Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je tiens tout d'abord à vous remercier d'avoir invité à comparaître le Bureau de la sécurité des transports du Canada.
Je suis accompagnée de trois collègues possédant une solide expérience. M. Jean Laporte, administrateur en chef des opérations du BST, fait partie de notre équipe depuis sa fondation en 1990 et connaît parfaitement notre mandat et nos processus. Mme Kathy Fox est membre du bureau depuis 2007. Elle possède plus de quatre décennies d'expérience dans le secteur de l'aviation et elle est experte des systèmes de gestion de la sécurité. M. Kirby Jang est notre directeur, Enquête rail et pipeline. Il est la personne tout indiquée pour fournir plus de contexte et d'information sur les enquêtes du BST dans le secteur du rail, ainsi que les statistiques que nous conservons et la raison pour laquelle nous le faisons.
Nous comparaissons devant vous relativement à l'examen que vous faites du transport des matières dangereuses et du rôle des systèmes de gestion de la sécurité.
Plusieurs accidents médiatisés, ici et chez nos voisins du Sud, ont attiré l'attention du public sur la sécurité ferroviaire et le transport du pétrole brut. Ces accidents nous ont contraints à réexaminer si nos activités sont suffisamment sûres et, si ce n'est pas le cas, à déterminer les mesures nécessaires pour corriger la situation.
Nous ne pouvons que constater aujourd'hui une inquiétude accrue et, nous devons bien l'admettre, une érosion de la confiance du public. Il y a cinq ans, la quantité de pétrole que l'on transportait par rail au Canada pouvait remplir 500 wagons-citernes, soit l'équivalent de cinq ou six longs trains. Mais l'an dernier, ce nombre a atteint 160 000 et sera sans doute plus élevé dans les années à venir. Le public sait que ce pétrole est en grande partie volatile.
Aucun accident n'illustre aussi bien ces risques que celui survenu en juillet dernier à Lac-Mégantic, où le déraillement d'un train qui transportait du pétrole brut a causé un incendie¸ et fait 47 victimes. Nous en avons encore pour plusieurs mois à mener cette enquête à terme et à en faire rapport.
Cela dit, dès le début de cette enquête, nous avons constaté d'importants enjeux de sécurité, que nous avons communiqués aux organismes de réglementation. Puis, vers la fin janvier, dans une démonstration de collaboration transfrontalière sans précédent, le National Transportation Safety Board, ou NTSB, et le BST ont formulé plusieurs recommandations qui visaient à accroître la sécurité du transport du pétrole brut à l'échelle de l'Amérique du Nord.
Au Canada, nous avons demandé l'adoption de normes plus strictes concernant les wagons-citernes de catégorie 111 car à Lac-Mégantic, le train en cause était entièrement composé de wagons-citernes plus anciens non protégés, et presque chacun d'eux s'est rompu, alimentant l'incendie.
Sur cette photo, vous pouvez constater à quel point le wagon qui se trouvait au milieu du train est endommagé. Même les wagons-citernes de la queue du train, ceux qui se déplaçaient à une vitesse relativement lente au moment du déraillement, ont été gravement endommagés. On en a tiré la leçon qui s'impose.
À l'heure actuelle, le secteur du rail examine l'adoption d'une nouvelle norme pour les wagons-citernes de catégorie 111 de service général, et c'est très bien. Pourtant un retrait progressif des wagons-citernes plus anciens est tout simplement insuffisant. Une telle approche fait persister un trop grand nombre de risques dans le système. C'est pourquoi nous affirmons sans hésitations que les marchandises qui posent d'importants risques doivent être expédiées dans des contenants sûrs, et le plus tôt possible.
Notre deuxième recommandation porte sur la façon dont les chemins de fer planifient leurs transports, notamment le choix des itinéraires pour transporter le pétrole et d'autres matières dangereuses, et comment ils veillent à la sécurité des activités sur ces routes. En ce sens, nous devons examiner de manière exhaustive de nombreuses variables d'un bout à l'autre du réseau. Nous devons tenir compte de tout ce qui se trouve le long de chaque itinéraire, déterminer ceux de rechange et choisir ceux qui présentent le moins de risque. Cela signifie, par exemple, s'assurer que les voies sont entretenues selon les normes les plus strictes, que les trains circulent à la vitesse indiquée et que des systèmes de détection sont installés aux bons endroits le long des voies. Nous demandons également un suivi des évaluations des risques, afin de nous assurer que les mesures qui sont prises garantissent la sécurité de nos collectivités.
