[Français]
Bonjour.
Je vous remercie d'avoir finalement accepté de parler de l'uranium appauvri. Je sais que c'est un sujet délicat. Pour moi, par contre, ce n'est pas un sujet délicat: c'est une question de survie. Je suis ici dans un seul but. Depuis toujours, les moyens de pression que j'exerce ont comme unique but d'obtenir des soins dans la dignité. Malheureusement, je suis amèrement déçu du rapport que j'ai vu, et je vais vous expliquer pourquoi.
Premièrement, j'aimerais remercier le ministre Blaney d'avoir finalement accepté de parler d'intoxication à l'uranium et de s'être engagé à une opinion. Maintenant, on a au moins un outil pour avancer, à savoir la décision du gouvernement actuel. Malheureusement, ce rapport ne dit pas ce qu'est l'uranium; il dit seulement ce qu'il n'est pas. En aucun cas le rapport ne parle des effets sur le système reproducteur. Pourtant, c'est le premier système affecté. Le Dr Gosselin, qui est un spécialiste urologue, a expliqué que le fait que je ne pouvais plus avoir d'enfant — donc ma stérilité — était directement lié à l'intoxication à l'uranium. Pourquoi, dans le rapport du Dr Morisset, ne parle-t-on strictement pas de ça?
Le rapport se dit neutre. C'est parfait, mais pourquoi les gens qui l'ont réalisé ont-ils refusé le témoignage de soeur Rosalie Bertell? Soeur Rosalie Bertell, une Canadienne, était médecin en chef pour les Nations Unies pendant la période de l'accident nucléaire à Tchernobyl. Je ne comprends pas qu'un comité neutre refuse le témoignage d'un expert de si haute qualité au Canada. C'est une sommité dans le domaine. Pour ce qui est de la neutralité, permettez-moi d'en douter.
La pièce jointe no 1, qui vous a été distribuée, explique peut-être le fait que le rapport soit incomplet. C'est un article de la Presse canadienne. On y dit que le gouvernement canadien a tendance à s'immiscer dans des sujets d'étude concernant l'écologie, l'économie et la défense. Or l'uranium touche ces trois sphères. Merci beaucoup aux scientifiques canadiens qui pensent comme moi et qui en ont parlé sur la place publique.
Le rapport du Dr Morisset stipule qu'il est peu probable que l'intoxication à l'uranium puisse causer des problèmes de santé. Je vous rappelle la Loi sur le ministère des Anciens Combattants: dans le doute, vous devez pencher en faveur du demandeur. Pour ce qui est de mon dossier personnel, j'ai eu quatre évaluations psychiatriques indiquant que je n'avais aucune maladie psychosomatique et que je ne souffrais pas de maladie mentale. J'ai une blessure liée au stress opérationnel, en effet, mais cette blessure n'explique ni ma stérilité, ni mes problèmes de santé en matière d'immunodéficience, ni mes problèmes d'ulcères chroniques dans la gorge. Aucune maladie psychosomatique ne peut affecter les reins; l'uranium, oui.
Le Dr Morisset, pendant son témoignage ici, a dit que le rapport visait à informer les vétérans. C'est parfait, mais pourquoi alors ne nous dit-on pas ce qui constitue une dose inquiétante dans le cas de l'intoxication à l'uranium? À mon avis, c'est la première question qui devrait être posée. Dans son rapport, dont il dit que le but est de nous informer, le Dr Morisset indique que les Américains offrent à l'hôpital de Baltimore des soins aux militaires américains intoxiqués à l'uranium. Pourquoi son dossier ne nous informe-t-il pas de ces soins possibles?
Je suis intoxiqué à l'uranium depuis 1996 et je le sais depuis 2000. Ça fait 13 ans que je cours partout dans le monde pour obtenir des soins. Chaque fois, les spécialistes me disent que pour le moment, la médecine n'est pas suffisamment avancée dans ce domaine et qu'on ne connaît pas bien les effets de l'intoxication à l'uranium. On me dit qu'on doit d'abord éliminer toutes les causes possibles, avant de pouvoir expliquer tout le reste par l'intoxication à l'uranium. C'est la façon dont la médecine fonctionne, d'après ce que les spécialistes m'ont expliqué.
