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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 15 mai 2001

• 1532

[Traduction]

Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Bon après-midi.

[Français]

Soyez tous les bienvenus.

[Traduction]

La séance est ouverte. Il s'agit de la 17e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous recevons aujourd'hui d'autres témoins dans le cadre de l'examen du projet de loi C-7, Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence.

Comme nous en avons déjà parlé aujourd'hui, nous accueillerons cet après-midi des fonctionnaires du ministère de la Justice qui répondront, nous l'espérons, à certaines questions soulevées au cours des dernières semaines au sujet du projet de loi sur le crime organisé. J'espère que cette discussion répondra à nos interrogations de ce matin et que nous saurons ensuite si nous pouvons ou non passer à l'examen article par article du projet de loi jeudi de cette semaine, ou plus tard.

Là-dessus...

[Français]

M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): J'invoque le Règlement, monsieur le président.

Deux mémoires très importants ont été déposés par des organismes liés au droit. Je pense au Barreau du Québec et à une association sur les libertés civiles. Est-il possible de s'assurer qu'avant de commencer l'étude article par article tous les députés aient reçu ces mémoires?

Je crois qu'on va vouloir relire les mémoires pour établir la position de nos partis, et il serait important qu'on ait tous les mémoires des témoins, surtout lorsqu'ils contiennent des recommandations sur des modifications substantielles.

[Traduction]

Le président: On m'informe qu'ils ont été envoyés à la traduction dès leur réception et qu'ils vous seront distribués dès que nous les aurons.

[Français]

M. Réal Ménard: Oui, mais s'ils ne sont disponibles qu'après l'étude article par article, on ne sera pas plus avancés. Je sais qu'ils seront traduits. Ce n'est pas là ma question. Je vous demande si on peut s'assurer que ce sera disponible avant l'étude article par article.

[Traduction]

Le président: J'ai compris, monsieur Ménard, et si vous le permettez, je vais m'entretenir un instant avec mon greffier.

On me dit que les membres du comité pourraient les recevoir jeudi matin. Cette intervention judicieuse sera utile pour la discussion que nous aurons tantôt, au sujet de l'examen article par article.

Je donne la parole aux responsables du ministère de la Justice. Comme toujours, vous êtes les bienvenus.

M. Yvan Roy (avocat général principal, Politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice): Merci, monsieur le président.

Je m'appelle Yvan Roy. Je travaille pour le ministère de la Justice, à la Section de la politique en matière de droit pénal. Voici M. Stanley Cohen, l'un de nos plus grands constitutionnalistes, surtout en matière de charte des droits et de répartition des pouvoirs.

• 1535

Vous avez peut-être constaté, monsieur le président, qu'il y a derrière moi une flopée d'avocats, et selon les questions que posera le comité, si d'autres explications que Stan et moi pouvons fournir sont nécessaires, avec votre permission, je leur demanderai de se joindre à nous, à la table, mais seulement en cas de besoin.

Le président: Je ne sais pas quel peut être le nombre, mais si quelqu'un veut venir s'asseoir à la table, il y a de la place et je n'ai pas d'objection à ce qu'ils le fassent, si vous le souhaitez.

M. Yvan Roy: Je pense que pour commencer, ils resteront assis derrière, mais nous sommes très à l'aise pour les faire venir à la table, au besoin.

[Français]

Je croyais, monsieur le président, qu'il pourrait être utile, d'entrée de jeu, de vous présenter certains commentaires, certains points d'information sur au moins trois aspects qui semblent être revenus à de nombreuses reprises au cours des audiences de ce comité.

Les trois points sur lesquels je pourrais commenter sont les suivants: la question de l'utilisation d'un modèle judiciaire dans la réponse qui serait donnée par ce texte législatif à la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Shirose-Campbell; traiter brièvement de l'élargissement possible de la définition de «personne participant au système de justice pénal»; finalement, dire quelques mots sur l'infraction qui est créée dans ce projet relativement à la participation des personnes aux organisations criminelles et sur la définition qui vous est présentée de ce qu'est une organisation criminelle.

[Traduction]

Monsieur le président, j'espère que ces trois groupes de commentaires seront utiles pour le comité, même si je sais bien qu'il y aura bien davantage de questions que celles auxquelles j'aurais pu répondre par ces commentaires. Par conséquent, j'essaierai de me limiter à sept à dix minutes d'exposé. Ensuite, nous répondrons volontiers aux questions que pourrait avoir le comité. Si cela vous convient, nous procéderons ainsi.

Merci, monsieur le président.

[Français]

La question du modèle choisi quant au contrôle des activités des forces de l'ordre en est une qui a été au coeur des préoccupations de la ministre de la Justice et du gouvernement dans l'élaboration de ce projet de loi. La question s'est posée très tôt de savoir s'il fallait y aller avec un modèle qui serait uniquement législatif, c'est-à-dire que le Parlement donne directement aux agents de la paix la permission de commettre des infractions lors des enquêtes que ces gens-là pourraient mener, ou y aller avec un modèle qui soit davantage judiciaire, ou avoir un troisième modèle, celui où l'imputabilité des ministres responsables serait directe et très politique.

[Traduction]

Vous savez bien sûr que le gouvernement a choisi de présenter à la Chambre un modèle qui respecte la responsabilité de l'exécutif, une responsabilité assumée par le ministre compétent, qui doit faire la nomination lui-même ou elle-même. La définition de «l'autorité compétente» dans le projet de loi est assez claire à ce sujet: la nomination doit être faite par le ministre responsable de la police, et personne d'autre.

Pourquoi a-t-on fait ce choix? Vous avez entendu les témoins ce matin: c'est un modèle qui donne à l'État la marge de manoeuvre qu'il juge nécessaire pour faire le travail qu'on attend de lui. Comme vous l'ont dit les témoins ce matin, en tant qu'agent de la paix, vous avez besoin d'une certaine souplesse pour réagir aux événements comme ils se produisent. Monsieur le président, il est tout simplement impossible pour ces gens d'obtenir une autorisation judiciaire, du point de vue pratique.

Du point de vue théorique, l'État doit avoir un grand respect pour les fonctions de l'appareil judiciaire. Le gouvernement estime qu'il ne revient pas au système judiciaire d'émettre ce genre de mandat. Pourquoi? Parce que dans les cas actuels, prévus par la loi, quand on demande à l'appareil judiciaire d'émettre un mandat, il s'agit de situations claires, comportant des paramètres stricts, où il a, à notre avis, un rôle très clair à jouer, en tenant compte des divers intérêts. Mais il s'agit toujours de situations où les paramètres sont sans équivoque.

• 1540

En venant à vos audiences et en écoutant les témoins qui étaient en faveur de la position proposée par le gouvernement, j'étais bien content de constater qu'ils n'ont pu trouver une seule administration de common law où ce genre de comportement était avalisé par un mandat émis par juge; en effet, les recherches effectuées au ministère n'ont pu trouver pareil modèle dans une administration ayant un régime de common law.

Il est toujours très périlleux de venir vous parler de l'état du droit aux États-Unis, en Angleterre, en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans d'autres régimes de common law. Nous avons voulu nous rendre dans ces administrations pour voir comment elles fonctionnaient.

Dans une bonne mesure, vos témoins ont confirmé qu'il n'y avait nulle part de modèle judiciaire, et notre recherche aux États-Unis, où il y a 51 administrations qui s'occupent de droit pénal, en plus du niveau fédéral pour certaines questions, a établi également qu'il n'y avait là-bas aucun modèle judiciaire.

En Angleterre, la situation n'est pas claire, quant à l'état du droit. Nous avons constaté qu'une décision rendue par la Chambre des lords en 1996, dans une affaire semblable à celle de Shirose et Campbell, portait nos pas sur la même question, mais sur un autre aspect de l'affaire.

En Australie, où des décisions ont été rendues par les tribunaux, il y a une affaire qui remonte à 1995, l'affaire Ridgeway. Là-bas, on a choisi un modèle qui n'est pas judiciaire.

Je vous dirais que ce choix a été fait pour des raisons pratiques et des raisons de principe, mais aussi parce qu'au bout du compte, il est essentiel que les personnes chargées de l'application de la loi prennent leurs responsabilités.

Dans notre propre pays, nous avons un modèle que nous pouvons adopter, soit le règlement d'application de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, et il ne s'agit pas d'un modèle judiciaire.

Je vous dirai que ce modèle a fonctionné à la perfection, depuis son instauration, il y a quatre ans. Si ce n'est pas à la perfection, on ne nous a pas informés de problèmes qui pourraient nous faire conclure que cela ne marche pas. Pourquoi? C'est parce que l'État, par l'intermédiaire de ses corps policiers, prend ces pouvoirs très au sérieux et a créé un cadre très strict pour structurer le recours aux pouvoirs qui sont conférés.

M. St-Laurent, ce matin, vous a dit que c'est certainement ce qu'on fait à la CUM et nous croyons—comme le gouvernement vous dit, à vous les législateurs—qu'il sera dans l'intérêt des ministres responsables des corps policiers d'émettre les genres de lignes directrices dont nous avons parlé.

Nous pensons que c'est la chose à faire, dans un régime de common law. Le pouvoir est donné à quelqu'un, la responsabilité incombe clairement à quelqu'un, et cette personne a toutes les raisons du monde de s'assurer que les pouvoirs sont utilisés de manière à respecter les modalités et, à mon avis, monsieur le président, à les respecter strictement.

J'aimerais aussi attirer votre attention sur toute la question de l'intimidation. Vous avez entendu des témoins, plus particulièrement ceux de ce matin, vous dire qu'il serait important pour eux que la définition de «personne associée au système judiciaire» qui figure à la page 2 du projet de loi C-24 soit élargie.

• 1545

Monsieur le président, j'attirerai d'abord votre attention... Permettez-moi d'abord de dire que la définition n'est pas en soi particulièrement importante. C'est en lisant l'infraction ainsi créée qu'on peut comprendre la véritable portée de cette définition. Il s'agit ici d'une nouvelle infraction d'intimidation de toute personne associée au système judiciaire, infraction qui se trouve à l'article 11 du projet de loi et qui deviendrait l'article 423.1 du Code criminel.

Cette infraction a été créée afin de signifier clairement à ceux qui intimident les personnes associées au système de justice qu'ils sont passibles d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 14 ans.

À l'heure actuelle, l'infraction d'intimidation est punissable d'une peine de six mois de prison. Dans le projet de loi C-24, le gouvernement propose qu'à l'avenir, cette infraction entraîne une peine de cinq ans d'emprisonnement.

Il y a donc au départ l'infraction d'intimidation qui s'applique à tous. Si vous intimidez quelqu'un, vous êtes passible d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à cinq ans. Si vous intimidez des personnes associées au système de justice, ce projet de loi prévoit une peine maximale de 14 ans.

Comment cela s'explique-t-il? Pourquoi a-t-on prévu des peines maximales de cinq ans et de 14 ans? L'explication, monsieur le président, se trouve au paragraphe 423.1(1) qu'on se propose d'ajouter au Code criminel et qui stipulerait que la Couronne a l'obligation de prouver hors de tout doute raisonnable que le délinquant a agi «dans l'intention a) soit de provoquer la peur chez un groupe de personnes ou le grand public en vue de nuire à l'administration de la justice; b) soit de nuire—et ces mots sont importants—à cette personne dans l'exercice de ses attributions.»

On a ainsi voulu accorder une protection spéciale aux agents de la paix, aux procureurs, aux juges, aux gardiens de prison dont il est clair que les fonctions les obligent à côtoyer des criminels.

Lorsqu'on parle d'un maire, d'un conseiller municipal, il s'agit de personnes dont les fonctions sont beaucoup plus vastes que la simple administration du système de justice pénale. Par conséquent, vous conférez une protection beaucoup plus grande que celle qui avait été anticipée ou attendue.

Si vous comptez nous indiquer à nous, du ministère de la Justice, que vous seriez intéressés à élargir la portée de cette disposition—et la ministre, lorsqu'elle a témoigné devant votre comité il y a 10 jours, a fait montre d'ouverture d'esprit à ce sujet—, je vous suggère de faire en sorte que la portée de la disposition demeure la plus restreinte possible, de sorte qu'elle cible ceux qui jouent un rôle au sein du système de justice pénale et non pas tous ceux qui pourraient avoir des contacts avec des criminels, tels que les maires des municipalités, qui ne sont pas à strictement parler des personnes associées au système de justice pénale. C'était là la deuxième remarque que je voulais faire.

Troisièmement, monsieur le président, il y a l'infraction de participation à une organisation criminelle qui se trouve au nouvel article 467.11 du Code criminel. Les dispositions qui intéressent les membres du comité figurent à la page 29 du projet de loi, à l'article 27.

Des questions ont été soulevées sur la définition d'une organisation criminelle. Monsieur le président, j'aimerais, aux fins du compte rendu, vous citez la définition d'une organisation criminelle qui figure dans la Convention contre la criminalité transnationale organisée, convention qui a été adoptée par les Nations Unies et ouverte à la signature en décembre dernier.

Dès que je l'aurai lue, vous conviendrez que cette définition ressemble étrangement à celle dont vous avez été saisis.

    L'expression «groupe criminel organisé» désigne un groupe structuré de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves ou infractions établies conformément à la présente Convention, pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel;

• 1550

Je vous invite à lire la définition qui figure dans le projet de loi. Je crois que vous y trouverez plus ou moins les mêmes éléments que dans la définition de l'ONU.

J'aimerais ajouter une chose, monsieur le président: Vous vous demandez peut-être ce qu'on entend par «groupe structuré». Dans le projet de loi, on parle d'un groupe formé de quelque façon que ce soit. Dans la convention, on va jusqu'à dire ceci:

    L'expression «groupe structuré» désigne un groupe qui ne s'est pas constitué au hasard pour commettre immédiatement une infraction et qui n'a pas nécessairement de rôle formellement défini pour ses membres, de continuité dans sa composition ou de structure élaborée;

On s'est ainsi assuré que la définition comportait une certaine souplesse, mais aussi que la définition ne s'appliquerait pas aux personnes qui s'unissent spontanément pour commettre une infraction. C'est important, parce que les deux, trois ou quatre adolescents qui décident d'entrer par effraction dans une maison ne constituent pas une organisation criminelle. Ce n'est pas eux que vise la définition, pas plus que la définition qui figure dans les instruments internationaux.

Le Canada tente de suivre les directives—le mot directive est peut-être trop fort—, disons plutôt l'exemple des Nations Unies. Nous estimons, monsieur le président, que cela nous aidera à défendre la constitutionnalité de cette mesure législative, parce que des définitions comme celle du projet de loi ont été adoptées ailleurs.

C'était là les trois choses que je tenais à signaler aux membres du comité. Je crois avoir pris 12 minutes plutôt que 10. Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

Le président: Merci beaucoup. Vous étiez sans doute présent plus tôt et vous conviendrez que 12 minutes, ce n'est pas si mal.

Monsieur Cadman, vous avez sept minutes.

M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, AC): Merci, monsieur le président, et je n'aurai pas besoin de sept minutes. Ce projet de loi nous pose très peu de problèmes. Je sais que certains de mes collègues ont des préoccupations et je leur cède mon temps de parole.

Vous venez de nous décrire les définitions. Nous avons entendu des témoignages à ce sujet, que vous avez probablement entendus vous-même si vous étiez présent. Vous avez parlé des adolescents qui décident ensemble d'entrer par effraction dans une maison. D'aucuns croient encore qu'il y a là un problème, que le projet de loi pourrait s'appliquer à eux. Moi, je donne l'exemple de personnes âgées qui complotent en vue de geler une injonction de la cour visant à bloquer les chemins d'exploitation forestière en Colombie-Britannique. Je sais que certains craignent que ces personnes soient assujetties à ces nouvelles dispositions législatives. Je ne partage pas cette crainte, mais comment peut-on rassurer ceux qui éprouvent cette crainte?

