[Français]
J'aimerais remercier les membres du Comité de m'avoir invité à discuter aujourd'hui de l'incidence des plateformes en ligne sur la protection de la vie privée et des solutions législatives qui pourraient répondre aux préoccupations des citoyens concernant l'utilisation de leurs renseignements personnels.
Comme vous le savez, il y a quelques semaines, j'ai reçu une plainte à ce sujet et j'ai annoncé que le Commissariat avait lancé une enquête officielle sur la façon dont les activités de Facebook et d'AggregateIQ ont pu porter atteinte à la vie privée des Canadiens.
Compte tenu de mes obligations juridiques en matière de confidentialité lors d'une enquête, je ne peux discuter des détails de cette enquête avec vous aujourd'hui. Je ne peux certainement pas préjuger de nos conclusions.
Je peux toutefois vous offrir mes observations sur le contexte plus général qui, je l'espère, pourraient vous aider lors de vos délibérations.
[Traduction]
Les Canadiens veulent profiter des nombreux bienfaits de l’économie numérique, mais ils s’attendent à juste titre à ce qu’ils puissent le faire tout en sachant que leurs droits et leurs renseignements personnels seront protégés par des lois efficaces. Ils veulent avoir la confiance que les règles, les lois et le gouvernement les protégeront contre d’éventuels préjudices.
Dans la récente affaire Facebook, le PDG de l’entreprise, Mark Zuckerberg, a admis qu’il y avait eu un « grave bris de confiance ». Comme l’a reconnu le PDG d’un autre géant de la haute technologie, Tim Cook d’Apple, la situation est tellement alarmante qu’il est maintenant temps d’adopter des lois à la mesure du problème afin de réglementer l’économie numérique. Le temps de l’autorégulation est terminé.
Bien sûr, au Canada, nous avons des lois relatives à la protection de la vie privée. Mais celles-ci sont très permissives et accordent aux entreprises une grande latitude en ce qui concerne l’utilisation des renseignements personnels dans leur propre intérêt. En vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, la LPRPDE, les organisations doivent respecter le principe de responsabilité, mais les Canadiens ne peuvent se fier exclusivement aux entreprises pour gérer leurs renseignements de façon responsable. La transparence et la responsabilité sont nécessaires, mais elles ne sont pas suffisantes.
Pour être clair, il ne suffit pas de demander aux entreprises d’être à la hauteur de leurs responsabilités. Les Canadiens ont besoin de lois plus strictes en matière de protection des renseignements personnels qui les protégeront lorsque les organisations échoueront à le faire. C’était l’une des principales conclusions de mon rapport annuel au Parlement l’année dernière. J’ai également soulevé ce point au cours de votre étude récente de la LPRPDE, la loi fédérale sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé.
Compte tenu de l’opacité des modèles d’affaires et de la complexité des flux de données, la loi devrait permettre au commissariat, à titre de tiers indépendant, de se rendre dans une organisation et de vérifier si cette dernière respecte les principes de protection de la vie privée, et ce, sans devoir au préalable soupçonner qu’il y a eu violation de la loi.
Le moment est aussi venu de conférer au commissariat le pouvoir d'émettre des ordonnances et d’imposer des sanctions pécuniaires contre ceux qui refusent de se conformer à la loi.
Une législation renforcée n’a pas à être un obstacle à l’innovation. Nous savons que nos renseignements personnels sont au coeur de la révolution numérique, y compris les avancées en intelligence artificielle. Ces avancées sont essentielles au développement social et économique du pays. Nous avons besoin d’un cadre législatif qui exige un consentement éclairé comme règle générale, tout en reconnaissant que le consentement ne sera pas toujours possible dans le monde des mégadonnées et de l’intelligence artificielle, où les renseignements personnels sont utilisés à des fins qui ne sont pas toujours connues lors de leur cueillette initiale.
C’est pourquoi nous avons recommandé que le Parlement examine la possibilité de proposer de nouvelles exceptions au consentement. Nous pensons qu’il est préférable d’adopter de telles exceptions, assorties de conditions qui protégeraient réellement la vie privée, plutôt que de s’en remettre à une interprétation si élastique du consentement qu’il en perd son sens. Nous préférons des exceptions restreintes et particulières — mais nous reconnaissons qu’une option pourrait être une exception d’intérêt légitime comme il en existe en Europe.
