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Tout le plaisir est pour moi. Monsieur le président, et mesdames et messieurs. Je suis ravi de votre aimable invitation à m'adresser à votre comité aujourd'hui. Vous m'en voyez très honoré.
Je ne suis pas le législateur de l'UE. Je ne suis pas officiellement responsable de quelque constat d'adéquation. Je représente une institution indépendante, comme le commissaire à la protection de la vie privée du Canada. Mon institution a sa part de tous les devoirs et pouvoirs des autorités nationales de protection des données pour l'UE. Étant basée à Bruxelles, par contre, elle a aussi de l'influence en tant que conseiller spécial et premier conseiller du Conseil de l'Union européenne et du Parlement européen. Elle est mieux positionnée pour être utile.
Le troisième point de mon mot de présentation a trait à nos excellents rapports de travail avec le commissaire à la protection de la vie privée du Canada. En termes généraux, nous avons toujours eu un partenariat stratégique très étroit et fructueux avec le Canada. Ainsi, nous avons aussi eu l'occasion de soumettre nos plaidoyers à la Cour européenne de justice au sujet du dossier passager canadien. Nous avons eu la chance d'interagir avec certains de nos collègues du Canada pour bien nous renseigner sur votre cadre juridique.
Je suis très heureux de me mettre à votre disposition pour répondre aux questions que vous pourriez avoir au sujet du processus de révision et du contenu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, la LPRPDE. J'ai travaillé de très près à la réforme des règles européennes sur la protection des données. Notre rôle est de conseiller les législateurs. Nous avons adopté de nombreuses opinions. Nous avons été en contact avec les rapporteurs et les contre-rapporteurs. Le processus a duré près d'une décennie, de la consultation initiale, à la proposition, et jusqu'aux très longues négociations. Nous travaillons aujourd'hui à la mise en oeuvre.
Mon institution fera partie du nouveau Comité européen de la protection des données, le nouvel organe de l'UE qui remplacera le comité consultatif existant, le groupe de travail « article 29 » de la Commission européenne. Par ailleurs, le CEPD, le contrôleur européen de la protection des données, assurera aussi le secrétariat du comité. Donc, 20 membres de mon personnel seront délégués à temps plein à cette initiative.
Nous investissons toutes nos énergies pour être prêts dès le premier jour, le 25 mai de l'an prochain. Le RGPD, le Règlement général sur la protection des données, adopté l'an dernier, puis publié le 4 mai dans le journal officiel, entre en vigueur en mai prochain. Aujourd'hui, rien n'empêche un responsable du traitement de lancer la mise en oeuvre effective, sauf que la mise en oeuvre intégrale, avec contrôle d'application, ne pourra commencer avant minuit le 24 mai l'an prochain lorsque tous nos collègues seront rassemblés pour la première réunion du Comité européen de la protection des données.
Nous mettons aussi nos énergies dans les réformes complémentaires et nécessaires. Nous avons besoin, notamment en matière de confidentialité des communications électroniques, du règlement dit de protection des renseignements personnels électroniques, qui remplacera probablement la directive existante sur la même question. Nous avons plus ou moins la même approche pour le RGPD et la directive de 1995. Nous attendons également de nouvelles règles applicables à la grande galaxie des institutions et des organes de l'Union européenne assujettis à mon contrôle.
Nous faisons le travail d'une génération, et la difficulté est de veiller à ce que chacun jouisse des nouveaux droits dans le monde en ligne. Je prédis que le RGPD sera en place pour au moins 15 ans, ce qui est plus d'une décennie.
Nous pouvons voir que nous aurons fait des lois non seulement pour les milléniaux, mais peut-être aussi pour les premiers Z, qui n'auront connu rien d'autre qu'un monde branché. Donc, le défi consiste à prendre en compte la montée renforcée dans le RGPD et la nouvelle montée comme celles concernant la protection de la vie privée dès la conception et par défaut, que l'on peut appeler les droits relatifs aux mégadonnées.
Nous voulons vraiment être plus au courant des nouvelles technologies, être tournés vers l'avenir et être neutres, mettons, technologiquement parlant. Vous ne verrez pas de mesures législatives particulières sur les réseaux sociaux ou dans d'autres applications particulières, bien que les nouvelles règles sur le profilage, le droit à l'oubli et le taux de portabilité des données se veuillent horizontales.
