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Merci, madame la présidente. Merci de donner l'occasion au Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale, le CIGI, de participer à votre étude de ce sujet important et d'une grande actualité. Je suis impatient d'échanger avec vous et les autres témoins sur diverses considérations interreliées qui demandent un examen attentif.
Pour commencer, je tiens à préciser que le Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale a déjà comparu devant le Comité. Depuis 20 ans, nous nous intéressons à des enjeux qui touchent à la fois l'innovation, les affaires internationales, l'intérêt public et la prospérité. Au cours des deux ou trois dernières années, j'ai pu élargir ma perspective de ces enjeux en siégeant à deux comités internationaux sur les changements structurels, la santé dans le monde et les nouvelles technologies.
Le Comité s'est fixé comme objectif de répondre à trois grandes questions. La première concerne la position du Canada à l'égard de la dérogation à l'application de l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, les ADPIC; la deuxième touche la fiabilité de l'approvisionnement en vaccins, et la dernière a trait aux mesures à prendre pour augmenter la capacité nationale.
Plutôt que de répondre séparément à ces questions, je vais vous donner un aperçu des sujets que mes collègues et moi avons traités plus en profondeur dans le mémoire du CIGI dans trois séries d'observations.
Je vais commencer par la question de la dérogation. Comme vous l'a dit mon collègue Nathaniel Lipkus la semaine dernière lorsqu'il est venu témoigner au nom de l'Institut de la propriété intellectuelle du Canada, la dérogation à l'application de l'Accord sur les ADPIC ne concerne pas vraiment le Canada; elle vise essentiellement à garantir l'accès à la technologie et aux vaccins aux pays en développement. Que cette dérogation soit accordée ou non ne changera pas grand-chose pour le Canada, et certains de mes collègues vont même jusqu'à dire qu'elle ne changera rien nulle part.
Je ne me prononce pas sur la dérogation elle-même, si ce n'est pour dire qu'elle n'est pas vraiment en cause. Dans une situation de crise comme celle que nous traversons actuellement, la priorité est que toute la communauté internationale ait accès aux technologies et aux procédés nécessaires parce que nous sommes tous dans le même bateau. Nous sommes tous liés par les nombreuses réactions en chaîne déclenchées par la pandémie et les vaccins. La dérogation peut faire partie des considérations à prendre en compte dans tout un éventail d'enjeux plus vastes liés aux politiques, mais ce n'est pas ce qui fera bouger les choses. Parmi cet éventail d'enjeux se trouvent entre autres le mécanisme COVAX et son financement, ou plutôt son sous-financement actuellement; le prix des vaccins; les subventions publiques aux sociétés pharmaceutiques qui ont développé les vaccins et le financement de la recherche plus fondamentale par les secteurs publics qui en a découlé.
Il faut aussi parler des négociations avec les fabricants de vaccins et de la confidentialité des contrats, de ce qu'on a appelé la course au vaccin, qui a donné naissance à une nouvelle « diplomatie vaccinale » et à l'utilisation des vaccins comme des instruments de politique étrangère plutôt que comme des moyens d'améliorer la santé mondiale.
Les systèmes d'innovation peuvent prendre différentes formes. Je l'ai déjà dit et je le répète, si on remonte aux années 1960... À cette époque, le monde faisait face à un grave problème de faim, de famine et de malnutrition, et le Canada s'est alors engagé dans de nombreux organismes philanthropiques dans d'autres pays. En 1971, un réseau mondial d'instituts, le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale, a été établi pour mener des travaux sur différents aspects touchant l'agriculture. Le Groupe consultatif a notamment mis au point différentes espèces de céréales et des denrées alimentaires, dont les brevets sont détenus dans l'intérêt public. Nous n'avons pas éradiqué la malnutrition, mais les problèmes de faim et de famine de l'ordre de ceux qui sévissaient dans les années 1960 sont chose du passé.
Pour conclure ma première série d'observations, je vais me contenter d'insister sur l'importance pour le Canada de contribuer, comme il le faisait par le passé, aux efforts mondiaux pour exploiter le plein potentiel de la technologie comme moyen d'améliorer le bien-être de la population mondiale, y compris dans les pays qui en ont le plus besoin. Les régimes de propriété intellectuelle font partie intégrante de cette approche.
Ma deuxième série d'observations portera sur l'innovation. C'est un point que j'aborde plus longuement dans le mémoire et je ne vais pas m'y m'attarder. Toutefois, je trouve important de rappeler que la création de richesse passe de plus en plus par la recherche, la propriété intellectuelle et le classement de mégadonnées selon des priorités axées sur l'obtention de résultats significatifs en appui à la prospérité et à l'équité.
Ces éléments, que l'on pourrait qualifier de manière générale comme étant « incorporels », représentent l'essentiel de la valeur des sociétés regroupées dans l'indice S&P 500 et d'autres. Pour favoriser la prospérité et l'équité, il faut tabler sur ces éléments incorporels. C'est la chose intelligente à faire. N'oublions pas que le Canada est une puissance moyenne, et j'en cite quelques indicateurs. Nous arrivons au sixième rang du G7 dans les domaines de la recherche et du développement, et pas loin du vingtième rang sur le plan de l'indice mondial de l'innovation. Le Canada est en fait un pays importateur net, et il ne peut donc pas prétendre à faire jouer son avantage comparatif dans ce domaine.
Cela dit, les politiques fédérales ne sont pas seules en cause ici. Certains aspects relèvent des provinces. Je pense par exemple à la mesure dans laquelle les universités soutiennent leurs professeurs qui concluent des contrats de recherche avec des multinationales étrangères, qui détiennent ensuite les droits de propriété intellectuelle. Le gouvernement fédéral n'a aucun pouvoir en la matière.
Je crois fermement que nous devons mettre en place un éventail de stratégies d'innovation cohérentes et coordonnées. Même si ces stratégies ne donneront pas forcément des résultats à court terme pour ce qui est des vaccins et de la pandémie, elles représentent la meilleure et la seule voie d'avenir.
Ce qui m'amène à ma troisième et dernière série d'observations. Dernièrement, le CIGI s'est présenté devant le Comité une première fois pour donner son point de vue sur le projet de loi , et une seconde fois pour se prononcer sur la réforme de l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC. M. Bob Fay, mon collègue, a témoigné devant vous. Il vous a fait part des réflexions du CIGI sur le fait que nos institutions et nos processus actuels remontent aux années 1960 et 1970, soit à une époque où la numérisation était encore une idée vague dans l'esprit des diplomates.
