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Je vous remercie, madame la présidente. Bonjour tout le monde.
J'étudie les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États depuis de nombreuses années, peut-être 20 ans, et j'ai quelques conseils simples à vous donner aujourd'hui. Le Canada devrait adopter le point de vue selon lequel il est déterminé à se retirer progressivement des risques et des coûts liés à ces mécanismes lorsque c'est possible et chaque fois que c'est possible.
Permettez-moi d'élaborer un peu. Le contexte, manifestement, c'est que nous sommes au milieu d'une crise, c'est-à-dire une pandémie mondiale. Cette crise a révélé les vulnérabilités et peut-être les limites de notre ère de mondialisation. En effet, nous manquons de capacités de fabrication de vaccins et nous manquons d'autres capacités de fabrication au Canada et en Amérique du Nord. Pour vous donner un exemple anecdotique, il y a environ deux mois, un électricien m'a dit que j'étais chanceux de pouvoir obtenir un disjoncteur pour mon panneau électrique. En effet, il n'y a qu'une seule usine qui produit des disjoncteurs en Amérique du Nord, et elle a été fermée à cause d'une éclosion au cours de l'été.
Outre la pandémie et ce qu'elle a révélé en matière de vulnérabilités, nous faisons face à toutes sortes de risques complexes, notamment des défis environnementaux, des perturbations climatiques, l'augmentation du fardeau de la dette, l'inégalité économique, des pertes d'emplois et d'entreprises et la montée de l'extrémisme politique. Dans ce contexte, sans vouloir faire de sensationnalisme, je dirais que nous devons nous préparer à un certain ralentissement, ou à un ralentissement accru, de la période de mondialisation des quelque 30 dernières années. Cette période a certainement dominé ma vie d'adulte. Je ne sais pas si le ralentissement sera progressif, sporadique ou par secousses, mais je pense qu'il serait sage de penser à se préparer à un certain ralentissement.
Cela signifie qu'il faut orienter davantage notre stratégie vers une capacité nationale, et probablement une approche régionale nord-américaine, plutôt qu'une orientation mondiale. Les marchés mondiaux seront toujours d'une importance vitale, mais nous devons avoir un plan B robuste pour faire face aux circonstances changeantes et aux crises à venir, qu'elles soient liées à la santé publique, à l'environnement, aux finances ou à l'économie. Pour ce faire, nous devons renforcer la marge de manœuvre et la capacité gouvernementale en matière de réglementation au Canada, et ce, à l'échelle nationale et infranationale. Nous devons donc nous libérer des risques et des coûts liés aux mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États. Il s'agit d'un risque et de coûts d'une ampleur différente de toutes les autres formes d'arbitrage, qu'elles soient internationales ou non. Des milliards de dollars sont potentiellement en jeu, avec un effet dissuasif énorme sur les décisions gouvernementales. J'ai documenté cette situation pendant des années dans différents pays.
Les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États entraînent un changement réellement difficile à justifier dans le pouvoir de négociation au sein du processus décisionnel gouvernemental. Je dirais même qu'il conduit à une sorte de reconfiguration de l'État, de l'appareil gouvernemental de l'État, en faveur des investisseurs étrangers et contre toute personne au Canada qui a un intérêt différent sur une question quelconque. Les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États présentent également des problèmes de longue date liés à cette tare sous-jacente du processus en raison des pouvoirs extraordinaires dont disposent les avocats qui agissent à titre d'arbitres d'interpréter un libellé imprécis dans les traités et d'ordonner des montants de dommages rétrospectifs pouvant atteindre des milliards de dollars contre des États. Ce processus n'est pas indépendant. Il n'est pas équitable. Il n'est pas équilibré. Il ne respecte pas les institutions nationales. Ces critiques sont formulées depuis longtemps.
En résumé, à cause des traités sur les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États, nous signons des chèques dont le montant est inconnu; là où devrait être indiqué le montant, le chèque est vide. Il sera déterminé par de très riches investisseurs étrangers et par les avocats et arbitres qui interprètent les traités en cas de plainte de l'un de ses investisseurs étrangers, généralement des grandes entités multinationales ou des milliardaires.
Les traités qui prévoient un mécanisme de RDIE ne nous ont pas encore coûté extrêmement cher. Ils ont eu de très graves répercussions dans le contexte de certains autres pays, mais je pense que ce n'est qu'une question de temps. À mesure que nous répondrons aux défis et aux crises, ces traités finiront par nous coûter cher. Ils nuiront aux efforts que nous déployons pour protéger les intérêts des Canadiens. Ils auront le même effet sur d'autres pays. Je pense que, de manière générale, nous voulons que ces autres pays aient aussi les capacités nationales qu'il faut pour répondre aux crises.
Comment devrions-nous réagir? Très brièvement, je dirais qu'il nous faut conserver et renforcer les capacités et la flexibilité du gouvernement et renforcer nos institutions nationales en nous appuyant sur le droit canadien, qui protège tous les investisseurs, et sur l'approche coutumière du droit international et des relations entre les États et les ressortissants étrangers, une approche coutumière qui, franchement, a été mise grandement de côté et, parfois, tout simplement malmenée par les arbitres dans les procédures de RDIE au cours des 20 dernières années environ.
D'un point de vue juridique, le RDIE est l'obstacle le plus évident et le plus risqué au renforcement des capacités gouvernementales. C'est pourquoi mon conseil est assez simple: on doit se retirer des traités qui prévoient un mécanisme de RDIE.
Des efforts sont déployés pour réformer le RDIE, mais en gros, ils sont en quelque sorte dispersés, ils prennent du temps ou sont peu prometteurs. C'est pourquoi je dis qu'il faut élaborer une stratégie de retrait du mécanisme de RDIE par tous les moyens possible. Nous avons la possibilité de laisser le temps passer quant aux engagements relatifs au RDIE qui ont été pris dans des traités existants, et nous devrions commencer à en profiter dès maintenant. Je n'essaie pas de me montrer provocateur ou rigide quant à la façon de nous retirer; je dirais simplement qu'il faut en faire une priorité. La tactique dépendra du traité particulier dans le cadre duquel nous avons déjà des engagements relatifs au RDIE, mais nous devons vraiment nous engager dans cette voie, à mon avis.
