Je dirige, conjointement avec la professeure Valerie Steeves, un projet de sept ans financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, intitulé eQuality Project. Il a pour objet de nous permettre d'approfondir nos connaissances de l'incidence des métadonnées en ligne, surtout dans le cas de la publicité ciblée, sur les interactions en ligne des jeunes et sur la façon dont ce genre de pratique peut les exposer aux conflits et à la discrimination.
Je vais m'appuyer sur quelques études canadiennes menées auprès de jeunes. Deux d'entre elles ont été réalisées en 2017. L'une par le eQuality Project, pour le compte de la Commission du droit de l'Ontario, qui porte sur la diffamation en ligne, et l'autre qui a été réalisée conjointement par le eQuality Project et par MediaSmarts grâce à une subvention du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. La dernière met l'accent sur le type de décisions que prennent des jeunes relativement au respect de la vie privée dans le contexte de la mise en ligne de photos. Je ferai également référence au eGirls Project, un projet de trois ans que j'ai codirigé avec Mme Steeves. Il était axé sur les expériences en ligne des jeunes filles et des jeunes femmes. Finalement, je me fonderai sur les résultats d'une étude de MediaSmarts sur les jeunes Canadiens dans un monde branché, qui ont récemment été publiés en 2015-2016.
Trois choses de ces études doivent intéresser votre comité. Premièrement, les jeunes s'inquiètent des atteintes à leur réputation et pour bon nombre des jeunes filles et des jeunes femmes en particulier, les atteintes permanentes à la réputation représentent le grand danger des médias en réseaux. Deuxièmement, la protection de la vie privée, en particulier des mécanismes de contrôle de l'accès et d'utilisation des données concernant les jeunes, est fondamentale à cet égard. C'est notamment vrai pour l'information qu'ils publient ou qui est publiée à leur sujet et pour le risque que cette information soit utilisée de manière injuste et hors contexte dans l'avenir et qu'elle nuise à leurs perspectives d'emploi et à l'établissement de saines relations personnelles, entre autres choses. Troisièmement, les jeunes appliquent bien des stratégies et des normes pour atténuer ces dangers, mais les pratiques des entreprises et les architectures en ligne minent l'efficacité de ces stratégies, parfois de manière subtile grâce à des processus automatisés comme le profilage algorithmique aux fins de la publicité ciblée.
Nous dirons que, selon les études canadiennes les concernant, même si les jeunes recherchent activement la publicité en ligne, ils sont également très conscients des complications qu'engendre cette publicité. Ainsi, ils comptent sur un certain nombre de stratégies pour protéger leur réputation en ligne, dont le fait de réfléchir soigneusement à ce qu'ils publient, de surveiller les photos d'autrui dans lesquelles ils figurent et de demander à des amis d'intervenir si quelqu'un publie des commentaires négatifs à leur sujet. Toutefois, à cause de la nature commerciale des médias réseautés, les jeunes ont du mal à demeurer maîtres des éléments en lien avec leur réputation.
Dans ce que nous avons baptisé de tempête parfaite, les architectures numériques incitent les jeunes à révéler des données qui sont ensuite exploitées pour dresser leur profil et les ranger dans différentes catégories afin de leur envoyer des publicités ciblées. Il est ici question de prédictions d'identité qui reposent souvent sur des stéréotypes et des hypothèses médiatisés et restrictives quant aux groupes auxquels ils font partie ou devraient faire partie. Quand les jeunes tentent de reproduire ces stéréotypes pour susciter les « j'aime » et attirer des « amis » par lesquels les plateformes jaugent numériquement le succès, ils s'exposent à des conflits avec d'autres qui les surveillent, les jugent et parfois les harcellent.
Partant de ce constat, nous avons demandé aux jeunes ce que devraient faire les décideurs. Je voudrais vous faire part de quatre mesures.
Premièrement, les décideurs doivent directement faire participer les jeunes au processus décisionnel. Il faut repenser nos modèles d'élaboration des politiques de manière à inclure la participation directe de jeunes de diverses sphères sociales à titre d'experts du processus de formulation des politiques lui-même. En effet, la recherche porte à croire qu'il existe un fossé considérable entre les politiques élaborées par les adultes et le vécu des jeunes.