Je vois une continuité entre la législation actuelle et la législation future pour donner un sens aux droits et libertés existants et nouveaux pour les gens ordinaires et pour en accroître l'efficacité dans la pratique. Nous devrons délaisser les anciennes exigences et mettre davantage l'accent sur les protections de fond. Ainsi, il y a une convergence dans le monde quant à la façon de rédiger et d'appliquer ces règles, et je considère que le Canada en fait partie. Je constate un consensus croissant.
Nous sommes aujourd'hui en mesure de mettre l'accent sur le transfert des données personnelles, qui est un facteur clé dans ce débat. Il vous intéressera peut-être de savoir ce qu'il y a de nouveau dans le RGPD par rapport à la directive et, bien sûr, je ne peux faire mieux que de citer Daniel Therrien, le commissaire fédéral, pour dire que le RGPD renferme certaines dispositions qui ne figuraient pas dans la directive et qui n'apparaissent pas non plus dans la LPRPDE: la portabilité, l'effacement, la protection dès la conception et la protection par défaut. Donc, nous devons analyser ensemble les différences entre la directive et la LPRPDE.
Je suis heureux de répondre à vos questions au sujet des grandes différences entre la directive et le RGPD concernant le processus de détermination de l'adéquation de la LPRPDE en vertu du RGPD, bien que ni la directive actuelle ni le RGPD ne fixent de processus précis, mais nous savons quelle pourrait être l'approche.
Je suppose que vous voudrez vérifier les critères de détermination de l'adéquation, ce qu'elle signifie après l'affaire Schrems, les droits numériques en Irlande, ce que signifie le jugement pour la Cour européenne de justice, et ce qu'est un niveau adéquat de protection des données personnelles qui soit essentiellement équivalent à celui de l'UE. Vous attendriez-vous à des consultations avec les autorités canadiennes, par exemple, pour l'évaluation de la nouvelle approche du Canada, s'il en est? Et les échéanciers? Plus particulièrement, quelles sont les incidences de l'arrêt Schrems qui ont été confirmées par la Cour de justice? Un des arrêts concerne le dossier passager canadien.
Si l'approche est la bonne, nous pourrions nous attacher aux spécificités concernant soit la rétention des données soit la protection des enfants. De nombreuses sociétés voudraient vérifier, par exemple, que le consentement doit être recueilli de nouveau après l'entrée en vigueur du RGPD. Je pense que nous avons là suffisamment de matière pour un échange fructueux.
Je ne voudrais pas abuser de votre temps, et il serait peut-être bien préférable d'entrer maintenant dans les détails en réponse à vos questions ou de nous attacher à des enjeux plus précis.
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C'est la question d'un million d'euros. Permettez-moi de dire tout d'abord que le règlement ne prévoit pas de processus pour exprimer [
Note de la rédaction: inaudible] dans le RGPD. Nous devrions partir des critères. En premier lieu, les décisions d'adéquation existantes demeureront en vigueur jusqu'à ce qu'elles soient mises à jour ou abrogées. Il y a une ligne de continuité.
En deuxième lieu, le RGPD clarifie beaucoup de choses au regard de la directive existante... Par exemple, la commission pourra maintenant adopter ces décisions d'adéquation également pour le secteur de l'application de la loi. Il est beaucoup plus clair que le nouveau RGPD permettra une détermination d'adéquation à l'égard d'un territoire particulier d'un pays tiers, voire d'un secteur particulier ou d'une industrie particulière — des conclusions d'adéquation partielle, donc.
Bien que le RGPD prévoie une approche du rebus sic stantibus, un examen périodique de chaque constat d'adéquation, y compris des décisions existantes de la Commission européenne au moins tous les quatre ans, nous ne sommes pas pressés de mettre le Canada au haut de nos priorités pour les décisions. Vous devriez maintenant vérifier ce qu'il faut, au regard de la nouvelle liste détaillée de critères figurant désormais dans le RGPD pour l'évaluation de cette adéquation.
