:
Merci beaucoup, monsieur le président.
[Français]
Bonjour à tous.
[Traduction]
C'est pour moi un honneur d'avoir été invitée ici. À titre de retraitée, je n'ai pas préparé de mémoire officiel, j'espère que vous m'en excuserez. Vous avez tout de même reçu un document qui contient les notes sur lesquelles je fonderai mes observations.
J'ai lu les transcriptions des délibérations avec beaucoup d'intérêt. Vous avez entendu une grande diversité d'opinions de personnes très compétentes. Je mettrai l'accent, dans mon court exposé, sur les éléments sur lesquels j'estime avoir le plus d'expérience. Je procéderai en ordre chronologique, c'est-à-dire que je parlerai d'abord de ce qui s'en vient, ensuite de ce qui est en place actuellement, puis de ce qui vous a déjà été proposé.
Je commencerai donc par l'avenir, par les défis qui se posent pour la LPRPDE. Vous ne serez pas surpris de m'entendre mettre en relief les effets du Règlement général sur la protection des données adopté par l'Union européenne. Depuis que j'ai pris ma retraite, j'ai travaillé en partie avec d'autres personnes à la rédaction d'un article scientifique sur l'administration du principe de la protection adéquate. C'est donc une question plus fraîche que d'autres à mon esprit.
Vous aurez déjà entendu qu'il existe des critères plus rigoureux que ceux que préconisait la LPRPDE jusqu'ici, soit les critères de l'équivalence. Le problème, c'est que ces critères ne sont pas définis de façon précise. Le problème le plus grave, c'est qu'au sein de l'Union européenne, selon mon étude de toutes les décisions où il a été déterminé que le niveau de protection était adéquat ou qui ont donné lieu à une analyse, l'historique d'évaluation des cadres de protection des renseignements personnels est très inégal d'un pays à l'autre.
Il faut aussi comprendre qu'il y a énormément de pressions au sein de l'Union européenne depuis l'affaire Snowden, tant de la part des militants que des partis politiques, pour que les normes européennes soient imposées avec rigueur au reste du monde.
Quand on se demande de quoi on aurait besoin pour la LPRPDE à l'avenir, je dirais qu'il vaut mieux placer la barre haut et nous rappeler que la même logique s'applique aux normes européennes, c'est-à-dire à l'utilisation des renseignements personnels dans le secteur public. À mon avis, il y a un chevauchement, dans la loi de l'UE, entre le droit à l'effacement ou à la correction, que garantit déjà la LPRPDE, et le droit à l'oubli. Plusieurs des témoins qui ont comparu devant vous ont affirmé ne pas savoir si le droit à l'oubli existe bel et bien en droit canadien.
En réalité, il existe dans les lois du Québec, et comme notre pays possède deux systèmes juridiques, ce concept existe depuis longtemps en droit canadien. J'ai entendu parler du droit à l'oubli dès l'époque où je fréquentais l'école de droit, et j'ai obtenu mon diplôme en 1980, donc cela remonte à longtemps. Il existe une jurisprudence sur le droit à l'oubli, et j'invite le Comité à en prendre connaissance.
Je vous invite aussi à faire une distinction que tous vos témoins n'ont pas faite, entre le droit à l'oubli, qui est interprété jusqu'à maintenant dans l'Union européenne comme le droit à la suppression des liens vers des renseignements dans les moteurs de recherche, et la destruction elle-même de l'information d'origine. Je crois n'avoir entendu personne en parler, alors que c'est un épouvantail qu'on agite chaque fois qu'on parle du droit à l'oubli. Ce n'est pas du tout ce dont il s'agit.
Vous ne devez pas oublier non plus que la LPRPDE ne régit que les entreprises sous le régime de la réglementation fédérale, une distinction que tous les témoins n'ont pas faite, à mon avis. Elle ne régit pas les personnes individuellement, pas plus qu'elle ne régit toutes sortes de choses de compétence provinciale.
Pour revenir au droit à l'oubli, il est intéressant de souligner que l'attendu — qui correspond en Europe à ce qu'on appelle ici le préambule — qu'on trouve dans le Règlement général sur la protection des données énumère les raisons justifiant ce règlement, notamment le droit de faire retirer des publications qu'on a pu diffuser sur Internet dans sa jeunesse et qu'on regrette maintenant. Je vous somme donc de réfléchir à cela comme justification afin de permettre davantage d'exiger le retrait de certaines publications. Je vous invite à y réfléchir dans le contexte du droit humain à la dignité, ce droit que nous avons tous, à mon avis, d'être une personne qui évolue. Ce qu'on fait à 16 ans n'est pas ce qu'on fera à 36, le jour où l'on envisagera de se porter candidat aux élections ou autre chose. Je pense qu'il s'agit simplement de tenir compte de la nature humaine et d'assurer le respect nécessaire de la dignité humaine.