À certains égards, nous faisons face actuellement à un problème d'architecture, et nous n'employons pas les bons instruments pour réaliser les objectifs importants. Nous avons recours à des accords commerciaux — qui, comme leur nom l'indique, touchent le commerce — pour nous attaquer à des enjeux qui comportent d'importantes dimensions non économiques, comme les données. Aujourd'hui, dans un article paru dans le Globe and Mail, je donne l'exemple de l'Accord Canada—États-Unis—Mexique, qui traite de la localisation des données et du contenu des plateformes numériques, des thèmes qui ont plus à voir avec la santé des démocraties et de notre société qu'avec le commerce. Dans les négociations de l'OMC sur le cybercommerce, les données sont aussi considérées comme un enjeu commercial, alors que l'enjeu des données est multidimensionnel. Il faut trouver de nouvelles façons d'envisager les relations internationales. Mes collègues et moi pouvons vous faire quelques suggestions sur le type de processus et d'institutions à mettre en place.
En conclusion, je mentionnerai que l'Accord de partenariat pour l'économie numérique, qui a été conclu par trois pays du Pacifique et auquel le Canada aimerait adhérer, est une solution parmi d'autres. Quand le Comité se penchera sur ces enjeux, je serai ravi de revenir en parler plus en profondeur.
Je termine en rappelant, comme tout bon économiste le ferait, qu'il faut penser à court et à long terme. Les options à court terme sont toujours limitées et moins nuancées mais, à moyen et à long terme, le Canada pourra faire beaucoup de choses pour améliorer le bien-être dans le monde, que ce soit à l'étranger ou ici même.
J'interromps ici mes réflexions. J'attends vos questions avec impatience.
Merci.
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Merci encore de l'invitation de participer aux travaux du Comité. Je vous en suis très reconnaissant.
Les trois questions à l'étude sont toutes importantes. Je vais commencer par la dérogation à l'Accord de l'OMC. Je suis un avocat spécialisé en droit commercial et de la concurrence, et je pratique au Canada et aux États-Unis. J'espère que vous me suivez...
Mes perspectives sur cette question me viennent d'une expérience de travail précédente avec une grande multinationale du domaine pharmaceutique qui voulait commercialiser un antirétroviral, c'est-à-dire un médicament contre le sida et le VIH, partout dans le monde, y compris en Afrique. J'ai commencé à collaborer avec cette société tout d'abord pour l'aider à distribuer le médicament dans certains pays pour 1 $ par jour. Ensuite, nous avons progressivement défini un cadre d'octroi de licences de fabrication à certains producteurs en Inde et en Afrique du Sud.
Je regarde la situation actuelle en me basant sur cette expérience, et ce que je vois... Je crois que beaucoup de gens envisagent la dérogation à l'Accord sur les ADPIC de l'OMC en s'appuyant sur l'exemple de la pandémie du sida.
Je trouve important de rappeler certains faits. Au début, quand nous avons commencé à octroyer des licences... Quand les fabricants ont commencé à octroyer des licences, elles ne visaient pas la fabrication de la dernière version des médicaments antirétroviraux. Les droits de fabrication s'appliquaient expressément à des versions antérieures des médicaments, pour les distribuer dans les pays en développement.
Dans le contexte de la COVID-19, nous avons affaire à des vaccins dont la mise au point a pour ainsi dire commencé à partir de zéro à peu près à ce moment-ci l'année dernière et qui sont déjà utilisés pas partout dans le monde, loin de là, mais dans beaucoup de régions. Ce n'est absolument pas comparable avec ce qui s'est passé avant.
Je m'intéresse au débat sur la dérogation. C'est important parce que c'est un autre moyen d'attirer l'attention du monde sur ce qu'il faut faire pour assurer l'accès aux vaccins dans les pays en développement. Cependant, à court terme, je ne crois pas que ce qui a été fait auparavant pour lutter contre le VIH peut s'appliquer à la pandémie actuelle et servir de précédent.
Je crois que le Canada a raison de demander d'autres études à ce sujet. Je suis tout à fait d'accord. À mesure que nous progresserons, que les vaccins seront améliorés et que la capacité de les fabriquer sera mieux répartie... Nous avons déjà été témoins des difficultés que certains producteurs du peloton de tête ont à faire la transition entre les laboratoires et la distribution des vaccins. C'est ce qui s'est passé avec AstraZeneca, et c'est ce qui se passe actuellement avec les contrats entre Johnson & Johnson et les fabricants.
C'est d'une importance capitale. La réticence face au vaccin est un phénomène mondial, et elle touche aussi les pays en développement. Il suffirait d'une erreur majeure pour faire dérailler tout le processus. Je crois que la situation n'est aucunement comparable avec la recherche de molécules pour fabriquer des médicaments antirétroviraux. Si jamais on y arrive, ce qui est possible, on pourra discuter de ces questions à ce moment.
Avant de manquer de temps, je vais passer à votre deuxième question, qui porte sur les accords commerciaux. Mon bagage dans ce domaine me vient de mon travail antérieur et de ma carrière au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, à Paris. J'étais en quelque sorte responsable des dossiers liés au commerce et à la concurrence, ou ce qu'on appelait dans notre jargon commercial les « questions de Singapour ».
Je le mentionne parce qu'il me semble qu'une bonne partie du débat actuellement nous ramène à ce qui a été laissé en plan durant le cycle de négociations de Doha et de la Charte de La Havane. Si on remonte au début de l'Organisation internationale du commerce, on s'aperçoit que l'existence du lien entre le commerce et la concurrence... Ce que nous voyons maintenant, et c'est encore plus vrai pour la société AstraZeneca, pour ne pas la nommer, est que des ententes contractuelles ont été conclues avec différents pays et que certaines créent des conflits. En réponse, l'Union européenne a mis en place un mécanisme de surveillance, qui je crois pourrait faire l'objet de contestations, sauf dans quelques cas, au titre des différents accords commerciaux auxquels l'Europe est partie, y compris l'Accord économique et commercial global, l'AECG.
Peu importe l'issue des contestations, une chose est certaine, le processus serait long. Sur le plan pratique, je ne crois pas que l'AECG permettra de régler ces questions.