M. Yvan Roy: Je vous renvoie à notre définition de «organisation criminelle»—encore une fois, c'est à l'article 27 de la page 9 du projet de loi. Je rappelle à ceux qui sont inquiets qu'il incombe à la Couronne de prouver hors de tout doute raisonnable que l'un des principaux objectifs ou l'une des principales activités du groupe est de commettre ou de faciliter la perpétration d'infractions graves. Ce n'est pas le cas d'un syndicat, par exemple. Il est possible qu'un groupuscule au sein du syndicat le fasse, que c'est leur principal objectif, mais ce n'est pas le cas de tout le syndicat.

Il importe aussi de noter, monsieur Cadman, qu'aux termes de cette définition, il faudra qu'il soit probable que des avantages matériels résultent de la perpétration de ces infractions, que ce soit directement ou indirectement. Dans le cas d'un groupe qui fait du piquetage, je crois que c'est aller un peu loin que de dire qu'ils commettent une infraction afin d'en obtenir un gain matériel. Certains prétendront que l'objectif ultime, c'est un avantage quelconque dans la négociation avec l'employeur, et que c'est ce qu'ils tentent de faire.

Je ne crois toutefois pas que ce soit l'intention ici. D'ailleurs, en faisant des remarques de ce genre aux fins du compte rendu, les juges sauront à l'avenir qu'ils peuvent interpréter cette disposition aussi étroitement que le souhaite le Parlement.

M. Chuck Cadman: Je le répète, cette fois-ci, dans le cas d'un adolescent qui commet une entrée par effraction pour voler des biens qu'il vendra ensuite pour pouvoir s'acheter de la drogue. Encore une fois, cela ne me préoccupe pas particulièrement, mais je sais que cela en préoccupe d'autres.

M. Yvan Roy: Je vous renvoie au troisième élément de la définition, qui devrait vous rassurer. La dernière phrase de la définition est la suivante: «La présente définition ne comprend pas un groupe d'individus formé au hasard pour la perpétration immédiate d'une seule infraction.» Les trois jeunes dont vous parlez relèvent de cette catégorie. D'ailleurs, ce libellé est très semblable à celui de la convention des Nations Unies sur le crime organisé que je viens de lire.

• 1555

Encore une fois, afin de nous assurer que ceux qui ne doivent pas être assujettis à cette disposition ne le sont pas, nous nous en sommes remis du mieux que nous pouvions à la définition qui existe déjà au niveau international. J'estime que, dans l'ensemble, nous avons assez bien réussi, mais c'est à vous qu'il incombe d'en décider.

M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Cadman.

Monsieur Ménard, vous avez la parole.

[Français]

M. Réal Ménard: J'ai beaucoup de questions.

Dans le communiqué de presse qui accompagnait le projet de loi, à la page 4, on définit un peu la notion d'immunité. Est-ce qu'on doit avoir une compréhension extensive de la notion d'immunité et dire que dans tous les cas où elle n'est pas prévue, pour les quatre infractions, dont l'agression et les lésions physiques, si ce sont des infractions qui se rapportent au Code criminel et que l'immunité n'est pas interdite, elle pourrait s'appliquer? Est-ce une interprétation que l'on peut faire, dans un premier temps?

Deuxièmement, est-ce que vous pouvez faire le point sur les appréhensions qu'avait notre collègue le maire de Blainville lorsqu'il parlait de la saisie possible d'un bunker, et jusqu'où estimez-vous que la loi va nous permettre d'aller comme législateurs?

Troisièmement, qu'est-ce que l'on doit comprendre du nouveau droit qui va être créé concernant l'extension des biens infractionnels? On dit qu'il y a 40 autres infractions possibles. Parlez-nous donc de ce que ça voudra dire si le projet de loi est appliqué.

Je reviendrai pour mes trois autres questions.

Si ce n'est pas trop indiscret—je sais qu'il ne doit pas y avoir de secrets entre le comité et le ministère de la Justice—, pensez-vous que les études dont vous parlez concernant ce qui se fait ailleurs pourraient nous être remises? Vous dites—et c'est un argument de poids dans un débat—qu'il n'y a aucun autre pays de common law où on a un modèle de contrôle judiciaire qui procède par autorisation judiciaire pour autoriser des infiltrations. Il me semble que ce serait intéressant d'invoquer cela comme argument dans un débat avec ceux qui ont des réticences. Moi, j'en côtoie quotidiennement.

M. Yvan Roy: J'ai pris des notes au sujet des trois dernières questions, mais quelle était la première?

M. Réal Ménard: Je voudrais que vous nous parliez de l'immunité. Dans le communiqué que vous avez rendu public, vous dites que l'immunité ne s'appliquera pas dans un certain nombre de cas et vous donnez quatre exemples. Est-ce qu'on doit comprendre a contrario qu'elle va s'appliquer dans tous les autres cas et que, dès qu'il y aura une enquête criminelle, et donc une infraction qui se rapporte au Code criminel, cette immunité pourra être autorisée potentiellement par un haut fonctionnaire?

M. Yvan Roy: Je répondrai d'abord à la première question. Le régime qui est proposé est essentiellement un régime en trois parties. Il y a, dans un premier temps, des infractions qui ne peuvent pas être commises, quelles que soient les circonstances. Ces infractions-là sont répertoriées au paragraphe 25.1(11) proposé, que vous trouverez vers la page 6 du projet de loi.

Il s'agit des infractions qui portent atteinte à l'intégrité sexuelle d'une personne, des infractions qui résultent en la mort de quelqu'un, des infractions qui ont pour effet de causer des lésions corporelles et des infractions relativement à la bonne administration de la justice. Le projet de loi dit à l'État qu'il ne peut pas commettre ces infractions.

Le deuxième niveau d'infractions comprend des infractions qui pourraient être commises par des officiers de police. Donc, il ne s'agit pas des fonctionnaires publics, mais des gens qui agissent au nom de l'État, sans avoir cette fonction-là. Ce sont essentiellement des informateurs. Lorsqu'il y a aura destruction de propriété, la loi dira que si les agents de la paix sont pour commettre cette infraction ou diriger les activités d'une personne qui pourrait les commettre, ils devront avoir obtenu l'autorisation d'un fonctionnaire qui aura lui-même été désigné personnellement par le ministre responsable. Vous, agents de la paix, si vous êtes pour commettre cette infraction ou si vous êtes pour diriger les activités d'une personne qui pourrait les commettre, vous devrez obtenir l'autorisation d'un fonctionnaire supérieur, qui lui-même aura été désigné par le ministre responsable personnellement. C'est la deuxième catégorie.

• 1600

La troisième catégorie, et vous avez raison, ce sont les autres infractions de droit pénal canadien qui, elles, peuvent être commises dans la seule mesure où la commission de l'infraction satisfait au test de proportionnalité requis en vertu de la loi. Vous ne pouvez pas commettre une infraction parce que c'est plus commode. Vous ne pouvez pas commettre une infraction qui serait plus grave que l'infraction sur laquelle vous enquêtez. Vous devez avoir une forme de proportionnalité. Il faut que ce soit raisonnable et proportionnel dans les circonstances.

M. Réal Ménard: D'où vient le test de proportionnalité? Est-il inscrit dans la loi?

M. Yvan Roy: Il est inscrit dans la loi.

M. Réal Ménard: Qu'est-ce que ça veut dire concrètement?

M. Yvan Roy: Je vous invite à en prendre note au paragraphe 25.1(8) proposé, qui se trouve à la page 5. Le fonctionnaire public est justifié de commettre l'acte ou l'omission si:

      c) il croit, pour des motifs raisonnables, que la commission de l'acte ou de l'omission est, par rapport à la nature de l'infraction ou des activités criminelles faisant l'objet de l'enquête, juste et proportionnelle dans les circonstances, compte tenu...

Et là on énonce certains facteurs. Si l'agent de la paix, le fonctionnaire public ne peut pas satisfaire à ce critère de proportionnalité, il ou elle commet l'infraction.

M. Réal Ménard: C'est une bonne balise.

M. Yvan Roy: Le même test doit être appliqué et satisfaire le fonctionnaire supérieur. Or, le fonctionnaire supérieur ne se ferme pas les yeux et ne se dit pas que son fonctionnaire inférieur lui a dit qu'il avait besoin de commettre cette infraction. Il doit lui-même se satisfaire de la proportionnalité.

Vous entendiez M. Saint-Laurent dire ce matin qu'il peut y avoir des conséquences très graves à ne pas satisfaire à ce test. Non seulement on peut être poursuivi au criminel, mais on va perdre votre emploi.

M. Réal Ménard: Est-ce qu'on peut perdre son emploi si la cour en décide ainsi, ou si c'est la déontologie policière qui l'exige?

M. Yvan Roy: Ce pourrait être les deux. Habituellement, les deux processus peuvent fonctionner en parallèle. C'est l'arrêt Wigglesworth de la Cour suprême.

N'oublions pas que le ministre responsable pourra imposer des conditions aux désignations qu'il aura faites. La loi le prévoit de façon spécifique. Je vous amène au paragraphe (7) de ce même article 25.1.

    (7) Les désignations effectuées en vertu des paragraphes (3) et (6) peuvent être assorties de conditions.

Il peut fixer ces désignations pour un temps donné. Le ministre pourrait fixer ces désignations pour certaines infractions seulement ou dire à ses policiers qu'ils ne peuvent pas commettre telles autres infractions qui, elles, seraient en-deçà de celles qui sont déjà prohibées en vertu de la loi.

Donc, c'est un régime, à notre avis, qui est extrêmement enrégimenté.

M. Réal Ménard: Mais à l'égard duquel...

[Traduction]

Le président: Monsieur Ménard, nous avons encore beaucoup de temps.

M. Réal Ménard: J'y reviendrai.

Le président: Oui, vous aurez la chance de poser d'autres questions.

La parole est à M. Owen.

M. Réal Ménard: Merci, monsieur le président.

Le président: Je vous en prie, monsieur Ménard.

M. Stephen Owen (Vancouver Quadra, Lib): Merci, monsieur le président, et merci aux fonctionnaires et à leurs collègues.

Je vous félicite de la réflexion approfondie qui a manifestement mené à la rédaction de ce projet de loi détaillé, lequel a dû être rédigé dans les meilleurs délais afin que nous puissions faire face à la menace que constitue le crime organisé pour notre société.

Bon nombre des préoccupations exprimées par les avocats de pratique privée, les associations du Barreau et les associations de défense des libertés civiques portent sur la nature plutôt vague du libellé.

Monsieur Roy, vous avez, à juste titre, dit que ce libellé nous offrait la plus grande marge de manoeuvre possible. C'est avec cette intention qu'on a choisi ce libellé. Pourtant, l'un des principaux thèmes de ce projet de loi est la reddition de comptes. Sans une définition claire, la souplesse pourrait faire obstacle à une pleine reddition de comptes. Le paragraphe 25.1(2) énonce bien le principe de la primauté du droit et celui selon lequel ceux qui ont la responsabilité d'appliquer les lois doivent se conformer au principe de la primauté du droit. Bien sûr, c'est primordial.

• 1605

Un des fondements de la primauté du droit veut que les lois soient certaines. Entre la souplesse et le désir d'assurer la reddition de comptes, l'incertitude est possible. Je crois que les inquiétudes que nous avons entendues tiennent au fait que les gens s'imaginent la pire exécution, même dans des circonstances limitées, du pouvoir qui sera conféré par ce projet de loi.

Comme vous l'avez dit, je suis sûr que l'intention du législateur est d'établir des conditions et des normes. Nous avons entendu les représentants de la police de Montréal ce matin nous dire qu'ils avaient l'intention de bien former les policiers qui seront désignés et de mettre en place des mécanismes stricts de reddition de comptes.

Je me demande si nous ne pourrions pas apaiser les inquiétudes du public, du moins, celles qui ont été exprimées ici, en décrivant clairement les conditions, les activités, la surveillance et les rapports anticipés. Certains ont exprimé des préoccupations et on a répondu à ces préoccupations de façon à les apaiser, mais la loi comme telle demeure vague.

Les légistes, ceux qui travaillent au sein du système, comprennent peut-être bien les restrictions qui seront imposées et les règlements, normes, politiques et pratiques et tout le reste qui seront mis en place. Peut-être pourrions-nous donner quelques indications à ce sujet tout en nous conformant au libellé du projet de loi qui doit nécessairement rester sommaire.

M. Yvan Roy: J'ai déjà fait allusion, monsieur Owen, au fait que la mesure législative, au paragraphe 25.1(7), prévoit précisément le pouvoir de désignation. À mon avis, cela ne m'apparaît même pas nécessaire. J'estime que le ministre peut déjà prendre cette décision sans que la loi lui permette expressément, mais le projet de loi dit que les désignations «peuvent être assorties de conditions».

Voulez-vous dire qu'il serait peut-être bon pour le gouvernement de préciser quelles pourraient être ces conditions? Qu'il précise les restrictions de temps, les restrictions relativement au genre d'enquête que pourrait mener un agent ainsi désigné, les restrictions quant aux infractions qui pourraient être commises de sorte que le ministre ait encore davantage de comptes à rendre? Si nous allons trop loin, j'estime que la tension qui existe entre la reddition de comptes de la part du ministre et son ingérence indue dans les opérations policières disparaîtrait.

Je ne crois pas que le Parlement voudrait que les ministres puissent aller jusqu'à choisir les cibles des enquêtes ou la façon dont les enquêtes seraient menées, par exemple. Cette tension est nécessaire et, pour l'atteindre, nous avons tenté de trouver un compromis.

M. Stephen Owen: Oui, je suis d'accord avec vous. Cette tension est nécessaire.

Ce n'est pas une suggestion que je vous fais, j'aimerais simplement savoir ce que vous pensez de ce qui suit: Devrait-on prévoir dans le projet de loi une disposition disant essentiellement que le ministre peut, par règlement, fixer les conditions ou les normes de reddition de comptes en matière de désignation, de sélection ou de nomination des agents visés par cet article, une disposition sur les rapports, sur les détails de la surveillance de la formation? Ainsi, au moins, le public aurait une bonne idée des normes générales qui s'appliquent en la matière et le ministre serait assujetti à des conditions plus rigoureuses que celles dont les désignations «peuvent être assorties», comme le veut le paragraphe 25.1(7).

Monsieur Cohen?

M. Stanley Cohen (avocat-conseil général, Section des droits de la personne, ministère de la Justice): J'aimerais, si vous le permettez, aborder vos observations générales sur la portée du projet de loi, car cela soulève une question de communication aussi, soit la question de savoir si le projet de loi, et plus particulièrement cette partie-là, sont aussi vagues et larges que certains critiques le laissent entendre.

• 1610

Je suis censé me pencher sur ces questions du point de vue constitutionnel; je me demande donc si ce libellé est imprécis ou a une portée excessive en vertu de la Constitution.

Pour ma part, j'estime que les tribunaux jugeront le projet de loi suffisamment précis et constitutionnel pour différentes raisons. Entre autres, les exemptions de responsabilité sont prévues par la loi. Autrement dit, la loi confère ce pouvoir à la police. Par conséquent, en adoptant ce projet de loi, vous faites essentiellement en sorte que les activités de la police soient assujetties à la primauté du droit.

C'est un point fondamental. Il ne s'agit pas ici de permettre à la police de gêner la loi après l'adoption de cette mesure législative. Il s'agit plutôt de lui permettre d'agir conformément à la loi. La police a bien des pouvoirs qui vont au-delà de ceux dont jouissent les citoyens ordinaires. Si la police exerçait ces pouvoirs sans être autorisée à le faire, elle enfreindrait la loi, mais puisque cette loi les y autorise, ils respectent la primauté du droit. C'est très important.