Le Comité a entendu d'autres idées, dont celle de prévoir des règles spéciales pour les enfants. Encore une fois, je vous invite à réfléchir au partage des pouvoirs, une réalité inéluctable selon la Constitution canadienne.
Vous pourriez envisager la possibilité de faire une mention spéciale du Commissariat à la protection de la vie privée ou du commissaire dans la LPRPDE, afin de souligner son rôle en matière d'harmonisation juridique, son devoir de discuter avec ses homologues provinciaux et de favoriser l'adoption de lois fortes et compatibles partout au Canada, compte tenu de l'ampleur de la protection des renseignements personnels qui relève de la compétence des provinces. Je le dis parce qu'à mon avis, la meilleure solution n'est pas toujours de criminaliser les comportements. C'est pourtant la compétence dont jouit le gouvernement fédéral pour régir les comportements personnels. Ce n'est pas la meilleure façon de gérer bien des choses.
Monsieur le président, je vais maintenant vous parler des tendances et des valeurs actuelles des Canadiens.
Je crois que la transparence est un étendard des démocraties de l'après-Snowden. Nous avons vu récemment des exemples de cas où la population exige une plus grande transparence des personnalités publiques, entre autres.
C'est très différent de la grande opacité qui prévalait il y a une vingtaine d'années, quand la loi a été rédigée, et du système en fonction duquel la LPRPDE est administrée. La question n'a pas été analysée en profondeur à l'époque, parce que le public ne se préoccupait alors pas outre mesure de ce qu'il pouvait voir ou comprendre de l'application de la protection des renseignements personnels. Le modèle mis en place était le modèle assez pratique de l'ombudsman. Il a été adopté par le gouvernement canadien vers la fin des années 1970, sur le modèle de la Scandinavie, à une époque où les pays scandinaves étaient presque totalement homogènes, ethniquement et socialement, et où il y avait encore une grande confiance du public envers le gouvernement, comme il y en a toujours.
Je crois également que le public devrait en savoir plus sur les plaintes portées contre les organisations commerciales, parce que beaucoup de choses ne semblent pas s'améliorer avec le temps dans le régime actuel. Je vous cite l'exemple d'une publication récente du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, qui date du 15 mars dernier, concernant une plainte sur l'utilisation de renseignements personnels par une banque canadienne. Je pense que l'affaire aurait beaucoup plus d'effet sur le public si la banque et le détaillant en cause dans l'incident étaient nommés.
Toujours sur le thème de la transparence, je vous rappelle que les entreprises elles-mêmes devraient faire preuve de transparence quant à l'utilisation des renseignements personnels qu'elles transmettent aux organismes gouvernementaux, aux services policiers, au SCRS et aux autres, en espérant qu'elles le font toujours légalement.
Ensuite, encore concernant la transparence, j'aimerais vous parler du pouvoir individuel. Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada bénéficie d'un budget important, mais sans commune mesure avec le défi que présente la protection des renseignements personnels de nos jours. Je ne trouve pas très productif qu'il prenne autant de temps à enquêter sur des plaintes individuelles pour essayer de faire respecter les droits à la protection de la vie privée des Canadiens. Ce système devrait être modifié. Le commissaire devrait pouvoir faire comme la Federal Trade Commission des États-Unis, c'est-à-dire voir les plaintes déposées comme un baromètre de l'opinion publique, puis choisir les plaintes sur lesquelles il souhaite mener enquête et donner essentiellement à ces personnes le droit d'intenter des poursuites devant la Cour fédérale.
Enfin, pour clore sur le thème de la transparence, je crois qu'il faudrait permettre au commissaire à la protection de la vie privée de se concentrer sur les nouvelles menaces sérieuses qui se posent dans le contexte de l'évolution des nouvelles technologies et des nouveaux comportements et donc, de ne pas mener enquête sur toutes les plaintes. Il faudrait pour cela lui accorder de vastes pouvoirs de vérification ou le pouvoir de lancer lui-même une enquête. Ces mesures seraient nécessaires pour renforcer le principe de la responsabilité, qui se pose de plus en plus comme un principe très difficile, comme celui du consentement, pour toutes sortes de raisons technologiques, dont l'apparition des mégadonnées. Il devient essentiel, dans le modèle d'application de la loi d'aujourd'hui, d'être prêt à faire la preuve de sa responsabilité.
J'ai également mentionné l'éthique, mais je crois que l'éthique doit se situer dans un cadre plus rigoureux.