J’ai constaté avec grand plaisir que votre comité a récemment publié un rapport réclamant des changements en profondeur à la loi fédérale sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, qui comprenait certaines recommandations que j’avais formulées, ainsi que plusieurs autres suggestions qui renforceraient de façon significative les droits des Canadiens en matière de protection de la vie privée. Votre rapport montre que vous comprenez bien les conséquences du caractère désuet des lois fédérales actuelles, et vous avez activement réclamé que le gouvernement apporte des changements en profondeur.
Plusieurs autres intervenants, en particulier au cours des dernières semaines, en arrivent au même constat, y compris certains chefs de file de l'industrie technologique.
Je suis d'avis qu'il est maintenant temps d'agir.
[Français]
Il est également temps d'agir dans le domaine des mesures de protection de la vie privée et des partis politiques.
Comme vous le savez, aucune loi fédérale sur la protection de la vie privée ne s'applique aux partis politiques. La Colombie-Britannique est la seule province qui possède une législation en la matière.
La situation est différente dans de nombreux autres pays. Le Royaume-Uni, la plupart des pays membres de l'Union européenne et la Nouvelle-Zélande, entre autres, ont des lois qui régissent les organisations politiques à cet égard.
En fait, dans de nombreux États membres de l'Union européenne, les renseignements relatifs aux opinions politiques sont considérés comme étant de nature très délicate et, à ce titre, ces renseignements sont considérés comme nécessitant des mesures de protection supplémentaires.
Dans l'environnement numérique, il existe maintenant de nombreux acteurs qui jouent un rôle dans ce domaine, dont les courtiers en données, les entreprises d'analyse de données, les réseaux sociaux, les fournisseurs de contenu, les spécialistes du marketing numérique et les entreprises de télécommunications.
Par conséquent, pendant que je mène une enquête sur des organisations commerciales comme Facebook et AggregateIQ, je ne suis pas en mesure d'enquêter sur la façon dont les organisations politiques utilisent les renseignements personnels que des entreprises leur transmettent.
Il s'agit, selon moi, d'une lacune importante.
Il faudrait qu'une entité indépendante détenant les pouvoirs nécessaires puisse examiner les pratiques des partis politiques et déterminer si les droits en matière de respect de la vie privée sont véritablement respectés par tous les principaux intervenants.
Cette lacune doit être comblée au moyen d'une mesure législative qui reste à déterminer, soit une loi existante sur la protection des renseignements personnels, soit la Loi électorale du Canada ou encore une autre loi.
En conclusion, je voudrais de nouveau souligner l'urgence de la situation ainsi que les enjeux auxquels il faut faire face.
L'intégrité de nos processus démocratiques et la confiance à l'égard de l'économie numérique sont exposées à des risques importants.
Il s'agit de questions pressantes sur lesquelles les législateurs doivent se pencher, et je vous félicite de le faire.
Je vous remercie à nouveau de l'invitation, et c'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Merci.
C'est un plaisir de comparaître devant vous aujourd'hui. Je vous remercie de m'en donner l'occasion. Je pense que le sujet à l'étude en est un d'une grande importance. Facebook est certainement un des principaux éléments en cause, mais je vous encourage tous vivement à garder un oeil sur les efforts très ciblés de ceux dont Facebook sert de pilier à leurs activités, mais pas uniquement Facebook; ceux dont l'objectif ultime est, à mon avis, de nuire à l'institution même de la démocratie.
Au cas où vous n'auriez jamais entendu parler de moi, je me trouve en quelque sorte dans une situation idéale pour parler de ce sujet. Mon travail consiste principalement à traquer les fuites de données. Je me suis autoproclamé « chasseur de fuites de données ». Au cours des dernières années, je me suis taillé une réputation de grand expert sur la prévalence et les causes des fuites de données, de même que sur les modèles d'intervention communs des entités touchées. Je vous prie de noter toutefois que les fuites de données que je localise et sécurise ne sont pas le fait d'actions malveillantes ou d'exploitation des ordinateurs. Il s'agit tout simplement de données qui, pour une raison ou une autre, se promènent à l'air libre, et dont personne ne s'est rendu compte jusqu'à ce que j'intervienne. Et vous seriez surpris du nombre de fois où cela se produit. Il y a une épidémie d'erreurs de configuration sur Internet.
