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Bonjour, chers collègues.
Je sais que bon nombre d'entre nous sont impatients, puisque c'est la dernière semaine de quatre semaines avant que nous retournions dans nos circonscriptions pendant la pause parlementaire. Nous avons parmi nous d'éminents témoins pour nous aider dans nos délibérations dans le cadre de l'étude que nous menons à l'heure actuelle sur la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, que les Canadiens appellent plus communément la LPRPDE.
Du Centre for Law and Democracy, nous accueillons à nouveau M. Michael Karanicolas, conseiller juridique principal, par vidéoconférence.
Nous sommes ravis de vous revoir, monsieur Karanicolas.
À titre personnel, nous recevons encore une fois Teresa Scassa, professeure titulaire à l'Université d'Ottawa.
Merci, Teresa, de vous joindre à nouveau à nous. C'est toujours un plaisir de vous recevoir ici.
Pour une première fois au Comité, pour son premier passage ici, ou comparution, nous accueillons Florian Martin-Bariteau, professeur adjoint, Section de common law de la Faculté de droit, et directeur, Centre de recherche en droit, technologie et société à l'Université d'Ottawa.
Conformément à notre procédure habituelle, nous entendrons une déclaration liminaire de 10 minutes de chacun des témoins. Nous suivrons l'ordre selon lequel je vous ai présentés. Je pense que tout le monde connaît notre façon de faire.
Nous allons commencer avec vous, monsieur Karanicolas. Vous avez 10 minutes maximum, s'il vous plaît.
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Merci au Comité de m'avoir invité à comparaître à nouveau.
J'aimerais tout d'abord féliciter le Comité permanent pour ses recommandations concernant la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui ont été publiées à la fin de l'année dernière et qui étaient, à mon avis, excellentes.
Je crois qu'il est assez clair que le modèle de protection de la vie privée fondé sur le consentement est désuet. La dynamique qui sous-tend ce modèle et qui fait tourner une bonne partie de l'économie numérique est le fait que les utilisateurs peuvent choisir d'échanger leurs renseignements personnels contre des services. Ce modèle présente des avantages indéniables, qui a contribué à la croissance rapide d'Internet en faisant baisser les coûts d'entrée. Cependant, cette dynamique repose sur le consentement valable, ce qui signifie que la partie contractante doit avoir une compréhension superficielle de ce qu'elle signe. En fait, pratiquement personne ne lit les modalités des ententes de services, ce qui mine considérablement la légitimité du consentement obtenu.
Le rapport du CPVP souligne en partie la longueur de ces ententes et la fréquence à laquelle elles sont présentées aux utilisateurs comme étant la cause de ce manque de compréhension, mais il convient également de signaler que ces ententes sont souvent rédigées dans des termes très complexes, ambigus et contradictoires que même des gens qui ont une formation technique et juridique ont du mal à comprendre. C'est un cercle vicieux au travail. Le fait que très peu d'utilisateurs lisent ces ententes ou en utilisent le contenu comme fondement pour accepter ou refuser un service donne aux entreprises une autorisation, un incitatif, pour les rédiger dans un libellé très général. Ce style de rédaction et le manque d'accès contribuent à ce que les signataires prêtent attention aux modalités.
Il convient également de souligner que l'entreprise qui présente l'entente et offre un service peut souvent être différente de celles qui recueillent et traitent les renseignements. Des courtiers en information sont très présents dans l'écosystème d'Internet. Une étude réalisée en 2014 a révélé que des 950 000 sites Web les plus populaires, 88 % d'entre eux communiquaient systématiquement les renseignements de leurs visiteurs avec des tierces parties, avec en moyenne 9,5 tierces parties différentes par site Web. Ces renseignements sont en grande partie recueillis subrepticement, avec seulement 2 % des tierces parties qui utilisent un message pour mettre en garde les utilisateurs de leur présence.
