Nous en sommes à la 36e séance du Comité permanent du commerce international.
Cette séance a lieu conformément à l'ordre de renvoi du 25 janvier 2021 et à l'ordre de renvoi envoyé au Comité le 10 mars 2021.
Le Comité reprend l'étude du projet de loi , Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l'offre).
Aujourd'hui, nous avons le plaisir d'accueillir les porte-parole du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, ainsi que d'Affaires mondiales Canada.
Les témoins du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire sont Marie-Noëlle Desrochers, directrice exécutive par intérim, Division de la politique commerciale stratégique, et Aaron Fowler, négociateur en chef pour l'agriculture et directeur général, Accords commerciaux et négociations.
Le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement nous envoie Doug Forsyth, directeur général, Accès aux marchés, et Kevin Thompson, directeur exécutif, Accès aux marchés et recours commerciaux.
Vous avez comparu maintes fois devant notre Comité; donc, nous vous connaissons bien.
Monsieur Forsyth, vous avez la parole.
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Merci, madame la présidente et distingués membres du Comité. Merci de l'invitation à comparaître devant le Comité permanent du commerce international dans le cadre de son examen du projet de loi .
Le projet de loi a pour objet de modifier la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement afin que le gouvernement du Canada ne puisse prendre d'engagement, par traité international, qui aurait pour effet d'augmenter les contingents tarifaires ou de réduire les taux tarifaires hors contingent pour les produits laitiers, la volaille ou les œufs.
L'intention du projet de loi est conforme à la politique de longue date du gouvernement du Canada qui vise à défendre l'intégrité du système canadien de gestion de l'offre.
J'aimerais vous faire part de certaines considérations touchant cette modification proposée à la loi du ministère.
En premier lieu, en introduisant des objectifs de politique précis, les modifications proposées changeraient fondamentalement la nature de la loi habilitante du ministère. La loi est un texte d'organisation qui définit, en termes généraux, les attributions du , de la ministre du Commerce international et de la .
Elle ne prescrit pas d'objectifs de politique particuliers. Ainsi, la loi fixe un cadre qui donne au gouvernement la possibilité de mettre en œuvre sa politique étrangère, de commerce international et de développement sans avoir à modifier la loi sous-jacente; elle couvre donc les perspectives de politique que les différents gouvernements peuvent apporter à la gestion des affaires étrangères au fil du temps.
Par exemple, pour les négociations commerciales internationales, l'alinéa 10(2)c) de la loi stipule que le mène les négociations internationales auxquelles le Canada participe. L'article 13 de la loi précise les obligations particulières de la ministre du Commerce international, qui sont notamment de faciliter, par voie de négociations, la pénétration des denrées, produits et services canadiens dans les marchés extérieurs.
En second lieu, les objectifs précis de la politique étrangère, de commerce international et de développement, y compris la façon de traiter des intérêts sectoriels ou les préoccupations particulières des intervenants, sont généralement établis ailleurs. Pour les négociations commerciales internationales, les objectifs de négociation et la façon de traiter les intérêts sectoriels particuliers sont établis dans les mandats de négociation approuvés par le Cabinet. Cela permet au gouvernement du jour d'adapter ses objectifs stratégiques à l'évolution de la situation internationale.
En troisième lieu, le Parlement a le dernier mot sur le résultat de toute négociation commerciale internationale. Au bout du compte, c'est le Parlement qui décide d'adopter ou non la loi nécessaire à la mise en œuvre d'un accord de libre-échange. Par ailleurs, les accords commerciaux feront désormais l'objet d'une surveillance parlementaire encore plus grande. La politique actualisée sur le dépôt des traités augmente la transparence des négociations commerciales et donne aux députés de nouvelles occasions de se pencher sur les objectifs et les avantages des nouveaux accords de libre-échange. La nouvelle politique comprend le dépôt d'un avis d'intention de négocier un nouvel accord de libre-échange, de même que les objectifs des négociations et, enfin, une évaluation des retombées économiques.
En quatrième lieu, la modification de la loi habilitante que propose le projet de loi comporte des risques. En limitant la capacité du Canada de s'engager sur ces questions, cette modification inviterait nos partenaires de négociation à cibler plus étroitement leurs engagements éventuels, excluant ainsi certains enjeux dès le début des négociations, vraisemblablement dans les domaines d'intérêt commercial pour le Canada. Cela restreint les résultats possibles, empêche certains compromis et rend plus difficile la conclusion d'un accord.
Traiter des intérêts d'un secteur particulier dans la loi serait créer un précédent susceptible de provoquer des demandes de nouvelles modifications pour refléter d'autres objectifs de politique étrangère et commerciale, comme les intérêts sectoriels, ce qui restreindrait la capacité du gouvernement de négocier et de signer des accords commerciaux internationaux et, de façon plus générale, de gérer les relations internationales du Canada.