J'ai sécurisé des fuites de données en provenance, par exemple, de Verizon, Viacom, Microsoft, Hewlett-Packard, le département de la Défense des États-Unis, l'institut national électoral au Mexique, l'INE, des listes noires du terrorisme international, de même que le site Web de Trump lors de la campagne présidentielle en 2016. Il y avait là des fuites d'information également.
Au total, mes efforts ont permis de protéger près de deux milliards de dossiers contenant des renseignements personnels, alors je connais bien le sujet. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Plus précisément, j'aimerais mentionner que deux fuites de données que j'ai découvertes en décembre 2015 concernaient l'enregistrement des électeurs partout aux États-Unis, dans les 50 États, plus le district de Columbia. La deuxième fois, en décembre, les données étaient plus détaillées. Il y avait des renseignements personnels sur les gens, leur personnalité, leurs comportements, et on mentionnait s'ils possédaient une arme, s'ils suivaient les préceptes de la Bible.
Six mois plus tard, en 2016, je suis tombé sur une autre base de données nationale d'électeurs aux États-Unis, encore plus détaillée que la précédente, qui précisait si une personne suivait les courses NASCAR, si elle était contre l'avortement et si elle était susceptible de posséder une arme.
Puis je suis tombé sur un autre ensemble de dossiers nationaux. Je les ai téléchargés après les avoir trouvés en juin 2017. Il s'agissait alors de la troisième série de données électorales des États-Unis au complet sur laquelle je tombais. Elle contenait 198 millions de dossiers, ce qui constituait la plus importante fuite de données sur les électeurs aux États-Unis connue de toute l'histoire. J'aimerais souligner qu'au moment de leur découverte, aucune de ces bases de données n'était protégée par un simple nom d'utilisateur ou mot de passe. Les données étaient à l'air libre. En sachant où chercher, n'importe qui dans le monde pouvait les trouver.
Le cas d'AggregateIQ qui m'amène ici aujourd'hui a commencé le 20 mars de la présente année — c'est donc tout récent. Je ne connaissais pas AggregateIQ avant le 20 mars. Je me promenais sur un site Web ouvert au public appelé GitHub où les développeurs collaborent et publient un code source ouvert.
J'ai vu un renvoi à @aggregateiq.com au sujet d'un code de SCL Group qui était à l'air libre et accessible au public. J'ai suivi les miettes de pain, découvert qui était AggregateIQ et remarqué que l'entreprise avait un sous-domaine appelé GitLab. Quand j'ai regardé gitlab.aggregateiq.com, je me suis rendu compte qu'on pouvait s'inscrire et, qu'en fait, l'entreprise invitait toute la planète à s'ouvrir un compte sur son portail de collaboration.
Je me suis donc ouvert un compte, je suis entré sur le site, et j'ai eu accès à tous les outils, utilitaires, authentifiants, messages, problèmes et notes des employés, et les demandes de fusion me sont apparues. Je me suis vite rendu compte de l'importance de cela et que cela intéresserait au plus haut point les organismes de réglementation, les gouvernements et les gens de plusieurs pays, alors j'ai commencé le téléchargement. Normalement, je m'efforce de protéger les gens qui peuvent être touchés par ce genre de choses, mais je dois dire que, dans ce cas, l'intérêt évident de la population de connaître la vérité au sujet des activités de Cambridge Analytica, AggregateIQ et SCL Group a été un facteur décisif. Je ne veux pas que vous pensiez que je me contente de remettre aux intéressés leur linge sale quand je découvre ce genre de choses. La situation est différente dans ce cas.
Je répète que n'importe qui dans le monde possédant une connexion Internet aurait pu trouver la même chose, en s'ouvrant un compte comme je l'ai fait, et en téléchargeant exactement la même information, peu importe le pays où il se trouve, et le type de loyauté qu'il éprouve. Les données étaient à l'air libre, sans aucune protection. Un internaute malveillant aurait pu faire un pas de plus, car il y avait, et y a, des mots de passe de bases de données, des noms d'utilisateur, des authentifiants, des clés et des méthodes d'authenfication documentées dans ces dossiers dont je n'ai pas tiré parti. Je les ai téléchargés, mais je ne suis pas passé à l'étape suivante, soit utiliser les mots de passe pour avoir accès aux bases de données.