Il y a visiblement un problème ici. Cependant, il est important de chercher des solutions qui ne feront pas dérailler l'économie numérique actuelle. Bien qu'il y ait des avantages et des inconvénients à un système où les renseignements personnels sont utilisés comme monnaie d'échange pour obtenir des services en ligne, les avenues possibles devraient être conçues de manière à maintenir les énormes avantages que l'accès à Internet offre.
Une solution, que nous appuyons fermement, serait de rehausser la qualité du consentement en améliorant les renseignements disponibles aux utilisateurs. Une pratique exemplaire pourrait être de publier un résumé ou un guide d'explication des modalités avec la version juridique intégrale, afin de s'assurer que l'entente peut être facilement examinée, et d'aviser clairement les utilisateurs lorsqu'un changement important est apporté à l'entente.
Le CPVP a un rôle important à jouer ici: promouvoir de meilleures pratiques en matière de clarté et d'accessibilité des modalités des ententes de services et vérifier les ententes actuelles pour en examiner la clarté, l'accessibilité et l'exactitude des renseignements, de même que la façon dont l'information est recueillie et traitée. Par ailleurs, nous appuyons la proposition de passer à un mécanisme de consentement préalable comme mécanisme par défaut.
L'amélioration de la transparence est un autre facteur important pour rehausser la qualité du consentement, permettant ainsi aux gens d'examiner de plus près les services et les plateformes qu'ils utilisent. Cela peut inclure, par exemple, le droit de demander des explications sur la façon dont leurs renseignements personnels sont utilisés pour personnaliser leur expérience en ligne ou sur les facteurs qui sont entrés en ligne de compte dans une décision prise par l'entreprise. Cependant, il y a encore grandement place à l'amélioration au niveau de la participation des utilisateurs et de la qualité du consentement. Ces améliorations ne suffiraient pas pour protéger les droits à la vie privée des Canadiens. Le CLD appuie la création de zones d'accès interdit clairement définies, de même que de zones de mise en garde, comme le rapport du CPVP le suggère. Un point important à envisager ici est la nécessité de clarifier comment les renseignements peuvent être communiqués à des tierces parties ou être revendus et la nécessité de préciser les règles qui devraient régir ces utilisations externes. Il faut également accorder des pouvoirs d'enquête plus vastes au CPVP pour promouvoir des pratiques exemplaires en matière de gestion de l'information et de la sécurité.
En ce qui concerne la dépersonnalisation et l'anonymisation de l'information, bien que je pense que c'est une pratique qui devrait être encouragée, ce n'est pas une panacée pour régler les problèmes actuels en matière de protection des renseignements personnels. J'ajouterais à l'observation formulée dans le rapport du CPVP qu'à mesure que l'anonymisation augmente, la valeur commerciale de l'information peut souvent diminuer, donnant ainsi un incitatif pour les entreprises à opter pour des solutions incomplètes. De plus, le fait que ces renseignements ont été, pour ainsi dire, dépersonnalisés, peut créer un faux sentiment de sécurité, ce qui pousse les entreprises à être moins vigilantes pour protéger ces renseignements et porte les consommateurs à assumer que les menaces à leur vie privée ont disparu.
Je veux également aborder brièvement la réputation, le droit à la vie privée et le droit à l'oubli.
L'effet transformateur d'Internet sur nos fonctions sociales a fait de l'empreinte virtuelle d'une personne un aspect essentiel de son identité. Toutefois, la permanence et l'accessibilité accrue des renseignements en ligne ont suscité des préoccupations chez certains concernant l'incidence d'Internet sur la vie privée et la réputation des gens.
Il y a des avantages à rendre le passé des gens plus accessible. Un musée de l'Holocauste, par exemple, voudra, et avec raison, savoir si un candidat à un emploi a fait des commentaires racistes dans le passé. Cependant, nous sommes également une société qui croit au fait d'accorder aux gens une seconde chance. Il peut y avoir des problèmes quant à la façon dont les dossiers numériques se présentent, notamment lorsqu'une décision d'un procureur de retirer des accusations ne reçoit peut-être pas autant de couverture médiatique que l'arrestation initiale ou lorsqu'un reportage médiatique erroné ou sensationnaliste attire plus d'attention que lorsqu'on le retire plus tard.