À quatre reprises, des spécialistes canadiens différents que j'ai vus, soit à l'Hôtel-Dieu de Québec, à l'Hôtel-Dieu de Lévis, en Ontario et en Nouvelle-Écosse, m'ont dit que la seule cause pouvant expliquer mes problèmes de santé était l'intoxication à l'uranium. Or, votre rapport souligne que c'est peu probable. J'espère énormément que le ministre des Anciens Combattants va lire la partie de la loi qui dit que dans le doute, vous devez pencher en faveur du demandeur. Dans mon dossier personnel, le doute raisonnable existe. On peut le prouver, et on va s'amuser avec les médias à ce sujet, je vous le confirme. Le ministre va-t-il respecter ses propres lois ou pas? J'ai hâte de le rencontrer. Je suis vraiment inquiet.
Les Forces canadiennes se défendent fortement de ne pas avoir utilisé d'armes à l'uranium appauvri. S'il n'y a aucun problème à utiliser des armes à l'uranium appauvri, et d'autant plus que c'est beaucoup moins cher que le tungstène, pourquoi l'armée ne les utilise-t-elle pas?
Si le Canada déclare qu'il n'utilise pas l'uranium appauvri, le rapport, lui, parle uniquement des armes. Pourquoi ne parlez-vous pas du blindage réactif que nous avions en Bosnie sur nos chars Grizzli, Bison et Cougar? Au cours de cette mission, nous avions besoin de blindage supplémentaire sur nos véhicules. La seule protection qu'il y avait entre nous, membres de l'équipe qui devaient entretenir le véhicule, et les plaques de porcelaine d'uranium appauvri, c'était un canevas en tissu. Je vous confirme que lorsque nous devions conduire sur des routes non balisées, cela endommageait ces plaques de blindage et nous devions les remplacer. Par le simple fait de les enlever, nous respirions de la poussière radioactive.
Le rapport du Dr Morisset dit que certains soldats américains ont de gros morceaux d'uranium dans le corps sans que cela crée vraiment de problèmes. C'est vrai. Le problème, ce ne sont pas les gros morceaux, mais la micropoussière. Lorsqu'on respire un nuage de poussière radioactive, ça entre par les voies respiratoires. Ensuite, à partir des alvéoles pulmonaires, ces particules se propagent dans le sang, puis elles migrent du sang vers la moelle osseuse.
Je vous confirme que j'ai une maladie de moelle osseuse directement liée à l'intoxication à l'uranium, selon les quatre groupes de spécialistes que j'ai consultés. Le Dr Morisset a beau dire qu'il est peu probable que des soldats canadiens aient été intoxiqués à l'uranium. Dans les pièces jointes de mon mémoire, j'ai ajouté l'un des tests de contamination à l'uranium qu'on m'a fait passer. Vous allez voir que c'est un beau graphique. Je suis dans le rouge: je suis 61 fois plus radioactif que la limite acceptable.
Le Dr Morisset a souligné que certaines populations avaient un niveau d'irradiation assez élevé, mais en aucun cas il n'a mentionné les problèmes de fertilité ni parlé des enfants qui viennent au monde déformés et extrêmement malades. C'est directement lié à ce niveau élevé d'irradiation.
Un autre aspect extrêmement blessant de la façon dont le gouvernement canadien traite ses vétérans, c'est que le Canada a déjà reconnu les torts causés aux vétérans radioactifs qui ont servi de cobayes au projet Manhattan, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il aura fallu attendre 60 ans avant que le gouvernement du Canada le fasse, mais il a reconnu que ces vétérans du passé avaient été intoxiqués à l'uranium.
