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Bonjour. Je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner. Je le fais à titre personnel, comme vous l’avez mentionné.
Les gouvernements et les entreprises ont absolument besoin de la confiance des consommateurs et des citoyens s’ils veulent utiliser la technologie dans l’intérêt de tous. Pourtant, il arrive trop souvent que des données personnelles soient prélevées et mal employées, soit intentionnellement, soit par suite de l’application de piètres mesures de sécurité et de protection de la vie privée. À titre d’exemple, il suffit de citer les révélations concernant Facebook et Cambridge Analytica.
Nous devons améliorer le niveau général de compréhension au sujet des données et de l’informatique. Tout aussi claire est la nécessité de mieux comprendre les différences importantes qui existent entre les données publiques, ouvertes et les données privées, personnelles. Il nous faut, en particulier, faire en sorte que les données délicates, qui concernent tout le monde, des enfants vulnérables aux agents de police d’infiltration, soient mieux protégées.
Une bonne partie des données du gouvernement sont souvent de mauvaise qualité, étant donné que beaucoup de gens ne traitent qu’occasionnellement avec le gouvernement central. Ces données sont reproduites à de nombreux endroits. Le gouvernement n’a généralement pas d’architectures de données bien conçues. Il lui faut mieux structurer et comprendre son utilisation des données et cesser de croire que le partage des données est un moyen de remédier à une mauvaise conception.
En informatique, nous disposons, d'ores et déjà, de meilleures approches: la preuve à connaissance nulle; l'utilisation des interfaces; le chiffrement; l’authentification et l’autorisation; la confirmation des attributs ou des affirmations. Ainsi, la preuve à connaissance nulle permet à une partie de prouver à une autre partie qu’un énoncé donné est vrai, sans lui transmettre de détails autres que le fait que cet énoncé est vrai: par exemple, dire que j’ai plus de 21 ans ou que j’ai droit à des prestations d’aide sociale.
De telles techniques informatiques doivent être intégrées dans la conception des systèmes. Sinon, plus l’habitude du partage des données, typique de l’ère du papier, persistera à une époque où les systèmes informatiques fonctionnent à une échelle et à une cadence jamais vues auparavant, plus la sécurité, la protection de la vie privée et la confiance se détérioreront vite, et plus les cas de fraude se multiplieront. Les souffrances humaines et les torts financiers causés par la mauvaise utilisation des données ne feront que s’accentuer à moins que les gouvernements n’adoptent des moyens de protection juridiques et techniques plus solides.
Le Royaume-Uni s’est particulièrement inspiré de l'Estonie pour en apprendre davantage à ce sujet. Ce pays applique un ensemble de principes valables, principalement en axant toute son organisation sur le citoyen, au point que ce dernier peut voir quel fonctionnaire accède aux données le concernant. La transparence est essentielle pour permettre de gagner et de maintenir la confiance du public.
En 2011, le député Francis Maude, alors ministre au Royaume-Uni, a mis sur pied le groupe consultatif de la vie privée et des consommateurs. Le groupe comprenait des universitaires, des défenseurs de la sécurité et de la protection de la vie privée et des représentants de groupes de consommateurs. Sa mission consistait à faire en sorte que les programmes du gouvernement prennent en compte le droit des citoyens à la protection de leurs renseignements personnels ainsi que la confiance du public, de la planification initiale des politiques à la mise en oeuvre de ces dernières, en passant par la définition des besoins.
Le groupe a bien fonctionné tant qu’il a eu l’appui direct d’un ministre fort comme Francis Maude, mais, après son départ, des fonctionnaires ont cessé de répondre au groupe ou de participer à ses réunions. Je recommanderais de créer un groupe d’experts semblable, mais d’exiger qu’il rende directement compte au Parlement, peut-être par l’intermédiaire d’un comité comme le vôtre, de manière à ce qu’il ne puisse être marginalisé ou ignoré.
Le code de pratique en technologie du Service du numérique au Royaume-Uni, qui établit un jeu de critères pour aider le gouvernement à concevoir, à construire et à acheter de meilleures technologies, met particulièrement l’accent sur la vie privée. Il précise explicitement que les citoyens doivent avoir accès aux données personnelles les concernant et exercer un contrôle sur elles. Le code établit encore comme principe que la protection de la vie privée doit faire partie intégrante de toute technologie.
La prévention des cyberattaques et la protection des données constituent un défi constant, qu’il s’agisse d’attaques venant de l’extérieur ou d’un acte malveillant d’un intervenant interne, qu'il s'agisse d'un fonctionnaire ayant accédé à des données ou les ayant utilisées de façon inappropriée ou d'un développeur de logiciel qui aurait inséré un code indésirable qu’il pourrait exploiter plus tard. Le Royaume-Uni bénéficie de l’aide et des conseils des experts du National Cyber Security Centre, qui fait partie du Government Communications Headquarters.