Si quelqu'un d'autre les avait trouvés et qu'il était convaincu de pouvoir en tirer un avantage, la fuite de données aurait pu et pourrait être beaucoup plus grave que ce qui a été mentionné. L'infiltration aurait pu être totale. Chaque donnée ayant passé par les mains d'AggregateIQ pourrait être entre les mains de quiconque aurait pu constater la même brèche.
Il y a quelques questions auxquelles je n'ai pas trouvé totalement de réponse et que votre enquête devrait, je crois, tenter d'éclaircir. Même si j'examine encore une partie des données, je n'ai pas encore compris exactement les liens d'AggregateIQ avec SCL Group et Cambridge Analytica. Les murs qui séparent ces entités sont très poreux. Il est clair que les trois, et d'autres groupes, ont eu accès aux permissions d'accès et aux données, alors je vous en prie, allez au fond des choses.
La deuxième question est de savoir dans quelle mesure, si c'est le cas, AggregateIQ ou ses employés ont utilisé des renseignements privés ou politiques à accès limité à des fins commerciales et lucratives. J'ai trouvé des preuves de la présence de réseaux de publicité en formation sous le même domaine, dont un qui s'appelle notamment Ad*Reach — à noter qu'il y en a quelques-uns qui portent ce nom sur Internet, alors assurez-vous d'avoir le bon avant de vous lancer dans un interrogatoire —, de même que aq-reach. Un des employés qui travaillait à AIQ travaillait aussi pour une entreprise de publicité appelée easyAd Group AG, basée en Suisse et ayant des filiales aux États-Unis et en Russie. J'adorerais savoir quel genre de travail on faisait et si les données qui transitaient par AIQ étaient utilisées dans ces campagnes de publicité ou ces montages sur lesquels travaillait l'employé à ce moment.
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Merci, monsieur le président.
Ma question s'adresse à vous, monsieur Therrien.
Il y a environ deux semaines, je vous ai entendu dire, dans une entrevue que vous avez accordée à un média national francophone, qu'il y avait une zone grise liée à l'information recueillie par les partis politiques. J'aimerais bien obtenir des clarifications à ce sujet.
Tous les politiciens et tous les partis politiques reçoivent la liste électorale, où figurent le nom et le prénom du citoyen, son adresse complète, un numéro permanent d'électeur et l'emplacement du bureau de vote. Tout le monde y a accès, non seulement les partis politiques, mais aussi les candidats qui se présentent dans une circonscription, qu'ils soient des candidats indépendants ou non. Toutefois, au grand désarroi de tous ces politiciens, aucun numéro de téléphone ne figure sur cette liste.
À l'époque où nous étions tous plus jeunes, il était relativement facile de trouver un numéro de téléphone à l'aide du bottin téléphonique, car 80 % des gens qui étaient abonnés à un réseau téléphonique fixe y étaient inscrits. Lorsque nous voulions appeler quelqu'un, nous n'avions qu'à chercher son nom dans ce bottin. Par la suite, nous pouvions ajouter son numéro de téléphone à la liste électorale.
Monsieur Therrien, les numéros de téléphone des Canadiens sont-ils maintenant considérés comme étant une information relative à la vie privée? Ne devraient-ils pas être accessibles aux partis politiques, ou s'agit-il d'un cas relevant d'une zone grise? Il y a les réseaux téléphoniques fixes et il y a aussi les réseaux de téléphones cellulaires. Or, les numéros de téléphone cellulaire sont de plus en plus difficiles à trouver. Le numéro de téléphone du réseau fixe est public, mais celui du téléphone cellulaire ne l'est pas.
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Monsieur Therrien, monsieur Vickery, merci d'être là.
Lorsqu'il est question de données, il semble que nous ayons une question fondamentale à nous poser en tant que société, à savoir ce que nous allons autoriser et ne pas autoriser. Il incombe au gouvernement d'établir les règles et de ne pas permettre à chaque entreprise de décider comment et quand les données doivent être utilisées.