Enfin, le maintien de la nature de la loi habilitante n'a pas d'incidence sur la politique gouvernementale de défense de l'intégrité du système de gestion de l'offre ni sur la capacité des négociateurs de défendre cette position à la table de négociation.
Le gouvernement s'est engagé publiquement à ne pas faire d'autres concessions sur les produits soumis à la gestion de l'offre dans les futures négociations commerciales. De fait, le Canada a réussi à conclure 15 accords commerciaux, qui couvrent 51 pays, tout en préservant son système de gestion de l'offre, y compris ses trois piliers: le contrôle de la production, le mécanisme de prix et le contrôle des importations.
Depuis tout récemment, l'Accord de continuité commerciale Canada-Royaume-Uni protège totalement les secteurs canadiens des produits laitiers, de la volaille et des œufs et ne donne pas de nouvel accès au marché pour le fromage ou quelque autre produit en gestion de l'offre. Là où un nouvel accès aux marchés a été accordé, en particulier et exclusivement dans l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne, l'AECG, l'Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, le PTPGP, et l'Accord Canada-États-Unis-Mexique, l'ACEUM, l'accès était jugé nécessaire pour un accord qui était dans l'intérêt du Canada.
Si ces accords ont ouvert de nouveaux accès, il reste que le système de gestion de l'offre et ses trois piliers ont été maintenus. Ces résultats faisaient partie de la balance globale des concessions grâce auxquelles le Canada a maintenu un accès préférentiel aux marchés des États-Unis et obtenu un nouvel accès aux marchés de l'Union européenne, du Japon et du Vietnam et à d'autres marchés clés.
En conclusion, bien que l'esprit du projet de loi soit compatible avec la politique du gouvernement visant à défendre l'intégrité du système de gestion de l'offre du Canada, la modification de la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement que propose le projet de loi en changerait la nature et ne serait pas sans risques.
Mes collègues et moi répondrons à vos questions. Merci beaucoup.
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Merci, monsieur Forsyth, et merci aux autres témoins.
Merci, madame la présidente.
Avec des marchés différents et des conditions différentes lorsque vous négociez vos accords commerciaux, vous devez avoir de la marge de manœuvre et disposer d'options pour pouvoir conclure des accords. Je sais que le projet de loi vise en quelque sorte à mieux protéger ou à préserver la gestion de l'offre, comme M. Forsyth vient de le dire, mais il n'est pas sans comporter des risques, que M. Forsyth a également indiqués dans sa déclaration préliminaire.
Voici ce qui m'intéresse. Nous avons conclu d'innombrables accords commerciaux sans avoir à vraiment mettre en péril le système de gestion de l'offre et nous avons résisté depuis le tout début — nous avons tellement d'accords commerciaux qu'il est inutile de le rappeler à ce stade-ci. Pouvons-nous en tirer des exemples concrets susceptibles de nous éclairer sur les conséquences à long terme de la mise en œuvre du projet de loi , sachant que nous perdrons cette marge de manœuvre et que nous limiterons notre équipe de négociateurs dans les efforts qu'ils font pour conclure des accords commerciaux avec les pays de la planète?
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Je vous remercie de la question.
Madame la présidente, je vais commencer, et mes collègues se joindront peut-être à moi par la suite.
Dans une perspective de négociation commerciale, le Canada négocie depuis longtemps des accords de libre-échange et il est à l'avant-scène de la négociation d'accords de libre-échange depuis 25 ou 30 ans.
D'entrée de jeu, je vous dirai que notre système de gestion de l'offre, comme vous l'avez indiqué, n'a pas été un empêchement ni un obstacle à la conclusion de nos accords commerciaux, mais je suis d'avis que le libellé proposé dans le projet de loi pourrait certainement faire hésiter les partenaires de négociation commerciale à s'engager avec le Canada. Dans la perspective du négociateur commercial, lorsque nous entamons une négociation, nous aimons commencer avec plein de possibilités d'accès, peu importe où cela pourrait nous mener. Il est rare qu'un accord de libre-échange prévoie un accès à 100 %, mais on veut toujours au moins commencer par cette notion.
Pendant la négociation avec les divers partenaires, on constate que les intérêts sont énoncés, élaborés et rétrécis. On comprend ce qu'il y a dans l'art du possible, mais on aime ouvrir le plus large possible au début de ces négociations. Lorsqu'on part d'une fourchette très étroite de possibilités puis que celle-ci se referme, la portée des négociations et de l'accord devient beaucoup plus restreinte que ce qu'on aurait vu autrement.