Cependant, les expériences en Europe en lien avec le droit à l'oubli devraient être perçues comme des leçons à tirer sur ce qu'il ne faut pas faire. Par exemple, toute mesure en vue de créer un droit à l'oubli devrait être incluse dans des définitions claires et limitées de son application, de transparence rigoureuse et de processus d'application de la loi robuste. Je vais aborder successivement chacun de ces éléments.
Premièrement, pour appliquer le droit à l'oubli, il faut établir un juste équilibre entre la liberté d'expression, la protection des renseignements personnels et le droit à l'information. Cet équilibre devra être fondé sur un critère bien précis pour déterminer où l'intérêt public repose. Les gens n'ont jamais eu le droit de contrôler ou de gérer leur réputation. Toute tentative de créer un droit à l'oubli devrait être axée exclusivement sur les nouveaux aspects de la réputation qui sont survenus avec l'avènement d'Internet et devrait être réservée à des circonstances où il y a clairement une injustice, notamment lorsqu'une personne est injustement arrêtée.
Deuxièmement, la transparence est un élément clé, ce qui comprend notamment le fait de mettre à la disposition des renseignements détaillés sur le fonctionnement et l'application des processus de prise de décisions. Il devrait y avoir le plus de renseignements possibles, sans toutefois nuire à l'efficacité des processus.
Troisièmement, dans tous les cas de restriction de la liberté d'expression, l'application régulière de la loi est extrêmement importante. Les moteurs de recherche ne sont tout simplement pas équipés pour contribuer à l'atteinte d'un juste équilibre des droits et ont malheureusement un incitatif dans le cadre du système européen actuel à retirer les renseignements sans appliquer un processus rigoureux, ce que l'on devrait faire avec des questions délicates de ce genre. Toute tentative de retirer des renseignements et de réduire l'accessibilité devrait être laissée à la discrétion d'un tribunal ou d'une autorité quasi judiciaire, y compris les considérations prévues dans un processus d'application régulière de la loi rigoureux.
Je tiens à souligner que rien de ce que je viens de dire ne devrait être interprété comme étant une forme d'appui au droit à l'oubli. On peut certainement soutenir que les problèmes actuels en lien à la réputation des gens se régleront tout seuls avec le temps, à mesure qu'ils s'habitueront graduellement à la prépondérance des renseignements gênants ou désagréables et apprendront à prendre ces renseignements avec un grain de sel. Cependant, en ce qui concerne le droit à l'oubli qui est envisagé, il est important de ne pas répéter les erreurs largement critiquées qui ont été commises par la Cour de justice de l'Union européenne dans ce dossier.
J'ai hâte d'entendre vos questions.
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Merci de l'invitation à vous rencontrer aujourd'hui pour contribuer à vos discussions sur la LPRPDE. Je suis professeure à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, où je suis titulaire de la chaire de recherche du Canada en droit d'information. Je comparais devant vous à titre personnel.
Nous faisons face à ce que nous pourrions considérer comme étant une crise de la légitimité en ce qui concerne la protection des données personnelles au Canada. Chaque jour, nous entendons des histoires dans les nouvelles de piratages de données ou d'atteintes à la sécurité des données, ainsi que de collecte subreptice de renseignements personnels par les appareils qui se trouvent dans nos maisons ou sur nous et qui sont branchés à Internet. Il y a des histoires sur la façon dont le profilage de données a une incidence sur la capacité des gens d'obtenir l'assurance-maladie ou du crédit ou de trouver un emploi. Il y a également des préoccupations quant à la mesure dans laquelle les autorités d'État peuvent accéder à nos renseignements personnels que détiennent des entreprises du secteur privé. La LPRPDE, dans sa forme actuelle, ne suffit pas pour régler ces problèmes.
Mes observations s'articulent autour de la transparence. La transparence est fondamentalement importante à la protection des données et a toujours joué un rôle important en vertu de la LPRPDE. Essentiellement, la transparence est synonyme d'ouverture et d'accessibilité. Dans le cadre de la protection des données, les organismes doivent faire preuve de transparence en ce qui concerne la collecte, l'utilisation et la communication des renseignements personnels, ce qui signifie que le commissaire doit également être transparent dans son rôle de surveillance en vertu de la loi.