Pour revenir à mon observation de départ, je crois que ce qui se passe actuellement illustre fort bien pourquoi les discussions précédentes sur le commerce et la concurrence ont achoppé. Leur objectif était simplement de contrôler les exportations, ou d'imposer des restrictions quantitatives sur les exportations. Essentiellement, si les Britanniques et les Américains peuvent arriver aux mêmes fins que les Européens en signant des contrats plutôt qu'en imposant un mécanisme de surveillance, c'est une tout autre réalité.
Il faudra bien un jour prendre le temps nécessaire pour réfléchir aux liens entre le commerce et la concurrence parce que nous sommes dans une impasse. La Commission européenne est en train de réaliser qu'il n'est pas possible de donner de l'argent à un organisme pour faire de la recherche et de permettre que cet organisme signe des contrats selon lesquels il s'engage à approvisionner d'autres parties avant vous, même s'il a aussi signé un contrat d'approvisionnement avec vous.
Pour ces raisons, et à cause de ce que j'appelle les questions laissées en plan par le monde du commerce, je ne crois vraiment pas que les accords commerciaux sont la solution parce que la distinction est trop fondamentale.
Fait intéressant, personne ne s'en est pris aux Américains, du moins pas sérieusement, alors qu'ils utilisent essentiellement les mêmes stratagèmes en signant des contrats au titre de la Defence Production Act et de l'opération Warp Speed. Nous pourrons en parler si cela vous intéresse.
Pour terminer, je vais faire quelques remarques sur votre dernière question concernant la production nationale de vaccins. Mon expérience à cet égard me vient de mon travail précédent comme directeur des services juridiques du ministère du Développement économique et du Commerce et du ministère de la Recherche et de l'Innovation de l'Ontario. Ces titres sont tellement longs!
Quand j'y travaillais, le gouvernement ontarien a mis sur pied un certain nombre de programmes, dont le Programme d'investissement dans le secteur biopharmaceutique et un autre qui s'appelait le Fonds pour les emplois et les investissements stratégiques. Ces titres peuvent vous sembler familiers. Cette expérience m'a permis d'apprendre et d'observer à quel point il est difficile d'attirer les multinationales du secteur pharmaceutique.
Je me souviens d'une réunion d'un comité formé pour soumettre des recommandations au gouvernement sur divers projets. J'étais toujours impressionné de constater qu'on nous offre seulement des essais cliniques. J'étais bien placé pour savoir que c'était en fait une solution de facilité en matière d'innovation pharmaceutique. Si notre pays veut vraiment devenir un producteur de vaccins, il faudra avoir des discussions très sérieuses, ce que nous n'avons pas fait depuis au moins 30 ou 40 ans.
Dans les années 1970, nous avons décidé de mettre en place une industrie de fabrication de médicaments génériques. Cette industrie nous a donné un champion national, peut-être davantage. Depuis, il y a une espèce de guerre larvée, qui parfois éclate au grand jour, contre l'industrie pharmaceutique fondée sur la recherche ou l'innovation. Si nous voulons que ces sociétés s'installent au Canada et envisagent de faire ce genre de recherches ici, nous devons réfléchir à notre régime de propriété intellectuelle. Nous devrons probablement repenser notre régime fiscal également. Nous devrons certainement avoir les discussions plus larges que nous avons repoussées jusqu'ici.
Quand je suis revenu au Canada — et je vais terminer avec cela — après des années à l'étranger... Mon principal client, comme je l'ai dit, était une multinationale pharmaceutique, et mes dossiers étaient d'envergure mondiale. Les longs échanges que j'ai eus avec ces gens au sujet de mon retour au Canada m'ont permis de comprendre la vision qu'a cette industrie du Canada, qui semble passablement différente de celle que les Canadiens ont d'eux-mêmes. Ils m'ont dit très clairement que si le cabinet d'avocats pour lequel j'allais travailler au Canada faisait des affaires avec trois entreprises — ils m'ont nommé une entreprise canadienne et deux entreprises indiennes —, ils allaient couper les liens avec moi pour de bon.
Je dois dire que j'ai été un peu surpris, mais je me suis servi de cette expérience dans mon travail pour le gouvernement ontarien et, comme je l'ai dit, le Programme d'innovation dans le secteur biopharmaceutique. J'en ai conclu que nous avions des décisions à prendre. Si nous n'allons pas dans ce sens, il faudra bâtir une industrie à partir de zéro, et c'est difficile. C'est très difficile. Les Britanniques ont vraiment trouvé le bon filon. L'Université Oxford a mis au point une des technologies qui se sont révélées efficaces et qui a donné naissance au vaccin d'AstraZeneca. C'est l'élément-clé: AstraZeneca, une multinationale pharmaceutique innovante installée en Grande-Bretagne, avait la capacité de commercialiser son produit à l'échelle mondiale. L'avenir nous dira si c'est une réussite ou non, mais quand même.
Pensons à ce qui s'est passé en Allemagne où il y avait une petite entreprise de biotechnologie appelée BioNTech. Lorsque cette société de biotechnologie allemande a voulu commercialiser son produit, elle a dû se débrouiller seule. Elle n'a même pas approché les multinationales allemandes, préférant s'adresser à Pfizer, une grande entreprise américaine détenant une certaine expérience dans le domaine des vaccins. Sans surprise, ce sont eux qui semblent mieux réussir la distribution de leur produit dans le monde. Si vous pensez à ce qui devrait se produire pour que le Canada puisse se doter d'une industrie de pointe en prévision d'une prochaine pandémie, peu importe quand cela se produira, vous feriez le pari qu'il y aurait au Canada des équivalents à Oxford ou à BioNTech et qu'une grande société comme AstraZeneca ou Pfizer dirait qu'elle veut assurer la production au Canada ou s'y établir. Ce sont là deux grandes hypothèses.
Je comprends que nous avons tous en ce moment une vision très nationaliste et que nous voulons discuter de relocalisation et peut-être retourner en arrière et reconstruire cette industrie. La vérité, c'est que le Canada a contribué à cette lutte très importante par l'entremise de deux grandes entreprises canadiennes. L'une est AbCellera, de Vancouver, qui travaille avec Eli Lilly sur un traitement par anticorps. L'autre est Acuitas — également basée à Vancouver je crois —, une société qui a fourni une bonne partie de l'importante technologie des nanoparticules lipidiques sur laquelle reposent les médicaments à base d'ARN messager. Nous ne devrions pas hésiter à parler de notre énorme contribution, mais il s'agit là, à mon avis, de la contribution qui correspond à une économie de notre taille, selon notre structure actuelle.