La dernière de nos recommandations initiales concernant l'enquête sur l'accident à Lac-Mégantic vise à s'assurer que si un accident se produit, malgré toutes les mesures de prévention possibles, des ressources suffisantes soient en place pour réduire la gravité et l'incidence d'un déversement. Nous avons donc demandé la mise en place de plans d'intervention d'urgence lorsqu'on expédie d'importantes quantités d'hydrocarbures liquides, comme le pétrole.
Nous attendons ce mois-ci une réponse à nos recommandations. Par ailleurs, nous trouvons encourageante la réponse de la ministre à nos communications initiales concernant l'accident à Lac-Mégantic. En effet, la ministre semble comprendre les risques liés à l'accroissement du transport du pétrole par rail, les enjeux et l'impératif d'aborder les risques soulignés par le BST. J'espère qu'en réponse à nos recommandations, la ministre mettra en oeuvre des initiatives qui aborderont systématiquement ces trois importants enjeux de sécurité.
J'aimerais maintenant aborder l'un des autres moyens d'assurer la sécurité optimale de notre système de transport. Il s'agit du deuxième sujet que votre comité est chargé d'examiner, soit le système de gestion de la sécurité ou SGS. Comme l'a si bien dit ma collègue Kathy Fox, les systèmes de gestion de la sécurité aident les entreprises à cerner les problèmes avant qu'ils ne surviennent. Soyons clairs, ils n'ont rien d'une panacée. Il s'agit plutôt d'un très bon outil qui aide à cerner les plus grands risques, afin que l'on prenne à l'avance les mesures nécessaires pour les réduire.
Au Bureau de la sécurité des transports, nous estimons que les SGS sont si importants qu'ils faisaient partie de notre première liste de surveillance, déjà en 2010. Pour être honnête, les principaux chemins de fer au Canada ainsi que plusieurs chemins de fer d'intérêt local ont fait de grands pas dans la mise en oeuvre de SGS. Mais 12 ans plus tard, bon nombre de ces systèmes n'ont pas encore atteint leur maturité. Cela signifie qu'ils ne rapportent pas encore les dividendes attendus. Je parle ici de la nécessité de vérification et d'une rigoureuse surveillance réglementaire. Je parle d'inspections fondées sur les risques et, lorsque la situation l'exige, la mise en place de mesures nécessaires pour faire respecter la réglementation. Le rapport du vérificateur général réaffirme l'importance de tous ces éléments, et le BST est entièrement d'accord.
Avant de conclure, permettez-moi de souligner que nous avons récemment mis à jour notre règlement, de façon à moderniser les règles de signalement des incidents au BST et à aligner notre règlement sur les seuils indiqués dans la réglementation sur le transport de matières dangereuses. Cela entraînera un plus grand nombre de signalements d'incidents de train; par exemple, tous les déraillements mineurs d'une ou deux roues doivent désormais être signalés au BST. De plus, selon notre nouveau règlement, tout déversement de matières dangereuses qui entraîne des conséquences telles qu'une perte de vie, une blessure, une collision, un déraillement, un incendie ou une explosion ou toute autre menace à la sécurité doit être signalée, quelle que soit l'ampleur du déversement.
Voilà donc où nous en sommes aujourd'hui. Aucun des enjeux de sécurité ne va se résoudre dans un avenir rapproché, et votre comité a tout un défi à relever. Pas simplement celui d'examiner les enjeux des SGS et du transport de matières dangereuses; pas uniquement de tenir des audiences pour trouver des façons d'assurer la plus grande sécurité possible de nos chemins de fer, de nos voies navigables, de nos pipelines et de nos espaces aériens, mais aussi celui de formuler des recommandations qui mèneront à des mesures concrètes pour renforcer et rétablir la confiance ébranlée du public. Nous tous au BST partageons ces mêmes objectifs. Nous avons pour mandat de promouvoir la sécurité des transports. Nous y avons consacré plus de deux décennies et vous pouvez être certains que nous sommes engagés, informés, et prêts à collaborer.
Merci, monsieur le président.
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Merci, monsieur le président.
Transport Action Canada est un organisme national de bénévoles et un organisme caritatif inscrit. Nous avons été créés en 1976, pour répondre à l'invitation du gouvernement qui voulait que le public participe à la planification du transport par rail de passagers à l'échelle continentale. À l'époque, nous nous appelions Transport 2000. Nos champs d'intérêt sont maintenant tous les moyens de transport, les autocars interurbains, les traversiers et le transport en commun. Nous nous intéressons depuis longtemps à la sécurité dans les transports et répondons souvent aux questions des médias à ce sujet.
