:
Monsieur le président, je vous remercie de nous donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui.
Je m'appelle Anthony Durocher et je suis le sous-commissaire responsable des pratiques monopolistiques au Bureau de la concurrence. Je suis accompagné de ma collègue Mme Alexa Gendron-O'Donnell, sous-commissaire déléguée à la Direction de l'analyse économique du Bureau.
Le Bureau de la concurrence est un organisme d'application de la loi indépendant qui veille à ce que les entreprises et les consommateurs canadiens prospèrent dans un marché concurrentiel et innovateur.
Le Bureau assure et contrôle l'application de la Loi sur la concurrence du Canada, notamment en menant des enquêtes et en réglant les problèmes relatifs à l'abus de position dominante, aux fusions anticoncurrentielles, à la fixation des prix et aux pratiques commerciales trompeuses.
L'application de la loi en matière de concurrence ne peut reposer uniquement sur des principes théoriques. Nous utilisons une approche fondée sur des données probantes. Il faut donc que nos décisions soient fondées sur des preuves crédibles qui pourront résister au contrôle judiciaire.
Il importe également de souligner que notre rôle est d'appliquer la Loi sur la concurrence et non de faire de l'arbitrage ou de prendre des décisions judiciaires. La Loi nous oblige à respecter plusieurs normes et critères, par exemple en prouvant que quelque chose a occasionné un tort considérable à la concurrence.
Peu importe notre volonté de judiciariser une affaire donnée, nous sommes guidés par les décisions des tribunaux et du Tribunal de la concurrence.
[Traduction]
Il est difficile d'allumer la télévision ou de lire les journaux sans constater le rôle croissant des données dans notre économie. Le pouvoir que les données représentent maintenant et le contrôle que les plateformes numériques exercent sur elles méritent un examen attentif. Le Bureau reconnaît le rôle important qu'il doit jouer dans ce domaine et s'efforce d'être un chef de file, tant grâce à son travail d'application de la loi, qu'à son travail stratégique, et nous avons l'intention de vous parler des deux aujourd'hui.
Nous croyons savoir que le Comité s'intéresse particulièrement à la protection de la vie privée. C'est important pour moi de dire d'entrée de jeu que la protection des renseignements personnels n'est pas un objectif explicite au titre de la Loi sur la concurrence, de sorte que notre rôle est limité à cet égard. Cependant, la protection de la vie privée peut être pertinente à notre travail de deux façons. Premièrement, si des entreprises se livrent concurrence pour attirer de nouveaux utilisateurs en offrant une protection de la vie privée, cette dimension de la concurrence peut être un facteur pertinent dans l'examen des activités anticoncurrentielles. Deuxièmement, si une entreprise trompe des consommateurs quant au fait que leurs données seront utilisées ou à la façon dont elles le seront, une telle situation pourrait également soulever des préoccupations liées à la Loi sur la concurrence.
Il y a de nombreux avantages évidents associés à la collecte et l'analyse de données, particulièrement pour favoriser l'innovation, mais il y a aussi des risques. Le Bureau a le mandat de protéger la concurrence dans l'économie numérique, et nous continuons de faire ce travail en priorité. Cependant, il est important de reconnaître que la Loi sur la concurrence a ses limites. Ce n'est pas une solution miracle pour les menaces générales que les données et les plateformes fondées sur des données peuvent représenter pour la société, comme les violations de la vie privée, l'ingérence dans des élections ou la manipulation de l'opinion publique. Ces risques dépassent notre mandat juridique. Malgré tout, nous sommes heureux de mettre notre expertise en matière de concurrence au service de cette importante discussion puisque ce sont des enjeux transversaux qui bénéficieront d'un travail de collaboration pangouvernemental pour protéger les Canadiens.