Éventuellement, nous pourrions peut-être nous demander si — tout comme dans le cas de la restructuration de GM et de Chrysler à laquelle j'ai travaillé dans une autre vie — l'approche adoptée ici aurait pu être, aussi difficile que cela puisse être à réaliser ou à faire accepter à de nombreux Canadiens, d'essayer de participer dès le départ à l'opération « Warp Speed » en achetant notre place, tout comme nous l'avons fait dans la restructuration de GM et de Chrysler. Je ne sais pas dans quelle mesure le gouvernement a vraiment envisagé cette option. Compte tenu de la place que le Canada occupe dans les chaînes d'approvisionnement pharmaceutiques modernes, j'ai toujours cru que c'est ce que nous aurions dû faire. Je n'ai pas vu beaucoup de discussions au Canada sur les raisons pour lesquelles nous ne l'avons pas fait, mais j'essaie toujours d'en parler. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas là notre propos.
Traditionnellement, il semble que c'est ainsi que le Canada s'inscrit dans ce genre de problème mondial. À un certain point, je pense que nous devrons avoir des discussions plus réalistes sur la façon dont nous pourrions nous intégrer. Je pense que nos structures de coûts sont trop élevées et que la capacité d'exportation est limitée. Voulez-vous retourner aux années 1970, lorsque le Canada fabriquait des produits pharmaceutiques qu'il exportait partout au monde? La Chine n'était pas sur le marché à cette époque, pas plus que l'Inde. Nous rêvons de revenir dans ce monde où le Canada était un chef de file en matière d'exportation, mais cette époque est révolue. Les gens ne veulent peut-être pas en entendre parler aujourd'hui, mais nous devrons le faire plus tard.
C'est, à mon avis, en grande partie pourquoi je ne pourrais pas concevoir qu'une des grandes entreprises qui ont dominé le marché jusqu'à maintenant accorde au départ une autorisation de production au Canada. Puisque j'ai connu l'autre côté ces négociations, je peux dire que j'aurais exigé beaucoup de contributions financières du Canada avant d'accepter parce que j'aurais peu de personnel, parce que je devrais faire le tour du monde et m'assurer du contrôle de la qualité. Je devrais déplacer les intrants partout sur la planète et satisfaire le pays dans lequel je m'installe, lui accorder une autorisation alors que je ne pourrais pas exporter parce que ça coûte trop cher. Je ne le ferais pas, alors je ne suis pas étonné que ces sociétés ne l'aient pas fait. Comme je l'ai dit, cela nous laisse avec la notion de créer notre propre industrie pharmaceutique sui generis en espérant être chanceux lors de la prochaine pandémie, ce qui me semble très irréaliste.
J'ai probablement parlé beaucoup trop longtemps, mais ce sont mes trois réponses à vos questions.
Merci.
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Merci, madame la présidente.
Chers membres du Comité, je suis très heureux de comparaître devant vous aujourd'hui au sujet de la politique du Canada en matière de commerce et d'investissement, des accords commerciaux et des divers sujets à l'étude. Je vais en fait parler de tous ces sujets de manière générale pendant mon exposé. Je n'en parlerai pas point par point, mais ils seront tous abordés dans mon exposé.
Encore une fois, je m'appelle Renzo DiCarlo. Mes antécédents et mes qualifications reposent à la fois sur mon expérience dans les domaines universitaire et des affaires. J'ai étudié à la London School of Economics en théorie et en recherche sur les parties prenantes, et j'ai environ 25 ans d'expérience dans les bonnes pratiques de fabrication pharmaceutiques et la recherche médicale. J'ai géré une entreprise d'essais cliniques et j'ai également été un producteur d'anticorps radiomarqués selon les bonnes pratiques de fabrication. Je suis donc particulièrement qualifié pour parler de la logistique d'un système juste-à-temps, la situation que nous vivons aujourd'hui au Canada dans le cadre du déploiement de vaccins.
Je suis particulièrement qualifié pour parler au Comité des points de vue sur les stratégies et les politiques relatives aux vaccins. Je suis le directeur général de Biopharma Services ici à Toronto depuis 10 ans. Cette société est le plus important centre de recherche clinique pour les premiers essais chez l'être humain de l'Ontario, au Canada. Nous sommes établis à Toronto.
Au cours des 15 dernières années, nous avons fourni des services essentiels à la découverte de médicaments à plus de 200 sociétés pharmaceutiques du monde entier. Nous employons environ 250 professionnels avant-gardistes de la santé ici à Toronto, à St. Louis, au Missouri, ainsi qu'à Zurich, en Suisse. Notre siège social à Toronto se concentre sur d'importants développements liés aux médicaments antirejet et antisens, ainsi que sur la lutte à la COVID. Même au début de notre nouvelle normalité, en avril 2020, nous avons fourni des données préliminaires à des entreprises comme Providence Therapeutics, qui — comme vous le savez probablement tous —, est notre propre concepteur de produit d'ARN basé au Canada.
Dans la nouvelle normalité, il est impossible de considérer séparément le libre-échange et la protection contre la COVID. Les blocs commerciaux, les déplacements sécuritaires et la santé nationale liée à la COVID sont indissociables de notre nouvelle réalité. Par exemple, nous ne pouvons pas exiger un ALENA fort sans exiger un ALENA sûr. Si le gouvernement américain souhaite entretenir une solide relation de libre-échange avec le Canada, il doit aussi s'assurer que le Canada est sécuritaire et en bonne santé. Cela signifie que les vaccins contre la COVID fabriqués aux États-Unis par Pfizer à Kalamazoo ou par Moderna doivent circuler librement au Canada, tout comme d'autres biens et services le font actuellement, un peu comme l'a mentionné notre autre témoin il y a quelques minutes.
