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HERI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent du patrimoine canadien


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 5 décembre 2002




¿ 0905
V         Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.))
V         M. Tom Kent (témoin à titre personnel)
V         Le président
V         M. Tom Kent

¿ 0910

¿ 0915
V         Le président
V         M. Wilson Southam (« Past Director, Southam Inc. », À titre individuel)
V         Le président
V         M. Wilson Southam

¿ 0920

¿ 0925
V         Le président
V         M. Wilson Southam
V         Le président
V         M. John Miller (professeur, directeur de « Newspaper Journalism », À titre individuel)

¿ 0930

¿ 0935
V         Le président
V         M. Jim Abbott (Kootenay—Columbia, Alliance canadienne)

¿ 0940
V         M. Wilson Southam

¿ 0945
V         M. Jim Abbott
V         M. Wilson Southam
V         Le président
V         M. Tom Kent
V         Le président
V         M. Dennis Mills (Toronto—Danforth, Lib.)

¿ 0950
V         Le président
V         Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ)
V         M. John Miller
V         Mme Christiane Gagnon
V         Le président
V         M. Paul Bonwick (Simcoe—Grey, Lib.)

¿ 0955
V         M. Wilson Southam
V         M. Paul Bonwick
V         M. Tom Kent

À 1000
V         M. John Miller
V         Le président
V         Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.)
V         M. John Miller
V         M. Tom Kent

À 1005
V         Le président
V         M. Wilson Southam
V         Mme Sarmite Bulte
V         M. John Miller
V         M. Wilson Southam

À 1010
V         Le président
V         Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD)
V         M. John Miller

À 1015
V         Mme Wendy Lill
V         M. Wilson Southam
V         Le président
V         Mme Liza Frulla (Verdun—Saint-Henri—Saint-Paul—Pointe Saint-Charles, Lib.)

À 1020
V         M. Wilson Southam
V         Mme Liza Frulla
V         M. Wilson Southam
V         Mme Liza Frulla
V         M. John Miller

À 1025
V         Mme Liza Frulla
V         Le président
V         M. John Miller
V         Le président
V         M. Jim Abbott
V         M. Wilson Southam

À 1030
V         Le président
V         M. Tom Kent

À 1035
V         Le président
V         M. John Harvard (Charleswood —St. James—Assiniboia, Lib.)
V         M. John Miller
V         M. John Harvard

À 1040
V         M. John Miller
V         M. Wilson Southam
V         Le président
V         Mme Wendy Lill
V         M. Tom Kent
V         Mme Wendy Lill
V         M. Tom Kent
V         M. Wilson Southam
V         Le président
V         Mme Liza Frulla

À 1045
V         M. Wilson Southam
V         Le président
V         M. Paul Bonwick

À 1050
V         Le président
V         M. Tom Kent
V         Le président
V         M. John Miller
V         M. Wilson Southam
V         Le président
V         M. Wilson Southam

À 1055
V         Le président
V         M. Wilson Southam
V         Le président
V         M. Tom Kent
V         Le président










CANADA

Comité permanent du patrimoine canadien


NUMÉRO 010 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 5 décembre 2002

[Enregistrement électronique]

¿  +(0905)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)): Bonjour. La séance est ouverte. Le Comité permanent du patrimoine canadien se réunit aujourd'hui pour poursuivre son étude sur l'état du système de radiodiffusion canadien.

[Français]

    Le Comité permanent du patrimoine canadien se réunit pour continuer son étude de l'état du système de radiodiffusion canadien.

[Traduction]

    Nous avons l'immense privilège d'accueillir aujourd'hui d'éminents panellistes qui vont nous parler de la concentration des médias et qui voudront aussi, j'en suis sûr, nous parler de la propriété étrangère. Nous avons donc l'honneur d'accueillir M. Tom Kent, Fellow, School of Policy Studies, Université Queen, qui est bien connu de nous tous à cause de l'étude qu'il a faite il y a quelques années et qui a laissé sa marque; M. Wilson Southam, ex-directeur, Southam Inc., coordonnateur, Diversity of Voices Everywhere, DOVE; et le professeur John Miller, directeur du journalisme de la presse, Université Ryerson.

    Je tiens à signaler aux membres du comité que M. Miller a apporté un texte que l'on est en train de vous remettre et qui s'intitule «Unless Something Is Done».

    Il s'agit d'une pétition signée par d'éminents Canadiens dont les noms figurent au verso de la feuille et parmi lesquels on trouve le nom de nos trois témoins. Vous voudrez peut-être lire la pétition dès que vous en aurez le temps.

    Je voudrais maintenant débuter et j'invite M. Kent à nous adresser la parole.

+-

    M. Tom Kent (témoin à titre personnel): Merci, monsieur le président et honorables députés. C'est un immense plaisir pour moi de me retrouver ici.

    Comme je n'ai pas beaucoup de temps, je serai très bref et je me limiterai à un de vos deux sujets, c'est-à-dire à la propriété étrangère. À mon avis, l'assouplissement des limites à la propriété étrangère servirait certainement un intérêt privé, ferait augmenter le prix auquel...

+-

    Le président: Monsieur Kent, puis-je vous interrompre un moment?

    M. Southam nous a remis un texte intitulé A Diversity Of Voices At Risk?, que nous ne pouvons pas distribuer maintenant parce qu'il faut le faire traduire en français. Nous allons veiller à le faire traduire et à en remettre copie aux membres du comité le plus tôt possible, monsieur Southam. Nous ne pouvons pas le distribuer aujourd'hui. Les règles du comité nous l'interdisent.

    Je suis désolé, monsieur Kent.

+-

    M. Tom Kent: Je vous en prie.

    Comme je le disais, l'assouplissement des limites à la propriété étrangère servirait un intérêt privé. Éliminer ces règles aurait pour effet d'accroître le prix que les propriétaires actuels obtiendraient lorsqu'ils vendraient leurs intérêts, ce qui semble se produire assez souvent, mais cela causerait un tort énorme à l'intérêt public. Il y aurait encore moins d'informations et d'opinions sur l'actualité, qui constituent la responsabilité particulière des médias, qui seraient présentées d'un point de vue canadien et dans l'optique de ce qui intéresse les Canadiens en tant que société.

    Je tiens toutefois à concentrer mes remarques préliminaires sur la propriété croisée de la presse écrite et des médias de radiodiffusion. Il s'agit d'une question à laquelle des gouvernements précédents se sont attaqués. En 1982, par exemple, le gouvernement Trudeau a émis un décret ordonnant au CRTC de ne pas accorder de licences de radiodiffusion à des propriétaires de quotidiens qui servaient essentiellement la même région, et à ne pas renouveler leurs licences existantes, le cas échéant. Le CRTC n'a toutefois jamais eu l'occasion de donner suite au décret puisque le gouvernement Mulroney est arrivé au pouvoir et l'a révoqué.

    Depuis, les choses vont de mal en pis, et à un rythme effarent ces derniers temps. En 1982, bien sûr, la propriété croisée se limitait essentiellement au Nouveau-Brunswick; maintenant, le phénomène s'étend au Canada tout entier. Les grands réseaux de télévision sont maintenant alliés à des quotidiens, alliance dont ils proclament les vertus, mais qu'il est plus juste de considérer comme allant à l'encontre de l'intérêt public. La directive de 1982 était très claire à ce sujet. Le gouvernement Trudeau avait alors dit—permettez-moi d'ajouter que l'actuel premier ministre était alors ministre de la Justice—que la propriété croisée devait être interdite afin de «favoriser la présence de sources indépendantes, concurrentielles et diversifiées de nouvelles et de points de vue au Canada».

    Dans notre économie de marché, quiconque a l'argent voulu peut faire l'acquisition d'un quotidien. La nécessité de disposer des capitaux voulus entraîne une certaine coloration idéologique de l'opinion, mais on maintient du moins l'indépendance par rapport au gouvernement qui était l'objet de la bataille historique pour la liberté de la presse—ou plutôt, on maintenait cette indépendance jusqu'à tout récemment.

    La radiodiffusion, contrairement à la presse, exige une licence. Le CRTC a en apparence tous les pouvoirs d'un organe quasi-judiciaire, si bien qu'il entend de magnifiques plaidoyers juridiques, mais il ne cache aucunement son caractère politisé. Il en est forcément ainsi puisqu'il n'est assujetti qu'à des instructions générales et que ses décisions sur les licences peuvent, à juste titre, être annulées par le conseil des ministres. Bref, quand un journal est détenu en copropriété avec une chaîne de télévision, ce journal a une énorme dette envers le gouvernement.

    Je vous rappelle cette phrase célèbre du titulaire d'une licence de télédiffusion, qui assimilait cette licence à une planche à billets. Dans le contexte actuel, cela peut paraître un peu exagéré, mais la télévision occupe certainement une place beaucoup plus importante que les journaux dans les finances des empires médiatiques en propriété croisée. Ce sont ces licences de télévision, et non pas les journaux dont elle a fait l'acquisition, qui sont la source de la richesse de la famille Asper; et The Globe and Mail n'a pratiquement aucune importance sur le plan financier pour BCE, comparativement au réseau CTV qui fait aussi partie de cet empire.

    Ces entreprises médiatiques doivent supplier le gouvernement quand elles veulent renouveler ou élargir leurs licences de télévision. Je ne dis pas qu'elles deviennent aussitôt de ce fait des laquets du gouvernement. Le rôle traditionnel de la presse comme critique du gouvernement est un peu trop fort pour s'estomper du jour au lendemain, mais au bout du compte, l'argent parle encore plus fort.

    La propriété croisée aura pour effet insidieux de tempérer l'ardeur du journalisme d'enquête et de faire taire les commentaires critiques. L'érosion sera graduelle, sans doute, mais la liberté qui est grugée petit à petit avec chaque opinion ravalée est tout de même une part de liberté qui est perdue. Autrement dit, un journal qui est lié à une chaîne de télévision est un journal qui a vendu sa liberté.

    Bien entendu, les bâtisseurs d'empires commerciaux clament les mérites économiques extraordinaires de la convergence. La feuille de route, bien entendu aussi, nous montre que ses victimes sont nombreuses. À tout le mieux, les bienfaits économiques de la convergence entre la presse et la radiodiffusion sont vraiment mineurs. Ils ne pèsent pour rien à côté de la perte de liberté.

¿  +-(0910)  

    Il y a une solution toute simple; c'est celle qu'on a déjà voulu mettre en oeuvre. On pourrait de nouveau ordonner au CRTC de ne pas attribuer de licence aux propriétaires de journaux. Il faudrait toutefois aller plus loin que la directive de 1982, et ce, de deux façons.

    Les chevauchements de propriété télévision-presse ne sont plus limités géographiquement, comme ils l'étaient en 1982. La concentration et la convergence s'étendent à l'échelle du Canada tout entier. La télévision et la presse Asper se retrouvent dans toutes les régions; il en est de même pour CTV et le quotidien The Globe and Mail. L'indépendance de la presse exige une séparation complète pour ce qui est de la propriété de tous les intérêts dans les journaux et de tous les intérêts dans la radiodiffusion.

    On pourrait de nouveau recourir à une directive à l'intention du CRTC, mais l'histoire nous montre qu'un décret peut facilement être révoqué par un nouveau gouvernement. Il faudrait donc que la directive bénéficie de l'autorité et de la stabilité accrues qu'assure une décision du législateur, du Parlement. Je dirais donc que votre comité est tout désigné pour lancer l'effort de sauvetage de la liberté par des recommandations en ce sens.

    Merci, monsieur le président.

¿  +-(0915)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Kent.

    Monsieur Southam, vous avez la parole.

+-

    M. Wilson Southam (« Past Director, Southam Inc. », À titre individuel): Monsieur le président, d'après ce que j'ai entendu ce matin, je ne sais pas trop de combien de temps je dispose. Quelle est votre préférence?

+-

    Le président: Vous avez une dizaine de minutes, si cela vous va.

+-

    M. Wilson Southam: Merci beaucoup.

    J'ai apporté des cahiers pour tout le monde, mais je viens d'apprendre qu'on ne peut pas vous les remettre parce qu'il n'en existe pas de version française. Il n'a pas été possible de faire traduire le document étant donné le préavis de quatre jours. Je vais donc devoir modifier mon plan d'attaque, et je suis heureux de le faire.

    Merci de m'avoir invité à venir vous rencontrer aujourd'hui. J'ai commencé à m'intéresser activement à la question que vous étudiez aujourd'hui le jour de Noël, quand un homme pour qui j'ai beaucoup d'admiration, qui est maintenant à la retraite, m'a appelé pour me faire part de la consternation que lui causait la pratique voulant que des éditoriaux soient envoyés à partir de Winnipeg—l'idée étant d'en envoyer trois par semaine—aux quotidiens de 14 grandes villes, et que la direction de ces journaux soit informée de son obligation de publier les éditoriaux et de s'abstenir dorénavant de contredire ce qu'on y disait.

    Comme il avait décidé d'écrire une lettre au The Globe and Mail, je lui ai recommandé d'entrer en contact avec un homme du nom de Hamilton Southam, puis avec Paddy Sherman. Ils ont travaillé ensemble pendant deux mois à l'ébauche d'un texte, et Keith Spicer s'est joint à eux. Ils ont remanié plusieurs fois le texte d'une déclaration dont ils ont ensuite décidé qu'elle prendrait la forme d'une annonce.

    À ce moment-là, ils m'ont demandé ce que j'en pensais. J'ai dit qu'on y parlait trop des Southam. Les Southam avaient pour politique que les directeurs et les rédacteurs en chef de journaux locaux devraient représenter leur collectivité. Tout n'était pas parfait. Après tout, nous arrivions sur le marché avec un parti pris en faveur de l'establishment et de la façon traditionnelle de faire les choses. Mais il s'agissait à tout le moins d'un effort sincère de décentralisation et de promotion de l'idée de la presse comme gardien de l'intérêt public. On y parlait aussi beaucoup trop des Asper, qui n'auraient pas dû être mentionnés. C'était en fait de la société CanWest qu'ils parlaient. Enfin, ils demandaient simplement à CanWest de se comporter correctement, ce qui ne me semblait pas très utile.