Deuxièmement, nous devons trouver des solutions autres que celles consistant à dicter leur conduite aux jeunes. Les jeunes participants aux études que j'ai citées ont reconnu que leur présence au sein des espaces réseautés fait partie intégrante de leur vie. Dans les sphères sociales, économiques et culturelles, tout tend à affirmer cette réalité. Ce n'est pas seulement une impression qu'ils ont. En fait, nous avons consacré des milliards de dollars et des années à élaborer des politiques et des programmes en vue de les amener en ligne et de les y garder au nom du développement économique. Ainsi, conseiller à un jeune qu'il lui suffit de se déconnecter pour protéger sa vie privée est à la fois irréaliste et insultant.
Troisièmement, il faut aller au-delà des modèles de consentement éclairé. Dans l'environnement actuel de surveillance et de prédiction dont une grande partie est invisible à l'utilisateur, les formules traditionnelles de protection des données basées sur le consentement ne suffisent pas pour protéger la vie privée et l'égalité des jeunes, parce que, dans bien des cas, personne n'est en mesure d'expliquer ce que les machines font de nos données. En outre, même si nous pouvions expliquer ces processus, la simple divulgation ne suffirait pas parce que les technologies réseautées sont désormais ancrées dans la vie des jeunes et que ceux-ci n'ont d'autres choix que d'accepter des conditions autorisant ces pratiques, même quand ils ne sont pas d'accord ou n'en comprennent pas la signification.
Quatrièmement, nous devons assujettir les fournisseurs de plateformes à des règlements de protection de la vie privée et de l'égalité. Bon nombre des participants ont recommandé d'interdire aux fournisseurs de plateformes de conserver les données sur des jeunes aussi longtemps qu'ils le font actuellement, étant donné que cette cache permanente de renseignements à leur sujet les expose au jugement d'autrui et peut nuire à leur réputation, maintenant et dans l'avenir.
Différentes solutions se présentent sur le plan réglementaire. Premièrement, comme de nombreux témoins l'ont déjà recommandé devant ce comité, nous pouvons conférer des pouvoirs d'application au Commissariat à la protection de la vie privée au Canada pour lui permettre de traiter ces questions de manière efficace.
Deuxièmement, nous pouvons exiger une reddition de comptes et une transparence accrues de la part des fournisseurs de services, de manière à parvenir, dans un premier temps, à mieux comprendre l'utilisation qu'ils font de nos données pour dresser notre profil et façonner notre expérience. Nous devons également chercher à découvrir dans quelle mesure ce profilage et ces processus sont fondés sur des stéréotypes discriminatoires ou engendrent des résultats discriminatoires ayant une incidence sur les chances de réussite dans la vie.
Un tel profilage, fait par une machine, est invisible aux utilisateurs et repose sur des processus que les humains ne peuvent souvent pas comprendre ou expliquer. Il peut engendrer une discrimination fondée sur des motifs interdits par la loi et avoir de graves conséquences sur les jeunes en particulier. Il est actuellement très difficile d'ouvrir la boîte noire pour comprendre ce qui se passe, bien que les études nous en donnent un aperçu. Une étude de ProPublica, par exemple, a révélé récemment une tarification discriminatoire des examens préparatoires SAT. Il semble que les étudiants asiatiques soient presque deux fois plus susceptibles de payer plus cher pour les SAT en raison de leur origine ou parce qu'ils habitent dans une zone postale où l'on trouve des Asiatiques à revenu faible ou élevé. Il se peut fort bien que les résultats de la divulgation de la part des fournisseurs de services concernant ces processus démontrent encore plus clairement que la meilleure option consiste à interdire l'utilisation des données sur des jeunes à des fins de publicité ciblée, un point c'est tout.
Troisièmement, nous pourrions envisager d'instaurer des dispositions législatives qui aideraient mieux les jeunes à protéger leur réputation actuelle et future que les principes actuels de la LPRPDE relatifs à l'exactitude et à l'exhaustivité. On pourrait penser par exemple à des mesures telles que le droit d'effacement, comme on l'a vu en Californie, et le droit à l'oubli, reconnu dans l'Union européenne et dont je pourrai vous entretenir davantage plus tard si le sujet vous intéresse.
Enfin, si nous tenons trop à la formule du consentement pour l'abandonner malgré ses limites manifestes, nous pourrions envisager d'obliger les fournisseurs de services, sans égard à leurs conditions de services, à obtenir un consentement explicite distinct des jeunes ou de leurs parents pour utiliser les renseignements personnels les concernant à des fins de publicité ciblée et à leur offrir la possibilité d'annuler facilement et en tout temps un tel consentement. Cette option serait probablement moins efficace que les autres que j'ai mentionnées, mais elle offre au moins la possibilité d'interrompre le cycle commercial de l'accès présumé aux données des jeunes.