Pour que je puisse bien comprendre de quoi il retourne, ma question s'adresse à vous deux. Mais d'abord, permettez-moi de vous rappeler que la mise en marché ciblée a toujours existé. Je viens tout juste de faire une recherche sur Michael Dell de Dell Computers. Avant de devenir un magnat de l'informatique, Michael Dell vendait des journaux. Il parcourait les bases de données sur les personnes nouvellement mariées ou qui venaient de déménager. Il a connu un succès retentissant alors qu'il n'était encore qu'un adolescent. Aujourd'hui, je pourrais me procurer ces données dans Facebook, par exemple. Si je voulais vendre des journaux comme cela se faisait autrefois, je chercherais à savoir qui vient de déménager et qui vient de se marier. La mise en marché ciblée est quelque chose que nous avons déjà permis.
Maintenant, en ce qui concerne la vente de données — encore une fois, cela n'a rien à voir avec Facebook —, disons que je fais des dons à des organismes caritatifs, et je sais que certains d'entre eux communiquent mes coordonnées à d'autres organismes caritatifs, car c'est une bonne façon de taper une deuxième fois sur le même clou. Il arrive qu'ils demandent la permission de faire ces échanges, mais ce n'est pas toujours le cas. Ce partage de données à des fins commerciales et ce ciblage ont été permis. Ces deux choses ont été permises dans le passé. Facebook rend le processus beaucoup plus efficace. Si j'étais un parti politique, disons le Parti vert, je dirais que toute personne qui affiche plein de choses sur des questions environnementales serait une bonne personne à cibler aux fins de dons ou de conversion.
J'aimerais vous poser cette question fondamentale. Sachant que ces pratiques ont déjà cours, que devrions-nous permettre et que devrions-nous nous abstenir de permettre? En tant que gouvernement, comment devrions-nous baliser ce comportement?
Commençons par vous, monsieur Therrien. Ensuite, ce sera au tour de M. Vickery.
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, monsieur le commissaire, d’avoir remarqué le rapport unanime et les recommandations que le Comité a adressés au gouvernement en février. Nous espérons que le gouvernement les a consultés, comme vous l’avez fait.
L’une des recommandations de ce rapport, une recommandation que vous avez faite de diverses manières indirectes, c’est de travailler avec les organismes de réglementation de la protection de la vie privée de l’Union européenne. Dans quelques semaines seulement, le RGPD de l’Union européenne, le Règlement général sur la protection des données, entrera en vigueur. Il protège pratiquement tous les éléments de données des citoyens de l’ensemble de l’Europe, de leurs renseignements de base — leur numéro d’assurance sociale, dans le contexte canadien — à l’ensemble de leurs activités sur les réseaux sociaux, en passant par tous leurs renseignements personnels, les ordinateurs qu’ils possèdent, leurs numéros de téléphone, etc.
Est-ce que le scandale de Facebook, le scandale de Cambridge Analytica, les agissements d’AIQ, tous les sujets dont nous discutons aujourd’hui, et le fait que l’intelligence artificielle, qui a apporté de grands bienfaits à la société, à l’humanité, bien qu’en même temps, des gens se soient hâtés de développer de nouveaux programmes sans songer à prendre des précautions et à mettre en oeuvre des mesures de protection..? Est-il temps pour le Canada d’envisager de mettre au point quelque chose comme le RGPD pour protéger la vie privée de ses citoyens contre toutes les atteintes, allant des plus minimes aux plus compliquées, que ce soit des algorithmes, des stéréotypes ou de l’exploitation?
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À cause de l'enquête qui est en cours et de nos obligations juridiques, dont la plus importante consiste à ne pas tirer de conclusions avant d'avoir terminé cette enquête, j'apporterais une nuance à vos propos.
Les conclusions que vous m'attribuez seraient davantage fonction de ce que nous observons de façon générale, en tant que représentants d'une agence de réglementation, quant au comportement de l'ensemble des compagnies et aux lois qui s'appliquent à ces dernières. Nous constatons tous les jours que les politiques de protection de la vie privée sont très permissives en ce qu'elles permettent une utilisation très large des renseignements, ce qui n'est pas toujours compatible avec un consentement éclairé.