Deuxièmement, les exemptions de responsabilité ne sont pas générales, mais elles ne sont pas non plus illimitées. En fait, il y a trois grandes catégories d'activités précises et distinctes. Certaines activités sont prohibées de façon absolue, certaines sont permises sans surveillance mais sont assujetties à la règle de la proportionnalité et d'autres exigent une autorisation préalable. C'est ce que les tribunaux appellent l'adaptation des lois à la gravité de la conduite ou de l'inconduite, si j'ose dire, dont il est question.

C'est aussi important lorsqu'il s'agit de déterminer si ces dispositions législatives sont imprécises ou ont une portée excessive et équivalent, comme le disent certains, à donner carte blanche à la police. Nous nous sommes efforcés d'être le plus précis possible compte tenu de la nature du sujet.

De plus, et vous en avez déjà discuté, des dispositions prévoient la reddition de comptes et, essentiellement, balisent et structurent le pouvoir discrétionnaire des policiers; ainsi, lorsqu'un agent de police supérieur est en cause, des grands principes généraux de reddition de comptes s'appliquent quant à la façon dont l'activité policière, sur le terrain, est limitée, organisée et vérifiée, pour employer les termes de la jurisprudence. Il importe de savoir que ces dispositions législatives sont conformes aux théories de base.

Pour terminer, je souligne que ces mesures sont tout aussi précises que le permet la nature du sujet. Dans l'arrêt clé sur l'imprécision de la Cour suprême du Canada, l'arrêt Nova Scotia Pharmaceutical Society, le tribunal déclare:

    Il faut éviter de recourir à la théorie de l'imprécision pour empêcher ou gêner l'action de l'État qui tend à la réalisation d'objectifs sociaux légitimes, en exigeant que la loi atteigne un degré de précision qui ne convienne pas à son objet.

Si, comme la majorité des témoins que j'ai entendus, vous êtes d'accord pour dire que l'arrêt Campbell et Shirose a privé la police d'un pouvoir que lui conférait la common law et qu'elle tenait pour acquis avant et après la Commission McDonald, il devient nécessaire d'adopter une loi pour remplacer ce pouvoir mais aussi pour le baliser.

On pourra, au fil de notre discussion de cet après-midi, revenir à l'historique de ces dispositions, mais je n'invente rien. Lorsque la Commission McDonald a déposé son rapport, des avis juridiques contraires ont aussi été rendus publics, avis qui avaient été rédigés par d'éminents juristes canadiens. Mais cette question n'a revêtu toute son importance que lorsque la décision dans l'affaire Campbell et Shirose a été rendue.

Le président: Merci beaucoup.

M. Stephen Owen: Merci. Votre réponse m'est très utile. Je crois que vous avez raison. Il se peut que ce soit une question de communication, mais nous devons nous assurer de jouir de la confiance du public.

Le président: Merci, messieurs Owen et Cohen.

Monsieur Spencer, la parole est à vous.

• 1615

M. Larry Spencer (Regina—Lumsden—Lake Centre, AC): Merci.

J'ai posé cette question à d'autres témoins déjà, et je reste inquiet. Je suis heureux que nous ayons l'occasion de donner ces outils à la police. Et je suis heureux d'entendre qu'elle devra rendre des comptes, comme vous l'avez décrit.

Puisque nous modifions le Code criminel, j'aimerais savoir pourquoi nous n'en profitons pas pour protéger les citoyens ordinaires dont les biens subissent des dommages par suite de certaines de ces opérations policières. Je crois savoir que les provinces s'en chargent dans la plupart des cas, mais la loi ne serait-elle pas meilleure si elle prévoyait des normes nationales à cet égard?

M. Yvan Roy: À l'heure actuelle, lorsque la police endommage les biens de tierces parties innocentes, elle indemnise ces personnes par le biais de ce que nous appelons, dans notre jargon, un paiement ex gratia. Autrement dit, vous nous dites à combien se chiffre les dommages que vous avez subis et, habituellement, nous vous remettons exactement ce montant.

Si vous tentez de prévoir cela dans une loi, je ne suis pas certain que cela puisse se faire au niveau fédéral. Si cela peut se faire, il n'est pas non plus certain que l'on puisse limiter ces paiements, dans une loi, aux tierces parties innocentes.

Lorsqu'elle a étudié toutes les options, la ministre a jugé bon de s'en remettre au régime actuel qui existe pratiquement dans tout le pays. Lorsque des tierces parties innocentes sont touchées d'une façon ou d'une autre, on préfère leur offrir un paiement ex gratia que de tenter de créer une sorte de responsabilité civile qui devrait alors s'appliquer... Nous croyons que cette solution entraînerait des problèmes à long terme.

M. Stanley Cohen: La question de l'indemnisation relève à la fois des droits des victimes et de la reddition de comptes. N'oublions pas qu'il existe des mécanismes nous permettant d'assurer la reddition de comptes et offrant des recours aux victimes et que ces mécanismes ne seront pas touchés par le projet de loi.

Tout d'abord, les policiers peuvent faire l'objet d'accusations s'ils abusent de leur pouvoir. Deuxièmement, dans toutes les provinces, je crois, et on me corrigera si je me trompe, il y a un régime d'indemnisation des victimes du crime. Encore une fois, cela s'appliquerait dans les cas d'abus de pouvoir. Troisièmement, il existe des recours en responsabilité civile lors de conduite abusive ou délictueuse, encore une fois, si la police abuse de son pouvoir. Il ne fait aucun doute qu'on a des recours en justice.

Il y a aussi la Constitution. Dans un sens, les recours constitutionnels demeurent une terre inconnue. Nous ignorons encore la pleine portée des recours constitutionnels qui pourraient être accordés par un tribunal dans un cas particulier. La common law prévoit certains recours pour poursuite abusive. Les agents de police restent assujettis à la discipline interne pour faute professionnelle ou autre inconduite. Il existe aussi des organismes policiers et publics qui reçoivent les plaintes du public dans certains cas.

Tout cela s'ajoute aux paiements ex gratia que M. Roy vous a décrits. Ils font partie de que j'appellerais le grand régime de reddition de comptes. Je rappelle aussi au comité que les abus ou fautes professionnelles de la police font les manchettes, mais que la police est certainement l'institution qui, au sein de notre société, est la plus surveillée. Les services de police comportent des mécanismes internes et externes de surveillance à tous les niveaux, et ce, dans toutes les régions du pays.

M. Larry Spencer: Peut-être que je regarde trop souvent la télé américaine et que j'ai entendu trop d'histoires d'horreur, mais je m'inquiète...

• 1620

Le président: Monsieur Spencer, nous reviendrons à vous plus tard.

Monsieur McKay, allez-y.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Merci, monsieur le président.

J'ai passé en revue, dans l'ordre inverse, vos remarques sur l'infraction de participation. Je vous sais gré de nous donner toutes ces informations aux fins du compte rendu. Déjà, il est bon de savoir qu'il existe une convention internationale et que le projet de loi s'y apparente.

Pour ce qui est d'élargir la liste des personnes associées au système de justice, on pourrait me persuader qu'il serait bon d'y inclure les procureurs généraux, les solliciteurs généraux des provinces. Cela me semble logique. Toutefois, inclure tous les politiciens nous éloignerait de l'idée de départ, à mon avis.

Il y a une chose que vous n'avez pas mentionnée et qui a été soulevée lors des témoignages de ce matin. Au sein du sous-comité, nous avons beaucoup entendu parler de l'énorme difficulté qu'a la police de constituer la preuve. J'ignore pourquoi nous n'en profitons pas pour modifier aussi la Loi sur la preuve au Canada afin de lui permettre de présenter la preuve sous forme électronique. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

De même, vous n'en avez pas profité pour mettre en oeuvre la recommandation 10 du sous-comité, qui prévoyait le renversement du fardeau de la preuve de sorte que ce soit ceux dont on saisit les biens qui devraient prouver qu'ils n'ont pas été acquis illégalement pour les ravoir. J'aimerais avoir vos observations là-dessus.

Ce qui m'intéresse surtout c'est l'affaire Campbell et Shirose. Un des policiers en a parlé ce matin, et j'aimerais comprendre la différence. On a donné l'exemple d'un agent de police qui vole une voiture. Avant que ne soit rendue la décision dans l'affaire Campbell et Shirose, il devait exister un régime juridique permettant aux agents de police de voler une voiture. D'ailleurs, il semble que, même après cette décision, les agents de police ont l'immunité juridique nécessaire pour voler une voiture.

Mais pour ce qui est du droit de fond, s'il n'y a pas de disposition législative, je ne vois pas qu'est la protection qu'on accorde aux agents de police qu'ils n'ont pas déjà. Peut-être pourriez-vous nous en dire plus long à ce sujet.

M. Stanley Cohen: On m'invite à commencer.

L'affaire Campbell et Shirose, comme l'a souligné l'un des témoins de ce matin, portait sur la primauté du droit. Les agents de police, comme tous les citoyens, doivent respecter la loi afin de ne pas être considérés comme des transgresseurs de la loi.

D'après les témoignages que j'ai entendus et les discussions que nous avons tenues en vue de l'élaboration de ce projet de loi, voici ce qui s'est passé dans le sillon de l'arrêt Campbell et Shirose. Après que la décision ait été rendue dans l'affaire Campbell et Shirose, des services de police d'un peu partout au pays ont commencé à mettre fin à certaines de leurs opérations, parce qu'ils n'étaient pas certains que ce qu'ils faisaient étaient conformes à la loi puisqu'ils avaient perdu le principal pilier qui soutenait leur position. Ce pilier, c'était la common law.

M. John McKay: Croyez-vous que cette interprétation est juste? La police semble croire qu'elle a perdu quelque chose quand la décision Campbell et Shirose a été rendue. Peut-être est-ce le cas, mais je n'ai pas entendu d'argument juridique me prouvant que tel est le cas.

M. Stanley Cohen: La police avait fondé sa position sur l'arrêt Waterfield, de la jurisprudence britannique. Cet arrêt disait essentiellement, et ce n'était pas étonnant, que la police a les pouvoirs que lui confère la common law pour protéger la société et préserver la paix.

Bien avant la Commission McDonald, cet arrêt a donné lieu à l'idée selon laquelle la police a des pouvoirs accessoires qui se fondent sur les devoirs dont elle est chargée en common law. Ces pouvoirs donnent aux policiers l'immunité nécessaire pour faire certaines choses qu'ils font, en toute bonne foi, dans l'exercice de leurs fonctions.

Après la décision Campbell et Shirose, a été rendue, il est devenu évident que la police ne pouvait plus invoquer l'arrêt Waterfield, puisque cet arrêt ne primait pas la décision de la Cour suprême du Canada.

• 1625

L'arrêt Waterfield a été invoqué par la Cour suprême dans d'autres circonstances—dans des cas d'urgence, par exemple—mais, manifestement, la police ne pouvait plus se fonder sur cette décision. Par conséquent, dans l'arrêt Campbell et Shirose, la Cour suprême du Canada nous a invités à élaborer une loi afin que la conduite de la police tienne compte dorénavant de la primauté du droit.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Roy, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Yvan Roy: Sauf tout le respect que je dois à la Cour suprême, la façon dont elle a décidé de traiter des questions qui avaient été soulevées dans l'affaire Shirose et Campbell ne laissait pas beaucoup de place aux arguments contraires, monsieur McKay. D'ailleurs, la cour a même dit à deux ou trois reprises—et c'est ce que je vérifiais dans la décision même—qu'il incombait au Parlement de déterminer, au nom de la société, quand il est indiqué, pour l'État, dans l'intérêt commun—en l'occurrence de transgresser la loi, pour arrêter ceux qui ont commis des infractions. La cour l'a dit à deux reprises et, si vous le souhaitez, je peux vous renvoyer aux paragraphes précis.

Les procureurs généraux du Canada ont considéré unanimement que d'après la jurisprudence Shirose et Campbell, le policier accusé d'une infraction n'a plus de moyen de défense. L'arrêt Waterfield ne s'applique pas et la Cour a dit spécifiquement qu'il ne peut pas prétendre qu'il n'avait pas d'intention criminelle.

De l'avis de la Cour suprême, la police confond essentiellement deux choses: l'intention de commettre une infraction et le motif de l'infraction. Les policiers prétendaient qu'ils commettaient l'infraction, mais dans un but louable. La Cour a dit: Excusez-nous, mais peu importe les raisons pour lesquelles l'infraction est commise; vous commettez une infraction. Si on en vient à cette conclusion que les policiers commettent des infractions, comment peuvent-ils le justifier en tant qu'agents chargés de l'application de la loi? Et comment les tribunaux doivent-ils y réagir?

Les tribunaux doivent les trouver coupables d'avoir commis ces infractions. Qui plus est, après la décision de la Cour suprême du Canada, on est tenu de voir dans un certain nombre de cas un accès de pouvoir de la part de l'État lorsque ses agents commettent une infraction alors même qu'il tente d'accuser quelqu'un d'en avoir commis une.

Dans le présent régime, on dit que l'agent chargé de l'application de la loi ne commet pas une infraction mais qu'il agit dans le cadre de la loi. C'est comme s'il était en situation de légitime défense, où l'on reconnaît qu'effectivement, une personne en a tué une autre intentionnellement et que dans d'autres circonstances, on considérerait qu'il s'agit d'un meurtre; mais compte tenu des circonstances qui permettent d'invoquer la légitime défense, ce «meurtrier» doit être acquitté.

C'est précisément de cela qu'il est question dans ce projet de loi, car les policiers ne peuvent rien faire sans la protection d'un régime juridique qui leur permette d'agir. On ne peut user du pouvoir discrétionnaire de poursuivre en l'invoquant ici, car l'État a le devoir d'intenter des poursuites quand une infraction a été commise.

Dans l'arrêt Shirose et Campbell, la Cour suprême invoque toute une jurisprudence qui établit que l'État n'a pas à préciser qu'il n'appliquera pas la loi à certaines infractions ou à certaines catégories de personne. S'il le faisait, il risquerait de se trouver en difficulté devant les tribunaux. Il faut un régime particulier qui protège la police. La Cour suprême a signalé à plusieurs reprises que ce régime relevait de la volonté du Parlement, et c'est précisément l'objet du projet de loi dont vous êtes saisis.

Le président: Merci beaucoup.

La parole est à M. Ménard.

M. John McKay: J'ai posé quatre questions et je n'ai obtenu qu'une réponse, mais cela me suffit.

[Français]

M. Réal Ménard: Pouvez-vous faire un peu le point sur la deuxième question concernant les biens infractionnels et le maire de Blainville?

M. Yvan Roy: Avant le projet de loi C-95 de 1997, il n'était pas prévu dans notre loi qu'il était possible de confisquer les biens infractionnels qui, dans le langage plus populaire, pourraient être appelés les instruments du crime,

[Traduction]

les choses qu'on utilise pour commettre une infraction.

[Français]

Il y avait des exceptions à ce que je vous dis, mais en général, les instruments du crime n'étaient pas couverts.

En 1997, le Parlement, par le projet de loi C-95, a choisi de permettre à l'État de s'attaquer aux instruments du crime, mais dans la mesure où il ne s'agissait pas de biens immobiliers.

• 1630

Ayant dit cela, le Parlement a aussi dit qu'il allait créer une exception à cette prohibition de s'attaquer aux biens immobiliers essentiellement dans le cas d'un bien appelé «bunker», c'est-à-dire un bien immobilier qui a été fortifié aux fins de favoriser la commission d'infractions. C'était la définition que nous avions alors au Code criminel, et cette définition tient d'ailleurs toujours. Vous l'avez dans le projet de loi, dans les pages de droite, sous «bien infractionnel» et, en anglais, sous «offence-related property». Vous aviez:

    ...à l'exception des biens immeubles, sauf si ces derniers ont été construits ou ont subi d'importantes modifications en vue de faciliter la perpétration d'un acte de gangstérisme...