[Français]
Enfin, pour ce qui est des lacunes déjà cernées, des suggestions ont été faites il y a longtemps concernant la révision de la LPRPDE. Rappelons-nous le rapport de 2013 et ses quatre points, de même que la recommandation que j'ai faite, il y a quelques années, voulant que les partis politiques soient eux-mêmes assujettis à la LPRPDE.
Dans la foulée de deux décisions de la Cour suprême du Canada, dont une a été rendue il y a quelques mois à peine, je suis d'avis qu'une éventuelle révision de la Loi doit prévoir l'octroi au commissaire d'un pouvoir plus clair de faire des enquêtes, et ce, nonobstant la protection de la jurisprudence et la loi portant sur les privilèges. Le privilège de l'avocat dans notre société a énormément évolué depuis le XIXe siècle. Je crois que ce privilège n'a plus sa raison d'être relativement aux plaintes ou allégations d'usage inapproprié des renseignements personnels et à la possibilité qu'un commissaire fasse enquête à ce sujet. La Loi doit donc avoir un langage plus clair et plus fort.
[Traduction]
Je conclurai en portant à votre attention des travaux récents, probablement les plus contemporains sur la réglementation intelligente. Ils sont l'oeuvre du professeur Christopher Hodges, de l'Université d'Oxford, qui définit les caractéristiques d'un bon règlement.
Un bon règlement réussit surtout à influencer les comportements et ce, de diverses façons, selon le contexte, selon l'enjeu, selon ce qu'on appelait jadis l'« industrie » mais qui est peut-être le« secteur » ou l'« activité ». Il peut s'agir de communiquer de l'information aux consommateurs. Il peut s'agir d'établir un dialogue constant avec les entités réglementées. Il peut s'agir de créer une pression uniformisante par des mesures prises dans ce secteur ou ce domaine d'activité.
Il s'agit d'intervenir d'une manière qui semble ciblée, juste, proportionnelle au problème et non automatique ou parce que c'est ce que dicte la loi: « Nous allons mener enquête sur vous parce que je dois examiner toutes les plaintes, donc vous devrez payer des frais d'avocat pour vous en sortir. » Je crois que ce n'est pas nécessairement juste ni proportionnel à l'enjeu. Il faut plutôt récompenser ceux qui font preuve de conformité et sanctionner ceux qui adoptent des comportements inappropriés.
Je vous invite donc à prendre cette orientation et à accorder une plus grande souplesse au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, afin d'élargir son éventail d'outils réglementaires, compte tenu de l'évolution des besoins dans le temps.
Je vous remercie beaucoup de votre attention.
:
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de me recevoir de nouveau. Je m'appelle Tamir Israel et je suis avocat-conseil à l'interne à la CIPPIC, la Clinique d'intérêt public et de politique d'Internet du Canada Samuelson-Glushko du Centre de recherche en droit, technologie et société de l'Université d'Ottawa, qui en est en fait la faculté de droit. La CIPPIC est la clinique juridique qui travaille à l'avancement de l'intérêt public dans les débats politiques au confluent du droit et de la technologie.
Je souhaite vous remercier de nous inviter encore une fois à contribuer au travail important du Comité, dans ce cas-ci dans le cadre de l'examen de la LPRPDE.
Nous affirmons d'entrée de jeu qu'à notre avis, le cadre raisonné proposé dans la LPRPDE a très bien résisté à l'épreuve du temps. C'est sa souplesse générale qui lui a permis de suivre le rythme de l'évolution technologique et sociale souvent rapide et profonde. Cela dit, certaines clarifications et certains ajouts aux mécanismes prévus par la LPRPDE en ce qui concerne le consentement et la transparence seraient souhaitables, tandis que la pleine réalisation des droits importants que la LPRPDE garantit aux Canadiens reste compromise par la difficulté de la mettre efficacement en application.
Comme les membres du Comité l'ont entendu, l'un des piliers de la LPRPDE a souffert de la réalité contemporaine: le consentement. La pression vient de la nature de plus en plus complexe des pratiques modernes de gestion de données, qui créent de l'opacité et des incitatifs puissants souvent à l'opposé direct des intérêts des consommateurs. Parallèlement à cela, les politiques régissant la protection de la vie privée, qui devraient réduire cette complexité, sont inaccessibles, ou à l'autre extrême, elles rendent la gestion des données obscures afin de préserver toute la marge de manoeuvre possible pour les pratiques commerciales futures.