Il y a un peu plus d'un an, le Bureau a publié un livre blanc intitulé « Mégadonnées et innovation: conséquences sur la politique en matière de concurrence au Canada ». L'objectif de ce document était de mobiliser les intervenants en suscitant une discussion sur la façon dont l'émergence des mégadonnées devrait influer sur l'application de la législation sur la concurrence.
Après de longues consultations, le Bureau a constaté qu'il n'est pas nécessaire de prendre des mesures précipitées dans ce domaine. Le cadre actuel est à la hauteur de la tâche, mais nos outils doivent évoluer pour faire face aux enjeux complexes découlant des plateformes numériques, comme celles qui monétisent les données des utilisateurs par la publicité en offrant des services gratuits aux consommateurs.
L'une des préoccupations récurrentes dont nous entendons parler, c'est la taille et la croissance de certaines entreprises de technologie, mais la taille n'est pas nécessairement quelque chose de mal. Grossir, c'est la récompense qu'une entreprise peut obtenir lorsqu'elle réussit à offrir un produit novateur. Nous ne devrions pas punir la réussite. C'est seulement lorsqu'on trouve des preuves qu'une grande entreprise s'adonne à un comportement anticoncurrentiel préjudiciable que nous devrions intervenir.
Il est important de trouver le juste équilibre entre la prévention de tout comportement concurrentiel néfaste pour les consommateurs canadiens et une surapplication indue de la loi et le tort involontaire que cela pourrait causer à l'innovation et à l'économie. Certains des enjeux dont nous avons entendu parler relativement à l'économie numérique et notre surveillance incluent le fait que des entreprises achètent des concurrents émergents ou excluent ceux qui causent des perturbations. Des entreprises peuvent utiliser l'intelligence artificielle ou des algorithmes pour s'entendre et fixer des prix, et d'autres peuvent tromper les consommateurs quant à savoir si leurs données seront utilisées et la façon dont elles le seront. Si nous trouvons des preuves du fait que ces pratiques contreviennent à la Loi sur la concurrence, le Bureau prendra des mesures pour protéger les Canadiens.
Nous avons déjà mené plusieurs enquêtes importantes dans le domaine de l'économie numérique, y compris sur Google relativement à un abus présumé de pouvoir sur le marché lié à son moteur de recherche, et sur le Toronto Real Estate Board, le TREB, au sujet de ses données immobilières.
Notre cause contre le TREB est un excellent exemple. Nous avons pu l'empêcher de cacher des données immobilières à des agents qui voulaient offrir des services en ligne novateurs aux acheteurs et aux vendeurs de maisons. Ce cas montre bien de quelle façon nous nous assurons que les consommateurs canadiens bénéficient de l'innovation dans l'économie numérique.
Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de discuter plus en détail du livre blanc du Bureau ainsi que de ces récentes affaires durant la période de questions et de réponses.
[Français]
L'économie numérique est l'une des grandes priorités du Bureau. Nous continuerons à surveiller le marché en ligne, y compris les comportements des grandes entreprises technologiques.
Nous continuerons également à travailler de près avec nos partenaires canadiens et étrangers et à évaluer attentivement les mesures prises par nos homologues internationaux. Toutefois, les lois et les dynamiques concurrentielles varient parfois considérablement d'un pays à l'autre, et nous devons garder ces différences en tête.
Par ailleurs, nous encourageons tous les Canadiens à communiquer avec nous s'ils ont des preuves qu'une infraction à la Loi sur la concurrence a été commise.
Avant de répondre à vos questions, je tiens à préciser que la Loi sur la concurrence oblige le Bureau à mener ses enquêtes en privé et à protéger la confidentialité des renseignements qu'il obtient. Cette obligation pourrait nous empêcher de discuter d'enquêtes actuelles ou antérieures.
Nous sommes ravis d'avoir cette occasion de comparaître devant vous pour discuter de notre travail et attendons avec impatience vos questions.
Je vous remercie.
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Merci et bonjour, monsieur le président, et bonjour aux membres du Comité.
