HERI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent du patrimoine canadien
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le jeudi 21 novembre 2002
¿ | 0910 |
Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)) |
M. John Meisel (professeur, témoignage à titre personnel) |
¿ | 0915 |
Le président |
¿ | 0920 |
M. John Meisel |
M. John Harvard (Charleswood—St. James—Assiniboia, Lib.) |
Le président |
Le président |
M. Karim Karim (professeur, témoignage à titre personnel) |
¿ | 0945 |
¿ | 0950 |
Le président |
M. Will Straw (professeur, témoignage à titre personnel) |
Le président |
Mme Rebecca Sullivan (professeure adjointe, témoignage à titre personnel) |
¿ | 0955 |
Le président |
M. Bart Beaty (professeur adjoint, témoignage à titre personnel) |
À | 1000 |
Le président |
M. Kirk Lapointe (témoignage à titre personnel) |
À | 1005 |
À | 1010 |
Le président |
Mme Deanie Kolybabi (directrice, Développement stratégique et marketing, Aboriginal Peoples Television Network) |
À | 1015 |
Le président |
À | 1020 |
Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD) |
Le président |
M. John Meisel |
À | 1025 |
Le président |
M. Karim Karim |
Le président |
À | 1030 |
M. Will Straw |
Le président |
M. Kirk Lapointe |
Le président |
Mme Rebecca Sullivan |
À | 1035 |
Le président |
Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.) |
À | 1040 |
Le président |
M. Paul Bonwick (Simcoe—Grey, Lib.) |
À | 1045 |
M. Bart Beaty |
M. Paul Bonwick |
M. Kirk Lapointe |
Le président |
Mme Deanie Kolybabi |
À | 1050 |
Le président |
M. Rodger Cuzner (Bras d'Or—Cap-Breton, Lib.) |
M. Karim Karim |
M. Rodger Cuzner |
À | 1055 |
M. Kirk Lapointe |
Le président |
Mme Deanie Kolybabi |
Le président |
M. John Harvard |
Á | 1100 |
Le président |
M. Will Straw |
Á | 1105 |
M. John Harvard |
M. Will Straw |
Le président |
Mme Rebecca Sullivan |
Le président |
M. Kirk Lapointe |
Le président |
Mme Deanie Kolybabi |
Á | 1110 |
Le président |
M. Karim Karim |
Le président |
CANADA
Comité permanent du patrimoine canadien |
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l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le jeudi 21 novembre 2002
[Enregistrement électronique]
¿ (0910)
[Traduction]
Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent du patrimoine canadien.
[Français]
Le comité se réunit aujourd'hui conformément au paragraphe 108(2) du Règlement pour continuer son étude sur le système de radiodiffusion canadien.
[Traduction]
Nous tenons aujourd'hui une table ronde sur la diversité culturelle à laquelle participent plusieurs témoins qui sont là à titre personnel. Nous accueillons le professeur John Meisel, professeur émérite au Département des études politiques, de l'Université Queen's. Bienvenue. Nous accueillons aussi M. Karim H. Karim, professeur agrégé à l'École de journalisme et de communications, de l'Université Carleton, M. Will Straw, professeur agrégé, Département d'histoire de l'art et des études en communications, de l'Université McGill; Mme Rebecca Sullivan, professeur adjoint, Faculté des communications et de la culture , de l'Université de Calgary, M. Bart Beaty, professeur adjoint, Faculté des communications et de la culture, de l'Université de Calgary; et M. Kirk Lapointe, journaliste. Nous avons aussi, de la chaîne autochtone Aboriginal Peoples Television Network, Mme Deanie Kolybabi, directrice du Développement stratégique et du marketing. Je vous souhaite la bienvenue à tous.
Je tiens à préciser que le sujet d'aujourd'hui s'inscrit dans le contexte de l'étude que nous faisons du système de radiodiffusion canadien. Nous voulons ainsi revenir à notre rapport sur l'état des institutions culturelles canadiennes, intitulé Appartenance et Identité, que nous avons publié en 1999 et où nous disions qu'il faudrait à en arriver à définir ce que sont la culture et la diversité culturelle.
Les questions que nous avons posées étaient les suivantes: Quelle est votre définition de culture, quelle est votre définition de diversité et, partant, quelle est votre définition de diversité culturelle? Qu'est-ce qui fonctionne bien dans le contexte de la diversité culturelle et qu'est-ce qui ne fonctionne pas? Quelles leçons peut-on tirer de la popularité du marché gris ou noir de la communication par satellite au Canada? Que faut-il en conclure? Ces services comptent environ 700 000 abonnés, d'après les estimations. Ce phénomène indique-t-il une diversité de choix insuffisante? Peut-il y avoir trop ou trop peu de diversité? L'approche du gouvernement fédéral face à la diversité culturelle convient-elle dans le contexte de la recherche d'un consensus au Canada et à l'étranger? Pouvez-vous recommander des changements au niveau de la politique ou de la programmation et, à votre avis, les mécanismes de financement actuels peuvent-ils appuyer convenablement la diversité culturelle?
Répondre à ces questions n'est pas une mince affaire, mais nous allons essayer d'y répondre. Monsieur Meisel, comme vous êtes le premier à avoir été présenté, je vais vous demander de commencer.
[Français]
M. John Meisel (professeur, témoignage à titre personnel): Monsieur le président, j'aimerais d'abord vous remercier de m'avoir invité à assister à votre séance.
[Traduction]
J'ai lu pas mal des procès-verbaux de vos réunions. J'ai lu aussi beaucoup des témoignages, et je tiens à vous féliciter de vous être attaqués à un dossier assez épineux et de l'avoir fait avec un certain panache.
Vous avez invité les membres de notre groupe à présenter un exposé d'environ cinq minutes à partir des neuf questions que M. Lincoln vient de répéter. Pour répartir le temps de parole également entre toutes les questions, il faudrait se limiter à environ 33 secondes et un tiers pour chacune. Cela ne serait guère utile, alors je vais plutôt aborder le sujet sous un autre angle. Je vais aborder trois grands thèmes que soulève le sujet de vos audiences, puis je dirai quelques mots de la diversité culturelle.
Premièrement, pendant la période de 60 ans et plus qui s'est écoulée depuis la Commission Aird, le Canada a pu compter sur 20 études officielles sur la radiodiffusion réalisées par une pléthore de commissions royales d'enquête, de groupes de travail, de commissions parlementaires et d'autres groupes. Cela fait environ un rapport tous les trois ans. Parcourir l'ensemble de ces rapports, c'est se rendre compte de quelque chose de fascinant: leurs recommandations, bien qu'elles ne coïncident pas parfaitement, présentent certainement de grandes similitudes.
Le problème, ce n'est pas de formuler des solutions, mais bien de les mettre en oeuvre. Et les raisons qui expliquent la difficulté de donner suite aux recommandations dépassent largement les limites du travail du diagnosticien. Elles ont trait notamment aux goûts et aux attitudes d'un grand nombre de Canadiens et tiennent aussi en partie au travail des radiodiffuseurs privés. Ces derniers, malgré leurs déclarations, consacrent pour la plupart bien plus d'énergie à chercher à contourner l'alinéa 3(1)d) de la Loi sur la radiodiffusion qu'à essayer de s'y conformer.
Deuxièmement, pour traiter des questions dont nous sommes saisis, il faut distinguer entre télévision, radio et maintenant Internet, même si ce dernier médium ne se rattache pas à strictement parler à la radiodiffusion.
Troisièmement, la différence entre les radiodiffuseurs privés et publics est tellement énorme qu'il faut, le plus souvent, les traiter séparément.
Revenons maintenant à nos moutons: qu'en est-il de la diversité culturelle? Par ce terme, j'entends toute la gamme des attitudes, des valeurs, des pratiques, etc., des groupes ethniques et linguistiques qui composent notre société canadienne, depuis les peuples autochtones jusqu'aux deux familles linguistiques les plus importantes de notre histoire, en passant par ces Canadiens, de plus en plus nombreux, qui viennent chez nous des quatre coins de la Terre.
¿ (0915)
Il est sage de vouloir explorer la façon dont le système de radiodiffusion reflète la très riche diversité de notre population. Mais le comité doit aussi se pencher sur la façon dont les autres types de cultures sont desservis par les radiodiffuseurs et les câblodistributeurs. Leur nombre est presque illimité, mais j'en prends deux seulement pour exemple: la culture des arts au Canada et les cultures liées aux différents styles de vie. Même si l'alinéa 3(1)d) ne les englobe pas de façon explicite, il ne fait aucun doute qu'il insiste pour que la radiodiffusion en tienne compte.
La culture des arts, où j'inclus la culture tant élitiste que populaire, est extrêmement variée au Canada, mais elle est traitée de façon très inégale à la radio et à la télévision. Certains genres bénéficient d'une couverture et d'une attention exhaustives, alors que d'autres sont à peu près invisibles et inaudibles. La diversité, ou la divergence si vous préférez, est horriblement négligée, et elle ne devrait pas l'être. Il n'existe pas de MusiquePlus pour les menuets.
Par la culture du style de vie, j'entends l'ensemble des valeurs et des comportements de toutes sortes de groupes liés par leurs activités professionnelles, leurs efforts à l'échelle locale, leurs loisirs et d'autres liens qui font que ces groupes ont des expériences communes et ont souvent un sentiment d'appartenance. On parle par exemple de la culture des affaires, de la culture sportive, de la culture universitaire et de la culture des entreprises. Il est frappant de constater comme le monde de la radiodiffusion accorde énormément de temps à certaines de ces cultures, la sportive par exemple, et qu'il n'accorde presque pas de temps à d'autres. On a qu'à voir comme les questions de religion sont importantes pour un grand nombre de Canadiens et comme elles retiennent peu l'attention du monde de la radiodiffusion. Peut-on dire que la couverture des multiples questions de spiritualité s'approche le moindrement, sur le plan de l'efficacité, de celle du sexe ou de la consommation d'automobiles ou d'aliments vides?
Mon temps de parole est presque écoulé, hélas, mais en conclusion, je ne peux m'empêcher d'effleurer les neuf questions qu'on nous a posées. Au numéro 5, on nous demande si la popularité du marché gris ou noir avec son grand nombre d'antennes paraboliques est une indication de l'insuffisance des choix qu'offre le système dominant. Il faudrait que je puisse expliquer ma réponse—ce que je ne peux malheureusement pas faire faute de temps—, mais je réponds par un non catégorique. Les raisons sont sans doute nombreuses, mais l'absence de certains types d'émissions sur les services de radiodiffusion dominants n'est qu'une explication parmi bien d'autres.
Je vous remercie de votre attention. Si nous en avons le temps, je serai heureux d'étoffer certaines des observations que j'ai faites et de revenir sur les neuf points dans le cadre de la discussion.
Merci.
Le président: J'hésitais beaucoup à vous interrompre puisque vous parliez avec tellement d'éloquence, mais nous avons un problème avec l'interprétation. D'après nos règles, nos réunions doivent se faire dans les deux langues, et ce n'est que juste. J'aimerais que l'on s'arrête pendant un petit moment pour qu'on puisse régler le problème. Je suis vraiment désolé.
¿ (0920)
M. John Meisel: Monsieur le président, pendant que nous attendons, je pourrais essayer de répéter ce que je viens de dire dans mon français assez peu élégant.
M. John Harvard (Charleswood—St. James—Assiniboia, Lib.): Le bilinguisme fonctionne dans les deux sens.
Le président: Votre allocution sera traduite dans notre compte rendu. C'est simplement pour ceux qui vous écoutent en ce moment.