Si nous devions adopter ce projet de loi tel quel, je suis bien certain que nous commencerions avec une portée de négociation beaucoup plus restreinte avec divers partenaires. Il ne serait pas inhabituel qu'ils disent: « Ça va. Le Canada a exclu ces questions. Excluons dans des questions qui intéressent le Canada ». Alors là, on parle de négocier à partir d'un plus petit gâteau, pour ainsi dire.
Je vais demander à mon collègue d'Agriculture et Agroalimentaire Canada s'il a quelque chose à ajouter.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je suis certainement d'accord sur tout ce que M. Forsyth vient de dire et m'associe à sa réponse.
Je crois que la question était de savoir si l'on a des exemples de mesures semblables imposées par certains de nos partenaires commerciaux dans le monde et quelles pourraient en être les conséquences. Je ne connais pas de lois qui empêchent nos partenaires commerciaux de discuter d'une question quelconque.
Selon moi, si une telle interdiction existait, selon le niveau d'intérêt commercial que le Canada aurait dans l'affaire visée, nous utiliserions l'étape exploratoire de nos négociations commerciales pour indiquer que nous y voyons un enjeu important à discuter dans le contexte de la négociation.
Les accords de libre-échange visent en fait à modifier le régime législatif et réglementaire de nos partenaires commerciaux afin de créer des débouchés commerciaux pour les exportateurs canadiens. Je soupçonne donc que, si nos intérêts étaient suffisamment importants pour que nous voulions discuter de l'enjeu dans les négociations, nous le ferions savoir clairement à l'étape exploratoire et que nous fonderions notre décision d'aller de l'avant ou pas dans les négociations sur ce que nous diraient nos partenaires de leur capacité de négocier sur ce point.
Pour ce qui est des exemples que je pourrais citer, je dois dire d'emblée que je n'arrive pas à penser à des interdictions semblables ailleurs.
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je remercie bien entendu les témoins, mais également les députés qui se sont joints à nous pour cette rencontre importante. Je remercie particulièrement M. Plamondon d'avoir mis en avant ce projet de loi.
Avant de commencer, j'aimerais souligner l'importance du système de gestion de l'offre, ici, au Québec, et partout au Canada. C'est important non seulement pour nos producteurs, mais aussi pour notre sécurité alimentaire. Il faut continuer d'être ouvert sur le monde et de promouvoir le commerce international, tout en protégeant ce système de gestion de l'offre. Je crois que nous avons démontré que c'était tout à fait possible.
Nous avons continuellement renouvelé cet engagement. Nous avons pu le maintenir concrètement dans le cadre du nouvel accord commercial avec le Royaume‑Uni, qui n'accorde aucun accès supplémentaire, comme vous le savez. Je l'ai répété à maintes reprises à la Chambre, pas une once de plus de fromage n'entrera au pays en vertu de cet accord.
[Traduction]
Puisque c'est à vous que je m'adresse, monsieur Forsyth, je vais passer à l'anglais.
Monsieur Forsyth, pourriez-vous nous expliquer si, à votre avis, il est nécessaire d'adopter ce projet de loi pour que le gouvernement continue de défendre le système de gestion de l'offre du Canada?
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C'est parfait, je vous remercie.
Si je comprends bien, un prochain gouvernement qui voudrait faire des concessions devrait en assumer la responsabilité politique et avoir le courage de l'inclure à son mandat et de demander l'autorisation à la Chambre au préalable.
On délègue donc du pouvoir aux députés de la Chambre. C'est cet aspect que je trouve intéressant. Je ne pense pas que cela soit en contradiction avec nos intérêts.
On a fait référence, à plusieurs reprises, à l'accord avec la Grande‑Bretagne. J'aimerais rappeler que, justement, des parts de marché qui avaient été données à l'Europe l'avaient aussi été à la Grande‑Bretagne. Il était évident qu'il ne fallait pas s'attendre à de nouvelles concessions de sa part. Malheureusement, l'accord conclu avec la Grande‑Bretagne est temporaire. Le risque de nouvelles demandes est donc toujours présent.
J'aimerais soumettre cet élément à l'attention des membres du Comité, car je pense que c'est important.
Vous avez parlé, plus tôt, des mandats de négociation. Quand un représentant du gouvernement participe à une négociation, il a un mandat du gouvernement. La loi proposée dans le projet de loi ne ferait-elle pas tout simplement partie du mandat? N'imposerait-elle pas une limite pour empêcher les représentants de toucher à la gestion de l'offre?
Est-ce que cela n'aurait pas le même impact?
On semble vouloir dramatiser le fait que ce soit une loi, mais ce pourrait tout simplement se trouver dans les directives gouvernementales. Par contre, si c'est dans cette loi, on est certain que cela y sera, peu importe le gouvernement qui sera en poste.