Très brièvement, en résumé, j'ai entendu beaucoup d'arguments en faveur des traités qui prévoient un mécanisme de RDIE. Je comprends ce qui est en jeu pour les entreprises canadiennes qui mènent des activités à l'étranger. Je crois comprendre que les solutions de rechange au mécanisme de RDIE fondé sur des traités sont viables, mais elles ne sont certainement pas parfaites. À mon avis, cependant, les traités ne justifient tout simplement pas les pertes nationales et les contraintes futures, peu importe le contexte dans lequel nous avons accepté le RDIE, et il nous faut donc faire preuve de détermination douce pour nous retirer et, entretemps, limiter les risques associés au RDIE le mieux que nous le pouvons.
Merci.
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Merci beaucoup. Je suis vraiment ravi de pouvoir présenter mon point de vue.
Permettez-moi seulement de dire que je suis les écrits de Gus Van Harten depuis des années maintenant. Il est l'un des plus grands spécialistes canadiens en la matière, et je respecte grandement ses opinions.
Je vais parler de la question de façon un peu différente, du point de vue du diplomate que j'étais, il y a de nombreuses années, à l'époque où je servais à Genève, à la mission canadienne concernant ce qui s'appelait alors l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. Je travaille à ces questions depuis des années. Il y a longtemps que je n'ai pas été au service de l'État.
Le RDIE fait partie des relations internationales, et il ne va pas disparaître. À mon avis, aussi méritoires que soient les arguments de M. Van Harten, et ils ont beaucoup de mérite, il sera impossible de changer le régime de RDIE. Il est enraciné et intégré non seulement dans des accords commerciaux, mais aussi dans des accords distincts sur la protection des investissements étrangers. Il existe entre 2 500 et 3 000 de ces accords dans le monde et, bien sûr, le Canada en a conclu un certain nombre.
Comme les membres du Comité le savent, le mécanisme de RDIE est inscrit dans nos accords commerciaux régionaux, comme l'ALENA, qui est maintenant l'ACEUM. Le RDIE est intégré à l'Accord de partenariat transpacifique, le PTPGP. Il fait partie de l'accord entre le Canada et l'Europe et d'accords commerciaux bilatéraux que nous avons conclus avec des pays d'Amérique latine et des Caraïbes, y compris un accord commercial bilatéral avec la Corée du Sud.
En toute franchise, le retrait du RDIE est très difficile à réaliser sur les plans politiques, diplomatiques et juridiques, et je dirais que cela ne va probablement pas se produire. La question est de savoir ce que nous devons faire à cet égard.
Il y a deux ou trois choses que je voudrais signaler au Comité, et elles sont pertinentes.
M. Van Harten a raison. Au départ, le règlement des différends entre investisseurs et États ou RDIE a été conçu comme un moyen de stabiliser la situation des investissements pour les pays riches — les pays du Nord, si l'on veut —, les pays industrialisés, qui aidait à stimuler les investissements dans les pays en développement. C'était le raisonnement de base. Il s'est transformé en un système qui permet aux entreprises privées de contester des mesures nationales pour diverses raisons. Nous pourrons entrer dans les détails lorsque vous poserez des questions.
En passant, je dois dire que si le Comité veut consulter un bon examen des questions et des faits entourant le RDIE, le Centre canadien de politiques alternatives a réalisé une excellente étude il y a deux ou trois ans. Je l'ai relue en fin de semaine et elle est toujours très pertinente. Je ne dis pas que je suis d'accord avec le Centre canadien de politiques alternatives à de nombreux égards, mais si l'on veut voir un examen qui porte sur le RDIE, il n'y a pas, à mon avis, de document plus utile. Je vous recommande d'y jeter un coup d'œil.
Deux ou trois éléments au sujet du RDIE indiquent que le Canada et les provinces canadiennes sont vulnérables. L'une des choses que je mentionnerais, qui passe grandement inaperçue, c'est que le Canada a signé un traité bilatéral d'investissement avec la Chine. Ce traité a été conclu en 2012 et est entré en vigueur en 2014. Il a une durée de 16 ans après son entrée en vigueur. Il expirera en 2030, avec une période de report pour les investisseurs, ce qui leur conférera des droits pendant 15 ans après cela.
Le Comité est saisi de la question de savoir si, entre autres, cela donne aux investisseurs canadiens des droits juridiques par rapport à la Chine lorsqu'ils investissent dans ce pays. D'autre part, le Canada s'expose-t-il à la possibilité d'un arbitrage concernant des investissements privés auquel des entreprises chinoises qui ont investi au Canada pourraient avoir recours? C'est un problème, et il n'est pas prêt de disparaître.
Je veux parler de l'accord commercial entre le Canada et l'Union européenne. Des améliorations ont été apportées au processus de RDIE dans l'AECG. Je ne crois pas qu'elles entreront en vigueur. L'AECG est appliqué à titre provisoire. Les parties de l'AECG qui portent sur le RDIE et les réformes du système doivent être ratifiées par tous les États membres. Je suis très sceptique à cet égard. L'AECG sera donc maintenu pendant un certain temps sans ces dispositions relatives au RDIE.
Le facteur qui, à mon avis, doit être pris en compte dans toute cette question est de savoir si le mécanisme de RDIE donne aux investisseurs canadiens des avantages, des droits et des certitudes pour leurs investissements à l'étranger. C'est une question à examiner.
Dans son étude, le Centre canadien de politiques alternatives souligne, à juste titre, que la plupart des dispositions des traités, les droits qui protègent les investisseurs, ont été invoqués par le secteur minier canadien, le secteur de l'extraction. Cependant, dans d'autres procédures d'arbitrage en cours qui ne concernent pas le secteur de l'extraction, des investisseurs canadiens ont eu recours à ces dispositions dans le cadre du RDIE. Il y a un avantage pour les capitaux canadiens qui doit être pris en compte dans tout cela.
Le dernier point que je voudrais soulever au sujet du retrait du mécanisme du RDIE, c'est que, comme je l'ai indiqué précédemment, lorsque le RDIE est intégré dans nos accords commerciaux internationaux bilatéraux ou régionaux, nous ne pouvons pas simplement nous soustraire au processus de RDIE. C'est parce qu'il est inscrit dans nos accords commerciaux, y compris dans le PTPGP et l'ALENA-ACEUM. L'ACEUM a repris certaines des dispositions de l'ALENA pour trois ans, de sorte qu'on ne peut pas simplement renoncer au mécanisme de RDIE lorsqu'il est inscrit dans les accords commerciaux. Il est possible pour le Canada d'abroger ses traités bilatéraux d'investissement, mais une chose qu'il faut mentionner — et c'est très important —, c'est que les traités de protection des investissements, nos accords de protection des investissements étrangers, contiennent deux éléments.