¿ (0920)
¿ (0942)
Le président: Nous reprenons nos travaux. Je suis désolé pour le retard, qui est extrêmement malheureux, et je vais maintenant donner la parole au professeur Karim Karim.
[Français]
M. Karim Karim (professeur, témoignage à titre personnel): Merci et bonjour, monsieur le président et membres du comité. Ça me fait grand plaisir d'assister à cette séance.
[Traduction]
Malheureusement, je n'ai pas rédigé de mémoire, mais je vous laisserai des exemplaires de certains des articles et des rapports que j'ai rédigés récemment dans le cadre de la recherche que je fais en ce moment sur la diversité culturelle et les médias.
Étant donné le peu de temps que j'ai, je me limiterai à deux ou trois points.
Pour ce qui est de la diversité culturelle et de la signification qu'on peut lui donner, la façon dont j'envisage la chose dans ce contexte, c'est qu'au niveau de la radiodiffusion, nous en sommes peut-être arrivés à voir cette diversité comme la présence matérielle à la télévision ou à la radio de différents groupes qui vivent au Canada. Et ce n'est peut-être pas là la solution complète au problème selon le point de vue qui en a été donné dans la loi. Pour commencer, dans toutes sortes d'émissions différentes, on semble trouver de façon prépondérante tel ou tel groupe ethnique. Dans la publicité par exemple, pour une raison qui m'échappe, on voit des Latino-Américains, des Arabes ou des Asiatiques. Le bruit court—et je ne sais pas si c'est vrai—qu'un réalisateur en quête de figurants pour une publicité aurait dit: «Je viens juste de me souvenir que cette publicité doit faire preuve d'une certaine diversité, alors trouvez-moi rapidement un noir ou un Asiatique.» Mais cela ne va pas plus loin, on n'y réfléchit pas davantage. Malgré la présence notable de gens de toutes ces autres origines, nous les voyons en fait rarement.
L'autre chose que je voudrais faire valoir concernant la diversité culturelle, c'est que la seule présence physique n'apporte pas une solution complète au problème. Lorsqu'un présentateur d'origine ethnique minoritaire passe à la télévision et copie l'attitude des gens de la majorité, au point même de mal prononcer à dessein des noms géographiques de son propre pays d'origine... Je voudrais vous donner un exemple, et j'espère ne pas être attaqué en justice. L'une des présentatrices du réseau CBC Newsworld prononce son nom, Suhanna Meharchand, à la française, comme si elle s'appelait Marchand, alors pourtant que c'est un nom indien. C'est cela que je veux dire lorsque j'affirme que cette diversité culturelle que nous escomptons finit par être supprimée. Le fait de montrer à la télévision des gens d'origines ethniques différentes ne résout pas vraiment le problème de la diversité culturelle selon ce que la loi voudrait sans doute.
Je voudrais également dire quelques mots de la citoyenneté par rapport à la radiodiffusion. Mais permettez-moi pour commencer un commentaire à caractère général. Pendant toutes les années durant lesquelles j'ai travaillé à Patrimoine canadien, j'ai constaté qu'on parlait de moins en moins de citoyens et de plus en plus de consommateurs. Il y a des gens, à un niveau très élevé de la hiérarchie, qui ne voient pas là une contradiction. Au contraire, pour eux c'est la même chose. Je prétends pour ma part qu'il s'agit au contraire d'une lourde perte au niveau de l'élaboration des politiques, dès lors que si nous considérons les Canadiens que comme des consommateurs, le rapport entre l'État et le citoyen ne devient plus somme toute qu'un rapport d'échange monétaire, une simple relation commerciale, sans plus. Certes, la notion de citoyenneté interpelle à un niveau de relation tout à fait nouveau qui exige de bien comprendre les responsabilités, les droits et les devoirs, toutes ces choses que la loi tente de fixer.
Lorsqu'il s'agit pour le CRTC de s'occuper de diversité culturelle, les membres du comité savent, je n'en doute pas, qu'au milieu des années 90, c'était un peu comme si les commissaires s'étaient faits forcer la main par le conseil des ministres qui voulait qu'ils comprennent le sérieux que le gouvernement accordait à l'importance de la diversité culturelle dans le milieu de la radiodiffusion. Deux décrets du conseil avaient d'ailleurs été émis de manière à réserver certaines licences aux radiodiffuseurs minoritaires. Ici encore, cela en dit long sur l'entendement limité qu'on a de la loi, de ce qui est en cause ici et du rapport entre la loi et le citoyen.
¿ (0945)
L'une des raisons qui explique les changements qu'on constate actuellement au niveau des licences qui sont accordées est également l'un des résultats de la diversité des nominations faites au CRTC. Pour que le système demeure opérant, il est à mon avis extrêmement important que les commissaires soient issus de milieux très différents et qu'ils comprennent bien la diversité de la population canadienne, mais également les répercussions de leurs décisions sur le plan culturel, et qu'ils s'emploient à respecter à la fois l'esprit et la lettre de la loi.
Je vais m'arrêter ici mais je serai fort heureux de répondre à vos questions. Je vous remercie.
¿ (0950)
Le président: Merci beaucoup, professeur Karim.
Professeur Straw, vous avez la parole.
M. Will Straw (professeur, témoignage à titre personnel): Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, c'est pour moi un grand plaisir de comparaître devant vous.
Lorsque je demande à mes étudiants à McGill ce qu'ils pensent de la réglementation concernant le contenu canadien à la radio, 95 p. 100 d'entre eux se déclarent favorables. Lorsque je leur demande ce qu'il faut faire dans le nouveau monde de la radio numérique, là où la chaîne 95 diffuse du jazz Dixieland—voulez-vous que cette station diffuse 40 p. 100 de jazz canadien?—, ils commencent à y réfléchir. Voilà, pour moi, le dilemme.
C'est un dilemme en partie parce qu'il est possible de donner des millions de définitions différentes de la culture, mais, pour moi, l'une des choses importantes et intéressantes à la fois en ce qui concerne la culture, c'est que celle-ci est composée de tous ces médias et de tous ces produits culturels grâce auxquels nous emmagasinons notre histoire et notre passé et par lesquels nous les ramenons à la vie, nous les recyclons. Je dirais que c'est devenu particulièrement vrai avec l'avènement du monde télévisuel à 200 chaînes, où la plupart des nouvelles chaînes spécialisées offrent en fait des versions différentes de notre passé culturel—les documentaires qui repassent régulièrement sur le canal Histoire ou encore les nombreuses rediffusions de comédies sur le canal TV Land, et toutes les émissions qui passent sur la chaîne Mystery. Il y a également les stations de télévision qu'on peut capter par satellite—et ce sont d'ailleurs souvent les services venant des États-Unis qui sont offerts par le marché gris—et où on peut voir de vieux films indiens ou de vieux films tournés pendant la période de gloire de l'industrie cinématographique mexicaine. Ou alors, les gens écoutent les grands classiques du tango argentin et ainsi de suite. Que faire donc?
Pour moi, la question importante qui interpelle le Canada, ce n'est pas simplement les gens qui viennent se joindre à nous, mais plutôt ce que ces gens vont faire de leur passé culturel. Allons-nous lui ouvrir les bras? Allons-nous offrir ou autoriser des médias qui leur permettent d'avoir accès à ce passé culturel qui est le leur, ou allons-nous plutôt essayer de les exclure en produisant nos propres versions de ce que signifie pour nous la diversité? Voilà à mon sens un dilemme inextricable.
À mon avis, la diversité, cela ne consiste pas pour nous à réaliser des émissions télévisuelles où toutes les voix sont représentées, mais il s'agirait plutôt d'accueillir au Canada une palette beaucoup plus large de sources d'émissions. Lorsque, grâce aux satellites du marché gris ou au câble, les gens regardent les bulletins d'information à la BBC, de vieux films indiens tournés à Bollywood, tout cela à mon avis renforce la culture canadienne tout autant que s'ils regardaient une émission culturelle canadienne. Chaque fois que quelqu'un regarde à la télévision les émissions d'une station hispano-américaine diffusées par satellite, il ne rejette pas simplement la culture canadienne, il rejette également les réseaux américains et ainsi de suite. Ce téléspectateur se voit au niveau planétaire, il se voit d'une façon qui doit aussi commencer à nous interpeller ici au Canada.
Par conséquent, la diversité est devenue à mon avis quelque chose de très intéressant. Ce n'est pas simplement une question de diversité de choix, c'est plutôt une question de diversité de source. Nous devons à mon avis trouver le moyen de nous ouvrir davantage à toutes ces émissions qui sont réalisées dans les différentes parties du monde. Après un certain temps, cela aurait pour conséquence de réduire la portée et la dominance de la production américaine.
Je dirais d'ailleurs que la production américaine et ses auditoires sont de plus en plus fragmentés. Le pôle a disparu. Les enfants qui vont à l'école ne parlent plus de la même émission qu'ils ont regardée la veille parce qu'ils regardent tous des émissions différentes. Les gens qui nous arrivent d'autres pays apportent avec eux leurs vieux films, leur musique et ainsi de suite. Plus nous permettons à tous ces éléments culturels de pénétrer chez nous, plus nous faciliterons la création d'une nouvelle version de la culture canadienne qui sera davantage planétaire mais qui sera aussi de moins en moins américaine.
Je pense que c'est un genre de compromis. Il est impossible de recentrer davantage la culture canadienne en espérant que tout le monde va regarder Les filles de Caleb ou que sais-je encore, mais nous pouvons néanmoins rendre très différente de la culture américaine cette variété très riche de la culture canadienne, et c'est cela qui sera notre force. Je pense que c'est également cela qui fera du Canada un endroit extrêmement intéressant.
Le président: Merci beaucoup, professeur Straw, pour avoir imprimé à la discussion un angle différent.
Madame Sullivan, la parole est à vous.
Mme Rebecca Sullivan (professeure adjointe, témoignage à titre personnel): Merci beaucoup, et merci surtout de m'avoir invitée à prendre la parole dans ce groupe de discussion. Je voudrais par ailleurs remercier également ceux qui m'ont déjà précédée. Vous m'avez donné tout un tas d'idées, et en vous écoutant, j'ai un peu changé mon propos.
Ce dont je voudrais vous parler plus particulièrement parmi la gamme d'excellentes questions qu'on m'avait soumises, c'est cette idée de la manière dont nous définissons la diversité culturelle. Après avoir écouté mes éminents collègues, je continue toutefois à penser qu'au Canada, nous considérons la question de la diversité culturelle de façon prédominante comme une question de race et d'ethnicité, avec une pincée de bilinguisme ajoutée pour faire bonne mesure. Toutefois, en procédant ainsi, bien souvent, notre intérêt pour le modèle canadien, comme le signalait Karim, est réduit à une sorte d'homogénéisation, multiculturalisme nonobstant, plutôt que de s'étendre à la race et l'ethnicité à cause des différences qu'elles présentent.
Je voudrais aller un petit peu plus loin dans cette notion de diversité culturelle pour évoquer des choses comme la religion, comme le signalait John Meisel, la sexualité et l'affinité sexuelle, ainsi que les classes et l'économie. Lorsque nous parlons de diversité et que nous y intégrons cette notion de culture, nous avons tendance à esquiver certains des problèmes pourtant bien réels d'inégalités sociale, politique et économique, problèmes pas uniquement dus à la façon dont ces différentes cultures sont représentées, mais plutôt à la possibilité pour ces groupes d'avoir leur juste part des ondes.