Jusqu'en 1995, des chartes de dédommagement existaient au ministère des Anciens Combattants. Vous pouvez vérifier, cela fait partie des pièces jointes que je vous ai données. Pourquoi fait-on une distinction entre les anciens vétérans et les nouveaux vétérans? Pourquoi les problèmes liés à la radioactivité de nos grands frères vétérans peuvent-ils être reconnus, alors que les nôtres, ceux des jeunes vétérans, ne le sont pas? C'est une injustice. Il y a jurisprudence. Il y a moins de deux ans, vous avez adopté une loi sur la jurisprudence. Pouvez-vous respecter vos propres lois, s'il vous plaît?
Quand vous faites des choses semblables, concrètement, on entend tout cela. Et j'étais simplement caporal dans l'armée. Que pensez-vous qu'il va advenir du niveau de confiance des militaires envers la chaîne de commandement? On nous demande d'être loyaux. Aucun militaire ne va jamais s'en plaindre, parce que la loyauté fait effectivement partie de notre métier. Or, permettez-vous parfois aux militaires de douter de la loyauté dans l'autre sens, quand ils se font dire que les anciens vétérans avaient droit à cela, mais qu'eux n'y ont pas droit? On nous dit que ce n'est pas pareil pour nous, les jeunes, que la radioactivité nous affecte moins. Je vous confirme que ce sont des mots qui font mal.
Le rapport du Dr Morisset parle des mineurs qui travaillent dans les mines d'uranium. J'espère que les mines d'uranium canadiennes ont des normes de travail suffisamment élevées pour protéger les travailleurs miniers. On sait très bien qu'ils sont dans une zone contaminée, une zone à risque. Vu que ces gens sont munis d'équipement de protection quand ils travaillent dans des zones à risque, ils ont un avantage que nous, les militaires, n'avons pas sur le terrain.
Le Dr Morisset a confirmé que nous, les militaires, n'avions effectivement aucun outil pour déterminer si nous étions ou non dans une zone contaminée à l'uranium. Le seul outil dont nous disposions, et que je vous montre ici, était un DT-60. C'est une pastille témoin qui ne nous fournit aucune lecture. Seule notre chaîne de commandement pouvait faire cette lecture lorsqu'elle analysait le dispositif. Nous avions l'ordre de le porter en tout temps sur notre plaque d'identité, ou dog tag, afin que la lecture puisse être effectuée lorsque nous revenions d'une mission.
En 1996, lorsque nous sommes revenus de mission, la lecture de tous les DT-60 a été faite, et comme par hasard, ils ont disparu. La personne qui a fait la lecture de mon DT-60 m'a dit que j'étais la personne dont le niveau de radiation était le plus élevé. Il m'a dit de garder cela, parce qu'un jour, ça pourrait me servir. Je l'ai sur moi aujourd'hui. Je ne le retire jamais. Si vous voulez la preuve de mon niveau de radiation, je l'ai ici.
En ayant recours à la Loi sur l'accès à l'information, j'ai su que les Forces canadiennes m'avaient testé pour dépister l'uranium. J'ai su que lors de mon hospitalisation à l'hôpital Sainte-Anne, à Sainte-Anne-de-Bellevue, on m'avait testé relativement à l'intoxication à l'uranium. Les deux fois, le résultat a indiqué que j'étais 61 fois plus radioactif que la norme tolérée. Pourquoi l'armée ne m'a-t-elle pas informé que j'étais intoxiqué à l'uranium? Pourquoi est-ce qu'il a fallu que j'aille du côté civil et que je m'acharne pour obtenir cette réponse? Si l'uranium appauvri ne crée pas de problèmes de santé, pourquoi nous testent-ils? Pourquoi ces tests sont-ils cachés aux militaires?
Le gouvernement canadien ne veut pas reconnaître que je suis intoxiqué à l'uranium. Quand je me suis joint aux Forces canadiennes à l'âge de 19 ans, j'étais tellement en santé qu'on m'a envoyé m'entraîner pour le biathlon. En effet, ma forme physique était si bonne qu'on me considérait comme un espoir olympique. En 2000, lorsque j'étais en mission au Timor oriental, j'ai perdu 35 livres de masse musculaire en 9 jours et je n'ai plus jamais retrouvé ma santé depuis. De la condition d'athlète, je suis passé à celle d'un handicapé, du point de vue légal.