C'est le bunker. Cela a permis de s'attaquer à certains de ces bunkers. Mais il faut bien comprendre que, pour que ce soit un bien infractionnel, il faut que le bien ait été utilisé dans la commission d'infractions. Le projet de loi redéfinit le bien infractionnel pour éliminer cette limite relativement aux biens immeubles.

Donc, que le bien immeuble soit renforcé ou pas, il est sujet à confiscation dans la mesure où il a été utilisé dans la commission d'une infraction. Si le bien immeuble n'a pas été utilisé dans la commission d'une infraction, la loi ne permet pas sa confiscation.

Nous croyons qu'aller plus loin que ce qui est ici nous amènerait dans le domaine provincial, à savoir les mesures qui peuvent être prises par règlement, par une municipalité, pour décider quel va être son zonage. On peut passer un règlement de zonage en disant qu'on ne veut pas de tel type de bien immeuble dans cette zone de la ville. Il s'agit, croyons-nous, d'un pouvoir qui est provincial.

De fait, c'est une opinion qui semble partagée par les provinces parce que, dans les travaux qui ont mené au projet de loi dont il est ici question, nous avons travaillé de près avec les provinces. Parmi les projets qui restent à être examinés, il y a justement la possibilité d'étendre plus largement le genre de règlement qui a été passé, mais dans la reconnaissance du fait qu'il s'agit d'une juridiction provinciale.

[Traduction]

Le président: A-t-il répondu à vos deux questions?

[Français]

M. Réal Ménard: Vous vous rappellerez en toute lucidité que j'en ai posé trois. Il y en a donc une qui est demeurée sans réponse.

[Traduction]

Le président: En effet. Souvenez-vous de celle-là, monsieur Ménard.

Madame Allard, allez-y.

[Français]

Mme Carole-Marie Allard (Laval-Est, Lib.): Monsieur Roy et monsieur Cohen, merci d'être là.

Ai-je raison de croire que la formulation de l'article 25.1 proposé, qui fait intervenir abondamment l'autorité compétente, fait en sorte qu'une espèce d'épée de Damoclès pèsera sur la tête du solliciteur général après l'adoption de ce projet de loi?

Je voudrais aussi savoir s'il existe un précédent dans d'autres lois pour donner un mandat élargi aux agents de la paix. Si c'est le cas, est-ce qu'il y a eu des bavures dans l'application de ce mandat élargi?

M. Yvan Roy: Je ne suis pas certain de vous suivre sur la deuxième partie de votre question. Puis-je tenter de répondre à la première partie ou si vous voulez me donner des précisions tout de suite?

Mme Carole-Marie Allard: N'y a-t-il pas un projet de loi sur les stupéfiants qui a donné des pouvoirs élargis aux policiers? Est-ce qu'il y a eu des bavures dans l'application de cette loi depuis 1999?

M. Yvan Roy: Je vous suis. Merci de la question.

Je vais commencer par la deuxième partie. Effectivement, des règlements ont été passés en 1997, règlements qui, d'ailleurs, établissent un principe d'imputabilité beaucoup moins serré que celui qui est proposé dans le projet de loi C-24. Essentiellement, ce projet permet au solliciteur général de désigner un corps de police et, à partir de ce moment-là, le corps de police peut se rendre coupable de certaines infractions aux lois relatives aux stupéfiants, uniquement en satisfaisant aux prescriptions du règlement, sans qu'il y ait ce principe d'imputabilité serrée dont nous parlons, c'est-à-dire avec un solliciteur général qui désigne des personnes nommément, un solliciteur général qui serait appelé à établir des conditions dans l'utilisation de certains pouvoirs et un test de proportionnalité tel que celui proposé dans ce projet de loi.

• 1635

En termes d'imputabilité par rapport au reste de l'expérience canadienne, nous croyons que l'imputabilité ministérielle qui est imposée par ce projet de loi va bien au-delà de ce qui est dans le règlement sur les stupéfiants auquel vous avez gentiment fait allusion.

Est-ce que c'est trop en termes d'imputabilité? Vous me demandez de poser un jugement de valeur qui n'est pas celui qu'un avocat devrait poser. Je pense qu'en bout de ligne, c'est aux parlementaires de prendre cette décision. Par ailleurs, je pense que dans cette décision, vous voudrez peser différents intérêts, comme le disait M. Owen. On donne des pouvoirs considérables à des agents de la paix avec un régime comme celui-là. Il est peut-être approprié d'avoir une imputabilité qui soit équivalente. Si ça requiert que le solliciteur général encadre l'exercice de cette discrétion, eh bien, qu'il en soit ainsi. Je pense que ce sont des jugements de valeur que vous devez porter, et que moi, je ne suis pas en mesure de porter.

[Traduction]

Le président: La parole est à M. Blaikie.

M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Suite à ce qui vient d'être dit, voulez-vous dire que cette structure ne figure pas dans les éléments qui composent ce projet de loi? Comme vous le dites, il s'agit de décider au niveau politique s'il y a lieu ou non de créer la structure, mais vous semblez indiquer qu'elle n'existe pas actuellement.

M. Yvan Roy: Sauf votre respect, je ne pense pas que ce soit ce que j'ai dit. Vous avez ici des modalités bien précises de reddition de comptes.

Dans la loi, comme nous l'avons déjà signalé à plusieurs reprises, le solliciteur général ou le ministre responsable—car ce ne sera pas toujours le solliciteur général—ont la possibilité d'imposer des conditions à ceux qui vont exercer ce pouvoir.

Quant à la responsabilité politique, je peux vous dire ceci. Si j'étais solliciteur général, je vérifierais si ceux à qui je confie ce travail le font correctement, car ma vie politique en dépend. S'il se produit un incident, les médias, l'opposition et les citoyens vont me demander: «Qu'est-ce que vous avez fait? Pourquoi leur avez-vous accordé de tels pouvoirs?» Je veux être en mesure de justifier les mesures que j'ai prises.

Je ne m'intéresse pas à l'enquête pour vérifier ce que font les policiers—ce n'est pas le rôle d'un ministre—, mais voici ce que j'ai fait. Nous avons fourni de la formation. J'ai affecté les meilleurs éléments à cette tâche en fonction du critère suivant et je suis responsable de ce que nous avons fait: nous avons fait du bon travail. Il y a peut-être eu des problèmes quand les mesures nécessaires n'ont pas été prises, mais j'ai pris ces mesures à l'avance.

Si ces solliciteurs généraux veulent simplement nommer n'importe quel candidat qui leur est présenté, je crains qu'ils se trouvent plus tard aux prises avec un problème politique important, si jamais un problème se produit. Il est dans leur intérêt—et nous devrions considérer cela comme un incitatif—de mettre en place le cadre dont nous parlons.

M. Bill Blaikie: J'aimerais revenir à quelque chose que M. Cohen a dit au sujet de l'affaire Campbell et Shirose.

Je ne voudrais pas aborder la question sous un angle trop négatif, mais il semble que les policiers du Canada ont déclaré collectivement, après la décision de la Cour suprême dans l'affaire Campbell et Shirose... Vous avez dit «pendant qu'ils ferment boutique»—pour utiliser votre propre expression—«dans tout le pays...». Peut-on dire que dans ce cas, le gouvernement réagit à une sorte de...? Les policiers disent qu'ils ne sentent pas aussi protégés que par le passé, ils rendent leurs armes et quittent leur emploi, ou encore ils boycottent certains types d'opérations policières qu'ils menaient auparavant, parce qu'ils n'ont pas l'impression d'être protégés—grâce à la Cour suprême. Ils n'ont plus la protection qu'ils avaient auparavant et tant qu'ils ne l'auront pas retrouvée, nous pouvons lutter nous-mêmes contre le crime, merci beaucoup.

• 1640

M. Stanley Cohen: Je ne puis répondre à cette question qu'à partir de mes propres impressions. Je crois savoir que les policiers craignent réellement d'avoir été laissés sans protection. Il ne s'agit pas d'une mesure pour simplement essayer...

M. Bill Blaikie: Techniquement, non.

M. Stanley Cohen: ... d'exercer des pressions contre le gouvernement. Au contraire, ils ont estimé qu'il n'est pas suffisant d'envoyer des gens sur le terrain et de leur dire que le mieux que l'on puisse leur offrir, c'est qu'ils risquent peu d'être poursuivis.

Même si les procureurs décident de ne pas poursuivre les policiers et même si les services policiers décident de ne pas accuser leurs propres officiers de conduite criminelle, n'importe quel citoyen canadien peut fournir un renseignement qui pourrait mener à l'inculpation de ces personnes. Ils ont raison d'être inquiets. Que les policiers fassent l'objet d'accusations par des particuliers, cela s'est déjà vu.

Cela crée ensuite une dynamique politique propre à ces cas, puisqu'une fois qu'un particulier entame une poursuite, les procureurs généraux du pays doivent surveiller comment tout le système des poursuites fonctionne. Bien qu'ils puissent à l'occasion intervenir et suspendre des procédures entamées par de simples citoyens, ils le font avec réticence car cela peut soulever la controverse au sein de la population, et cela devient encore une fois une question de responsabilité politique.

D'après ce que j'ai entendu, j'ai l'impression qu'il s'agit simplement d'un jugement qui a été rendu—par ceux dont on a parlé—et ils ne se mettront pas dans des situations où ils estiment ne pas être protégés par les lois.

Le président: Yvan Roy.

M. Yvan Roy: À mon avis, cela va plus loin que cela. Il faut tenir compte de toute cette question de la primauté du droit. Permettez-moi de vous citer la première phrase de l'arrêt Shirose et Campbell:

    Dans le cadre du présent pourvoi, notre Cour est appelée à examiner certaines incidences du principe constitutionnel que tous, du plus haut fonctionnaire de l'État au simple patrouilleur, sont soumis au droit commun du pays.

Ayant statué que vous n'êtes pas protégés par la loi telle qu'elle est libellée actuellement, la cour a affirmé à quelques reprises que le législateur devait tracer les paramètres de cette protection.

Si j'étais policier, je ne verrais aucune raison pour laquelle je devrais compromettre mon intégrité. Moralement parlant, j'irais même plus loin et je dirais qu'un agent de la paix n'a pas le droit de faire cela parce qu'il contrevient à la loi.

Il appartient au procureur général d'intenter des poursuites dans ces affaires. De quel droit pourrais-je décider, en ma qualité de procureur, de ne pas intenter de poursuite contre un agent de police qui a enfreint la loi?

À mon avis, c'est le législateur qui doit décider si les paramètres conviennent, mais il faut mettre en place un régime qui permettra à ces personnes de faire le travail qu'on leur demande de faire. C'est ce que le chef Fantino vous disait, et je crois que le chef Fantino avait raison de s'exprimer en ces termes.

Le président: Merci, monsieur Roy.

C'est au tour de M. Cotler, après quoi nous reviendrons à M. MacKay.

M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): Oui. J'ai deux questions, l'une pour M. Roy et l'autre pour M. Cohen.

Ma première question a trait à la définition de l'organisation criminelle. Comme vous l'avez dit, cette définition se rapproche de celle que l'on trouve dans la convention internationale sur le crime transnational. Pourquoi ne l'a-t-on pas mentionnée explicitement dans ce projet de loi, à savoir que cette disposition vise à mettre en oeuvre la définition de la convention internationale? Par exemple, lorsque nous avons adopté la Loi concernant les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, nous avons bien dit que les définitions de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité étaient celles de la Cour pénale internationale.

Autrement dit, pourquoi n'indique—t-on pas aux tribunaux que notre loi épouse la définition d'organisation criminelle que l'on retrouve dans ce traité international?

M. Yvan Roy: Eh bien, monsieur Cotler, j'ignore si ailleurs dans le code—et l'on peut me corriger—il existe une affirmation selon laquelle nous mettons en oeuvre essentiellement les dispositions qui ont été établies dans une convention internationale.

• 1645

Nous avions plutôt pour but de nous présenter devant un comité comme le vôtre, monsieur le président, et d'affirmer ce fait publiquement pour mémoire. Nous croyons qu'en l'affirmant aujourd'hui, ce sera désormais de notoriété publique, et l'on pourra plus tard invoquer ce fait pour défendre ces dispositions, lorsque nous aurons à le faire devant nos tribunaux.

M. Irwin Cotler: D'accord. Maintenant que c'est dit publiquement, j'ai une autre question. Si je comprends bien cette convention, elle ne fait aucun lien entre le mot «faciliter» et le verbe «commettre», et l'on ne mentionne que le fait de «commettre» une infraction. Le projet de loi C-24 semble élargir la définition qu'on retrouve dans le traité international en incluant le mot «faciliter» plutôt que de s'en tenir au verbe «commettre».

M. Yvan Roy: Vous avez parfaitement raison de dire que la convention ne parle pas de facilitation. Cependant, voyez l'article 5 de cette convention où l'on oblige chaque État Partie à criminaliser la participation à un groupe criminel organisé; l'un des types de comportement que l'on cherche à prohiber est décrit ainsi:

    À la participation active d'une personne ayant connaissance soit du but et de l'activité criminelle générale d'un groupe criminel organisé soit de son intention de commettre les infractions en question[...] À d'autres activités du groupe criminel organisé lorsque cette personne sait que sa participation contribuera à la réalisation du but criminel susmentionné.

Essentiellement, si je comprends bien, il est dit que l'on vise le potentiel de criminalité de ces organisations. C'est ce que se propose de faire notre article 467.11, sans qu'il y ait obligatoirement commission d'une infraction, ce que nous avons déjà maintenant à l'article 467.1. L'article 467.1, tel qu'il est libellé présentement, dit que si vous commettez une infraction passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans et que vous agissez ainsi parce que vous êtes associé à une organisation criminelle, cette infraction n'est pas punissable en vertu de l'article 467.14. Ce n'est pas ce que dit l'article 467.11. Il y est dit que lorsque vous faites quelque chose avec un but très précis, nommément aider cette organisation dans son comportement criminel général, même si vous n'en êtes pas membre, vous commettez une infraction. Nous croyons que cela est conforme—on ne dit pas la même chose mot pour mot, mais c'est conforme—à ce que dit la convention internationale.

M. Irwin Cotler: Bien. Ma question s'adresse maintenant à M. Cohen.

Vous avez expliqué que, pour les pouvoirs de police—étant donné qu'il s'agit dans une très large mesure d'une loi sur les pouvoirs de police—, la structure du texte de loi est fondée sur le principe de l'adaptation. Si je comprends bien, il y a trois choses ici: premièrement, il y a certaines infractions qui sont exclues et qui ne pourront jamais être commises; deuxièmement, il y a celles qui peuvent être commises en vertu du principe des motifs raisonnables et de la proportionnalité; troisièmement, si je comprends bien, il y a la question de la justification. Il est question ici du paragraphe 25.1(9).

Je pense que l'on essaie ici de ménager la chèvre et le choux. Le nouveau paragraphe 25.1(9) parle de la justification d'une infraction qui «entraînerait vraisemblablement la perte de biens ou des dommages importants à ceux-ci». J'en déduis que cette justification ne serait pas requise si l'agent croyait qu'il était possible mais non vraisemblable que son action entraîne une perte de biens ou des dommages à ceux-ci, ou qu'il pourrait y avoir des dommages mais qu'ils ne seraient pas importants. Ma question est celle-ci: Avec ce genre de seuil différentiel, est-ce que l'autre «principe des motifs raisonnables et de la proportionnalité» intervient?

M. Stanley Cohen: Je ne sais pas très bien par où commencer. Vous me demandez si l'aspect motifs raisonnables et proportionnalité de la loi s'applique aux décisions qui sont prises concernant certains actes que commettent les agents de police dans cette optique. Oui, le principe des motifs raisonnables et de la proportionnalité s'applique à toutes les activités d'un agent de police, que l'on soit dans une catégorie ou une autre. En ce sens, c'est de l'adaptation, ou c'est réglementé.

Si vous voulez aller plus loin, pour ce qui est de savoir par exemple si un certain genre d'inconduite est visé, c'est une question d'interprétation de la loi, et si la loi n'est pas suffisamment précise, il faudra que la question soit tranchée par la jurisprudence.