Je m’inquiète toutefois du caractère insuffisant des mesures de protection de la vie privée prises par les bureaux d’études de conception et d’ingénierie de sécurité.
De nombreux ministères et organismes du gouvernement ont mis sur pied leurs propres programmes de conception en faisant appel à des développeurs Web, dont bon nombre n’ont ni la formation ni l’expérience voulues pour composer des codes sécurisés. Il faut envisager d’imposer des normes minimales pour garantir la qualité technique des logiciels, par exemple des normes ISO, l' application des principes du Consortium for IT Software Quality, et les conseils d'experts spécialisés comme ceux proposés par le National Computer Security Council.
Au niveau de l’infrastructure, on applique des pratiques exemplaires pour protéger les données actives et inactives. Par ailleurs, il y a un contrôle et une vérification rigoureux de l’accès aux systèmes les plus délicats, notamment en exerçant sur eux une surveillance protectrice.
Une compréhension insuffisante de la technologie, la bonne comme la mauvaise, aux échelons les plus élevés, risque d’engendrer des lacunes dans les politiques et aussi des écarts entre l’intention, les résultats et la législation. Parfois, des lois existantes peuvent empêcher d’améliorer avantageusement les services et leurs résultats; il importe donc d’avoir un processus en place qui mette en lumière les aspects des lois qu’il faut simplifier ou mettre à jour.
Certains responsables politiques et certains fonctionnaires ont naïvement tendance à supposer que la technologie peut résoudre magiquement des problèmes stratégiques ou socioéconomiques complexes. Il faut remettre en question la notion selon laquelle la technologie peut servir à régler tous les problèmes. La discussion ne doit jamais se limiter aux sites Web et aux services en ligne, mais elle doit aussi porter sur la façon dont une meilleure infrastructure numérique aide ceux qui ont encore besoin de services assurés en personne et ceux qui n’utilisent pas la technologie ou qui n’y ont pas accès.
Le gouvernement doit donner l’exemple en matière de consentement en ce qui concerne l’utilisation sécurisée des données et l’établissement des principes à appliquer pour un emploi éthique des données et des logiciels qui servent à les acquérir, les traiter et les utiliser.
Le consentement des utilisateurs est l’une des principales questions sur lesquelles le gouvernement devrait jouer un rôle de premier plan, c’est-à-dire la mobilisation et l’éducation des utilisateurs pour assurer leur participation et leur compréhension consensuelles, y compris pour les données qu’ils révèlent, ce qu’ils font de ces données et comment ils peuvent donner ou annuler leur consentement.
Un autre rôle clé du gouvernement est de veiller à ce que les lois soient à la hauteur des besoins ou de repérer les mises à jour nécessaires en fonction de l’évolution de la technologie
Le gouvernement peut également jouer un rôle dans les questions économiques, comprendre les effets qu'une meilleure utilisation des données et des techniques comme l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique auront sans doute au niveau micro et macroéconomique, notamment sur la configuration future possible des services publics, à mesure que l’Internet des objets et les capteurs de l’état de santé, par exemple, seront plus répandus.
Il y a aussi les problèmes d’accès et de contrôle. Il faut établir un cadre de confiance qui couvrira l’anonymisation, la pseudonymisation et de rigoureux modes de confirmation de l’identité.
J’ai déjà parlé de la qualité des données. Il s’agit de veiller à ce que l’exactitude et la véracité des données soient suffisantes pour garantir la cohérence des décisions fondées sur celles-ci. Avant de construire des analyses et de s’adonner à l’apprentissage automatique à l’aide de données dont on ne connaît pas la qualité, il faudrait procurer aux utilisateurs un accès à leurs propres données pour qu’ils confirment l’exactitude de leur dossier.
La dépersonnalisation et de l'anonymat des données sont des problèmes connus qui se posent déjà lorsqu’il s’agit d’anonymiser correctement les données personnelles. Cela devient un enjeu de plus en plus important et complexe. La dépersonnalisation n’est pas la même chose que l’anonymisation. Il faut approfondir les recherches pour clarifier cette différence
En ce qui concerne l’accès aux données, nous devons veiller à ce que des mécanismes de contrôle appropriés soient en place pour les données publiques, privées ou personnelles auxquelles de tels systèmes accèdent. Avec notamment l’application de mesures appropriées de protection de la sécurité et de la vie privée, de vérification, de responsabilisation et de surveillance protectrice.
En ce qui concerne la véracité et l’intégrité des données, comment pouvons-nous savoir que les données utilisées par de tels systèmes sont fiables? Comment savons-nous que les systèmes ont fourni toutes les données quand nous essayons de les réglementer ou de veiller à ce qu’ils soient conformes aux lois sur la non-discrimination, par exemple?
En ce qui concerne le champ d'application des lois vis-à-vis des codes, les codes et les données existent de plus en plus dans le nuage ou dans des environnements sans serveur, dans des systèmes disséminés partout dans le monde. Il faut savoir précisément comment ils répondent aux normes exigées — par exemple sans avoir des comportements tendancieux, illicites ou discriminatoires, ou sans être compromis par des acteurs hostiles.