Je vais vous donner un exemple. J'habite actuellement à Calgary, en Alberta, où le principal radiodiffuseur est Shaw Cable Systems. Au moment de la conversion au numérique, PrideVision n'a pas reçu le même accès que toutes les autres stations, et s'il n'a pas reçu le même accès que les autres stations, c'était prétendument pour des raisons de normes communautaires. En d'autres termes disait Shaw, nous ne répondons qu'aux besoins culturels de notre auditoire. Si un téléspectateur voulait avoir PrideVision dans son abonnement de base, il devait téléphoner, et payer—pas grand-chose, un cent plus les taxes—, mais chaque fois qu'il veut voir une émission, il doit téléphoner. Il ne s'agissait donc pas de téléphoner une fois pour toutes, il fallait téléphoner chaque fois qu'on voulait regarder une émission. Il fallait donc sans cesse demander ce service, alors que toutes les autres stations étaient considérées comme bien canadiennes en ce sens qu'elles n'offensaient pas les normes communautaires. Eh bien, que nous le voulions ou non, ce genre de traitement est basé sur un préjugé.
Voici donc la question qui, à mon sens, doit être prise en compte: Lorsque nous parlons de diversité culturelle, nous devons également parler de diversité sociale, de diversité économique, de diversité politique, d'accès et de pouvoir, mais aussi nous demander comment ces autres voix peuvent faire partie du système afin précisément qu'un changement culturel véritable et significatif survienne au Canada.
C'est tout ce que je voulais vous dire pour l'instant. Je vous remercie beaucoup.
¿ (0955)
Le président: Merci, madame Sullivan.
Monsieur Beaty.
M. Bart Beaty (professeur adjoint, témoignage à titre personnel): Je vous remercie.
Je suis très heureux de comparaître devant le comité aujourd'hui. À l'instar de la professeure Sullivan, moi aussi j'ai changé mon propos en entendant parler certains de mes collègues.
Tout comme le professeur Straw, je voudrais commencer en parlant de mes étudiants. Chaque fois que je donne un cours sur la télévision ou la culture visuelle par exemple, je me sens immanquablement obligé de me mettre au diapason de mes étudiants en parlant de ce qu'ils regardent eux, et pas seulement de ce que je voudraient qu'ils voient. Je voudrais donc en dire quelques mots.
Je leur parle régulièrement de ce qui se passe sur les ondes des diffuseurs canadiens, et immanquablement mes étudiants écarquillent les yeux. Si j'ai une centaine d'étudiants dans ma classe et si je leur parle d'une émission canadienne qui a été diffusée par Radio-Canada ou par CTV la veille, ils ont l'air interloqués. Je leur dis alors: «Qu'avez-vous regardez hier soir à la télévision?» Et ils me répondent qu'ils ont regardé ABC, la chaîne Découverte ou encore le réseau des sports.
Je me rends donc compte qu'il est extrêmement difficile de parler à mes étudiants de télévision ou de radiodiffusion au sens contemporain parce qu'ils ne regardent pas tous la même chose. Il y a donc cette énorme diversité, même au sein d'un groupe relativement limité comme un groupe d'étudiants qui suivent un cours spécialisé à l'Université de Calgary. Et ce serait probablement pire encore si nous parlions de radio.
Je pense que la réglementation canadienne a produit jusqu'à présent de bons résultats mais c'était une autre ère. Je pense que le temps est venu, surtout à l'époque de la convergence, de commencer à repenser les modèles que nous utilisons pour réglementer la radiodiffusion.
L'un des problèmes que pose la diversité culturelle, c'est que nous avions jadis tendance à penser qu'il est possible de faire en sorte que les chaînes réservées par le CRTC aux voix minoritaires...qu'il est possible d'en faire une solution parfaite. Nous pensions pouvoir faire de cette chaîne un médium s'adressant de façon parfaite à une composante bien délimitée de la population canadienne, un médium qui donnerait à cette population l'image exacte de ce qu'elle veut voir à la télévision et de la façon dont elle veut être entendue. Mais je ne pense pas que ce soit vrai.
Je pense que nous aurions beaucoup intérêt à offrir une palette de choix, ce dont le professeur Straw a déjà parlé d'ailleurs, à ces différentes sous-populations, au lieu d'essayer de trouver le créneau exact qui va pouvoir mobiliser une population entière.
Dans la situation actuelle, le problème semble être dû à la redondance et à la dépendance par rapport au modèle canadien. Ainsi, au lieu d'avoir une vaste gamme de choix, le choix au contraire se rétrécit sans cesse de sorte que, à la télévision, vous voyez toujours les mêmes émissions diffusées par des réseaux différents, et qui passent sur les chaînes américaines et les chaînes canadiennes au même moment en raison de la substitution simultanée. Je pense que cet état de choses a pour effet de limiter inutilement les choix offerts aux Canadiens.
À mon avis aussi, la popularisation des satellites du marché gris dont vous parliez précisément dans vos questions nous appelle en partie—même si à mon avis il y a également d'autres facteurs—à reconnaître le fait que les Canadiens ne bénéficient pas, en fait de programmes, des options qu'ils aimeraient avoir. Ainsi, un Canadien hispanophone a beaucoup plus de choix sur le marché gris. Les Américains ont Univision, Galavision et des douzaines d'autres chaînes hispanophones. Au Canada, il y a Telelatino. Si vous cherchez de la diversité, il est donc très tentant de céder au marché gris même si c'est illégal.
Et même si c'est illégal, je ne pense pas que les gens le considèrent comme tel. J'ai vu une publicité—vous l'avez vue aussi, j'en suis sûr—publiée il y a un ou deux jours dans le Globe and Mail et qui disait précisément la même chose. Je pense toutefois que le fait que l'industrie de la câblodistribution est obligée de faire de la publicité pour signaler que c'est quelque chose d'illégal atteste bien du fait que la population n'est pas du même avis et qu'il y a des centaines de milliers de Canadiens qui aimeraient que les choses changent car ils estiment que la façon dont nous conceptualisons actuellement leurs besoins en matière de radiodiffusion est radicalement fausse.
Le professeur Straw a dit qu'il fallait penser la radiodiffusion canadienne sur un plan davantage planétaire et faire en sorte que les gens eux aussi pensent à une échelle plus planétaire. Si nous nous y prenions ainsi, nous multiplierions les potentialités pour les radiodiffuseurs canadiens qui pourraient ainsi exercer leurs talents locaux. Ainsi, l'une des meilleures façons pour les diffuseurs canadiens de devenir les véritables concurrents des diffuseurs américains, c'est précisément leurs connaissances de la société canadienne, des intérêts canadiens et des histoires canadiennes. Mais actuellement, le système privé de radiodiffusion dépend beaucoup trop de la production américaine.
À (1000)
Je pense qu'il faut remédier à cette dépendance, et que ce soit par des subventions à la production ou toutes autres méthodes, qu'il faut améliorer la capacité des radiodiffuseurs privés et publics du pays à tirer parti de la compétence des Canadiens et de la mettre sur le marché mondial de la radiodiffusion.
Je vais m'arrêter ici.
Le président: Merci beaucoup.
Écoutons M. Lapointe.
M. Kirk Lapointe (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs du comité, pour cette occasion de comparaître devant vous aujourd'hui.
J'ai sans doute été invité à cause de mon travail à CTV, à la tête de l'initiative de diversité de l'entreprise, lorsque j'étais vice-président principal des nouvelles, ainsi qu'en raison de mon travail à l'Association canadienne des radiodiffuseurs, où j'ai lancé et présidé le groupe de travail sur la diversité culturelle, à l'oeuvre actuellement, ainsi qu'à titre de directeur de salle de nouvelles de médias écrits, pour Southam et Torstar. Je demande toutefois que mes commentaires d'aujourd'hui soient considérés comme un témoignage à titre personnel, et non comme l'expression de la position d'une de ces sociétés. Je suis actuellement entre deux emplois et dans quelques semaines, la situation aura bien changé.
En tant que journaliste et gestionnaire, j'ai beaucoup d'expérience dans les efforts déployés pour que les médias soient au service du pays et de nos collectivités, et qu'ils les renforcent. Pour tous les médias, l'un des grands problèmes, c'est l'isolement par rapport à l'auditoire. Les Canadiens sont de plus en plus désillusionnés et ne consomment plus nos produits. Ce qui est particulièrement inquiétant, c'est que la prochaine génération de consommateurs pourrait très bien se détourner de nous, si nous ne répondons pas très bientôt à leurs préoccupations.
Ce malaise au sujet des médias a de nombreuses causes. Certains estiment que nous sommes injustes. Nous nous trompons parfois, et nous consacrons beaucoup trop de temps à des choses sans importance et trop peu à la recherche de choses importantes. Mais l'un des principaux défis pour tous les médias, c'est de faire en sorte que l'auditoire se reconnaisse dans notre travail. Est-ce que nous racontons ce qui lui arrive? Est-ce que nous parlons de ses expériences? Sommes-nous le reflet exact de la diversité de la vie au Canada? Est-ce que notre miroir est le plus exact? Dans la négative, nous perdrons de plus en plus de la crédibilité nécessaire pour traiter des affaires publiques, dans les années à venir. Nous pouvons tabler sur notre réputation et profiter du fait que d'autres médias, plus crédibles, n'ont pas encore pris notre place, mais c'est récolter sans penser au lendemain, sans préparer l'auditoire futur qui est essentiel à notre subsistance.
D'après mon expérience, le défi de la diversité ne s'explique pas simplement et ne se vit pas non plus simplement. Pour commencer, la «diversité» est un terme très englobant portant sur le sexe, l'âge, le groupe ethnique, la race, les croyances spirituelles et philosophiques, l'orientation sexuelle, les déficiences, etc. Chaque cas est différent. Deuxièmement, il est très difficile de relever le défi de la diversité. On n'y arrive pas en un temps deux mouvements. Il ne s'agit pas de fixer des objectifs quantitatifs, d'adopter certaines méthodes de recrutement et de promotion et de suivre les progrès obtenus. C'est un processus quotidien, méthodique et lent, auquel tous les membres de l'organisation doivent participer sans y être forcés, pour créer un média plus perfectionné.
Pour cela, les médias doivent constamment grossir leur bassin de contacts dans les collectivités, faire l'effort d'ajouter de nouvelles voix à leur direction et dans la présentation des faits et élargir leurs sources de recrutement, pour que l'avancement soit offert en fonction du mérite. Ainsi, les médias ont de meilleures chances de réussite dans la promotion de la diversité, sans que cela devienne artificiel.
Certains prétendent que les progrès sont beaucoup trop lents et qu'il faut faire pression pour faire bouger les choses. Encore une fois, d'après mon expérience, ce n'est plus vrai. Les médias ont depuis longtemps compris les avantages de la diversité et décidé que c'était bon pour les affaires. La pression vient de l'intérieur, s'exprime partout et est bien ancrée. Je m'explique: pendant la dernière décennie, tout en essayant d'atteindre les objectifs de diversité, nous avons subi des contraintes financières et des restructurations qui ont nui à la formation et au recrutement. Les nouvelles recrues, ceux qui avaient le moins d'ancienneté, ont souvent été mises à pied lorsque se présentaient des problèmes financiers et les programmes de formation ont été les premiers sacrifiés, quand l'argent se faisait rare.
Étrangement, ce sont les plus gros médias qui ont le plus souffert. Ils ne se sont pas concentrés sur la formation des employés, parce qu'ils se sentaient en position de force. Ils ne faisaient ni recrutement ni promotion, pendant leur consolidation, et le reste du temps, il y avait peu de roulement chez les employés. D'une certaine façon, dans la recherche de la diversité, nous avons perdu une génération.