Ils contiennent non seulement des droits pour les investisseurs privés, des droits relatifs au RDIE, de recourir à l'arbitrage contraignant, mais aussi des obligations importantes pour les gouvernements de respecter les droits des investisseurs. Cela signifie que le Canada peut avoir recours à l'arbitrage contre un gouvernement étranger qui n'offre pas une protection adéquate aux investisseurs canadiens.
L'obligation d'État à État contenue dans ces traités est très importante. Se retirer de ces traités signifie qu'il n'y aurait plus d'obligations conventionnelles contraignantes entre le gouvernement hôte à l'étranger et le Canada. À mon avis, cela limiterait, comme option stratégique, le retrait du Canada des accords sur la protection des investissements étrangers.
Que peut-on faire? Pour reprendre les points soulevés par d'autres, dans les futures négociations du Canada concernant des accords sur la protection des investissements étrangers, je pense qu'il faudrait envisager sérieusement de ne pas inclure de dispositions relatives au RDIE dans les traités bilatéraux.
Pour terminer, je dirais que, pour être réaliste, les options sont malheureusement assez limitées.
Voilà mon point de vue. Je serai ravi de répondre à n'importe quelle question.
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Merci. C'est la première fois que je comparais devant un comité, et je vous remercie de l'invitation.
Je suis un avocat canadien, de l'Ontario, mais aussi un avocat de New York. Avant de devenir avocat, j'étais économiste. J'ai travaillé pour le professeur Alan Rugman, qui était l'un des principaux conseillers pendant les négociations de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, et l'un des principaux experts en matière d'investissement.
C'est ainsi que j'ai commencé à réfléchir au règlement des différends entre investisseurs et États. Pour que mon témoignage soit utile à votre comité aujourd'hui, j'ai pensé vous parler de mon expérience en ce qui concerne le RDIE afin d'illustrer les avantages et les inconvénients, et de certaines des choses que l'on perd parfois de vue.
Quand je travaillais avec M. Alan Rugman, à la fin des années 1980, à l'approche de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, le Canada sortait d'un contexte très difficile. Nous avions le Programme énergétique national, qui avait entraîné l'une des plus importantes sorties de capitaux de tout pays à ce moment-là de l'histoire. C'est probablement encore vrai. Nous avions l'Agence d'examen de l'investissement étranger, l'AEIE, qui faisait l'objet d'une procédure de règlement des différends dans le cadre de l'ancien GATT, l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, où le Canada a perdu.
L'une des premières mesures que M. Brian Mulroney a prises, une fois élu, a été d'apporter des changements à l'AEIE pour en faire un système plus accueillant pour les investissements, puis de supprimer progressivement le Programme énergétique national.
En ma qualité d'avocat canadien et d'avocat américain, j'ai toujours été frappé par la version canadienne de l'histoire de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. On a tendance à oublier une chose, à savoir que les Américains voulaient que le RDIE soit inscrit dans l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis intitial. Il n'a pas été intégré à la version finale, en grande partie parce que les Américains étaient satisfaits d'autres aspects. Si les Américains voulaient négocier un accord de libre-échange, c'était principalement, entre autres, en raison de ce que nous avions fait au chapitre des investissements et de l'énergie dans les années 1970 et 1980. Autrement dit, à l'époque, le Canada était un importateur net de capitaux. Aujourd'hui, le Canada est un exportateur net de capitaux.
En tant qu'importateur net de capitaux, le Canada avait mis en place toutes ces restrictions sur les investissements étrangers et avait agi d'une manière que son principal partenaire commercial considérait comme très arbitraire. La façon dont nous avons pris des mesures à cet égard, c'était avec toutes ces dispositions contenues dans le chapitre sur l'investissement de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis qui ont été reprises plus tard dans ce qui est devenu l'ALENA, moins ce mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États.
Quand est venu le temps de négocier l'ALENA, il était très clair que les Américains voulaient conclure un accord avec le Mexique. L'un de leurs principaux objectifs, encore une fois, était lié à l'énergie. À ce moment-là, j'étais avocat à Washington pour un cabinet d'avocats qui représentait Pemex, la version mexicaine de ce que j'appellerai Petro-Canada.
Dans un sens, c'était l'objectif principal. Puisque les Américains iraient de l'avant à cet égard, et qu'ils n'iraient pas de l'avant avec l'ALENA sans que des dispositions relatives au règlement des différends entre investisseurs et États y soient intégrées, ils ont pu obtenir indirectement dans l'ALENA quelque chose qu'ils n'avaient pas réussi à obtenir, mais qu'ils voulaient voir inscrit dans l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, c'est-à-dire un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États.
Il est important de le souligner, car lorsque nous avons vu le monde dont parlait M. Van Harten sembler remettre en question la mondialisation, et les gens revenir aux politiques nationalistes des années 1970 que nous avions abandonnées dans les années 1980, nous avons compris que cela nuisait à notre économie, et nous avons reculé. Nous avons tiré une leçon de cette expérience. Je ne pense pas que nous devrions y retourner. Nous devrions continuer à tirer les leçons de ces expériences.
Par ailleurs, le Canada est maintenant un exportateur de capitaux, comme l'a dit M. Herman. Nous avons des sociétés minières dans le secteur de l'extraction. Nous sommes dans la situation dans laquelle se trouvaient les Américains par rapport au Canada dans les années 1970 et 1980. Nous sommes dans une situation où nous devons protéger nos investissements à l'étranger. Comment s'y prendre?
Les origines du règlement des différends entre investisseurs et États remontent au début des années 1800. Auparavant, les Américains se rendaient dans divers pays d'Amérique latine et avaient recours à ce qu'ils appelaient la diplomatie de la canonnière. L'idée était de savoir comment apaiser les différends. Comment pouvons-nous éviter d'avoir à envoyer les marines au Venezuela et en République dominicaine? Eh bien, nous pouvons recourir à l'arbitrage pour les investissements qui font l'objet de différends. C'est une partie de cette longue histoire.
Lorsque les gens parlent d'éliminer ce moyen de régler les différends entre des investisseurs et des États, ils parlent en réalité d'accroître les différends entre les pays, de les ramener à l'échelle nationale.
Autrement dit, si une entreprise minière a un différend avec un pays africain, plutôt que de voir le tout être réglé entre les deux parties dans un cadre enchanteur à Paris, vous aurez des gens qui frapperont à votre porte de parlementaire ou de membre du gouvernement pour vous demander d'exercer des pressions sur les dirigeants du pays africain en question. Cela revient essentiellement à reporter sur une tribune nationale les différends que nous avions ramenés dans la sphère privée justement dans le but de les dépolitiser. Selon moi, c'est en grande partie ce que l'on perd de vue dans le débat actuel sur le règlement des différends entre investisseurs et États.