Je m'appelle Dan Rogers. Je suis chef adjoint du Renseignement électromagnétique étranger au Centre de la sécurité des télécommunications. Je suis responsable du programme de renseignement électromagnétique étranger du CST. Je suis accompagné aujourd'hui par mon collègue, André Boucher, sous-ministre délégué des Opérations du Centre canadien pour la cybersécurité.
Le Centre canadien pour la cybersécurité, qui fait partie du CST, est l'autorité nationale en matière de cybersécurité et d'intervention en cas de cybermenaces. C'est avec plaisir que je me présente aujourd'hui devant vous tandis que vous poursuivez votre étude.
En ce qui a trait à l'incident impliquant Cambridge Analytica et Facebook, le CST n'a pas le mandat de réglementer les médias sociaux et n'est pas un organisme d'application de la loi. Le CST n'a pas la responsabilité de surveiller ces entreprises. Il incombe toutefois au Centre de repérer et de contrer les cybermenaces qui planent sur le processus démocratique du Canada. Pour cette raison, mon allocution portera sur ces menaces et sur les façons de les contrer en appliquant des mesures robustes de sécurité informatique et physique.
J'espère aussi vous éclairer sur les fonctions du CST et sur les changements qu'il a vécus depuis la dernière fois que des représentants de l'organisme se sont présentés devant le Comité, en 2017.
Le CST est l'organisme national du renseignement électromagnétique en matière de renseignements étrangers et l'expert technique de la cybersécurité et de l'assurance de l'information. Je tiens à préciser que les activités de renseignement électromagnétique du CST ciblent uniquement les communications étrangères. La loi interdit en effet à l'organisme de viser des Canadiens, où qu'ils soient, ou toute autre personne se trouvant au Canada.
Le CST adapte ses activités au contexte actuel de la menace. Il contribue à assurer la prospérité, la sécurité et la stabilité du Canada en fournissant des renseignements sur les activités terroristes menées à l'étranger ou sur les menaces qui pèsent sur les Canadiens à l'extérieur du pays, ainsi qu'en défendant le Canada contre des cyberattaques.
Récemment, le CST a été chargé d'aider la ministre des Institutions démocratiques à remplir son mandat qui consiste à diriger les efforts du gouvernement du Canada en vue de défendre le processus électoral canadien. Plus précisément, la lettre de mandat adressée à la ministre des Institutions démocratiques précisait que celle-ci devait demander au CST d'analyser les risques que représentent les pirates informatiques contre les activités politiques électorales du Canada, de diffuser les résultats de l'évaluation au grand public et de conseiller les partis politiques canadiens et Élections Canada concernant les pratiques exemplaires en matière de cybersécurité.
Le CST a donné suite à sa demande en publiant, en juin 2017, un rapport sur les cybermenaces qui planent sur le processus démocratique du Canada. Le rapport est non classifié, mais les principales conclusions de l'évaluation sont fondées sur de nombreuses sources, notamment des renseignements classifiés obtenus grâce à l'expertise unique du CST dans les domaines de la cybersécurité et du renseignement étranger. Le CST a étudié les cybermenaces qui pèsent sur les processus démocratiques partout au Canada, dans les ordres de gouvernement fédéral, provincial ou territorial ainsi que municipal. Il a fait la même chose dans le reste du monde. Le rapport porte sur les types d'auteurs de menaces, les cibles qu'ils sont susceptibles de choisir et les méthodes qu'ils pourraient privilégier pour cibler leurs victimes.
Selon l'évaluation du CST, lors des élections fédérales de 2015, le processus démocratique du Canada a été ciblé par des activités de cybermenace peu perfectionnées, probablement perpétrées par des cyberactivistes et des cybercriminels. Ces activités n'ont eu aucune incidence sur les résultats de l'élection ni sur la protection des renseignements personnels des Canadiens. Le CST estime que, à l'échelon fédéral, les partis politiques, les politiciens, les médias traditionnels et les médias sociaux sont plus vulnérables aux cyberattaques que les activités liées aux élections.