En conclusion, le modèle commercial actuel des « services en échange des données » dans le domaine des communications réseautées rend les jeunes particulièrement vulnérables au profilage discriminatoire et aux atteintes à la réputation qui peuvent avoir une incidence durable sur leur vie. Il est temps que les adultes assument la responsabilité de décisions sociales et économiques qui ont donné naissance au monde pleinement intégré en ligne et hors ligne dans lequel ils vivent maintenant. Pour s'acquitter de cette responsabilité, il faut faire participer directement les jeunes de différents milieux aux processus plutôt que de solliciter seulement l'opinion d'adultes comme moi qui ont eu le privilège de travailler avec certains d'entre eux.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier le Comité pour cette invitation. Je suis le président-directeur général de Repaires jeunesse du Canada. Rachel est notre directrice, Recherche et politiques publiques. Nous sommes enthousiasmés à l'idée de participer à l'examen de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Nous sommes ravis, en fait, que le Comité y consacre un peu plus de temps, particulièrement en ce qui concerne la protection de la vie privée des enfants. Nous avons déjà fait part de nos recommandations dans une lettre, mais j'aimerais vous donner un peu plus de détails aujourd'hui.
Vous devez savoir que Repaires jeunesse du Canada est le plus grand organisme canadien de services à l'enfance et à la jeunesse. Nous desservons environ 200 000 enfants et adolescents dans plus de 700 collectivités partout au pays. Nous sommes présents pendant les moments critiques, en dehors des heures de classe. Nous offrons aux enfants des lieux sécurisés où ils peuvent explorer leurs intérêts, développer leurs forces et parvenir au succès dans leur vie personnelle et dans les études. Nous avons tout un éventail de programmes touchant les modes de vie sains, les loisirs, la santé mentale et plus encore. Notre personnel expérimenté et les bénévoles aident les jeunes à acquérir de l'assurance et à développer le sentiment d'appartenance dont ils ont besoin pour surmonter les obstacles, tisser des liens positifs et devenir des adultes responsables et aidants.
Le plus important est que nous offrons un éventail de programmes axés sur l'éducation, la culture numérique et la programmation. Bon nombre de nos repaires jeunesse disposent d'un laboratoire facilitant l'accès des enfants et des adolescents à Internet. Nous permettons souvent aux jeunes gens d'accéder aux environnements en ligne, surtout s'ils en sont privés ailleurs. C'est en partie ce qui nous amène ici aujourd'hui.
Bien que nous faisions notre part pour doter les jeunes des connaissances voulues dans le numérique et les nouveaux médias, afin de les aider à naviguer judicieusement dans le cyberespace, nous sommes inquiets du fait que les spécialistes du marketing recueillent des renseignements privés sur les mineurs, sans consentement valable. Nous sommes ici afin de demander au gouvernement d'inclure explicitement le droit des enfants à la protection de la vie privée dans la Loi que nous étudions aujourd'hui.
Nous pensons que c'est important pour deux raisons principales. Premièrement, sous l'angle du développement, les jeunes enfants sont incapables de déterminer adéquatement les risques associés à l'échange de renseignements personnels en ligne. L'apprentissage des techniques médiatiques n'est assurément pas suffisant à cet égard. Deuxièmement, nous savons que les enfants vont en ligne à un très jeune âge et communiquent des renseignements personnels pendant des années avant d'atteindre l'âge de la majorité. Nous savons que les entreprises commerciales dressent un profil des enfants canadiens et nous pensons que ce n'est pas normal.
Il existe bien des lignes directrices, mais nous savons, par exemple, que l'Association canadienne du marketing a un code d'éthique et que le commissaire à la protection de la vie privée a également publié des principes directeurs. Toutefois, la collecte de renseignements personnels des enfants par les sociétés commerciales n'est ni réglementée ni appliquée.
En 2015, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a participé à une enquête mondiale qui a révélé que de nombreux sites Web et développeurs ne protègent pas adéquatement la vie privée des enfants. Au Canada, cela représente 62 % des répondants. Nous avons découvert qu'ils peuvent divulguer des renseignements personnels à des tiers, ce qui est tout simplement inacceptable.
En février dernier, nous avons publié un article d'opinion demandant au gouvernement d'adopter une loi qui protégeait les renseignements personnels des enfants en ligne. Une telle loi existe aux États-Unis. La Children’s Online Privacy Protection Act, ou COPPA, exige le consentement parental pour recueillir les renseignements personnels des enfants de moins de 13 ans. Nous ajoutons notre voix à ceux qui demandent au gouvernement d'inclure explicitement le droit des enfants à la protection de la vie privée dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques.