J'aimerais vous parler en terminant de ce que j'ai pu observer dans ce contexte à l'échelle planétaire. Je travaillais à la direction du commerce de l'OCDE lorsqu'on a négocié l'Accord multilatéral sur l'investissement. C'est comme par hasard à peu près au même moment que les dispositions de RDIE prévues au chapitre 11 de l'ALENA ont été invoquées à l'égard d'un différend impliquant Ethyl Corporation. Je comprends donc très bien l'origine des préoccupations à ce sujet. Il faut noter que le règlement des différends entre investisseurs et États est devenu un enjeu extrêmement délicat du point de vue politique. Il y a peut-être un lien à faire avec la portée que ce phénomène a maintenant. Il ne se limite plus à des considérations comme les expropriations que l'on a pu voir à une certaine époque avec la nationalisation de l'entreprise de télécommunications lors de l'arrivée au pouvoir de Fidel Castro à Cuba. Il est maintenant question de mesures qui équivalent à des expropriations, les modifications réglementaires. Il y a peut-être lieu de revenir en arrière à cet égard, et je suis disposé à convenir que nous devrions sans doute nous employer à mieux définir cette limite.
Je veux vraiment conclure en vous parlant de mon expérience au sein du gouvernement ontarien à titre de directeur juridique au ministère du Développement économique, de la Création d'emplois et du Commerce. J'ai alors eu amplement l'occasion de conseiller les instances gouvernementales quant au traitement de ces différends en vertu du chapitre 11 de l'ALENA. Je constate à ce titre que les critiques du mécanisme de RDIE au Canada ont tendance à exagérer les mauvais résultats du gouvernement canadien en la matière. En fait, le Canada a une fiche gagnante. Ces dossiers sont rejetés dans la plupart des cas, soit dans un ratio de trois pour un, ce qui ne peut pas être considéré comme une défaite.
Ce sont toujours les expropriations qui retiennent l'attention dans ce contexte, mais la plupart des réclamations visent en fait à obtenir un traitement juste et équitable. C'est ce qu'on appelle la norme minimale de traitement.
Il y a un élément de réflexion qui ne manque pas d'intérêt pour nous au Canada. D'après ce que j'ai pu observer, il n'est pas rare que les critiques du RDIE mettent l'accent sur la question en arbitrage, mais c'est en fait souvent le processus qui est responsable lorsque nous n'avons pas gain de cause. Nous sommes défaits parce qu'une administration municipale ou un gouvernement provincial a agi de façon arbitraire. Dans les faits, étant donné que notre constitution ne nous confère essentiellement aucun droit de propriété, plusieurs n'ont aucun recours en vertu du droit canadien face à des mesures arbitraires de la sorte. C'est ce qui incite les entreprises touchées à se tourner vers le RDIE.
Dans une perspective plus générale, je vous inviterais à prendre connaissance des travaux d'Armand de Mestral de l'Université McGill pour le Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale (CIGI). À la lumière d'une analyse de tous les dossiers soumis à ce mécanisme, il en est arrivé à la conclusion qu'il n'y avait pas dans la plupart des cas de recours offert par le droit canadien.
À mes yeux, c'est ce qui justifie la présence de ce mécanisme. Ceux parmi nous qui ont cru en cette mesure et souhaitaient sa mise en place nourrissaient l'espoir d'en arriver à une situation où nos gouvernements cesseraient d'agir de façon arbitraire. Si un gouvernement a des préoccupations concernant l'environnement, il faut s'en réjouir et souhaiter qu'il adopte des lois en conséquence, mais il ne doit pas le faire au beau milieu de la nuit lorsque personne ne regarde.
Si vous prenez des mesures pour régler un problème environnemental, il ne faut pas qu'elles s'appliquent uniquement à une entreprise, à une entreprise étrangère; elles doivent être applicables à tous.
C'était donc mes observations concernant le règlement des différends entre investisseurs et États. Je serai ravi de répondre à vos questions.
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Merci de m'avoir invitée à comparaître devant vous au nom du Réseau pour le commerce juste. Notre réseau est une coalition d'organisations pour l'environnement, la société civile, les étudiants, les Autochtones, la culture, l'agriculture, le travail et la justice sociale qui se sont mobilisées en 2010 pour réclamer un nouveau régime commercial mondial basé sur la justice sociale, les droits de la personne et la viabilité de l'environnement.
Parmi nos membres, notons le Congrès du travail du Canada, Unifor, le Syndicat canadien de la fonction publique, le Syndicat des Métallos, le Réseau Action Climat, le Conseil des Canadiens, les Travailleurs en communication d'Amérique du Nord, l'Union nationale des fermiers et de nombreux autres groupes représentant toutes les sphères de la société canadienne.
Selon la nouvelle norme établie dans l'Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), les divers mécanismes et tribunaux pour le règlement des différends entre investisseurs et États ne sont pas nécessaires et peuvent même être dommageables. Comme les autres témoins vous l'ont indiqué, le Canada demeure signataire par ailleurs d'une bonne dizaine d'accords prévoyant un mécanisme de RDIE. Nous tenons à rappeler les raisons pour lesquelles nous estimons que le Canada devrait renoncer pour de bon à inclure de tels mécanismes dans ses ententes sur le commerce et les investissements.
Le mécanisme de RDIE est la manifestation la plus flagrante de la priorisation des droits des entreprises, et je dirais même des droits des entreprises étrangères, dans nos accords commerciaux. En effet, si des mesures législatives sont prises à l'issue d'un processus de RDIE, elles s'appliquent uniquement aux entreprises étrangères, et non aux sociétés canadiennes. S'il n'y a pas de recours en droit canadien, c'est parce que nos législateurs ont jugé un tel recours inapproprié, ce dont nous devons dès lors convenir. Pourquoi intégrer à une entente commerciale internationale un recours qui n'est pas accessible en vertu du droit canadien? Pourquoi conférer à des sociétés étrangères des droits différents de ceux dont disposent les entreprises canadiennes? Cela explique essentiellement notre opposition aux mécanismes de RDIE.