Comme les processus démocratiques de partout dans le monde sont de plus en plus ciblés par des activités de cybermenace, le CST s'attend à ce que de nombreux groupes de cyberactivistes recourent à des moyens informatiques pour tenter d'influencer le processus démocratique durant les élections fédérales de 2019. Le CST estime que les cybermenaces seront probablement peu perfectionnées, mais bien planifiées et qu'elles cibleront plus d'un aspect du processus démocratique.
Le CST a reçu pour consigne de poursuivre son analyse. Il s'attend à publier une mise à jour de son rapport de 2017.
Même si le rapport sur les cybermenaces n'a pas comme mandat de prodiguer des conseils sur les mesures d'atténuation, pour satisfaire à la demande de la , nous avons tenu des séances d'information à l'intention des membres des partis politiques, des greffiers provinciaux et territoriaux et des employés d'Élections Canada afin de leur faire part des pratiques exemplaires en matière de cybersécurité.
Le principal message véhiculé durant ces séances d'information, c'était que les mesures de protection des systèmes devraient arrêter la plupart des activités qui seraient malveillantes, mais que la sécurité informatique ne dépend pas seulement de la technologie. Les utilisateurs doivent aussi être vigilants et adopter de saines habitudes en matière de cybersécurité afin de freiner les menaces d'aujourd'hui et de rester en amont des menaces de demain.
Le CST a publié sur son site Web plusieurs documents portant, entre autres, sur les 10 mesures de sécurité des TI, le Guide d'hygiène informatique, les pratiques exemplaires en matière de cybersécurité et sur la sécurité des appareils mobiles à l'intention des TI organisationnelles et d'autres ressources contenant des pratiques exemplaires à l'intention des utilisateurs. Nous serons heureux de parler de ces ressources plus en détail durant la période de questions et de réponses.
La cybersécurité est un sport d'équipe. Le CST continue donc de travailler de concert avec Élections Canada pour assurer la protection des élections et pour faire en sorte qu'elle reste un aspect du processus démocratique dans lequel la population a confiance.
Le CST continuera de travailler en collaboration avec la et d'autres intervenants, au besoin, pour assurer la protection des institutions démocratiques du Canada ainsi que du processus électoral contre les cybermenaces.
Le 1er octobre, le a annoncé la création officielle du Centre canadien pour la cybersécurité, l'autorité nationale en matière de cybersécurité et d'intervention en cas de cybermenace. Le Centre pour la cybersécurité, hébergé par le CST, réunit l'expertise du CST et celle de ses collègues de Sécurité publique Canada et de Services partagés Canada sous le même toit. Le Centre représente une source unifiée d'avis et de conseils spécialisés pour les entreprises privées, les propriétaires et les exploitants des infrastructures essentielles ainsi que le public canadien. Il contribuera à la sécurité du cyberespace.
Grâce à la mise en place du nouveau Centre canadien pour la cybersécurité, il sera plus facile de coordonner les efforts visant à protéger les institutions démocratiques du Canada contre les cybermenaces, et cela inclut la période précédant les élections fédérales de 2019.
Encore une fois, nous vous remercions de nous avoir invités aujourd'hui. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
Bonjour, monsieur le président, et bonjour aux membres du Comité. Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité ici aujourd'hui.
En tant que directeur général du service des Analyses de l'économie canadienne de la Banque du Canada, je suis heureux de présenter le point de vue et les observations de la Banque relativement à la diminution de la concurrence dans les économies avancées. Je parlerai aussi des répercussions, tant pour ce qui est de la concurrence que du dynamisme de l'économie à long terme, de l'émergence des grandes entreprises de hautes technologies et ainsi que de l'importance croissante des mégadonnées.