Aujourd'hui, nous demandons que soient adoptées les quatre mesures suivantes.
Premièrement, nous demandons au gouvernement d'interdire la collecte, l'utilisation et la divulgation des renseignements personnels des enfants de moins de 13 ans. Ces derniers ont accès à Internet de plus en plus jeunes et au moyen de leurs propres appareils. Ils sont trop jeunes pour comprendre les conséquences de la collecte et de l'utilisation des données. Il doit y avoir des balises sur ce qui est approprié et des restrictions sur le type de données qui peuvent être recueillies sur les sites Web et sur les applications destinées aux enfants. Personnellement, j'ai souvent remarqué que mes enfants quittent le site ou l'application que j'ai choisis pour eux pour sans doute essayer de naviguer ailleurs. Répondre à des sondages et à des questions est un jeu pour eux; ils ne comprennent pas vraiment qu'il s'agit d'un échange de données personnelles contre l'accès qui leur est accordé.
Nous recommandons ensuite au gouvernement de suivre l'exemple de l'Union européenne qui s'est dotée d'une réglementation générale sur la protection des données et qui exige le consentement d'un parent ou d'un tuteur pour accéder à des services en ligne pour les enfants de moins de 16 ans ou, comme le dit la directive, à un âge non inférieur à 13 ans. Selon nous, il importe que les parents soient présents, parce qu'eux seulement devraient être en mesure de fournir un consentement éclairé et explicite en échange de la collecte de renseignements. Les parents devraient être informés et responsables des activités de leurs enfants en ligne. Les mécanismes qui imposent un consentement parental explicite servent également à assurer la participation et la vigilance en regard de ce que les enfants visitent et explorent en ligne.
Nous avons été particulièrement frappés par le témoignage de Valerie Steeves, le 16 février dernier. Je sais que c'est une collègue de Mme Bailey. Elle a constaté que presque aucun des jeunes de 13 à 16 ans qu'elle a interrogés ne se souvenait du moment où il avait consenti à la collecte de ses renseignements lorsqu'il s'était inscrit ou qu'il avait affiché des documents sur Snapchat ou Instagram. Quand on songe à la conclusion de Mme Steeves selon laquelle 95 % des jeunes de 10 à 17 ans interrogés affirment que les spécialistes du marketing ne devraient pas être en mesure de voir ce qu'ils affichent sur les plateformes des médias sociaux, on peut conclure qu'on est loin d'un consentement éclairé dans le cas des jeunes.
Notre troisième recommandation consiste à demander au gouvernement de fournir aux enfants et aux jeunes le droit à l'oubli quand ils atteignent la majorité, obligeant les entreprises à retirer immédiatement les renseignements personnels à moins que le nouvel adulte ne donne son consentement explicite à la collecte continue, à l'utilisation et à la divulgation possible dans l'avenir de ses renseignements personnels recueillis durant sa minorité.
Nous savons comment les enfants utilisent Internet. Les choix qu'ils font lorsqu'ils sont mineurs ne reflètent pas nécessairement l'identité et les préférences qu'ils afficheront quand ils auront atteint la majorité. Nous savons qu'il y a également bien des gens qui aimeraient que leur vie en ligne soit effaçable et oubliée et nous pensons que les enfants devraient effectivement pouvoir bénéficier de ce droit.
Enfin, nous voulons nous assurer que ces nouvelles règles soient applicables. Nous demandons au gouvernement de donner au Commissariat à la protection de la vie privée le pouvoir d'appliquer les nouveaux règlements sur la protection de la vie privée des enfants. Il ne suffit pas de créer des lois. Les entreprises et les sites doivent être surveillés et tenus responsables du respect de ces dispositions.
Certains ont fait valoir qu'il y a des questions de compétence dans la surveillance des droits des consommateurs et qu'il pourrait s'agir d'une question relevant des provinces. Nous avons plutôt deux points de vue particuliers à cet égard. Premièrement, le gouvernement fédéral doit faire preuve de leadership dans ce domaine. Aux États-Unis, les lois relatives à la protection des enfants remontent à 1998. Nous accusons un retard considérable à cet égard, presque 20 ans, ce qui correspond à une génération entière d'enfants ayant grandi avec Internet dans cet environnement non réglementé. Deuxièmement, nous faisons valoir qu'il ne s'agit pas d'un enjeu de consommation — les enfants ne sont pas les acheteurs dans un ménage —, mais qu'il s'agit plutôt de la protection de la vie privée et des renseignements personnels des enfants.