Même si le ministère des Anciens Combattants dit que je n'ai strictement rien, comment pouvez-vous expliquer que j'aie été sorti des Forces canadienne pour des raisons médicales sans avoir fait l'objet du moindre diagnostic, que j'aie encore aujourd'hui de graves problèmes de santé et que je doive à l'occasion me déplacer en fauteuil roulant? Comment établissez-vous un lien entre le trouble de stress post-traumatique et le fait que je me déplace en fauteuil roulant? La conclusion 7 du rapport du Dr Morisset laisse entendre que les problèmes sont peut-être dans notre tête.
Le trouble de stress post-traumatique, ou TSPT, est une maladie sérieuse et importante. Pour ma part, j'ai perdu des frères d'armes qui se sont suicidés. Par contre, le TSPT n'excuse pas tout. N'oubliez pas qu'un tout est constitué d'un corps et d'une tête. Parfois, j'ai l'impression que le TSPT peut servir de diagnostic poubelle pour expliquer les problèmes auxquels on ne veut pas trop trouver de réponses.
Le rapport dit qu'il est peu probable que des militaires canadiens soient intoxiqués à l'uranium. Or après avoir terminé mes études, je suis entré directement dans l'armée. C'est le seul emploi que j'ai occupé. Pendant que j'étais dans l'armée, j'ai été testé, et les résultats ont été positifs pour l'uranium. Comment expliquez-vous cela? Comment pensez-vous que j'aurais pu me retrouver avec ce taux de radiation dans le corps autrement que dans l'armée?
On sait très bien que la base de Valcartier et celle de Longue-Pointe ont fait des appels d'offres publics pour décontaminer des entrepôts contaminés par des métaux lourds, entre autres l'uranium appauvri. Au fait, j'ai obtenu l'information concernant les entrepôts sur Internet grâce à la Loi sur l'accès à l'information. Si je l'ai trouvée, je crois que tout le monde peut le faire.
Après ma grève de la faim, le ministre des Anciens Combattants m'a promis des soins adaptés à ma condition. J'attends toujours. Quelle est ma condition? Quels soins peut-on m'offrir? La seule chose qu'on m'ait offerte, ce sont des soins de psychiatrie, mais on n'a jamais pu me dire quel était le but du plan de soins. Après 10 mois de réadaptation sans le moindre but, j'avais l'impression de gaspiller des fonds publics. J'ai alors demandé qu'on interrompe ce traitement. En effet, je trouvais gênant qu'on fasse venir une personne deux fois par semaine pour qu'elle fasse une marche avec moi. Cette personne devait partir de Montréal pour venir à Québec et retourner ensuite à Montréal. C'était une dépense de fonds publics que je trouvais gênante au point de ne pas vouloir assumer cette situation.
Je tiens à préciser une chose: tous les spécialistes que j'ai consultés au sujet l'intoxication à l'uranium en sont venus à la même conclusion. L'intoxication à l'uranium est un problème de santé qui n'est pas connu à l'heure actuelle, au même titre que le sida à la fin des années 1970.
Malheureusement, il n'existe présentement pas d'outils réels pour nous aider. Selon les études de Rosalie Bertell, ancienne médecin-chef des Nations Unies, la seule chose qu'on peut faire concrètement et qui peut nous aider est de boire de l'eau distillée.
À partir de là, le ministère des Anciens Combattants a reconnu que je souffrais de fatigue chronique, de douleur chronique et de fibromyalgie. Pourquoi n'ai-je pas de soins pour ces symptômes? On peut tout nier, mais que fera le ministère pour nous aider à nous sentir mieux? Il y a un petit côté de responsabilisation à établir.
Monsieur le président, le temps qui m'était alloué est-il écoulé?
Malheureusement, Rosalie Bertell est maintenant décédée, mais son équipe continue à travailler dans le même sens. Elle continue ses recherches. J'ai eu la chance de communiquer avec Rosalie Bertell par l'entremise d'Internet. Je lui ai écrit et, à ma grande surprise, elle m'a répondu personnellement. Elle m'a dit qu'à plusieurs reprises, elle avait fait parvenir au gouvernement canadien des rapports sur l'intoxication à l'uranium, mais qu'ils avaient tous été ignorés.