Ces mécanismes ont aussi pour effet de limiter les possibilités pour les citoyens et les gouvernements de s'exprimer pour la défense de l'intérêt public. Comme on vous l'a indiqué, le RDIE consolide et protège les droits des entreprises en permettant à des sociétés étrangères de poursuivre un gouvernement pour appropriation présumée, traitement discriminatoire ou perte d'un bénéfice potentiel. On va même souvent plus loin que la simple protection des investisseurs si bien que l'obligation d'indemniser ceux-ci pour la perte de bénéfices escomptés s'est appliquée même en l'absence d'une discrimination dans la réglementation, et même lorsque ces bénéfices étaient réalisés au détriment du bien public.
Dans son rapport de 2016 intitulé «Foreign Investor Protections in the Trans-Pacific Partnership », Gus Van Harten expliquait comment les mesures de protection de ce type ont toujours bénéficié uniquement aux très grandes entreprises et aux individus les mieux nantis. Très souvent, les poursuites intentées ciblent et annulent les actions gouvernementales visant le bien public, aussi bien au Canada qu'à l'étranger. En application du chapitre 11 de l'ALENA, le Canada a été soumis au processus d'arbitrage entre investisseurs et États plus souvent que les États-Unis et le Mexique.
Peu importe que nous ayons ou non gain de cause, la situation demeure problématique, car il faut déployer de grands renforts d'énergie pour défendre une administration municipale ou un gouvernement provincial qui ne dispose pas localement de l'expertise que peuvent avoir les avocats de New York, par exemple, qui ont l'habitude de ce genre de poursuites. Il peut être très difficile pour les dirigeants locaux de déterminer si les mesures qu'ils prennent seront acceptables. Ils jugent souvent les risques trop élevés pour même tenter le coup. Cette frilosité est le premier élément du problème auquel s'ajoutent les mesures à prendre pour contrer la poursuite et, bien évidemment, le risque de ne pas avoir gain de cause.
Parmi les lois et règlements qui ont fait l'objet de contestations au Canada, notons un moratoire proposé sur la fracturation hydraulique, des décisions de tribunaux canadiens concernant les brevets de médicaments, l'interdiction du MMT, un additif pour l'essence, et les politiques provinciales pour la protection de l'eau et du bois d'oeuvre.
Le problème vient du fait que c'est le sens strict de la loi qui prime dans un processus de RDIE. Comme le souligne M. Van Harten, les décisions sont généralement prises de façon arbitraire sans s'appuyer sur la jurisprudence. On ne peut donc pas compter sur un processus clair dont on pourrait prédire l'issue, si bien qu'il n'est pas facile de savoir à quoi s'en tenir exactement. Il est ainsi très ardu pour le gouvernement de mettre en place un plan d'action pouvant le mettre à l'abri d'une réclamation dans le cadre du RDIE, sans compter que l'on ne dispose pas non plus des capacités nécessaires à cette fin.
Comme je l'indiquais, le Canada est maintenant le pays qui fait l'objet du plus grand nombre de poursuites via le mécanisme de RDIE. Toutes ces causes illustrent bien les risques qu'un mécanisme semblable empêche le gouvernement canadien de mettre en oeuvre des politiques, des lois et des règlements dans l'intérêt public. Comme deux autres témoins l'ont souligné avant moi, les investisseurs canadiens sont loin d'avoir un comportement irréprochable à ce chapitre sur la scène internationale. Ils ont eu recours au RDIE en intentant des poursuites à l'extérieur de l'Amérique du Nord pour s'en prendre de façon démesurée aux politiques environnementales adoptées par les pays en voie de développement.
Dans leur rapport de 2019 intitulé « Digging for Dividends », Hadrian Mertins-Kirkwood et Ben Smith constatent que, depuis 1999, les investisseurs canadiens ont déposé 43 réclamations à l'encontre de pays à l'extérieur de l'Amérique du Nord dans le cadre du processus de RDIE. Il s'agit bien souvent d'entreprises minières qui contestent les mesures de protection de l'environnement en vigueur dans les pays en question.
Dans ce même rapport, Mertins-Kirkwood soulève également des préoccupations quant aux tierces parties qui cherchent à tirer profit du système de RDIE. Ainsi, des spéculateurs financent en échange d'un bénéfice des entreprises pour leur permettre de mener jusqu'au bout des poursuites dans le cadre du RDIE. Sans un tel financement spéculatif, ces causes ne pourraient pas aller de l'avant. Il s'agit d'une entrave considérable aux efforts de lutte contre les changements climatiques déployés par les pays en développement qui sont les plus touchés par les impacts considérables du réchauffement de la planète.
Comme Gus Van Harten l'a mentionné dans ses observations préliminaires, les menaces de recours au RDIE ont aussi fait obstacle à une intervention publique efficace pendant la pandémie. De telles poursuites pourraient en outre obliger certains pays à débourser des millions de dollars au cours des années à venir, ce qui les empêchera de déployer les moyens nécessaires pour protéger la santé de leur population.
Plusieurs mesures prises par les gouvernements au cours de la dernière année pourraient les exposer à des réclamations dans le cadre du RDIE. Citons notamment les restrictions imposées aux entreprises et l'obligation de fermer leurs portes; la mobilisation de ressources pour les systèmes de santé; les obstacles à la prise de contrôle par des intérêts étrangers d'entreprises stratégiques touchées par la crise; le gel de la facturation et des débranchements par les services publics pour assurer l'accès à de l'eau propre aux fins du lavage des mains et des mesures sanitaires; et les dispositions mises en oeuvre pour que les médicaments, les tests et les vaccins soient accessibles à un coût abordable.
Je peux vous citer à ce titre un exemple qui nous vient de l'Italie. Un fabricant privé qui n'était plus en mesure de livrer des pièces essentielles pour les ventilateurs a refusé de remettre ses devis de conception au gouvernement qui a alors demandé à ses ingénieurs de recourir à la rétroconception pour imprimer en 3D les pièces en question, et ce, à une fraction du coût exigé par le fournisseur privé. Celui-ci a menacé d'intenter des poursuites, et le gouvernement a renoncé à produire cette pièce essentielle pour sauver des vies.
Le Columbia Center on Sustainable Investment a demandé un moratoire complet sur les réclamations de RDIE pendant la pandémie. En juin, le Syndicat national des employées et employés généraux du secteur public, qui est membre du Réseau pour un commerce juste, a écrit une lettre ouverte au premier ministre pour s'insurger contre les menaces liées au RDIE et a lancé six appels à l'action, y compris la limitation des causes semblables et l'interdiction d'intégrer le RDIE à nos accords à venir. Il est important de donner suite à ces recommandations et de poursuivre les efforts déployés pour sensibiliser la population et nos politiciens aux risques que présente le RDIE.
