appuyé le gouvernement, mais s'il y avait eu des élections, les électeurs, eux, semblerait-il, auraient réélu le gouvernement, en lui donnant peut-être une majorité, étant donné les enjeux à l'époque pour l'électorat et les résultats des sondages...
J'ai de la difficulté à comprendre comment on peut, en modifiant les règles, donner davantage de pouvoir à la Chambre des communes, sans en retirer aux électeurs. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, s'il vous plaît.
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Il n'y a pas de réponse facile. Ça revient à une question précédente sur la perception que la population a du système politique, des règles et des faits. Ce qui est malheureux, c'est que je pense que beaucoup de gens ont une conception fragmentée du rôle de la Chambre des communes dans le système politique.
Une longue succession de gouvernements majoritaires au XXe siècle a porté à croire que le gouvernement avait mainmise sur tout et que la Chambre n'était qu'une tribune devant approuver les travaux du gouvernement. Toutefois, au XXIe siècle, nous avons connu plus de gouvernements minoritaires, ce qui nous rappelle que le gouvernement a le droit d'établir des politiques, mais que la Chambres des communes a le choix de donner ou non son approbation et de décider qui a, légitimement, le droit de gouverner, plus particulièrement après une élection.
Je pense que l'une des façons de réaffirmer la primauté de la Chambre dans le système politique serait d'exiger son consentement en cas de prorogation, parce qu'on affirmerait ainsi de façon concrète et symbolique que la Chambre est l'organe ayant été élu par la population, et que c'est donc elle qui, au bout du compte, est maître de ses travaux et du processus parlementaire. Le gouvernement au pouvoir a le droit primordial de proposer des idées, mais il incombe à la Chambre de les approuver ou non, ou de les modifier.
Si je propose que le Règlement prévoit certaines mesures en cas de prorogation, c'est ce que je crois qu'il est important de réaffirmer publiquement l'importance de la Chambre des communes dans le processus politique.
Je suis désolé. Il s'agit là d'une réponse très alambiquée et tarabiscotée à ce qui était à l'origine une bonne question.
Monsieur Heard, merci d'être venu nous rencontrer aujourd'hui. J'ai une petite question. Je sais que le comité me permettra de la poser, car je n'en ai posé qu'une aujourd'hui, et normalement, je n'en pose pas.
M. Lauzon a déclaré que dans la plupart des cas, ce problème se pose lorsque le gouvernement est minoritaire. Il n'y a pas vraiment de problèmes de prorogation lorsque les gouvernements sont majoritaires. Mais vous avez formulé votre opinion à ce sujet.
D'autres témoins nous ont dit cependant que ce que vous demandez, ou ce dont nous discutons, crée de nouvelles conventions, soit au moyen de motions ou... vous avez fourni une assez longue liste de moyens de créer cette nouvelle convention. Bon nombre de personnes nous ont toutefois dit que cette convention ne peut être adoptée par une minorité et, pour reprendre les termes du professeur Russell — il faudra que tous les intervenants y mettre du leur pour que nous puissions mettre en place une nouvelle convention.
Est-il possible à votre avis de faire cela lorsque le gouvernement est minoritaire? Parce que dans un tel cas, ce ne sont peut-être pas tous les intervenants qui pourraient contribuer à la création de la convention.