    C'est ainsi que je me suis retrouvé à la tête du projet. J'ai laissé tomber certaines des choses auxquelles je travaillais et c'est ainsi qu'ont débuté les 11 semaines qui ont été une des périodes les plus intéressantes de ma vie. J'ai appris plus tard qu'il me faudrait travailler 20 heures par jour. Un miracle est arrivé: 40 directeurs, rédacteurs en chef et représentants de journaux, qui n'avaient jamais, au grand jamais, réussi à s'entendre sur quoi que ce soit de toute leur vie, ont fini par signer une annonce. L'annonce devait être publiée dans toutes les régions du pays, et elle invitait les Canadiens à réfléchir à la question suivante: la liberté de la presse est-elle en train de disparaître une salle de nouvelles à la fois?

    Nous n'avons pas réussi à faire ce que nous voulions parce que CanWest insistait pour ajouter 13  p. 100 de son texte à l'annonce. Finalement, l'annonce n'a pas été publiée à Vancouver, Calgary, Edmonton, Montréal, Toronto et Ottawa. Nous avons ainsi appris que CanWest décidait, non pas seulement du contenu rédactionnel dans le pays tout entier, mais aussi de la publicité qui pouvait être faite dans ses journaux. L'expérience a été intéressante. Nous avons apporté deux modifications, nous avons reporté deux fois la date limite, puis nous sommes allés au The Globe and Mail, au Winnipeg Free Press et au Chronicle-Herald de Halifax, qui ont accepté de publier sans aucun changement l'annonce que CanWest avait refusé de publier.

    Après l'expiration de la dernière date limite, CanWest a modifié ses exigences et a publié l'annonce. Elle soutenait que c'était tout ce qu'elle avait demandé, ce qui était faux. Je serais heureux de vous faire parvenir les documents à l'appui de cette allégation. La réponse que j'ai faite et qui a été publiée dans la page en regard de l'éditorial du The Globe and Mail se trouvait dans ce cahier, «Newrooms Are No Place for Head Office».

    Puis, il est arrivé quelque chose d'étrange. Quand j'étais petit, mon grand-père que j'admirais beaucoup m'avait dit un jour que, comme j'étais un Southam, je ne devrais pas prendre publiquement position sur quelque question que ce soit pour éviter d'influencer possiblement un journaliste. C'est ainsi que, toute ma vie durant, j'ai surtout pris la parole en public aux États-Unis, en Europe et en Australie. Mais soudain, je me suis rendu compte que les fichus journaux étaient disparus et que je pouvais dire tout ce que je voulais.

    J'ai donc commencé à parler. C'est ainsi qu'au cours des six dernières semaines j'ai été invité, sans que j'aie fait quelque démarche que ce soit, à adresser la parole au groupe Journalists for Free Expression de Massey College, aux étudiants en journalisme de Western, aux étudiants et aux professeurs de l'Université York de même qu'à la haute direction du Ontario Science Centre. J'y ai pris goût. Tout comme dans le cas des 40 directeurs, rédacteurs en chef et représentants de journaux avec lesquels j'avais discuté et qui étaient profondément consternés par les nouvelles tendances en matière de centralisation de la propriété et l'avènement possible de la propriété étrangère, je reçois maintenant des lettres de ces endroits m'informant que les étudiants participent à des rencontres avec leurs assistants à l'enseignement et qu'ils se demandent parfois, les larmes aux yeux, si notre fichu pays a la volonté de protéger sa culture et de préserver son indépendance. On me dit que ces questions soulèvent tout un tollé. Je crois ceux qui m'écrivent ces lettres.

    C'est donc un honneur pour moi de me trouver ici aujourd'hui. Le cahier vise en fait à situer toutes ces questions dans un cadre plus large. Comme je suis vieux et sénile et que j'ai besoin d'aide, comme cela nous arrive à tous quand nous devenons vieux et sénile, ce cadre de réflexion comprend notamment des éléments mnémoniques pour nous aider à nous rappeler certaines choses. Nous avons choisi l'acronyme MADCAP comme point de départ de nos observations. Le M, c'est pour le «marketing myopique».

¿  +-(0920)  

    Il y a maintenant 70 ans, depuis que Franklin Delano Roosevelt a été élu aux États-Unis et a fait drôlement peur aux riches avec ses théories populistes, que l'on nous chante les louanges du marché qui, dit-on, n'a pas d'égal. De toute évidence, pour quiconque a lu The Efficient Society et la série d'ouvrages écrits par un jeune universitaire canadien du nom de Heath, cela n'est pas vrai. Il y a certaines choses qui peuvent être bien mieux faites par nous tous ensemble, mais le mythe du marketing myopique continue à prendre de plus en plus d'ascendance, à cause de l'ascendance des Américains qui le propagent aux quatre coins du monde et qui détruisent des économies et condamnent des populations entières à mourir de faim, comme le montrent des études effectuées récemment au Malawi et ailleurs. Chemin faisant, la diversité des voix se perd de plus en plus, et ce phénomène est bien documenté dans la liste des ouvrages que vous avez dans le cahier, que vous voudrez peut-être lire après qu'il aura été traduit et qu'il vous aura été remis, et c'est un phénomène bien réel.

    Je me souviens d'être arrivé au travail un jour quand j'étais jeune journaliste à la salle des nouvelles de Hamilton et d'avoir entendu le directeur, que j'en suis venu à admirer énormément au fil des ans, s'exclamer de mauvaise humeur: «Pas encore un fichu reportage sur les animaux de compagnie...» Pendant neuf mois, il n'y a pas eu un seul reportage sur les animaux de compagnie dans le journal, jusqu'à ce qu'ils disent un jour: «Où sont les reportages sur les animaux de compagnie?» puis, les reportages ont repris.

    Alors, dans votre réflexion sur ce dossier très difficile auquel vous avez décidé de vous attaquer, je vois incite fortement à vous rappeler, malgré les promesses faites aux gens noir sur blanc, que bien souvent tout dépend des nuances du climat qui existe et que le climat se manifeste de façons très étranges parfois. Nous n'aurons sans doute jamais une presse parfaite, mais en faisant en sorte d'effectuer une séparation pour assurer l'indépendance rédactionnelle locale, vous permettrez à tout le moins que des préjugés différents soient librement exprimés dans différents endroits et vous nous donnerez ainsi cette part de diversité qui nous a valu notre régime national d'assurance-maladie et le Régime de pensions du Canada.

    J'attire votre attention, quand vous recevrez finalement ce cahier, sur le cas de ce jeune attaché de recherche qui est venu travailler avec nous et qui demandait: «Où diable est le problème?». Il était originaire d'un autre pays et il ne savait pas quelle était la situation. Il nous a sorti le texte de la politique rédactionnelle qui avait guidé Southam pendant des années et qui était un engagement de la part de l'entreprise à assurer à tous ses journaux leur indépendance rédactionnelle locale. Puis, il a promis au Comité du patrimoine de la Chambre des communes du Canada—je ne sais pas si vous avez entendu parler de ce groupe. CanWest s'est engagé solennellement à ne rien changer à cette politique. Bien au contraire, a-t-il dit, CanWest sait bien que la réussite de ses journaux est attribuable ne grande partie à leurs politiques rédactionnelles et à la capacité qu'ils ont de refléter les intérêts et les valeurs des lecteurs de leur localité. Il a dit: «Comment peut-il y avoir un problème?».

    Puis, il est tombé sur un éditorial qu'avait rédigé Doug Millroy à la suite d'une entrevue détaillée avec Murcoch Davis, le rédacteur en chef de Southam News, où Murdoch Davis, bien avant qu'il y ait tout ce tollé et croyant qu'il pouvait dire tout ce qu'il pensait, avait bien dit que ces journaux locaux n'allaient contredire aucun des 153 éditoriaux qui leur viendraient chaque année du siège social. Comment peut-on imaginer diriger un journal de manière à représenter la collectivité quand on a 153 éditoriaux qui sont imposés chaque année, qui présentent un point de vue unique sur les grandes questions de l'heure et qu'on ne peut pas par la suite contredire?

    Quoi qu'il en soit, je ne parle pas ici au nom des 40 directeurs, rédacteurs et représentants de journaux parce que je ne peux pas travailler encore 40 heures par jour pendant 11 semaines avant de venir vous voir, mais vous trouverez à la fin du cahier un résumé de certaines des solutions que proposent certains d'entre eux.

    Recommandation un: qu'on tienne une enquête publique ou gouvernementale. Vous trouverez plus haut un résumé des divers appels qui ont été lancés ainsi qu'une dizaine de sites Web dans le monde qui invitent le Canada à envisager de tenir ainsi une enquête en raison de l'importance des effets et des répercussions sur l'indépendance rédactionnelle locale au Canada.

    Deux, qu'on sépare la propriété de la presse et la propriété de la télévision, et c'est là une recommandation que j'ai prise dans le nouvel article que Tom Kent a publié dans Policy Options, à Ottawa, le 22 octobre.

    Trois, pour assurer l'indépendance rédactionnelle locale, dans lorsque le même groupe possède plusieurs journaux, qu'un seul de ces journaux puisse représenter le point de vue du propriétaire dans la page éditoriale et que les autres s'engagent solennellement à faire preuve d'une indépendance rédactionnelle—qu'on pourrait vérifier de diverses façons que je ne peux vous décrire en l'espace de 10 minutes—qui représente leur collectivité et qu'ils ne soient pas dirigés par des intérêts commerciaux à Winnipeg ou ailleurs.

    Quatre, qu'on revienne à une aide financière intégrale pour la SRC. Tout un chacun s'amuse à railler les néo-conservateurs et le Parti conservateur, mais c'est en fait le gouvernement libéral qui est le principal artisan des compressions qui ont éviscéré dernièrement la SRC. Vous trouverez dans le cahier cette affirmation que faisait Izzy Asper dans une entrevue; pour lui, la SRC n'est là que pour divertir, d'où il faut conclure qu'il n'écoute sans doute pas le radiodiffuseur public, puisqu'on ne peut certainement pas dire qu'il ne présente que des émissions de divertissement.

¿  +-(0925)  

    Cinq, qu'il y ait des mesures pour protéger la culture canadienne—et j'admire les efforts de la ministre en poste à l'heure actuelle pour amener les pays du monde à prendre fermement position et à demander comment diable les divers pays du monde pourront protéger leur culture contre l'impérialisme grandissant et le pouvoir supragouvernemental du FMI et de l'OMC.

    Six, qu'on finance convenablement les bourses d'études nationales en journalisme. Il y en avait toute une panoplie, mais elles ne sont plus financées par les grands conglomérats qui sont maintenant propriétaires des journaux.

    Sept, qu'on crée des prix d'excellence dans le journalisme d'enquête. Tom a dit tout à l'heure que le journalisme d'enquête perd de son ardeur quand la presse est dirigée par d'importants intérêts commerciaux, et c'est un fait indéniable qui est amplement documenté. Le journalisme d'enquête exige beaucoup de temps et d'argent, et il représente un risque pour les annonceurs. Il y a de l'excellent journalisme d'enquête qui se fait à l'étranger, mais nous ne voyons que très peu de ces reportages, même sous forme de réimpression, tant que les dossiers n'ont pas été réglés.

    Greg Palast a dévoilé jusque dans les menus détails les manigances qui ont permis à la famille Bush de voler les élections en Floride, bien avant qu'on ait fini le comptage, mais on a vu son reportage nulle part dans la presse jusqu'à ce que le Washington Post le publie quatre mois plus tard, bien après que le comptage fut terminé. C'était dans The Guardian et The Nation.

    Huit, qu'il y ait des incitatifs à l'indépendance des salles de nouvelles. Il ne pourrait pas y avoir de place à l'ingérence du gouvernement; il faudrait que ces incitatifs soient calculés en fonction des taux de dépenses et des effectifs par rapport à l'importance de l'auditoire. Cela coûterait de l'argent aux entreprises, alors nous leur accorderions des dégrèvements d'impôt pour d'autres éléments de leurs activités si elles répondaient aux critères. Ainsi, les collectivités auraient des salles de nouvelles indépendantes, et les grandes entreprises pourraient affirmer qu'il n'y a pas d'ingérence dans leur activité commerciale.

    Neuf. Qu'on envisage sérieusement de mettre sur pied un journal national sans but lucratif comme The Guardian ou The Nation, à l'étranger, qui font un travail formidable, qui sont des entreprises sans but lucratif et qui sont des modèles. Peut-être que ce journal ferait tellement honte aux autres qu'ils se remettraient à bien faire leur travail.

    Il y en a deux autres, dont l'établissement d'un centre national de recherche sur les questions d'ordre juridique. De plus en plus de décisions sont prises, même par la Cour suprême, qui touchent le journalisme et pour lesquelles il y a très peu de données de recherche. Un certain nombre de personnes ont de très bonnes idées sur la façon de s'assurer qu'il y ait des bonnes données de recherche qui seraient mises à la disposition des tribunaux et des législateurs qui ont à se prononcer sur ces questions.

    Voilà donc en résumé ce que nous proposons, et voici le texte de l'annonce.

     Excusez-moi, monsieur le président, d'avoir pris une minute de plus. Merci de m'avoir écouté.

+-

    Le président: La limite de temps est approximative, et ce que vous nous dites est tellement important que je pense que vous devriez vous sentir bien à l'aise de prendre le temps qu'il vous faut.

+-

    M. Wilson Southam: Merci beaucoup.

+-

    Le président: Monsieur Miller.