Quand je me suis occupé de cette question, ces dernières années, j'ai constaté que les grands et les petits médias comprennent maintenant les défis à relever et s'y appliquent. Ils craignent de perdre de l'auditoire et se démènent pour en attirer. En plus de recruter plus intelligemment, ils forment leur nouvelle main-d'oeuvre à la présentation améliorée de nouvelles qui reflètent bien la vie de leurs collectivités. Il y a du rattrapage à faire, mais ils sont sur la bonne voie. Essentiellement, ils ont compris le message et agissent. Il leur faut toutefois du temps. Je ne crois pas qu'il y en ait, mais ceux qui ne réagiront pas seront pénalisés par une érosion constante de leur auditoire, alors que les autres seront de plus en plus intégrés à leurs collectivités.
À (1005)
Je m'attends à ce que le groupe de travail sur la diversité culturelle de l'ACR, sous l'égide du CRTC, proposera des mesures crédibles menant à un changement réel et durable ainsi que les meilleurs moyens par lesquels les médias pourraient arriver à cet objectif d'offrir aux Canadiens un véritable reflet d'eux-mêmes. J'encourage fermement les responsables de la réglementation et des lois à ne pas agir de manière à susciter du cynisme au sujet de cet exercice ou d'autres activités. Aucun employé ne mérite de n'être qu'un numéro, servant à atteindre un objectif social. Aucune collectivité n'a besoin de croire que ses médias sont obligés de lui parler d'une certaine façon, contre leur gré.
De tout ce que j'ai fait en radiodiffusion, je suis particulièrement fier des progrès réalisés au cours des dernières années dans la création d'une culture de la diversité journalistique durable. Nous y sommes arrivés avec un appui soutenu du personnel, de la gestion et le fait que tous croyaient vraiment que c'était un objectif nécessaire, que c'était la bonne chose à faire. Il est essentiel que cet exercice crée chez les médias une culture de l'engagement et non une culture de la conformité. Il faut récompenser l'apparition de la diversité sans pour autant la forcer. C'est dans la diversité qu'on voit les meilleurs médias, ceux qui servent le mieux le pays, et toutes les organisations de bonne réputation que je connais veulent être les meilleures.
Merci, monsieur le président.
À (1010)
Le président: Vous avez la parole.
Mme Deanie Kolybabi (directrice, Développement stratégique et marketing, Aboriginal Peoples Television Network): Je suis très heureuse de pouvoir vous entretenir des questions à l'étude aujourd'hui.
Je dirai au départ que je suis d'accord avec la plupart des remarques qu'ont fait les autres témoins. Mais je ferai surtout état des défis et des intérêts du Aboriginal Peoples Television Network.
Ayant oeuvré dans le domaine de la diversité culturelle et de la représentation équitable des sexes dans les communications à la télévision et à la radio pendant 30 ans, mon expérience à APTN m'a appris des tas de choses auxquelles je ne m'attendais pas alors que je suis en fin de carrière. J'aimerais vous en communiquer certaines.
Quant à la question qu'on nous avait demandé d'étudier, je suis d'accord pour dire que la diversité culturelle est en grande partie représentative de pratiques et croyances diverses qui émanent de l'expérience humaine au niveau du patrimoine, de l'âge, du sexe, de la spiritualité—au fond, de nos origines.
Je dirai aussi que, même si l'image que transmettent les personnalités de la diversité multiculturelle ou culturelle au petit écran et sur les ondes est importante, une question plus importante qu'on rencontre au niveau des décideurs et de l'infrastructure des organisations, soit de veiller à ce que les messages nous soient transmis dans la perspective des expériences humaines qui se prêtent à la diversité culturelle. Pour l'APTN, c'est souvent un défi parce qu'un grand nombre de communautés autochtones et de réalisateurs autochtones ne connaissent la télévision que depuis peu, dans certains cas, à peine 25 ans. Nous marquons un certain retard dans la compréhension et dans la réception de leurs messages.
Pour moi, le plus grand défi pour ce réseau, qui représente un grand pas en avant dans la représentation de la diversité culturelle dans le monde de la radiodiffusion canadienne... Nous sommes «d'abord un monde»; nous sommes encore «seulement un monde», et la planète a les yeux fixés sur nous. Nous avons reçu la visite de Taïwanais, de Japonais, d'Américains, d'Australiens et de néo-Zélandais qui étaient tous désireux de savoir comment nous allons créer un réseau voué aux cultures autochtones et résolu à partager ces cultures avec tous les Canadiens.
Ce que nous avons appris, toutefois, c'est qu'il existe un plus gros problème que les questions de gestion, dont il faut tenir compte dans la représentation de la diversité culturelle, et c'est le paradigme de la culture, surtout celles qui nous permettent de déterminer dans quelle mesure nous valorisons les émissions culturellement diverses que nous produisons et comment nous valorisons en fait cet auditoire.
Ce que je veux dire par là, c'est que dans l'industrie de la radiodiffusion, nous savons tous que nous sommes traditionnellement jugés en fonction des recettes et des cotes comme celles de Nielsen et de BBM. C'est la norme de l'industrie. Mais ni l'une ni l'autre n'évalue North of 60 ni ne considère les Autochtones comme un groupe ethnique.
Nous sommes un réseau qui est continuellement jugé en fonction de ce qui constitue un auditoire important mais secondaire, nous ne sommes pas jugés en fonction de l'auditoire premier que nous desservons, et en fait, on est incapable de nous juger là-dessus.
Si vous ajoutez à cela le fait que le FCT et Téléfilm accordent une grande importance aux cotes Nielsen et BBM, on comprend tout de suite la nécessité de réfléchir très sérieusement à la restructuration de ce genre de paradigme. Si en fait nous allons envisager une programmation culturellement diverse, nous devons au départ, je crois, nous interroger sur les instruments de mesure qu'on utilise pour juger ces programmes, ces initiatives et même ces réseaux.
Y a-t-il trop de diversité ou pas assez? Je pense qu'à plusieurs égards, il y en a trop peu. Quand nous tombons sur un modèle qui donne des résultats, nous voulons en faire un instrument universel. Le fait est que, pour un réseau comme APTN, si nous réussissons à tenir toutes nos promesses et à respecter tous les critères de notre permis, l'Autochtone moyen se verra lui-même sur notre réseau 3,666 minutes par semaine.
Quand on adhère à la diversité, il faut bien prendre garde que nos attentes ne soient pas exagérées, ce qui ferait du tort au modèle d'entreprise dont ces émissions et ces réseaux ont besoin pour survivre.
À (1015)
En ce qui concerne la reconnaissance par le gouvernement fédéral de la diversité culturelle et le fait de savoir si l'approche convient ou non, ce que j'aimerais dire ici, c'est que là encore, nous sommes encore là des pionniers. Dans le contexte de l'industrie de la radiodiffusion canadienne, c'est une étiquette dont nous sommes très fiers, mais il faut également savoir que lorsqu'on fait oeuvre de pionnier, on crée souvent de nouvelles pistes, qui s'écartent des chemins traditionnels que nous avons empruntés.
Ce que je veux dire ici, c'est que nous avons eu du mal à contacter divers secteurs du gouvernement, des secteurs où j'avais connu beaucoup de succès avec d'autres formules de réseau de télévision. C'est la première initiative panautochtone en Amérique du Nord. C'est la première fois que des Inuit, des membres des Premières nations et des Métis sont réunis autour d'une même table. Mais il n'existe toujours pas au sein du gouvernement un secteur panautochtone qui pourrait répondre à nos besoins et à nos préoccupations et qui pourrait aider le réseau à relever les défis qui l'attendent.
Si, dans l'ensemble, on fait une distinction entre le multiculturalisme et les dossiers de la culture autochtone pour de très bonnes raisons, je vous invite à vous rappeler qu'en matière de diversité culturelle, il existe des synergies. Il faut prendre garde d'isoler des groupes dans des cas où le bon sens commande que l'on profite de ces synergies tant sur le plan financier qu'au niveau du partage des idées.
En bref, les problèmes que pose le marché gris ne sont pas du tout les mêmes pour les communautés autochtones du Canada que pour un grand nombre d'autres communautés. Si l'on trouve des antennes paraboliques donnant accès au marché gris dans nos communautés, c'est essentiellement parce que nous n'avons pas accès au câble et que nous n'avons pas les ressources financières voulues pour utiliser le satellite traditionnel. Nous sommes actuellement en pourparlers avec les entreprises canadiennes de satellite pour mettre au point des programmes qui régleront ces problèmes, mais c'est pour beaucoup le défi que posent les antennes paraboliques du marché gris, qui se retrouvent souvent dans les grandes communautés du Canada. Comme je l'ai dit, les difficultés de la radiodiffusion autochtone ont sûrement beaucoup en commun avec celles qui se posent à la programmation multiculturelle, mais ces difficultés nous donnent aussi une perspective unique sur les problèmes qui s'annoncent.
Un représentant de la communauté antillaise du Canada est venu me voir à Banff et m'a dit que la création de l'APTN avait valeur de symbole héroïque pour sa communauté qui en suivrait attentivement l'évolution. Ce sont là les synergies dont je parle. Quand on parle des difficultés des minorités visibles, bon nombre d'entre elles sont les mêmes lorsqu'on se penche sur la question de la représentation dans l'industrie de la radiodiffusion partout au Canada. L'heure est venue de partager ces idées, de discuter de ces défis et de trouver ensemble des solutions.
Je dirai en terminant que nous sommes évidemment très fiers de la création de l'APTN. Comme je l'ai dit, cette expérience m'a beaucoup appris. J'ai dit récemment à l'ACR à Vancouver qu'à mon avis, l'expérience que la création de ce réseau nous a permis de vivre est riche de leçons pour toute l'industrie de la programmation, les distributeurs, les entreprises de satellite et de câble, et ce sont là des questions qui doivent faire l'objet d'un débat. Je constate souvent qu'on tient certaines choses pour acquises, et au sein des réseaux, on oublie souvent la perspective autochtone dans les discussions qui portent sur les questions autochtones ou la diversité culturelle.
Je crois que notre industrie ne voit pas ce qui se fait de mieux dans le domaine de la radiodiffusion canadienne: à savoir, la création d'un modèle, le premier dans le monde, qui est riche d'enseignement pour nous tous.
Le président: Merci beaucoup.
Vous vous rappelez que notre comité a visité l'APTN, et que nous avons tous été vivement impressionnés par ce que vous avez réussi à faire en quelques courtes années. Vous êtes des pionniers, et votre oeuvre est très impressionnante.
Madame Lill.
À (1020)
Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD): Merci beaucoup de toutes vos remarques.
Nous avons entendu en premier le professeur Meisel qui a cité l'alinéa 3(1)d) de la Loi sur la radiodiffusion:
d) le Système canadien de radiodiffusion devrait |
(i) servir à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada. |
Nombreux sont ceux ici qui ont dit que cela ne se faisait pas. J'ai entendu parler d'efforts qui ont été faits pour tenir compte des aspects ethniques et raciaux, efforts qui n'ont pas vraiment été couronnés de succès. On ne montre pas les aspects de la diversité qui entrent dans le mode de vie, ou la foi, la spiritualité, la sexualité et les considérations économiques qui reposent sur les classes. Même chose pour les personnes handicapées et celles qui ne le sont pas—je le constate tous les jours.