Nous avons des organismes affiliés dans l'ensemble du pays. L'un de ceux-ci, le Groupe TRAQ, organise chaque année un colloque sur la sécurité ferroviaire à Québec. J'y étais la semaine dernière, de même que de nombreux experts du secteur et du gouvernement. Nous nous occupons aussi de la sécurité aérienne, pour les passagers. Cet intérêt remonte à l'écrasement du Vol 111 de Swissair en 1998. À l'époque, avec d'autres groupes, nous avons fondé un groupe sur la sécurité des passagers aériens qui continuent d'interagir avec Transports Canada.
Les statistiques montrent que les transports aériens et ferroviaires, qui sont habituellement de régie fédérale, sont très sûrs. Toutefois, l'attention des médias est nécessairement attirée par les accidents, particulièrement s'il y a de multiples décès, des déversements de produits dangereux ou des incendies importants. Cela inquiète les Canadiens. Les collisions entre des trains et des véhicules routiers, ou avec des piétons, aux passages à niveau ou sur les chemins de fer sont très peu nombreuses comparées aux accidents de la route. Il reste qu'à notre avis, la sécurité aux passages à niveau doit demeurer une préoccupation pour le gouvernement fédéral et particulièrement ici, à Ottawa. Rappelons qu'en septembre dernier, un accident évitable a causé la mort de six passagers d'un autobus à deux étages. Nous espérons connaître bientôt les causes précises de cet accident.
Nous croyons beaucoup en l'expertise et l'indépendance du Bureau de la sécurité des transports du Canada, et apprécions particulièrement son ouverture dans le cadre d'enquêtes en cours. Nous comprenons l'importance de ne pas présumer des causes d'un accident, tant que l'enquête du BST n'est pas achevée. Des points ont déjà fait l'objet de discussions aujourd'hui qui font partie de la liste de contrôle du BST. Il y en a un qui nous tient particulièrement à coeur, et c'est la commande intégrale des trains. Madame Tadros a parlé de progrès effectués par suite de mesures législatives adoptées aux États-Unis. Dans bien d'autres pays, la commande intégrale des trains est la norme plutôt qu'un objectif à envisager. Le BST l'a vivement recommandée, particulièrement depuis l'accident de VIA Rail à Saint-Charles-de-Bellechasse, au Québec, en février 2010, et depuis l'accident de Burlington, en 2012.
En passant, au sujet de la commande intégrale des trains, je signale que j'ai personnellement participé à la planification du O-Train d'Ottawa, le seul chemin de fer de réglementation fédérale qui dispose de ce genre de commande. Pour le O-Train, il n'y a qu'un conducteur. Un système allemand veille à ce que le train ne dépasse pas les vitesses permises aux gares et qu'il ne puisse franchir les signaux d'arrêt. Grâce à cette technologie, il n'y a eu aucun décès ou blessure chez les passagers depuis plus de 12 ans. Aujourd'hui, 14 000 passagers prennent le train d'Ottawa chaque jour. Il serait bon que cette même technologie soit appliquée à d'autres chemins de fer au Canada.
Nous sommes aussi fort préoccupés par l'interprétation erronée de la signalisation ferroviaire, dont a parlé Mme Tadros. La signalisation moderne, particulièrement sur les tronçons à haute vitesse comme à Burlington est purement visuelle. Il n'y a pas de signal de rechange, et c'est une signalisation dont l'interprétation par les équipages est très complexe ce qui nuit aux réactions. Dans ce contexte, on voit l'importance de la recommandation du BST relative à la surveillance vidéo et audio des mécaniciens de locomotive dans la cabine, ainsi que du contrôle de ce qui se passe devant le train, au moyen de caméras.
Nous avons participé à divers événements relatifs à la sécurité ferroviaire. Nous avons présenté un mémoire à la Commission d'examen de la sécurité ferroviaire qui a présenté son rapport en 2007. Nous avons comparu devant le comité de la Chambre, soit votre comité, au sujet de la sécurité aérienne. Nous avons aussi comparu devant le comité sénatorial qui étudiait les modifications à la Loi sur la sécurité ferroviaire, où nous avons dit notre appui marqué pour l'adoption de systèmes de gestion de la sécurité.
En mai dernier, nous avons prononcé une allocution sur la sécurité des systèmes dans le transport ferroviaire, à une conférence de l'International System Safety Society of Canada. En janvier dernier, nous avons participé à un séminaire du Groupe de recherches sur les transports au Canada. Il portait sur la sécurité ferroviaire et le transport de matières dangereuses. Et je le répète, nous étions à la conférence de TRAQ, à Québec, la semaine dernière.