+-

    M. John Miller (professeur, directeur de « Newspaper Journalism », À titre individuel): Merci, monsieur le président.

    Merci à vous tous de bien vouloir accueillir la pétition signée par 53 des Canadiens les plus éminents. J'ai présenté cette pétition au ministère du Patrimoine canadien il y a un mois, conjointement avec Wilson Southam et Peter Murdoch. Je suis heureux de vous la présenter à vous aussi.

    J'aimerais vous parler du lien entre citoyenneté et journalisme, entre la préservation du droit d'expression des citoyens et l'existence de médias libres, divers et responsables. Je ne veux pas vous parler de conglomérats médiatiques mondialement compétitifs—cette formule extraordinaire—mais bien des journaux et des stations de radio et de télévision qui existent dans chacune de vos villes.

    Le Daily Bulletin de Kimberly est-il meilleur aujourd'hui qu'il ne l'était il y a dix ans? Le Sun Times d'Owen Sound, le Prince George Citizen, le Cape Breton Post, le Winnipeg Sun, le Toronto Sun, le quotidien montréalais The Gazette, le Daily News de Halifax, Le Soleil de Québec, le Telegram de St. John's et le Review de Niagara Falls sont-ils meilleurs aujourd'hui qu'ils ne l'étaient il y a 10 ans? Si vous ne connaissez pas la réponse à cette question, je vous invite à vous demander s'il y a plus de journalistes qui assurent la couverture des nouvelles aujourd'hui qu'il n'y en avait il y a 10 ans. Je vous assure que ce n'est pas le cas.

    Les propriétaires de ces journaux peuvent-ils voter pour vous? Vivent-ils dans votre localité ou se trouvent-ils à des milliers de milles de là? Pouvez-vous les interpeller au centre-ville? Non, vous ne le pouvez pas. Ces journaux sont la propriété de six méga entreprises médiatiques, dont certaines ont des intérêts dans la télévision, la radio, le cinéma et Internet. Quant à celles qui n'ont pas de ces intérêts, je vous assure qu'elles voudraient en avoir. Elles voudraient aussi pouvoir un jour trouver plus d'acheteurs pour leurs journaux, peut-être même des acheteurs étrangers.

    Les propriétaires de ces journaux doivent leur loyauté en premier, non pas à leurs lecteurs, mais à leurs actionnaires, pour qui la communication de nouvelles et d'informations n'apporte rien à la partie revenus de leurs livres comptables et ne fait que grossir les frais généraux. Le modèle de ces entreprises est celui d'une industrie parvenue à maturité et ne pouvant prendre plus d'ampleur ni produire des bénéfices exceptionnels, lourdement endettée par les acquisitions et privilégiant l'élimination ou la fusion d'éléments improductifs de leurs activités comme la cueillette des nouvelles.

    C'est pourquoi ces entreprises médiatiques et leurs représentants viennent témoigner devant vous pour demander d'assouplir le plus possible les règles sur la propriété croisée et d'ouvrir la porte à des soumissionnaires de l'étranger. Il est intéressant de constater que ces mêmes personnes préconisaient tout le contraire il y a 20 ans, parce que le marché canadien n'était pas encore complètement exploité ni consolidé. Le phénomène actuel mine la citoyenneté et la démocratie. Si nous lui permettons de continuer et de prendre de l'ampleur, ce sera l'arrêt de mort de la discussion saine de questions touchant les citoyens.

    Je vous invite à vous poser la question suivante. Si votre comité devait proposer des modifications aux règles concernant la propriété croisée ou la propriété étrangère, il en résulterait d'énormes difficultés pour ce qui est de l'orientation de l'action gouvernementale. Avez-vous confiance que les Canadiens auraient droit à toute la gamme des opinions quand ils liraient le journal ou regarderaient la télévision? Seraient-ils bien informés de façon à pouvoir bien s'acquitter de leur devoir de citoyen? Pouvez-vous garantir que les propriétaires d'entreprises médiatiques, qui sont les plus ardents, et peut-être les seuls, défenseurs de ces politiques, mettraient de côté leur intérêt à eux afin de s'acquitter de leur devoir d'informer la population?

    Si l'on en juge par les propos tenus par un des propriétaires de ces entreprises, Izzy Asper, la réponse est de toute évidence non. Le 30 octobre, il a prononcé un discours au dîner de gala Israel Bonds à Montréal, et ses propos ont été largement rapportés. Il a dit que la plupart des médias font partie de ce qu'il a appelé «l'explosion d'anti-sémitisme le plus virulent, violent et rageur» qu'on ait vu depuis l'avènement du nazisme. Il s'est engagé à «l'extirper» de ses journaux et de ses stations de télévision.

¿  +-(0930)  

    Il est même allé plus loin et a demandé aux administrateurs d'université de reprendre en main le processus d'enseignement pour garantir que l'expression sacrée «liberté universitaire» ne sera jamais utilisée comme excuse pour la diffamation, podium pour la propagande et incitation à la haine, et que nous devrions retirer notre appui financier aux institutions qui manquent à cette obligation d'intégrité de l'éducation.

    Sa compagnie s'efforce de contrôler l'opinion éditoriale dans tous les journaux qui lui appartiennent au Canada, y compris le National Post et les principaux journaux d'Ottawa et de six des 10 capitales provinciales. CanWest Global est en train de regrouper ses principales ressources d'édition à Winnipeg, ce qui compromet la diversité des services de nouvelles et pose une menace à l'existence même de la presse canadienne, notre coopérative nationale de nouvelles.

    Sur son site Web, CanWest se vante du fait que, en plus de ses journaux, son réseau de télévision Global atteint 90 p. 100 du public canadien. Leonard Asper a annoncé en toutes lettres son objectif de convergence et de propriété réciproque devant le Canadian Club à Winnipeg:

À l'avenir, les journalistes pourront sauter du lit, rédiger un article pour le Web, rédiger une colonne, prendre leur appareil-photo, faire leur reportage pour la télévision et enregistrer un clip vidéo sur le Web. Nous avons réalisé des progrès tout à fait phénoménaux dans le produit que nous offrons aux commanditaires et une énorme machine de création de contenu.

    Il ne parle nullement des avantages que cela représente pour les citoyens, les lecteurs, les téléspectateurs ou la démocratie. Les Canadiens seront-ils mieux servis par ce monstre technologique d'avarice commerciale? Je ne vois pas comment.

    Que pouvons-nous faire? Nous n'avons pas besoin de chercher très loin. Le gouvernement du Québec a pris une nouvelle initiative pour mesurer la performance de ses médias à notre époque de concentration de la propriété et de la propriété croisée. C'est une initiative très controversée mais tout à fait novatrice. Le gouvernement du Québec reconnaît qu'il n'existe aucune étude pour montrer si la vague de fusions médiatiques des deux dernières années a nui à la qualité et à la diversité des journalistes et, partant, du débat public.

    Il compte effectuer ces recherches et envisage des mesures énergiques pour la codification des principes éthiques et professionnels que devraient respecter les journalistes et les propriétaires de médias, d'abord grâce à l'autoréglementation, et ensuite grâce à des processus de reddition de comptes au public et d'aide financière aux médias indépendants pour les renforcer.

    Aux États-Unis, où la propriété croisée d'entreprises de télévision et de journaux est interdite, on incite maintenant la FCC à faire ce que le Canada avait fait à l'époque de Brian Mulroney et de permettre plus de concentration. Bien des gens s'y opposent, y compris Frank Blethen, éditeur et PDG du Seattle Times. Blethen signale qu'il arrive rarement que des journaux ou des entreprises de télévision appartenant à une institution s'adonnent vraiment au journalisme de terrain et il pose la question suivante:

Quelqu'un pense-t-il vraiment que le type de gestionnaire professionnel qui contrôle maintenant les organismes de nouvelles reconnaîtrait même l'importance d'un nouveau Watergate ou accepterait de publier les documents du Pentagone?

La menace la plus grave aujourd'hui vient de la propriété de la presse elle-même. Cette menace est engendrée par l'apathie du public et la passivité du gouvernement, de même que par le fait qu'on ne reconnaisse pas la menace et qu'on ne fasse rien pour la contrer. Bien entendu, il est difficile de reconnaître le problème quand ceux qui contrôlent la presse ne nous disent pas ce qui se passe, soit volontairement ou simplement parce que cela ne les intéresse pas.

    Il y a plus de 50 ans, le journaliste Walter Lippman déclarait que, pour avoir une presse vraiment libre, il fallait avoir un grand nombre de journaux dont la propriété et l'administration étaient décentralisées et dont l'appui venait de la localité où les journaux sont écrits, édités et lus.

    Je vous implore d'être prudents avant de vous aventurer dans le monde nouveau de la convergence et de la propriété sans restriction. Mesurons les avantages de nos industries médiatiques pour la société. Les signataires de notre pétition réclament une enquête publique indépendante, comme les rapports Kent et Davey, qui ait les moyens voulus pour étudier les conséquences de ce qui s'est fait jusqu'ici, l'opinion des Canadiens, ce qu'ils attendent et méritent de nos médias, de même que les conditions et obligations que devraient inclure toute option de politique générale, certainement pour la propriété croisée et la propriété étrangère.

¿  +-(0935)  

    Un bon exemple d'une commission du genre est la Commission Hutchins sur la liberté de la presse, même si très peu de rédacteurs, d'éditeurs, de producteurs et d'administrateurs médiatiques du Canada en ont déjà entendu parler. Cette commission regroupait bon nombre de personnalités connues et d'universitaires qui avaient été chargés d'examiner les obligations sociales de la presse en 1947. La façon éloquente dont cette commission définissait les attentes du public s'applique encore de nos jours: «La liberté de la presse est essentielle pour la liberté politique. Si les hommes ne peuvent pas librement exprimer leurs pensées, aucune liberté n'est assurée».

    Vous devez donc décider si vous allez écouter le public canadien et les 53 éminents Canadiens qui ont signé cette pétition parce qu'ils craignent que, si l'on ne fait rien, le journalisme risque de sombrer et de compromettre en même temps la démocratie. Allez-vous les écouter ou donner à quelques riches propriétaires médiatiques tout ce qu'ils veulent?

    Merci.

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Miller.

    Je suis très heureux d'avoir pu être ici aujourd'hui pour écouter ce que vous trois aviez à dire. Cela me fait chaud au coeur.

    Monsieur Abbott.

+-

    M. Jim Abbott (Kootenay—Columbia, Alliance canadienne): Merci.

    Je vous suis moi aussi extrêmement reconnaissant de votre témoignage aujourd'hui. Vous parlez vraiment en connaissance de cause et il me semble que vous ne le faites pas de façon péjorative en parlant uniquement d'un seul point de vue.

    Notre comité a été chargé d'une tâche très intéressante. Vous avez parlé longuement dans vos exposés de la liberté de la presse, de la diffusion de renseignements, et ainsi de suite. Au lieu d'entamer un débat là-dessus avec vous, je voudrais examiner les solutions que vous pourriez proposer au problème.

    Je pense que c'est M. Southam qui a parlé de la possibilité de concessions fiscales. C'est du moins ce que j'ai noté. Ce que je veux savoir, c'est comment nous pourrions appliquer notre décision si nous faisions ce que vous nous avez recommandé de façon très éloquente de faire aujourd'hui. Autrement dit, si nous voulons accorder des concessions fiscales, il faudrait, il me semble, établir un comité quelconque. C'est une supposition que je fais. Devrions-nous établir un comité? D'autres témoins, qui ont exprimé un point de vue très proche du vôtre, disaient qu'il faudrait créer un comité médiatique quelconque formé de propriétaires, de quelques journalistes, de quelques membres de la rédaction, et le reste. Cependant, d'autres disaient qu'il faudrait accorder des concessions fiscales et c'est pour cela que le commentaire de M. Southam a retenu mon attention. Autrement dit, on a proposé d'avoir une politique punitive quelconque.

    Est-ce vraiment ce que nous voulons? Autrement dit, pour en arriver là où vous voulez, nous devrions d'abord défaire ce qui a été fait jusqu'ici, ce qui serait comme retirer leur permis aux médias. Cependant, même si nous le faisions, si nous voulions créer une presse libre et avoir un comité supposément indépendant, est-ce que le fait que nous invoquions la main lourde de la réglementation sur l'impôt ne veut pas dire que quelqu'un impose encore ses volontés? Autrement dit, le remède ne serait-il pas pire que le mal?

    Le président: Vous voudrez peut-être répondre chacun à votre tour.

    Monsieur Southam.

¿  +-(0940)  

+-

    M. Wilson Southam: Merci.

    Il est facile de montrer que cela coûte moins cher d'avoir une seule salle de nouvelles qui envoie des textes à 14 grands journaux que d'avoir 14 salles de nouvelles différentes. Les salles de nouvelles coûtent cher.

    À l'heure actuelle, c'est l'argent des contribuables canadiens qui finance la Société Radio-Canada. Si les Canadiens envisagent les conséquences qu'auront plus tard l'explosion démographique, le changement climatique et les 30 pays du monde qui n'ont pas assez d'eau pour produire leur propre nourriture, les conséquences du clonage... D'après les scientifiques, il y a au moins 12 choses qui pourraient entraîner la disparition de l'humanité d'ici un siècle.

    Si nous décidons que nous voulons vraiment des opinions diversifiées et si nous allions voir les entreprises d'une société libre qui font de l'argent grâce aux journaux, vous pourriez leur dire: «Si vous le voulez, vous pouvez présenter chaque année une demande pour que votre salle de nouvelles soit accréditée comme étant une salle de nouvelles indépendante». La décision ne reviendrait pas au gouvernement, sinon cela créerait une présence du gouvernement dans la salle de nouvelles.

    Ce que nous ferions dans le cadre du processus d'enquête publique, serait de charger certains journalistes et certains universitaires, de même que vous et d'autres députés, d'élaborer des critères fondés sur des considérations objectives et mesurables comme le nombre d'employés, la diversité des rôles et les dépenses par rapport au tirage; il y aurait un organisme indépendant qui mènerait un sondage auprès de tous les employés, y compris les journalistes, pour savoir s'ils ont l'impression qu'on exerce des pressions sur eux et qu'ils sont contrôlés par des forces de l'extérieur. Si c'était bien fait, on pourrait probablement avoir un jeu de critères pour une période de 10 ans.