Peut-on dire que Facebook a violé la vie privée en s'appuyant sur les faits allégués? Nous allons certainement nous pencher sur la question. Notre enquête est en cours et nous ne pouvons pas encore tirer de conclusions. Par contre, je peux vous dire quelles questions nous allons examiner, sans pour autant parler des conclusions à venir au sujet de cette affaire.
De façon générale, nous nous demanderons si les deux compagnies au sujet desquelles nous enquêtons, soit Facebook et AggregateIQ, ont violé la loi fédérale relative à la protection de la vie privée et, dans le cas de la Colombie-Britannique, la loi provinciale.
Plus précisément, nous allons nous pencher sur la question de savoir si les politiques relatives à la protection de la vie privée adoptées par Facebook étaient effectivement trop permissives et si elles ont joué un rôle dans l'utilisation ultérieure des renseignements par des firmes d'analyse de données, entre autres, pour donner des conseils qui ont pu être utiles ou non à des formations politiques.
Nous allons aussi tenter de déterminer, comme je l'ai dit plus tôt, si les recommandations qu'a faites le Commissariat avant que j'arrive en poste en 2009 sont toujours applicables en 2018.
Finalement, nous allons regarder le rôle joué par AggregateIQ dans tout cela et comment cette compagnie a recueilli les renseignements. Cela a-t-il été fait en conformité avec les lois? Nous considérerons surtout le type d'analyse de données qui a été fait. Le produit final qui a été communiqué aux formations politiques était-il conforme aux lois sur la protection de la vie privée?
Toutes ces questions sont pertinentes, et nous les examinerons. Je ne peux évidemment pas tirer de conclusions à l'heure actuelle.
J’aimerais vous remercier tous les deux d’être parmi nous. Vous nous avez communiqué beaucoup d’information aujourd’hui. Ce que nous souhaitons vraiment, c’est trouver des solutions, des mesures que nous pouvons prendre en tant que législateurs, parce que je crois qu’une grande partie de ces problèmes sont très alarmants pour nos électeurs et pour les Canadiens, en général.
Je veux m’assurer que je comprends exactement la nature du problème. Monsieur Vickery, vous avez mentionné que les données se multipliaient. Donc, en fait, vous ne pouvez éviter cela, mais vous pouvez limiter ce phénomène. Vous avez également déclaré que ces fuites se produisaient constamment. À mon avis, il s’agit là d’une très mauvaise combinaison de circonstances. D’une part, il y a la question de l’utilisation légitime des données. Disons qu’en faisant du porte-à-porte, les membres d’un parti politique rencontrent quelqu’un qui déclare: « j’aime beaucoup votre plateforme relative à la garde d’enfants. Pour cette raison, je vais voter pour votre parti ». Ces membres prennent note de ce fait afin que, la prochaine fois que le parti prend des mesures liées à la garde d’enfants, ils puissent le faire savoir à cette personne. Même si cette personne donne son consentement en déclarant, « oui, veuillez me tenir au courant des développements de cette nature », vous disposez maintenant de cette information qui sera ajoutée à la base de données par la suite. Ce qui me préoccupe, ce n’est pas tellement le fait que le candidat puisse visiter de nouveau la personne et lui dire, « voyez la merveilleuse politique que nous avons établie », mais plutôt le fait que ce renseignement puisse être communiqué accidentellement ou malicieusement à, disons, l’entreprise Toys“R”Us, laquelle pourrait dire, « Ah!, puisque cette personne est préoccupée par la garde d’enfants, vendons-lui des jouets ».
Est-ce le scénario que nous examinons? Est-ce la nature du problème, ou, au contraire, craignons-nous que l’entreprise Toys“R”Us parvienne, d’une façon ou d’une autre, à avoir accès à ces données politiques... ou examinez-vous les produits que l’entreprise Toys“R”Us vend aux enfants, ou le fait qu’elle tire des conclusions lorsque quelqu’un montre qu’il a des enfants sur Facebook? Le problème est-il donc lié à l’utilisation des données à des fins contradictoires?