Ma première recommandation avant d'entrer dans les détails est de comprendre que le chapitre 5 du RGPD est beaucoup moins pertinent qu'aujourd'hui. Aujourd'hui, nous appliquons la législation de l'Union européenne sur la protection des données — soit essentiellement les deux directives — aux sociétés établies dans un pays de l'Union européenne. Vous devez donc discuter de la mesure dans laquelle un responsable du traitement est établi ici.
Le 25 mai de l'an prochain, le principe sera différent. Ce ne sera plus une combinaison de territorialité et d'établissement, mais un système basé sur le lieu où les services sont rendus. L'ensemble complet des dispositions du RGPD, y compris, mais pas exclusivement, celles concernant les transferts, sera totalement applicable aux responsables du traitement qui offrent des biens et des services à distance dans l'UE, ou le profilage à distance des personnes.
Ainsi, si une société envisage d'avoir un traitement continu de données personnelles, non seulement dans un sens unique vers le Canada, il faudra prêter attention à l'ensemble complet de dispositions, et pas seulement au chapitre 5. Dans l'hypothèse où nous ne considérons qu'une dimension mineure, du transfert, nous devrons prêter attention à une deuxième approche importante. Le RGPD a été rédigé et préparé pour être adopté définitivement avant l'affaire Schrems, qui date du 6 octobre 2015, ce qui était trop tard pour changer le libellé.
L'adéquation est un peu différente maintenant. Nous avons commencé dans les années 1970 avec les exigences d'équivalence essentielle. Dans la convention 108 de 1981, le système d'un autre pays devait être équivalent. La directive adoptée dans l'UE en 1995, donc 14 ans plus tard, mettait l'accent sur quelque chose d'un peu plus léger, c'est-à-dire de simplement adéquat. Nous avons ensuite des critères pour vérifier quand un pays ou un système ou un territoire offre un niveau adéquat de protection.
Or, en raison du nouveau statut juridique de la Charte des droits fondamentaux du Traité de Lisbonne, qui est de facto la Constitution européenne, la Cour européenne de justice a dit que ces critères doivent être lus conjointement, avec la condition exprimée par la même cour dans l'affaire Schrems.
Elle dit que ce qui est adéquat est maintenant essentiellement l'équivalent.
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Merci pour la marge de manoeuvre, monsieur le président.
Monsieur Buttarelli, je vous sais gré d'être des nôtres aujourd'hui. Merci d'avoir réussi à nous faire une place dans votre emploi du temps. Comme nous le savons ici, au Canada, les différences de fuseau horaire posent parfois des problèmes.
Je voudrais vous entretenir un peu de notre commissaire à la protection de la vie privée. Depuis plusieurs années, il est question des pouvoirs de rendre des ordonnances qu'a le commissaire et qu'il ne voulait pas auparavant.
Je comprends à l'examen de votre mandat de contrôleur européen de la protection des données, que vous avez le pouvoir de donner des avis aux institutions, de traiter des plaintes, et de mener des enquêtes.
Pourriez-vous nous donner un peu plus de détails sur vos pouvoirs et dire s'ils comprennent des pouvoirs de rendre des ordonnances?
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C'est l'un des domaines où nous avons des nouveautés dans l'UE.
En premier lieu, il y a trois arrêts importants de la Cour européenne de justice concernant l'indépendance des autorités de contrôle. Ils concernent l'Allemagne, la Hongrie et l'Australie. Dans les trois cas, la Cour a jugé que les pays violaient la directive existante et il y a des recommandations importantes aux législateurs pour l'indépendance et l'autonomie des autorités de contrôle.
En second lieu, la Cour de justice a dit que l'exercice de tous les pouvoirs existant dans la directive 95/46/CE est essentiel pour accroître l'indépendance, et particulièrement le rôle consultatif, l'existence d'un solide rôle de contrôle. Ainsi donc, le règlement et la directive fixent une liste exhaustive de pouvoirs renforcés, un régime entièrement nouveau de postes budgétaires, des exigences pour les nominations, et la relation avec le gouvernement et les parlements concernés, selon le système juridique de chaque pays.