Je dirais également que les acteurs étatiques, ce qui comprend les organismes d'application de la loi et de sécurité nationale, doivent faire preuve d'une plus grande transparence concernant leur accès aux renseignements personnels que détiennent des organismes du secteur privé et l'utilisation qu'ils en font.
En vertu de la LPRPDE, la transparence est au coeur du régime de protection des données axé sur le consentement. C'est au coeur de l'obligation des entreprises de rendre accessibles aux consommateurs leurs politiques en matière de protection de la vie privée et d'obtenir leur consentement pour recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels. Or, ce type de transparence a été soumis à d'importantes pressions et a été grandement affaibli par les changements technologiques et un amendement législatif fragmentaire.
Le volume de renseignements qui sont colligés par l'entremise de nos interactions numériques, mobiles et électroniques et leurs utilisations réelles et potentielles sont sans limite. Ce faisant, de plus en plus d'appareils que nous avons sur nous et à la maison recueillent et transmettent nos renseignements. Ils peuvent même le faire sans que nous le sachions, et ce de façon continue. Le résultat est qu'il y a bien moins de points ou de moments bien définis où la collecte de données a lieu, ce qui fait en sorte qu'il est difficile de dire qu'un avis a été présenté et qu'un consentement éclairé a été obtenu.
De plus, le nombre d'interactions et d'activités quotidiennes qui entraînent la collecte de données se sont multipliées au point où nous ne pouvons plus lire et évaluer toutes les politiques en matière de protection de la vie privée. Même si nous avions le temps, ces politiques, comme je viens de le mentionner, sont souvent trop longues, complexes et vagues, si bien que même si nous les lisons, nous ne pouvons pas avoir une idée des données qui sont recueillies et communiquées, avec ou par qui, ou à quelles fins.
Dans ce contexte, le consentement est une farce en quelque sorte, et les consommateurs sont malheureusement en grande partie les dindons de la farce. Les seules parties qui peuvent dire que notre modèle actuel axé sur le consentement fonctionne toujours sont ceux qui bénéficient du fait que les consommateurs se résignent face à cette collecte omniprésente de données.
Le récent processus de consultation sur le consentement du commissaire à la protection de la vie privée a permis de relever un certain nombre de stratégies possibles pour combler les lacunes du système actuel. Il n'y a pas de solution facile ou de changement mineur au libellé qui pourrait régler les problèmes entourant le consentement. Cela signifie, d'une part, qu'il faut apporter d'importants changements à la façon dont les organismes offrent une réelle transparence concernant leurs pratiques de collecte, d'utilisation et de communication des données et, d'autre part, il faut également adopter une nouvelle approche à l'égard du respect de la loi qui confère au commissaire des pouvoirs de surveillance et d'application de la loi beaucoup plus grands. Les deux changements sont inextricablement liés.
Le mandat plus large de protection du public du commissaire prévoit qu'il dispose des pouvoirs nécessaires pour prendre des mesures dans l'intérêt public. Le contexte technologique dans lequel nous évoluons est tellement différent de ce qu'il était lorsque cette loi a été adoptée en 2001 que le fait de discuter d'apporter seulement quelques modifications mineures à la loi fait fi des effets transformateurs des mégadonnées et de l'Internet des objets.
Une réforme importante de la LPRPDE est attendue depuis longtemps, et elle pourrait offrir des avantages importants qui vont beaucoup plus loin que seulement régler les problèmes entourant le consentement. Je signale que si l'on demandait à quelqu'un de rédiger une loi comme s'il s'agissait d'une oeuvre d'art pour évoquer le problème relativement aux politiques en matière de protection des renseignements personnels incompréhensibles, alambiquées et déformées et leur manque de transparence, alors la LPRPDE serait cette loi. Même si l'idée de reformuler la loi pour qu'elle ne soit plus considérée comme la pire de toutes les politiques est mal reçue, c'est une idée que ce comité devrait considérer.