Le Michigan devrait être traité de la même façon que l'Ontario par les États-Unis et le Canada, que nous parlions de Ford à Oakville ou de Ford à Detroit, ou Pfizer à Toronto par opposition à Pfizer à Kalamazoo ou Pfizer à New York. La libre circulation des vaccins à la frontière devrait être équivalente à la libre circulation des automobiles fabriquées par Ford. Je crois que nous avons aussi entendu l'exemple de General Motors il y a quelques minutes. Si le gouvernement des États-Unis limite la circulation de nos vaccins dans les heures les plus sombres, nous devrions nous aussi restreindre leurs livraisons de produits essentiels. La même philosophie devrait s'appliquer au Royaume-Uni et aux blocs commerciaux européens. Le libre-échange doit être lié à la libre circulation des vaccins et à la santé et la sécurité.
Comme nous le savons tous, et nous en sommes douloureusement conscients à l'heure actuelle, les taux d'infection sont à la hausse et notre économie s'affaiblit à mesure que le Canada est frappé par différentes vagues. La troisième vague ne sera pas la dernière, à moins que 80 % de la population soit vaccinée d'ici juillet 2021. La seule véritable façon de réussir est de terminer le premier déploiement des vaccins le plus tôt possible, en n'oubliant pas l'administration de la dose de rappel ou de la troisième dose, et oui je l'appelle la « troisième dose » ou la « dose de rappel ». Pfizer a déjà annoncé qu'une troisième dose est nécessaire, et nous devrions être en mesure d'essayer d'administrer cette troisième dose d'ici la fin de l'année, surtout en raison des variants préoccupants.
Notre normalité actuelle ne va pas disparaître, et elle pourrait empirer si nous ne commençons pas à établir des blocs commerciaux, associés à la sécurité, avec des pays très précis. Malheureusement, nous remontons l'histoire et nous retournons à nos racines.
Cela signifie forger de solides alliances avec le Commonwealth, les États-Unis et l'Europe de l'Ouest. Ce virus ne sera pas maîtrisé tant que certains pays ne pourront pas le contrôler, et la situation pourrait durer jusqu'à cinq ans. Je sais que c'est un message douloureux, mais c'est ce que je pense actuellement selon que l'on peut observer tant chez nos clients sur les marchés internationaux que chez nos partenaires dans le développement de médicaments.
Nous devons limiter le commerce et les voyages avec les pays qui n'arrivent pas à contrôler leur taux d'infection, surtout dans le cas des variants préoccupants. Oui, je propose d'interdire les voyages dans certains pays de l'Amérique du Nord, de l'Asie, du Moyen-Orient et de l'Amérique du Sud jusqu'à ce que ces pays puissent démontrer qu'ils ont un taux d'infection peu élevé. Nous avons vu dans les médias que nous parlons de limiter les voyages en provenance de certains pays — je pense que vous êtes tous au courant — et oui, cela signifie aussi qu'il faut adopter des mesures de contrôle draconiennes pour les personnes qui se rendent dans ces pays précis et qui veulent revenir au Canada. Ce n'est pas la souche actuelle de la COVID-19 qui devrait nous préoccuper, mais la nouvelle COVID-21 qui se développe dans les pays qui ne contrôlent pas les éclosions. Nous devons planifier en conséquence.
Nous devons commencer à regarder vers l'avant, dans le pare-brise plutôt que dans le rétroviseur, parce que jusqu'à maintenant, nous avons considéré les données des années passées et non celles de l'avenir. Notre intérêt principal devrait porter sur les nouveaux variants préoccupants liés aux mutations — notamment ceux de la lignée B.1.617 — et ne soyez pas surpris si, dans un mois ou deux, nous commençons à entendre parler d'autres variants que les scientifiques commencent à détecter. Nous devons penser à l'avenir et développer ces contre-mesures avant même que le virus nous impose de nouveaux problèmes. Par exemple, le B.1.617 ne fait même pas l'objet de surveillance dans certains laboratoires de l'Ontario bien qu'il soit plus contagieux et plus mortel que les autres variants préoccupants.
Il s'agit d'une nouvelle maladie, et ces mutations peuvent entraîner d'autres problèmes. D'autre part, les vaccins ne sont pas efficaces à 100 % contre certaines de ces mutations graves, et nous ne pouvons donc pas régler tous ces problèmes en augmentant la capacité liée à la technologie existante, surtout lorsque nos plus proches alliés devraient pouvoir nous fournir des vaccins dans le cadre du libre-échange. Au moins deux ou trois ans seront nécessaires pour accroître la capacité liée aux technologies anciennes ou actuelles; nous pouvons certainement aller plus vite en achetant des doses actuelles de Pfizer, de Moderna, de Johnson & Johnson et d'AstraZeneca. Ces sociétés ont la capacité et elles sont en train d'accélérer la cadence. Essayons de trouver des moyens dans le cadre des blocs commerciaux d'obtenir ces vaccins pour notre pays, parce que c'est important pour nos alliés et pour nous-mêmes.
Pour y arriver, nous devons avoir des partenaires commerciaux qui appuient et favorisent un Canada sain et libre. Nous devons toutefois prendre les devants et aider les innovateurs canadiens à développer une solution à base d'ARN de prochaine génération pour les variants préoccupants qui se transforment en nouvelles souches. C'est à cela que doivent servir nos investissements: à nous préparer à la COVID-21 ou à la COVID-22. Notre sécurité et notre économie en dépendent vraiment. Appuyons le travail des développeurs canadiens d'ARN de façon à ce que la technologie soit mise au point au Canada, et nous pourrons ensuite choisir des possibilités de sous-traitance, au Canada ou à l'étranger — mais surtout dans notre zone de libre-échange —, pour fabriquer des produits novateurs.
Merci.
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Bonjour. Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité, de m'accueillir aujourd'hui.
Je m'appelle Jesse Whattam. Je suis ici à titre de représentante du Réseau pour le commerce juste, une coalition d'organisations environnementales, de la société civile, autochtones, syndicales et de justice sociale qui a été fondée en 2010 pour réclamer un nouveau régime commercial mondial fondé sur la justice sociale, les droits de la personne et la durabilité.
Nous comptons parmi nos membres le Congrès du travail du Canada, Unifor, le Syndicat canadien de la fonction publique, le Syndicat des Métallos, le Centre canadien de politiques alternatives et le Réseau action climat Canada, pour n'en nommer que quelques-uns.