Ce qu'on essaie de comprendre ici, ce sont les éléments de la loi et des règlements qui ont donné de bons résultats. Personne ne nous a dit que nous avions bien réussi. En fait, certains des changements qui ont été apportés au cours de la dernière décennie ont eu pour effet de réduire la programmation locale et régionale, de permettre aux entreprises de câblodiffusion d'investir de l'argent dans la programmation communautaire ou dans le RCT... Tous ces règlements ont diminué la capacité qu'ont les communautés, qu'il s'agisse de communautés régionales, ethniques ou autres, de se faire entendre.
J'ai trouvé très intéressant que Karim Karim ait dit que la diversité culturelle que nous voyons aux nouvelles, est sublimée. Le fait est qu'on se retrouve en présence d'une personne qui provient d'un certain groupe ethnique mais qui ressemble en fait beaucoup plus à Peter Mansbridge ou à un autre; ces personnes s'efforcent de prendre le visage de la culture dominante. Ce n'est pas l'opinion de Kirk Lapointe, qui dit qu'on fait un beau travail, donc qu'on nous fiche la paix;qu'on n'a pas besoin de règlements nouveaux parce que ceux qu'on a déjà marchent très bien.
Je vois une grande divergence d'opinion entre vous deux, et je pense que c'est une question très importante qui doit retenir l'attention de notre comité.
J'imagine que ma question s'adresse à vous tous. Je n'ai pas beaucoup de temps et vous non plus. Croyez-vous que les alinéas 3(1)c) et d) de la Loi sur la radiodiffusion ont donné les résultats escomptés? Ou est-ce que ces dispositions ont été totalement vidées de leur sens par l'avènement des conglomérats multimédias et de la concentration des médias? Est-ce qu'on constate en réalité des progrès dans ce domaine, ou notre comité doit-il proposer des mesures radicales pour assurer l'avenir de la diversité culturelle?
Le président: Qui veut répondre?
Monsieur Meisel.
M. John Meisel: Monsieur le président, je vais essayer de répondre en quelques mots.
Je crois que la Loi sur la radiodiffusion a connu un très grand succès. J'essaie d'imaginer à quoi le Canada ressemblerait sans cette loi. Sans cette loi, notre industrie serait une réplique parfaite de l'industrie américaine, sans plus. Donc je crois qu'en ce sens, la loi a donné de très bons résultats.
Il subsiste certaines lacunes, mais on note avec intérêt ici que ces lacunes sont largement causées par le fait que le système de radiodiffusion représente trop bien la communauté canadienne. Ce qui manque dans le système de radiodiffusion, ce sont aussi les éléments qu'on oublie ailleurs au pays. En ce sens, je crois que l'industrie de la radiodiffusion est devenue un miroir très fidèle de notre pays. Ce qu'il faut faire, c'est peut-être offrir le genre de services spécialisés qui compenserait les lacunes du système, lesquelles reflètent les lacunes de notre société.
À (1025)
Le président: Monsieur Karim.
M. Karim Karim: Oui, je suis d'accord avec M. Meisel sur le fait que, dans l'ensemble, la loi semble donner les résultats escomptés. Je constate qu'il y a une diversité remarquable dans ce qu'offre notre univers à 200 canaux. J'ignore le nombre des autres pays qui offrent cette diversité
Ce qui nous avantage particulièrement au Canada, c'est que la structure des licences encourage—exige, en fait—que les titulaires de licences offrent un contenu canadien. C'est extrêmement important également pour les canaux qui desservent les groupes minoritaires, quels qu'ils soient, car cela leur donne un sentiment d'appartenance au pays en plus d'autres types d'appartenance. Permettez-moi de prendre un instant pour étoffer cette affirmation.
On ne saurait méconnaître les liens qu'ont les gens avec le reste du monde. Will Straw a également abordé cette idée. La notion de diaspora fait l'objet de nombreuses études. En fait, je l'étudie moi-même depuis cinq ans. Les pays d'origine ont également une façon remarquable de réagir aux diasporas, vers quelque pays qu'elle soit—le Canada, les États-Unis, la Grande-Bretagne, d'autres parties de l'Europe, l'Australie, etc.
Prenez l'exemple du gouvernement de l'Inde qui a créé une catégorie de citoyens appelés Indiens non résidents. Chaque année, le gouvernement de l'Inde envoie une commission de haut niveau étudier les besoins culturels des Indiens non résidents partout au monde. Cette commission publie un rapport de 700 pages. Dans certains groupes partout au monde, on reconnaît qu'il existe des liens latéraux qui franchissent les frontières.
Dans les politiques que nous élaborons au Canada, vous ne pouvez pas ne pas tenir compte des liens entre les immigrants et leur pays d'origine. Ces liens vont continuer d'exister. Le défi, c'est de voir comment nous pouvons maintenir ce sentiment d'appartenance au Canada en plus des autres liens qui existeront de toute façon. Le contenu canadien est une exigence très importante.
Je suis abonné à certains canaux numériques des services ethniques et j'en vois le résultat. Les communautés ethniques ont besoin de savoir ce qui se passe dans leur propre collectivité au Canada—ce sont des liens qu'on retrouve dans la programmation hybride, par exemple dans ce qu'offre Omni.1 ou Omni.2. Une telle programmation permet d'offrir des émissions téléphoniques en anglais ou en français et d'aller chercher la participation de personnes à l'extérieur de la communauté. La station de radio CHIN offre un peu le même genre de choses. C'est cela qu'il faudrait encourager.
Marc a également mentionné que—idéalement—les canaux qui obtiennent des licences pourront desservir une communauté particulière et ne desserviront que cette communauté. Les choses ne se passent pas de cette manière. Il n'y a pas de cloison étanche. Les gens regardent ce qu'il y a aux autres canaux et écoutent à l'occasion les émissions de ces postes. C'est pourquoi il est aussi important qu'il y ait une représentation de la diversité de la population dans le service de base. Comme Rebecca l'a fait remarquer, s'il faut s'abonner à un service particulier, s'il faut le demander constamment, les gens à l'extérieur des communautés n'auront pas accès à ces services. Cela s'applique tant à la télévision qu'à la radio AM et FM.
Les EMCS ont offert de nombreux débouchés pour d'autres diffuseurs, mais il faut disposer de la technologie nécessaire pour recevoir la programmation multiplexe. La loi actuelle répond à certains besoins, mais nous devons mieux comprendre comment on répond à ces besoins sur le terrain.
Le président: Monsieur Straw, je vais vous demander de répondre brièvement, car autrement... Il faut également permettre à d'autres députés de poser des questions. Monsieur Straw.
À (1030)
M. Will Straw: Mon opinion au sujet de la diffusion par satellite a beaucoup changé. Il y a 10 ans, les abonnés à la diffusion par satellite du marché gris étaient des hommes qui vivaient loin de tout et qui regardaient le canal Playboy. À l'heure actuelle, ce sont des restaurants indiens sur la rue Jean Talon, à Montréal, où on peut écouter des films d'Hollowood. Je suis d'accord avec mon collègues Karim Karim sur le fait que nous devons offrir des émissions qui rejoignent la population au Canada, mais j'aimerais avoir accès à un réseau en provenance de l'Inde pour écouter des émissions de variétés, des films, etc.
Le problème de la télévision américaine ne pourra plus être résolu par des attaques mutuelles. À mon avis, la télévision américaine va se trouver diluée, peut-être même effacée, dans la gamme beaucoup plus vaste et beaucoup plus riche des possibilités. On dit toujours que la télévision canadienne s'américanise et que la télévision américaine se canadianise. On produit maintenant des émissions qui disparaissent rapidement des ondes et de la mémoire des gens, mais en marge, il y a toutes sortes de choses intéressantes. Nous pourrions faire bien davantage pour offrir ici des émissions venant d'autres pays et créer vraiment...
Le problème de bon nombre d'émissions des communautés ethniques, c'est que leur contenu est utile mais pas très divertissant. J'aimerais pouvoir amener beaucoup plus d'émissions de divertissement de partout au monde. Ceux-là favoriseraient grandement les bonnes relations ethniques et notre sentiment de diversité au Canada.
Le président: Merci.
Monsieur Lapointe.
M. Kirk Lapointe: Je m'en voudrais de défendre un radiodiffuseur qui a été mon rival pendant un certain temps, mais je crois que nous rendons un mauvais service à Suhana en laissant entendre qu'elle se fond dans la masse en prononçant son nom d'une certaine façon. Je sais pertinemment qu'elle consacre beaucoup de temps à du travail communautaire, ce qui est typique de la plupart des journalistes qui viennent de communautés de minorités visibles. Ils portent tout le poids du monde sur leurs épaules et, à mon avis, ils sont les héros d'aujourd'hui en radiodiffusion.
Je ne crois pas qu'il faille les discréditer ou les exclure de quelque façon que ce soit. Je ne connais pas un seul journaliste blanc qui se sente responsable d'autre chose que de sa famille au quotidien, et pourtant, j'ai embauché des gens qui portent le poids de 200 000 âmes sur leurs épaules et qui estiment qu'ils doivent être les représentants de leur communauté jour après jour après qu'ils ont fait leur reportage. Nous devons éviter de les exclure, de dire que le système a assimilé ceux qui y sont venus à partir de diverses communautés.
J'ajouterai également que le problème de la propriété de divers médias fait office de croquemitaine dans le dossier de la diversité. Dans le cas du canal CTV, il ne faut pas oublier que ce canal a été acheté par BCE, qui a obtenu de nombreux avantages grâce au processus du CRTC, des avantages qui lui ont permis d'aider des organisations comme APTN et d'autres qui défendent la diversité au Canada. Voilà des mécanismes que les organismes de réglementation peuvent utiliser très efficacement pour mettre en place un système doté d'une diversité plus organique plutôt qu'un système qui s'aligne sur le modèle commercial.
Même si nous sommes tous de grands défenseurs de la diversité, nous devons également comprendre que la diversité doit être profitable pour tous. Elle doit être profitable pour les organisations qui la défendent et ne peut pas leur être imposée. À ceux qui disent que le modèle commercial est radicalement modifié, je répondrai qu'ils devraient étudier ce modèle commercial aujourd'hui. Qu'ils examinent l'orientation de la radiodiffusion conventionnelle, les tendances actuelles et ses perspectives de bénéfices pour les cinq prochaines années, alors que les radiodiffuseurs américains arrivent peut-être à passer outre au système canadien et à diffuser directement dans les foyers de nos citoyens. Vous constaterez que les radiodiffuseurs conventionnels craignent pour leur existence et que toute tentative de modifier le modèle à partir duquel ils essaient de construire des entreprises viables ne fera que corrompre ce système.
Le président: Madame Sullivan.
Mme Rebecca Sullivan: Je tiens à vous remercier tous de nouveau; vos propos m'ont fait réfléchir. Nous avons toujours partagé cette angoisse collective constante au sujet de la radiodiffusion canadienne, mais je trouve que le Canada est bien loin de faire piètre figure. Maintenant, tout comme au cours de notre histoire, nous sommes en position de force. Nous diffusons les émissions les plus ouvertes et les plus diversifiées au monde. Si l'on ajoute à cela le service par satellite, que ce soit un service canadien ou celui du marché gris, il y a là un potentiel énorme.
À mon avis, pour commencer à voir comment on pourrait ouvrir les ondes et récupérer le marché gris, examiner ce qu'est la culture canadienne, la télévision canadienne ou la radio canadienne en ciblant un auditoire plutôt qu'en imposant un contenu particulier, voir ce que différents auditoires canadiens écoutent, sur les ondes, et qu'est-ce qu'ils intègrent à leur sentiment d'appartenance au Canada.