Chaque APD, ou autorité de protection des données, devrait être dotée de pouvoirs considérables en matière de mises en garde, en vue de rappeler à l'ordre les responsables du traitement concernés. Une autre nouveauté a trait à l'application d'amendes administratives. Les États membres doivent désormais obligatoirement maintenir des autorités de contrôle indépendantes, ayant l'obligation et le pouvoir d'appliquer ces amendes là où il y a lieu. Les nouveautés ne se limitent pas à l'application, mais elles tiennent compte également des sept fonctions d'une APD énumérées par un éminent professeur canadien, Colin Bennett, avec Charles Raab, dans l'ouvrage qui énumère sept missions des APD, dont celle concernant la sensibilisation, en vue de créer également une culture de protection des données.
En matière de collaboration plus poussée et de plus grande transparence, les APD devraient être sélectives dans l'exercice de leurs fonctions. Un des principaux piliers du nouveau règlement est la responsabilisation, ce qui signifie que chaque responsable du traitement privé ou public est appelé à aller au-delà du simple contrôle de conformité, et à avoir une politique interne pour démontrer qu'il se conforme dans la pratique, et à avoir une réponse à chaque besoin pressant, y compris l'affectation de ressources et de responsabilités. Nous aimerions traiter de façon plus responsable tous les responsables du traitement... en adultes, pourrions-nous dire. Par conséquent, les APD devraient être plus efficaces là où il y a lieu, et aussi plus sélectives et transparentes dans la définition de leurs priorités. Elles devraient publier un programme et être plus prévisibles, plus accessibles et plus protectrices.
Donc, c'est une approche moins prescriptive, qui demande plus de consultation, une plus grande interaction avec les technologies nouvelles. C'est aussi dans la perspective d'accroître l'efficacité, dans la pratique, les nouvelles règles touchant l'accréditation, la certification, les sceaux et la protection de la vie privée dès la conception et par défaut.
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Voici une question qui risque de vous déplaire. Permettez-moi de vous dire, en ma qualité de membre de la magistrature, que le Règlement général sur la protection des données, le RGPD, contient très peu d'éléments nouveaux sur le droit à l'oubli. Il n'en est pas spécifiquement question.
Si vous interrogez le rapporteur de l'affaire Costeja González, il réagira furieusement en vous disant que rien dans le libellé du jugement ne mentionne le droit à l'oubli. Il dira qu'il ne s'agit en fait que du droit à être rayé de la liste. Il dira qu'il n'y a rien de nouveau dans le jugement de la Cour de justice, si ce n'est la possibilité pour les personnes concernées de s'adresser directement au moteur de recherche, plutôt que de communiquer avec d'autres responsables.
Quant à la question qui sera prochainement soumise à la Cour de justice, nous y attachons une grande importance. Encore une fois, c'est une décision préliminaire qui vient du Conseil d'État, en France. Peu après les audiences de la cause de Costeja González, nous avons coordonné nos mesures d'exécution avec les mesures d'autres firmes DPA à l'échelle nationale, et nous avons ainsi déterminé les principes qui devront être définis.
Google, Bing, et d'autres moteurs de recherche se sont entendus sur le principe. À l'examen des statistiques publiées par toutes ces sociétés, on constate qu'après avoir atteint un premier sommet, leur rythme de croissance est revenu à la normale. La grande majorité des demandes des personnes concernées sont correctement traitées, et quand elles sont acheminées aux autorités compétentes — un tribunal ou une firme DPA — les deux organisations en viennent à une conclusion identique à celle des moteurs de recherche.
Il y a convergence dans l'approche pour déterminer les bonnes raisons dans l'intérêt du public de ne pas retirer l'information pertinente de la liste.
Le sujet de désaccord concerne la portée territoriale de l'application de la règle. Les firmes DPA estiment qu'elle devrait être mondiale, mais les autorités françaises ont décidé de contester la décision devant la Cour de justice, faisant valoir que nous devrions également tenir compte des domaines.com. Google n'est pas de cet avis et c'est pourquoi nous attendons la conclusion du tribunal.
Le RGPD ne fait aucunement référence au droit à l'oubli dans le Code civil, le Code pénal et les règles communes à tous les États membres. Je vois ici que, abstraction faite du RGPD, les choses se poursuivent comme à l'habitude.