Depuis le début de la pandémie, les dirigeants mondiaux ont beaucoup parlé que la solidarité mondiale était nécessaire que nous puissions tous traverser cette crise sanitaire qui n'arrive qu'une fois par siècle. Notre fut l'un des premiers à réclamer un accès mondial égal aux technologies médicales de lutte contre la COVID-19. Avec le temps, les appels à l'unité ont été suivis par un manque d'engagement décevant de la part de nombreux pays riches, y compris le Canada.
Aujourd'hui, je voudrais concentrer mon exposé sur le fait que nous sommes tous d'accord qu'il faut vacciner les gens le plus rapidement et le plus équitablement possible, et que la production actuelle n'a pas été à la hauteur. Deuxièmement, même s'il ne s'agit pas d'une solution miracle, la dérogation à l'Accord sur les ADPIC permettrait de réaliser des progrès vers la réalisation de cet objectif et d'augmenter le levier dont disposent les gouvernements pour traiter avec les grands fabricants de vaccins subventionnés par l'État. Troisièmement, la « troisième voie » et les flexibilités actuelles offertes par l'Accord sur les ADPIC sont tout simplement insuffisantes, comme l'expérience canadienne l'a démontré.
Au cours des derniers mois, le Réseau pour le commerce juste a travaillé avec d'autres organisations de la société civile pour demander au Canada d'appuyer la dérogation. Des gens de partout au pays, de tous les secteurs et de tous les milieux ont participé. Nous avons organisé des tables rondes et des réunions, et nous avons écrit des lettres et des articles. Nous avons récemment déposé une pétition à la Chambre des communes, et nous attendons une réponse. Le mois dernier, nous avons écrit une lettre à votre comité et au au nom de 40 organisations de la société civile qui représentent des centaines de milliers de Canadiens.
En tant que coordonnatrice de ce réseau, j'ai parlé de cette dérogation avec beaucoup de gens de partout au pays. Il me semble très clair que les Canadiens sont favorables à son adoption pour la communauté internationale. Il y a un solide consensus sur le fait que le scénario du statu quo ne réglera rien. Je peux encore entendre toutes les personnes à qui j'ai parlé, et c'est un peu là où je veux en venir aujourd'hui.
Lorsque la pandémie a éclaté, le développement des vaccins, et même l'augmentation initiale des capacités de production, a été très rapide. Cependant, aujourd'hui, nous sommes confrontés à une pénurie créée par les contraintes de fabrication, les obstacles à la chaîne d'approvisionnement et la mise en réserve de vaccins.
Aujourd'hui, la vaccination dans les pays aux revenus les plus élevés est 25 fois plus rapide que dans les pays à faible revenu. Sur les 800 millions de doses de vaccin qui ont été administrées à l'échelle mondiale, plus de 83 % l'ont été dans des pays à revenu élevé ou à revenu intermédiaire supérieur, et seulement 0,2 % l'ont été dans les pays à faible revenu. Cette inégalité dans la distribution mondiale signifie qu'il faudra plus de 4,6 ans avant d'atteindre l'immunité collective mondiale, et le fait est que nous ne sortirons pas de cette pandémie tant que nous ne l'aurons pas tous atteint.
Pour répondre à cette demande mondiale sans précédent, des solutions doivent atténuer les limites immédiates de l'offre, et nous devons également mettre en place des conditions permettant à des solutions à plus long terme d'assurer l'augmentation et la diversification de la capacité de fabrication et d'approvisionnement. Pour y arriver, il faut permettre et développer des capacités locales à l'échelle mondiale afin de contribuer de façon indépendante à un système d'approvisionnement mondial plus durable, en particulier dans les pays à revenu faible et intermédiaire.
Les principaux développeurs de vaccins pourraient actuellement partager ouvertement leur propriété intellectuelle et transférer leur savoir-faire et leur technologie, mais jusqu'à présent, cela n'a pas été suffisant. Même lorsque l'OMC encourage les sociétés à accorder davantage d'autorisations à d'autres pays, elles n'ont aucune envie de le faire parce qu'elles n'y voient pas de profits. Il est clair que l'approvisionnement mondial ne devrait pas et ne peut pas dépendre des impératifs commerciaux et des droits exclusifs des sociétés pharmaceutiques qui possèdent cette technologie. Les impératifs en matière de santé et de propriété intellectuelle ne cadrent pas toujours ensemble. Dans le cas de cette pandémie mondiale, nous le constatons dans l'extrême inégalité observée dans l'accès aux vaccins.
D'autre part, le modèle de bienfaisance utilisé ne peut pas combler le fossé fondamental entre les monopoles des sociétés pharmaceutiques et les demandes exprimées par les pays en développement et les pays les moins avancés qui veulent assurer eux-mêmes leur production.
À l'heure actuelle, le Canada permet aux grandes sociétés pharmaceutiques de prendre la majeure partie des décisions liées à l'approvisionnement mondial en vaccins et au système de distribution, participant à la concurrence à l'accès à un approvisionnement limité et abandonnant des milliards de personnes, surtout dans l'hémisphère Sud. Nous pourrions réorienter cela en combinant les efforts vers le renforcement de la capacité de production mondiale.
La proposition à l'OMC, parrainée initialement par l'Afrique du Sud et l'Inde, est une étape importante dans la création d'un espace politique qui accélérera la fabrication, la mise à l'échelle et l'approvisionnement des vaccins contre la COVID et d'autres technologies. Cela signifierait que les pays membres de l'OMC n'auraient pas à accorder des autorisations ou à faire respecter des brevets et d'autres droits de propriété intellectuelle sur les vaccins contre la COVID-19 et d'autres technologies. En éliminant ces obstacles et restrictions, les États membres, les scientifiques et les fournisseurs pourront travailler ensemble sans craindre d'être exposés à des poursuites et à des sanctions commerciales en vertu de l'Accord sur les ADPIC.
Comme d'autres et moi l'avons déjà dit, ce n'est pas une solution miracle et ce n'est pas le seul défi, mais c'est une option juridique importante dont les pays ont besoin. La renonciation temporaire aux droits de propriété intellectuelle pertinents qui, à l'heure actuelle, ne fait que renforcer les monopoles est une mesure importante, et le Canada ne devrait pas s'y opposer.