Comme vous le savez tous, le Canada n'a malheureusement pas appuyé une motion à l'étude par l'Organisation mondiale du commerce pour la levée de certaines restrictions en vue de s'assurer que les vaccins et les autres fournitures médicales nécessaires dans le contexte de la pandémie soient accessibles à un coût abordable pour les pays en voie de développement. Si ces pays vont tout de même de l'avant avec la production de vaccins génériques pour immuniser leur population contre la COVID-19, ils s'exposeront à de coûteuses poursuites intentées dans le cadre du RDIE par des entreprises pharmaceutiques dont les activités de conception et de mise à l'essai des vaccins ont été en grande partie financées au départ à même les fonds publics.
Nous sommes d'avis que le commerce et l'investissement devraient être considérés comme un moyen d'accroître le bien-être matériel et social, et non comme une fin en soi, et que les investisseurs — même s'il s'agit d'investisseurs canadiens à l'étranger — qui contreviennent à nos lois touchant l'environnement ou les droits de la personne ne devraient pas pouvoir bénéficier de la protection qu'offrent d'éventuelles poursuites par le truchement du RDIE. Tous les droits conférés à un investisseur, aussi bien au Canada qu'à l'échelle internationale, devraient être assortis de responsabilités à respecter dans l'intérêt public.
Merci beaucoup.
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Merci, madame la présidente.
Je salue mes collègues et je remercie l'ensemble des témoins.
Ma première question s'adresse à M. Van Harten.
Vous avez expliqué pourquoi, selon vous, le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États était nuisible sur le plan politique. Je suis tout à fait d'accord avec vous. L'ONU a publié un rapport portant sur les poursuites intentées non seulement au Canada, mais dans le monde. Les données ne sont peut-être pas très à jour. Quoi qu'il en soit, selon ce rapport, environ 60 % de ces poursuites se sont soldées par une défaite de l'État ou par un règlement à l'amiable. Dans 60 % des cas, la volonté politique a donc reculé devant les entreprises à but lucratif.
De plus, selon un rapport de l'Union européenne, ce mécanisme a des répercussions non quantifiables. On peut penser notamment à la pression permanente que les dispositions de ce mécanisme exercent sur les États et au climat d'autocensure qu'elles créent. Autrement dit, les dirigeants évitent d'adopter une politique pour ne pas être poursuivis.
À votre connaissance, des études en contexte canadien ont-elles été menées pour évaluer s'il y a effectivement eu des reculs la part des États ou de la pression exercée sur ceux-ci?
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Je suis totalement d'accord avec vous. Un rapport qui comptabiliserait le nombre de victoires et de pertes ne nous renseignerait pas beaucoup sur l'effet réel des mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États, parce que c'est en coulisses que tout se joue. Il est très difficile d'en cerner les effets de l'extérieur, et j'ai pourtant essayé en interrogeant divers dirigeants.
Je pense qu'il y a beaucoup d'occurrences où des gouvernements ont changé d'idée en raison du risque de différends entre investisseurs et États. Est-ce que ces changements ont été bons ou mauvais? C'est une autre histoire, mais je peux vous dire qu'il arrive souvent que des pays changent leurs décisions en coulisses et parfois, de façon assez inquiétante.
L'affaire Ethyl s'est soldée par l'un des règlements les plus connus de l'histoire de l'ALENA. C'est l'une des premières fois où le Canada a fait tant de concessions, allant même jusqu'à retirer un projet de loi. C'est une longue histoire. Je ne voudrais pas que nous nous y enlisions aujourd'hui.
Je vous dirai seulement que ce qui arrive, quand il y a un différend entre un investisseur et l'État, c'est que le fond d'une décision ne relève plus des institutions d'un pays, en définitive, soit du gouvernement, de l'assemblée législative et de la Cour suprême. La décision ultime finit par incomber à un groupe d'arbitres dont le rôle découle des actions d'une multinationale. C'est un changement extraordinaire à l'infrastructure décisionnelle d'un pays souverain, qui peut créer toutes sortes de pressions en coulisses. Je vous dirai par-dessus tout que dans toute crise, quelle qu'elle soit, ces pressions en coulisses seront nocives pour toute perspective canadienne qui aille à l'encontre de celles que quiconque peut prétendre être un investisseur étranger et a assez d'argent pour la contester et représenter une menace crédible.
Il peut s'agir d'une crise économique, d'une crise financière, d'une crise environnementale ou d'une crise de santé publique. Ce n'est pas bon, et je crains qu'on soit confronté à bien d'autres crises encore à l'avenir. Il y en a de nombreux exemples.
Rapidement, je soulignerai que beaucoup d'accords commerciaux ne prévoient pas de mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. L'accord qui a succédé à l'ALENA entre le Canada et les États-Unis n'en contient pas. C'est l'une des nouvelles les plus réjouissantes que j'ai vues depuis quelques dizaines d'années à étudier les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États, et l'initiative est venue des Américains. Les Américains ont jugé que ces mécanismes contraignaient trop leur propre souveraineté, puisqu'ils avaient pour effet, entre autres, d'inciter des entreprises américaines à exporter leur fabrication à l'étranger. C'était l'une de leurs préoccupations.
J'estime que les relations entre les États-Unis et le Canada seront toujours fondamentales pour nous. Soit dit en passant, je respecte totalement la sagesse, la compétence et l'expérience des autres témoins ici présents. J'affirme seulement qu'il faut vraiment déterminer au cas par cas, une convention à la fois, comment on veut se retirer sans tomber dans la provocation et ainsi entacher nos relations avec les États-Unis, sans offenser les multinationales. Cela ne veut pas dire que le Canada doit retourner à l'époque sombre, pendant les années 1970, où Pierre Trudeau était l'ami de Fidel Castro ou de je ne sais trop qui.
Je tourne plutôt mon regard vers l'avenir. Nous devons nous affranchir des mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États en raison des crises qui se profilent à l'horizon et parce qu'à ce stade-ci, nous ne pouvons plus laisser nos gouvernements être ainsi contraints en coulisses dans leurs efforts afin de prendre les mesures nécessaires pour protéger les Canadiens.
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Je vous remercie, madame la présidente.
Monsieur Mark Warner, je vous remercie beaucoup d'avoir évoqué l'histoire de ces mécanismes et d'avoir souligné leur importance dans la dépolitisation. C'est un excellent point que beaucoup d'entre nous oublient. Par ailleurs, vous avez mentionné à deux reprises que nous sommes en train de devenir un exportateur de capitaux. En effet, l'exportation de capitaux est toujours en croissance.