Je fais cette recommandation dans le contexte où tous ceux qui recueillent, utilisent et communiquent des renseignements personnels dans le cadre de leurs activités commerciales, ce qui comprend un grand nombre de petites et moyennes entreprises qui ont un accès limité à l'expertise d'avocats expérimentés, doivent se conformer à la loi. De plus, les membres du public devraient idéalement avoir une chance de lire la loi et de comprendre les mesures de protection de leurs renseignements personnels et les droits de recours. Dans sa forme actuelle, la LPRPDE est un ramassis de mesures alambiquées où les principes normatifs ne figurent pas dans la loi, mais ont été ajoutés dans une annexe.
Pire encore, la signification de certains mots dans l'annexe, de même que les principes qu'elle contient, est modifiée par la loi, de sorte qu'il est impossible de bien comprendre les règles et les exceptions sans devoir faire les liens nécessaires, ce qui s'avère complexe. Après une série de modifications ponctuelles, la LPRPDE forme maintenant en grande partie une série de plus en plus longue d'exceptions aux règles sur la collecte, l'utilisation ou la communication avec consentement. Bien que le CPVP ait travaillé fort pour rendre accessibles les principes juridiques contenus dans la LPRPDE aux entreprises et aux individus, la Loi en tant que telle n'est pas accessible.
Dans une récente demande liée à la LPRPDE concernant un demandeur non représenté — et la plupart des gens qui comparaissent devant la Cour fédérale ne sont pas représentés, ce qui, à mon avis, est un autre problème que pose la LPRPDE —, le juge Roy a dit qu'il n'est guère étonnant qu'une partie ne comprenne pas la portée de la Loi.
J'ai déjà parlé des modifications ponctuelles qui ont été apportées à la LPRPDE au fil des ans, de même que des préoccupations au sujet de la transparence. À ce sujet, il est important de souligner que la Loi a été modifiée de sorte que soit augmenté le nombre d'exceptions à la règle du consentement qu'il serait autrement nécessaire de respecter pour la collecte, l'utilisation ou la communication de renseignements personnels.
Par exemple, les alinéas 7(3)d.1) et d.2) ont été ajoutés en 2015. Ils permettent à une organisation de communiquer des renseignements personnels à une autre organisation en vue d'une enquête sur la violation d'un accord ou sur des contraventions au droit fédéral ou provincial qui ont été commises ou qui sont sur le point de l'être, ou en vue de la détection d'une fraude ou de sa suppression. Bien qu'il s'agisse d'objectifs importants, je signale qu'aucune exigence en matière de transparence n'a été établie pour ces pouvoirs plutôt importants de communiquer des renseignements personnels à l'insu de l'intéressé ou sans son consentement. Notamment, il n'est pas obligatoire d'aviser le commissaire d'une telle communication. La portée de ces exceptions crée une lacune importante sur le plan de la transparence qui affaiblit la protection des renseignements personnels. Cela devrait être corrigé.
La LPRPDE contient également des exceptions qui permettent à des organisations de communiquer des renseignements personnels à des acteurs gouvernementaux à des fins d'application de la loi et de sécurité nationale à l'insu de l'intéressé ou sans son consentement. Il n'y a pas non plus de mesures de protection en matière de transparence pour ces exceptions. Compte tenu de l'énorme quantité de renseignements personnels très détaillés, dont les lieux, qui sont maintenant recueillis par des organisations du secteur privé, l'absence d'exigences en matière de transparence constitue un problème flagrant sur le plan de la protection de la vie privée.
Le ministère de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique a créé un ensemble de lignes directrices volontaires sur la transparence pour les organisations qui choisissent de divulguer le nombre de demandes qu'elles reçoivent et la façon dont elles les traitent. Il est temps d'établir des obligations en matière de transparence pour de telles communications, qu'il s'agisse de la présentation de rapports publics ou de la présentation de rapports au commissaire, ou d'un mélange des deux. De plus, cela devrait s'appliquer tant aux acteurs du secteur privé qu'à ceux du secteur public.