    Ceux qui le voudraient pourraient ensuite annoncer qu'ils veulent acheter le Calgary Herald et, s'ils produisaient les chiffres... Si cela fonctionnait, nous dépenserions certainement beaucoup plus d'argent que nous le faisons maintenant. Même The Toronto Star, qui fait vraiment un excellent travail, et je peux le dire en toute sécurité vu que leur reporter vient de partir, n'a plus maintenant que 200 personnes dans sa salle de nouvelles. Et John a tout à fait raison de dire qu'il y aura beaucoup moins de journalistes dans 10 ans.

    Si vous annoncez aux entreprises privées que ce serait dans l'intérêt national d'avoir une grande diversité de voix, y compris dans les salles de nouvelles, et que... Pour l'instant, si un producteur de films travaille très fort pendant deux ans pour faire un film et qu'un critique de cinéma dont les articles sont publiés dans tout le pays n'aime pas son film, le film sera un échec. C'est vraiment ce qui commence à arriver et un seul critique peut anéantir un film canadien.

    Il faut donc dire: «Cela va vous coûter quelque chose et nous savons que vous êtes une entreprise, mais nous devons faire la part des choses entre les intérêts des propriétaires et les intérêts du public. Voici les critères que nous avons élaborés ensemble. Si vous décidez d'essayer de respecter ces critères et que vous y réussissiez, nous vous accorderons à vous et aux autres parties de votre entreprise des concessions fiscales parce que vous avez reconnu que le journalisme est un mandat public».

¿  +-(0945)  

+-

    M. Jim Abbott: Je dois admettre que ce qui m'inquiète, c'est l'aspect subjectif de votre proposition parce qu'une telle décision serait subjective.

    Vous avez mentionné The Toronto Star. Je l'ai moi-même mentionné au comité hier. Cela m'a vraiment étonné quand un événement très important a fait les manchettes de tous les autres journaux, mais pas de celui-là parce que cela ne correspondait pas au ton ou au sujet dont The Toronto Star voulait parler. Est ce que ce serait un mauvais point pour The Toronto Star devant un tel comité?

    Ce qui m'inquiète, c'est le rôle de la subjectivité dans la prise de décisions en vue de récompenser ou non des gens par des concessions fiscales. Je répète que nous devons nous garder de ne pas créer un remède qui tuera le malade en même temps que la maladie.

+-

    M. Wilson Southam: Vous avez tout à fait raison. Cependant, les décisions ne seraient pas prises aussi subjectivement. On tiendrait compte de choses qu'on peut mesurer et compter. Il y a le nombre d'employés et le tirage du journal, par exemple, des facteurs que l'on peut mesurer. Si nous avions une bande de nazis qui disaient que personne n'exerce de pression sur eux, ils seraient considérés comme étant indépendants. Nous aurions le même jeu de loterie que nous avons toujours eu.

    Quand la ville de Toronto avait 1 900 habitants, elle avait six journaux. Ces journaux étaient peut-être tous exécrables, mais au moins la ville avait six voix différentes. Si vous voulez empêcher le gouvernement ou d'autres personnes d'exercer des pressions dans la salle des nouvelles, vous ne pourrez jamais garantir que vous aurez une presse de bonne qualité. Vous n'en aurez cependant certainement pas une si la tendance à la concentration de la propriété se maintient. Cela devient de plus en plus évident.

+-

    Le président: Je pense que vous vouliez intervenir, monsieur Kent.

+-

    M. Tom Kent: Merci.

    Je comprends vos inquiétudes. La Commission royale sur les journaux avait formulé une proposition très simple qui permettrait à mon avis de s'occuper du problème et d'éviter toute subjectivité. La Commission proposait simplement que, chaque année, on fasse la moyenne de la proportion des dépenses d'un journal et de tous ses articles éditoriaux par rapport à ses recettes totales pour tous les journaux du pays. C'est tout à fait objectif. On fait les calculs et on établit la moyenne pour le pays. C'est le montant dépensé pour le contenu qui détermine essentiellement la qualité d'un journal. Il peut y avoir des exceptions à cette règle, mais essentiellement, c'est le montant qu'on dépense pour le journal qui détermine si le journal est bon ou mauvais. Les journaux qui dépensent plus pour leur contenu que la moyenne industrielle ou nationale devraient obtenir une réduction d'impôt et, en contrepartie, on augmenterait les impôts de ceux qui dépensent moins que la moyenne nationale, qui serait établie par la presse elle-même.

    Je ne suis pas certain qu'un mécanisme de ce genre serait particulièrement efficace de nos jours. Ce n'est pas ce que je préconise, mais je veux simplement signaler que, si l'on tient à être objectifs, il y a moyen d'établir des critères objectifs qui auront une influence financière sur le comportement de la presse.

    Je répète que ce n'est pas le plus important à mes yeux. Le plus important serait de garantir que, si une entreprise est propriétaire de plus d'un journal ou de plus d'un média, tous les éléments de l'entreprise sauf un devraient être administrés selon le type de fiducie qui existe dans bien des grands journaux du monde. Il n'y a rien d'inusité à cela. C'est la meilleure façon d'établir la liberté et la qualité de la presse.

+-

    Le président: Monsieur Mills.

+-

    M. Dennis Mills (Toronto—Danforth, Lib.): Monsieur le président, j'invoque le Règlement.

    Malheureusement, on vient de m'aviser que je dois aller prendre la parole à la Chambre. Je tenais à dire avant de partir à quel point cela m'incommode. Il me semble que nous avons une rare occasion maintenant de faire quelque chose de vraiment utile.

    En nous faisant part de leurs opinions ce matin, MM. Southam, Miller et Kent nous offrent l'occasion de rédiger un rapport vraiment spécial.

    Merci.

¿  +-(0950)  

+-

    Le président: Ce serait bien que vous puissiez revenir. Merci.

    Madame Gagnon.

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon (Québec, BQ): Bonjour.

    En effet, vos propos de ce matin vont certainement bonifier notre réflexion quant à la convergence et la propriété croisée. Vous avez mentionné le cas de M. Asper, que j'ai dénoncé à la Chambre des communes il y a environ deux semaines. Il traitait les journalistes d'idiots, les accusait de ne pas connaître l'histoire, d'être des ignorants et même des menteurs. Donc, M. Asper a raison et tous les autres ont tort. C'est justement un des exemples du pouvoir de la convergence et de la concentration de la presse. À mon avis, il est temps qu'on se penche sur la question.

    Selon moi, on a laissé aller les choses malgré les erreurs qui ont été commises, sans se soucier de l'impact que la façon de faire actuelle avait sur la liberté de presse et aussi sur ce que l'on doit offrir au public. Un sondage récent de Léger Marketing indiquait que les gens ont de moins en moins confiance en ceux qui écrivent les nouvelles. On tend à penser qu'ils sont plutôt à la solde de l'entreprise et qu'ils se soucient moins du public.

    Certains observateurs ou même des experts en communications nous disent que la convergence a moins d'impact négatif, qu'il y a certaines réalités dans le milieu qui sont positives et qu'on devrait peut-être s'attaquer davantage à mettre des balises à la propriété croisée plutôt qu'à la convergence, qui a quand même eu des résultats intéressants. Vous ne semblez pas être d'avis, je pense, qu'il faut les traiter sur le même pied d'égalité.

    Est-ce que vous êtes d'accord avec certains de ces experts en communications qui regardent ce phénomène croître? Est-ce que vous êtes d'accord aussi avec cette observation des experts?

[Traduction]

+-

    M. John Miller: Je répondrai pour commencer. Je pense que le sondage que vous mentionnez révèle que 93 p. 100 des Canadiens considèrent la liberté d'expression de la presse importante, mais qu'un pourcentage beaucoup plus faible juge que les médias tiennent leur promesse à cet égard. Le pourcentage était près de 50 p. 100. C'est cet écart de 40 p. 100 qui m'inquiète. Selon nous, la solution serait d'organiser une enquête indépendante pour déterminer la raison du problème pour commencer. Cela nous dirait quel type de politique adopter.

    J'ai parfois du mal à expliquer à mes étudiants pourquoi la radiodiffusion est réglementée et que les journaux ne le sont pas. La radiodiffusion est réglementée parce que l'on croyait auparavant que les ondes avaient une capacité restreinte. Ce n'est plus le cas. Les arbres ont une capacité restreinte. Ce pourrait être très utile d'avoir un CRTC pour les journaux, qui sait.

    En réponse à la question de M. Abbott, il me semble qu'on peut avoir certaines garanties d'indépendance de la rédaction au niveau local sans l'intervention du gouvernement. Les rapports de M. Kent proposaient qu'on puisse créer un comité pour surveiller l'application du contrat entre le propriétaire et le rédacteur en chef. Ce comité se composerait de représentants de l'éditeur, de la salle de nouvelles et du public et il serait chargé de faire rapport et d'examiner l'application du contrat. Vingt ans plus tard, c'est une possibilité qu'envisage maintenant le Syndicat des communications, de l'énergie et du papier. C'est une idée qu'on pourrait peut-être examiner.

[Français]

+-

    Mme Christiane Gagnon: D'accord.

[Traduction]

+-

    Le président: Nous allons maintenant passer à M. Bonwick et à Mme Bulte.

    Monsieur Bonwick.

+-

    M. Paul Bonwick (Simcoe—Grey, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Merci de vos excellents exposés.

    Mon père me disait de toujours me méfier des compliments. Je suis d'accord avec presque tout ce que vous dites. Je suis vraiment convaincu que la démocratie fonctionne bien uniquement quand ses citoyens sont engagés et informés sur les questions du jour. C'est très difficile à faire quand un service centralisé ne reçoit qu'une opinion et qu'un avis sur une question de toute évidence complexe.

    Je crois aussi que l'indépendance des médias est sacrée. C'est une chose essentielle. J'ai donc beaucoup de mal à proposer un programme de subventionnement quelconque, qu'il s'agisse d'incitatifs fiscaux ou d'autres mécanismes, vu que cela créerait des relations d'affaires entre le gouvernement et les journaux.

    J'ai des amis dans le monde médiatique, du côté de l'administration et du côté journalistique. Comme vous le savez certainement, la marge bénéficiaire n'est pas énorme, surtout dans le cas des journaux régionaux ou des journaux des petites villes, encore plus si le journal a besoin de grandes mises de fonds.

    Ce que je proposerais, c'est que le Parlement établisse ou crée une norme quelconque. Peu importe qui donne son avis, que ce soit vous, monsieur Miller, vos collègues ou les autres personnes nommées ici, ce sera toujours le Parlement qui adoptera ou qui approuvera la règle. Cependant, cela me rend très nerveux que le Parlement établisse des normes pour le fonctionnement des journaux.

    En outre, nous conviendrons tous, je pense, que n'importe quelle loi ou n'importe quel règlement adopté ou approuvé par le gouvernement peut aussi être abrogé par le gouvernement. Ce serait donc toujours une carotte que le gouvernement agiterait devant l'industrie des journaux. Si nous n'aimons pas l'orientation que prend l'industrie, en principe, et c'est certes une possibilité, nous pourrions abroger ou annuler l'impôt ou la subvention.

    J'aurais vraiment bien du mal à accepter une subvention quelconque. Selon moi, cela irait directement à l'encontre de ce que vous nous dites quant à la nécessité d'avoir une plus grande indépendance et une plus grande diversité de voix dans l'industrie des journaux.

    J'aimerais bien que vous élaboriez sur les subventions ou incitatifs fiscaux auxquels vous songez pour favoriser l'indépendance et la croissance de l'industrie.

    Merci.

¿  +-(0955)  

+-

    M. Wilson Southam: Vu que c'est notre annonce qui parlait de cette possibilité, je préférerais ne pas entrer dans les détails ici. Vous avez peut-être raison. Il y a 11 autres possibilités que nous vous proposons. Ce pourrait être extrêmement difficile d'établir un tel mécanisme tout en évitant le problème que vous mentionnez et ce serait peut-être impossible. Vous avez peut-être raison.

    C'est une possibilité que nous voulions examiner. Nous avons invité nos représentants élus à évaluer et à peser cette possibilité. Nous ne disions pas qu'il fallait le faire; ce n'était qu'une de nombreuses suggestions. Au lieu de perdre votre temps à examiner une chose qui devait au départ être controversée et favoriser la discussion, je pense qu'il y a bien d'autres excellentes suggestions dont nous pourrions discuter.

+-

    M. Paul Bonwick: Il y a d'excellentes suggestions dans le rapport. Je n'ai aucune objection à la plupart d'entre elles. J'en ai pour celle-ci et c'est pour cela que j'en parlais.

    M. Wilson Southam: Vous avez peut-être raison.

    Le président: Monsieur Kent.

+-

    M. Tom Kent: Je suis essentiellement d'accord.

    Il y a une vingtaine d'années, quand la propriété était beaucoup moins concentrée qu'elle ne l'est maintenant, même si elle semblait très concentrée à l'époque, et quand, par exemple, l'ancien Southam fonctionnait encore selon ses principes en dépensant beaucoup plus qu'il n'aurait été obligé de le faire pour assurer la qualité de ses journaux, le type de désincitatif fiscal que je proposais et qui aurait été tout à fait objectif aurait été très efficace. Vu le niveau de concentration à l'heure actuelle, je crois cependant qu'il est trop tard pour avoir un tel mécanisme. Je préférerais donc retirer cette suggestion parce que la situation a changé.

    Le plus important maintenant serait de réduire la convergence et la concentration le plus possible par une loi du Parlement et, surtout, d'exiger ce que j'appelle un arrangement fiduciaire pour garantir l'indépendance de la rédaction, comme le disait M. Southam, dans les cas où il y a encore concentration et où un propriétaire souhaite avoir plus d'un journal vu que c'est son droit.