• 1650

Étant donné qu'il s'agit d'une question de principe, je préférerais que M. Roy réponde à cet aspect de votre question. Ce n'est pas une question de droit constitutionnel, c'est une question d'interprétation de la loi, si je vous ai bien compris. Est-ce qu'il y a quelque chose que je n'ai pas compris dans votre question?

M. Irwin Cotler: Non. Il y a la question de principe. Imaginez que je suis agent de police et que je décide que la perpétration d'une infraction n'entraînera pas vraisemblablement de perte de biens ou de dommages importants à ceux-ci, chose pour laquelle il me faudrait l'autorisation expresse qui est mentionnée au nouveau paragraphe 25.1(9), mais je crois qu'il est possible que cet acte entraîne une perte de biens ou des dommages importants à ceux-ci.

M. Yvan Roy: Je me demande si on ne règle pas cette difficulté en s'en tenant simplement à ce qui constitue une infraction. S'il est seulement possible que quelque chose se passe, il se peut fort bien qu'on ne parle ici que d'un accident et qu'aucune infraction ne soit commise. Donc il vous faut une autorisation s'il y a perpétration d'une infraction qui entraînera la destruction de biens.

Prenez par exemple cette infraction qu'est le méfait. Lisez la définition de cette infraction: on dit simplement que quiconque détruit volontairement quelque chose commet un méfait, et c'est ce qu'on essaie de contrer ici. L'agent de police, pour une raison ou une autre, se croit obligé de détruire des biens ou de leur causer des dommages importants, par exemple, en prenant un tournevis ou en égratignant une voiture, juste pour montrer qu'il est un dur. Si vous devez faire quelque chose comme ça, il vous faut une justification. Vous savez que vous allez détruire des biens ou les endommager, et il s'agit d'un geste volontaire de votre part. Vous commettez alors un méfait.

Si, par contre, il s'agit de quelque chose qui peut se produire, alors à moins qu'une négligence criminelle n'intervienne, il y a de très bonnes chances, à mon avis, pour qu'aucune infraction ne soit commise. Par conséquent, vous n'avez pas besoin d'une justification dans un cas pareil. La justification n'est nécessaire que si vous comptez commettre une infraction, de telle sorte que votre comportement doit être volontaire d'une manière ou d'une autre—que ce soit volontaire ou imprudent.

M. Irwin Cotler: Si c'est volontaire...

Le président: Merci.

M. Irwin Cotler: D'accord.

Le président: Nous y reviendrons. Nous avons une heure.

La parole est à Peter MacKay.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): J'aimerais reprendre la question de M. Cotler. Il s'agit surtout ici des circonstances où les agents de police se trouvent et des actes qu'ils décident de commettre dans de telles circonstances. Je crains qu'on ne voie évoluer dans notre pays deux catégories de policiers, ceux à qui l'on permet d'exercer leurs pouvoirs lorsque c'est nécessaire et de le faire avec un certain degré d'immunité, jusqu'à certaines limites, et les autres, qui, selon les paramètres de l'arrêt Campbell et Shirose, demeurent en mesure de réagir dans le respect de la proportionnalité dans les circonstances où ils se trouvent. Tout cela sera étudié après coup dans un tribunal détaché de tout cela.

J'ai quelques questions pratiques. Ces désignations me semblent indéfinies. Elles ne sont pas limitées. Le policier devra, évidemment, rendre des comptes dans plusieurs cas. Combien de policiers songe-t-on à investir de ces pouvoirs spéciaux? Va-t-il y avoir un degré différent d'immunité selon les services de police municipaux, régionaux et la GRC. Ou va-t-on appliquer un seul degré d'immunité?

Il va falloir, à mon avis, prévoir une formation très exhaustive pour s'assurer que les agents de police connaissent leurs limites. Je crois que la plupart d'entre eux vont prendre cette nouvelle désignation très au sérieux. Dans quelle mesure le ministère a-t-il songé à l'évolution de cette différence, en ce qui concerne les pouvoirs de police qui existent maintenant? Il y aura ces policiers qui seront désignés, mandatés, réputés être en possession de ces pouvoirs spéciaux, et il y aura ceux qui devront encore agir dans une atmosphère d'incertitude, j'imagine. Si l'arrêt Campbell et Shirose a été à l'origine de ce projet de loi et de cette désignation, qu'en est-il de tous les autres qui sont investis des pouvoirs de police normaux—et quels sont ces pouvoirs de police normaux?

• 1655

M. Yvan Roy: Le principe qui nous gouverne ici est la reddition de comptes de l'autorité politique, qui réside dans le ministre qui prend une telle décision. S'il y avait au niveau fédéral un solliciteur général qui jugerait acceptable de conférer ce pouvoir aux 15 000 hommes et femmes de la GRC, ce projet de loi ne l'empêcherait pas de le faire.

M. Peter MacKay: Mais a-t-on discuté de cela lors de la facture de ce projet de loi? Combien de membres de notre service de police national seraient désignés, ne serait-ce qu'en proportion? Trente pour cent? Quinze pour cent?

M. Yvan Roy: Je crains de ne pas être la personne la mieux choisie pour répondre à cette question. Chose certaine, la question a été débattue avec le solliciteur général et ses mandataires. On compte limiter ce pouvoir aux personnes qui en auront vraiment besoin. Après tout, il est dans l'intérêt supérieur du solliciteur général de ne désigner que les policiers qui ont besoin de ce pouvoir, et il s'agira alors seulement de ceux qui auront reçu la formation voulue et qui comprendront les limites de leurs pouvoirs. Mais pour ce qui est de savoir s'il s'agit de 10, 20, 100 ou 1 000 policiers, je ne pourrais vous répondre.

M. Peter MacKay: Qui peut répondre?

M. Yvan Roy: C'est la même chose—si vous le permettez, et je serai très bref—au niveau provincial, parce qu'encore là, c'est le ministre provincial responsable du maintien de l'ordre qui aura cette responsabilité. C'est une responsabilité qui est de nature politique.

M. Peter MacKay: J'aimerais savoir qui pourrait nous donner une idée du nombre de policiers, mais allons plus loin et discutons de cette question de la reddition de comptes au niveau politique. Comment cela va-t-il fonctionner si nous ne connaissons pas la durée de cette désignation? Si on a désigné une personne il y a quatre ans et qu'on lui a permis d'utiliser ces pouvoirs spéciaux ou qu'on lui a accordé une immunité en certaines circonstances, cette responsabilité est imputée personnellement—et c'est le mot qu'on emploie dans ce projet de loi—à ce ministre. Mais ce ministre peut être parti. Il se peut qu'on lui ait attribué de nouvelles fonctions, qu'il ait été défait, qu'il ait été nommé ailleurs. Quel degré de responsabilité existera-t-il vraiment des années après?

M. Yvan Roy: Monsieur le président, si j'ai bien compris la responsabilité ministérielle au Canada, le ministre est responsable de ce qui se passe pendant qu'il est ministre.

M. Peter MacKay: Exact.

M. Yvan Roy: Si la personne a été nommée par le premier ministre, vous êtes toujours responsable de ce qui se passe. J'imagine que lorsqu'ils viennent d'être nommés, les ministres veulent examiner, du moins dans une certaine mesure, ce qui fait déjà partie de leur portefeuille, notamment combien de personnes ont ce type de désignation.

M. Peter MacKay: Enfin, pour ce qui est de la durée, monsieur Roy, je sais qu'il y a des dispositions d'examen, mais est-ce que cela signifie que vous aurez ces pouvoirs spéciaux pendant une période de cinq ans, ou jusqu'à nouvel ordre? Est-ce ainsi que cela fonctionne?

M. Yvan Roy: À l'heure actuelle, dans le projet de loi, on signale que des conditions peuvent être imposées. Nous avons parlé du paragraphe 25.1(7) qui est proposé. Je pense que certains ont suggéré qu'il faudrait développer davantage. Certains le veulent plus que d'autres, mais tout au moins ils proposent que les questions de la durée, des types d'enquêtes et des types d'infractions qui pourraient être commises par les gens dans ces circonstances pourraient faire partie des conditions et que cela devrait être signalé dans la loi. Nous devrions alors sans doute modifier ce paragraphe afin de donner ce genre de signal.

Le président: Merci beaucoup, monsieur MacKay, monsieur Roy.

Monsieur Grose, à vous.

M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Merci, monsieur le président.

Ces pouvoirs spéciaux peuvent-ils être accordés rétroactivement? Est-il souhaitable de permettre une telle chose après coup?

M. Yvan Roy: Je ne crois pas. Ou bien on avait le droit de faire quelque chose à ce moment-là, ou bien on n'en avait pas le droit. Que ce soit rétroactif serait à mon avis une politique abusive, franchement. Peut-être sur le plan constitutionnel il y a aussi des limites ou des choses auxquelles il faut songer pour tenir compte des principes. C'est comme si on disait que peu importe ce que vous avez fait par le passé lorsque vous avez enfreint la loi, maintenant nous disons que vous vous en sortez les mains nettes. Je ne suis pas sûr que cela soit approprié, particulièrement au niveau de la primauté du droit. Ou bien vous respectez le cadre de la loi, ou bien vous ne le respectez pas. Si vous ne respectiez pas la loi à ce moment-là, je préférerais dire que vous avez enfreint la loi plutôt que de dire rétroactivement que vous avez bien agi.

• 1700

M. Ivan Grose: Je songe à un policier qui tombe sur quelque chose par inadvertance. Que fait-il? Reculer car il n'a pas la permission spéciale d'intervenir? Quel pourcentage des policiers auront ces pouvoirs et pendant combien de temps? Cela me semble être terriblement encombrant à l'heure actuelle. Je crains que ce qui arrivera, c'est qu'on le leur donnera rétroactivement.

M. Ivan Roy: Si ce n'est pas dans le projet de loi, la règle veut que la disposition soit alors une disposition future. Il faut l'examiner et l'inclure dans la loi. Cela n'est certainement pas le cas. Encore une fois, personnellement, je vous conseillerais de ne pas faire quelque chose comme ça, certainement pas lorsque l'on met tout au niveau de la primauté du droit.

Monsieur Cohen, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Stanley Cohen: J'ai très peu à ajouter. Je pense que généralement on hésite à promulguer une loi rétroactive et lorsque cela a une incidence sur le fond plutôt que sur les exigences procédurales, cela risquerait de faire intervenir la charte. Je ne voudrais certainement pas aller plus loin.

M. Ivan Grose: Merci.

Le président: Merci beaucoup. Monsieur Cadman, vous avez la parole.

M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.

Pour revenir à la définition d'une organisation criminelle, un témoin antérieur m'a fait part d'une préoccupation. Je crois que c'était quelqu'un de la Colombie-Britannique, qui a dit que le texte devrait préciser qu'il s'agit d'un groupe d'au moins trois personnes, peu importe où elles se trouvent. L'exemple qui a été donné était celui d'un navire porte-conteneurs qui arrive à Vancouver, Halifax, Montréal ou ailleurs et qui transporte des drogues de contrebande, ou une cargaison humaine. L'équipage n'est pas au courant. La seule personne qui est au courant de quoi que ce soit est le capitaine sur la passerelle. Tout le monde sait qu'il s'agit là de crime organisé, mais les autres participants sont à l'étranger. On craint qu'ils ne puissent être soumis à cette loi en particulier car les deux autres qui constituent l'organisation se trouvent à l'étranger, ne sont pas au Canada. Est-ce là une préoccupation valable?

M. Yvan Roy: Je pense que la définition dans sa forme actuelle ne dit pas que les membres de cette organisation doivent être quelque part au Canada. Je ne sais pas si d'autres sont d'un avis différent, mais d'après la définition, il s'agit d'un groupe, peu importe comment il est organisé, qui est composé d'au moins trois personnes et qui a un objectif particulier. Nous ne disons pas qu'ils doivent être citoyens canadiens et qu'ils doivent se trouver ici au Canada. Il suffit que ce soit un groupe d'au moins trois personnes ayant ces caractéristiques. Cela étant dit, je ne suis pas certain que ce serait une mauvaise chose de préciser dans la loi que ces gens peuvent se trouver n'importe où au monde.

M. Chuck Cadman: Est-ce là une préoccupation légitime de leur part?

M. Yvan Roy: Comme vous pouvez le constater, monsieur le président, nous nous consultons car c'était une très bonne question que nous n'avions pas prévue.

Je vais tenter de vous donner une explication qui n'est pas trop longue. Il existe beaucoup de jurisprudence à cet égard. Nous parlions justement ici du cas Libman en 1986, où il était question d'un lien avec le Canada pour avoir la compétence voulue afin de porter des accusations contre quelqu'un ici.

• 1705

M. Cohen parlait de complots, lorsque les comploteurs se trouvent à l'extérieur du pays, ce qui semble encore une fois laisser entendre que peu importe où ils se trouvent, pourvu que le crime est commis au Canada, il est possible de leur mettre la main au collet.

Cela étant dit, vaut-il la peine pour vous ou pour nous de rendre la loi plus précise? Peut-être que le simple fait que je dois vous donner cette explication montre qu'il faudrait être un peu plus explicite.

C'est tout ce que je peux faire à ce moment-ci.

M. Chuck Cadman: Je pense que nous devrions alors examiner la question de très près.

M. Yvan Roy: C'est l'un ou l'autre. Soit que c'est déjà prévu dans la loi dans sa forme actuelle, soit qu'il y a un doute. Puisque nous voulons que la loi vise les gens peu importe où ils se trouvent, je pense qu'il faut modifier la définition. Je suis certain que ce n'est pas si compliqué à modifier.

M. Chuck Cadman: Merci.

Le vice-président (M. Yvan Grose): Merci.

La parole est à John McKay.

M. John McKay: J'aimerais revenir aux préoccupations qu'a soulevées M. Blaikie en ce qui a trait à l'argument du vide juridique après l'affaire Shirose et Campbell ou avant le projet de loi C-24. On se demande s'il est crédible de dire qu'il n'y a pas d'activité policière illégale au moment où nous parlons lors des enquêtes sur le crime organisé. Je présume que s'il y a effectivement des activités illégales, c'est que soit les policiers agissent en cowboys, soit qu'ils prennent des risques, soit encore qu'ils estiment qu'ils peuvent invoquer la nécessité, la contrainte, etc., comme argument pour leur défense.

Je ne comprends pas très bien ici pourquoi nous disons tout simplement oui, nous devons faire cela. Je me débats en quelque sorte avec l'idée qu'il y a un régime législatif qui précise les choses un peu plus clairement. D'un autre côté, je ne suis pas du tout convaincu que la police évolue dans un vide juridique. Pour reprendre l'expression de M. Blaikie, ils ont en quelque sorte rendu leurs armes et dit: occupez-vous-en vous-mêmes et allez...

M. Stanley Cohen: Je ne dis pas que la police n'assure pas le maintien de l'ordre, ne fait pas enquête sur les crimes. Elle le fait certainement.

Je ne laisse pas entendre non plus qu'il n'y a plus d'activité d'infiltration au pays. Il y a cependant une différence entre lorsqu'il s'agit d'activité d'infiltration qui est reconnue comme étant légale tout simplement parce que des gens tentent par exemple de découvrir si des infractions sont commises sans tendre de pièges. Ce genre d'activité se poursuivra. La police, aux termes de cette loi ou d'une autre loi, maintiendra toutes les défenses qu'elle pourrait habituellement avoir si elle utilise la force, et naturellement elle a le droit d'invoquer l'autodéfense. Elle a le droit de se défendre, comme elle le ferait aux termes de la loi habituelle du pays. Certains policiers vont peut-être trop loin et commettent peut-être des infractions et ils pourraient faire face à des accusations, mais ce n'est pas vraiment ce dont nous parlons ici.