Enfin, en ce qui concerne la résilience, comme de nombreux services dépendent de plus en plus de cette nouvelle génération de systèmes interconnectés, la résistance potentielle aux pannes accidentelles ou malicieuses est un enjeu important. D’autres recherches sont nécessaires sur les interactions et les vulnérabilités éventuelles et sur les risques inhérents à ces systèmes de systèmes en devenir.
Si les meilleurs cadres juridiques, éthiques et axés sur la confiance ne sont pas mis en place, les modes mal conçus d’acquisition et d’utilisation des données personnelles seront discriminatoires, faux, inexacts ou tendancieux. Ils se caractériseront par l’irresponsabilité et la manipulation, créeront d’importants problèmes au chapitre de la sécurité, de la protection de la vie privée et des régimes juridiques et ils fragiliseront la confiance.
Cependant, s’ils sont bien appliqués, ils aideront à améliorer l’élaboration des politiques, les soins de santé, l’éducation et les transports, entre autres, grâce à des systèmes adaptés et plus efficaces.
Il faut des normes cohérentes de sécurité, de protection de la vie privée et de génie logiciel en même temps que de la transparence. Pour qu’une initiative numérique ou cybergouvernementale soit fructueuse, les responsables doivent d’abord décider ce qu’ils veulent accomplir en passant au numérique. S’agit-il simplement d’automatiser les services actuels? Ou s’agit-il d’une optimisation, d’une restructuration ou d’une transformation? S’agit-il d'affecter des ressources en première ligne et, pour cela, de réduire le coût des opérations internes en aidant à les simplifier? Il importe de connaître exactement les résultats et les bienfaits souhaités, au lieu de supposer tout simplement que c’est quelque chose que nous devons faire à l’ère numérique.
Le gouvernement doit jouer un rôle important et positif en montrant comment nous pouvons profiter des avantages de cette ère numérique au lieu d’en subir les inconvénients. Plutôt que de se laisser guider simplement par les pires paramètres appliqués par le secteur privé en utilisant les données à mauvais escient et en s’en servant de façon abusive sans le consentement éclairé des utilisateurs, les gouvernements doivent viser à élever les normes. Ils ont une chance de prendre l’initiative.
Je me ferai un plaisir de vous fournir des liens et des références plus détaillés après la séance d’aujourd’hui, si cela vous est utile. Merci d’avoir pris le temps de m’écouter.
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Vous brossez un tableau qui m'est familier. Cela ressemble beaucoup au modèle du Royaume-Uni, où les données sont conservées à plusieurs endroits, souvent avec des renseignements contradictoires.
Je suis convaincu que le citoyen doit absolument avoir accès à ses données et pouvoir les contrôler précisément pour cette raison. C'est le citoyen qui doit être l’arbitre ultime de ses propres données, évidemment sous réserve d’une certaine validation par le gouvernement s'il y a lieu. Qu'il puisse gérer ses propres dossiers serait un bon moyen de le faire, comme on le fait avec les organisations commerciales lorsque nous ouvrons une session et que nous mettons à jour les détails de notre carte de crédit ou nos adresses.
Une partie du Royaume-Uni a commencé à le faire. Nous avons maintenant un portail fiscal unique. Lorsque je me connecte, j'ai accès non seulement à ma situation fiscale actuelle, mais aussi ma situation de retraité de l'État, même si ces données proviennent de ministères distincts. Cela me permet de voir au même endroit des données provenant de plus d’un silo gouvernemental.
Je ne pense pas que le fait de permettre aux citoyens d’avoir accès à leurs dossiers et de les tenir à jour signifie qu’il faut regrouper toutes les données dans une seule base de données. On craint toujours que, si tout se trouve au même endroit, une atteinte à la protection des données les touche toutes. Les cloisonnements sont utiles si c'est à juste titre et si l’utilisateur, le citoyen, peut quand même gérer ses données par l’entremise d’un seul service en ligne, même si les données mises à jour sont ensuite retournées dans...
Je pense à des domaines comme la santé, où les citoyens sont particulièrement sensibles au fait que leurs dossiers pourraient être mis à la disposition d’autres personnes. Je pense que, d’une certaine façon, le fait de cloisonner délibérément les dossiers de santé peut être une bonne chose, mais on pourrait tout de même permettre au citoyen de mettre à jour les aspects communs de ces dossiers dans les différents organismes gouvernementaux, comme les adresses, par le biais d’un seul portail.
À mon avis, cela revient à la question de l’identité, qui doit vraiment être réglée en premier. Il faut savoir à qui l'on a affaire, puis confirmer qu'il est vraiment celui à qui appartiennent ces différents répertoires de données. Je suis donc tout à fait d’accord pour dire que le citoyen est bien placé pour examiner les données et pour, selon le cas, apporter directement des modifications et des corrections ou pour demander au ministère compétent de les apporter.