:
Je suis d'accord avec M. Vickery; la solution réside dans la somme des mesures appliquées. Compte tenu de votre mandat, il serait peut-être indiqué d'explorer les utilisations légitimes de ces données, afin de communiquer en toute légitimité avec les électeurs. Les préoccupations à cet égard vont dans les deux sens, c'est-à-dire les données recueillies à des fins politiques qui sont utilisées à des fins commerciales, et vice versa. Il faut se pencher là-dessus, mais j'ajouterais un léger bémol: bien que cela mérite notre attention, tout échange d'information n'est pas nécessairement inapproprié. Sachant que les partis politiques doivent communiquer avec les électeurs, qu'ils doivent les connaître pour leur servir des arguments convaincants, est-ce nécessairement une mauvaise chose d'évaluer les habitudes d'achat d'une famille, qu'on parle de jouets ou autres?
Je ne suis pas un expert en matière d'élections, et je ne m'avancerais pas sur ce qui va à l'encontre ou non de l'intégrité du processus, mais je regarde le tout d'un point de vue théorique. Les partis doivent pouvoir communiquer intelligemment avec les électeurs, et pour cela, ils doivent savoir à qui ils s'adressent. Donc, l'analyse des données peut être correcte en partie, mais cela ne justifie absolument pas tout. Et les allégations concernant Facebook et Cambridge Analytica sous-entendent certainement une utilisation inappropriée des données à des fins politiques. Je veux seulement préciser que certaines utilisations peuvent être légitimes.
Pour ce qui est des intérêts légitimes, ce n'est pas ce qu'on a avec Facebook et Cambridge Analytica. Si les lois sur la protection des renseignements personnels devaient être resserrées, il faudrait s'assurer qu'elles ne viendraient pas gêner l'innovation qui s'appuie sur une utilisation légitime et responsable. J'ai répondu à M. Baylis tout à l'heure que la valeur à défendre avant tout est celle du consentement, soit la capacité de chacun de contrôler ses renseignements personnels. Dans le monde moderne, toutefois, ces renseignements peuvent être utilisés à différentes fins, et il n'est pas toujours possible d'informer leur détenteur de toutes les utilisations qu'on en fera. Les données sont utilisées à bon escient dans le cadre de certaines initiatives d'intelligence artificielle, par exemple.
Le défi consiste entre autres à établir des règles strictes qui font généralement en sorte que le consentement est respecté. Mais dans le monde des mégadonnées et de l'intelligence artificielle, il est possible qu'on doive prévoir une exception à la règle du consentement. En Europe, cette exception d'intérêts commerciaux légitimes permet de justifier le traitement légal des données en l'absence d'un consentement. Je crois qu'une loi bien équilibrée favoriserait le consentement, d'une part. D'autre part, nous devons nous interroger sur ce qu'il est acceptable d'obtenir au Canada sans nécessairement avoir le consentement de la personne — cela peut être dans le secteur de la santé —, pourvu que ce soit dans une optique commerciale ou sociale appropriée, et dans l'avantage véritable de la société.
:
Merci, monsieur le président.
Ma question s'adresse à M. Vickery.
Lors de la dernière élection présidentielle américaine, relativement serrée, la candidate qui avait remporté le vote populaire a perdu, alors que le candidat qui aurait dû, selon certains, arriver deuxième dans les suffrages a réussi à gagner en récoltant une majorité des votes du collège électoral, peut-être grâce à une publicité plus ciblée.
La semaine passée, le fondateur de Facebook a expliqué que la raison d'être de sa compagnie, son modèle d'affaires, était de vendre de la publicité. Et Facebook le fait très bien, étant notamment capable de cibler des régions, voire des rues ou des édifices: si quelqu'un habite dans tel édifice, il va recevoir telle publicité.
À titre d'exemple, je suis propriétaire d'un véhicule Mazda et, comme par hasard, Facebook m'envoie tous les jours une publicité de Mazda sur mon fil Facebook. On voit donc que Facebook cible les publicités de façon extrêmement efficace. Il est probable que les partis politiques américains ont recours à Facebook pour diffuser de la publicité dans certains secteurs, dans certains États ou dans certaines parties d'États où les électeurs sont susceptibles de leur être plus favorables et donc de voter pour eux.
Pensez-vous que les partis politiques américains, tant les Démocrates que les Républicains, ont effectué un certain profilage électoral ou recouru aux services de compagnies ayant analysé la meilleure façon de cibler les publicités ou d'influencer les Américains dans certains États? Serait-il possible d'en conclure que la personne ou le parti qui a été le plus efficace dans sa campagne publicitaire sur Facebook a remporté l'élection américaine?