Pour tenter d'atteindre son objectif qui consiste à maintenir l'inflation à un niveau bas, stable et prévisible, la Banque du Canada doit absolument comprendre l'incidence de la numérisation sur l'économie canadienne. Comme le mandat de la Banque ne prévoit aucun rôle de réglementation concernant la confidentialité des données des citoyens, vous comprenez, j'en suis convaincu, que je ne pourrai pas aborder les répercussions de ces questions sur le plan de la protection de la vie privée.
La numérisation de l'économie canadienne avance rapidement. Ce changement devrait, globalement, favoriser le progrès économique. Il entraîne la création d'entreprises ainsi que la transformation d'entreprises actuelles, qui doivent revoir leur fonctionnement en raison des nouvelles technologies. Les consommateurs, pour leur part, peuvent se procurer en tout temps une gamme apparemment sans cesse croissante de biens et de services, et ce, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, produits partout au Canada et dans le monde entier.
[Français]
La numérisation contribuera à faire augmenter la productivité, et donc le niveau de vie, au cours des années et des décennies à venir.
Beaucoup de personnes s'inquiètent de l'avènement des robots et du fait qu'ils pourraient remplacer des travailleurs. Naturellement, nous avons tendance à nous focaliser sur cet effet initial, mais il faut savoir qu'un robot ne peut pas remplacer un travailleur du jour au lendemain.
[Traduction]
Il est néanmoins évident que certaines personnes seront touchées par ces changements, mais la société aura le temps de s'adapter. Les travailleurs concernés auront besoin de soutien. La formation professionnelle et un robuste filet de sécurité sociale sont donc essentiels.
De plus, il ne faut pas oublier que la numérisation crée de nouveaux types d'emplois, et en créera d'autres que nous n'avons même pas encore imaginés. Ces emplois favoriseront la croissance de l'économie. Ils procureront de nouveaux revenus qui seront dépensés non seulement dans la sphère numérique, mais dans tous les secteurs, ce qui aidera aussi les travailleurs occupant des emplois traditionnels.
L'utilisation à diverses fins commerciales de l'intelligence artificielle et de l'apprentissage machine de pair avec les mégadonnées est au coeur de la numérisation. L'IA et l'AM accroissent la productivité des entreprises de trois grandes façons: ils les aident à fabriquer de meilleurs produits et à améliorer l'expérience client, ils contribuent à l'élaboration plus efficace et rapide de produits et de services et, finalement, ils permettent aux entreprises de conquérir de nouveaux marchés et de nouveaux clients.
[Français]
Les applications de ces technologies sont pratiquement infinies. En voici quelques exemples.
Des agriculteurs utilisent des systèmes de pilotage automatique par GPS pour conduire leurs tracteurs et optimiser l'utilisation de fertilisants et de pesticides; des robots travaillent dans des usines et des entrepôts et « conduisent » des chariots élévateurs pour déplacer la marchandise; une intelligence artificielle peut vous suggérer des produits ou des services à acheter; et des agents intelligents et des robots-conseillers de sites Web sont prêts à répondre à vos questions.
[Traduction]
En combinant IA et l'AM aux mégadonnées, les entreprises peuvent obtenir un avantage concurrentiel parce qu'elles pourront, au bout du compte, offrir un meilleur produit ou un meilleur service à plus bas prix. Une des caractéristiques de l'IA, de l'AM, des mégadonnées et des effets de réseau, c'est qu'il y a toujours de grands avantages liés au fait d'être le premier à les utiliser. En fait, la concentration du marché est un phénomène qui se produit naturellement dans les secteurs d'activités caractérisés par d'importants effets de réseau et d'autres formes d'économies d'échelle.
Dans le contexte actuel, cette dynamique peut mener à la création d'entreprises phares. Ces entreprises ont généralement un effectif moins nombreux que les entreprises traditionnelles et elles peuvent dégager d'énormes bénéfices grâce à leur activité monopolistique.