Un autre changement majeur qui doit être apporté pour que la LPRPDE puisse répondre aux défis de l'heure qui sont liés à la protection des données concerne les pouvoirs du commissaire. Lorsqu'elle a été adoptée en 2001, la LPRPDE représentait un changement fondamental dans la façon dont les entreprises allaient recueillir, utiliser et communiquer des renseignements personnels. Ce changement majeur a été effectué avec une grande délicatesse. La LPRPDE illustre un modèle d'ombudsman prévoyant un certain doigté avec un accent mis sur la persuasion plutôt que sur l'imposition. Seize ans plus tard, et avec des exaoctets de données personnelles, il est grand temps que l'on fournisse au commissaire un ensemble de nouveaux outils pour garantir une protection suffisante des renseignements personnels au Canada.
Tout d'abord, le commissaire devrait avoir le pouvoir d'imposer des amendes aux organisations dans des situations de non-conformité importante ou systémique aux obligations en matière de protection de la vie privée. Bien adaptées, de telles amendes peuvent avoir un effet dissuasif important qui n'existe pas actuellement dans le cadre de la LPRPDE. Elles représentent également des moments transparents de responsabilité qui sont importants pour que le public continue d'avoir confiance envers le régime de protection des données.
La boîte à outils devrait également inclure le pouvoir du commissaire de rendre des ordonnances exécutoires. Je suis sûre que vous êtes bien conscients que les commissaires du Québec, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique disposent déjà de tels pouvoirs. À l'heure actuelle, le seul moyen de faire en sorte qu'une ordonnance exécutoire soit rendue dans le cadre de la LPRPDE, c'est de faire appel à la Cour fédérale, et seulement après qu'une plainte a franchi les étapes du processus interne du commissaire. C'est un chemin beaucoup trop long et complexe pour une ordonnance ayant force exécutoire, et cela requiert un investissement de temps et de ressources qui impose un fardeau injuste sur les plaignants.
Je souligne également que la LPRPDE ne fournit pas d'orientations générales sur les jugements en dommages-intérêts. La Cour fédérale s'est montrée extrêmement conservatrice à cet égard pour des infractions à la LPRPDE, et il est peu probable qu'il y ait d'autres effets dissuasifs que de dissuader les personnes qui se battent pour défendre leur droit à la vie privée. Il conviendrait d'accorder une attention particulière à l'établissement de paramètres pour des dommages non pécuniaires aux termes de la LPRPDE. À tout le moins, cela aiderait les plaidants non représentés à comprendre les limites de tout recours possible.
Merci. Je serai ravie de répondre à toutes les questions.
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Merci, monsieur le président.
[Français]
Je vous remercie de me donner l'occasion de contribuer à vos travaux sur la révision de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, ou la LPRPDE, et de partager avec vous mes réflexions sur un sujet d'importance pour les Canadiennes et les Canadiens.
Je suis professeur adjoint en droit et technologie à la Section de common law de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, où j'enseigne notamment le droit de l'économie numérique. Je suis aussi le directeur du Centre de recherche en droit, technologie et société. C'est néanmoins à titre personnel que je comparais devant vous aujourd'hui.
Mes commentaires prendront pour point de départ la lettre que vous adressait le commissaire, le 2 décembre dernier. Je me concentrerai sur les questions des pouvoirs d'exécution et de réputation. Je m'intéresserai ensuite au champ d'application de la Loi, avant de terminer sur des réflexions relatives à son accessibilité et à sa lisibilité.
Tout au long de ma présentation, je ferai un lien avec le nouveau règlement général européen sur la protection des données, ou RGPD, notamment en raison des questions d'adéquation soulevées par le commissaire.
Sur la question des pouvoirs d'exécution, il m'apparaît essentiel de renforcer les pouvoirs du commissaire afin d'assurer l'efficacité de la Loi, notamment en lui octroyant des pouvoirs d'ordonnance et de sanction financière. La possibilité d'imposer des amendes semble la mesure la plus efficace pour assurer une réelle protection.