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Les dispositions du RGPD sur le transfert de données s'appliquent à tous les contrôles des secteurs publics et privés, sans distinction. Nous disposons maintenant de nouveaux critères d'évaluation. Essentiellement, ils permettent de dire que ce devrait être une évaluation globale et non purement judiciaire.
Les critères sont les suivants. Premièrement, il y a la primauté du droit qui nous oblige à examiner toutes les lois pertinentes en vigueur, tant générales que sectorielles, y compris — et c'est là un nouveau point très important — les secteurs qui touchent la sécurité publique, la sécurité nationale, la défense et le droit pénal. C'est pourquoi nous avons maintenant le cas sur les données du dossier passager, le DP, mais également les règles de conduite professionnelle et les mesures de sécurité auxquelles un pays tiers ou une organisation internationale doivent se conformer. Nous aimerions voir dans quelle mesure certains droits sont effectifs et applicables, de sorte que nous puissions avoir des recours administratifs et judiciaires pour les personnes concernées.
Deuxièmement, il existe en fait, au moins une autorité de surveillance indépendante. Les conseils et l'assistance qu'elle offre en ce qui concerne les données sont fonction des ententes de coopération avec les autorités de contrôle d'autres pays, mais également des engagements internationaux qu'elles peuvent avoir conclus à titre d'organisation internationale.
Le 11 janvier de cette année, la commission a adopté une stratégie de communication qui sera essentiellement axée sur le mandat de l'actuelle commission durant les deux prochaines années. Celle-ci a indiqué que, dans un premier temps, nous ouvrirons le dialogue là où il est nécessaire de le faire. Puis nous examinerons la possibilité d'établir des relations commerciales entre l'Union européenne et ce pays, de même que la possibilité de conclure des ententes de libre-échange ou de poursuivre les négociations. Enfin, nous nous pencherons sur les échanges de données à caractère personnel en provenance de l'Union européenne.
Il y a un rôle de pionnier à jouer à cet égard, et le rôle de l'Amérique du Sud à ce chapitre est crucial; si un premier pays s'engage dans le domaine de la protection des renseignements personnels, les autres pourraient très bien lui emboîter le pas.
Enfin, il y a toute cette relation politique avec les pays tiers.
Nous nous concentrons sur la protection des données, mais pas seulement sur cela. Il n'existe aucun processus de demande d'adéquation, comme je l'ai dit, mais je peux décrire en détail les pratiques exemplaires observées au quotidien.
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Il ne me reste qu'une minute trente environ.
Nous n'avons pas beaucoup entendu parler de la transférabilité des données au Comité, bien qu'il s'agisse à mon avis d'un droit extrêmement important, surtout s'il est examiné sous l'angle de l'Internet des objets, et plus particulièrement en regard du choix des consommateurs, car ces derniers veulent pouvoir passer d'une société à une autre et apporter l'historique de leurs données et de leurs préférences avec eux.
Peut-être pourriez-vous expliquer un peu plus en détail au comité en quoi consiste le droit à la transférabilité et nous donner certaines délimitations clés à propos du droit à la vie privée dès la conception ou par défaut. Nous appliquons ce concept que notre ancienne commissaire à la vie privée, Ann Cavoukian, a créé ici en Ontario, mais ce concept qui dépasse largement l'aspect juridique.
Peut-être pourriez-vous nous parler de ces deux concepts.
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Oui, cette question revêt une grande importance, mais j'aimerais profiter de cette occasion pour attirer votre attention sur une récente prise de position du groupe de travail « Article 29 », selon laquelle notre opinion sur l'évaluation du commissaire ne sera pas fondée uniquement sur ces principes.
Nous aimerions d'abord attirer votre attention sur les règles de base qui régissent la limitation de la protection des données, la qualité des données, la proportionnalité et la transparence — afin d'établir une norme sur la manière dont les personnes concernées sont effectivement informées — et des règles qui régissent la sécurité des données dans les bases de données et les systèmes, l'exercice des droits d'accès incompatibles — non seulement en ce qui touche la transférabilité — et sur une chose qui est particulièrement mise en lumière dans le RGPD, soit le transfert ultérieur de données. D'autres questions portant sur les données sensibles, le marketing direct et les décisions individuelles automatisées doivent faire l'objet de notre attention, mais je vous recommanderais de ne pas vous attarder outre mesure aux nouveautés dans le RGPD, comme le principe de protection des données dès la conception, le principe de protection des données par défaut, et le principe de la transférabilité.