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Je vous remercie. Je passe à ma question suivante.
Vous dites que tous les gouvernements ont manifesté leur soutien à la gestion de l'offre. C'est vrai, mais, dans les derniers accords, tous les gouvernements ont fait des concessions, peu importe leur couleur, sauf dans le cas de l'accord avec la Grande-Bretagne, évidemment, dont on a parlé plus tôt.
Ce projet de loi a donc pour but de cimenter cela.
Quelqu'un a évoqué le danger que d'autres groupes viennent demander que leurs intérêts soient inscrits dans la loi. Est-ce qu'il n'y a pas là un peu d'exagération? Nous savons que les autres groupes ne sont pas régis par la gestion de l'offre.
Il faut comprendre que si l'on augmente les concessions, le système de gestion de l'offre ne pourra plus fonctionner à un moment donné. Pour qu'un système de gestion de l'offre fonctionne, il faut que l’on contrôle l'offre. C'est le fondement même du système.
J'aimerais vous entendre à ce sujet.
Je pose la question à M. Fowler, du ministère de l'Agriculture.
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Je pense qu'il est un peu trompeur de dire que le Parlement a le dernier mot alors que l'accord a déjà été signé, scellé et livré. Ce que le Parlement examine et ce sur quoi il se prononce, c'est la manière de mettre en œuvre l'accord dans les lois canadiennes, et s'il sera, oui ou non, mis en œuvre. C'est pourquoi j'ai commencé mon intervention en vous exprimant ma sympathie d'avoir la tâche de nous présenter ces arguments, parce que je crois honnêtement qu'ils ratent la cible.
Je pense qu'il s'agit d'un différend. J'apprécie toujours que les fonctionnaires nous donnent des renseignements de cette nature dans le cadre d'un débat, mais nous sommes engagés ici dans un débat politique. Il porte d'abord et avant tout sur le rôle du secteur canadien sous gestion de l'offre et la volonté politique qui existe ou devrait exister pour défendre ce secteur dans le cadre des accords commerciaux, nonobstant ce qui est énoncé dans le mandat qui risque d'être modifié par un futur gouvernement.
Nous avons aussi un débat — je pense qu'il s'agit d'un débat sain et pertinent, mais qui ne peut se régler par l'expertise technique — au sujet du rôle du Parlement dans la détermination des engagements internationaux le Canada va prendre en matière de commerce. En vertu de ce projet de loi, le Parlement jouerait un rôle beaucoup plus actif pour déterminer ce que les gouvernements peuvent et ne peuvent pas faire dans le cadre d'une négociation commerciale.
J'ai déjà souvent fait savoir que je suis en faveur de cela. Je ne suis donc pas d'accord avec les soi-disant objections de principe concernant le rôle que pourrait jouer le Parlement à cet égard. Je pense que le traitement réservé au secteur assujetti à la gestion de l'offre dans les derniers accords commerciaux — en particulier dans les trois que je viens de mentionner — démontre qu'il est nécessaire que le Parlement intervienne davantage parce que nous ne pouvons manifestement pas nous fier à la parole du gouvernement, même lorsqu'il dit que c'est une priorité pour lui. Même dans le cadre de l'accord commercial entre le Canada et le Royaume-Uni, nous ne pouvons pas vraiment parler d'un accès au marché, mais c'est parce que les producteurs de fromage du Royaume-Uni continuent d'avoir un accès temporaire en vertu d'accords en vigueur. Ces accords vont bientôt prendre fin. En fait, l'expiration de ces accords et le souhait du Royaume-Uni d'obtenir une part du marché canadien sont les raisons invoquées par le gouvernement pour expliquer que le Royaume-Uni serait intéressé à venir à la table pour négocier un accord futur, alors...
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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je remercie grandement les gens des ministères d'être avec nous, aujourd'hui.
Monsieur Forsyth, vous avez mentionné tout à l'heure que l'intention du projet de loi reflétait bien les mandats qui ont été confiés aux négociateurs concernant la protection de la gestion de l'offre.
Pouvez-vous nous expliquer ce qui s'est passé dans le cas de l'Accord Canada—États‑Unis—Mexique, soit l'ACEUM, non seulement pour que nous concédions un marché additionnel aux Américains, mais aussi pour que nous leur permettions de limiter les exportations canadiennes, notamment celles de lait en poudre?
Qu'est-ce qui fait que, à un moment donné, malgré ces intentions gouvernementales, les équipes de négociation vont même plus loin que des concessions qui ne sont pas prévues dans le projet de loi , comme nous l'avons devant nous aujourd'hui?
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Je vous remercie, madame la présidente.