    Le président: Je pense que M. Miller voulait ajouter quelque chose.

À  +-(1000)  

+-

    M. John Miller: Je voudrais noter une chose. Je pense que vous avez tout à fait raison. Si nous acceptions de nous entendre sur les premiers principes, il faudrait notamment convenir qu'on ne puisse exercer aucune influence indue sur la voix éditoriale des médias et surtout pas une influence indue de la part du gouvernement. Il faudrait donc être très prudents si l'on voulait une intervention quelconque de la part du gouvernement. Si l'on envisageait une telle chose, il faudrait que ce soit de façon extrêmement indépendante.

+-

    Le président: Madame Bulte.

+-

    Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Merci à tous d'être venus.

    Si vous me le permettez, monsieur Miller, je voudrais revenir à la création d'un journal sans but lucratif. Pouvez-vous nous donner plus de détails là-dessus?

    Je me trompe peut-être, mais l'une des choses qui semble vraiment ressortir des témoignages, c'est que l'aspect le plus inquiétant du problème est la concentration. Cela semble être le message clé. Il est aussi question de convergence, mais le problème semble tenir plutôt à la concentration. Je me trompe peut-être.

    Nous avons parlé un peu de convergence. Je pense, monsieur Kent, que vous avez dit que nous devrions inverser la convergence. Je pense que c'est ce qu'on essaie de faire au Royaume-Uni avec le nouveau projet de loi sur les communications. Cependant, le problème n'est-il pas la concentration dans le cas des journaux? Qu'est-ce que le Parlement peut faire pour s'attaquer à ce problème?

    D'autres ont déjà proposé que nous modifions la Loi sur la concurrence parce que le problème découle de l'abus de la position dominante des propriétaires de journaux. Pensez-vous que ce soit la bonne façon de procéder? Il me semble qu'on parle davantage de concentration que de convergence. Comment pouvons-nous mettre fin à cette concentration? De quels outils disposons-nous? De toute évidence, nous ne pouvons pas avoir recours à la Loi sur la concurrence.

+-

    M. John Miller: Je vais commencer, et je sais que mes collègues en auront beaucoup plus à dire.

    Je crois que la convergence est le produit naturel de la concentration. La concentration a plus ou moins atteint son point de saturation et maintenant la seule façon de développer l'entreprise est de converger et de créer ces synergies imaginaires. En partie, ce mouvement pour passer de la concentration à la convergence pour ensuite amener la question de la participation étrangère est lié au modèle d'affaires qui est actuellement une réalité de la propriété médiatique.

    Si M. Asper dit des choses étranges qui empiètent sur l'indépendance du journalisme, c'est parce que c'est un gars de la télé. Il ne comprend pas les traditions des journaux. Nous avons une compagnie de téléphone qui est propriétaire du journal The Globe and Mail. Ces gens n'ont pas grandi avec cette culture et ils ne connaissent pas les traditions qui ont fait d'eux des véhicules d'information.

+-

    M. Tom Kent: L'émergence de la convergence, qui s'est tellement intensifiée tout récemment, est surtout importante parce qu'elle souligne les effets de la concentration. Je suis d'accord avec cela. Le problème, c'est la combinaison des deux.

    Le problème particulier en ce qui a trait à la convergence, comme j'ai tenté brièvement de l'expliquer, c'est qu'elle mine la liberté de la presse par rapport au gouvernement. Dans notre système, pour détenir une licence de radiodiffusion, il faut l'accord du gouvernement. Par conséquent, s'il y a propriété commune, étant donné que les finances de la télévision sont tellement importantes pour le propriétaire, automatiquement le journal devient également redevable au gouvernement. Cette indépendance du gouvernement, dont nous avons tous parlé, est détruite plus directement grâce à la convergence que l'expression des divers points de vue et de l'information elle-même est limitée par la concentration. Je suis d'accord cependant que cela ne change pas le fait que la concentration les limite, et qu'il faut régler le problème de la concentration.

    Le problème en ce qui concerne la concentration, c'est que même si la convergence qui existe à l'heure actuelle est un phénomène relativement récent, elle n'est pas ancrée. Nous avons permis la concentration pendant tellement longtemps qu'elle est maintenant profondément ancrée et l'éliminer serait une chose très arbitraire à ce moment-ci. Par conséquent, ce que je pense que nous avons tous tenté de suggérer de différentes façons, c'est de trouver le moyen, sans accroître le pouvoir du gouvernement, de diminuer les conséquences de la concentration pour les journalistes. Ce que nous demandons, depuis si longtemps, c'est l'équivalent de ce que j'appellerais une entente de fiducie lorsque plus d'une forme de média appartient à un propriétaire commun. Cela pourrait se faire sans l'ingérence du gouvernement dans la liberté de la presse.

    La commission royale a proposé en fait d'établir un contrat entre la personne chargés des nouvelles, de l'information et de l'opinion, c'est-à-dire le rédacteur en chef, et l'employeur. Il est possible d'avoir un tel contrat. Comme je l'ai dit, cela existe dans de nombreux grands journaux du monde. Ils ne congédient pas arbitrairement leurs rédacteurs ou leurs éditeurs. Ils ne font pas ce que l'on a fait à l'éditeur du Ottawa Citizen. Au contraire, ils délèguent au rédacteur en chef la responsabilité en ce qui a trait au contenu du journal, et cela est garanti pour la durée du contrat. Voilà le genre d'entente conclue volontairement dans de nombreux journaux du monde, et cela pourrait être fait par principe afin de réorganiser le cadre de concentration et d'atténuer ses conséquences. J'aimerais dire que nous aimerions bien éliminer la concentration, mais ce n'est pas réaliste. Le Parlement a cependant le pouvoir d'atténuer ses conséquences sur la liberté.

À  +-(1005)  

+-

    Le président: Monsieur Southam, aimeriez-vous ajouter quelque chose?

+-

    M. Wilson Southam: Oui. Puisque ce que l'on a dit au sujet du gouvernement dans la salle de nouvelles a beaucoup de mérite, j'aimerais souligner que lorsque nous avons abandonné la séparation de la propriété des journaux et de la propriété de la télévision, en fait ce qui est arrivé c'est que nous avons donné la possibilité au gouvernement d'influencer énormément les journaux. C'est un cliché dans le monde journalistique car la télévision est beaucoup plus rentable que les journaux, si on est propriétaire d'une série de journaux et de certaines stations de télévision et qu'on a l'habitude de contrôler les choses, on ne va certainement pas laisser ces journaux dire des choses qui vont énerver les gens qui nous ont accordé ces licences précieuses. C'est presque l'ingérence gouvernementale ultime, que ce soit voulu ou non.

    L'ancienne règle voulait qu'on ne mélange pas les gens de la télévision et les gens des journaux. Ce que Tom propose est une option stratégique, et dans notre rapport, nous disons que si quelqu'un veut être propriétaire d'un journal quelque part, alors il ne peut être propriétaire de la télévision, un point c'est tout. Ainsi, si vous voulez blâmer le premier ministre ou qui que ce soit d'autre dans votre journal, vous ne risquez pas d'être influencé par la menace que le gouvernement annule votre licence de télévision qui est très rentable.

    Lorsque nous avons abandonné cette règle, et ce n'est que tout récemment que les gens ont été autorisés à être propriétaires des deux, nous avons créé une influence potentielle considérable. Je ne dis pas que vous ayez fait cela, mais l'influence potentielle existe. Si je ne veux pas perdre ma licence de radiodiffusion, je ne vais certainement pas laisser les méchants journaux ennuyer le gouvernement. C'est la façon la plus rapide, la meilleure façon de s'en tirer.

    Vous souriez beaucoup. Devrais-je me taire et vous laisser parler?

+-

    Mme Sarmite Bulte: J'aimerais dire quelque chose si vous me le permettez. Nous parlons des licences et du CRTC, mais le fait est qu'une licence n'a jamais été révoquée par le CRTC. Bien que ce soit une possibilité, cela ne s'est jamais fait.

+-

    M. John Miller: Mais le CRTC accorde constamment des licences, c'est ça le problème. Si on veut en obtenir une, il faut jouer le jeu.

+-

    M. Wilson Southam: Nommez une chaîne de journaux qui a vraiment ennuyé le CRTC par le passé et qui s'est vue accorder une licence récemment. Je peux nommer quelques cas de licences qui n'ont pas été attribuées à d'importants groupes de journaux parce que, selon les rumeurs, ils auraient trop ennuyé le gouvernement.

    Mme Sarmite Bulte: Vraiment?

    M. Wilson Southam: Il faut donc voir les choses des deux côtés, et cela vaut la peine de le faire. Vous avez un travail très difficile à faire. Je vous remercie de le faire.

À  +-(1010)  

+-

    Le président: Madame Lill.

+-

    Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD): Merci beaucoup.

    J'ai trouvé intéressantes vos observations lorsque vous avez dit que la radiodiffusion est réglementée par ce que l'on considère que les ondes sont en quantité limitée tandis qu'en réalité ce sont les arbres dont la quantité est limitée.

    Je voudrais vous poser des questions au sujet de l'idée de la réglementation et de la confiance du public, et au sujet de la réglementation en général. Il me semble qu'il y a eu certaines fonctions au Canada qui ont été réglementées afin de permettre une citoyenneté équitable, notamment les voyages par avion, de façon à ce que les gens dans toutes les régions du pays puissent être en mesure de voyager, et que tout le monde puisse avoir un téléphone pour communiquer, que tout le monde puisse avoir accès à la radiodiffusion publique et c'est pour cette raison que la SRC a été créée. On nous dit maintenant que la réglementation est une mauvaise chose; que c'est une façon pour le gouvernement de nous contrôler. Avec la privatisation, on a déréglementé à droite et à gauche. Il me semble qu'on s'éloigne ici de l'idée initiale qui était de protéger. «Protection» est également un mauvais mot. Les mots «réglementation» et «protection» sont mauvais. C'est plutôt l'idée de la confiance du public qui est à mon avis essentiellement un bon terme et dont notre comité devrait se préoccuper.

    Je prévois que les gros conglomérats vont surveiller de près ces audiences et se diront qu'ils vont nous transformer en commis de caisse comme ils ont transformé nos stations de radio et de télévision en commis de caisse. Le CRTC est sur notre dos continuellement. On nous demande constamment d'enregistrer et d'enregistrer encore. J'aimerais bien pouvoir couper cela, franchement. J'aimerais voir quel genre de...

    Vous parlez d'une structure ou d'une entente de confiance qui permettrait de faire ce que nous voulons faire ici, c'est-à-dire de ramener les journaux à quelque chose qui est beaucoup plus que simplement un autre produit car ils ne sont pas un produit. Ils ont un objectif supérieur. Nous devons entendre parler davantage de ces objectifs supérieurs et du genre de structure que nous pouvons mettre en place et que nous pouvons proposer au gouvernement.

+-

    M. John Miller: Je ne suis pas en train de proposer un contrôle central. Je suis tout à fait favorable à ce que les propriétaires, ou les représentants des propriétaires—ce qui signifie en général les rédacteurs en chef—reprennent contact avec les citoyens à un niveau local. Je crois que c'est possible, peut-être à l'instigation du comité comme condition des mesures que l'on voudrait prendre en matière de propriété croisée ou de propriété étrangère, entre autres—la politique fiscale, le droit fiscal, la réglementation sur la concurrence—les divers moyens par lesquels ce gouvernement contrôle à l'heure actuelle les journaux.

    En contrepartie, supposons que nous craignions que les propriétaires soient trop loin de la communauté. Nous voulons parler à nouveau des premiers principes. Ce lien avec la communauté est d'une telle importance que nous ne le ferons que si vous mettez sur pied une initiative comme celle proposée par M. Kent, assez similaire au modèle des conseils de presse pour lesquels M. Kent était aussi indirectement responsable, devant la menace d'un contrôle exercé par le gouvernement ou un conseil national de la presse qu'il a proposé, le système d'autoréglementation du conseil provincial. à défaut d'être une réussite totale, cela permet effectivement d'assurer l'intégrité de l'industrie grâce au pouvoir de la publicité. Autrement dit, si les groupes qui administrent le contrat entre les rédacteurs en chef et le propriétaire publiaient un rapport public sur le fonctionnement de ce contrat ou sur les préoccupations qu'ils ont, alors le journal devrait rendre des comptes aux membres de la communauté. Je préfère cette approche à l'établissement d'une réglementation gouvernementale.

À  +-(1015)  

+-

    Mme Wendy Lill: Y a-t-il quelqu'un d'autre qui voudrait en parler?

+-

    M. Wilson Southam: Oui, j'aimerais dire quelque chose à ce sujet.

    Vous avez abordé un aspect que je ne peux pas régler et que vous ne le pouvez pas non plus. Si nous voulons nous occuper du type de problème vers lequel nous nous acheminons compte tenu de la population et de la liste dont j'ai parlé, nous allons devoir tâcher de dissiper le climat de méfiance qui existe à l'heure actuelle.

    Je vous remercie d'être un représentant élu et je vous remercie de tout le travail assidu que vous faites. J'en ai vraiment assez d'entendre les gens critiquer le gouvernement. Il n'en reste pas moins que nous risquons un jour d'avoir un type comme George Bush à la tête de notre pays. On ne veut donc pas mettre trop d'outils à sa disposition dont il pourrait abuser. Le problème, ce n'est pas le risque d'abus des leviers du pouvoir aujourd'hui qui ont été mis à la disposition du gouvernement. Il s'agit d'un problème théorique ou abstrait, c'est-à-dire que selon la théorie politique vous ne voulez pas que ce genre d'instrument existe si le processus politique tourne mal. Je vous assure que je ne cite pas Jeffrey Simpson lorsque je fais cette déclaration--si vous avez lu son livre.