À la lumière de cette complexité, il n'est ni pratique ni souhaitable de s'attendre à ce que chaque personne acquière l'expertise nécessaire pour évaluer la gestion de données de tous les services auxquels elle est confrontée chaque jour. Il serait toutefois tout aussi dommageable de sacrifier le concept du consentement à la faveur d'un cadre de responsabilité fondé sur le risque. Ce genre de cadre ouvrirait la porte à une chasse ouverte aux renseignements personnels. De plus, il risquerait fort de compromettre l'adoption et l'utilisation de services, puisque les recherches empiriques portent à croire que la confiance des consommateurs envers les services et leur adoption sont grandement liées à leur aptitude à exprimer leur consentement à l'égard des méthodes de gestion de données.
Malheureusement, cette confiance est trop souvent mal placée. Bien souvent, les attentes des consommateurs ne se reflètent tout simplement pas dans les politiques sur la protection de la vie privée et les pratiques de gestion de données, qui sont contre-intuitives et impliquent souvent un consentement implicite. Ainsi, il pourrait être utile d'officialiser certains éléments du cadre raisonné découlant de la LPRPDE pour rendre les pratiques plus conformes aux attentes.
La LPRPDE admet de manière générale qu'un consentement explicite est nécessaire lorsque s'observe une telle déconnexion, particulièrement lorsque les données visées sont sensibles. En outre, le fait de reconnaître explicitement la protection des données personnelles par défaut mettrait d'autant plus en relief la nécessité d'obtenir l'approbation de l'utilisateur à l'égard des mécanismes de protection des renseignements personnels, ce qui contribuerait à réduire l'écart entre les attentes individuelles et la pratique.
Si le commissaire à la protection de la vie privée détenait officiellement le pouvoir d'imposer des restrictions adaptées au contexte, les dispositions actuelles de la LPRPDE permettant déjà de désigner certaines pratiques inacceptables et d'établir des politiques réglementaires adaptées pourraient être davantage utilisées. L'utilisation de ces outils pourrait accroître la certitude et la cohérence du côté des entreprises, tout en permettant au commissaire à la protection de la vie privée d'adopter plus fréquemment des politiques proactives. De plus, un mécanisme officiel d'élaboration de politiques de ce type permettrait de renforcer la qualité et la légitimité des politiques.
Enfin, certaines mesures pourraient être envisagées pour mieux protéger les données des courtiers en données. En effet, ces entités amassent les profils détaillés de personnes de différentes sources en ligne et hors ligne, habituellement sans la connaissance ni l'accord de la personne visée, qui est habituellement totalement écartée du processus de collecte de données. L'information détenue par les courtiers en données est de plus en plus utilisée par diverses entités secondaires, qui s'en servent pour prendre des décisions ayant souvent une grande incidence sur les personnes. Dans un rapport publié en 2014, la Federal Trade Commission recommandait d'obliger les courtiers en données à créer des portails facilement accessibles qui permettraient aux particuliers de déterminer aisément si un courtier détient des données à leur sujet et d'où proviennent ces données. Cet outil permettrait également l'exercice d'autres droits, comme les droits de correction et d'effacement, qui font déjà partie intégrante des mécanismes prévus par la LPRPDE pour assurer la qualité des données.
Ce cadre pourrait être imposé par le commissaire à la protection de la vie privée, selon une politique réglementaire par secteur prise en vertu du paragraphe 5(3) de la LPRPDE, mais le mécanisme pourrait être encore plus fort et plus clair s'il était carrément inscrit dans la Loi.
Par ailleurs, le modèle fondé sur des recommandations et le recours à une deuxième instance pour l'application de la LPRPDE est complètement déconnecté de la réalité moderne des régimes de protection des données. Comme de nombreuses organisations gèrent les choses en fonction des enjeux individuels et des contre-indications, nous avons besoin d'un régime réglementaire combinant efficacité et capacité d'adaptation. Le mécanisme d'application de la LPRPDE est complexe du point de vue procédural, exige trop de temps et ne respecte pas suffisamment l'expertise du commissaire à la protection de la vie privée.
Dans l'ère de l'information, les données personnelles constituent la marchandise principale et exigent un cadre réglementaire structuré en conséquence. Il ne faut donc pas s'étonner de constater que la plupart des gouvernements administrant des régimes de protection des données ont instauré des mesures d'application tenant compte de cette réalité fondamentale. En conférant le pouvoir de rendre des ordonnances au commissaire à la protection de la vie privée, on faciliterait ses interactions avec les grandes organisations multinationales, ce qui lui permettrait de s'acquitter de son mandat en exerçant l'autorité d'une instance réglementaire.