L'éducation est un élément aussi crucial que le respect des lois. Les ressources telles que celles mises en place par le Commissariat à la protection de la vie privée, par MediaSmarts, comme on l'a déjà indiqué, et les initiatives mises en oeuvre aux États-Unis, telles que « Stop, Think, Connect » de la National Cyber Security Alliance doivent être diffusées auprès des familles canadiennes et des éducateurs et nous devons nous assurer que les ressources canadiennes continuent à être déployées.
Certains ont fait remarquer qu'il est inhabituel pour un organisme de services à la jeunesse comme le nôtre, les Repaires jeunesse, de faire le choix de défendre la protection du droit des enfants à la vie privée. Nous sommes pourtant fiers de nous porter à la défense des enfants et des jeunes sur un vaste éventail d'enjeux. Nous avons effectué des recherches préliminaires sur la sécurité sur Internet et, franchement, nous avons été vraiment surpris par le manque de protection des enfants canadiens. Nous sommes préoccupés par l'accès à Internet et par le fait que les enfants se connectent plus fréquemment sur Internet, souvent dans nos repaires et dans nos laboratoires et sur leurs propres appareils.
L'examen de la Loi est l'occasion pour le gouvernement de combler cette lacune. Repaires jeunesse du Canada est fier d'ajouter sa voix à cette cause. Nous sommes reconnaissants d'avoir eu l'occasion de nous exprimer sur le droit des enfants canadiens à la protection de la vie privée et nous remercions le Comité de prendre plus de temps pour répondre aux préoccupations propres à ce groupe d'âge.
Nous espérons que la discussion aboutira à une meilleure protection des enfants, une protection qui serait mieux garantie par l'inclusion explicite du droit des enfants à la protection de la vie privée dans la LPRPDE. Nous serons ravis de répondre à vos questions.
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Bonjour, et merci de m'avoir offert cette occasion de comparaître devant vous aujourd'hui.
Je m'appelle Kristjan Backman. Je suis président de l'Association nationale de destruction de l'information au Canada, ou NAID-Canada. J'assume ce rôle bénévolement. Professionnellement, je dirige une petite entreprise du nom de Phoenix Recycling. C'est une entreprise basée à Winnipeg qui offre des services de destruction de l'information.
NAID-Canada est une association sans but lucratif qui représente les entreprises spécialisées en destruction sécurisée de l'information. Elle a des membres dans toutes les provinces du Canada. Nous avons pour mission d’accroître la prise de conscience et la compréhension de l’importance de sécuriser les opérations de destruction des données et des supports d’information. Nous visons ainsi à garantir que les renseignements à caractère privé et professionnel ne soient pas exploités à d’autres fins que ceux établis initialement.
NAID-Canada contribue aussi activement à l'élaboration et à la mise en oeuvre de normes et de certifications pour notre industrie. Nous fournissons toute une gamme de services à nos membres, notamment en défense des causes, en communication, en éducation et en perfectionnement professionnel. Soulignons que les clients qui demandent des services de destruction d'information exigent souvent que l'entreprise qu'ils engagent certifie dans le contrat qu'elle respectera les règlements et les exigences en matière de sécurité.
L'enjeu que je vous présente aujourd'hui — la destruction et l'élimination sécurisées de dossiers dont on n'a plus besoin — est souvent négligé. Il constitue pourtant un aspect crucial de la protection des renseignements personnels. La philosophie de NAID repose sur le précepte selon lequel la sécurité de l'information ne dépasse jamais celle du maillon le plus faible de la chaîne. En effet, les entreprises ne négligent que trop souvent la fin du cycle de vie de leurs documents. Nous constatons cela presque quotidiennement dans les médias, qui divulguent des renseignements intacts qu'ils trouvent dans des poubelles ou dans des ordinateurs mis au rancard à des fins de réutilisation ou de recyclage.
Il est difficile de mesurer l'omniprésence de ce problème. Toutefois, NAID — et ses associations affiliées ailleurs dans le monde — a étudié la destruction de données non sécurisée. La première de nos enquêtes s'est déroulée en 2010 dans la région du Grand Toronto. NAID avait chargé un enquêteur privé de fouiller dans les poubelles pour y dénicher des renseignements personnels. Il a découvert que 14 % des bennes commerciales contenaient des renseignements personnels intacts laissés à la disposition du public. Nos affiliées ont mené cette même enquête en Australie et en Espagne, et les résultats ont déclenché des conversations nationales dans ces pays sur les renseignements désormais inutiles que l'on détruit de manières non sécurisées.