La nouveauté, c'est que cette impression selon laquelle le gagnant rafle toute la mise s'amplifie dans une économie numérique, car les données des utilisateurs deviennent une autre source de monopole. Les données d'un grand réseau créent dès lors un obstacle considérable à l'entrée de concurrents sur le marché. Un autre obstacle peut résider dans la stratégie de certaines entreprises, qui étant en mesure de contrôler l'accès à des services en ligne essentiels, exploitent cette situation pour entraver leurs concurrents et freiner l'innovation. Dans ces circonstances, nous sommes d'avis que les politiques en matière de concurrence peuvent être adéquatement modernisées afin de veiller à ce que nous tirions pleinement parti de la numérisation.
Que savons-nous? Quelles données probantes avons-nous au sujet de la concentration du marché, des marges bénéficiaires et des prix?
Ces dernières années, les économistes ont porté une attention considérable à la hausse séculaire de la concentration du marché dans les économies avancées. Ils ont notamment mis au point des modèles qui relient cette hausse à la numérisation. Plus particulièrement, les entreprises phares sont en mesure d'accroître leur part de marché grâce aux progrès technologiques — comme l'utilisation de l'IA ou de l'AM et des mégadonnées —, augmentant ainsi la concentration sectorielle. Elles détiennent aussi une part élevée des profits, ce qui peut entraîner une baisse de la part du revenu du travail.
De façon générale, la plupart des secteurs ont vu leur concentration augmenter ces 15 dernières années. Même si les données d'observation ne sont pas encore concluantes, la hausse généralisée de la concentration sectorielle dans l'ensemble des pays porte à croire que ce sont les changements technologiques, c'est-à-dire la numérisation, et non des facteurs propres à chaque pays, qui en sont le principal vecteur.
L'une des préoccupations que suscite chez nous la domination des entreprises phares tient au fait que celles-ci disposent d'un pouvoir plus important quand il s'agit de fixer leurs prix, ce qui pourrait faire augmenter les prix. C'est pourquoi les économistes se penchent aussi sur la hausse séculaire du pouvoir de marché des entreprises, que l'on mesure par des marges bénéficiaires. Ainsi les chercheurs ont noté une hausse des marges moyennes aux États-Unis entre 1980 et 2014. Ils constatent également une augmentation des marges partout. Ce mouvement se manifeste aussi au Canada. Ici, les chercheurs observent une tendance générale très semblable à celle des États-Unis, ce que confirme d'ailleurs le Fonds monétaire international, ce qui donne à penser que le pouvoir du marché s'accroît dans de nombreux pays depuis plusieurs décennies.
La question qui se pose ensuite est de savoir si la numérisation a eu une incidence sur les prix à la consommation. C'est qu'on appelle couramment l'« effet Amazon », selon lequel la concurrence exercée par des détaillants en ligne ferait baisser les prix. Il peut sembler paradoxal que la numérisation fasse à la fois augmenter les marges et baisser les prix. Toutefois c'est simplement que les avantages de la technologie profitent en partie aux clients, qui obtiennent des baisses de prix, mais aussi aux entreprises, dont les marges sont plus élevées en raison de la diminution des coûts.
Même si les observations directes de l'effet de la numérisation sur l'inflation sont contrastées, elles tendent effectivement à indiquer une pression à la baisse. Dans les études publiées l'an dernier, les chercheurs de la Banque ont conclu que les observations directes faisaient état d'un léger effet négatif de la numérisation sur l'inflation. Autrement dit, la numérisation freinait la hausse des prix, au lieu de l'alimenter. Les indications tirées des données sur les prix en ligne, par exemple celles obtenues dans le cadre du Billion Prices Project, sont-elles aussi contrastées. Selon certaines, les prix en ligne ont tendance à se comporter de façon comparable aux prix des magasins ayant pignon sur rue, tandis que, selon d'autres, on constate des répercussions importantes à la baisse sur l'inflation année après année. Comme on le devine facilement, cette situation s'explique entre autres par la possibilité que nous avons tous de comparer les prix des concurrents au moyen d'un téléphone intelligent avant de passer à la caisse.