Parallèlement, on peut également examiner certains modèles canadiens qui remportent un énorme succès—international—APTN, par exemple. Pride Vision est également le premier réseau au monde à l'intention des gais et des lesbiennes. Nous avons des possibilités incroyables d'innovation au Canada. Ce qui est gratifiant, c'est que cela ne se limite pas au marché canadien. Le service est offert sur le marché canadien, mais il peut être offert au monde entier; comme Karim l'a fait remarquer, il y a une réaction à la diaspora et nous devrions continuer à favoriser—au moyen de subsides, d'aide financière, de programmes et de lois—ces innovations de chez nous.
À l'heure actuelle, nous pouvons devenir des chefs de file de la radiodiffusion en conjuguant ces services locaux et internationaux, et avec l'appui public du gouvernement. En outre, l'innovation et l'esprit d'entreprise, qu'on attribue généralement au secteur privé, sont révélateurs de ce qu'a fait le secteur de la radiodiffusion au Canada et de ce que nous pouvons faire grâce à l'ouverture.
À (1035)
Le président: Permettez-moi de vous interrompre maintenant afin de donner l'occasion à d'autres députés de poser leurs questions. C'est un peu comme un deuxième tour de table et les députés n'ont pas l'occasion de poser des questions.
Je vais maintenant donner la parole à Mme Bulte, puis à M. Bonwick et à M. Harvard.
Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci d'être venu nous présenter vos opinions très intéressantes et très diverses. Je ne suis pas d'accord avec toutes, je l'avoue, et je ne suis pas du tout persuadée que les câblodistributeurs devraient assimiler le marché gris.
Malheureusement, la population estime qu'elle a le droit de télécharger de la musique à partir de l'Internet. Pour ma part, je crois que c'est du vol. Il est très facile de désinformer le public, de dire que c'est bien de le faire parce qu'on n'y peut rien et que cela se fait à l'insu de tous. Toutefois, c'est mal d'aller dans une épicerie et de voler des produits. Pourquoi le vol ne s'appliquerait-il qu'aux choses matérielles? Je vous encourage à nous aider, en tant qu'universitaires, à diffuser le message que nous devons respecter nos créateurs. Nous n'aurons pas de contenu canadien s'ils vont s'établir ailleurs parce qu'ils y sont mieux protégés. Nous devrions faire bien attention de ne pas légitimiser de quelque façon que ce soit le marché gris de la radiodiffusion par satellite.
J'ai trouvé tous vos sujets fascinants. J'ai une brève observation à l'intention de M. Karim, au sujet de Suhanna. Je vous mets tous au défi de bien prononcer mon nom. Le commentaire était un peu injuste. J'ai tendance à angliciser mon nom afin que les gens puissent m'appeler par mon nom plutôt que de ne pas m'appeler du tout. Je suis indignée par vos commentaires et je suis d'accord à ce sujet avec M. Lapointe.
Monsieur Lapointe, vous avez parlé du groupe de diversité culturelle que vous dirigez. Cet été, l'ACTRA est venue me consulter, comme elle a j'en suis sûre consulté bon nombre de gens. Ses représentants s'inquiétaient de ce que la programmation canadienne est en train de disparaître. Malgré la politique de diversité culturelle que le CRTC a mise en place, il semble que nous sommes incapables de conserver cette diversité parce que nous sommes désavantagés. Qu'est-ce qu'une production canadienne? Je sais que l'ACTRA exerce de fortes pressions pour que les productions canadiennes soient entièrement canadiennes. Je sais par contre que les producteurs—et je parle des petits producteurs, des producteurs indépendants—ont beaucoup de difficulté. Comment peut-on résoudre ce problème? Le CRTC a établi des règles, mais personne ne les applique. Tous ont les mains liées.
Monsieur Straw, vous avez parlé d'ouverture. J'ai ici quelques statistiques. Le Canada a toujours eu une politique culturelle visant à garantir que les Canadiens aient le choix et qu'ils puissent entendre différents points de vue, tout en veillant à ce que, parallèlement, à l'échelle internationale, nous soyons bien représentés. De quelle ouverture supplémentaire avons-nous besoin? Voici quelques statistiques générales: 60 p. 100 des émissions de télévision de langue anglaise viennent de l'extérieur du pays; 70 p. 100 de la musique diffusée sur les ondes radiophoniques n'est pas canadienne; 60 p. 100 des livres vendus au Canada viennent de l'étranger; 90 p. 100 des films projetés dans les cinémas sont américains. Nous connaissons tous le problème de la diffusion des films. Nous ne sommes pas contre les Américains, mais comment pourrions-nous être plus ouverts? Ce dont il s'agit, c'est de nous réserver des créneaux.
Madame Sullivan, j'ai trouvé très intéressant ce que vous avez dit au sujet de Pride TV et de Shaw, ainsi que sur ce que le gouvernement peut faire. J'ai été attristée par vos propos. Que pouvons-nous faire à ce sujet?
Enfin, je suis étonnée qu'aucun d'entre vous ne se soit demandé si l'approche du gouvernement fédéral en matière de diversité culturelle est la bonne. Vous n'avez pas parlé de notre approche, que nous avons choisie. Nous essayons d'obtenir un consensus international sur un nouvel instrument international de diversité culturelle, puisque la diversité culturelle est essentielle au développement social et économique, surtout dans le contexte de la mondialisation. C'est une question de sécurité humaine, de prospérité et d'expression culturelles. Il s'agit d'aider les régions à se développer afin de garantir qu'il y ait en place une infrastructure culturelle. C'est ce que nous essayons de mettre en place, et pourtant, personne n'a parlé de cet instrument. Personne n'a parlé du cadre culturel que le gouvernement met en place. J'en suis étonnée. Aucun de vous n'en a parlé.
Ce sont là mes observations. Je ne suis pas sûre qu'il soit nécessaire d'y répondre.
À (1040)
Le président: Merci.
Monsieur Bonwick
M. Paul Bonwick (Simcoe—Grey, Lib.): Monsieur le président, avant de poser mes questions, permettez-moi de réitérer ce qu'a dit Sarmite Bulte de ces soi-disant marchés gris, une expression qui ne me plaît pas . Il s'agit de diffusion illégale, donnons-lui le nom qu'elle mérite. Je peux me tromper, mais j'ai eu l'impression que deux de nos témoins prenaient la chose un peu à la légère, que c'était une possibilité à exploiter s'il n'y en avait pas d'autres. J'espère que ce n'est pas le cas. J'espère qu'on dit à nos étudiants avec insistance que ce marché gris est inacceptable, illégal, et qu'il compromet toute l'industrie. C'est un problème que nous devrons corriger.
Merci de vos témoignages. J'ai pris quelques pages de notes. J'ai trouvé vos propos très intéressants. Vous avez parlé de la situation par le passé et de la situation actuelle. Vous avez beaucoup parlé des questions de contenu et de diversité, tant à l'échelle internationale qu'au sein de notre propre pays.
Ce qui m'intéresse, c'est de savoir ce qu'il en sera dans cinq ans et dans dix ans. À titre de parlementaires, le travail de notre comité est de veiller à ce que les Canadiens jouissent d'une radiodiffusion saine et dynamique tout en garantissant l'épanouissement du contenu canadien—il faut donc trouver un juste équilibre entre la culture canadienne et la viabilité financière.
La plupart d'entre vous enseignez aux chefs de la radiodiffusion de demain. Vous avez beaucoup parlé de contenu et de diversité, que ce soit à partir de la communauté internationale ou ici même au Canada. Vous n'avez pas parlé de la viabilité financière de l'industrie elle-même. La plupart de vos étudiants travailleront dans le secteur privé. Ce secteur joue un rôle prédominant dans la radiodiffusion d'aujourd'hui, et ce sera encore le cas dans cinq ans et dans dix ans. Et pourtant, je m'interroge au sujet des étudiants qui quitteront vos classes dans quelques mois et quelques années. Vous n'avez rien dit sur la façon dont on pourrait garantir la viabilité financière ou la compétitivité dans notre économie mondiale.
J'aimerais que certains d'entre consacrent quelques instants pour répondre à cette question. Comment le gouvernement peut-il veiller à ce que l'industrie ne soit pas simplement un raconteur d'histoires canadiennes, même si c'est important, mais qu'elle soit également financièrement viable?
À (1045)
M. Bart Beaty: J'espère que je n'ai pas donné l'impression que j'accordais peu d'importance au marché gris de la diffusion par satellite. Personne ne prend ce problème à la légère, mais je crois qu'il est symptomatique de l'impression qu'éprouvent un grand nombre de Canadiens, à savoir que le régime de diffusion actuel ne répond pas à leurs besoins. L'une des façons d'éliminer le marché gris de la diffusion par satellite serait de mieux adapter le système à leurs besoins. Les gens ne se procurent pas la diffusion par satellite auprès du marché gris par choix. Ils ne veulent pas faire un pied-de-nez aux câblodistributeurs. Ils continueraient d'appuyer avec joie les câblodistributeurs si on leur fournissait les mêmes options.
Puisque vous demandez quelle sera la situation dans cinq et dix ans, je répondrais que la technologie va évoluer assez rapidement. Par exemple, on commence à constater l'arrivée sur le marché de magnétoscopes numériques qui viennent avec des décodeurs de câblodistribution et de distribution par satellite. Ces appareils feront d'énormes gains de popularité dans les cinq ou dix prochaines années. Ils permettent aux auditeurs de choisir des émissions plutôt que des canaux. Dans dix ans, les émissions auront beaucoup plus d'importance que les canaux.
À mon avis, c'est là-dessus que votre comité devrait insister, car il se fait au Canada un grand nombre d'émissions qui plaisent sur les marchés internationaux. Sur les marchés gris de la diffusion par satellite, on peut voir dans les pubs de Londres, au Royaume-Uni, la Soirée du hockey au Canada. Nous exportons un grand nombre d'émissions. Le Canada a beaucoup à offrir au monde, les gens se retrouveront avec un univers de trois ou quatre canaux comme c'était le cas auparavant, puisqu'ils connaîtront les prochaines émissions de la SRC. Les gens chercheront certains types d'émissions. Leurs appareils seront assistés par ordinateur pour leur permettre de les trouver, et ils pourront ensuite élaborer leurs propres canaux.
Si nous voulons que l'industrie soit viable à l'avenir pour offrir du contenu canadien, il faudra offrir les subsides qui existent déjà et les étoffer encore, les donner à ceux qui travaillent à ces émissions plutôt qu'aux canaux.
M. Paul Bonwick: Je veux juste m'assurer que les témoins répondent à ma question. Je ne veux pas m'attarder sur le marché gris, tout simplement parce que c'est illégal. Je voulais tout juste illustrer mon propos.
J'aimerais une réponse quant à la viabilité financière de l'industrie au cours des cinq ou dix prochaines années. Nous comprenons tous qu'elle doit comporter un contenu canadien. S'il vous plaît, répondez à la question: Par où passe la viabilité financière de l'industrie?
M. Kirk Lapointe: C'est le dilemme des autorités de réglementation depuis plus d'une génération. Je suis dans une situation assez complexe à l'heure actuelle, puisque je suis consommateur, d'un côté, mais j'ai aussi une expérience en matière de radiodiffusion et je connais les mécanismes internes et de financement des plus grandes entreprises privées de radiodiffusion au pays. Je sais que c'est un équilibre délicat qu'il faut maintenir, qu'il ne suffit pas de laisser entrer au pays toute la programmation qui n'est pas assortie des mêmes conditions que celles que nous imposons aux entreprises de radiodiffusion canadiennes.