Madame la présidente, je souhaite la bienvenue à tous les témoins ainsi qu'à mes chers amis et collègues, en particulier à notre greffière Christine Lafrance, que je n'ai pas eu l'occasion de saluer ce matin de ma magnifique province de la Colombie-Britannique.
Madame la présidente, contrairement à ce qu'a dit mon bon ami M. Blaikie — soit que M. Forsyth est ici pour défendre le gouvernement —, je pense plutôt qu'il est ici pour donner des avis professionnels et non partisans aux membres du Comité sur le projet de loi .
Ma question est pour M. Forsyth. Il a répété à maintes reprises qu'il y avait des risques. L'un de ces risques, a-t-il dit, est d'en arriver à un résultat à portée restreinte. J'aimerais qu'il nous explique plus en détail ces risques et les conséquences potentielles?
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Avec plaisir. Je vais vous expliquer plus en détail certains de ces risques et ce qui pourrait arriver si les négociations commerciales se déroulaient sans que tous les points aient été mis sur la table. J'en ai déjà parlé dans une réponse précédente, mais je suis heureux de revenir là-dessus.
Je pense que tout négociateur souhaite commencer la négociation avec le plus de points possible sur la table. Cela permet de faire des compromis et d'élargir la discussion avec son vis-à-vis afin de comprendre tout ce qui est possible de faire.
Il nous revient, en tant que négociateurs commerciaux, de nous assurer que nos partenaires comprennent quels sont les intérêts que nous défendons, où sont nos lignes rouges et ce que nous ne pouvons pas faire. Comme je l'ai dit, tout au long de ma carrière de négociateur, il a toujours été clair que les concessions faites dans le secteur de la gestion de l'offre étaient des lignes rouges. Cela faisait partie de mon mandat pour l'Accord de continuité commerciale Canada-Royaume-Uni et cela a été respecté.
Si nous commençions avec l'idée que les points sur lesquels nous devons négocier ne seront pas abordés en totalité, nous risquerions d'en arriver à un accord qui ne serait pas forcément avantageux pour les exportateurs et les producteurs canadiens. Cela pose le risque que l'accord n'offre pas au Canada tous les avantages économiques auxquels on pourrait s'attendre.
À ce jour, nous ne nous sommes jamais retrouvés dans cette situation, mais cela pourrait arriver si nous suivons la voie proposée dans le projet de loi . C'est en fait ce qui se produirait. Il est fort probable que nos partenaires commerciaux retireraient de la table un point d'intérêt pour les exportateurs et les producteurs canadiens; nous nous retrouverions alors en train de négocier un accord susceptible de ne pas être aussi avantageux pour le Canada qu'il pourrait l'être.
Je vais demander à mon collègue d'Agriculture Canada s'il veut ajouter quelque chose.
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Je vous remercie, madame la présidente.
Nous savons que, aux États‑Unis, le Congrès peut donner un mandat puisque c'est de lui que relèvent les traités. C'est dans la Constitution. En Europe aussi, c'est le Parlement qui donne les mandats. Ici, cela appartient à la Couronne, donc c'est le gouvernement qui donne les mandats, comme cela a été dit plus tôt. Déjà, c'est pas mal moins démocratique et moins transparent.
Aux États‑Unis, malgré la Constitution et le fait que le Congrès donne les mandats avant les négociations, plusieurs secteurs sont tout de même protégés par plusieurs lois, comme le secteur maritime, les achats gouvernementaux et le sucre. Des lois interdisent de toucher à ces secteurs dans les négociations.
Vous avez eu l'occasion de négocier avec les États‑Unis, ces dernières années. Ma question est très simple. Autour de la table, sentiez-vous que vous aviez devant vous des partenaires de négociations affaiblis, ayant un rapport de force ruiné, condamnés à l'avance à être les perdants?
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Merci, madame la présidente.
Dans ce cas, quelques brèves remarques. Je veux bien attendre les conseils de la greffière sur ce qu'il faut faire de la motion. Je ne demande pas de temps supplémentaire cette fois, mais il me semble que, normalement, lorsqu’un député propose une motion, dès qu'il l'a fait, le temps consacré à la motion n'est plus déduit de son temps de parole.
Comme je l’ai dit, je suis convaincu que nous avons appris ce que nous devions apprendre des fonctionnaires. La question ne dépend pas des réponses techniques qu’ils pourraient donner. C’est une question politique, une question qui concerne le rôle de l’assemblée législative dans l’établissement de la politique commerciale.
Je céderai volontiers le reste de mon temps de parole, soit environ deux minutes, je crois comprendre.
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Merci, madame la présidente.
Ma première question s’adresse à M. Forsyth.