En outre, la possibilité que l'on puisse un jour être indemnisé à la suite d'infractions à la LPRPDE demeure lointaine, et le montant d'une indemnisation semblable devrait être très réduit. Des changements apportés récemment au droit de la responsabilité délictuelle ont permis de combler cette lacune dans une certaine mesure et ont mené à une amélioration notable au chapitre de la conformité proactive, notamment au vu de la possibilité d'intenter des recours collectifs à l'égard de considérations touchant la protection de la vie privée.
Les recours collectifs découlant du droit de la responsabilité délictuelle sont toutefois de portée limitée, ne touchant que certains types d'atteinte à la vie privée, et il n'y a que peu d'incitations à mettre en place un régime efficace de conformité proactive à l'égard des autres éléments cruciaux de la LPRPDE. Nous serions donc favorables à ce que l'on attribue au Commissariat à la protection de la vie privée le pouvoir d'imposer des sanctions pécuniaires administratives, un peu comme on l'a fait récemment avec le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.
Nous recommandons de plus l'instauration d'un droit de recours individuel indépendant, qui permettrait à des particuliers et à des catégories de requérants de soumettre directement leurs recours. On pourrait ajouter à cela des dommages-intérêts préétablis à l'égard d'infractions et de principes visés par la LPRPDE ou pour la totalité des dispositions de la loi. Nous aurions ainsi un régime analogue d'application via des recours individuels, ce qui motiverait d'autant la conformité.
Enfin, différents mécanismes visant la transparence pourraient permettre de régler certains problèmes pressant dans l'application actuelle du régime de la LPRPDE. Dans de nombreuses industries, et notamment celles qui s'emploient à faciliter les communications électroniques, il est devenu pratique courante de présenter des rapports périodiques sur la portée et la nature des demandes de renseignements sur la clientèle formulées par l'agence nationale. Bien que l'on pourrait prétendre que des rapports semblables sont déjà exigés en vertu du principe d'ouverture établi dans la LPRPDE, nous recommanderions l'adoption d'une mesure législative qui habiliterait explicitement le commissaire à la protection de la vie privée afin qu'il impose des obligations détaillées de production de rapports aux fins de la transparence dans les différents secteurs. Nous bénéficierions ainsi d'une plus grande uniformité dans la production de rapports normalisés, comparativement au régime actuel où cela se fait sporadiquement et de façon incomplète.
L'adoption de mesures législatives serait également avantageuse du point de vue de la transparence en ce qui concerne les décisions prises au moyen d'algorithmes. De plus en plus de choix ayant un impact considérable sur la vie des gens sont ainsi faits sur la base de processus automatisés. Il ressort de différents travaux de recherche et d'analyse juridique que le recours à des algorithmes sert souvent de justification pour une prise de décisions discriminatoire basée sur des motifs liés à la religion, à l'origine ethnique, à la race, à la situation d'invalidité, au sexe et à d'autres considérations visées par la loi. La prise de décisions en fonction d'algorithmes peut aussi masquer d'importantes distinctions individuelles au bénéfice de la généralisation, ce qui ne produit pas les résultats souhaités pour les personnes touchées. D'une manière plus générale, l'utilisation d'algorithmes brouille souvent le raisonnement à l'origine d'une décision donnée, ce qui fait par exemple qu'il devient impossible de savoir exactement pour quelle raison un enseignant a été congédié, un client s'est vu refuser certains avantages ou une demande de crédit a été rejetée. En pareil cas, il devient très difficile de déterminer si la décision prise est juste et équitable, ou si elle est plutôt discriminatoire.
Une plus grande transparence dans l'utilisation d'algorithmes va directement dans le sens des principes fondamentaux de protection appliqués de longue date pour assurer la qualité des données utilisées pour la prise de décisions. La LPRPDE mise à cette fin sur le principe de l'exactitude des données et le droit de chacun d'avoir accès aux renseignements personnels détenus par une organisation à son sujet. Cependant, on invoque de plus en plus souvent le secret commercial pour escamoter la logique étayant une décision fondée sur des algorithmes. En outre, en l'absence d'obligations rigoureuses en matière de transparence, on voit apparaître des algorithmes de plus en plus complexes qui dissimulent complètement ces considérations sous-jacentes, et ce, même pour les entreprises qui s'en servent.
CIPPIC recommanderait donc l'ajout de droits distincts d'accès à la logique sous-jacente de tout processus automatisé de prise de décisions, surtout lorsque ces décisions ont un impact considérable sur la vie des gens, leur accès à des débouchés économiques et le traitement auquel ils ont droit lorsqu'il est fondé sur des motifs de distinction illicites.
Le Comité pourrait également envisager une étude plus approfondie des enjeux liés à la prise de décisions automatisée dans les secteurs privé et public.
Je conclus ainsi mon exposé. Je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions.