Bien sûr, ils contribueront à l'examen de l'évaluation actuelle par l'UE, mais nous avons du temps. On a demandé à la Commission européenne de présenter d'ici trois ans, soit en 2020, un compte rendu de la première ronde de mise en oeuvre du RGPD et de l'approche à privilégier en ce qui touche les conclusions actuelles en matière d'adéquation.
Si je reviens à celle adoptée pour le Canada, je dois remonter à une opinion adoptée par le groupe de travail « Article 29 » en 1998, au document de travail WP12, plus précisément. Le défaut, la conception et la portabilité n'ont pas été pris en compte dans ce document, mais nous avons commencé à ce moment à tenir compte des conditions de surveillance, qui sont maintenant beaucoup plus pertinentes.
Nous vous encourageons à privilégier une approche globale et non à reprendre chacune des règles, point par point. La question touchant le test d'adéquation comporte donc un important message que j'aimerais vous transmettre. En somme, il touche l'ensemble des droits à la vie privée, plus précisément en ce qui touche la mise en œuvre, l'applicabilité, la supervision...
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Je serais en faveur d'une telle approche, bien sûr, mais l'UE évalue ces aspects autrement, les étudiants dans le cadre de l'analyse globale avec bien d'autres éléments, parfois plus essentiels.
À titre de décideur subordonné à l'approche de l'UE, je dirais, par exemple, que les restrictions, les exceptions et les dérogations à l'application de la loi sont plus importantes que les principes à dessein et par défaut. Un membre de mon équipe participe à l'examen conjoint du bouclier de protection de la vie privée. Nous songeons bien sûr à la protection par défaut et à dessein ainsi qu'à la portabilité des données, mais l'application de la loi est au sommet de nos préoccupations. Cet aspect compte davantage, généralement parlant.
Voilà ce que je voulais dire. Ensuite, je ne peux qu'espérer que vous voudrez bien harmoniser votre approche avec la nôtre dans la mesure du possible.
Si je disposais de quelques minutes avec vous ou l'un de vos collègues, j'aimerais vous mettre à jour sur ce que font les autres pays et ce qui se passe dans 35 pays en plus des 109 qui se sont déjà dotés d'une nouvelle génération de règles de protection des données.
Nous n'avons pas trop de nouveautés de ce côté-là. Le RGPD ne mentionne pas l'intelligence artificielle, mais il existe une disposition qui donne suite à la directive actuelle, prévoyant la continuité. Il s'agit de l'article 22. « La personne concernée a le droit de ne pas faire l'objet d'une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé, y compris le profilage, produisant des effets juridiques la concernant ou l'affectant de manière significative de façon similaire. » Il existe des exceptions, notamment si « la décision est nécessaire à la conclusion ou à l'exécution d'un contrat entre la personne concernée et un responsable du traitement » ou si « elle est fondée sur le consentement explicite des personnes concernées ». Ce qu'il faut, c'est que le législateur prévoie des mesures appropriées en cas de dérogation pour protéger les personnes concernées et leurs droits.
Nous voyons que l'évaluation humaine est une constante dans le cadre du processus. Nous reconnaissons que le contrôleur peut prendre sa décision en s'inspirant largement d'un processus automatisé. La question est de savoir ce qui se passe à la fin, comment la décision est prise et la mesure dans laquelle il y a une contribution humaine. C'est un droit spécifique et le libellé marque clairement l'obligation de le respecter. Il s'agit maintenant de savoir dans quelle mesure nous pouvons rehausser les mesures de protection.