Comme pour tout, la protection des renseignements personnels fait l'objet d'une analyse coûts-avantages. Il s'agit aujourd'hui de choisir entre investir dans une protection dès la conception et l'éventualité de se faire taper sur les doigts. Face au risque de sanctions financières, l'analyse coûts-avantages basculera vers une protection dès l'origine. Évidemment, la détermination du montant de cette amende sera un paramètre essentiel de son efficacité; il faut un montant prohibitif. Par exemple, si une amende de 500 000 $ peut sembler importante — et elle le sera pour les petites et moyennes entreprises —, elle sera négligeable pour des sociétés comme Amazon, Facebook ou Google. Ainsi, c'est par une amende de 22,5 millions de dollars que la Federal Trade Commission des États-Unis a amené Google à modifier son programme de publicité DoubleClick.
Pour être efficace face aux gros joueurs, il faudrait que le montant maximum de l'amende soit basé sur un pourcentage du chiffre d'affaires mondial, par exemple 1 %. Pour éviter que l'amende soit ridicule pour les petites et moyennes entreprises, on devrait également prévoir un deuxième seuil chiffré, par exemple 500 000 $, la limite la plus élevée devant être retenue. Le RGPD se base d'ailleurs sur une telle approche mixte.
À mon sens, cela ne présente pas de risque d'atteinte à la relation de collaboration entre les acteurs et le commissaire. Au contraire, je suis d'avis que l'existence d'un pouvoir renforcé incitera les acteurs à une plus grande collaboration, en amont de tout dommage. Du reste, ces pouvoirs m'apparaissent nécessaires pour obtenir une décision d'adéquation au RGPD.
Pour éviter les apparences de conflit d'intérêts, les amendes devraient être payables au receveur général. Pour sécuriser les petites entreprises et pour ne pas freiner l'innovation, on pourrait par ailleurs prévoir une procédure d'avis de conformité préalable. En cas de dommage, il ne pourrait alors y avoir de sanction qu'après l'émission d'une recommandation qui n'aurait pas été suivie dans un délai raisonnable.
Finalement, je suis d'avis qu'aucun pouvoir du commissaire, y compris ceux d'ordonnance et de sanction, ne devrait être limité à la réception préalable d'une plainte formelle, l'ensemble de ces pouvoirs restant évidemment soumis à un possible contrôle judiciaire.
Concernant les droits des individus et la réputation en ligne, certains voudraient créer un « droit à l'oubli ». Telle qu'elle est imaginée et demandée par certains, je trouve la proposition dangereuse. L'Internet représente les archives et les bibliothèques de demain. C'est la nouvelle mémoire collective. On n'a jamais effacé les archives seulement parce qu'elles étaient dérangeantes, du moins pas légalement dans une démocratie. Il s'agit là d'un terrain dangereux, tout comme il serait également dangereux de vouloir déléguer un pouvoir de censure à des acteurs privés ou de ne donner le droit qu'à certains acteurs de décider ce qui doit être accessible ou non. Dans la même veine, le droit au « déréférencement » m'apparaît illogique dans la mesure où l'on supprimerait l'entrée d'index, mais pas le contenu lui-même.
La législation sur la protection des renseignements personnels ne doit pas être un outil de gestion de la réputation pour faire disparaître ce qui est gênant, mais uniquement tout ce qui présente un caractère injustifié ou inexact. À défaut de cela, je ne suis pas certain que de tels mécanismes passeraient le test de la Charte.
Le réel problème du droit canadien est que la LPRPDE recommande, mais n'oblige pas en tant que telle la suppression des données inexactes ou non nécessaires. Certes, dans sa récente et déjà célèbre décision sur Globe24h.com, la Cour fédérale est venue contourner cette lacune par l'intermédiaire du caractère illégitime et non autorisé de la divulgation.