:
Merci. J'utilise cette minuterie pour éviter que nous dépassions largement le temps imparti comme nous l'avons fait la dernière fois, Tamir et moi.
Nous avons profité de la trentaine de minutes d'attente pour avoir une bonne discussion.
Bonjour à tous. Merci beaucoup, monsieur le président et honorables membres du comité. Je vous suis reconnaissante de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui pour vous faire part des points de vue de la Section nationale du droit de la vie privée et de l'accès à l'information et de l'Association canadienne des conseillers juridiques d'entreprises, deux divisions de l'Association du Barreau canadien, au sujet de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LPRPDE.
L'Association du Barreau canadien, ABC, est une association nationale qui regroupe quelque 36 000 avocats, étudiants en droit, notaires et universitaires. Notre association s'emploie notamment à favoriser l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. C'est dans le contexte de cet important objectif que je vais m'adresser à vous aujourd'hui.
Nos deux sections regroupent des avocats spécialisés en droit de la protection des renseignements personnels et de l'accès à l'information dans les différentes régions du pays. Ce sont des avocats en pratique privée, des juristes d'entreprise qui travaillent pour des sociétés publiques ou privées, des sociétés d'État, des organismes gouvernementaux et réglementaires, des municipalités et des hôpitaux. Bref, nous couvrons à peu près tous les secteurs.
Je m'appelle Suzanne Morin et je suis vice-présidente de la Section nationale du droit de la vie privée et de l'accès à l'information. Je travaille pour Sun Life.
Nous nous sommes prononcés à maintes reprises au sujet de la LPRPDE depuis son entrée en vigueur en 2001. En l'absence d'un besoin pressant de modification législative, nous continuons d'appuyer de manière générale le maintien du modèle actuel de la LPRPDE qui est axé sur le consentement et le rôle du protecteur du citoyen. Nous préconisons en outre une surveillance étroite du niveau de conformité du Canada par rapport aux normes de l'Union européenne, comme l'indiquait Mme Stoddart.
Dans le cadre de ces modèles, il y aurait cependant lieu de modifier la Loi sous deux aspects. Premièrement, il faut s'assurer que le concept de l'accès public aux renseignements continue de s'appliquer sans égard à la technologie utilisée. Deuxièmement, il faudrait permettre au commissaire à la protection de la vie privée de formuler des avis préalables non exécutoires.
Je vais traiter brièvement de ces deux questions.
Étant donné qu'il ne nous apparaît pas absolument nécessaire d'apporter des modifications à la LPRPDE, nous recommandons le maintien du modèle actuel fondé sur le consentement ainsi que de l'approche de la trousse d'outils polyvalente aux fins de la protection de la vie privée au Canada. Les droits, les obligations et les recours en matière de la protection de la vie privée s'inscrivent au Canada dans un vaste cadre juridique qui comprend des lois fédérales et provinciales sur la protection de la vie privée dans les secteurs public et privé, des lois pénales et relatives aux droits de la personne, de nouveaux recours en matière de common law et de droit civil, et des nouveautés dans le régime de responsabilité civile du Québec.
La LPRPDE énonce directement les principes fondamentaux du consentement dans le secteur privé, qui sont à l'origine de l'obligation pour les entreprises d'obtenir le consentement valable et de l'interdiction de forcer quiconque à consentir à ce que ses renseignements personnels soient utilisés autrement qu'aux fins légitimes indiquées. Le modèle de consentement de la LPRPDE s'appuie sur 10 principes relatifs à l'équité dans le traitement de l'information. D'une manière générale, tout traitement de renseignements personnels est assujetti au « critère de la personne raisonnable », qui limite l'utilisation des renseignements à ce qui est raisonnable dans les circonstances. Tout cela s'inscrit dans le contexte qui vient d'être exposé.
À notre avis, le modèle de consentement de la LPRPDE, appuyé par le cadre juridique plus large, protège toujours efficacement la vie privée des Canadiens, y compris ceux faisant partie des groupes vulnérables, en offrant une solution suffisamment souple alors même que les entreprises doivent composer avec l'évolution rapide des technologies, des modèles d'affaires et des attentes des clients en matière de protection de la vie privée.
Les sections de l'ABC recommandent le maintien du modèle de protecteur du citoyen en l'absence de preuve d'un besoin impératif de modifier les pouvoirs de contrainte du Commissariat à la protection de la vie privée. Le Commissariat protège le droit à la vie privée en utilisant les pouvoirs prévus actuellement dans la LPRPDE pour mener des enquêtes, en publiant le nom de parties lorsqu'il est jugé dans l'intérêt public de le faire; pour vérifier les pratiques des organisations lorsqu'il a des raisons de croire qu'elles ne se conforment pas aux obligations prévues dans la LPRPDE; et pour traduire en justice les organisations ayant manqué à leurs obligations en matière de protection de la vie privée.