Merci encore de comparaître devant le Comité. Je pense que vous avez été le témoin principal à la plupart des comparutions depuis que je siège au Comité — vous et le ministre, peut-être. Félicitations pour votre disponibilité.
Lorsque nous disons que nous ne pouvons jamais déclarer que nous n'aborderons pas certaines questions, au début de négociations commerciales, je comprends cette attitude, mais je suis curieux: lorsque nous avons négocié l’ACEUM, la question du bois d’œuvre n’a jamais été discutée, et le problème de la politique d’achat aux États-Unis n’a jamais été réglé non plus.
Comment les choses se passent-elles? Je ne suis pas dans le cercle des initiés. Comment en arrivons-nous là sans jamais nous occuper du bois d’œuvre ni de la politique d’achat aux États-Unis?
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Merci, madame la présidente.
Chaque fois que la question de la gestion de l’offre est soulevée, je pense aux familles canadiennes pauvres. Le lait coûte tellement cher qu'un grand nombre d'entre elles ont beaucoup de mal à en acheter. En fait, selon Statistique Canada, la consommation de lait diminue au Canada depuis 2004. Si mes chiffres sont exacts, en 2004, elle était de 85,6 litres par habitant. En 2018, elle était de 65,85 litres. C’est une diminution de près de 20 litres par habitant.
Il y a ensuite la qualité. Selon des reportages diffusés plus tôt cette année, le beurre disponible au Canada n’est plus assez mou. Il est différent de ce à quoi nous sommes habitués. On me dit même qu'il faut maintenant le passer au micro-ondes pour qu'il soit plus facile à étaler.
Ma question porte sur les accords. Notre marché s’est un peu ouvert. Nous avons conclu des accords comme le PTPGP. Certains accords nous ont permis d’importer certains produits. Il y a eu un peu d'évolution, mais disons que je veuille acheter du beurre de la Nouvelle-Zélande. Pourquoi ne puis-je pas, alors que les agriculteurs néo-zélandais sont prêts à exporter au Canada? Je sais que je ne peux pas l’importer à titre personnel.
Ma question porte sur l’administration et la répartition des importations. Pourquoi est-ce que je ne peux pas importer ces produits? Pourquoi le dépanneur local ne peut-il pas le faire? Pouvez-vous nous expliquer rapidement comment cela fonctionne?
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Merci, madame la présidente, et merci de m'avoir invité.
Lorsqu'il est question de la gestion de l'offre, cela nous rappelle qu'il s'agit davantage de familles, de collectivités et de la force de secteurs qui ont de tout temps été le fondement de nombreuses collectivités au pays. Cela va au-delà de l'argent et des marchés, et c'est pourquoi j'ai tendance à convenir avec M. Blaikie qu'il s'agit davantage d'une question politique que d'une question technique. C'est aussi un enjeu pour lequel il est nécessaire de comprendre les conséquences techniques du maintien de quelque chose qui, si l'on veut, est culturellement important pour le Canada, parce qu'il y aura éventuellement et sans aucun doute des compromis à faire.
Est-ce que l'adoption de ce projet de loi et une obstruction totale à la négociation de la gestion de l'offre fermeraient essentiellement la porte à d'autres pays, dans une très large mesure, dans le cadre de nos éventuels accords commerciaux?
Monsieur Forsyth, vous pourriez peut-être répondre à cette question.
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Je vous remercie, madame la présidente.
Je vais tout simplement poser ma question de nouveau, mais elle sera beaucoup plus simple et concise.
Je demanderais aux témoins de ne pas comparer le système constitutionnel des États‑Unis à celui du Canada ou de l'Europe, et de ne pas parler du modèle pour mandater les négociateurs.
Aux États‑Unis, une loi interdit de toucher aux opérations gouvernementales. Une autre, appelée le Jones Act, empêche de toucher au secteur maritime. Il est aussi interdit de toucher au sucre, qui est systématiquement exclu en vertu d'une entente datant de la guerre de Sécession.
J'aimerais demander aux représentants des deux ministères s'ils pensent que les Américains sont affaiblis par ces lois et que le Canada pourra avoir un meilleur rapport de force, parce que l'exclusion de certains secteurs a force de loi aux États‑Unis.
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Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
Il est important de rappeler que, si nous sommes ici, c'est parce que les producteurs de lait et les producteurs sous gestion de l'offre se fient peu ou pas aux décisions politiques des gouvernements, particulièrement celles qui ont été prises récemment par le gouvernement libéral.
Le gouvernement n'a pas arrêté de répéter ad nauseam qu'il allait protéger le système de gestion de l'offre et, à la toute fin, on s'est rendu compte qu'il avait accordé des concessions vraiment extraordinaires dans le cadre de ce système.