Comme notre monde se débarrasse toujours plus du papier, la menace de la destruction non sécurisée d'information devient très complexe. L'élimination des renseignements d'appareils électroniques dont on se débarrasse est un problème grave de protection des renseignements personnels. Pour preuve, en avril, notre association affiliée américaine a publié les résultats de la plus grande étude menée sur la présence de renseignements personnels dans les appareils électroniques d'occasion. Les enquêteurs ont été renversés de constater que 40 % des appareils revendus au public contenaient des renseignements personnels. Nous parlons ici de tablettes, de téléphones cellulaires, d'assistants numériques personnels et de disques rigides.
Je sais que ce comité examine la protection des renseignements personnels des jeunes. Cette population est probablement la plus touchée par la destruction non sécurisée d'appareils électroniques. Il est extrêmement grave que l'on expose la vie entière des gens en volant leurs renseignements personnels, mais les torts qu'en subissent les jeunes sont dévastateurs. Nous venons de recevoir une lettre du commissaire à la protection de la vie privée au sujet d'une étude sur les appareils recyclés. Nous sommes d'accord avec ses conclusions dans ce domaine: il est urgent de mieux informer les gens, surtout les jeunes, de ce problème.
Dans le domaine de la destruction en général, nous avons vu au Canada de nombreux cas de divulgation illégale de dossiers personnels — notamment de dossiers de jeunes gens — due au fait que l'on n'en avait pas éliminé les renseignements personnels. Il s'agissait de dossiers de santé et de dossiers de clients de la Société de l'aide à l'enfance. Une telle atteinte à la vie privée est dévastatrice pour les victimes, surtout pour les jeunes.
Nous ne vous présentons ici qu'un survol de ce problème. Je vais vous suggérer quelques solutions. Vous en trouverez une description détaillée dans le mémoire que nous avons remis au Comité.
NAID-Canada pense que la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques devrait exiger que l'on détruise les renseignements dont on ne se sert plus en décrivant cette destruction avec soin. À l'heure actuelle, la Loi se contente de la recommander, mais elle ne l'exige pas. À notre avis, on obligerait ainsi les organismes de traiter la destruction de leurs données avec plus de sérieux. NAID-Canada définit le mot « destruction » comme l'élimination physique de dossiers afin qu'ils ne soient plus utilisables et efficaces et que l'on ne puisse plus en reconstituer aisément les renseignements. Cette définition s'applique autant aux dossiers papier qu'aux données électroniques. En effet, nous pensons que la Loi devrait présenter une définition très précise du mot « destruction » pour qu'elle ne donne pas lieu à des interprétations diverses.
Le recyclage, par exemple, ne constitue pas une destruction, parce que les dossiers peuvent demeurer intacts et vulnérables à une atteinte à la vie privée pendant très longtemps.
Nous recommandons avant tout que la Loi exige la destruction et la définisse clairement. Je tiens à souligner que ce comité a aussi présenté ces deux recommandations à la suite de son dernier examen de la Loi. Le gouvernement a répondu en suggérant qu'il serait possible de régler ce problème en fixant des lignes directrices, qu'il a d'ailleurs élaborées. Nous sommes cependant toujours convaincus qu'il est crucial de renforcer la destruction des données par une obligation légale.
D'ailleurs, je tiens aussi à souligner que d'autres gouvernements imposent des amendes salées aux organismes qui ne détruisent pas leurs renseignements de manière adéquate. Par exemple, une société médicale du Missouri a dû verser 1,5 million de dollars pour avoir jeté des dossiers médicaux dans une benne publique. Au Canada, l'abandon de dossiers médicaux dans les poubelles est devenu une vraie épidémie, qu'il serait probablement facile d'enrayer en imposant les amendes qui conviennent comme le font les États-Unis.
NAID-Canada appuie l'idée d'imposer des amendes et de permettre au Commissaire à la protection de la vie privée de rendre des ordonnances. Nous soutenons aussi le besoin d'adopter une loi sur les avis d'atteinte à la vie privée, et nous en attendons l'entrée en vigueur avec impatience.