Pour leur part, les tribunaux canadiens se sont montrés particulièrement qualifiés pour évaluer les dommages-intérêts découlant des enquêtes menées par le Commissariat. Ils peuvent également juger de nouvelles actions civiles dans le domaine de la protection de la vie privée et du droit de la responsabilité délictuelle, élargissant ainsi le cadre de protection juridique de la vie privée au Canada. Tout bien considéré, cette approche de la trousse à outils s'est révélée efficace pour forcer les organisations de toutes tailles, d'ici et d'ailleurs, à réviser leurs pratiques de protection de la vie privée grâce aux efforts considérables déployés par d'anciens commissaires comme Mme Stoddart.
Il vaut mieux demeurer prudent en attendant de voir comment sera interprété et utilisé le nouveau pouvoir du commissariat de conclure des ententes de conformité contraignantes avec les organisations en ayant recours aux tribunaux, et comment le nouveau régime d'obligation de signalement des atteintes — pas encore en vigueur — qui permet l'imposition d'amendes prendra forme au cours de la prochaine année.
Troisièmement, les sections de l'ABC recommandent de modifier la LPRPDE afin d'autoriser explicitement le Commissariat à la protection de la vie privée à produire des avis préalables non exécutoires à la demande d'organisations envisageant de nouveaux programmes, de nouvelles technologies ou méthodes, ou des transactions précises. Bien que le commissariat offre actuellement des conseils généraux sous forme de résumés d'enquête et de bulletins d'interprétation, il fournit des conseils s'adressant à une organisation précise seulement dans le cadre d'une enquête ou d'une vérification.
Si ce pouvoir était expressément énoncé, il deviendrait clair que le commissariat est tenu de remplir cette fonction en formulant des avis précis permettant aux organisations de s'assurer que leurs nouvelles initiatives sont conformes du point de vue de la protection de la vie privée. Le commissariat pourrait en outre anonymiser et publier les avis préalables de portée générale afin d'aider les autres organisations qui envisagent des initiatives comparables.
Quatrièmement, pour ce qui est des renseignements auxquels le public a accès, nous recommandons de modifier la LPRPDE et ses règlements pour qu'ils s'appliquent à toutes les technologies et puissent s'adapter aux modèles d'affaires et aux attentes des clients d'aujourd'hui et de demain relativement à l'utilisation des renseignements personnels que les clients choisissent de rendre publics.
La LPRPDE a été rédigée de manière à s'appliquer à toutes les technologies et je dois convenir, après plus de 15 ans d'observation, qu'elle continue de résister à l'épreuve du temps en permettant aux organisations d'adapter leurs pratiques de protection des renseignements personnels en fonction de tous les changements qui surviennent. Bien que la LPRPDE soit fondée sur le consentement, elle prévoit des exceptions pour les cas où l'obtention de ce consentement est trop compliquée ou n'est pas nécessaire, notamment pour les renseignements accessibles au public.
Cependant, contrairement à la loi elle-même, les règlements accompagnant la LPRPDE ratent la cible à certains égards et ont créé de l'incertitude quant au degré de consentement requis pour utiliser les renseignements personnels que des personnes ont choisi de rendre publics. Nous proposons dans notre mémoire différentes options que vous pouvez considérer à ce sujet.
Cinquièmement, les sections de l'ABC recommandent de surveiller de près le statut du Canada quant au caractère adéquat de son niveau de protection aux yeux de l'Union européenne. Nous avons toutefois une mise en garde à vous faire. Il serait prématuré de vouloir modifier la LPRPDE en prévision des changements qui pourraient être nécessaires au maintien de notre statut. Depuis 2001, le Canada jouit d'un statut reconnaissant le niveau adéquat de ses mesures de protection des renseignements personnels aux termes de la Directive générale sur la protection des données (DGPD) de 1995 de l'Union européenne. L'Union européenne peut ainsi transférer des renseignements personnels aux organisations canadiennes sans qu'il soit nécessaire d'enclencher d'autres mécanismes.
De récents changements dans le droit de la vie privée de l'Union européenne ont toutefois remis en question le caractère adéquat du niveau de protection assuré par le Canada. On ignore encore quelle sera la nouvelle approche de l'Union européenne. Nous savons toutefois que, le moment venu, la Commission européenne va examiner, comme l'indiquait Mme Stoddart, la totalité du cadre juridique canadien dans les secteurs public et privé, y compris nos lois sur la sécurité publique, la défense et la sécurité nationale; nos lois pénales; et nos autres engagements internationaux.