Il conviendrait néanmoins de rendre obligatoire, et non plus recommandable, la suppression des données dès lors qu'elles ne sont plus nécessaires ou à jour en encadrant plus strictement la rétention des données dans le temps. Je préciserai d'ailleurs que ce besoin ne concerne pas qu'Internet, mais bien toutes les bases de données, qu'elles soient informatisées ou non.
Il me semble encore que ces modifications seraient nécessaires, mais suffisantes, pour une adéquation au RGPD.
Au sujet du champ d'application, les Canadiennes et Canadiens devraient être assurés que toute cueillette, utilisation ou communication de données pouvant leur porter préjudice sont assujetties à des normes exigeantes de protection.
La détermination du champ d'application des deux lois fédérales ne répond pas à cette attente de protection des citoyens dans un monde global et interconnecté, notamment quant aux données protégées et, en particulier, à l'égard des organisations concernées.
Pour les organisations, une solution serait de redéfinir le champ d'application de la LPRPDE de manière négative, en la rendant applicable à toutes les organisations oeuvrant dans le champ de la compétence fédérale et non couvertes par la loi sur le secteur public ou une autre loi fédérale. Évidemment, et de manière similaire à nos partenaires, la loi devrait conserver les exceptions d'utilisation à des fins personnelles ou journalistiques.
En ce qui concerne le problème de l'accès au droit, s'il est certain que la loi a besoin d'ajustement pour s'adapter aux nouvelles réalités, le législateur devrait se saisir de l'occasion de cette réforme pour effectuer une réécriture complète de la loi, et non pas y apporter de simples amendements.
En effet, la LPRPDE appartient sans aucun doute au tableau d'honneur des lois les plus mal rédigées du corpus fédéral — et on sait pourtant qu'il y a là une certaine compétition. Le coeur de la LPRPDE se trouve dans une annexe, qui est le copier-coller d'un document rédigé par un organisme privé de normalisation. La loi ne vient que compléter ce document et les autres annexes en opérant des renvois incessants.
Cela pose un problème en termes d'accès au droit pour le public. II serait ainsi approprié de refondre la loi en expliquant clairement les droits et obligations de chacun et, notamment, de rendre contraignant tout ce qui est aujourd'hui conditionnel.
En termes de rédaction, la loi devrait rester conçue selon un principe d'indépendance technologique et se fonder sur des principes d'application générale. Une telle approche est essentielle, afin de permettre au cadre juridique canadien de s'adapter aux évolutions sociales et technologiques à venir, notamment avec le développement de la robotique, de l'Internet des objets et de l'intelligence artificielle.
En termes de lisibilité, il serait également bon que la loi ne concerne que la protection des renseignements personnels. Les règles d'équivalence fonctionnelle pour les documents électroniques n'y ont pas leur place et devraient être transférées ailleurs.
À l'inverse, il serait souhaitable qu'une seule loi contienne tout le régime de protection des renseignements personnels, c'est-à-dire tant pour le secteur privé que pour le secteur public. La réouverture concomitante de l'étude de ces deux lois par ce comité, qui est d'ailleurs à souligner, en offre l'occasion. Cela permettrait d'ailleurs d'établir un cadre cohérent, tant pour la protection des renseignements personnels que pour le rôle du commissaire, quitte a prévoir plusieurs parties, notamment s'il était jugé nécessaire de conserver un régime dérogatoire pour le secteur public.
Je terminerai en attirant votre attention sur le besoin de prévoir des droits d'actions et des dommages et intérêts statutaires. De même, je soulignerai qu'il convient certes de mettre à jour notre droit pour passer le test d'adéquation du RGPD, mais qu'il faut néanmoins garder en tête deux paramètres importants. Tout d'abord, le test d'adéquation ne demande pas une copie carbone du RGPD et, ensuite, celui-ci concerne tous les régimes de protection et pas seulement la LPRPDE.
J'espère que ces quelques réflexions et recommandations seront utiles au Comité. Malheureusement, je n'ai pas été en mesure de finaliser à temps un court document bilingue avec mes exemples et recommandations. Néanmoins, je pourrai vous le communiquer par la suite.
Je vous remercie et je serais heureux de répondre à vos questions.