Permettez-moi maintenant de conclure par une observation d'ordre général sur la place qu'occupe le Canada dans le monde en matière de protection de la vie privée. Comme notre association a des ramifications internationales, nous sommes bien renseignés à ce sujet, même si nous ne le sommes que du point de vue de la destruction des renseignements. Le Canada est très en retard sur les autres pays, qui exigent la destruction des renseignements d'une façon bien plus décisive. Les amendes punitives qu'imposent les États-Unis en sont un excellent exemple. La longue hésitation du Canada à adopter une loi sur les avis d'atteinte à la vie privée l'a repoussé bien loin en arrière des autres nations. Nous sommes cependant heureux qu'il ait enfin publié la version préliminaire de cette loi.
Nous avons aussi remarqué, au cours de ces audiences, la forte attention portée aux règlements plus sévères sur la protection générale des données que l'Union européenne appliquera dès cette année. Comme tous bons experts en réglementation, les décideurs européens sont arrivés à la conclusion que le seul moyen de veiller à la protection des renseignements personnels sera d'appliquer des lignes directrices parfaitement claires et des mesures de conformité très strictes.
Je tiens à rappeler au Comité que nous, les fournisseurs de services, sommes assujettis aux mêmes pénalités sévères. Nous acceptons cependant de courir ce risque, parce que nous reconnaissons que cette approche profite à tous et qu'il s'agit de la seule solution efficace.
En conclusion, je vous dirai que nous comprenons les personnes qui s'inquiètent des coûts élevés de l'application des règlements et que nos membres sont des entreprises. Cependant, toutes les entreprises prudentes détruisent probablement déjà leurs données d'une façon sécurisée pour éviter les risques financiers et les torts qu'une atteinte à la vie privée causerait à leur réputation. Ces risques sont beaucoup plus élevés que les coûts de destruction des données.
Malgré cela, on entend continuellement parler d'incidents survenus parce que quelqu'un avait omis de détruire des renseignements. En outre, la dernière révision de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques date déjà de 10 ans. À notre avis, il est grand temps d'y ajouter l'obligation de détruire les données d'une manière sécurisée et de définir clairement la façon de le faire.
Je vous remercie de m'avoir consacré de votre temps. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Madame Bailey, en ce qui concerne la Loi que nous étudions ici, nous avons tous vu les statistiques, mais elles changent probablement chaque semaine. On estime qu'environ 75 % des jeunes de 13 à 17 ans ont maintenant un téléphone cellulaire, que 71 % d'entre eux utilisent d'autres médias sociaux que Facebook et que 92 % y sont présents quotidiennement.
Voilà ce qui m'affole quand je pense au consentement valable. Mes jeunes ne sont plus des gamins — ils sont adultes maintenant —, mais nous avons des amis qui ont de jeunes enfants. Il y a environ deux semaines, nous avions invité des amis pour le week-end. Leurs enfants, bien entendu, passaient leur temps à leurs cellulaires. J'ai donc eu l'occasion d'observer un peu ce qu'ils y faisaient. Ils visitaient des sites et des applis et ils cliquaient ici et là pour indiquer qu'ils étaient d'accord.
En ce qui concerne le consentement valable, notamment au Canada avec la Loi qui nous occupe ici, je voudrais que vous nous décriviez plus en détail le Règlement général sur la protection des données, ou RGPD, ainsi que sur la loi des États-Unis sur la protection des enfants en ligne, le COPPA, et que vous nous suggériez ce que le Canada pourrait faire pour resserrer les règles sur le consentement valable. Nous contentons-nous d'exiger le consentement des personnes qui ont 17 ans et plus, que l'un de vous a mentionné, si je ne m'abuse? Pour les jeunes de 13 à 17 ans, devrions-nous peut-être exiger le consentement d'un parent?
Pourriez-vous nous expliquer un peu en quoi consiste le consentement valable et la manière dont vous voudriez que nous en resserrions les règles au Canada? Pourriez-vous le comparer au RGPD et au COPPA?
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Nous avons utilisé l'expression « droit à l'oubli » avec avec complaisance il y a une minute. Moi-même je l'ai employée. Par souci de clarté, pour bien exprimer ce que nous voulons dire… Qu'entend-on par le droit à l'oubli? Même dans l'UE à l'heure actuelle, sans songer à ce qui se produira en 2018, il ne s'agit pas réellement d'un droit à l'oubli, mais plutôt d'un droit de demander le retrait par un moteur de recherche de liens vers ses renseignements personnels, ce qui est une solution rêvée, en ceci que, dans la pratique, la plupart des gens se contenteront de faire une recherche Google. Si le lien ne peut plus être repéré par le moteur de recherche Google, il résultera de cette mesure une obscurité efficace et pratique, sans inconvénients.