Une telle approche serait désastreuse. Cela servirait peut-être minimalement les intérêts des consommateurs, mais nous mènerait progressivement vers une perte de qualité, laquelle est déjà mise à mal, dans la programmation canadienne. Il en résultera tout simplement que les ressources affectées aujourd'hui ne seront plus disponibles dans les années à venir. L'équation est très simple.
Je ne comprends pas pourquoi on raisonne de façon circulaire à ce sujet. Il me semble que l'on perd de vue l'essentiel, à savoir, l'état de la radiodiffusion au sens traditionnel dans notre pays à l'heure actuelle, et les défis qui vont se poser au cours des cinq ou dix prochaines années. Si nous permettons que l'industrie soit menacée davantage, nous mettrons en péril le peu de programmation proprement nationale qui nous reste.
Le président: Quelqu'un veut-il ajouter quelque chose? Madame Kolybabi.
Mme Deanie Kolybabi: En ce qui concerne la viabilité financière, je veux aborder le sujet sous deux angles différents. L'un d'eux est le point de vue des employés.
Notre réseau a jugé absolument nécessaire, si nous voulons retenir les employés de qualité qu'il nous faut pour faire notre travail, d'adhérer à un principe d'équité salariale à l'échelle nationale, en tenant compte du fait que beaucoup de nos employés en sont au début de leur carrière. Toutefois, cela représente pour nous un défi. Nous l'avons fait, mais la viabilité financière de toute l'organisation est une autre question parce qu'il faut trouver un moyen de retenir les employés de qualité et de maintenir le niveau.
Je n'ai pas besoin de vous dire que nous formons des Autochtones pour toutes les spécialités de la radiodiffusion, y compris les techniques, et dès qu'ils sont formés, les réseaux à la recherche d'Autochtones pour assurer leur diversité culturelle nous les débauchent rapidement.
C'est pourquoi, pour le bien des employés mais aussi pour le bien de notre société, il nous incombe d'avoir des mesures d'équité salariale en place. Toutefois, quand on considère l'ensemble de l'organisation, la viabilité financière s'est avérée un enjeu énorme. J'ai parlé brièvement du mandat très large dont le réseau est investi, et j'ai parlé du fait que les Canadiens non autochtones autant que les Autochtones s'attendent à ce que le réseau soit la solution à tous les problèmes. Ça pose un défi énorme—quel modèle d'entreprise adopter, et je fais allusion au 3,66 minutes par semaine dont je parlais précédemment. Il est très difficile de créer un modèle d'entreprise viable du point de vue financier en tenant compte de cela; toutefois, nous sommes précisément dans cette situation parce que notre financement, à l'heure actuelle, nous impose de générer des revenus par les voies traditionnelles de la télévision: la publicité, les commandites et les ventes. C'est un défi.
Nous travaillons avec un segment de la population qui ne faisait pas partie de... Je travaillais au sein de la communauté des publicitaires lorsqu'on a lancé la campagne «The colour of Your Money», qui consistait à valoriser les minorités visibles au sein de la communauté publicitaire. Ce genre d'effort n'a pas encore été effectué pour les Autochtones, si bien qu'il y a un besoin criant d'information qui nous permet de mettre en place la structure de revenu dont nous avons besoin. Une fois que cette information sera disponible, nous croyons que nous pourrons tout à fait procéder comme tout le monde à cet égard. Mais notre viabilité financière est constamment gênée par notre rôle de pionnier et les autres objectifs auxquels nous devons consacrer la plupart de nos moyens financiers afin de nous doter des mêmes outils que le reste de l'industrie de la radiodiffusion.
Je vais aussi parler d'un sujet que j'ai mentionné plus tôt, soit le fonds canadien de télévision et les fonds de Téléfilm. Si nous ne sommes pas admissibles à ces subventions, il nous incombe alors de financer—à grands frais—le développement d'une programmation canadienne autochtone. Parce qu'il s'agit d'un secteur si peu développé de l'industrie mondiale, nous maintenons à l'heure actuelle 86 p. 100 de contenu canadien—et il s'agit de contenu canadien nouveau.
Nous avons aussi des défis à relever en ce qui a trait à la qualité et à l'expérience, et ceux-là prendront un peu plus de temps à relever. Mais si on considère la viabilité financière de ce modèle, soit un réseau de télévision axé sur la diversité culturelle, on constate qu'il y a encore du chemin à faire. C'est pourquoi je parle d'envisager de nouveaux modèles, pour que nous puissions nous doter de structures de transition qui permettent au modèle de rattraper le reste de l'industrie.
À (1050)
Le président: Merci.
Monsieur Cuzner, vous devez vous rendre à un autre comité?
M. Rodger Cuzner (Bras d'Or—Cap-Breton, Lib.): Oui, monsieur, j'ai une autre réunion de comité, mais j'aimerais formuler cette remarque.
A propos, d'abord, du changement de nom. J'avais un bon ami qui s'appelait «Guy Boodeleer». Il a quitté le Cap-Breton et, huit ans après, il se retrouve ministre des Affaires municipales en Alberta et s'appelle maintenant «Guy Boutilier».
M. Karim Karim: C'est la première et dernière fois que je cite cet exemple.
Des voix: Oh, oh!
M. Rodger Cuzner: L'autre chose que m'ébahit, c'est cet univers télévisuel à 200 chaînes. Chez moi, j'en ai deux. Radio-Canada et TSN.
J'aimerais justement parler de TSN. Lorsque cette chaîne est apparue sur nos écrans, on y voyait surtout des hommes blancs. Je crois qu'ils ont fait un réel effort pour diversifier leurs annonceurs. On y voit maintenant des Indiens, des Afro-canadiens et beaucoup de présentatrices. Je crois qu'ils ont fait un effort considérable.
En revanche, ce qui manque à TSN, c'est le soccer, les sports plus exotiques... moins canadiens, il n'y a pas assez de cricket. Par exemple, au bulletin sportif, on ne voit pas beaucoup de faits saillants de criquet, au grand chagrin de notre président. Dites-moi: l'effort de TSN en vue de diversifier ses annonceurs est-il perçu comme étant gratuit, ou encore réellement significatif? Quelqu'un veut-il répondre?
À (1055)
M. Kirk Lapointe: J'étais responsable de l'initiative globale de la diversité à CTV, qui comprend les anciennes propriétés de NetStar, TSN, la chaîne éducative et d'autres. Là encore, pour dire les choses crûment—et je n'aime pas m'exprimer en ces termes parce que je crois que cela déshonore tout ce principe—tous les radiodiffuseurs privés ont pensé, comme le pensait depuis quelques temps le radiodiffuseur public de notre pays, que cela répondait à la logique des affaires. En termes simples, c'est bon pour les affaires.
En résumé, cela revient à bien desservir son marché. Et si vous considérez que la radiodiffusion et le journalisme constituent une forme de service public, il vous appartient alors de desservir intégralement votre marché. C'est se jouer un tour et c'est sûrement desservir son public que de ne retenir que les gens qui symbolisent l'autorité, qui sont des modèles dans vos services, qui sont des emblèmes de votre contenu.
Je pense seulement que, pour les motifs que j'ai évoqués plus tôt, il y a eu quelques embûches. Et je crois qu'il y avait, il y a fort longtemps de cela, des radiodiffuseurs qui n'étaient pas convaincus de la nécessité d'inclure un contenu canadien dans leurs services, mais cette époque est révolue maintenant. Lorsque je parle aux radiodiffuseurs, je vois que tous le comprennent. Certains sont plus lents que d'autres, mais tout le monde est sur la même voie. Et ils savent que s'ils vont jusqu'au bout de cette logique, leurs entreprises seront beaucoup mieux placées pour survivre et conserver leurs créneaux dans cet environnement qui est extrêmement fragmenté, qui est fort menacé par les avancés technologiques qui, à mon avis vont confondre les autorités chargées de la réglementation dans la décennie à venir. Et ils savent que s'ils ne permettent pas à leur communauté de s'exprimer, s'ils ne les représentent pas, c'en est fait de leur avenir.
Le président: Madame Kolybabi, je vous prie d'être brève, parce qu'il y a deux autres députés qui veulent poser des questions.
Mme Deanie Kolybabi: Dans le domaine du sport, nous en avons fait l'expérience directe avec les Jeux autochtones nord-américains, qui regroupent 7 000 athlètes participants, comparativement aux Jeux panaméricains où ils sont 5 000.
Pour ce qui est de savoir si c'est gratuit ou non, je pense que c'est gratuit seulement, comme M. Lapointe l'a dit, si on ne reflète pas les communautés auxquelles on s'adresse. J'aimerais citer en exemple les cérémonies d'ouverture des Jeux autochtones, qui nous ont valu toute une série de commentaires des téléspectateurs, parce qu'on ne les a pas seulement retransmises, on les a retransmises avec professionnalisme et avec les commentaires de deux animateurs autochtones, et cette retransmission s'est faite aussi dans le contexte voulu. Chaque fois qu'une équipe se présentait, on expliquait d'où elle venait, quelles étaient les tribus qui peuplent cette région en particulier, qu'il s'agisse de l'État de Washington, de la Colombie-Britannique, du Manitoba ou d'ailleurs. Je pense que ce n'est gratuit que si l'on ne permet pas ce lien et l'interprétation du même événement.
Ce que je dis, c'est qu'il n'y a aucun autre réseau au Canada qui aurait pu faire le travail de cette façon. Tout dépend des moyens qu'on prend pour raconter les histoires.
Le président: Monsieur Harvard.
M. John Harvard: Merci, monsieur le président.
Je ne suis pas en mesure de faire preuve du même sens de l'humour que mon bon ami Rodger, je passerai donc tout de suite à mon observation et peut-être aussi à ma question. Ma principale question, qui s'adresse à vous tous, pourrait être formulée ainsi: comment allons-nous vivre pleinement notre diversité au Canada dans le contexte de la radiodiffusion?
À mon avis, la radiodiffusion dans notre pays se résume à une série de services parallèles mais divers. Si vous vivez dans une petite localité au Canada et que vous n'allez jamais dans les grandes villes que sont Toronto, Montréal, Vancouver ou Québec, vous n'avez jamais vu, à mon avis, à quoi ressemble la diversité de notre grand pays. Si vous n'avez jamais voyagé, pour une raison ou une autre, vous vous êtes, dans une certaine mesure, tenus à l'écart de cette diversité.
Ce qui m'amène à parler de notre système de radiodiffusion, notre modèle de radiodiffusion. Est-ce que, peut-être seulement par accident ou exprès, la radioffusion force les Canadiens à se tenir à l'écart de leur diversité
Nous avons l'APTN; nous avons des services de radiotélévision de langue française; nous avons la radiodiffusion de langue française dans l'ouest du Canada, où je vis, et je peux vous affirmer que presque personne ne regarde la télévision française.
Est-ce que je m'oppose à la télévision française dans l'ouest du Canada? Bien sûr que non. J'aimerais même qu'il y en ait plus. Mais le fait est qu'il s'agit d'un service distinct, parallèle, à l'intérieur du modèle canadien, et pour une raison ou une autre, les gens qui ne sont pas de langue française ou de descendance française ne le regardent pas.