Au chapitre de l'intelligence artificielle, sachez que nous avons publié sur notre site Web un document d'information important pour la dernière Conférence mondiale des commissaires à la protection des données et de la vie privée — qui a eu lieu à Marrakech — en vue d'aller au-delà du RGPD comme partie intégrante du débat sur l'intelligence artificielle par les personnes chargées de la protection des données, ainsi qu'une liste de questions pour une approche plus synchronisée des contrôleurs. Nous pouvons vous fournir l'hyperlien si jamais vous avez de la difficulté à retrouver notre page Web.
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Elles sont importantes. Laissez-moi vous parler un peu de mon expérience.
Ayant été pendant 12 ans le secrétaire général d'une administration nationale de collecte de données dans mon pays d'origine, je peux dire que la sensibilisation et la protection des données sont plus qu'essentielles dans une culture de respect de la vie privée. On a beau être le meilleur analyste juridique, si on ne parvient pas à sensibiliser les gens à leurs droits et si on néglige de collaborer avec les contrôleurs dans le processus, on fait fausse route.
Une nouveauté du RGPD concerne l'adoption de lignes directrices. Nous avons remplacé 25 des 47 dispositions légales, de sorte que le RGPD parle d'une nouvelle législation, adoptant des actes délégués par la Commission européenne avec un système souple d'orientation de la part des contrôleurs. Ces actes doivent être adoptés en suivant une démarche inclusive, en consultation active avec les contrôleurs de données. Le processus décisionnel du Comité européen de la protection des données sera donc très différent de celui suivi par les 29 groupes de travail actuels.
Récemment, j'ai également commencé à m'efforcer de rendre la protection des données plus accessible. C'est extrêmement compliqué. Ce n'est pas simple d'un point de vue juridique. C'est horizontal et de nombreux secteurs sont touchés. Il faudrait rendre ce principe plus convivial dans la pratique. Il devrait y avoir non seulement des avertissements, mais aussi des initiatives proactives axées sur l'expérience expliquant leur application pratique.
D'ici mai l'année prochaine, avec la Commission, nous participerons à une campagne de l'Union européenne pour sensibiliser les gens aux nouveaux droits de la personne concernée, mais aussi pour parler plus directement aux contrôleurs et à ceux qui traitent les données au sujet de la numérisation de la protection des données. Je voudrais insister davantage sur la mise en pratique de ce principe. Moins de « Pater Noster, Ave et Gloria » et plus de principes fondamentaux dans la pratique.
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Je ne connais pas très bien la LPRPDE, mais je crois qu'elle s'applique exclusivement aux organisations du secteur privé. En principe, la loi s'applique seulement aux organisations qui sont réglementées au niveau fédéral, mais aussi à la divulgation de renseignements personnels par certaines organisations. Enfin, je crois comprendre qu'elle s'applique également à toutes les entreprises des territoires, car elles sont supputées relever du fédéral.
Une question qu'on peut se poser c'est qu'en sera-t-il si une province adopte une loi sur la protection de la vie privée, même si elle est fondamentalement similaire? Ensuite, qu'en est-il des organismes gouvernementaux? Voudriez-vous vous contenter de suivre la ligne et vous en tenir au contexte concret des organisations du secteur privé ou bien y aurait-il intérêt à élargir le principe du constat d'adéquation en songeant à d'autres secteurs également?
Je pense que nous allons surveiller les transferts de plus près que par le passé et accorder plus d'attention aux lois visant concrètement les données sensibles ainsi qu'au Règlement relatif à la confidentialité des correspondances électroniques privées qui sera bientôt appliqué. Il doit lui aussi entrer en vigueur le 25 mai prochain.
Une réglementation est susceptible de peaufiner et de compléter les dispositions actuelles des règlements généraux sur le monde virtuel, de sorte que l'on aura des dispositions de fond, par exemple, sur les témoins, sur la protection de la confidentialité et sur les moteurs de recherche, notamment en ce qui a trait au consentement.
J'ai eu un entretien avec votre commissaire fédéral sur la question du consentement telle qu'abordée dans le RGPD par rapport à la directive actuelle. L'une des principales préoccupations pour les contrôleurs, c'est de décider s'il faut obtenir un nouveau consentement de la personne concernée. Eh bien, cela dépend de si on veut oui ou non respecter l'esprit des dispositions futures. A-t-on vraiment obtenu une indication précise et éclairée des souhaits de la personne concernée? A-t-on explicitement consenti au traitement de données sensibles? Peut-on affirmer que pour les données autres que celles qui sont sensibles, le consentement est sans équivoque? Par conséquent, il faut établir ce qui constitue un consentement sans équivoque dans le monde virtuel.