Parlons d'une autre recommandation du BST, au sujet des itinéraires de rechange pour le transport de produits dangereux. Nous sommes fort préoccupés actuellement par l'abandon de tronçons de chemins de fer principaux historiques, qui risquent de compromettre le réseau ferroviaire national. Ainsi, lorsque le Canadien Pacifique a vendu ses lignes qui passaient par le nord du Maine pour aller à Saint John au Nouveau-Brunswick, cela a réduit notre réseau ferroviaire à une seule voie à l'est de Québec, et a complètement perturbé le transport ferroviaire entre le Port de Halifax et le centre du pays, lorsqu'il y a eu un déraillement important à Montmagny, il y a quelques années.
Au cours des deux dernières années, nous avons assisté à l'abandon de voies transcontinentales historiques dans la vallée de l'Outaouais, ne laissant que les lignes qui passent par la grande région de Toronto pour relier l'est et l'ouest du Canada, sans itinéraire de rechange pour éviter cette région populeuse. On s'apprête cette année à abandonner le segment historique du chemin de fer intercolonial entre Newcastle et Bathurst, au Nouveau-Brunswick. Il n'y aura plus qu'une ligne de chemin de fer pour aller au Nouveau-Brunswick. Cela devrait préoccuper vivement le gouvernement fédéral et le Parlement.
Revenons à notre principale préoccupation, la sécurité des passagers. Depuis la collision entre deux trains à Hinton en 1986, qui a causé le décès de 23 personnes, VIA Rail a un excellent bilan. Seulement trois décès de passagers se sont produits dans des accidents depuis: deux à Coteau, au Québec, en 1992 et un à Biggar, en Saskatchewan, en 1997. Il y a eu des accidents causant le décès de membres d'équipage de train. Trois personnes sont décédées à Burlington en 2012 et deux mécaniciens de locomotives à Kemptville, en Ontario, en 1999. Il reste que le train est un moyen de transport extrêmement sûr au Canada.
Pour l'investissement dans la technologie, les chemins de fer doivent continuer d'améliorer la technologie et les processus de systèmes de gestion de la sécurité. Rappelons que l'omission de le faire a causé l'accident du métro de Toronto de 1995, causant trois décès, lorsque la technologie d'arrêt automatique vieille de 40 ans n'a pas fonctionné correctement. Dans ce cas-là, ce n'était pas un réseau de réglementation fédérale, mais c'est tout de même un exemple de ce qui se produit quand on n'adopte pas des technologies modernes.
En fait, à l'étranger, là où une technologie moderne de commandes automatiques de train est employée, il y a tout de même eu des accidents graves, en raison de défectuosités. Les deux accidents les plus graves se sont produits en Grande-Bretagne, à Ladbroke Grove en 1999, avec 31 décès. Une collision frontale entre deux trains a été causée par le défaut d'observer la signalisation et d'employer les commandes intégrales existantes. Un autre accident s'est produit plus tôt, en 1988, causant 35 décès, et résultant de la défectuosité d'un système de signalisation désuet. L'an dernier en Espagne, à Saint-Jacques-de-Compostelle, une collision ferroviaire a causé un grand nombre de décès. Elle était le produit d'une interface mal conçue sur une toute nouvelle voie, entre deux systèmes de signalisation différents et incompatibles. Il est important d'investir dans la technologie.
Pour conclure, Transport Action appuie les systèmes de gestion de la sécurité et leur intégration à la Loi sur la sécurité ferroviaire. Nous avons déjà formulé des préoccupations au sujet des ressources dont disposent les petits chemins de fer lorsqu'il s'agit de se procurer le matériel nécessaire à la mise en oeuvre de ces mesures. Il est clair toutefois que les grands chemins de fer ont choisi de faire les investissements nécessaires pour promouvoir la culture de la sécurité. L'accident à Lac-Mégantic pourrait avoir pour cause l'omission d'appliquer un système de gestion de la sécurité, mais il faudra attendre les conclusions du BST.
Je signale que ces préoccupations, particulièrement au sujet de l'accès au SGS pour les petites entreprises, ont déjà été soulevées par le juge Virgil Moshansky qui présidait la commission d'enquête sur l'écrasement d'Air Ontario à Dryden, en Ontario, en 1989, il y a bien longtemps. Le juge Moshansky s'était exprimé à ce sujet en 2007 devant la Commission d'examen de la Loi sur la sécurité ferroviaire et de nouveau, plus récemment, sur la possibilité de mettre en oeuvre efficacement, partout, de bons régimes de sécurité.