Je comprends l'intention du projet de loi , proposé par mon collègue M. Plamondon. Il veut empêcher qu'on crée de nouvelles brèches dans le système. Cependant, j'ai peur que l'adoption de ce projet de loi ne nuise davantage à la gestion de l'offre, parce que, comme l'a dit M. Forsyth, le fait que nous protégions un secteur va attirer l'attention des autres pays au moment de négocier.
Malheureusement, il arrivera probablement encore une fois que ce secteur se retrouve, à la toute fin des négociations [inaudible] nos négociateurs vont vouloir donner des oui et des non.
L'autre raison qui explique pourquoi les producteurs sous gestion de l'offre se fient peu aux décisions du gouvernement, c'est que, dans le cadre du dernier Accord Canada—États‑Unis—Mexique, des promesses de compensations leur ont été faites sans qu'ils n'aient encore vu la couleur du début d'un commencement d'entente sur de telles compensations, malheureusement.
Du côté d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, pouvez-vous nous dire où nous en sommes, monsieur Fowler?
Là où réside le problème actuellement, c'est que les producteurs se font dire des choses, mais que les politiciens n'assurent pas. Nous nous sentons alors obligés de proposer un projet de loi pour corriger des choses et mettre en place des barrières, qui risquent davantage, au bout du compte, d'imposer des contraintes au secteur de l'agriculture du Canada plutôt que de l'aider.
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Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
Nous avons soulevé plus tôt dans cet échange la question de l'exemption culturelle.
Bien honnêtement, je suis surprise que mes collègues les députés du Québec n'aient pas insisté sur cette question, parce que le fait que nous devions défendre l'exemption culturelle et bien d'autres questions est quant à moi essentiel à cette discussion.
[Traduction]
Ma question s'adresse à M. Fowler ou à M. Forsyth.
Étant donné que nous avons un certain nombre de secteurs défensifs — je crois que c'est ainsi que vous les avez appelés, monsieur Forsyth — et que nous essayons de protéger un certain nombre de secteurs au Canada — en particulier ceux liés à l'exception culturelle, mais d'autres aussi — avez-vous l'impression que le fait d'inclure un secteur défensif particulier dans les dispositions législatives diminue en quelque sorte l'importance, aux yeux de nos partenaires commerciaux potentiels, des autres choses que nous essayons de défendre, comme l'exception culturelle?
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Merci. Je vais peut-être ajouter quelque chose, si vous le permettez.
Comme il a été mentionné en réponse à une question précédente, les engagements du Canada dans le cadre du PTPGP sont connus. Ils sont conclus sur une base plurilatérale, de sorte qu'ils sont à la disposition de tous ceux qui adhèrent au PTPGP.
Le Canada a dit clairement qu'en ce qui concerne les pays qui ont exprimé un intérêt à avoir accès au PTPGP, la volonté de laisser ces engagements en matière d'accès aux marchés à la disposition de ces pays dépend de leur capacité à manifester un niveau d'ambition proportionnel à la table, notamment en ce qui concerne les engagements en matière d'accès aux marchés qu'ils seraient prêts à prendre envers les exportateurs canadiens.
Il s'agit d'une situation très hypothétique, mais si les États-Unis cherchaient à adhérer au PTPGP et à obtenir, grâce à cet accord, un accès supplémentaire au marché qui ne leur est pas offert dans le cadre de l'ACEUM, je pense que la première question que je poserais serait la suivante: « Qu'est-ce que le Canada obtient en échange de cela? Quel accès supplémentaire pourrions-nous obtenir sur le marché américain? »
Pour l'instant, je ne suis pas en mesure de répondre à cette question, mais je pense qu'il ne faut pas tenir pour acquis que tout pays qui adhère au PTPGP aura, par définition, accès aux engagements du Canada en matière d'accès aux marchés dans leur forme actuelle.
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Je vais peut-être commencer, puis je demanderai à mon collègue d'Agriculture Canada de vous donner plus de détails.
Si j'ai bien compris la question, vous voulez savoir si d'autres secteurs pourraient se manifester et quels pourraient être ces secteurs. Est-ce bien ce que j'ai compris?
M. Sukh Dhaliwal: C'est exact.
M. Doug Forsyth: D'accord. Merci de cette précision.
Comme nous l'avons dit, je suis certain que la plupart des secteurs surveillent la situation de près. Vous avez vu lundi, lorsqu'un certain nombre d'intervenants de l'industrie sont venus témoigner devant le Comité, que d'autres surveillaient de très près ce qui se passait.
Je le répète, nous n'avons pas de certitude quant à ceux qui pourraient être intéressés. Cependant, vous pouvez certainement voir qu'il pourrait y avoir un intérêt de la part des secteurs que nous considérons comme défensifs dans les négociations commerciales, qu'il s'agisse des industries culturelles ou des fournisseurs de services de télécommunication.