    Mais je crois qu'il serait formidable d'avoir un document comme celui proposé par Tom et John, qui rétablit la confiance du public au niveau communautaire et qui prévoit la participation des citoyens, qui rétablit la responsabilité du journal au niveau du rédacteur en chef, de l'éditeur et de l'équipe qui fait rapport à la communauté et qui la représente. Ce sont ces voix locales qui nous ont donné l'assurance-maladie. Elle n'est pas venue du Canada; elle est venue de la Saskatchewan. Ils nous ont donné le Régime de pensions du Canada. Cette initiative n'est pas venue du Canada; elle est venue du Québec. Nous avons toutes sortes d'initiatives provenant d'ici et là qui contribuent à la valeur de notre pays. Pourtant, nous sommes en train de créer un pays où à mon avis ce ne sera plus possible. Cette situation est entre autres attribuable au fait que notre presse est moins en mesure de représenter les intérêts locaux, au lieu de représenter les intérêts des grandes sociétés.

+-

    Le président: Je céderai maintenant la parole à Mme Frulla.

+-

    Mme Liza Frulla (Verdun—Saint-Henri—Saint-Paul—Pointe Saint-Charles, Lib.): Je vous remercie.

    Je tiens à vous remercier d'être ici. Je suis tout à fait d'accord avec vous, non seulement parce que j'ai observé la situation mais que je l'ai vécue et que je l'ai subie.

    Je poserai ma question en français parce que je me sens plus à l'aise dans cette langue.

[Français]

    Il est vrai qu'au Québec, il y a deux ans, une commission parlementaire a décidé que la concentration de la presse ainsi que la propriété croisée n'avaient plus de sens dans un marché comme celui du Québec. On a donc mis en place des mécanismes pour surveiller non seulement cette tendance mais aussi ce qui se passait dans le marché.

    Le problème est qu'autant l'organisme de surveillance ou d'observation que les conseils de presse n'ont pas de pouvoirs. Par exemple, comment peut-on dire à un grand groupe comme Quebecor, qui possède Le Journal de Montréal et TVA, qui va posséder un gros regroupement de radios, notamment CKAC, parce qu'Astral a vendu et que cette vente a été approuvée à Quebecor, et qui possède toutes les petites revues comme Le Lundi, etc., qu'il y aurait peut-être influence au niveau de la direction, au niveau de la presse? Il n'y a pas de pouvoir. C'est ça, le problème. Il n'y a pas de mécanisme qui permette de dire que ça suffit et qu'on n'accepte plus cela.

    Je reviens à ce que Mme Bulte disait: jamais une licence n'a été révoquée par le CRTC. Or, quand Quebecor a acheté TQS--et il le fait aussi maintenant qu'il achète CKAC--, il a promis qu'il n'y aurait pas de concentration au niveau des salles de presse. Mais il y en a eu, et la licence n'a pas été révoquée. C'est comme si le CRTC donnait une licence et ne savait plus comment faire pour révoquer la licence à cause de ces phénomènes-là.

    Ma question est simple. Dans le cas de la concentration de la presse, vous dites qu'il serait important qu'il y ait un contrat entre le propriétaire et l'éditeur, un contrat que l'on pourrait revoir à chaque année. Ça pourrait être une solution, mais dans le cas de la propriété croisée et dans celui de la concentration de la presse, c'est pas mal plus compliqué. Y a-t-il des solutions à cela, selon vous?

À  +-(1020)  

[Traduction]

+-

    M. Wilson Southam: Je prendrai la parole en premier.

[Français]

    Ma mère était francophone, mais elle refusait de me parler en français quand j'étais jeune, dans l'Ouest.

[Traduction]

Et je trouve embarrassant de ne pas pouvoir vous parler en français.

+-

    Mme Liza Frulla: Je suis Italienne et j'ai vécu la même situation avec mes grands-parents, donc je comprends très bien.

+-

    M. Wilson Southam: J'aimerais commenter la première partie de vos remarques.

    On a déjà dit que le dictateur à craindre est le dictateur bienveillant parce qu'il nous habitue au manque de liberté.

    Lorsqu'on m'a demandé de faire partie du conseil d'administration de Southam en 1972, je leur ai dit à quel point j'étais scandalisé qu'on nous ait autorisés à faire l'acquisition d'un aussi grand nombre de journaux. Et j'ai eu le privilège, en coulisse, d'intervenir deux fois pour éviter que nous prenions trop d'expansion. Lorsqu'on m'a demandé pourquoi j'agissais ainsi, j'ai dit que ce n'était pas dans l'intérêt public.

    Southam s'est comporté relativement bien, comme l'a fait le Financial Post, et nous nous sommes tous habitués à ces grandes sociétés. Nous vivons maintenant dans un monde de grandes sociétés et il y a de plus en plus de livres qui sont publiés, ce qui est d'ailleurs excellent, sur la fin de l'État-nation. On y indique que l'État-nation, en tant que garant de nos droits et libertés, n'en a plus pour très longtemps. Ce sont des ouvrages intelligents et qui présentent des arguments extrêmement convaincants.

    Dans un sens, l'ennemi en ce qui concerne les médias, c'est une très grande entreprise, non pas parce qu'elle est dirigée par des gens malveillants, mais parce que de façon générale, on voit d'un mauvais oeil les différences ainsi que l'indépendance des points de vue.

    Pour passer à la deuxième partie et faire le lien, voici ce qui se passe avec la propriété croisée. Lorsque viendra le moment de renouveler les licences au bout de sept ans—je me demande pourquoi ce n'est pas deux siècles—vous dites, «Nous sommes désolés, vous devez faire un choix. Nous allons revenir à l'ancienne façon de procéder. Vous voulez être propriétaire d'un journal? Vous ne pouvez pas avoir de licence. La situation sera la même pour tout le monde».

    Et c'est colossal. Un sous-ministre que nous avons rencontré a dit que c'était colossal. Eh bien oui, c'est colossal, mais nous avons fait des erreurs et nous nous trouvons dans une situation vraiment ardue, ce qui fait en sorte qu'il est extrêmement difficile pour nous de nous occuper de ce qui nous attend. Je crois que nous sommes en train de nous couper l'herbe sous le pied. Nous ferions aussi bien de nous livrer directement aux États-Unis, comme vont les choses.

    C'est donc ce que vous feriez dans ce cas-là. Serait-il possible de revenir réellement à une séparation complète si on arrive à trouver un moyen de le faire et si la volonté politique existe? Les grandes sociétés ont tellement d'argent et exercent tant de pressions qu'il est très difficile d'envisager une pareille chose, mais en toute logique, c'est ce qu'il faudrait faire.

    En ce qui concerne la concentration, votre rapport propose, Tom, que personne ne devrait posséder plus de cinq journaux, ce qui me paraît un bon chiffre. J'ignore comment vous pourriez y parvenir, mais ce serait tout un objectif à atteindre.

    Vous parlez de la perte de synergie, ce qui nous amène à essayer d'envisager des moyens... vous dites, très bien, il faut payer le prix pour obtenir la confiance du public et assurer la diversité. Nous vous accorderons une forme quelconque d'allégement fiscal. Et il faudrait que cela se fasse, compte tenu du point que vous avez soulevé, de manière à ne pas représenter une ingérence de la part du gouvernement, si vous arrivez à trouver un moyen. Il faudra donc faire preuve de créativité. Nous n'y arriverons peut-être pas, mais c'est une mesure nécessaire, et nous avons et aurons vraiment besoin, à mon avis, d'une énorme et véritable diversité de points de vue, tout comme nous aurons besoin de remarquables représentants élus et de bien d'autres choses pour pouvoir faire face à ce qui se prépare.

+-

    Mme Liza Frulla: J'aimerais ajouter quelque chose parce que vous parlez du public et du fait que le public sait. Avez-vous l'impression que le public est vraiment bien au courant de ce qui se passe?

[Français]

    Je reviens à ma propre expérience. J'avais une émission de télévision et, quand on faisait des émissions de télévision à ce sujet, on s'apercevait qu'il n'y avait pas de passion à l'égard d'un sujet comme celui de la concentration de la presse, qui est fondamental, à mon avis, ou comme celui de la santé. Je ne sais pas jusqu'à quel point le public est conscient de cette menace de la concentration de la presse et de la propriété croisée. Pour moi, l'un équivaut à l'autre. Ce sont deux mécanismes différents, mais l'un équivaut à l'autre.

    On dit qu'on va embarquer le public. Est-ce que le public se fait embarquer aussi facilement? Pensez-vous qu'il peut encore s'intéresser à de très grands sujets comme la santé, l'éducation ou d'autres sujets majeurs?

[Traduction]

+-

    M. John Miller: Si nous proposons une enquête publique de haut niveau, c'est pour traiter de cela. Et ce que vous dites rejoint précisément la raison pour laquelle le gouvernement voudrait peut-être faire quelque chose parce que, comment peut-on s'attendre à ce que les propriétaires qui contrôlent ce qui est diffusé dans les journaux et sur les ondes fassent savoir au public qu'ils sont trop gros? Je suis sûr que vous n'avez pas voulu dire que c'est trop gros et que le gouvernement ne peut rien faire.

À  +-(1025)  

[Français]

+-

    Mme Liza Frulla: Je reviens justement au gouvernement...

+-

    Le président: Madame Frulla, donnez la chance aux autres.

[Traduction]

    Avez-vous terminé, monsieur Miller?

+-

    M. John Miller: Oui, mais j'aimerais dire que vous faites déjà cela. On peut entre autres se servir des lois fiscales pour régir la propriété étrangère des médias, où le gouvernement dirait que si tel ou tel journal ne répond pas à telle ou telle exigence régissant les pourcentages de propriété, alors les annonceurs ne pourraient pas déduire le coût de leurs publicités aux titres des dépenses d'affaires. Si vous faites cela avec la propriété étrangère, vous pourriez le faire avec les comités éditoriaux locaux. Il faut les obliger à avoir ceci ou cela pour être considérés comme un véhicule où les annonceurs peuvent déduire le coût de leurs publicités. Pourquoi pas? Vous avez déjà établi un lien entre ces deux questions pourtant étrangères l'une à l'autre.

+-

    Le président: Pour le deuxième tour, nous allons commencer avec monsieur Abbott.

+-

    M. Jim Abbott: J'ai trouvé très intéressant ce lien que vous faites, monsieur Miller, et je vous dirai gentiment que c'est une mesure objective que vous proposez. Elle est objective, concrète. Combien de pouces de colonnes de contenu canadien et combien d'annonces y a-t-il? On peut le mesurer, alors que je crois pour ma part—et il est rare que M. Bonwick et moi-même nous trouvions du même côté de la clôture—que ce qui nous préoccupe tous, et je suis sûr que c'est votre cas aussi, c'est que nous ne voulons pas créer une situation où la subjectivité est appliquée au moyen d'une pénalité. Je suis sûr que nous sommes tous d'accord là-dessus.

    J'ai une autre question pour vous. Dans le cas de Cineplex Odeon, où nous avons vu les cinémas du Canada devenir essentiellement des points de distribution pour tous les films de Hollywood qu'on peut imaginer, Cineplex Odeon était à l'époque une propriété canadienne. Je vous dirais aussi que lorsque Seagram's—encore là une entreprise canadienne— a acheté Universal, nous n'avons pas vu de changement. Maintenant il s'agit d'un cas patent, la situation de nos cinémas au Canada avec la presque totale exclusion du contenu canadien, une chose qui irrite tant la ministre du Patrimoine et d'autres Canadiens. Mais le fait est que Cineplex Odeon était propriété canadienne et Universal Studios aussi. La question que je vais vous poser, particulièrement en ce qui concerne la propriété étrangère, est celle-ci: est-ce que tout cela ne prouve pas que c'est une question de volonté? Il importe peu de savoir qui est propriétaire, si c'est un étranger ou non; c'est une question de volonté.

    Monsieur Southam, je crois vous avoir entendu dire qu'à l'époque où vous étiez membre du conseil d'administration de Southam, vous avez travaillé en coulisses pour réduire la concentration des médias. C'est là une belle oeuvre. Le fait est qu'au bout du compte, l'identité du propriétaire n'a aucune importance, ou en a-t-elle une? Je dis pour ma part que dans le cas de Cineplex Odeon et de Seagram's, nous tenons des exemples où l'identité du propriétaire ne change rien du tout.

+-

    M. Wilson Southam: J'assistais un jour à une réunion d'un sous-comité du Conseil ontarien de la santé, et il y avait là quelqu'un qui nous faisait la leçon, qui nous disait que peu importe le nombre de fois que le soleil va se lever, on ne peut pas toujours être sûr qu'il se lèvera demain, une évidence pour tous à mon avis. Finalement, un universitaire très brillant de l'Université de Toronto s'est avancé, et Mme Abigail a dit à cet homme, vous avez raison, on ne peut pas être sûr que le soleil va se lever demain, on ne peut être sûr qu'il ne se lèvera, mais on peut être sûr et certain que ce sera une chose ou l'autre; maintenant, est-ce que la réunion peut commencer? Elle a aussi dit, en passant, c'est ce qu'on appelle une certitude future conditionnelle.

    Nous ne savons pas ce qui va advenir de la population. Nous savons qu'avec un taux de natalité de 2,6... vous connaissez les projections, elles sont incroyables, et nous y sommes déjà maintenant. À 2,1 nous plafonnons à 9,6... et ce serait bien... tout dépend du nombre de personnes qui vont mourir du sida, ce peut être un peu moins. Il y a un tas de choses comme ça où nous ne savons pas ce qui va se passer.

    Je reviens à votre question. Nous ne savons pas ce qui va se passer si la propriété des médias est canadienne, si on a un plus petit groupe de journaux, ou s'il y a décloisonnement; nous savons seulement qu'il se peut encore que tout aille pour le mieux. Sachant ce que nous savons, nous pouvons être relativement sûrs que si nous ne faisons rien, rien ne va se passer. Ce n'est pas comme si on avait le choix entre une solution dont on est sûr qu'elle va marcher...