Ce sont les principales choses que j'avais à dire et je répondrai volontiers à vos questions.
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Bonjour à tous et à toutes.
On m'a invité, mais on ne m'a pas dit pourquoi. Alors, je vais être perspicace. Puisque je suis un spécialiste de la responsabilité civile, de l'assurance et de l'évaluation des dommages, je suppose que c'est pour parler davantage d'indemnisation que de prévention.
Depuis ce matin, on a beaucoup parlé de sécurité et de prévention. C'est extrêmement important et on doit le faire. Cela dit, on ne pourra jamais avoir un risque zéro en matière d'accidents ferroviaires, pas plus qu'en matière d'accidents de la route ou d'accidents aériens. Il faut donc penser, après la catastrophe de Lac-Mégantic, à se doter un système d'indemnisations qui soit meilleur que ce qu'on a présentement.
La preuve va être douloureuse pour les proches des 47 victimes décédées. Il s'agit d'un processus d'indemnisations qui va prendre plus d'une décennie et qui va donner un résultat extrêmement décourageant. Je prédis même que les indemnités offertes aux victimes, s'il y a une engagement au chapitre de la responsabilité, risquent d'être tout à fait nulles au terme du processus puisqu'il n'y aura pas de couverture d'assurance suffisante.
Posons une règle fondamentale. La fameuse couverture d'assurance suffisante n'est pas la réponse à tous les maux. Même si on remplaçait la MMA dans l'accident de Lac-Mégantic par le CN ou le CP, qui ont des couvertures d'assurance de 1 milliard ou 1,5 milliard de dollars selon le type de catastrophe, on se retrouverait toujours devant le même problème. Le problème en est un de responsabilité. L'assurance, le mot le dit, c'est une assurance de responsabilité.
Donc, ce qu'il faut changer et qui n'a pas été fait à ce jour en matière de transport ferroviaire, ce sont les règles relatives à responsabilité. Le transport ferroviaire est le dernier grand système qui n'a pas fait l'objet d'une rénovation des règles d'indemnisation. Cela a été fait en matière de transport aérien, en matière, évidemment, de transport routier — qui est davantage de compétence provinciale — et en matière de transport maritime. Ce n'est qu'en matière de transport ferroviaire que rien n'a encore été fait. Il fallait une catastrophe comme celle de Lac-Mégantic pour éveiller les consciences sur cette question.
Je vous ai préparé un résumé d'une page et demie avec une traduction maison. S'il y a des erreurs, je les assume. Il s'agit d'un résumé de ce qui pourrait être mis en place de manière très simple.
Il y a toutes sortes de solutions possibles. On pourrait introduire, comme dans certains États australiens, un système d'indemnisations automatiques pour les victimes d'accidents ferroviaires. Cela demanderait un changement dans les structures. Je peux en discuter avec vous si vous le voulez, mais j'aimerais être davantage pragmatique et être le plus efficace possible. Dans les structures actuelles, il est possible de rénover le système d'indemnisations pour les victimes d'accidents ferroviaires de manière relativement simple en s'inspirant des règles qui existent depuis 2003 en matière de transport aérien.
Je dis que ce serait facilement réalisable, puisque l'Office des transports du Canada, qui s'occupe du transport ferroviaire, supervise également le transport aérien. Ce serait donc le même organisme qui pourrait superviser ces nouvelles règles d'indemnisations, des règles qu'il connaîtrait d'ailleurs déjà très bien.
Comment cela fonctionne-t-il? En gros, dans le domaine du transport aérien, il y a eu la Convention de Montréal. Elle a été signée en 1999 et est entrée en vigueur en 2003. Plus d'une centaine de pays sont signataires de la convention, dont les États-Unis et le Canada, évidemment. Cette convention prévoit un régime de responsabilités en deux temps pour le transporteur. Vous allez voir qu'on peut faire facilement l'analogie avec le transporteur ferroviaire.
Dans un premier temps, comme il s'agit d'une convention internationale, on ne s'exprime pas en dollars, mais plutôt en droits de tirage spéciaux, soit les DTS. Dans la Convention de Montréal, il y a un premier palier d'indemnisation qui a été fixé à 100 000 DTS, ce qui correspond aujourd'hui à 175 000 $ canadiens. Évidemment, cela varie selon les pays.