C'est ce qui se fait dans certains cas où la police admet que la loi lui interdit de faire certaines choses. On a cité de nombreux exemples. Le commissaire Zaccardelli vous en a cité un certain nombre l'autre jour, et notamment des cas de contrefaçon, d'achat de faux billets, de participation à des fraudes à la carte de crédit, etc.

S'ils se rendent compte qu'ils passent outre à la lettre de la loi, ils craignent, tout d'abord, comme certains l'ont signalé, et selon le cas, de perdre les éléments de preuve mais aussi d'être sujets à des poursuites. Mais c'est une autre affaire.

M. John McKay: À votre avis, ce projet de loi changera-t-il quelque chose pour un agent de police qui a véritablement fabriqué un acte criminel?

M. Yvan Roy: Fabriqué un acte criminel? Il est déjà stipulé dans les lois canadiennes que cela constitue un acte de piégeage. La personne aura droit à un recours si c'est le cas.

Cela dit, je suis accompagné du surintendant principal Robert Lesser de la GRC qui, je suppose, pourra nous dire ce qu'a fait la GRC à la suite de l'affaire Shirose et Campbell. Lorsque vous dites que rien n'a changé dans l'application de la loi au lendemain de cette affaire, j'aimerais que M. Lesser dise au comité à quel point la GRC a pris cette question au sérieux.

• 1710

M. John McKay: C'est une bonne idée.

Le surintendant principal R.G. Lesser (officier responsable, Sous-direction de la police des drogues, Direction des services fédéraux, Gendarmerie royale du Canada): Merci.

Je suis l'agent responsable de la sous-direction de la police des drogues au sein de la GRC; à ce titre, outre mes responsabilités dans le cadre du programme national de lutte anti-drogues, je suis également chargé de notre programme national d'infiltration et de notre programme de protection des témoins, pas seulement dans le domaine de la lutte anti-drogue mais également pour toutes les opérations d'infiltration.

Après la décision Campbell et Shirose et après que nous avons reçu un avis juridique du ministère de la Justice, des directives ont été envoyées à tous les membres de la GRC pour leur dire qu'ils devaient cesser sur-le-champ toutes activités qui n'étaient pas prévues dans la loi. Depuis lors, nous avons envoyé des notes de service de suivi et de nouvelles directives pour confirmer les premières.

À en juger par certaines observations rapportées dans la presse et émanant de certains membres qui n'avaient guère approuvé ce genre de directives, je déduis que les policiers ont interprété ces directives comme s'il leur est interdit de mener la moindre activité non autorisée par la loi.

M. John McKay: Puis-je dire quelque chose?

Le président: Rapidement.

M. John McKay: Je ne sais pas si cette note de service est un document interne ou... Elle se fonde sur un avis des avocats du ministère de la justice qui sont à côté de vous—d'excellents avocats, soit dit en passant.

C'est vous qui avez envoyé la note de service, et je suppose que c'était il y a quelques mois, voire un an. Quelles sont toutefois les opérations qui ont dû prendre fin et à l'égard desquelles les policiers estiment n'avoir aucune protection? Pouvez-vous nous citer des exemples...

M. Yvan Roy: Pas des endroits précis.

M. John McKay: Pas des exemples d'endroits, mais des exemples généraux du genre de choses que les policiers estiment ne plus pouvoir faire à la suite de la note de service du ministère.

Sdt pal R.G. Lesser: Il y a certains secteurs, et notamment l'immigration. À l'heure actuelle, nous ne pouvons pas entreprendre d'opérations d'infiltration dans les domaines relevant de l'immigration; alors que, en temps normal, on pourrait avoir un agent infiltré dans les organisations qui transportent des clandestins au Canada, il nous est impossible de le faire car il est illégal de faire passer des clandestins au Canada.

En fait, nous avons dû nous tourner vers les autorités américaines pour pouvoir prendre certaines mesures au Canada, pour qu'ils puissent donner suite à des enquêtes sur certaines infractions qui se sont poursuivies aux États-Unis, car de notre côté, au Canada, nous ne pouvons rien faire. Nous sommes limités à des activités de surveillance lors de ces enquêtes, au lieu de pouvoir participer à de vraies opérations d'infiltration.

Il y a d'autres choses que nous ne pouvons pas faire, notamment acheter de l'alcool ou du tabac illégal dans le cadre d'activités de contrebande qui se déroulent à nos frontières, et autres choses du même genre.

Avant l'affaire Campbell et Shirose, et je dis cela en bien, on ne savait pas combien d'infractions nous commettions dans le cours normal des choses. Dans beaucoup de cas, il s'agissait d'infractions au droit provincial, comme s'inscrire à un hôtel sous un nom d'emprunt, des choses simples comme cela.

Il y avait aussi des choses relativement simples comme la surveillance. Si vous êtes dans un bateau, je pense que c'est le règlement sur les petites embarcations qui exige d'avoir des feux de position la nuit. Il est évident que dans certains secteurs, et Cornwall est sans doute un exemple, vous n'allez pas accomplir grand-chose si vous attendez dans l'eau autour d'Akwesasne avec vos feux de position allumés. À strictement parler, c'est une infraction à la loi fédérale.

Du ridicule au sublime, il n'y a rien que nous pouvons faire, ou que nous autorisons nos gens à faire, qui soit contre la loi.

Le président: La parole est à Réal Ménard.

[Français]

M. Réal Ménard: Monsieur Roy, vous avez exprimé des réserves, des réserves nuancées comme celles que vous exprimez habituellement, concernant un élargissement, dans la partie du projet de loi qui concerne les définitions, de la protection qui pourrait être accordée concernant les infractions d'intimidation à un maire. Par exemple, si on décidait de déposer un amendement concernant les maires, les députés des assemblées nationales et ainsi de suite, quelle mise en garde nous feriez-vous, concrètement?

• 1715

M. Yvan Roy: Monsieur Ménard, à notre avis, la difficulté, s'il en est, provient de l'alinéa b) du paragraphe 423.1(1) de ce qui serait le nouveau code. C'est à la page 17. Tout ce qui est requis pour constituer l'intention requise par l'infracteur, c'est l'intention de nuire à cette personne dans l'exécution de ses attributions. Ce qui était considéré originellement, c'étaient les attributions, mais en relation avec le droit criminel. Or, un maire, contrairement à un policier ou à un procureur de la Couronne, par exemple, fait beaucoup de choses, dans le cadre de ses attributions, qui n'ont absolument rien à voir avec le droit criminel.

M. Réal Ménard: Et c'est vrai pour un membre de la Chambre des communes et du Sénat.

M. Yvan Roy: Oui.

M. Réal Ménard: Un membre digne de ce nom, évidemment.

M. Yvan Roy: C'est un ajout qui est venu un peu plus tard dans l'élaboration de cela, et on le justifie en disant que vous êtes les auteurs du droit criminel en ce pays, que vous êtes le législateur, que vous adoptez ces dispositions-là et que vous pouvez tous faire l'objet d'intimidation à ce titre. Ce n'est pas le cas d'un ministre provincial ou d'un membre d'une assemblée législative provinciale. Ce n'est évidemment pas le cas des élus provinciaux. Donc, s'il y a lieu de les inclure—et je ne dis pas qu'ils ne devraient pas l'être, parce qu'en matière d'administration de la justice, ils peuvent subir certaines de ces pressions—, il y aurait lieu, à notre avis, de tenter de restreindre l'intention de nuire dans l'exercice des attributions en cherchant à contraindre cela, à le mettre à l'intérieur des limites qui sont plus près de l'administration de la justice criminelle que ce qui est prévu présentement.

Je vous dirai que lorsque nous examinons ces questions-là au cas où il aurait une nécessité, nous devons nous-mêmes faire nos devoirs à cet égard.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Ménard. Merci, monsieur Roy.

Monsieur Myers, vous avez la parole.

M. Lynn Myers (Waterloo—Wellington, Lib.): Merci, monsieur le président.

M. Réal Ménard: Nous voulons poser une question. Il nous faut du temps.

Le président: Nous allons revenir. Trois minutes. Ce sont les règles.

Monsieur Myers, allez-y.

M. Lynn Myers: Merci, monsieur le président.

Lorsque le surintendant principal était à la table il y a quelques instants, j'ai été intéressé par ce qu'il a dit à propos des choses que la police ne peut plus faire. Est-ce qu'on pourrait le réinviter pour un instant?

J'ai entendu dire que des cas d'immigration étaient entravés à cause de cela, et à propos des feux de position sur le Saint-Laurent et le fait d'acheter de l'alcool et des cigarettes. Il serait bon pour le comité de nous donner une liste du genre d'activités en général qui ont pris fin à la suite de ce dont vous avez parlé. Je pense que ce serait très utile, parce que je pense que ça nous aiderait comme comité et comme députés à bien comprendre la mesure dans laquelle votre capacité de faire le genre de travail que vous, comme policiers, devriez être capables de faire a été entravée.

Je pense qu'il serait bon pour le comité d'avoir cette liste, mais je vais aussi vous demander si vous pouvez nous donner d'autres exemples du genre de choses que vous avez vues et que vous ne pouvez plus faire par suite de la décision qui a été prise.

M. Yvan Roy: Avant que M. Lesser réponde, est-ce que je pourrais, monsieur le président, rappeler au comité que M. Lesser devra être prudent dans ce qu'il va dire. Il ne veut pas divulguer des techniques d'enquête ou quoi que ce soit de ce genre et c'est pourquoi nous hésitons à ce que quelqu'un comme lui vienne à la table et donne un long témoignage.

Je sais que c'est frustrant pour vous, mais il y a cette tension dans le système. Je voulais le dire avant que Bob dise quoi que ce soit.

M. Lynn Myers: Monsieur Roy, croyez bien que nous le comprenons, et que nous ne tenons surtout pas à compromettre les opérations de la police. Mais s'il y a des choses en général...

Peut-être voudrez-vous nous dire que vous ne voulez pas répondre maintenant, que vous aimeriez y réfléchir et nous répondre par écrit. C'est acceptable aussi, si c'est ainsi que vous voulez procéder. Mais je le répète: nous ne voulons surtout pas compromettre quoi que ce soit que vous faites comme techniques ou opérations en cours.

Sdt pal R.G. Lesser: Je peux peut-être donner une brève réponse à cela puis en donner une plus longue par écrit, comme vous l'avez demandé. Je serai ravi de le faire.

Un autre domaine qui pourrait vous intéresser et qui nous préoccupe tout particulièrement est celui des investigations concernant l'Internet. Lorsque nous enquêtons sur une affaire de pornographie impliquant l'Internet, il est évident que les concernés peuvent se retrouver sur toutes sortes de sites. Une des techniques consiste à se brancher sur un site susceptible de vendre du matériel pornographique mettant en scène des enfants et à essayer nous-mêmes d'y vendre quelque chose. C'est ce que nous avons fait il y a peu de temps à Ottawa et nous avons pu arrêter une personne. Nous ne pouvons plus le faire. Ce projet de loi nous interdit désormais de proposer aux internautes intéressés du matériel pornographique mettant en scène des enfants.

• 1720

Pour les enquêtes sur les trafics illégaux d'armes à feu et de drogues, il nous sera désormais très difficile de mener des opérations d'infiltration au cours desquelles nous vendons ou nous achetons des armes à feu illégales. Nous ne pourrons plus mener ce type d'opération.

Nous en avons toute une liste. L'autre exemple, ce sont les crimes de propagande haineuse mais ce n'est pas vraiment mon domaine. Bref, tous les actes criminels mais contrôlés auxquels nous nous livrions pour gagner la confiance de ceux que nous voulions appréhender nous seront désormais interdits.

Les exemples les plus évidents qui ont déjà été donnés sont ceux de la fausse monnaie et des fausses cartes de crédit. Ce sont généralement des choses qui se font spontanément. Quelqu'un vous offre quelques centaines de fausses cartes de crédit parce qu'il vient juste d'avoir les numéros et qu'il vient tout juste de les fabriquer. Ils les vendent très vite et généralement elles ne sont bonnes que pour quelques heures jusqu'à ce que la victime se rende compte qu'on lui a volé ses cartes de crédit. Dans ce genre de trafic, il y a plus d'une personne impliquée, ça toujours été comme ça et ça rapporte gros à beaucoup de bandes organisées importantes. Bien entendu, pour nous, pouvoir acheter ces cartes et remonter la filière est important mais désormais nous n'aurons plus le droit d'acheter ces cartes volées ou ces fausses cartes.

Le président: Merci, monsieur Myers.

Monsieur Blaikie, allez-y.

M. Bill Blaikie: Cela devient de plus en plus intéressant, monsieur le président. Je crois qu'il faudrait que nous puissions voir les instructions données par le ministère de la Justice à la Gendarmerie royale car j'ai de plus en plus l'impression que la Gendarmerie se fonde plus sur l'interprétation par le ministère de la Justice de l'affaire Campbell et Shirose que sur l'affaire Campbell et Shirose elle-même. Encore une fois, je ne suis pas juriste, mais je trouve incroyable qu'autant de décisions découlent de cet arrêt sur une affaire de vente par un agent d'infiltration.

La Cour suprême doit avoir... Je ne veux pas me faire accuser d'outrage à la Cour suprême mais je n'aurais certainement pas tiré comme conclusion de l'arrêt Campbell et Shirose que si des policiers sont en planque sur un lac pour arrêter des contrebandiers, ils peuvent être accusés de ne pas avoir respecté le code maritime pour avoir éteint les lumières sur leurs bateaux. Je trouve incroyable que cela soit l'interprétation de l'arrêt Campbell et Shirose. Ce n'est pas ce que j'y ai lu moi-même.

Si quelqu'un a dit à la Gendarmerie royale que notre interprétation de l'arrêt Campbell et Shirose est telle que vous devez laisser vos phares allumés quand vous êtes en planque, ou que vous ne pouvez vous inscrire dans un motel sous un nom d'emprunt, j'aimerais voir cette note de service et j'aimerais savoir qui a donné ces instructions à la Gendarmerie royale.

Je peux voir le parallèle avec l'arrêt Campbell et Shirose pour certains des autres exemples cités. Dans le cas d'échange de matériel pornographique ou de quelque chose de ce genre, le rapport avec l'arrêt rendu par la cour est un peu plus évident. Mais il me semble que ce n'était pas l'intention de la cour, ou plutôt, me semble-t-il, il y a eu une espèce de réaction exagérée que je n'arrive pas à complètement comprendre et, résultat, on demande au Parlement de signer toute une série de chèques en blanc pour couvrir toute une variété d'activités dont je ne suis pas sûr que la cour les ait interdites. Si le ministère de la Justice est convaincu que la cour a interdit toutes ces infractions plutôt bénignes à la loi, j'aimerais voir le texte de cette interprétation.

Le président: Monsieur Roy, voulez-vous répondre?

M. Yvan Roy: Monsieur le président, tout ce que je peux répondre c'est que ce matin, vous avez entendu le témoignage de M. Asselin, qui n'est pas à l'emploi du ministère de la Justice et ne l'a jamais été, mais qui travaille pour la police depuis 30 ans. Or M. Asselin et les membres de sa division sont arrivés d'eux-mêmes à une conclusion identique à celle du ministère de la Justice. Les autres procureurs généraux de notre pays semblent aussi partager cet avis. Certains d'entre eux ont collaboré très étroitement avec nous à l'élaboration de ce que nous vous présentons aujourd'hui. Cela signifie qu'ils ne se sont pas contentés d'envoyer un petit texte de temps en temps, mais qu'ils ont longuement discuté de la question. Bon nombre de gens semblent d'ailleurs être du même avis sur ce sujet.