Comme je l'ai dit plus tôt, elle m'a conseillé de boire énormément d'eau distillée, précisément pour ralentir l'effet dégénératif causé par l'intoxication à l'uranium appauvri. Elle m'a dit qu'au départ, quand on respirait la poussière radioactive, celle-ci se logeait dans les alvéoles pulmonaires pour se retrouver ensuite dans le système sanguin. Si l'armée m'avait fait subir une dialyse dans les six mois qui ont suivi la mission en Bosnie, j'aurais toujours la chance d'être au service de mon pays aujourd'hui, en parfaite santé. Malheureusement, ça n'a pas été fait. On n'a pas filtré mon sang.
L'uranium appauvri, au même titre que le mercure et les autres métaux lourds, ne s'élimine pas du corps humain. Avec le temps, il se dépose donc dans la moelle osseuse. C'est à partir de ce moment que le système immunitaire et le système reproducteur commencent à être sérieusement touchés. Je lui ai dit que j'avais déjà été fertile, que j'avais en effet déjà fécondé une demoiselle, mais que j'étais maintenant stérile à 100 %, de façon irréversible. Je lui ai demandé si elle croyait que ça pouvait être dû uniquement à l'uranium, et elle m'a répondu oui. Elle m'a même dit que dans des zones contaminées comme en Irak, on voyait énormément de problèmes relatifs à la naissance.
Elle m'a dit aussi qu'à Sarajevo, le nombre de cas de cancer et de leucémie était anormalement élevé et que ça pouvait s'expliquer par cela également. Elle m'a dit que l'ogive d'uranium appauvri était extrêmement dangereux en arrivant au sol, même s'il n'était pas éclaté. En effet, quand l'uranium est dans l'air ambiant — et le rapport du Dr Morisset n'en parle pas —, il y a un niveau de corrosion très élevé. Cette corrosion se fait très vite et le métal se transforme rapidement en poussière. Cette poussière, qui est radioactive, peut alors se déplacer au gré des vents. Or le hasard a probablement voulu que je respire cette poussière.
Quand je lui ai demandé pourquoi j'étais plus infecté que d'autres, elle m'a répondu que si quatre personnes buvaient six bières, elles seraient toutes contaminées par l'alcool, mais pas de façon égale. Malheureusement, j'ai une constitution fragile relativement à la radioactivité; je réagis plus fort que les autres. Ça m'a endommagé le système davantage qu'eux. Elle m'a aussi dit que le fait d'avoir été très malade dans la jungle — j'ai en effet contracté la maladie de Lyme ou la dengue, ou les deux, je ne m'en souviens plus — avait complètement affaibli mon système immunitaire et qu'à cause de cela, l'uranium avait réussi à garder mon niveau de santé très bas.
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Merci, monsieur le président. Je m'excuse d'avance auprès de ceux que mes propos vont offenser.
J'ai vraiment le visage d'un Aryen. J'ai été partenaire d'un soldat canadien d'origine croate. Nous avons fait beaucoup d'infiltration. À plusieurs reprises, j'étais habillé en civil et nous devions nous promener dans certains secteurs pour reconnaître certains visages, faire de la reconnaissance passive, etc. Je me suis donc beaucoup promené, j'ai volé des véhicules, des armes et de l'équipement d'autres armées. J'ai dû m'habiller en soldat des autres armées et je me suis infiltré dans des camps. Par conséquent, je ne pourrais pas dire avec précision où je suis allé, quand c'était ni ce que j'ai vu. C'est très vague. Je me suis beaucoup promené. Nous n'avions pas toujours des cartes géographiques et nous ne sommes pas allés dans les plus beaux endroits.
Parallèlement à ce genre de missions, je faisais mon devoir normal de soldat. Quand nous étions affectés à certaines tâches et que l'adjudant venait nous rencontrer pour nous dire qu'il avait besoin des « deux pas fiables », nous savions ce qui nous attendait. Officiellement, nous étions partis en vacances ou en congé de maladie, et tout ce que faisions n'était jamais noté.