Pour ce premier niveau d'indemnisation, la responsabilité du transporteur est automatique. Le seul moyen que le transporteur aérien puisse utiliser pour se disculper de ne pas avoir à payer — en fait, pour que son assureur n'ait pas à payer — est de prouver la faute de la victime. Si nous transposions cela dans le domaine du transport ferroviaire, ce serait, par exemple, les cas d'intrusion sur les voies ferrées. À ce moment-là, le transporteur aurait le droit d'invoquer la conduite fautive de l'intrus pour éviter d'avoir à donner une indemnisation à la suite de blessures ou de mort.
Ce premier niveau assure une indemnisation quasi automatique, sauf s'il y a la preuve d'une conduite fautive de la part de la victime.
Au-delà de ce premier palier, la responsabilité du transporteur peut toujours être engagée, mais il dispose de plus de moyens pour être exonéré. Je vous parle de ce qui se passe actuellement chez les transporteurs aériens. Il peut toujours invoquer la faute de la victime et sa propre absence de faute. Il peut dire qu'il a pris toutes les mesures raisonnables pour éviter cet accident ou que l'accident a été causé par la faute d'un tiers.
Nous voyons donc qu'il est encore présumément fautif, mais plus responsable. L'indemnisation pourra encore être accordée sans plafond puisque la Convention de Montréal a aboli les précédents plafonds pour l'indemnisation dans le cas d'accidents aériens. L'indemnisation sera encore possible, mais le transporteur disposera de plus de moyens pour être exonéré.
Cela, mesdames et messieurs, est tout à fait transposable dans le domaine du transport ferroviaire. Il s'agirait simplement de séparer, d'une part, les atteintes à la personne, les cas de blessures corporelles ainsi que les décès et, d'autre part, les dommages matériels. Le problème actuel est que le système traite ensemble, dans la même couverture d'assurance-responsabilité, les dommages aux personnes et aux biens.
C'est mon opinion profonde. Il me semble que le slogan « la personne avant toute chose » devrait être notre manière de penser en matière d'indemnisation des victimes d'accident. Il est bien que l'on puisse payer pour les dommages environnementaux et reconstruire les immeubles qui ont été détruits, mais il faut d'abord et avant tout que l'indemnisation des personnes soit la priorité. C'est pourquoi il faut instaurer un régime d'assurance-responsabilité des transporteurs ferroviaires dédié aux cas de dommages corporels pour s'assurer de ne pas dépasser la limite, ce qui ferait en sorte que les victimes ne se retrouvent avec rien. Le but est également d'axer l'attention, d'abord et avant tout, sur les victimes.
En ce qui a trait à ce terrible accident de Lac-Mégantic, imaginons qu'on trouve l'argent et les responsables et que dans 15 ans, par exemple, ce soit finalement réglé et que les victimes soient indemnisées. Il sera malheureusement trop tard parce que les orphelins seront majeurs et que les gens seront décédés ou auront passé à autre chose. Les gens ont besoin d'argent maintenant, tout de suite.
Vous connaissez tous la maxime anglaise qui dit ceci:.
[Traduction]
Justice différée est justice refusée.
[Français]
Elle s'applique tout à fait en matière d'accidents avec dommages corporels et décès. Il faut absolument changer le système et s'assurer de diriger d'abord l'attention sur les personnes et, par la suite, sur les choses. Si nous le faisons, nous allons nous rendre compte que c'est non seulement faisable, mais c'est aussi ce qui coûte le moins cher.
C'est terrible à dire, mais dans le cas d'une catastrophe comme celle de Lac-Mégantic, les dommages les plus importants ont été causés à l'environnement et dépasseront probablement, et de loin, le demi-milliard de dollars. Il y a ensuite les dommages causés aux immeubles et aux véhicules automobiles qui se situaient au centre-ville de Lac-Mégantic. Le dernier poste est l'indemnisation des ayants droit des 47 victimes décédées.
Comme vous le savez, je suis un spécialiste des dommages corporels et j'ai fait des calculs rapides. Même si je ne connais pas la situation particulière des 47 victimes, je peux vous garantir que si, demain matin, on payait pour la réparation intégrale du préjudice, comme cela se fait devant les tribunaux ordinaires et si on indemnisait les proches des 47 victimes, le total serait inférieur à 25 millions de dollars. Ce serait probablement même moins de 15 millions de dollars. C'est une goutte dans l'océan des coûts représentés par un accident comme celui de Lac-Mégantic.