• 1725

Nous avons tenu des consultations là-dessus. Un livre blanc a été publié en juin 2000. Lors de la réunion tenue ici le 5 octobre dernier, tous les participants, y compris une brochette d'universitaires, étaient d'avis que la décision donnait à l'immunité la portée que nous lui voyons. Certains estimaient qu'il fallait se fonder sur le pouvoir discrétionnaire de poursuivre. Toutefois, pour les raisons que j'ai déjà exposées, cela ne nous paraît pas le moyen à prendre, et d'autres procureurs généraux semblent aussi partager notre avis. À en juger d'après ceux que j'ai entendus s'exprimer sur le sujet, tout le monde en arrive à cette conclusion. Quelle soit bonne ou mauvaise, elle fait l'unanimité d'un certain nombre d'avocats qui travaillent de façon indépendante les uns des autres.

M. Bill Blaikie: Personne ne nous a donné l'avis du ministère de la Justice.

Le président: Monsieur MacKay, vous avez la parole.

M. Peter MacKay: Je vais essayer de le susciter. Peut-on nous fournir les renseignements entendus lors de la séance d'information du ministère de la Justice, à laquelle on s'est reporté dans les témoignages d'aujourd'hui?

M. Yvan Roy: De quelle séance d'information parlez-vous?

M. Bill Blaikie: Il s'agit de l'avis juridique que vous...

M. Yvan Roy: Oh, l'avis juridique. Le président n'est pas sans savoir qu'il n'est pas dans l'usage de communiquer les avis juridiques. À cet égard, je précise que le jugement rendu dans l'affaire Shirose et Campbell a établi sans l'ombre d'un doute que le secret professionnel de l'avocat couvre aussi les rapports entre la Couronne et la police. C'était l'autre aspect sur lequel on a tranché dans cette cause. Je peux vous dire que pour des raisons évidentes, en tant que groupe, nous sommes arrivés à la conclusion qu'il faut adopter une nouvelle loi.

M. Peter MacKay: Nous pourrons donc nous adresser au commissaire à l'information pour obtenir les renseignements que je viens d'évoquer.

M. Yvan Roy: Monsieur le président, je vais m'abstenir de toute remarque.

M. Peter MacKay: Je ne m'attends pas à ce que vous en fassiez une.

Ma question revient à l'aspect de la formation, qui me préoccupe, et aussi à l'ampleur de cette immunité éventuelle. À mon avis, la Cour suprême, tout comme dans l'arrêt Feeney, a créé un vide, comme elle l'a fait en annulant les pouvoirs d'arrestation ou de poursuite dans la cause que je viens d'évoquer. La même chose semble s'être produite ici. Or selon votre interprétation et celle d'autres personnes, le jugement a eu pour conséquence de nuire considérablement à l'exercice de certains pouvoirs policiers comme le travail d'infiltration, où l'on transgresse la loi. Je songe particulièrement aux avis donnés par des avocats de la défense très compétents, et d'après lesquels cela entraînera presque immédiatement des contestations judiciaires fondées sur la Constitution.

En tant que non-spécialiste, je me permettrais de dire qu'on semble jouer ici à une espèce de jeu de ping-pong constitutionnel, où on se renvoie la balle. La Cour suprême annule une loi; nous réagissons, parfois de façon extrême, et la cour nous relance en limitant notre latitude. J'ai déjà posé la question en comité, mais serait-il utile d'obtenir de la Cour suprême qu'elle nous précise ce que sont les pouvoirs en question? Je n'ignore pas qu'elle nous a fait savoir que telle est la tâche du législateur, mais cela crée cette habitude de s'adresser à la Cour suprême pour la voir ensuite limiter nos pouvoirs et nous relancer la balle pour que nous réglions le problème, puis encore une fois on annule notre décision ou on crée un autre vide. À votre avis, pourquoi n'avons-nous pas réagi en concevant une immunité plus restreinte, plutôt que ce genre d'immunité générale? Il me semble que nous avons besoin de quelque chose de plus modérée ici.

M. Yvan Roy: Si vous permettez, les raisons que nous permettons d'invoquer pour obtenir l'immunité sont restreintes.

• 1730

D'autres témoins vous ont sans doute dit vouloir éviter une polarisation trop forte, car cela risquerait de mettre la loyauté de certains d'entre eux à l'épreuve. Il s'agit donc d'une immunité circonscrite, en ce sens qu'elle est assujettie à l'exigence de reddition des comptes, tant sur le plan politique que juridique. Il faut donc qu'on se conforme à un critère de proportionnalité, et si on ne réussit pas à le faire, on en est tenu responsable en droit pénal. Il est exclu que les infractions les plus graves fassent l'objet d'une telle immunité.

Cela étant dit, y aura-t-il renvoi devant les tribunaux pour que le critère soit mis à l'épreuve? De nos jours, tout fait l'objet de renvoi. Lorsqu'on consulte les rapports émanant de la Cour suprême du Canada, on découvre qu'une grande proportion des causes entendues sont de nature pénale.

Je précise que ce tribunal à quelques reprises a aussi précisé qu'il est assez difficile de trancher une question de ce genre dans l'abstrait. Autrement dit, il a besoin de faits. En tant qu'ancien procureur de la Couronne, vous conviendrez sans doute avec moi que des faits erronés donnent lieu à de mauvaises lois. Dans ce dossier de l'immunité, l'État devra donc agir de façon très responsable et mettre à l'avant des causes pertinentes afin que la jurisprudence se développe d'une façon conforme à ce que souhaite le Parlement.

Monsieur MacKay, il me semble que vous tenez vous aussi à ce que la Cour suprême du Canada se saisisse d'une cause appropriée afin de se prononcer. Nous osons espérer que le jugement en question s'inspire des délibérations qui ont lieu ici même et qui se tiendront aussi dans l'autre endroit, tout simplement parce que le tribunal a le loisir de se reporter à de tels débats. Il a même précisé qu'il le fait souvent. Il souhaite en effet savoir sur quels faits législatifs le Parlement s'est fondé pour prendre ses orientations, et règle générale, il respecte ces dernières.

Je conclurai en vous renvoyant à la question des projets de loi. Pour certaines personnes, le projet de loi C-46 était anticonstitutionnel du fait qu'il semblait dans une certaine mesure codifier l'avis qu'aurait donné la minorité dans certains jugements de la Cour suprême du Canada. Étant donné que bon nombre de faits et d'arguments avaient été présentés devant le Parlement et en particulier devant votre comité, la cour en a tenu compte et dans son jugement qui est maintenant traduit dans les lois, elle a donné raison au Parlement. C'est justement la raison d'être de nos discussions. Nous espérons qu'elles seront largement prises en compte par la cour afin qu'elle en arrive à la conclusion que l'orientation est bel et bien constitutionnelle.

Le président: Monsieur Cohen, à vous la parole.

M. Stanley Cohen: Je ne vais pas parler du renvoi devant les tribunaux, mais vous avez vous-même parlé de la justification. À mon avis, si des gens, y compris l'avocat de la défense qui a témoigné devant vous ce matin, M. Trudell, estiment que la question va se retrouver immédiatement devant les tribunaux, c'est qu'elle prête à la controverse. C'est d'ailleurs aussi pour cela que votre comité en effectue une étude aussi fouillée et ardue. Cela dit, c'est au Parlement qu'il revient de se pencher sur une question grave et pressante, et je pense que les tribunaux devront le reconnaître lorsqu'il s'agira de voir si l'immunité est justifiée. Évidemment, cela sous-entend que la contestation établisse qu'il y a eu atteinte aux droits d'un particulier.

Maintenant nous passons à la question de la justification. S'agit-il d'une question grave et pressante? Lorsque je cherche une réponse à une telle question en matière de droit pénal, je me reporte au rapport Ouimet, qui remonte à il y a déjà quelque temps. Son principal maître d'oeuvre a été G. Arthur Martin, un géant en histoire du droit pénal au Canada. Il affirme, et je le cite ici à même le rapport Ouimet, qui s'intitule Vers l'unité: Le droit pénal et les Services correctionnels, rapport de 1969:

    La répression du crime est une question grave et pressante aux yeux de la société canadienne. D'ailleurs, il est indubitablement dans son intérêt de réprimer le crime et d'appliquer la loi. Or, le processus pénal en entier a d'ailleurs pour objet de protéger la société en réduisant l'incidence de la criminalité, et par conséquent, il est dans l'intérêt de cette dernière de dissuader et de prévenir la criminalité par l'entremise de mesures efficaces de dépistage et de poursuite.

• 1735

La justification générale relative à cette immunité, à savoir la nature grave et pressante des activités sur lesquelles ont fait enquête, s'établit sur le souci d'appliquer la loi avec efficacité, de protéger la société et de mettre en oeuvre les lois pénales.

Après l'article 1 où il est question de la justification fondée sur la nature grave et pressante de l'affaire, nous passons maintenant à la question de la proportionnalité de la réponse. Il s'agit de veiller à ce que les mesures prises nuisent le moins possible aux droits et libertés des citoyens. Nous avons déjà abordé ce point lors de vos audiences. Il a alors été dit que la loi comporterait des gradations, un droit de regard et l'obligation de rendre des comptes. Cela signifie que le projet de loi et plus précisément l'immunité restreinte sont assujettis à des contraintes législatives suffisamment fortes pour que les mesures d'immunité soient à la fois mesurées et le plus respectueuses possible des droits des citoyens. Telle est d'ailleurs l'obligation constitutionnelle dont un tribunal devra tenir compte.

J'ignore comment on pourra éviter de se renvoyer constamment la balle et de se livrer à ce qu'on a aussi parfois appelé le dialogue constitutionnel entre le Parlement et les tribunaux. Il se peut que dans certaines causes, on essaiera de passer par-dessus les tribunaux de première instance, mais règle générale, la Cour suprême aime avoir l'avis des cours inférieures, et surtout des tribunaux de première instance, où l'étude d'une cause met en présence de véritables témoins et fait appel à des faits lorsqu'il s'agit d'établir si la loi est dans l'erreur et si sa mise en oeuvre risque d'entraîner des abus. Je pense d'ailleurs que c'est pour cela qu'on hésitera quelque peu à se saisir de ce genre de chose, mais je vous donne là un avis strictement personnel, et non de juriste.

Par ailleurs, il se peut que vous n'obteniez pas les réponses que vous cherchez. Sans qu'on veuille esquiver une réponse, par souci de prudence, il y aura beaucoup de conjectures et de questions hypothétiques, parce qu'il est tout simplement impossible de connaître toutes les circonstances concrètes auxquelles la police sera confrontée et leurs nombreuses permutations. Il y a donc certains problèmes inhérents à ce genre de sujet.

Le président: Merci beaucoup.

J'aimerais poser une question pour M. McKay. Vous l'avez vous-même posée plus tôt. J'entends ici M. John McKay, car je ne ferais pas une telle chose dans le cas de Peter McKay.

Un peu plus tôt, M. McKay a demandé pourquoi les modifications à la Loi sur la preuve au Canada, recommandées par le sous-comité, n'ont pas été déposées. Je ne pense pas qu'on ait répondu. Or j'aimerais bien savoir cela.

M. Yvan Roy: Je cherche le rapport du sous-comité. J'espère l'avoir apporté avec moi.

Le président: À la recommandation 13, il est dit «Modifier la Loi sur la preuve au Canada de manière à codifier et simplifier les règles relatives à la communication de renseignements». Nous avons beaucoup entendu parler de ce sujet dans le cours de nos audiences.

M. Yvan Roy: Il est dommage que cela ne figure pas dans le projet de loi. Cependant, nous sommes en train d'élaborer les modifications en question. Elles font partie du programme législatif du ministère et de nos pendants provinciaux, à la demande des ministres de la Justice et des procureurs généraux, afin que nos efforts communs débouchent sur un texte législatif portant sur la communication de la preuve.

J'ajouterai, monsieur McKay, que dès maintenant, on s'efforce de faciliter la communication grâce aux moyens électroniques. Je ne crois pas qu'il soit indispensable d'adopter un projet de loi pour que cela s'effectue. C'est déjà possible. Simplement, dans certaines causes, particulièrement en Ontario, certains avocats nous ont dit ne pas savoir faire fonctionner les ordinateurs et que nous avions l'obligation de leur fournir les renseignements sur support papier plutôt que sur CD-ROM. À mon avis, ce genre de résistance disparaîtra avec le temps.

Donc pour répondre directement à votre question, oui, nous nous penchons sur la question, et nous espérons que les modifications qui résulteront de notre travail seront présentées à la prochaine occasion, probablement l'année prochaine. C'est du moins ce que j'espère personnellement, bien entendu, sous réserve des directives de mon ministre.

• 1740

Le président: Merci beaucoup. Merci beaucoup aux témoins, et merci à tous les participants d'avoir éclairé le débat.

Plus tôt aujourd'hui, nous avons discuté du moment où nous devrons effectuer l'étude article par article. Et je rappelle aux députés que nous avions l'intention de commencer cela tout de suite pour en avoir déjà terminé. Nous avons cependant reporté l'étude de mardi à jeudi matin afin de donner un peu plus de temps à nos collaborateurs afin qu'ils préparent les amendements et le reste. En outre, ce matin, on a précisé que certaines questions méritaient une étude plus approfondie, et à en juger d'après les propos que j'ai entendus, les gens semblent se rallier à l'avis du député de Winnipeg. J'ai demandé que les hauts fonctionnaires témoignent pour nous aider à orienter notre discussion.

Cela étant dit, il faut maintenant décider si nous voulons passer à l'étude article par article jeudi, tel que prévu, ou choisir une autre date. Je m'en remets à la décision des membres du comité.

La parole est d'abord à M. Ménard, puis à M. Maloney.

[Français]

M. Réal Ménard: Monsieur le président, j'aimerais faire une proposition informelle.

Je sais que le gouvernement ainsi que l'ensemble des partis d'opposition, je crois, souhaitent que le projet de loi soit adopté avant la fin de la présente session. Par ailleurs, il y a des questions qui peuvent exiger des discussions dans nos caucus. Par exemple, chez moi, on aura demain matin une discussion sur l'immunité. Il y a des arguments intéressants qui ont été présentés par la SPCUM ce matin. Vous savez comment c'est dans les caucus: c'est le lieu privilégié où doivent se faire les discussions.

Je souhaiterais qu'on ne procède pas à l'étude article par article jeudi, mais qu'on y procède le mardi suivant notre retour, en se donnant des garanties de la terminer ce mardi. Si mes collègues de l'opposition étaient d'accord, on pourrait prendre l'engagement moral, compte tenu de ce que souhaite le gouvernement et compte tenu du fait qu'on a besoin de plus de temps, de faire l'étude l'article par article en une journée, le mardi. Si cela exige qu'on dépasse le temps dévolu statutairement au comité, je pense que ça pourrait se faire même en soirée. Je crois qu'il serait difficile pour nous de commencer jeudi, et ça ne donnerait pas beaucoup de temps aux gens pour rédiger les amendements. Il me semble donc qu'on devrait s'engager à faire cette étude le mardi et à la terminer le jour même.

Évidemment, comme je l'ai exprimé ce matin, je souhaiterais que nous ayons un briefing book dans lequel on donnerait la raison de chacun des articles, comme dans le cas des autres projets de loi. Je pense qu'on a discuté d'à peu près 20 p. 100 du projet de loi. Comme législateurs, il est important que quand on vote sur un article, on en comprenne les conséquences, étant donné le sérieux du travail qu'on a à faire.

C'est la proposition informelle que je vous fais, et j'espère qu'elle sera retenue.

[Traduction]

Le président: Cela est dit avec autant de sagesse qu'un vieillard de 86 ans.

Monsieur Maloney, allez-y.

M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je comprends les préoccupations de M. Ménard au sujet de son caucus, mais on a entendu beaucoup de questions et d'avis de part et d'autre, et nous avons eu l'occasion d'entendre nos témoins ce matin et encore cet après-midi. J'estime pour ma part avoir obtenu des réponses à bon nombre des questions que je me posais. De plus, si nous n'allons pas de l'avant, je me demande vraiment si le projet de loi pourra franchir toutes les étapes de l'étude au Sénat d'ici la fin de la session. J'estime qu'il doit être adopté et que la nouvelle loi doit être mise en oeuvre dans les plus brefs délais. Bon nombre de témoins nous ont parlé de l'urgence de la situation. Enfin, je ne pense pas qu'un cahier article par article soit obligatoire, on le fournit souvent par courtoisie, mais je ne suis pas sûr que ce soit nécessaire.