Je sais bien que certains de mes collègues s'intéressent à la valeur archivistique future de l'Internet et réfléchissent aux conséquences d'un effacement complet et permanent des renseignements. Même si vous décidez d'un retrait centenaire des renseignements, comme pour certaines archives, cela signifie néanmoins que dans 100 ans, quelqu'un pourra les récupérer.
Je pense que l'idée d'un droit à l'oubli qui est une mesure concrète de désactivation des liens constitue en fait une réponse pratique intéressante, pourvu qu'il y ait une certaine compréhension et une obligation redditionnelle quant à la manière dont les fournisseurs de service prennent ces décisions lorsqu'il leur est demandé de le faire. Nous avons besoin d'une reddition de comptes, de transparence et de divulgation de leur part au sujet du nombre de demandes qu'ils reçoivent, des fondements de leurs prises de décision, du nombre de demandes acceptées et rejetées, de ce genre de choses. Je pense qu'il s'agirait là d'un droit à l'oubli applicable dans la pratique et offrant un certain degré de rectification.
De plus, si, d'entrée de jeu, nous adoptons une mesure préventive et disons… Pour illustrer ce point, Google Classroom est autorisé et utilisé dans l'ensemble du Conseil scolaire de district d'Ottawa-Carleton et nous, les parents, avons obtenu l'assurance que Google avait accepté de ne pas recueillir de renseignements concernant nos enfants lorsqu'ils ont recours à ce service et de ne pas les utiliser à des fins commerciales. Je suppose que nous pouvons le croire, puisque c'est ce qu'on nous a dit.
Dire que cela n'est pas possible, c'est du verbiage. Nous devons prendre conscience, en tant que consommateurs et que citoyens, de cette part de verbiage quand nous entendons dire que cela est impossible, trop coûteux, trop difficile. Nous devons songer aux moyens d'empêcher, au départ, la collecte des renseignements de telle sorte que les questions de destruction, de désactivation des liens et de non-accessibilité ne deviendront pas le problème monumental qu'elles sont maintenant pour toute une génération d'enfants. Nous pouvons faire quelque chose pour la prochaine génération.
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La loi actuelle ne l'exige pas, non. Alors je crois que vous me demandez si les Canadiens devraient avoir le droit d'exiger que l'on efface leurs dossiers.
Si l'on en revient aux principes — et je tiens à utiliser la bonne terminologie — de l'exactitude, de l'intégralité, du fait d'être à jour, ces principes obligent les organismes à vérifier si les renseignements qu'ils détiennent sont exacts, complets, à jour et s'ils servent encore les fins pour lesquelles on les avait recueillis.
Les organismes les ont recueillis. Il existe dans la jurisprudence des plaignants qui soutiennent que leur dossier aurait dû être effacé et qu'on ne l'a pas fait. Ils ajoutent que leur dossier n'est plus ni exact ni complet. C'est peut-être une forme atténuée du type de droit dont vous parliez tout à l'heure, le droit de demander que l'on efface complètement notre dossier.
Les jeunes veulent aller dans Facebook, par exemple, et pouvoir exiger que l'on ne se contente pas de fermer leur compte, mais que l'on efface tout ce qu'ils y avaient affiché. Ils ne veulent pas que Facebook conserve ces choses dans un de ses serveurs quelque part.
Nous avons parlé à des jeunes qui nous ont dit qu'ils voudraient beaucoup pouvoir exiger cela.
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Bien sûr, je peux vous répondre en termes généraux.
Toute bonne entreprise prend certaines mesures pour protéger les renseignements de ses clients et de ses employés. Elle déchiquette par exemple les documents papier, elle efface les données de ses vieux appareils électroniques, de ses serveurs, des assistants numériques, des téléphones cellulaires et autres. Ces mesures ne coûtent pas très cher aux entreprises.
Elles coûteraient quelques centaines de dollars par année à une petite entreprise. Les grandes sociétés paieraient beaucoup plus pour cela, mais ces coûts ne constitueraient qu'une petite fraction de ce que la société avait investi pour produire ces renseignements. J'aime considérer cela de cet angle-ci. Si vous pensez à ce qu'il en coûte pour créer les dossiers, pour recueillir l'information, pour l'entreposer puis pour l'analyser, les frais d'élimination de cette information ne constituent qu'une toute petite fraction de ce qu'il a fallu investir pour la rassembler initialement.
Le coût de la destruction de données n'empêche personne de le faire correctement. L'industrie nord-américaine est très concurrentielle, donc les entreprises n'hésiteraient pas à choisir le prix offert le plus bas même si le fournisseur ne détruisait pas les dossiers correctement.