Je voudrais insister sur la faisabilité économique d'un changement de système comme celui-là. Cela peut se faire très rapidement. La preuve est qu'avec un système semblable, depuis plus de 10 ans, on fonctionne très bien en matière de transport aérien. Les primes d'assurance peuvent être prévisibles, fixées et assumées par les compagnies d'assurances. Malheureusement, comme on le dit, la vie humaine n'a pas de prix, mais elle a un coût en droit qui est limité.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Professeur Gardner, j'aimerais revenir sur ce que vous avez proposé. Vous parlez de l'importance de considérer la personne avant toute chose et, dans cette optique, vous proposez un nouveau régime de compensation pour les personnes qui ont été victimes d'un accident. Or dans l'étude qui est à l'ordre du jour aujourd'hui, nous parlons surtout d'améliorer la sécurité ferroviaire pour éviter qu'il y ait des accidents. Je comprends très bien ce que vous proposez dans le cadre de ce régime de compensation, mais j'aimerais que le problème ne soit pas abordé ex post facto, mais plutôt qu'il soit évité, de sorte qu'une tragédie comme celle de Lac-Mégantic ne se reproduise plus.
Au Canada, les compagnies ferroviaires sont obligées de transporter tous les produits qui leur sont confiés, y compris les matières dangereuses. On comprend donc que le Canadien National et le Canadien Pacifique aient chacun une assurance-responsabilité civile qui totalise environ 1 milliard de dollars. Que pensez-vous de l'idée que les propriétaires des matières dangereuses soient eux aussi forcés de partager la responsabilité civile?
Dans le cas de Lac-Mégantic, la compagnie Irving était propriétaire de la marchandise. D'après ce que je comprends, cette compagnie n'a absolument rien à faire. Autrement dit, ce n'est pas elle qui défraie les coûts du nettoyage à Lac-Mégantic. Ce n'est pas elle qui est chargée de la compensation à l'échelle locale. Enfin, ce n'est pas elle qui paie les factures liées à l'assainissement écologique.
Êtes-vous d'avis qu'il est maintenant temps que les propriétaires de ces matières assument des responsabilités? Quelle est votre opinion sur cette question?
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Je vais vous surprendre, mais cela existe déjà au Québec, et ce, depuis 1978. Ce n'est pas récent. Depuis 1978, la Loi sur la qualité de l'environnement fait en sorte que tout propriétaire d'un contaminant — et une liste de contaminants figure évidemment dans la loi, dont le pétrole qui était transporté lors de la tragédie de Lac-Mégantic —, même s'il n'en a pas le contrôle au moment de l'accident, demeure responsable des coûts de nettoyage. D'ailleurs, l'ordonnance a été émise par le ministre de l'Environnement.
Vous dites qu'Irving était propriétaire du pétrole le 6 juillet dernier, soit au moment de la tragédie. Or si on se fie à certaines tractations qui ont lieu présentement dans le cadre du recours collectif, il semblerait que cette question soit en litige. Est-ce que c'était World Fuel Services, la compagnie propriétaire au départ, qui en était encore propriétaire jusqu'à l'arrivée du pétrole dans le port de Saint John, au Nouveau-Brunswick, ou est-ce que c'était Irving? À ma connaissance, l'avis a été envoyé aux deux propriétaires présumés.
Comme vous voyez, ce genre de mesures existe déjà, mais malheureusement, cela ne profite qu'au ministre de l’Environnement. Cela ne porte que sur les dommages environnementaux. Pour tout ce qui touche l'indemnisation des victimes, notamment dans le cadre d'un recours collectif, on ne peut pas invoquer cette disposition.
Est-ce que ce serait faisable? Certainement. Est-ce que cette disposition, qui a fait l'objet d'une ordonnance, va être contestée par le propriétaire, probablement jusque devant la Cour suprême, pour qu'elle soit jugée inconstitutionnelle? Fort probablement. Est-ce que ces gens vont réussir? À mon avis, non, comme dans le cas des cigarettiers qui ont perdu leur cause à l'époque lorsque des lois particulières permettant de les poursuivre ont été adoptées.
Il reste que pour cette question à elle seule, on en a pour 10 ans. C'est le temps que prendrait une contestation portant sur la constitutionnalité de cette disposition. Je ne sais pas si une telle disposition existe dans d'autres provinces, mais celle-ci existe depuis 1978 au Québec.
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Le problème avec le PTC, c'est qu'il s'agit d'un terme générique pouvant avoir différentes significations, selon l'endroit où l'on se trouve dans le monde. Il existe des applications très précises de différents types de systèmes de commande intégrale des trains.