De plus, le Canada prétend que les marges de manoeuvre prévues dans l'Accord sur les ADPIC, comme celles relatives à la délivrance de licences obligatoires pour la fabrication de médicaments brevetés, sont suffisantes. Bien que cet Accord intègre déjà un certain nombre de mesures à la disposition des pays pour protéger la santé publique et améliorer l'accès, ces marges de manoeuvre n'ont pas été conçues pour faire face à une pandémie mondiale et n'ont pas une efficacité suffisante dans le contexte actuel. Il ne s'agit pas de choisir entre une solution et une autre. Leurs utilités ne sont tout simplement pas suffisantes.
D'une part, ces renonciations ne sont accessibles qu'au cas par cas, ce qui peut prendre des années à régler. Pour pouvoir faire face à la COVID, il faut que les substances couvertes par un brevet exclusif et par d'autres demandes de propriété intellectuelle, dont l'emploi est soumis à des restrictions, deviennent accessibles et abordables dès maintenant.
Plus d'un an après le début de la pandémie, cette approche consistant à vouloir poursuivre les affaires comme à l'habitude, en s'en remettant aux licences volontaires, secrètes, limitées et restrictives, n'a pas permis de relever le niveau de compétence mondiale ni la capacité de production en garantissant un accès équitable aux vaccins.
À l'heure actuelle, les sociétés pharmaceutiques considèrent et traitent la technologie et les connaissances en matière de vaccins comme des propriétés privées, même si les contribuables leur ont versé 100 milliards de dollars au titre de la recherche et du développement des technologies. Le contribuable que je suis n'apprécie pas du tout que la recherche ait utilisé des fonds publics et qu'elle soit maintenant accaparée par quelques entreprises qui en profitent pendant que des membres de ma famille, les communautés et les gens les plus pauvres et les plus marginalisés, dans le Canada et dans le monde, en souffrent profondément. Comme l'a dit le directeur d'Oxfam, « Ce n'est pas là une occasion pour les entreprises privées de faire des profits, c'est une urgence de santé publique ».
Les priorités et les impératifs que nous observons dans les entreprises sont manifestes et ne sont en rien surprenants. D'une part, les sociétés pharmaceutiques concernées continuent de rejeter l'initiative C-TAP de l'OMC qui vise à partager le savoir-faire, en allant à certains moments jusqu'à la qualifier de dangereuse.
De plus, lors d'une réunion de l'OMC plus tôt ce mois-ci, Pfizer et Moderna ont déclaré qu'ils ne partageraient pas leurs technologies des vaccins à ARNm avec des entreprises de vaccins des pays en développement en prétendant qu'elles sont beaucoup trop complexes et nécessitent beaucoup de matières premières, ce qui, au-delà de la nature condescendante évidente, est également faux. Plus des deux tiers des membres de l'OMC demandent cette renonciation temporaire aux droits de propriété intellectuelle en raison de capacités de production inexploitées actuellement. Les sociétés de vaccins de l'hémisphère sud, dont Bharat Biotech en Inde et Aspen en Afrique du Sud, pour ne citer qu'elles, ont fait savoir de quelles capacités de production elles disposent.
En outre, cette semaine, la People's Vaccine Alliance a calculé qu'au cours des 12 derniers mois, Pfizer, Johnson & Johnson et AstraZeneca ont versé à leurs actionnaires 26 milliards de dollars sous forme de dividendes et de rachats d'actions. Ce montant permettrait à lui seul de vacciner au moins 1,3 milliard de personnes, soit la totalité des populations africaines.
Je pense que quelques-uns de ces exemples mettent en lumière les paramètres qui vont de pair avec le statu quo, mais qui ne vont en rien contribuer à la sortie de cette crise.
J'en ai entendu certains prétendre que le secteur privé est plus efficace et conduit à plus d'innovations, mais les preuves indiquent le contraire. Au cours des premiers mois de la pandémie, nous avons vu le modèle dit de la « science ouverte » à l'oeuvre. Il a débouché rapidement sur des innovations grâce au financement public. Il existe des structures et des exemples qui montrent que, sans droits de propriété intellectuelle, il est possible de mettre en place un réseau mondial de recherche sur les vaccins et de production de ceux-ci. Bien que ce ne soit pas facile, c'est possible.
Au cours des 50 dernières années, le vaccin contre la grippe a été produit par un réseau mondial de professionnels de la santé qui surveillent les souches émergentes d'un virus et mettent à jour périodiquement la formule de vaccination contre celui-ci, ce qui, je crois, est une formule différente, mais la structure existe. Ils mettent ensuite ces informations à la disposition des entreprises et des pays du monde entier, et à celle d'un réseau de laboratoires implantés dans 110 pays différents, financés presque exclusivement par les gouvernements. Cela se fait sans aucune considération de propriété intellectuelle. La différence ici est que l'impératif est uniquement de protéger les personnes, pas de faire des profits, et cela permet de développer les moyens pour ajuster le vaccin aux réalités de la saison et de partager ces informations avec un réseau de producteurs.
C'est possible; il faut juste la volonté de le faire.
Pour terminer, nous savons qu'il y a d'autres solutions que la dérogation, qui n'est pas une solution miracle. Il est certain qu'il y a d'autres défis, mais cela aiderait à faire monter la fabrication en puissance et à fournir des outils médicaux pour lutter contre la COVID-19 à travers le monde. Cela pourrait également aider à renforcer les capacités en cas d'autres pandémies contre lesquelles les scientifiques de la santé publique nous ont mis en garde.
Il est moralement inacceptable que les dirigeants des pays riches permettent à quelques entreprises de garder la technologie et le savoir-faire des vaccins sous clé, en vendant leurs doses en nombres limités à ceux qui peuvent les payer au prix fort lorsque les gens meurent. Le Canada doit participer à l'effort mondial pour sauver des vies, sans y faire obstacle. Par conséquent, nous demandons au gouvernement canadien de bien vouloir soutenir immédiatement cette dérogation.
Je vous remercie.
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Il s'agissait de licences accordées volontairement.
Ce sont les sociétés pharmaceutiques qui ont décidé de donner des médicaments aux gens qui en avaient besoin rapidement dans le cadre de ce qu'on appelle des programmes d'accès. Certains de ces programmes ont reçu l'appui de la Fondation Clinton et d'autres du Plan d'urgence du président des États-Unis pour la lutte contre le sida ou PEPFAR, si vous connaissez ces mécanismes.