Je dirais, madame Kolybabi, qu'il en est à peu près de même pour votre organisation et votre réseau. Je suis d'accord avec la création de votre réseau, et je vous souhaite une réussite éclatante, mais moi qui suis Canadien, est-ce que je peux me réjouir du fait que presque personne au Canada ne regarde votre réseau?
J'imagine que l'une des questions qui se pose est celle-ci, lorsqu'on parle de diversité, est-ce qu'il est suffisant de se montrer seulement à sa propre culture, à son propre segment de culture canadienne, ou est-il plus important pour tous les Canadiens que vous vous montriez à tous les segments de la culture canadienne? C'est la question. Et si telle est la question, comment allons-nous procéder? Comment allons-nous intégrer notre diversité au lieu d'en maintenir le caractère isolé?
Je dirais deux autres choses. Premièrement, je me souviens, parce que je suis assez vieux pour ça, de l'époque où a débuté la série Archie Bunker aux États-Unis. Je ne crois pas que les auteurs de cette émission savaient ce qu'ils faisaient. Ce fut une aventure extraordinaire, et je crois qu'elle a été bonne pour la culture américaine. Pourquoi? Parce que la culture dominante, que traversait cette tendance raciste, s'est retrouvée confrontée à son étroitesse d'esprit. On aurait réserver, j'imagine, une chaîne au fanatisme mais personne ne l'aurait regardée. Mais tout cela se voyait sur une grande chaîne, et tout le monde y a été exposé.
Je veux donc savoir si le modèle actuel, ou faut-il s'adresser à Radio-Canada—cette institution que j'adore et pour le compte de laquelle j'ai travaillé pendant 18 ans, et vous ne trouverez pas plus grand défenseur de la radiodiffusion publique que moi—réussit mieux à offrir ce service intégré et divers que je veux? C'est la question que je veux vous poser?
Á (1100)
Le président: Monsieur Straw.
M. Will Straw: En réponse en partie à cette question, et aussi en partie à la question de savoir pourquoi on ne parle pas de l'initiative internationale de diversité des autorités culturelles fédérales, je pense qu'un système de radiodiffusion parfait serait celui où nous aurions des accords avec 35 autres pays pour offrir un plus grand nombre de leurs émissions sur nos systèmes satellites et câbles.
Ce qui voudrait dire qu'il faudrait assouplir certains règlements sur le contenu canadien. Je pense que nous les conserverions pour ce qui est... Nous avons probablement assez de programmation américaine, mais je crois que tant que les communautés ethniques seront représentées par une programmation locale et à faible budget comme cela se fait au Canada, cette télévision s'adressera toujours essentiellement à cette communauté, et elle n'attirera pas le reste du public.
Si nous nous achetons les meilleures émissions produites dans le monde et que nous trouvons des moyens de les commercialiser, si nous trouvons le moyen d'en faire un service public et le reste, je crois que nous aurons un système intéressant et viable. Nous vendions nous aussi une plus grande part de notre programmation au reste du monde, et je crois que les États-Unis verraient leur part du marché diminuée de beaucoup.
Á (1105)
M. John Harvard: Peut-être, monsieur Straw, mais comme vous le savez, il existe au Québec un système de radiodiffusion artistique extrêmement florissant. La plupart des Canadiens de l'Ouest n'en ont absolument aucune idée.
M. Will Straw: C'est surtout un problème de langue.
Le président: Madame Sullivan, puis monsieur Lapointe.
Mme Rebecca Sullivan: Je voudrais simplement faire une toute petite suggestion d'ordre pratique et que vous apprécierez peut-être cette fois-ci.
Vous parlez de ce que nous faisons. Mais je vis à Calgary, et j'ai commencé à réfléchir au fait que les gens font du zapping. En Alberta, la chaîne APTN se trouve dans le numéro 80, de sorte qu'avant d'y arriver, j'ai généralement trouvé une émission qui m'intéressait. TV5 n'est pas beaucoup plus loin que APTN. Hier soir, je suis arrivée à l'hôtel, et j'ai commencé à zapper. Au canal 12, il y avait la version française des Simpsons, et j'ai commencé à regarder. C'était assez drôle. Il y avait même une blague sur Preston Manning. C'était tout à fait incroyable.
Cela m'a portée à réfléchir. Pourquoi se fait-il que les stations NBC, ABC et CBS se situent au tout début alors que des chaînes comme APTN et les stations spécialisées sont reléguées tout en haut de l'échelle? Certes, avec 200 canaux différents, il est évident qu'il y aura toujours une station qui aura le numéro 156, et je comprends également les considérations d'ordre commercial des câblodistributeurs qui savent fort bien que je vais regarder ABC plus souvent qu'APTN. Mais il serait très simple de rapprocher un peu les canaux spécialisés des canaux les plus populaires... En fait, ce n'est peut-être pas aussi simple que cela, c'est sans doute de la naïveté de ma part. Mais ce qui me frappe, c'est que ce serait au moins pour moi une façon de savoir ce qui passe à APTN et de découvrir peut-être que l'émission North of 60 passe—je ne sais pas à quelle heure, c'est cela d'ailleurs que je voulais faire valoir, mais disons que cette émission passe à 8 heures. Si je suis là, peut-être vais-je vouloir la regarder. Mais je ne sais pas que cette émission passe à cette heure-là parce que, comme la majorité des gens, je zappe. Peut-être faudrait-il rapprocher un peu ces canaux spécialisés des canaux les plus populaires.
Le président: Monsieur Lapointe.
M. Kirk Lapointe: Monsieur Harvard, si vous me permettez une petite métaphore, je vous dirais qu'il est très facile de construire une maison et d'y ajouter tant de pièces et autant d'ailes q'il faut pour accommoder tout le monde, mais que tant que tous ne se retrouvent pas autour de la même table pour le dîner, ce n'est pas vraiment un foyer. Je vous exhorte à songer sérieusement à cette question de la responsabilité de la diversité qu'on impose à un diffuseur public, et cela de façon exclusive.
À l'heure actuelle, les plus gros auditoires de productions télévisuelles sont ceux du secteur privé. Le réseau Radio-Canada a des émissions qui font de bonnes cotes d'écoute, mais ce sont surtout CTV, CanWest et tous les autres diffuseurs privés qui ont le plus gros auditoire. Et à mon avis, dans les années à venir, c'est là qu'on trouvera le principal levier. Si les initiatives actuellement en cours chez ces diffuseurs privés dans le domaine de la diversité portent fruit, il y en aura davantage qui créeront précisément cette expérience et qui auront effectivement pour effet de changer la façon dont les Canadiens se voient eux-mêmes, et cela de façon beaucoup plus efficace que si seuls le réseau Radio-Canada-CBC ont le même mandat, un mandat parmi bien d'autres, et si les diffuseurs privés n'ont pas le sentiment d'avoir intérêt à approfondir ce créneau. Le vecteur qui existe actuellement est en fait un vecteur de marché. Ce n'est pas une mauvaise chose et d'ailleurs, il me semble que cela produit d'ores et déjà énormément de changements. Avec le passage du temps, je pense que le marché sera de plus en plus à l'origine de ce genre de choses. Par contre, j'hésiterais vraiment à dire qu'il faudrait confier cela uniquement aux radiodiffuseurs privés. À mon avis, les radiodiffuseurs privés peuvent le faire, ils le font d'ailleurs déjà, et ils devraient être encouragés à le faire.
Le président: Madame Kolybabi.
Mme Deanie Kolybabi: Vous dites que la majorité de l'auditoire réagit surtout à sa propre culture, et je crois que c'est sans doute la réalité. Dans le cas de l'APTN, c'est tout un défi, puisque nous avons quelque 58 différentes cultures à qui nous nous adressons, même s'il s'agit de notre propre culture, notre culture autochtone.
En outre, à propos de ce que Mme Sullivan a dit, nous avons des recherches qui montrent que lorsque des téléspectateurs non autochtones tombent sur notre chaîne et réussissent à nous trouver, ils restent branchés. Ils regardent nos émissions et ils les apprécient. Beaucoup d'entre eux discutent des valeurs avec leurs jeunes enfants, qui ont vu nos émissions. Je crois que cela a de la valeur. À mon avis, le défi consiste à sensibiliser le public.
J'aimerais parler un peu plus du modèle de CBC. Moi aussi, je suis une ancienne employée de CBC et je demeure une fervente de la valeur qu'elle apporte à la radiodiffusion canadienne. Cependant, l'introduction de l'APTN a posé un défi assez intéressant pour CBC, qui a eu du mal à accepter notre rôle au sein de l'industrie de la radiodiffusion canadienne. On nous a systématiquement refusés ou exclus des affaires essentiellement autochtones. Il n'y a aucun esprit de collaboration.
Je suis d'accord avec M. Lapointe pour dire qu'il faut hésiter avant d'imposer encore un autre mandat à CBC. J'ai déjà brièvement dit qu'il faut éviter qu'un seul réseau essaie d'apporter la solution à tous les problèmes. Mais j'aimerais encourager les synergies qu'il peut y avoir entre réseaux, comme celles qui se sont produites entre CTC et APTN et entre CHUM et APTN. J'aimerais que le modèle CBC s'ouvre davantage aux émissions culturellement diversifiées qui existent déjà, et en fait à l'autre radiodiffuseur national, puisqu'il s'agit aussi d' un service public.
Á (1110)
Le président: Merci beaucoup.
Oui, monsieur Karim, si vous le voulez bien, faites une observation brève. Le problème, et je m'excuse du retard occasionné par les difficultés techniques, c'est que les comités siègent entre 9 h et 11 h et entre 11 h et 13 h, et que bien des membres font partie de deux comités et doivent assister aux deux séances. Voila quel est notre problème maintenant. C'est pour ça que la plupart des membres sont partis.
À vous donc, monsieur Karim, le mot de la fin.
M. Karim Karim: Brièvement, le problème que vous soulevez est très important et a fait l'objet d'un débat théorique au sein du milieu universitaire. L'une des façons dont on formule la question, c'est de savoir si la démocratie dans une société nationale doit avoir une seule sphère publique à l'intérieur de laquelle, en l'occurrence la radiodiffusion, doit s'adresser à tout le monde. Il peut y avoir eu une époque où c'était possible puisqu'il n'y avait qu'une ou deux chaînes. Nous en sommes maintenant à une époque qu'on appelle non pas «la sphère publique» mais plutôt «les sphérules publiques», qui intersectent peut-être dans le cas de l'APTN, en ce sens qu'il peut y avoir certaines possibilités de chevauchement et de téléspectateurs qui passent à l'occasion d'un chaîne à l'autre.
Je ne pense pas qu'on puisse retourner au modèle de la sphère publique. Nous devons trouver de meilleures façons t d'encourager les téléspectateurs à zapper et à ne pas regarder qu'un nombre limité de chaînes. Je suis tout à fait d'accord avec Mme Sullivan concernant le problème des chaînes américaines qui font partie du service de base et beaucoup plus faciles d'accès, alors qu'il nous faut encourager notre propre diversité canadienne en facilitant l'accès.
Le président: Merci beaucoup.
S'il y en a parmi les témoins qui ont l'impression de ne pas avoir pu suffisamment s'exprimer—et je me rends compte des contraintes qu'impose ce genre de séance—n'hésitez pas à nous écrire et à faire parvenir vos réflexions à la greffière. Nous vous en serons très reconnaissants, je vous assure, car nous devons bien réfléchir à la question. Les membres du comité s'apprêtent à faire une retraite afin d'examiner les témoignages. Donc n'hésitez pas à nous contacter.
Merci beaucoup de votre comparution, nous vous en savons gré. Merci.
La séance est levée.