Quand nous avons ouvert la place à Titov Drvar, j'ai vécu la pire situation de ma vie. Nos convois de ravitaillement ont été attaqués et des gens de la logistique ont été pris en otage. Par conséquent, pendant l'hiver, nous n'avions plus de ravitaillement. À un moment donné, l'adjudant a demandé à ses « deux pas fiables » d'aller chercher de la nourriture pour nourrir le peloton pendant au moins un mois et demi, étant donné que le Canada ne pouvait plus nous fournir de nourriture. Il a donc fallu faire des choses atroces et aller dans des endroits dont je préfère ne plus me souvenir.
Excusez-moi pour l'émotion.
Après la mission en Bosnie, comme par hasard, on m'a offert de me joindre à l'unité aéroportée, puisque j'avais parfaitement accompli mon travail de soldat. En lisant entre les lignes, vous pouvez comprendre qu'en Bosnie, je suis passé de l'état d'enfant à celui de soldat assez rapidement.
Ensuite, accompagné de parachutistes, j'ai adoré cela. J'ai énormément évolué. J'ai appris que la Deuxième Force opérationnelle interarmées existait. Je me suis mis alors à m'entraîner corps et âme pour entrer dans les Forces spéciales. J'ai participé à la sélection des Forces spéciales et cela allait très bien. Il ne faut pas oublier que lorsque j'étais dans la Réserve, j'ai été promu caporal-chef et sergent. Avant de partir, le major m'a dit que si je voulais, je pouvais entrer dans la Deuxième Force opérationnelle interarmées, mais qu'il avait besoin de moi au Timor oriental. J'ai donc accepté de partir en mission puisque, selon moi, c'était de cette façon que je pouvais servir mon pays le mieux possible. Toutefois, j'ai posé une condition: à mon retour du Timor oriental, il devait me laisser entrer dans la Deuxième Force opérationnelle interarmées. Le major m'en a fait la promesse.
En 1999, nous sommes partis au Timor oriental. Quand nous sommes arrivés en Australie, les militaires australiens ne savaient même pas que nous débarquions. Nous sommes restés un certain temps dans un camp militaire à Darwin, en Australie, pour finalement traverser et faire un débarquement naval. C'était très drôle, parce que c'était la première fois que les Canadiens faisaient un débarquement naval depuis la guerre de Corée. Nous n'avions pas d'expérience à cet égard. Nous l'avons fait et nous nous attendions à nous battre. Quand nous sommes arrivés sur la plage, des journalistes nous attendaient et filmaient. Nous avons alors su qu'il n'y avait pas un très grand danger. Nous nous sommes donc relevés, nous nous sommes secoués et nous avons continué notre travail. La mission au Timor oriental était plutôt passive. La plus grosse attaque a été celle d'un pêcheur armé d'une lance. Cela n'est pas allé très loin.
Le plus difficile au Timor oriental a été de fouiller des camps de réfugiés. Il fallait procéder à des fouilles complètes d'hommes, d'enfants, de bébés. Parfois, il s'agissait de bébés morts dans lesquels on avait caché des armes, et d'autres écoeuranteries semblables. Cela m'a un peu écoeuré, mais nous l'avons fait.
Nous avons également dû ramener les populations chez elles. Quand les soldats descendent des camions avec une petite fille de 12 ans ou des enfants plus jeunes, ils cherchent du regard où est l'adulte, mais non, il n'y a pas d'adulte. Il faut laisser les enfants seuls dans la jungle, voués à leur sort. Humainement parlant, je vous jure qu'à cet instant, on ressent un sentiment d'impuissance.
Pendant mon séjour dans la jungle, je ne sais pas ce qui s'est passé. J'ai été piqué au doigt par un insecte. Mon doigt est devenu paralysé. Le lendemain, mon bras était paralysé. Ensuite, le cou et le corps au complet étaient paralysés. J'ai perdu 35 livres de masse musculaire en 9 jours. Après cela, j'étais du bois mort, un fardeau pour mon peloton.