Au Japon, le train shinkansen est équipé d'un système de commande automatisé des trains dans la cabine, système qui ne dépend pas des signaux le long des chemins de fer. Ces trains existent depuis 1964. Comme je l'ai mentionné, même les chemins de fer à vapeur américains dans les années 1920, comme le Pennsylvania Railroad, par exemple, étaient munis de systèmes de commande intégrale des trains, tout comme la Great Western Railway et d'autres chemins de fer au Royaume-Uni.
La technologie se présente sous de nombreuses formes et a évolué de nombreuses façons. Dans des situations comme celles de Saint-Jacques de Compostelle, en Espagne, un système plus ancien devait interagir avec un système moderne, et l'interaction elle-même entre les deux systèmes a en partie causé l'accident.
Au Canada, nous n'avons que des signaux visuels, et les deux mécaniciens dans la locomotive les vérifient. Dans le cas de Burlington, ça n'a pas fonctionné. Il y avait un troisième mécanicien qualifié dans la cabine. Même s'il était en formation, il était qualifié et expérimenté. Cela n'a pas empêché les signaux d'être mal interprétés dans ce cas-là.
Lorsque je parle d'un système de commande intégrale des trains, je parle d'un système qui constitue une seconde ligne de défense, de sorte que si une erreur est commise ou si un signal fonctionne mal, comme cela s'est produit à Saint-Charles-de-Bellechasse lorsque le train de Via Rail a déraillé en raison d'un signal partiellement caché, il existe une deuxième ligne de défense. C'est la recommandation du BST.
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À votre première question concernant l'obligation morale, je vous rappelle simplement ce qui s'est déjà passé au Canada il y a une vingtaine d'année dans le cadre du scandale du sang contaminés. Dans ce cas précis, la responsabilité civile du ministère de la Santé n'a jamais été établie devant un tribunal du gouvernement fédéral.
Toutefois, à un moment donné, on s'est rendu compte collectivement, à la suite de pressions politiques, que c'était intenable pour les victimes du sang contaminé d'être laissées dans des méandres de recours juridiques qui n'en finiraient pas puisqu'elles allaient mourir bien avant que cela arrive à terme. Finalement, l'obligation morale et la solidarité nationale commandaient de mettre en place un régime d'indemnisation qui, sans indemniser complètement les victimes en raison de plafonds fixés par la loi, prévoyait au moins le versement plus rapide d'indemnités raisonnables.
Pour ma part, sans engager la responsabilité de l'État fédéral dans la catastrophe, je crois que la tragédie de Lac Mégantic a été un élément déclencheur pour tout le monde. Nous avons constaté jusqu'à quel point le monde du le transport ferroviaire avait évolué et comment les limites d'assurance, les mesures de contrôle et autres demandaient à être remises à jour. Elle est arrivée cette tragédie qui a fait 47 morts.
Comme je l'ai déjà dit, les coûts d'indemnisation seraient relativement peu élevés pour l'État si, pour des motifs de solidarité nationale, il indemnisait les victimes sans que ce soit d'une manière complète comme le feraient les tribunaux civils. L'État pourrait assurer à ces personnes qu'elles n'attendront pas 15 ans avant de toucher une indemnité. C'est ma réponse à votre première question.
La deuxième question est intéressante puisque le l'Office des transports a été le dernier à être ajouté à la liste des intimés dans le recours collectif intenté au Québec par les représentants des victimes. L'Office des transports est-il responsable de ce qui s'est passé d'un point de vue juridique?
Il est évident qu'il est impossible d'attaquer l'Office des transports, l'OTC, en disant que la réglementation était insuffisante. Il s'agit d'une décision de nature politique et, heureusement, les juges ne se mêlent pas de questions de politiques, à savoir quelle réglementation doit être adoptée.
L'office a-t-il mal appliqué la réglementation existante? C'est le point qui a été plaidé dans le cadre de l'amendement présenté pour engager la responsabilité de l'OTC. Je n'ai absolument aucun fait ni d'un côté ni de l'autre qui m'indique que l'OTC a fait preuve d'un aveuglement volontaire dans l'application de la réglementation, qu'il aurait laissé aller les choses et que c'est ce qui pourrait être la cause du déraillement en question.
On s'entend certainement pour dire que la loi était insuffisante considérant la règle actuelle du Règlement sur l'assurance-responsabilité qui proposait une limite suffisante, quand on sait que certaines de ces entreprises étaient assurés pour moins de 100 millions de dollars et même beaucoup moins que 50 millions de dollars. Quand nous pensons aujourd'hui aux conséquences possibles de ces accidents étant donné la dangerosité des produits, de toute évidence, la loi était insuffisante. Le problème est que cela n'engage pas pour autant la responsabilité civile de l'État.