Le président: Sur le premier point, monsieur Maloney, M. Ménard a préfacé ses propos par le souhait que le projet de loi soit adopté avant l'ajournement d'été. Cela explique probablement le sentiment d'urgence exprimé par M. Blaikie ce matin. En tant que secrétaire parlementaire, estimez-vous qu'il n'y aura pas moyen de faire adopter le projet de loi avant l'ajournement?

• 1745

M. John Maloney: Je m'inquiète à la possibilité que le projet de loi ne puisse passer par les deux filières, celle de la Chambre des communes et celle du Sénat, d'ici la fin de la session. Je ne parlais pas de la relâche...

Le président: À moins que nous ne commencions jeudi. Est-ce bien cela?

M. John Maloney: J'aimerais que nous nous mettions au travail dans les plus brefs délais possible afin d'empêcher une telle éventualité.

Le président: M. Blaikie est le suivant, puis M. McKay.

M. Bill Blaikie: Monsieur le président, je crois que M. Maloney se trompe à deux égards. D'abord, si le gouvernement veut précipiter l'étude du projet de loi en comité sans prendre les préoccupations des gens au sérieux, étant donné le temps très limité à notre disposition, l'opposition peut faire en sorte de bloquer son adoption à la date souhaitée par le gouvernement—et je ne donnerai aucune date. Ça ne sera pas un gros problème pour nous.

Si tel est le jeu qu'il nous faut jouer, alors nous nous le tenons pour dit. Je vous assure cependant que tel n'est pas l'avis du leader du gouvernement à la Chambre. Sans vouloir trahir les confidences échangées lors des réunions entre les leaders des divers partis à la Chambre, nous en avons discuté aujourd'hui même. Nous nous sommes dit que le travail en comité ne sera peut-être pas terminé avant la semaine suivant la relâche parlementaire. Or le gouvernement ne nous a pas dit qu'un tel échéancier nous empêcherait de faire adopter le projet de loi avant l'ajournement des Chambres.

Peut-être y a-t-il eu malentendu entre le gouvernement et le secrétaire parlementaire, qui semble toujours ici pour faire les basses besognes de son parti quel que soit l'avis des autres membres du comité.

Une voix: Soyez gentil.

M. Bill Blaikie: Je serai gentil quand les gens deviendront raisonnables. Si les gens ne sont pas raisonnables, alors je ne serai pas gentil. C'est aussi simple que cela.

Le président: Monsieur Blaikie, jusqu'à maintenant, je pense que nous nous sommes vraiment efforcés de travailler de telle manière à atteindre l'objectif de tous les députés, à savoir accorder à ce projet de loi l'importance qu'il mérite...

M. Bill Blaikie: Monsieur le président, si vous permettez, j'aimerais terminer. Il n'y a pas de position arrêtée du NPD ici, ni de l'Alliance ni des libéraux. Cependant, je pense que si l'on veut être raisonnable, les membres du comité doivent se demander si les aspects les plus controversés du projet de loi les préoccupent. Tout au moins, ils doivent peut-être essayer de tirer au clair leurs doutes et leurs questions, être sûrs que les problèmes perçus en sont vraiment, ou quelle que soit la conclusion. Quoi qu'il en soit, nous contenter de passer simplement des témoignages à l'étude article par article, sans avoir auparavant lu les procès-verbaux ni même avoir réfléchi aux enjeux est excessif, étant donné aussi que demain, nous accueillerons le ministre.

Le président: Monsieur McKay, allez-y.

M. John McKay: Je crois avoir dit ce matin que si nous avons procédé à de telles délibérations, c'est parce que nous savons tous que les dispositions de la nouvelle loi seront contestées devant les tribunaux. Or si le Parlement souhaite vraiment un véritable dialogue avec la Cour suprême, alors la seule façon de bien faire cela est de se reporter au hansard. Un tel argument me paraît toujours valide.

Avant de passer à l'étude article par article, chacun de nous doit se convaincre que les arguments entendus sont suffisants. Ici je remercie les témoins d'être venus développer davantage leurs propos et leurs arguments, je pense que cela a certainement été un apport important au dossier.

Franchement, je ne vois pas de quoi d'autre nous devrions discuter encore officiellement, mais certaines questions sont peut-être plus concluantes. À cet égard donc, je suis d'accord pour que nous n'abordions pas dès maintenant l'étude article par article. Toutefois, je ne vois pas comment nous pouvons discuter sans nous mettre à l'étude article par article en nous attachant au texte même de la loi, ce qui nous permettra de mettre au jour nos divergences à son sujet...

M. Bill Blaikie: Le faire pendant...

M. John McKay: Eh bien, ça va.

Si l'étude article par article signifie qu'en même temps, nous tiendrons des échanges afin de voir ce que signifie vraiment tel article, par rapport aux témoignages entendus et à nos avis, alors très bien. En revanche, si un dialogue signifie simplement que nous allons tout simplement tenir une grande discussion animée, alors je ne vois pas comment je peux être d'accord. À cet égard, la position de M. Blaikie rejoint la mienne.

M. Bill Blaikie: En même temps que nous allons effectuer l'étude article par article.

• 1750

M. Peter MacKay: Je ne veux pas revenir en arrière, mais il me semble que nous avons le devoir d'étudier le projet de loi attentivement et de réfléchir aux témoignages que nous avons entendus ces derniers jours. Il s'agit d'un projet de loi important. Ne nous leurrons pas, il aura de très grandes répercussions.

Si nous en avons le temps, et tel semble bien le cas, si je me reporte à notre calendrier législatif et sur le nombre de jours à notre disposition, nous nous acquitterions mal de nos responsabilités en sautant cette étape de délibération car cela nous donne non seulement l'occasion de revoir certains des témoignages mais aussi de les étudier de façon plus poussée avant l'étude article par article. Je sais bien que dans une certaine mesure cela peut faire partie de cette étude... mais je pense toutefois qu'il nous faut approfondir le sujet quelque peu avant d'aborder cette dernière étape.

La mesure va se rendre jusqu'au Sénat, car elle n'est nullement contestée. Tous les partis sont pour, même si d'aucuns ont émis certaines réserves dont nous devrions nous occuper dès maintenant avant que le tout ne soit renvoyé au Sénat, ne devienne du domaine public, puis nous revienne plus tard parce qu'il présente un vice de fond quelconque.

Le président: Monsieur Myers, allez-y.

M. Lynn Myers: Monsieur le président, il semble se dégager une certaine unanimité autour de l'importance du projet de loi. Nous sommes d'accord là-dessus, et moi aussi. Il est donc très important que cette mesure soit adoptée par les deux chambres d'ici la fin de la session.

Je crois avoir toutefois entendu M. Ménard suggérer de renvoyer le projet de loi à la séance du mardi, de façon «informelle»; suggéré; dans ce cas, pouvons-nous nous entendre pour siéger jusqu'à ce que l'étude soit terminée? Je crois que c'est ce que vous avez suggéré. Je vois que les députés de l'Alliance hochent la tête en approbation, et je me demande si MM. Blaikie et MacKay pourraient accepter cette suggestion. Cela nous permettrait d'avancer plus vite. Si cela implique que nous devions siéger toute la nuit, soit.

[Français]

Mme Carole-Marie Allard: J'aimerais avoir un renseignement, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Madame Allard, vous invoquez le Règlement.

[Français]

Mme Carole-Marie Allard: Quand M. Ménard parle de mardi, veut-il dire le 29?

M. Réal Ménard: Au retour, oui.

[Traduction]

Le président: M. Cadman a demandé la parole.

M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.

Je voudrais répéter ce que j'ai dit ce matin. Ce projet de loi-ci est une mesure de fond; les membres du comité souhaitent donc faire de leur mieux, ou presque, du premier coup. Pour ma part, je suis prêt à dire, au nom de l'Alliance canadienne, que nous ne jouerons pas aux empêcheurs de tourner en rond à la séance de jeudi...

M. John McKay: Vous voulez dire plutôt que jouer à...?

M. Chuck Cadman: ... dans la mesure où les autres membres du comité sont prêts à s'engager eux aussi à travailler sérieusement.

Quant à savoir si j'en parlerai à notre caucus demain matin, je ne vous en dirai rien. J'ai l'impression que nous aurons d'autres chats à fouetter.

Je sais que nous devons... Je ne suis pas sûr qu'un délai de deux semaines fasse une si grande différence que cela, et le Sénat fera ce qu'il doit faire. Voilà pourquoi je suis d'accord pour entamer l'étude le mardi suivant la relâche.

Le président: Je prends note de cette litote de l'année...

Monsieur Blaikie, allez-y.

M. Bill Blaikie: Ce n'est pas ce que j'aurais choisi de faire, mais cela me semble certainement préférable à la séance de jeudi. Le projet de loi va aussi loin que ce à quoi je m'attendais de la part du gouvernement. C'est pourquoi il représente un compromis acceptable pour moi.

Le président: Monsieur MacKay, à vous.

M. Peter MacKay: Cela me va. Nous pouvons profiter de la semaine de relâche pour revoir nos notes avant de reprendre le tout mardi prochain. Au besoin, nous siégerons toute la nuit.

Le président: Avant de céder la parole à M. Ménard, je voudrais lui rappeler le vieil adage selon lequel dès lors que l'on a vendu l'assurance... Il semble se dégager une certaine unanimité. Veuillez ne pas...

[Français]

M. Réal Ménard: Monsieur le président, on a le consensus. J'ai fait la proposition et nous nous engageons à travailler diligemment pour que ça soit adopté, mais je veux avoir un briefing book dans lequel on va expliquer chacun des articles parce que nous devons faire notre travail sérieusement. Je ne peux pas croire qu'au ministère de la Justice, le lieu où sont concentrés les cerveaux les plus brillants de la nation, on n'ait pas déjà commencé ce travail-là.

Mme Carole-Marie Allard: [Note de la rédaction: inaudible].

M. Réal Ménard: Après nos caucus respectifs, madame Allard.

[Traduction]

Le président: Avez-vous cité directement M. Bellehumeur?

M. Réal Ménard: Nous demanderons que cela soit mis aux voix.

[Français]

Monsieur le président, il est important qu'on ait ce briefing book. On en a eu un pour tous les autres projets de loi. Pourquoi n'en aurait-on pas un pour celui-là? On a traité de peut-être 20 p. 100 du projet de loi. Si on veut que la population respecte le travail des députés, il faut que l'on sache sur quoi on vote. Je pense que tout le monde veut un briefing book.

• 1755

[Traduction]

Le président: Monsieur Maloney, M. Ménard a remis sur le tapis la question du cahier d'information.

M. John Maloney: Aurons-nous reçu le cahier d'information d'ici là?

M. Yvan Roy: Monsieur le président, nous y avons travaillé, et il était prévu que ce cahier d'information resterait confidentiel. Mais il est évident que s'il est distribué aux parlementaires, il ne le sera plus.

Voici ce à quoi je songeais. Nous pourrions profiter de la journée de demain pour éliminer du cahier d'information ce qui ne doit pas être rendu public. Je vois que certains membres du comité froncent déjà les sourcils. Sachez qu'il s'agit là de notes d'information données au ministre. Mais nous nous engagerions à vous fournir des renseignements, la seule réserve étant que la version française du cahier d'information n'est pas encore prête. Elle ne peut être prête avant le milieu de la semaine prochaine, autrement dit jeudi prochain. Je pourrais faire distribuer la version française à ceux qui veulent l'avoir dans cette langue, soit à leur bureau, soit dans leur circonscription. C'est le plus vite que je puisse faire, mais nous pouvons tenter d'y parvenir.

Je suis accompagné de M. Bartlett qui me donnait cette information.

Bill, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. William Bartlett (avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice): Je pense que nous pouvons nous engager raisonnablement à tenter d'avoir la traduction dans environ une semaine. Nous pourrons donc avoir la traduction à la fin de la semaine prochaine. Avant de pouvoir préparer un document que nous pourrions vous remettre, il faudrait plus de temps. Pour ce qui est de vous remettre en fait un cahier à feuilles mobiles dans une semaine... Nous avons parlé aux gens de la traduction, et je ne pense pas que cela soit possible. Cela veut dire qu'il faudrait que la traduction soit terminée d'ici environ mardi prochain, ce qu'ils ne peuvent pas faire. Ils ont dit que le travail pourrait être terminé jeudi. Il faudra donc quelques jours de plus pour nous permettre de préparer un document que nous pourrions vous remettre.

Le président: Ils auraient le cahier d'information.

[Français]

Mme Carole-Marie Allard: [Note de la rédaction: inaudible] ...ça va aller plus vite.

[Traduction]

Le président: Afin que ce soit bien clair pour tous, cela veut dire essentiellement que les députés devraient avoir le cahier d'ici vendredi prochain pour la séance du mardi suivant.

M. Yvan Roy: Le cahier, dans sa version anglaise, pourrait sans doute être distribué aux membres du comité jeudi de cette semaine. La version française...

Le président: Avant de continuer, M. Myers voulait dire quelque chose.

L'idée selon laquelle les députés recevraient ce cahier dans une langue sans pouvoir le recevoir dans l'autre langue avant longtemps me pose beaucoup de problèmes, étant donné la nature de ce que nous devons tous faire. Je suis entre les mains du comité, mais j'aimerais entendre M. Myers.

M. Lynn Myers: Monsieur le président, nous avons toujours des problèmes à ce sujet. Je pense que si nous pouvons avoir le cahier en anglais ou en français au plus tard lundi avant la séance de mardi, cela me convient. Si on parle d'un cahier de cette épaisseur... c'est tout simplement technique.

Je me demande, monsieur Roy, si vous ne parlez pas d'un cahier d'information différent de celui que nous demandons ici. Nous ne demandons pas le cahier d'information à l'intention du ministre. Nous voulons les diverses explications concernant les articles. C'est tout ce dont nous avons besoin. C'est ce que nous recevons déjà dans des comités comme celui-ci.

M. Yvan Roy: C'est le cahier dont je parle. Essentiellement, nous prenons le cahier d'information à l'intention du ministre et nous en retirons tout simplement l'information qui ne doit pas être du domaine public. C'est tout.

Le président: Monsieur Ménard, allez-y.

[Français]

M. Réal Ménard: Ce qui m'importe, c'est la bonne foi de tout le monde, et on comprend les contraintes logistiques de tout le monde.

Si vous me dites qu'on peut avoir le briefing book le lundi 28, je pourrai le lire le soir d'avant la séance. Si on veut un briefing book, c'est pour le lire, parce que si on ne le lit pas... Monsieur Myers, vous savez qu'on est faits pour s'entendre quand vous êtes raisonnable. Je comprends très bien. Si la version anglaise est disponible avant la version française, il n'y a pas de problème. L'important, c'est qu'on l'ait le lundi précédant la séance pour pouvoir le lire. Vous l'envoyez à mon bureau, je le lis et je serai très content. L'idée, c'est de comprendre ce sur quoi on vote.

• 1800

[Traduction]

Le président: Il est entendu que lorsque le cahier sera prêt en anglais il sera distribué. Tout le monde autour de la table est d'accord sur ce point avec M. Ménard. Il est entendu également que M. Ménard ou quiconque souhaite le recevoir, en recevra également un exemplaire en français, au plus tard le lundi avant la séance et, je l'espère, même avant cela. Est-ce clair pour tout le monde?

Puisque c'est le cas, je crois que nous nous sommes entendus sur la façon dont nous allons procéder. Je vous remercie tous de votre bonne volonté, ce qui nous permettra de faire des progrès.

La séance est levée.

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