Quelques jours après, je n'étais même plus capable de m'occuper de moi-même, de mettre du beurre sur mes rôties et de me nourrir. Mes amis me nourrissaient à la cuillère parce que mes mains ne fonctionnaient plus.
Le médecin m'a dit que si je continuais à simuler une maladie, on allait me rapatrier au Canada. Écoutez, on ne peut pas faire semblant de perdre 35 livres de masse musculaire. J'ai donc été rapatrié au Canada. J'étais excessivement humilié parce que les autorités militaires disaient que je n'avais rien. Je me suis fait juger par mes frères d'armes. Heureusement, j'ai des amis médecins qui ont trouvé que j'étais intoxiqué à l'uranium, ce qui expliquerait tous mes problèmes de santé. Par conséquent, avec honneur, je suis retourné dans les rangs de la compagnie de parachutisme et j'ai dit à mes confrères que s'ils étaient malades et qu'ils avaient des symptômes ressemblant à ceux que j'avais eus, ils devraient subir des tests parce qu'ils pourraient être radioactifs eux aussi. À partir de là, j'ai retrouvé ma fierté, l'amour et le respect de mes frères d'armes.
Par la suite, on m'a libéré pour raisons médicales en 2005, mais sans me donner de diagnostic médical. Par la suite, j'ai eu droit à la belle machine administrative du ministère des Anciens Combattants. On m'a dit de prouver que mon état physique était dû à mon service militaire. Par ailleurs, les médecins disaient que je simulais la maladie, alors ils ne voulaient pas me voir dans leur bureau.
Voilà. C'était ma carrière militaire.
Premièrement, quand on est membre du Régiment aéroporté du Canada, on est orgueilleux, on est un dur, on n'a pas le droit de se plaindre. Un jour, après un saut en parachute, j'ai eu trois scolioses dans le dos. Je suis resté complètement paralysé sur la piste d'atterrissage. Quand je suis arrivé le dos bloqué dans le bureau du Dr Deslandes, du 1er Bataillon, il m'a dit qu'il avait droit à 10 problèmes de dos par mois et que j'étais le onzième. Par conséquent, il fallait que je repasse le mois suivant. Encore aujourd'hui, je me bats contre le ministère Anciens Combattants Canada pour faire reconnaître mes problèmes de dos, parce que le médecin de l'unité a toujours refusé de me recevoir. On m'a dit de prendre des médicaments antidouleur et de fermer ma gueule. Ce sont les soins que j'ai eus. Excusez-moi, mais ce sont les mots qui ont été utilisés.
Après cela, j'ai eu d'autres problèmes, comme le ESPT. Un matin, je me suis réveillé en sueurs avec un couteau de chasse, complètement nu dans ma cour et je cherchais des proies à tuer. J'ai eu peur de moi. Je me suis rendu à la base militaire et j'ai dit que ça n'allait pas du tout et que j'avais besoin d'aide. On m'a répondu qu'on me rappellerait d'ici six à huit mois et que je pourrais voir un travailleur social. J'ai donc dit que ça ne fonctionnait pas et que je ne pouvais pas attendre de six à huit mois.
Par la suite, je suis allé au bureau d'Anciens Combattants Canada. J'ai amené avec moi le plus gros et le plus fort de mes amis et je lui ai dit qu'il fallait qu'il m'empêche de faire des choses que je ne ferais pas normalement, parce que je n'étais pas dans mon état normal. J'ai demandé au fonctionnaire de voir un psychologue parce que c'était urgent. On m'a répondu de ne pas bouger et de remplir des formulaires. J'ai complètement craqué. De mon veston, j'ai sorti mon portefeuille. Du portefeuille, j'ai sorti la carte du médecin et j'ai dit que je n'étais pas médecin, mais fantassin. J'ai dit que, pour les réponses, il fallait l'appeler, mais pas moi. J'étais en état de crise.
Je suis retourné chez moi et quand je suis arrivé, la police m'attendait. Les deux fonctionnaires du ministère des Anciens Combattants avaient porté plainte contre moi pour menaces de mort. J'ai demandé aux policiers de quelle façon je les avais menacés. Un fonctionnaire avait dit que j'avais un couteau et l'autre un pistolet. Je me suis mis à rire et j'ai répondu: « Monsieur, je suis entraîné au combat corps-à-corps, je n'ai pas besoin d'arme ».