Encore une fois, je pense que l'on sait assez clairement qui pourrait avoir intérêt à être assujetti à la loi lorsqu'elle sera en place. Une fois qu'un groupe en profitera, je pense qu'il est clair que d'autres pourraient aussi avoir un intérêt. Je n'ai pas entendu parler de quoi que ce soit en particulier, mais j'imagine qu'il pourrait y avoir d'autres secteurs qui entrent en jeu.
Je vais demander à mon collègue s'il a quelque chose à ajouter.
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Je pourrais peut-être commencer, puis monsieur Fowler, si vous voulez ajouter quelque chose, vous pourrez le faire.
Il est certain que ceux avec qui nous négocions surveillent de très près ce qui se passe au Canada. Je sais que nos homologues du Royaume-Uni ont suivi avec beaucoup d'intérêt toutes les audiences de l'automne dernier jusqu'en avril. Ce qu'ils ont entendu s'est répercuté sur moi à la table des négociations, ce qui montre qu'ils ont suivi la situation de très près.
Je peux imaginer qu'au fur et à mesure que nous irons de l'avant avec d'autres partenaires commerciaux, que ce soit l'Ukraine, l'Indonésie ou les pays de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, ils auront tous un vif intérêt à suivre tout ce qui se passe au Canada, comme nous le ferions, franchement, et comme le feraient nos missions dans les divers pays avec lesquels nous négocions.
Comme négociateur, il faut avoir à portée de main le plus de renseignements possible sur votre adversaire. Tout ce que vous pouvez faire pour avoir un impact ou une influence sur votre position de négociation et ce que vous dites et faites à la table de négociation est important.
Merci, madame la présidente.
Je remercie encore les témoins d'être parmi nous pour donner un avis impartial, en tant que fonctionnaires. C'est d'ailleurs à ce titre que j'aimerais qu'ils répondent à mes questions.
On entend beaucoup dire qu'il faut se réserver l'accès à d'autres produits et que la protection de la gestion de l'offre au moyen d'une loi viendrait limiter le mandat de négociation. Or tous les politiciens disent qu'ils ne veulent pas toucher à la gestion de l'offre.
N'y a‑t‑il pas là une contradiction? Ne se raconte-t-on pas un petit mensonge en se disant qu'on veut se garder des cartes en poche tout en promettant qu'on n'y touchera pas?
J'aimerais avoir votre avis objectif de fonctionnaire sur le sujet, monsieur Forsyth.
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Je vous remercie, monsieur Forsyth.
Votre réponse me porte à croire que, au fond, on peut très bien promettre quelque chose à quelqu'un, aller négocier, s'apercevoir que l'on ne peut pas tenir sa promesse et répéter le scénario de négociation des trois derniers accords. C'est ce que j'entends.
J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'argument selon lequel on attirerait l'attention sur la gestion de l'offre.
C'est un argument assez loufoque selon lequel le fait de protéger le système de gestion de l'offre au moyen d'une loi aura pour effet d'attirer l'attention sur ce système. Or, dans la négociation des trois derniers accords, il n'y avait justement pas de loi qui protégeait la gestion de l'offre, et il y a eu des concessions importantes. On parle même de précédents.
J'aimerais rappeler, pour les archives du Comité, que la première concession a été faite sous un gouvernement conservateur. Certains pourraient donc se garder une petite gêne lorsqu'ils font des déclarations.
Au‑delà de cela, bien amicalement, j'aimerais savoir si...
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Vous me cédez du temps de parole, monsieur Blaikie! C'est vraiment gentil de votre part. Je vous en remercie.
On dit que des concessions ont été faites parce que l'on considérait que c'était avantageux. Je peux le concevoir, mais il reste que, dans l'avenir, si le système de gestion de l'offre fait l'objet d'un plus grand nombre de concessions, il va finir par cesser de fonctionner.
Je vais maintenant aborder la question de l'exception culturelle, dont la secrétaire parlementaire a rappelé l'importance plus tôt. C'est avec joie que j'entends parler de la culture. Je veux assurer à ma collègue que si nous devons voter des lois pour protéger davantage la culture, le Bloc québécois sera prêt, comme il l'est déjà, d'ailleurs, dans le cas du projet de loi C‑10. Je ferme maintenant cette parenthèse. Cela prouve néanmoins que nous pouvons protéger certains secteurs.
Je vais revenir à ma question d'origine et questionner M. Fowler à ce sujet. On parle de bloquer d'autres accès, mais j'aimerais qu'il me dise comment il interprète le fait que le bœuf canadien, notamment, n'entre pas en Europe à l'heure actuelle, alors que le fromage européen, lui, entre au Canada.