FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mercredi 12 février 2014
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
La séance est ouverte. Aujourd'hui, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous poursuivons notre étude de la situation en Syrie.
Pendant la première heure, nous accueillons avec plaisir nos deux témoins, qui livreront leur témoignage à partir de Washington. Pendant la deuxième heure, nous entendrons d'autres témoins. Je suis heureux d'accueillir Ameenah Sawan et Heba Sawan, qui feront un exposé.
Vous avez 10 minutes chacune pour votre déclaration. Ensuite, nous passerons aux questions des membres du comité.
Soyez les bienvenues. La parole est à vous.
Bonjour à tous. Merci d'écouter nos témoignages.
Je m'appelle Heba Sawan. J'ai 24 ans. J'ai étudié la littérature anglaise à l'Université de Damas. Je viens de Mouadamiya Al-Cham, une petite ville en banlieue de Damas, à environ 15 minutes du centre-ville. Autour de ma ville, les forces militaires sont très présentes. Il y a l'aéroport militaire et la 4e division, la célèbre 4e division.
La ville a rejoint les forces révolutionnaires dès le début de la révolution. Tout a commencé par un mouvement de résistance non violent. C'était une démarche pacifique. Je viens aussi d'une famille révolutionnaire. Mon père m'a toujours encouragée à joindre la révolution, à faire ce qu'il faut pour mon pays. J'ai une très bonne relation avec mon père.
En 2011, à Damas, j'ai été arrêtée puis détenue pendant trois jours après une manifestation pacifique. Le régime a commencé à tuer des gens et à commettre des atrocités dans ma ville. À l'époque, nous ne pouvions pas amener les gens à l'hôpital; nous avons donc dû apprendre le métier d'infirmière. Nous avons suivi des cours offerts par le Croissant-Rouge et des médecins révolutionnaires.
À l'époque, mon père et moi avons essayé d'apporter notre aide, d'aider les blessés. À la fin de 2011, mon père a été arrêté par les forces du régime. Il est toujours détenu, et nous sommes sans nouvelles de lui. Après son arrestation, nous avons poursuivi notre chemin.
Les jeunes hommes de Mouadamiya et d'autres personnes ont été contraints de porter les armes et de se défendre. Après un an de manifestations et de mouvements pacifiques, les atrocités et la violence commises dans la ville par le régime ont poussé les jeunes hommes à prendre les armes pour se défendre et défendre leur peuple.
En 2012, les forces du régime sont entrées dans Mouadamiya et ont commis de nombreux massacres. Tous les massacres étaient empreints de sadisme. À chaque fête religieuse, chaque festival religieux, tous les jours, les forces investissaient la ville de Mouadamiya et commettaient des atrocités et des massacres.
Les membres de l'armée syrienne libre ont décidé de ne plus jamais permettre aux forces du régime d'entrer dans la ville; ils l'ont donc libérée en octobre 2012. Par la suite, les forces du régime ont été incapables d'entrer dans la ville, même par la force, et elles ont donc adopté une nouvelle politique appelée « se soumettre ou mourir de faim » ou « se rendre ou mourir de faim ». Toutes les entrées de la ville ont été bloquées. Personne n'était autorisé à entrer à Mouadamiya ou à en sortir. De plus, on empêchait l'entrée de nourriture ou de fournitures médicales dans la ville.
Au début de 2013, j'étais fiancée à mon cousin. Il faisait partie de l'armée syrienne libre et j'étais infirmière à l'hôpital de campagne. Le jour de notre mariage, le 25 janvier, il est mort dans un bombardement. Le lendemain, je suis allée me recueillir sur sa tombe. La 4e division était aussi dans les montages. Le cimetière était dans la ligne de tir. Ils ont bombardé le cimetière et j'ai été blessée à mon tour.
Je ne pouvais pas continuer mon travail d'infirmière. Je suis restée à la maison avec Ameenah, ma cousine, jusqu'à mon rétablissement. À cette époque, la ville vivait dans la souffrance et les bombardements, tous les jours. Les gens essayaient de survivre. Ils ont cultivé chaque petite parcelle de terrain. Ils ont essayé de trouver de la nourriture, en vain. Certaines personnes ont essayé de fuir la ville, mais les tireurs d'élite étaient prêts et ils ont tué tous ceux qui tentaient de s’enfuir.