Après cela, à chaque demande de pension, on me disait de prouver que c'était dû au service militaire. Par ailleurs, je ne pouvais pas obtenir de papiers. En ce qui a trait à tous mes problèmes de santé reliés à l'intoxication à l'uranium, ils répondent qu'ils ne reconnaissent pas ce type d'intoxication.
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J'ai plusieurs problèmes de santé et j'en suis tout à fait conscient. Si vous avez des soins à m'offrir et que ceux-ci vont me procurer une meilleure qualité de vie, dites-moi où signer. Je vais le faire. Je veux aller mieux. Je ne suis pas le genre de personne qui aime chialer pour chialer. Je suis ici pour obtenir des résultats. Mais attention, si c'est comme dans le cas du ministre Blaney, pendant la grève de la faim, quand j'ai reçu une première offre, mais qu'il s'agissait de soins pour moi uniquement, la réponse sera non. Prenez soin de nous. Parce que chaque fois que je perds un frère d'armes qui se suicide parce qu'il ne reçoit pas des soins adaptés à sa condition, il y a un morceau de moi qui meurt.
Pouvez-vous prendre soin de nous? Pourquoi le seul hôpital pour vétérans au Canada ne soigne que les problèmes psychologiques? Les problèmes physiques ne sont pas importants? On m'a fait partir de l'hôpital Sainte-Anne parce que j'avais trop de problèmes d'ordre physique. On m'a dit que j'étais trop malade pour rester dans cet hôpital. Or c'est le seul hôpital pour vétérans au Canada. J'ai demandé où je pouvais aller me faire soigner. Ces gens m'ont répondu qu'ils ne le savaient pas, que ce n'était pas leur problème et que je devais m'en aller. Ce n'est pas ce que j'appelle des soins. J'aimerais qu'on m'aide à améliorer mon état général.
Les spécialistes m'ont dit que dans le cas de l'intoxication à l'uranium, comme pour celui de l'intoxication au mercure, il n'y avait pas de soins reconnus présentement. J'en suis conscient, mais pouvez-vous m'aider relativement à la fatigue chronique, les douleurs chroniques, la fibromyalgie, les problèmes d'ulcères et tous les autres problèmes? Le ministère peut-il reconnaître mes problèmes de reins? Même si on me dit ne pas pouvoir établir de lien entre le service et mes problèmes de reins — parce qu'ils sont liés à l'intoxication à l'uranium —, pouvez-vous prendre soin de mon état général?
À partir du moment où je recevrai des soins et qu'on s'occupera de moi, de quoi vais-je me plaindre? On ne me dira plus qu'on est désolé. C'est un peu disgracieux, mais c'est exactement ce que m'ont dit les fonctionnaires d'Anciens Combattants Canada, à savoir: « Écoute bien, le BS en uniforme, retourne chez toi; on ne te donnera pas un plus gros chèque d'assisté social ». Ce ne sont pas des chèques que je veux, ce sont des soins.
Or jusqu'à maintenant, le ministère m'a offert beaucoup d'ordonnances d'anti-dépresseurs, des soins d'un psychiatre, puis d'un autre psychiatre, mais sur le plan physique, ça ne donne rien de plus. En passant, la Grande-Bretagne a réalisé des études, et aucune d'entre elles ne prouve les bienfaits de la consommation d'anti-dépresseurs pour une période dépassant six mois.
Pourquoi le ministère des Anciens Combattants du Canada persiste-t-il à nous donner des anti-dépresseurs alors qu'aucune étude ne prouve que c'est bon pour nous? Comprenez-vous? Mis à part les anti-dépresseurs et le syndrome de stress post-traumatique, pouvez-vous prendre soin de nos autres problèmes de santé?
Pour répondre à votre question: oui, s'il vous plaît, offrez-nous des soins. Je vais être heureux d'aller me faire soigner.