La LPRPDE n'est qu'un élément du cadre de protection de la vie privée du Canada; elle ne constitue pas nécessairement l'unique moyen ou le véhicule approprié pour régler les problèmes pouvant se poser quant au caractère adéquat de notre régime. La reconnaissance de notre statut à ce chapitre est un objectif louable, mais pas à n'importe quel prix, et nous croyons que l'on serait malavisé de procéder à des changements dès maintenant.
Un mot en terminant au sujet du droit à l'oubli. Nous n'avons pas explicitement recommandé qu'un droit à l'oubli soit inclus dans la LPRPDE ou dans notre cadre juridique de manière plus générale, mais c'est un enjeu que nous ne devons pas perdre de vue. La LPRPDE ne prévoit pas directement le droit à l'oubli, du moins pas dans la forme qu'il a prise dans l'Union européenne. La LPRPDE permet toutefois à une personne de retirer son consentement et de faire supprimer certains renseignements tout en obligeant les organisations à utiliser les renseignements de manière compatible avec les fins auxquelles ils ont été publiés et à les supprimer lorsqu'ils ne sont plus nécessaires.
Nous devons nous rappeler que la LPRPDE et les autres lois en matière de protection de la vie privée ne sont pas une panacée aux problèmes causés par les progrès technologiques. Outre la LPRPDE, de nombreux autres éléments mériteraient réflexion, notamment la liberté d'expression, fondement de notre démocratie inscrit dans la Charte.
Je suis ravie d'avoir eu l'occasion encore une fois de vous présenter les points de vue des sections de l'Association du Barreau canadien concernant la LPRPDE.
[Français]
Je répondrai avec plaisir à vos questions.
Merci.
:
J'espère que je n'embrouillerai pas davantage les choses.
En fait, nous voyons cela moins comme un droit à l'oubli, comme le disent d'autres personnes, mais davantage comme un élément lié au principe de l'exactitude des données de la LPRPDE. Les gens qui ont des problèmes concernant le « droit à l'oubli » nous disent que cela crée une mauvaise perception de leur réputation parce que des choses précises qui ne définissent pas nécessairement leur réputation ressortent.
D'entrée de jeu, nous préférons même ne pas vraiment y penser. Leur solution ne consiste pas nécessairement à faire disparaître l'information, mais à la dissimuler, dans une certaine mesure, de sorte que ce ne soit pas la première chose que les gens apprennent sur eux, d'une façon qui crée une mauvaise perception de leur réputation.
Cela dit, la réputation est une question délicate. Pour bon nombre d'entre nous, il y a de l'information à notre sujet par laquelle nous ne voudrions pas être définis, mais qui devraient, pour des raisons légitimes, faire partie de notre réputation. Il y a un élément objectif. C'est là que réside la difficulté, à notre avis. Il s'agit de déterminer comment nous formulons quelque chose qui règle ce qui constitue un problème pour certaines personnes.
En ce qui concerne le droit instauré par l'Union européenne, nous pensons qu'un droit canadien aurait probablement une portée plus limitée, en ce sens qu'il s'appliquerait à tout le moins à un plus petit sous-ensemble de questions. Il pourrait ne pas s'appliquer à chaque information périmée sur moi, mais peut-être à de l'information sensible, soit de l'information qui a manifestement des répercussions négatives — problèmes de santé et information financière qui est apparue indépendamment de la volonté de la personne concernée, par exemple. Je crois que la portée d'un droit élaboré au Canada serait plus restreinte, et dans certaines décisions judiciaires, il a été question de ce qu'est une atteinte à la vie privée dans ce contexte, ce qui est pertinent.
Il y a également d'autres problèmes concernant la mise en oeuvre de ce droit.
L'Union européenne s'est fondée sur des moteurs de recherche intermédiaires pour l'exercice de ce droit. Ce sont ces moteurs qui enlèvent ou radient du contenu de la liste. Ce modèle intermédiaire a causé de nombreux problèmes dans bien des contextes juridiques. J'ai entendu dire que, de façon similaire à une décision récente de la Cour fédérale, l'affaire Globe24h, le commissaire à la protection de la vie privée s'est plutôt attaqué au site hôte et a dit qu'il pouvait conserver l'information — de sorte qu'elle n'est pas oubliée; elle est encore là —, mais qu'il fallait protéger certains types d'information de ce qui peut être révélé dans une recherche.
Quelque chose de ce genre, qui porte sur le site principal plutôt que sur le site intermédiaire, conviendrait peut-être davantage et permettrait de résoudre une partie des problèmes soulevés dans ce contexte.
Voilà où nous en sommes. J'espère que c'est un peu utile.