Monsieur Lawrence Herman, j'ai lu la note que vous avez distribuée. Permettez-moi d'aborder la dernière partie de cette note. Vous avez mentionné la nécessité de moderniser le processus d'arbitrage spécial pour le rendre plus efficace et plus cohérent. C'est très important. Vous avez également évoqué les obligations d'État à État. Une fois encore, nous sommes nombreux à les oublier. Les accords sur la protection et la promotion des investissements étrangers font partie de la vie d'aujourd'hui. Les entreprises canadiennes plus anciennes, celles de la génération précédente... Quelques sociétés minières investissaient à l'étranger. De nos jours, une grande partie des investissements canadiens proviennent du Régime de pensions du Canada, du Régime de retraite des employés municipaux de l'Ontario ou du régime de retraite des enseignants, et nous avons investi ailleurs.
Pour vous donner un exemple précis, les investissements canadiens en Inde s'élèvent à environ 52 milliards de dollars. Pourtant, nous n'avons pas encore d'Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers avec ce pays. De quel mécanisme disposent les exportateurs de capitaux canadiens pour protéger leurs investissements?
Je ne suis pas d'accord avec l'idée de dépeindre toutes les entreprises canadiennes comme de mauvais joueurs, simplement parce que quelques sociétés minières canadiennes ont mal agi. Je pense que nous devons disposer d'un mécanisme permettant aux fonds d'un Canadien moyen qui sont investis par l'entremise de nos régimes de retraite, qu'il s'agisse du Régime de pensions du Canada, du Régime de retraite des employés municipaux de l'Ontario ou des régimes de retraite des enseignants...
À quels mécanismes ont-ils accès lorsqu'ils investissent en Asie et en Amérique du Sud ou par exemple en Inde, où nous n'avons pas d'accord de protection?
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Permettez-moi d'abord de préciser que le retrait ne se fera pas rapidement. Il s'échelonnera sur une génération.
À mon avis, pour nous retirer complètement des obligations que nous avons assumées en vertu des traités existants, nous devrions généralement donner la priorité au retrait, lorsque c'est possible en fonction du traité et du contexte, et certainement ne plus signer de RDIE.
Quelles seront les répercussions sur nos relations en matière d'investissement et sur les investisseurs canadiens à l'étranger? Je pense qu'il est très difficile de prévoir comment les relations en matière d'investissement et les avantages économiques de l'investissement, qui sont visiblement énormes, sont touchés par les traités actuels sur les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États, sans parler des futurs traités liés à ce mécanisme et d'un retrait potentiel.
Je dirais que le risque de répercussions négatives découlant simplement d'un retrait des traités liés au RDIE est faible, et nous pouvons le réduire encore plus si nous nous retirons de manière calme et non provocatrice, ce qui a été essentiellement l'approche adoptée par l'Afrique du Sud lorsque ce pays s'est retiré de ses traités bilatéraux d'investissement qui autorisaient l'application du RDIE au cours des 10 dernières années. Le pays s'est retiré tout en rassurant les investisseurs étrangers sur l'existence d'autres mesures de protection, et une nouvelle loi a été adoptée pour rendre ces protections plus fiables en Afrique du Sud.
Oui, les investisseurs canadiens à l'étranger n'auront plus accès aux mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États prévus par des traités, mais les actifs qui préoccupent le plus de nombreux investisseurs, ce sont les très gros actifs de plusieurs milliards de dollars que nous ne voulons pas laisser complètement ouverts aux abus de la part d'un gouvernement étranger. Dans ces cas, il y a toujours un ensemble très complexe de contrats entre l'investisseur étranger et les entités étatiques du pays hôte. Une grande multinationale dispose d'une grande capacité à négocier des contrats qui protègent ses intérêts, notamment en prévoyant un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. En effet, on peut inclure ce mécanisme dans le cadre d'un contrat, ce qui entraîne essentiellement le même processus. Je pense que c'est préférable pour les pays d'accueil, car ils peuvent être plus sélectifs quant aux moments où ils font ces concessions extraordinaires de leur souveraineté et de leur souplesse réglementaire.
Il s'ensuit que dans le cadre d'un plan de retrait progressif, il faut s'assurer que le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États fondé sur un contrat soit bien connu des grands investisseurs canadiens à l'étranger et que ces derniers aient la capacité de recourir à ce moyen de protection.
Deuxièmement, les investisseurs peuvent se prévaloir d'une assurance contre le risque politique. M. Warner en a parlé. Cette assurance pourrait être soutenue par l'État et pourrait être offerte sur le marché. Toutefois, c'est loin d'être un processus parfait. En effet, je tiens à préciser que les assureurs sont beaucoup plus intelligents que les rédacteurs des traités, car ils limitent leurs obligations. Dans un contrat d'assurance contre le risque politique, il n'y a pas d'obligation d'assurer contre le manquement au traitement juste et équitable. Il y a des garanties contre les risques les plus évidents et les plus contrôlables, par exemple la nationalisation et l'expropriation, contre lesquels nous devrions certainement protéger les investisseurs.
Je pense que les investisseurs canadiens subiront certains revers. Ils ne seront pas aussi bien lotis, mais si on tient compte de l'ensemble des avantages pour le Canada, ainsi que ce que nous perdons sur le plan financier et ce que nous perdons en matière de capacité à répondre à une future crise... Je vous le dis, lorsque la crise suivante surviendra, les intervenants du gouvernement remercieront le ciel de ne pas avoir à s'inquiéter des risques liés au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, qui se chiffrent en milliards de dollars. Il vaut donc la peine de s'assurer que les Canadiens peuvent être protégés même lorsqu'une multinationale, pour quelque raison que ce soit, se bat très fort en coulisses pour nous empêcher de faire ce qui est dans l'intérêt supérieur des Canadiens. Nous devons tout simplement éliminer cet obstacle.
Je pense qu'un investisseur canadien qui prend le temps de réfléchir et d'examiner la situation se dira qu'il peut réussir à se protéger avec le soutien du gouvernement, et qu'il est également Canadien et qu'il peut donc comprendre l'importance de protéger notre pays contre ces risques généraux.
Tout cela peut sembler un peu provocateur, j'en suis sûre, mais ce n'est pas mon intention. Il y a longtemps que je préconise une réforme du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. J'en suis arrivé à la conclusion qu'il faut agir simplement, se retirer du mécanisme et ensuite le réformer. Il faut éviter de rester bloqué à l'intérieur de ce mécanisme.
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Merci, madame la présidente.