Enfin, lorsque nous utilisons le cadre sur lequel reposent les principaux modèles de la Banque pour évaluer les voies par lesquelles la numérisation pourrait agir sur l'inflation, nous constatons que la plupart des dynamiques associées à la numérisation exerceraient une pression à la baisse sur l'inflation.
En somme, la question de l'effet de la numérisation sur la concentration du marché et, par conséquent, sur la concurrence, reste entière. La Banque continuera d'étudier l'influence de la numérisation sur l'économie canadienne dans le cadre de son mandat, qui consiste à favoriser la prospérité économique et financière du pays.
[Français]
Je vous remercie encore de votre invitation.
:
Merci, monsieur le président. Merci beaucoup.
Je tiens à remercier tous les témoins qui ont comparu ce matin.
Je comprends que le Bureau de la concurrence et la Banque n'ont que des suggestions périphériques pouvant s'appliquer aux recommandations que nous ferons au gouvernement une fois que nous aurons terminé le rapport sur la vulnérabilité numérique du système électoral canadien ou les menaces qui pèsent sur le système électoral canadien. Par conséquent, je veux consacrer tout mon temps aux témoins du CST aujourd'hui.
En tant que politicien, je suis actif sur les médias sociaux presque uniquement pour des raisons politiques, et il y a d'importants avantages à utiliser Facebook, Instagram et les autres médias sociaux... Twitter.
Cette semaine, j'ai vécu tout personnellement la menace numérique lorsque mon compte Instagram a été piraté par quelqu'un à l'étranger. Mon compte Facebook a été piraté et il a fallu un certain temps pour que je puisse le récupérer.
Ça m'a rappelé la fameuse astuce de Beyoncé, dont des témoins ont déjà parlé devant le Comité. Aux États-Unis, dans le cadre des dernières élections fédérales, une page Facebook a été créée pour rendre hommage à Beyoncé. La page a accumulé des millions d'abonnés. Puis, dans les derniers jours de la campagne électorale — et tout ça avait été mis en place, d'après ce que j'ai compris, par des Russes d'un niveau ou d'un autre —, des messages ont été envoyés, et on a conclu au bout du compte que ces messages visaient à décourager les électeurs noirs d'aller voter dans le cadre de la campagne ou dans le cadre de certaines campagnes.
Nous avons demandé à l'un de nos témoins précédents, M. Ben Scott, de quelle façon les Canadiens pouvaient se protéger contre le genre de bombes à retardement que constitue ce genre de cheval de Troie des médias sociaux, cette bombe qui devait exploser au moment de la période électorale où les gens prennent leur décision. Il a laissé entendre que les organismes comme le CST utiliseraient l'approche de l'« équipe rouge » comme il l'a appelée, le jeu de la guerre froide dans le cadre duquel on tente de prévoir les menaces, de déterminer de quelle façon y réagir, la façon dont on pourrait considérer qu'il s'agit de tentatives frauduleuses de s'ingérer dans le processus électoral. Essentiellement, il a dit que les agences responsables de la sécurité ont la capacité — et je comprends que vous n'avez aucun pouvoir relativement aux médias sociaux —, c'est assurément le cas des agences de sécurité américaines, de déceler les interventions étrangères ou les acteurs étrangers présents dans les médias sociaux.
Pouvez-vous me dire ce que fait le CST dans ce domaine?
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Merci beaucoup de poser la question. C'en est une bonne.