Une fois le mécanisme de distribution mise en place depuis un certain temps, on passe à l'attribution des licences. Comme je l'ai dit auparavant, ces licences ne portaient pas au début sur les médicaments de dernière génération, mais plutôt sur ceux d'une ou deux générations auparavant. Le traitement ainsi offert était efficace sans pour autant être au niveau de celui qui allait être mis en marché. Il fallait commencer par assurer la formation des gens, et les faire venir du monde entier dans les centres de formation. Il a ensuite fallu convaincre les détenteurs de brevets que les sociétés indiennes et sud-africaines n'allaient pas laisser fuir des informations parce qu'elles exportaient vers les pays développés. Vous ne vouliez pas que les médicaments contre le VIH fabriqués en Inde se retrouvent sur les rayons des pharmacies d'Amsterdam ou de San Francisco parce que les entreprises s'efforçaient encore de couvrir leurs coûts.
C'est l'un de ces problèmes auxquels nous devons faire face et qui donnent une vision un peu différente et un peu bizarre du monde dans les conversations qui ont cours actuellement à Genève et celles auxquelles nous sommes habitués au Canada. Lorsque nous avons mis sur pied notre industrie des génériques au Canada, nous avons également facilité l'apparition d'une entreprise très puissante, au point que nous payions plus cher pour les médicaments génériques au Canada que dans d'autres pays. Nous payions même moins pour le médicament de marque, mais plus pour le médicament générique.
De même, dans le cas de l'Afrique du Sud et de l'Inde, nous avons créé Aspen en Afrique du Sud et, en Inde, quand on analyse soigneusement la situation, on observe que diverses entités détiennent des monopoles. Quand quelqu'un veut produire un médicament en Inde, il va le plus souvent à Serum et, en Afrique du Sud, il ira à Aspen. Vous devez vous demander ce que vous faites réellement lorsque vous ôtez un médicament d'une entreprise de marque ou innovante pour le faire fabriquer par un monopole local dans un autre pays. C'est un aspect des choses auquel nous n'avions pas nécessairement à réfléchir il y a 20 ans. Le problème avec la propriété intellectuelle est que vous essayez de vous protéger contre les fuites et que vous n'emportez pas avec vous le produit à la toute pointe de la technologie, car vous n'avez d'autre choix que de déplacer dans le monde des gens en mesure de transférer leur savoir-faire aux autres. Il n'y a pas que les brevets qui sont en jeu. Le savoir-faire l'est aussi et cela englobe tout ce qui implique les assemblages de composants chimiques.
J'ai entendu l'intervention du dernier représentant du Trade Justice Network, et j'ai une immense sympathie pour son point de vue, mais nos commentaires relèvent de deux mondes différents. Prendre ces vaccins à ARNm qui n'existaient même pas il y a 12 mois et les partager dans le monde… Nous ne pouvons même pas obtenir les intrants. Nous avons des blocages au niveau des intrants dont nous avons besoin pour fabriquer les produits en Inde et en Europe. Nous allons maintenant construire d'autres installations pour en alimenter l'Inde et l'Afrique du Sud.
Ça sonne bien, mais ça ne marche pas.
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Il est important, selon moi, de garder deux éléments distincts à l'esprit.
Le premier est que l'Accord sur les ADPIC existant de l'OMC prévoit une exception qui permet aux pays de recourir à des licences obligatoires. C'est pourquoi notre droit le prévoit aussi. L'Afrique du Sud et l'Inde pourraient invoquer l'octroi de licences obligatoires.
Ensuite, la question de la dérogation est légèrement différente. Le Canada pourrait accorder des dérogations. Comme il l'a fait au début de cette pandémie, il pourrait obtenir une dérogation qui lui permettrait d'avoir une licence obligatoire pour les traitements ou les vaccins contre la COVID-19, mais pour son marché intérieur.
La dérogation nous permettrait d'exporter vers un autre pays. Il s'agit, en fait, de savoir si nous avons une entreprise canadienne prête à renoncer à ce droit pour qu'on puisse exporter vers des pays en développement. Ce qui est curieux avec la dérogation, c'est qu'elle ne facilite pas autant le transfert de technologie qu'on le croirait à première vue.
Le deuxième élément à garder à l'esprit est qu'on assiste actuellement à la concession volontaire de licences. Rappelez-vous, le Serum Institute of India, qui aime à se présenter comme le plus gros producteur de vaccins du monde, fabrique celui d'AstraZeneca ou le produit de Verity Pharmaceuticals sous licence en Inde. Il me semble qu'Aspen va fabriquer le vaccin de Johnson & Johnson en Afrique du Sud. C'est à ces entreprises qu'on s'adresse en priorité. Par conséquent, si vous vous trouviez en Afrique du Sud, que vous décidiez d'accorder une licence à quelqu'un et qu'Aspen fabrique déjà le vaccin de Johnson & Johnson, je ne sais pas vraiment vers qui vous vous tourneriez en Afrique du Sud. Si vous choisissez Aspen, elle pourrait prendre encore plus d'ampleur et finirait par fabriquer les vaccins de Johnson & Johnson, de Pfizer et des autres.
En plus, il y a d'autres questions qu'on ne se posait pas il y a 20 ans, mais maintenant, le temps a passé et je crois que nous savons que nous sommes... Prenons le Serum Institute. Au départ, il a obtenu la licence de fabrication du vaccin d'AstraZeneca destiné à la vente dans les pays les moins avancés, mais il le vend au Canada et il parle de le vendre à l'Europe qui n'en reçoit pas assez par ailleurs. Ce n'était pas l'idée quand nous avons commencé à parler d'accorder des licences à ces pays.
Nous vivons dans un tout autre monde. À mon avis, le transfert de technologie occupe une place importante. Nous l'avons vu. C'est pourquoi Aspen et le Serum Institute existent. La question est de savoir si on ferait de même pour quelque chose qui n'existait pas il y a un an encore et qu'on ne parvient pas à produire régulièrement, comme on le voit à la une des journaux au sujet de Johnson & Johnson à Baltimore ou d'AstraZeneca dans son usine belge. Ce sont des procédés délicats. Que se passe-t-il si une erreur est commise, que toute la planète le voit sur CNN et que personne ne veut plus de ces vaccins?
Tout a l'air bien beau, mais nous ne sommes pas tout à fait au bout de nos peines. Il se peut que les choses se règlent quand la technologie sera plus normalisée.