Je tiens à remercier tous les témoins d'alimenter la discussion de ce matin grâce à leurs observations très réfléchies.
Par souci de transparence, je dois mentionner qu'avant de me lancer en politique, j'étais avocate en arbitrage commercial international et, à ce titre, j'ai représenté plusieurs entreprises — y compris certaines des sociétés qui font notre fierté ici, au Québec, comme Bombardier — contre des États étrangers en vertu de dispositions d'arbitrage, qui ressemblent à ce que M. Van Harten vient de décrire concernant les dispositions sur le règlement des différends entre investisseurs et États, ou RDIE, prévues dans les contrats. J'ai également participé à quelques procédures de RDIE aux termes de nos accords commerciaux. Cela dit, et sans vouloir mettre de l'avant mes opinions, je pense qu'il est important de discuter de la façon dont le Canada devrait s'y prendre, surtout au moment de négocier de nouveaux accords commerciaux.
Avant de poser ma question, j'aimerais apporter une précision ou une correction. M. Van Harten a affirmé que ce sont les États-Unis qui ont demandé que les dispositions relatives au RDIE soient retirées du nouvel ALENA. Je pense qu'à moins d'avoir été présents dans la salle, nous ne devrions pas présumer de la façon dont ces négociations se sont déroulées ou de la position que le Canada a défendue dès le départ.
Par ailleurs, en ce qui a trait à la conversation précédente sur l'accord de transition entre le Royaume-Uni et le Canada, je précise que les dispositions en matière de RDIE sont suspendues dans le cadre de cet accord et qu'elles n'entreraient en vigueur que beaucoup plus tard si celles de l'AECG devaient être ratifiées, ce qui, comme nous l'avons entendu plus tôt aujourd'hui et comme nous le savons tous, ne se produira probablement jamais.
Permettez-moi de passer à une question de fond, qui s'adresse peut-être à M. Warner et à M. Herman.
Je me demande si vous pourriez nous dire, de manière générale, ce que vous pensez de l'adoption d'une approche au cas par cas. Il y a peut-être lieu de recourir au mécanisme de RDIE dans certaines situations mettant en cause des partenaires commerciaux précis, alors que dans d'autres circonstances — par exemple, lorsque nous avons affaire à des partenaires dont le système judiciaire nous inspire une grande confiance —, ce mécanisme pourrait s'avérer inutile.
Commençons peut-être par M. Herman.
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Tout d'abord, madame Bendayan, la réputation dont vous jouissiez avant votre carrière politique est bien connue, et ceux d'entre nous qui travaillent dans le domaine vous sont reconnaissants de votre participation à ces procédures.
Je voudrais simplement faire une observation sur le retrait des dispositions actuelles en matière de RDIE. Notre premier traité investisseur-État est celui conclu avec la Russie. J'invite M. Van Harten à répondre, à un moment donné, à la question suivante: est-il dans l'intérêt du Canada de se retirer de ce traité avec la Russie?
Votre question, madame Bendayan, est de savoir si nous devrions procéder au cas par cas. Je crois que c'est une approche viable. Nous éliminons les différends entre investisseurs et États dans le cadre de notre accord avec les États-Unis. Nous faisons de même, à toutes fins utiles, aux termes de notre accord avec les Européens. Quels en sont les effets sur les intérêts canadiens? Si nous ne sommes pas soumis à l'arbitrage de ce genre de différends dans le cas d'investisseurs américains et européens, comment les intérêts canadiens seront-ils en quelque sorte menacés?
Là où je veux en venir, c'est que le retrait des traités actuels de protection des investissements étrangers est semé d'embûches. Pour en revenir à votre argument, il est possible, à l'avenir, d'adopter une approche sélective et de décider dans quelles circonstances nous devons invoquer certaines dispositions en matière de RDIE, parallèlement aux garanties qui ont été intégrées dans les dispositions de l'AECG et qui prévoient un processus d'appel et un tribunal d'arbitrage permanent. Voilà qui, selon moi, améliore remarquablement le système, et une telle démarche pourrait faire partie d'une politique future pour tout nouveau traité que le Canada cherche à négocier.
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Dans la plupart des cas, le mécanisme de RDIE fondé sur des traités ne sera d'aucun secours pour les entreprises si la valeur des actifs en cause dans l'autre pays est inférieure à plusieurs centaines de millions de dollars. Il devrait y avoir une approche structurée en matière de retrait pour gérer l'intérêt du Canada et celui des investisseurs canadiens afin que ceux-ci continuent d'avoir suffisamment de mesures de protection adaptées à leurs besoins.
Par exemple, la plus grande priorité a toujours été l'ALENA. Nous ne sommes plus soumis aux dispositions de l'ALENA sur le RDIE; c'est formidable, nous pouvons cocher cette case et remercier la . Je lui ai d'ailleurs envoyé un courriel à ce moment-là pour la remercier d'avoir, en gros, réclamé pour le Canada ce que les Américains réclamaient pour eux-mêmes. En effet, les Américains voulaient maintenir ces dispositions pour le Canada et le Mexique, mais se soustraire de leurs obligations en la matière. Eh bien, c'était hors de question pour le gouvernement canadien, et je vous en remercie.
À part cela, j'estime qu'il faut maintenir provisoirement l'AECG et se débarrasser des dispositions sur le RDIE. Faites-le discrètement, mais assurez-vous que ces dispositions seront exclues. De plus, ne vous contentez pas de laisser aux États membres de l'Union européenne la possibilité de ne pas ratifier l'accord. Faites clairement savoir que les dispositions sur le RDIE ne seront jamais appliquées dans le cadre de l'AECG. Je serai alors très heureux pour le Canada.
Ensuite, en ce qui concerne le Partenariat transpacifique global et progressiste, ou PTPGP, nous avons vraiment fait fausse route. Sur le coup, nous cherchions à modifier le mécanisme de RDIE aux termes de l'AECG et nous nous apprêtions à nous en retirer dans le cadre de l'ALENA. Prenons l'exemple de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie: ces deux pays ont conclu des accords parallèles dans le cadre du PTPGP, qui font que ce mécanisme ne s'applique pas entre eux. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas conclure de tels accords parallèles avec ces mêmes pays dans le cadre du PTPGP.
Pour ce qui est des traités bilatéraux d'investissement, c'est une autre paire de manches, mais si vous tenez à protéger les PME canadiennes, il y a lieu de prendre des mesures beaucoup plus importantes, à une échelle plus réduite, comparativement aux réclamations de grande envergure dans le cadre du mécanisme de RDIE fondé sur des traités.