Ce que nous constatons, actuellement, dans l'économie canadienne, c'est qu'il y a beaucoup d'activités dans l'économie numérique. Même si nous n'avons pas de mesure explicite de cette économie, les éléments que nous examinons montrent l'existence d'une croissance très vigoureuse. Si on prend une mesure, par exemple, si on regarde le PIB par industrie, il y a une catégorie appelée « conception de systèmes informatiques et services connexes ». Elle affiche une croissance supérieure à 7 % par année depuis cinq ans. En valeur ajoutée, elle est aussi importante que les catégories de l'automobile et l'aérospatiale combinées. Alors, il y a une croissance très rapide; il se passe beaucoup de choses.
Si on adopte une approche empirique et qu'on regarde des centres comme Toronto, Montréal, le corridor de Waterloo, Edmonton et d'autres endroits, il y a beaucoup d'activités numériques, et beaucoup d'investissements sont effectués dans la PI ainsi que dans la recherche et développement. En outre, cette situation a suscité l'intérêt de gros joueurs qui apportent des IDE au Canada et s'établissent ici, afin de profiter du bassin de talents dont nous disposons en ce qui a trait aux mégadonnées, à l'IA et à l'AM. Selon un paramètre, le Canada possède le troisième plus grand nombre de chercheurs en IA et en langage machine, alors nous sommes bien placés pour tirer profit de cette situation, et nous la considérons comme un très puissant moteur de l'économie canadienne actuellement.
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Cela concerne le volet sécurité de votre organisation.
Peut-être pourrait-on ajouter un peu aux propos tenus par Dan au sujet de l'équipe et de sa taille. Le pouvoir de 2 500 personnes est en réalité celui de 2 500 plus nos collègues du Groupe des cinq, et cela nous aide à croître, quand nous faisons face à des menaces étrangères de divers types, de tous les genres. Nous travaillons en très étroite collaboration. Nous échangeons des conseils et des consignes, ainsi que les points de vue sur la nature des menaces, les méthodes qui sont employées, et ce qu'il faut faire à ce sujet.
Quant aux technologies et aux pays particuliers, bien entendu, il y a des moments où, au sein du Groupe des cinq, nous pouvons avoir des opinions et des points de vue divergents, mais il faut s'y attendre, car nous venons de pays différents. Nos organisations et nos droits souverains sont différents, de même que nos systèmes, en fait, et nous assurons déjà une présence distincte. Vous nous voyez peut-être parfois tenir des discussions entre nous, car notre situation est différente. Nous prenons des mesures différentes, mais, au bout du compte, dans le cadre de nos négociations, lorsque nous discutons et étudions des situations semblables, nous arrivons toujours à la même conclusion. Là où il pourrait y avoir des différences superficielles, je vous assure que, là où cela compte vraiment, en profondeur, nos opinions concordent parfaitement, et c'est le cas depuis 70 ans.
Monsieur Santor, j'ai une dernière question.
Mme Wilkins, sous-gouverneure, a fait remarquer en février passé que les données étaient devenues une autre source de pouvoir monopolistique. Elle avait deux préoccupations. Premièrement, cela pourrait avoir une incidence négative sur l'innovation; et, deuxièmement, certaines entreprises pourraient se remettre à fixer les prix de manière monopolistique à long terme.
Il y a peut-être d'autres inquiétudes. D'autres témoins nous ont fait part d'autres préoccupations potentielles à l'égard des politiques antitrust.
Mme Wilkins a rejeté certaines solutions possibles dont parlent d'autres personnes concernant la façon dont nous réglementons la propriété et la communication d'informations et le fait que nous traitons peut-être les plateformes technologiques comme des services.
Lorsque les représentants du CRTC ont témoigné à propos de la neutralité du Net, ils ont parlé d'un article qui indique que les entreprises n'ont pas le droit d'établir une discrimination injuste, ou —y compris envers elles-mêmes — une préférence indue ou déraisonnable, ou encore de faire subir un désavantage de même nature. Voilà ce qui en est pour le traitement équitable.
Devrions-nous réglementer Facebook, Google, Apple, Amazon et Microsoft? Ne devrions-nous pas les traiter comme Rogers et Bell?