    Vous aviez une question au sujet des Canadiens. Les Canadiens vont devoir se réveiller. Je n'ai pas de données récentes. Nos chercheurs y travaillent, mais nous savons qu'aux États-Unis à l'heure actuelle, ce pays que nous admirons tant, un enfant sur quatre grandit sous le seuil de la pauvreté dans les centres urbains, et c'est un sur cinq dans les grandes régions rurales désignées. On n'en parle à peu près pas dans les journaux, mais tout part de là, comme vous savez.

    La concentration de la richesse est telle que les six Américains les plus riches possèdent plus de 48 p. 100 de ce que les habitants du monde possèdent, et ça continue. On ne sait pas s'il est possible d'arrêter cela. On ne sait pas s'il est possible de porter remède à ce taux de 46 p. 100 d'analphabétisme fonctionnel. Je ne voudrais pas être à votre place maintenant, à l'heure où les enfants avalent 14 heures de télévision pour une heure de lecture.

    Il doit être très difficile d'aller voir les gens et de parler de ces créations importantes que nous avons tous contribué à créer. Nous ne faisons pas notre choix entre une solution à ces problèmes très complexes qui vont se poser et l'absence de solution; nous faisons nos choix en nous appuyant sur les conseils de personnes comme Tom Kent et John, qui ont consacré des années à étudier ces problèmes. Nous cherchons les meilleurs moyens de protéger la culture canadienne, ces moyens qui permettront de faire entendre notre voix à l'heure où nous essayons d'infléchir le cours des choses à venir.

    Nous savons que si nous continuons de faire le jeu de l'entreprise et de vivre dans ce mythe que le marché arrange tout et que quiconque n'y croit pas, notamment un député fédéral, l'universitaire ou un homme d'État, est un abruti ou un élitiste quelconque... Cela fait 70 ans qu'on nous raconte cette histoire systématiquement, depuis l'époque où Roosevelt a choqué l'establishment aux États-Unis. Mais ce mythe se répand et c'est de la foutaise, pourtant, nous continuons de dire, ah, ce n'est pas le marché qui est en cause; ce sont nos politiciens d'aujourd'hui qui sont méchants—ça, tout le monde peut le dire—et il y a tous ces méchants autour de nous.

    En ce qui concerne les certitudes futures conditionnelles, nous n'avons pas à choisir entre une solution qu'on peut définir aujourd'hui et aucune solution. Il faut choisir entre mettre fin aux dangers qu'on entrevoit et revenir à un contexte qui offre des possibilités. On se retrouve devant un gâchis, et on essaie d'améliorer les choses, je pense.

À  +-(1030)  

+-

    Le président: Monsieur Kent, avez-vous quelque chose à répondre à cela?

+-

    M. Tom Kent: Oui, je vous remercie.

    Certes, il est manifestement exact que la différence que produit une multiplicité de propriétaires tient principalement au fait que ces propriétaires ont un caractère différent. Sans vouloir trop flatter quiconque, la différence entre les quotidiens de la chaîne Southam à l'époque et certaines des autres chaînes était un peu comme le jour et la nuit. Si nous ouvrons le marché à la propriété étrangère, des non-Canadiens vont acheter tous les journaux, toute les stations de télévision ou que sais-je encore qui sont à vendre parce qu'ils pourront les payer plus cher que ne le pourraient des intérêts canadiens. Et ils pourront payer plus cher parce qu'ils pourront ainsi réaliser des économies d'échelle.

    Quelles seraient ces économies? Ils utiliseront le même personnel, mais ils utiliseront pour les journaux ou les stations qu'ils auront achetés une bonne partie du matériel d'information qu'ils utilisent déjà pour alimenter les journaux et les stations qu'ils possèdent aux États-Unis. En d'autres termes, si on assouplit les règles concernant la propriété étrangère, on aura inévitablement pour effet de réduire la quantité d'informations et d'opinions de source canadienne qui seront offertes aux lecteurs, aux auditeurs et aux téléspectateurs canadiens. Il y en aura encore moins. Déjà maintenant, le pourcentage est pathétiquement bas, exception faite du réseau CBC-Radio-Canada. Il y aura encore moins de reportages canadiens faits à l'étranger. Nous devrons nous contenter pour l'essentiel des reportages de source américaine.

    C'est inévitable. Si le pourcentage de propriété canadienne diminue dans nos médias, ces médias offriront moins d'informations et moins de points de vue provenant de source canadienne et exprimant des intérêts canadiens. À ce niveau, il n'est guère possible de douter de la façon dont l'économie et les marchés vont fonctionner.

À  +-(1035)  

+-

    Le président: Il nous reste 25 minutes et, il faut le reconnaître, il y a encore beaucoup de gens qui veulent intervenir. Si les membres du comité y consentent, je vais permettre à M. Harvard de poser une question. Il n'était pas là. Mais après lui, nous entendrons M. Bonwick, Mme Gagnon, Mme Lill et Mme Frulla. Et je voudrais également me réserver quelques minutes pour poser moi aussi une ou deux questions. Si chacun accepte de se limiter à une question brève, tout le monde y trouverait son compte.

    Monsieur Harvard.

+-

    M. John Harvard (Charleswood —St. James—Assiniboia, Lib.): Je vous remercie, monsieur le président, et vous voudrez bien m'excuser pour mon arrivée tardive.

    Je suis comme beaucoup de députés, je dois me partager entre plusieurs comités. Nous venons de terminer une étude sur les relations entre les États-Unis, le Canada et le Mexique au comité des affaires étrangères, et vous voudrez donc bien m'excuser pour mon retard.

    Je suis également au nombre de ceux que la propriété croisée des médias, la concentration, la divergence, la propriété étrangère et tout ce qui s'ensuit inquiètent beaucoup. La station CJOB a été créée par John Oliver Blick. Il avait à l'époque un excellent chroniqueur du nom d'Allan Bready, qui fut mon premier directeur des services de l'information qui soit vraiment bon. CKRC avait pour sa part un chroniqueur du nom d'Everett Dutton. CKY, qui avait été créée par la famille Moffat, avait quelqu'un du nom de Bill Trebilcoe. La première station du réseau CTV à Winnipeg est entrée en ondes en 1960 sous l'indicatif CJAY. Elle avait deux éditorialistes. Vous vous souvenez peut-être de Carlyle Allison, qui travaillait jadis à BBG. Il a probablement fait plus que quiconque pour décrocher la licence de sa station. Bud MacPherson, croyez-le ou non, dans le contexte britannique, était aussi populaire, sinon plus, que Churchill pendant la guerre parce qu'il passait à la BBC.

    Vous vous demanderez où je veux en venir. À l'époque, il y a 40 ans de cela à Winnipeg, il y avait tous ces éditorialistes indépendants. Ils ont tous disparu. Ils sont tous partis. Il n'y en a plus à CJOB. CKRC n'existe plus. Il n'y en a plus à CKY, ni à CTV. La seule chose qui leur reste, c'est un animateur d'émissions-débats aux opinions de droite. C'est tout ce qui reste à Winnipeg, et je parle ici de la radio et de la télévision.

    S'agit-il d'une aberration qui n'existe qu'à Winnipeg ou d'un phénomène qui a balayé tout le pays depuis quelques dizaines d'années? Suis-je paranoïaque? Qu'en dites-vous, messieurs?

+-

    M. John Miller: Je vous dirais ceci: vous avez absolument raison. C'est un phénomène qu'on constate partout au Canada étant donné que, dans l'ensemble, la propriété locale a disparu. Quel est donc l'incitatif? Les stations de radio sont rachetées les unes après les autres et ainsi, le modèle de M. Kent se généralise. Les propriétaires veulent économiser. Tous ces gens sont considérés comme superflus. Ils adoptent la formule des émissions de débat qui ne coûtent pratiquement rien à mettre en ondes, qui sont très accrocheuses mais qui éclairent très peu les affaires publiques. Ce sont des émissions qui font controverse et déchaînent les passions au lieu d'informer.

    C'est quelque chose qui se passe partout au Canada et qui est la résultante directe de la concentration de la propriété ainsi que de la convergence. C'est pour cette raison que les gens ne sont plus du tout mobilisés par les problèmes des médias, étant donné qu'ils n'ont plus ce lien que vous aviez vous avec votre station.

+-

    M. John Harvard: Je pourrais encore ajouter une chose si vous voulez bien, monsieur le président. Il y a de moins en moins de points de vue représentés à la radio, à la télévision, mais surtout dans les journaux, et cela nous inquiète. Je sais aussi qu'il y a beaucoup d'anxiété, mais également beaucoup d'uniformité dans les éditoriaux que nous pouvons lire partout au Canada. Et bien sûr, il y a les éditoriaux de CanWest qui ont une portée nationale.

    Pourriez-vous nous donner une preuve de ce genre de colonisation des premières pages? L'actualité est-elle corrompue, est-elle présentée sous un prisme déformant, en raison de la diminution du nombre des points de vue exprimés, en raison également de la concentration de la propriété?

À  +-(1040)  

+-

    M. John Miller: Je pourrais effectivement vous donner deux exemples. D'abord, quand était-ce encore, il y a une dizaine de jours, les rédacteurs en chef de tous les journaux de la chaîne Southam du Canada ont choisi, pour leur première page, tout à fait fortuitement bien sûr, le même éditorial qui disait que le Canada devait se rapprocher des États-Unis. C'est le premier exemple.

    En second lieu, il y a le fait que certains journalistes de la Gazette de Montréal sont espionnés, sont surveillés par leur patron. Leurs courriels et leurs appels téléphoniques sont contrôlés. Si vous ne pensez pas que ce sont là des manoeuvres d'intimidation...

+-

    M. Wilson Southam: Si vous visitez le site Web dont parle la brochure que vous allez recevoir, le site www.diversityofvoices.ca, plusieurs cas de ce genre y sont exposés, ce qui répond à votre question.

    Il y a, par exemple, Haroon Siddiqui du quotidien The Toronto Star, le rédacteur émérite de la page éditoriale. Lorsqu'il est allé parler aux journalistes à Regina, le Regina Leader Post a réécrit son histoire—car ce journal appartient à CanWest—à l'effet qu'il approuvait en réalité la politique centralisatrice en matière d'éditoriaux. Mais ce n'est pas cela du tout qu'il avait dit. Son article a été réécrit à la salle des nouvelles, et cela a été prouvé.

    Stephen Kimber, qui dirige l'école de journalisme de UBC, a démissionné avec fracas et a dit publiquement que ses articles étaient contaminés et qu'ils étaient souvent réécrits. Il s'agit donc d'opinion plutôt que d'actualité. Et il y a bien d'autres cas encore.

    Effectivement, cela veut dire, sciemment, «la page des éditoriaux est à nous, et nous en avons donc le droit», mais en réalité, les preuves sont là, dès qu'on commence à ce niveau-là, le mouvement se propage aux commentaires, aux reportages d'actualité et même, nous l'avons constaté, aux encarts publicitaires.

+-

    Le président: Madame Lill, vous avez une question?

+-

    Mme Wendy Lill: Oui, je vous remercie.

    Je me demande si vous voudriez dire un mot au sujet d'Internet. Nous savons que c'est devenu un gros morceau au niveau de la propriété dans le secteur des journaux et aussi au niveau du transfert d'information. Comment se fait-il que vous voudriez dissocier la propriété d'Internet et à votre avis, que faudrait-il prévoir comme garanties?

+-

    M. Tom Kent: Internet est à lui seul un canal. Ce n'est pas une source interne de contenu. Il porte énormément de contenu et c'est cela sa force. Tant que nous pourrons continuer à dissocier la propriété de l'instrument de son contenu, le contenu sera ce que d'autres voudront bien y mettre. Il ne fait donc aucun doute qu'Internet est potentiellement, ou du moins il pourrait l'être en pratique, une influence libératrice considérable.

    Par contre, Internet n'offre que des bribes d'information que l'utilisateur va chercher. Il n'offre pas cette connaissance de base de l'actualité, il n'offre pas cette information concernant les différentes opinions qui ont cours sur les affaires publiques, avant toute autre chose, cette information que les médias proprement dits—les journaux et dans une certaine mesure aussi la télévision et la radio—offrent aux utilisateurs. C'est cela qu'il faut surtout craindre. Je pense que tout en n'intensifiant pas le problème, et malgré toutes ses qualités, Internet n'a pas en réalité d'effets réducteurs.

+-

    Mme Wendy Lill: J'imagine que le problème tient au fait qu'Internet est l'exemple même du fait que nous avons des milliers et des milliers de sources d'information variées... il y en a de plus en plus. En fait, j'aimerais d'ailleurs voir des chiffres sur l'usage qui est fait d'Internet. J'ai entendu dire qu'on y trouvait surtout de la pornographie. Je ne pense pas que cela équivaille à aller chercher différents points de vue sur une question d'actualité. Ce serait bien si nous pouvions avoir un meilleur entendement de ce que les gens cherchent sur Internet.

+-

    M. Tom Kent: Tout ce que je voulais dire, c'est qu'Internet n'est pas vraiment mauvais en soi, mais qu'il n'a rien à voir avec le problème dont nous parlons ici.

+-

    M. Wilson Southam: Par contre, on entend souvent dire que c'est une solution pour les gens qui ont accès à Internet. Si vous allez à Calgary, à Edmonton ou à Vancouver, vous constaterez que la presse, dans ces trois villes, représente le même point de vue. Si vous allez visiter les salles de presse, c'est ce que vous allez constater.

    Pour le reste, c'est-à-dire les articles d'intérêt local—qui sont d'ailleurs un peu maigres—il y a énormément de choses qui passent telles quelles. Vous pouvez pratiquement faire passer n'importe quoi. Et bien sûr, vous avez raison, on trouve aussi beaucoup de pornographie, d'après ce qu'on m'a dit.

+-

    Le président: Madame Frulla.