À cette époque, nous avons commencé à travailler avec les enfants, qui se sont fait voler leur enfance. Ils vivaient dans un monde de violence, de massacres et de tueries. Dans leur esprit, leurs rêves ont été anéantis, tout a été détruit. Nous avons essayé d'organiser des activités éducatives et ludiques pour les enfants, car toutes les écoles avaient été bombardées. Il n'y avait plus d'école à Mouadamiya. Il n'y avait pas d'électricité, donc pas de télévision, et il leur était interdit de jouer dans la rue.
Nous avons fait un merveilleux travail avec eux. Nous avons essayé de les aider à survivre, de les tenir occupés. Nous l'avons fait jusqu'au 21 août, le jour de l'attaque chimique. Ameenah, ma cousine, vous en dira plus sur cette journée-là. Après cette journée, où 82 personnes sont mortes, nous devions continuer à vivre. Nous devions survivre, mais la souffrance était plus forte que nous.
Le matin, au réveil, on pouvait entendre les bruits et les pleurs des enfants. Ils voulaient quelque chose à manger. La nuit, leurs pleurs vous empêchaient de vous endormir. Les femmes enceintes accouchaient de bébés mort-nés. Nous avons vu beaucoup de mères servir à leurs enfants de l'eau avec des épices et du sel, en guise de soupe.
Aussi, il arrivait que l'on entende frapper à la porte, et lorsqu'on l'ouvrait, on se retrouvait devant un petit enfant tenant une assiette et demandant à manger. À ce moment-là, vous viviez un difficile conflit intérieur. Si vous aviez quelque nourriture et que vous vouliez la donner à cet enfant, c’est vous-même et votre famille que vous priveriez de nourriture. Alors, vous refermiez la porte, le coeur brisé.
Il y avait beaucoup de souffrance. Les gens ont commencé à mourir. Dans ma ville, plus de neuf personnes sont mortes de faim. Plus de 1 500 personnes ont été tuées par les obus de mortier, par les bombardements.
À la mi-octobre 2013, dans un jeu malsain, le régime a tendu la main à la population qu'il avait assiégée, parmi laquelle il avait détenu et assassiné des gens. Il a permis aux femmes et aux enfants de quitter la ville. Ainsi, le régime avait le rôle de héros et était considéré comme le sauveur de gens qui ont été enlevés et pris en otage par les terroristes, ce qui n'est pas vrai. À l'époque, puisque les médias et le monde entier avaient les yeux rivés sur cette opération d'évacuation, le régime ne pouvait arrêter personne, mais il nous a beaucoup humiliés en nous obligeant à chanter à la gloire de Bachar al-Assad. Je n'oublierai jamais ce jour-là.
Par la suite, les forces du régime ont essayé de capturer et détenir tous les militants qui se trouvaient dans la ville. Elles ont arrêté certains de nos amis et des membres de notre famille pour nous atteindre. Nous avons alors pris conscience que nous devions quitter la ville. Nous devions fuir le pays. Nous nous sommes rendues au Liban illégalement, avant d'aller à Istanbul. Ensuite, nous avons eu cette chance de venir en Amérique et raconter notre histoire à ces personnes.
Merci.
Je m'appelle Ameenah Sawan et je viens de Mouadamiya Al-Cham, une ville de la banlieue est de Damas. J'ai 23 ans. En 2011, au début de la révolution, j'ai interrompu mes études. J'étais étudiante en traduction à l'Université de Damas.
Ma ville a été mêlée à la révolution dès le début. Le régime a essayé d'étouffer la révolution. Les forces du régime ont massacré beaucoup de gens dans ma ville; il y a eu des exécutions. Elles ont massacré des gens, brûlé des corps et commis tout ce que l'on peut imaginer. Cela a eu lieu avec l’appui du Hezbollah libanais et les Gardiens de la révolution iraniens.
En novembre 2012, l’Armée syrienne libre a libéré la ville parce que nous ne pouvions empêcher le régime d’entrer de nouveau dans la ville pour y commettre un autre massacre. Le régime a commencé à utiliser des hélicoptères et des chasseurs MiG pour intensifier les bombardements parce les forces ne pouvaient entrer dans la ville.
Tasneem Juma’a est une petite fille de Mouadamiya; elle a six ans. Le 2 janvier 2013, elle était assise chez elle, avec sa famille. Tous étaient terrifiés, mais ils ignoraient que les avions qu’ils entendaient bombarderaient leur maison de deux étages. Les chasseurs MiG ont bombardé la maison, la laissant en ruines. La petite a perdu ses parents, ses cinq soeurs et son frère, Mahmood.