C'est extrêmement important, car si on ne peut plus travailler avec un consentement fiable, il faudra déterminer quel autre instrument juridique doit être obtenu, en veillant à faire la part des choses entre l'intérêt et l'intérêt légitime.
Le groupe de travail chargé de l'article 29 dans sa version actuelle, a publié deux avis et un troisième sur la limitation de la finalité. Je pense qu'ils peuvent être considérés prioritaires désormais si l'on veut constater le degré d'efficacité de certaines protections ou garanties pour la personne concernée dans la pratique.
Peut-être serait-il également pertinent de vous donner mon point de vue sur le profilage et les informations de masse...
Je vous remercie.
Je voudrais vous poser des questions en ce qui concerne les pouvoirs. Vous savez bien qu'ici — de par vos discussions, entre autres, avec M. Therrien —, le milieu universitaire et le public en général sont d'accord pour donner plus de pouvoirs au commissaire à la protection de la vie privée, alors que les entreprises parlent davantage de collaboration.
Nous savons que, de votre côté, vous avez ce pouvoir, même celui d'imposer des amendes. On a vu que, dans votre pays d'origine, l'Italie, on a imposé à WhatsApp une amende de 4,5 millions de dollars.
Dites-nous comment ce pouvoir est dissuasif dans une situation de ce genre. Pensez-vous plutôt qu'on devrait continuer à procéder en collaboration avec les entreprises au lieu d'imposer des pénalités?
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Les deux approches ne sont pas contradictoires. La responsabilisation est la bonne approche que nous demandons, sans que cela ne veuille dire qu'il faut se contenter de respecter la loi. Nous en demandons davantage désormais et permettez donc que je vous parle un instant comme le magistrat que je suis.
Lors d'un procès où il s'agirait de déterminer la mesure dans laquelle le contrôleur s'est montré proactif, je verrais d'un meilleur oeil qu'il ait commis des erreurs tout en étant très dynamique sur le plan opérationnel. Il ne s'agit pas d'insister sur la moindre petite erreur. Je voudrais considérer le tout, mais je serais prêt à adopter l'approche recommandée. Il nous faut une approche dissuasive.
Sachez qu'on nous bombarde de questions partout dans le monde. Que je sois à Silicon Valley ou en Afrique ou en Amérique du Sud, la première question est la même partout. Qu'en est-il des amendes?
Nous savons qu'elles sont très rigoureuses.
Je conseillerais aux législateurs de clarifier le lien entre les amendes administratives et le droit pénal. C'est un autre domaine. Nous devons clarifier le principe non bis in idem, ou allons-nous appliquer des amendes dans tous les pays à l'égard d'un même contrôleur? En adoptant les critères pour décider si une amende doit être appliquée, nous devons considérer les recours envisagés par la personne concernée, savoir s'il a agi de manière juste et dynamique à l'égard d'une violation de sécurité, s'il a informé les personnes après une violation et cherché à réduire les dommages causés. En définitive, la protection des données coûte beaucoup et tous les efforts doivent être pris en compte lors de la prise de décision.
Voilà pourquoi je défendrais cette approche, un système où des amendes doivent être appliquées au besoin, mais pas nécessairement dans tous les cas. L'approche espagnole dite tot capita, tot sententiae est loin de me passionner. S'il y a ne serait-ce qu'une violation mineure, il n'y a pas d'appel possible et la sanction est inévitablement appliquée.
Considérons le tout, car autrement, nous risquons d'assimiler les amendes à un poste budgétaire, d'où leur multiplication subséquente. Ce qu'il nous faut c'est considérer la position des petites et moyennes entreprises et soupeser soigneusement les critères déterminant la gravité de l'infraction et les ramifications d'une approche à plus grande échelle. Nous ne saurions traiter toutes les infractions de la même manière. Il nous faut donc une approche très dynamique qui manie la carotte et le bâton.