+-

    Mme Liza Frulla: Je voudrais revenir au rôle et à l'intervention du gouvernement.

    Peut-être parce que j'ai travaillé à Radio-Canada, j'ai peut-être moins peur que d'autres d'une ingérence de l'État, sachant fort bien qu'il faut conserver cette indépendance entre les médias et l'État. Et je prends ici l'exemple de Radio-Canada ou de la CBC.

À  +-(1045)  

[Français]

    Aujourd'hui, CBC et Radio-Canada sont peut-être les seules télévisions qui font preuve d'une très grande indépendance éditoriale et qui abordent une grande diversité de sujets. La diversité des sujets est un autre problème. On ne présente pas partout le même éditorial pour montrer une position politique. Aujourd'hui, les affaires publiques, on n'y touche plus. Pourquoi? Parce que souvent, dans les médias privés, on dit que les affaires publiques n'intéressent personne et que cela ne se vend pas parce que les cotes d'écoute ne sont pas assez bonnes; donc, ce n'est pas profitable. Les affaires internationales coûtent aussi trop cher; donc, on n'investit pas dans les affaires internationales parce que, de toute façon, cela n'intéresse personne.

    Or, Radio-Canada et CBC ont maintenu cette vocation-là. Radio-Canada et CBC sont des exemples d'endroits où le syndicat des journalistes peut être très présent, et cela sans crainte. Il ne faut pas se leurrer: il y a aussi une crainte chez les journalistes des salles de presse.

    Ai-je raison de dire que oui, on peut avoir peur que le gouvernement s'ingère, mais que d'un autre côté, il y a peut-être, au niveau du gouvernement, des mécanismes qui font en sorte que le arm's length est observé de facto, comparativement à ce qu'on voit dans des entreprises privées? Donc, il y a là moins de craintes, puisque le gouvernement peut donner des incitatifs sans risquer de briser ce arm's length.

[Traduction]

+-

    M. Wilson Southam: Je suis d'accord avec vous. Je suis un fervent défenseur de la SRC. Je ne regarde pas la télévision, ce qui est une lacune. J'ai produit, dirigé et réalisé 62 émissions, et c'est peut-être ce qui m'a détourné de la télévision.

    Nous avons dans cette brochure trois recommandations qui intéressent la SRC et qui prônent que cette institution soit respectée. La quatrième recommandation préconise un soutien financier intégral pour la SRC. Ce financement doit être rétabli car, comme vous le savez, il a été sévèrement amputé.

    Ensuite, il y a la question du quotidien national sans but lucratif. Si—et c'est ce que je pense—nous avons été tellement gâtés en ayant la CBC et Radio-Canada, nous envisageons également d'offrir un financement intégral à l'équivalent du Guardian de Manchester ou du The Nation. Ces quotidiens sont lus partout en Angleterre, en Europe et dans le monde également grâce à leurs éditions publiées à l'étranger. Si nous faisions la même chose, cela servirait d'exemple pour le reste de la presse.

    Il y a aussi la dixième recommandation, dont je n'ai pas parlé faute de temps. Il s'agit d'un modèle de site Web qui couvrirait l'actualité en direct, de la façon dont vous en parliez vous-même, mais de façon plus large que ne le fait un journal, et qui offrirait également un soutien en ligne pour les conférenciers ou les facilitateurs qui iraient sur le terrain pour travailler sur ces dossiers et ainsi de suite. Si je venais parler ici, il me suffirait d'un projecteur pour pouvoir bénéficier d'un soutien en ligne en temps réel.

    Il y aurait donc trois formules possibles pour un financement intégral sans publicité comparable à l'indépendance dont jouissent Radio-Canada et la CBC. Ce serait merveilleux si nous voulions vraiment nous donner des outils pour réagir à tous ces développements qui semblent surgir. Ce serait formidable.

+-

    Le président: Monsieur Bonwick.

    Nous allons conclure là-dessus, après quoi j'aimerais à mon tour poser quelques questions.

+-

    M. Paul Bonwick: Je suis en désaccord avec une des interventions de M. Abbott, et je dois donc lui demander de ne pas se sentir aussi satisfait. Il a dit que le fait que nous étions d'accord lui faisait plaisir, mais dans son exposé, il a manifestement parlé de la problématique du vecteur et du contenu, c'est une problématique qui pourrait raisonnablement être défendue, selon moi, dans l'industrie cinématographique.

    Cinéplex Odéon n'a aucune influence sur le contenu ou sur la réalisation d'un film. C'est simplement le vecteur de projection. Dans l'industrie des quotidiens, il est manifeste que la chaîne intervient et a une influence sur le contenu. Par ailleurs, il est vrai que dans un cas il s'agit d'information et d'éducation et dans l'autre de divertissement, de sorte que ce sont là deux choses fort différentes.

    Moi, ce qui me préoccupe, c'est cette question de la concentration et la convergence, quoique je n'ai pas vraiment la même inquiétude pour ce qui est de CanWest. Je voudrais vous demander votre avis sur une progression naturelle qui repose en fait sur notre orientation actuelle. À un moment donné un consortium ou une multinationale pourrait fort bien dicter la teneur des éditoriaux, et cela depuis Berlin, Amsterdam ou New York.

    Monsieur Southam, lorsque vous avez cité quelque chose au sujet de George W., cela m'a rappelé ce qu'on entendait dire il n'y a pas si longtemps au sujet de la doctrine Bush. En l'occurrence, il s'agissait que la quasi-totalité de nos exportations étaient exportées. C'était là un propos fort intéressant, mais ce qu'il voulait dire, fort mal, c'est qu'il voulait multiplier les potentialités à l'étranger pour l'entreprise américaine.

    Par conséquent, si nous ne tirons pas un trait aujourd'hui ou à la fin du rapport, la progression naturelle voudrait qu'il puisse y avoir à New York une compagnie qui enverrait 143 éditoriaux un peu partout au Canada.

À  +-(1050)  

+-

    Le président: Tom Kent.

+-

    M. Tom Kent: Je suis d'accord avec vous, et c'est pourquoi il est tellement important de faire des recommandations visant à mettre un frein à cette convergence et à limiter à tout le moins les effets de la concentration. Si nous ne le faisons pas, cela pourrait effectivement arriver.

+-

    Le président: Monsieur Miller.

+-

    M. John Miller: Le Canada a toujours donné l'exemple au monde entier en trouvant de façon fort ingénieuse le moyen de contrer l'influence de la culture américaine qui traverse la frontière. Nous nous sommes donné des penseurs comme Harold Innis et Marshall McLuhan qui ont exporté leurs idées dans le monde entier. Je pense que nous sommes maintenant rendus au point où nous devrons faire preuve du même genre d'ingéniosité pour contrer cette menace.

+-

    M. Wilson Southam: Je voudrais répondre à cette question, monsieur le président, avec votre permission. S'il y a quelqu'un qui devrait avoir tiré la leçon des choses, et je veux parler ici de la chaîne Odéon qui était jadis canadienne et qui n'avait rien fait, cela importe-t-il vraiment si le propriétaire d'Odéon est un propriétaire étranger, si nous avons du mal à déconstruire quelque chose qui était jadis canadien, alors imaginez-vous ce que ce serait si nous tentions de déconstruire quelque chose qui appartient aux Américains.

    Vous vous en souviendrez peut-être, lorsque Sports Illustrated voulait s'implanter au Canada, il y avait eu un recours devant l'OMC, et l'OMC avait invalidé le numéro tarifaire 9958 qui, jusqu'alors, nous avait permis de protéger à tout jamais nos périodiques. Du même trait de plume, cette décision de l'OMC avait éliminé la taxe d'accise et les subventions aux frais de port. Le gouvernement a donc fait volte-face et a déclaré: «Soyons forts et invoquons plutôt le Code criminel car nous devons protéger nos revues». Vous vous en souviendrez aussi, le projet de loi C-55 a été abandonné en 1998 lorsque les États-Unis ont ignoré les conventions de l'ALENA en disant que les représailles devaient être effectuées en nature. Ils ont donc menacé notre fichu pays tous azimuts, et nous avons baissé les bras.

    Si vous pensez vraiment que nous allons pouvoir vendre Odéon aux États-Unis puis changer d'avis, plutôt que d'exiger fermement quelque chose d'Odéon... Vous le savez, nous souffrons d'une énorme érosion. Il y a trois ans encore, 15 dramatiques télévisées avaient été réalisées par des Canadiens pour des Canadiens. Aujourd'hui, il n'en reste que cinq. Essayez de tourner un long métrage au Canada. Nous avons un cinéaste de grand talent qui reste au Canada pour le principe. Bien sûr, le financement est devenu plus difficile un peu partout, mais cela c'est une autre histoire.

    Vous parlez de notre culture. Nous perdons du terrain à la vitesse grand V. Si on se souciait vraiment de la culture canadienne, on ne céderait plus un pouce de terrain.

    Je vous remercie.

+-

    Le président: Pour terminer, M. Southam a plusieurs fois évoqué en particulier la question de la séparation de la télévision et de la presse écrite. Nous avons tourné autour de la question et quelqu'un a laissé entendre qu'il ne fallait pas autoriser une chaîne de journaux à posséder plus de cinq quotidiens, comme vous le recommandez dans votre rapport. Pour réduire encore davantage, est-ce que vous préconisez un dessaisissement? Pour l'instant, ces intérêts possèdent des journaux également, CanWest, B.C., etc. Préconisons-nous un dessaisissement graduel de sorte qu'à un moment donné, aucune compagnie de télévision ou de radio ne puisse posséder de journaux? Est-ce cela que nous voulons dire?

+-

    M. Wilson Southam: En effet, monsieur. Cela fait pas mal de temps. À l'heure actuelle, une licence est accordée pour sept ans. Si une chaîne possède les deux et si le Canada décide effectivement de protéger sa culture, à ce moment-là il a commis une erreur lorsqu'il a accepté les promesses qui avaient été faites au comité du patrimoine et qui n'ont pas été immédiatement tenues—vous les trouverez d'ailleurs toutes les deux dans cette brochure, la promesse qui vous a été faite et comment elle n'a pas été tenue. À partir de là, vous allez dire: «Non, il faut que les deux restent distincts». Ils ont sept ans pour décider s'ils vont se débarrasser de leurs journaux qui ne leur apportent guère de bénéfices, ou s'ils vont se débarrasser de leur chaîne de télévision. C'est...

À  -(1055)  

+-

    Le président: Si c'était le cas, l'idée d'un crédit d'impôt ne deviendrait-elle pas inutile ou serait-ce le contraire à votre avis?

+-

    M. Wilson Southam: Rien de tout cela n'est nécessaire. Il y a 11 choses différentes qui pourraient toutes être faites, ou encore on pourrait décider d'en choisir une ou alors de ne rien faire du tout. Nous sommes ici simplement parce que vous nous avez fort généreusement invités—merci bien—à vous aider dans une tâche très difficile. Je dirais qu'aucun de ces éléments n'est mutuellement... si vous faites ceci, ne faites pas cela. Vous pourriez intervenir sur les 11 fronts différents, mais c'est mon avis et c'est un point de vue qui est manifestement subjectif. Quand j'étais jeune, j'ai fait le guide dans les Rocheuses et j'adorais ces montagnes. J'ai fait de l'auto-stop partout au Canada lorsque j'étais jeune adolescent et j'ai enseigné le ski un peu partout. Pour être franc avec vous, je pense que nous sommes en train de brader notre pays, et c'est pour cela que je suis venu vous parler aujourd'hui.

+-

    Le président: Monsieur Kent.

+-

    M. Tom Kent: Monsieur le président, moi je vois les échéances un peu différemment. Si, d'ici quelques mois, le Parlement adoptait une nouvelle loi ordonnant au CRTC de ne plus émettre ni renouveler de licences de radiodiffusion à des journaux, même si cela n'entrerait pas légalement en vigueur jusqu'à ce que les licences actuelles expirent dans un nombre x d'années, cela aurait un effet immédiat dans la mesure où les propriétaires actuels, qui possèdent à la fois des journaux et des stations de radio et de télévision, seraient en mesure de décider, c'est ce qu'ils feraient assurément dans certains cas, et de décider immédiatement que la meilleure chose à faire serait d'abandonner le domaine de la presse écrite. D'ailleurs, je pense que les circonstances financières, étant donné le niveau d'endettement actuel de l'un de ces propriétaires, dicterait obligatoirement ce genre de décision.

    Cela aurait pour effet de brasser un peu le dossier de la propriété. Il serait alors possible, sans qu'il faille pour autant exiger un dessaisissement, puisqu'il y aurait tellement de journaux à vendre, pour ainsi dire, de décréter des nouvelles dispositions qui limiteraient les possibilités de rachat de ces journaux soit pas des propriétaires étrangers, soit par plus de cinq—c'est un exemple—nouveaux propriétaires étrangers.

    Ce que j'aimerais comme incitatif fiscal, ce serait quelque chose qui favorise la propriété locale parce que je pense que l'exemple de Winnipeg dans le cas particulier de la radiodiffusion rend la chose... La diversité d'opinions tient essentiellement au fait que les propriétaires sont ou non des résidents de l'endroit. Si c'est le cas, ils veulent avoir une influence sur leur communauté, ils veulent avoir de bons éditorialistes et ainsi de suite. Si leurs propriétaires ne sont pas des gens de l'endroit, ou à moins, au cas exceptionnel que la compagnie ne soit prête à conserver l'équivalent d'un propriétaire local, comme l'a fait Southam dans une certaine mesure, à ce moment-là il n'y aura pas cette diversité de points de vue qui, après tout, est ce qui nous interpelle ici.

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    Le président: Merci beaucoup. Malheureusement, le temps qui nous est imparti est écoulé. Cela a été une séance extrêmement enrichissante pour nous tous et nous vous remercions énormément d'être venus aujourd'hui et de nous avoir donné ainsi de votre temps.

    La séance est levée.