:
J'aimerais revenir sur le thème de notre étude, c'est-à-dire les renseignements que nous qualifions de personnels et ce que nous en faisons. Au-delà des différents scénarios possibles, je crois que l'utilisation de ces renseignements par une compagnie n'est qu'une dimension accessoire du problème essentiel que nous devons étudier.
J'ai deux questions, que je vais illustrer de deux scénarios. J'aimerais que vous me fassiez part de vos commentaires sur ma compréhension du problème en fonction de ces scénarios.
Mes questions sont les suivantes. Le rôle du gouvernement est-il de définir en détail ce qui constitue des renseignements personnels? Ou le rôle du gouvernement serait-il plutôt d'interdire toute transaction qui contient ces renseignements personnels?
Voici maintenant mes deux scénarios.
Dans le premier, je fais affaire avec un fournisseur de livres: la compagnie Amazon pour ne pas la nommer. Il est normal — et je m'y attends — que, dès l'achat de mon premier livre ou à l'occasion d'une visite subséquente, Amazon me suggère un certain nombre d'autres livres en fonction des préférences d'autres lecteurs ou acheteurs ou, plus simplement, en fonction de mon propre historique d'achats de livres chez Amazon. En établissant ma relation avec cette compagnie, je lui ai communiqué un certain nombre de renseignements personnels pour qu'elle me donne un service découlant de son expertise en la matière.
Voici mon autre scénario. J'ai la naïveté d'annoncer que, dans un mois, je partirai en croisière pendant une semaine. Il ne serait pas étonnant qu'un utilisateur qui lit mon fil Facebook et qui travaille dans une agence de voyage communique avec moi pour m'informer de certaines aubaines liées à des croisières. Il ne faudrait pas non plus que je m'étonne du risque de me faire cambrioler pendant mon absence annoncée d'une semaine. Tant le criminel que l'agent de voyage ont utilisé mes renseignements personnels, mais je les avais rendus publics. Ce sont des renseignements personnels que j'ai communiqués sur Facebook pour les diffuser à mes amis et abonnés, ce qui correspond au service qu'offre ce réseau social. J'ai donc rendu ces renseignements publics.
Je reviens à mes questions. Ces deux scénarios décrivent des situations réalistes. À qui revient-il de définir la granularité des renseignements personnels? Chaque type de compagnie va exiger différentes catégories de renseignements. Par ailleurs, dans la mesure où une transaction dépend de l'expertise de l'entreprise — comme Amazon — dont je suis client, je ne m'attends pas à ce que cette compagnie vende mes renseignements personnels à une autre société à des fins, notamment de sollicitation commerciale, autres que celles établies dans ma relation avec Amazon, c'est-à-dire l'achat de livres.
Quel serait selon vous le meilleur des deux rôles, ou devrions-nous plutôt envisager un mélange des deux?
Monsieur Therrien pourrait peut-être répondre en premier.
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Je vais renchérir sur vos questions. Si je les interprète mal, veuillez me le dire.
À la base, l'individu donne certains renseignements pour obtenir un service. Une des conséquences en est la communication de renseignements au moment de l'offre du service. Dans le cas d'Amazon, par exemple, la compagnie utilise les renseignements de gens qui vous ressemblent ou qui partagent vos intérêts, c'est-à-dire de personnes qui ont aimé tel ou tel livre. Je dirais que cela aussi, jusqu'à un certain point, c'est un renseignement personnel au sens de la définition du terme.
La conclusion qu'Amazon tire de vos intérêts, par exemple que vous aimez les romans policiers, résulte effectivement de vos renseignements personnels, mais cette conclusion elle-même est un de vos renseignements personnels: votre intérêt réel ou présumé pour les romans policiers est un renseignement personnel qui vous concerne.
Le rôle de l'État est de définir ce qu'est un renseignement personnel. À cet égard, je pense que la loi fait un travail correct, parce qu'elle ratisse très large et me permet l'interprétation que je vous donne.
Est-ce le rôle du gouvernement d'interdire l'utilisation de renseignements personnels? Non. Cette utilisation devrait être réglementée, mais ce ne devrait pas être interdite.
Ai-je répondu à votre question?