Les gens ont essayé de les extirper des ruines, mais le régime a aussi bombardé l'endroit avec des missiles sol-sol. Trente-cinq personnes ont été tuées. Cela inclut la famille de la fillette et les gens qui essayaient d’apporter leur aide. Ensuite, nous avons été témoins de nombreux massacres causés par les bombardements.
La 4e division a bombardé Mouadamiya et une partie de la banlieue de Damas. Une partie de Mouadamiya est à flanc de montagne.
Comme Heba l’a indiqué, pendant les bombardements, en 2013, nous avons essayé de mener des activités de soutien psychosocial pour les enfants, dans des sous-sols. Nous étions assiégés et nous ne pouvions pas nourrir ces enfants. Nous avons pensé chanter avec eux pour les aider à oublier les bombardements, la faim, la peur et le fait qu’ils n'allaient plus à l’école.
Chaque jour, lorsque les enfants de Mouadamiya allaient au lit, ils rêvaient peut-être, en toute innocence, de petits morceaux de chocolat, de chefs, d’oursons en peluche, de voyages paisibles en famille, loin de la ville assiégée.
Le 21 août 2013, de nombreux enfants de Mouadamiya dormaient; comme d’habitude, ils rêvaient. Or, ils ne se sont jamais réveillés. Bachar al-Assad a utilisé une arme chimique contre la ville. Ce jour-là, 82 civils ont été tués et 400 personnes ont été blessées. Ce jour-là, avec Heba, je me suis précipitée à l’hôpital de campagne. La situation était chaotique. Les gens étouffaient dans la rue, ils avaient des spasmes, ils couraient partout. Lorsque nous sommes arrivées à l’hôpital de campagne, des gens mettaient les cadavres et les blessés sur le sol des deux côtés de la rue. Ils arrosaient les corps avec de l’eau. Ce jour-là, la ville a connu ses bombardements les plus graves.
Le MiG a effectué 19 tirs sur la ville. Les forces du régime ont bombardé la ville à l’aide de missiles sol-sol et de centaines d’obus de mortier. Les militaires tentaient de forcer tous les points d’entrée. Comme nous avions été frappés à l’aide d’une arme chimique, que nous nous occupions des blessés et des morts et que beaucoup de gens qui essayaient d’apporter leur aide étaient étourdis, ils pensaient peut-être pouvoir entrer dans la ville et massacrer les autres participants à la révolution à Mouadamiya. Dieu merci, ils n’y sont pas parvenus.
À 11 heures, beaucoup de membres du personnel médical de l’hôpital de campagne… C’est un sous-sol de 300 mètres, pas un hôpital. Il s’agit simplement d’un endroit où l’on tente d’aider les gens. On ne peut même pas le qualifier d’hôpital. Un des médecins se sentait étourdi. J’étais à côté de lui. Il tenait un bébé, un bébé d’environ 10 mois. Il a dit, « Ameenah, tiens ce bébé. » J’ai pris le bébé et je me suis précipitée dans la pièce pour essayer de le réanimer à l’aide d’une manoeuvre de RCR.
Nous n’avons rien trouvé pour aider les personnes touchées par le sarin. Tout ce que nous avons pu faire, c’était de les couvrir de couvertures, de leur mettre un peu de vinaigre sur le nez, de pratiquer la RCR, et de leur laver le corps et le visage avec de l’eau. C’est tout. Je me suis précipitée dans la salle, et j’ai essayé de pratiquer la RCR sur cet enfant, mais il n’a pas réagi. J’ai essayé de mettre du vinaigre sur son nez. Ensuite, le médecin est entré dans la pièce et a dit: « Ameenah, que fais-tu? Cet enfant est déjà mort. » Je lui ai dit que nous devions essayer, que nous devions faire quelque chose. Il a répondu: « Toute sa famille a été tuée. Pourquoi veux-tu le réanimer? Cet enfant est rendu dans un endroit meilleur, un endroit où il pourra trouver la justice. Il est allé rejoindre sa famille. »
Ce jour-là, nous avons perdu contact avec la famille de mon frère, soit mon frère, sa femme et leurs trois enfants. Vers le milieu de la journée, nous avons découvert qu’ils allaient bien. Ils étaient cachés dans un sous-sol de la rue adjacente. J’ai eu vraiment peur quand j’ai vu leurs voisins arriver avec des morts et des blessés.
L’hôpital de campagne était plein de morts; nous avons donc été obligés d’en déplacer un certain nombre dans la maison voisine. Nous y avons mis le corps de 43 personnes. Ils étaient déjà morts. Le régime n’était pas satisfait; l’endroit a donc été frappé de cinq obus de mortier. Ces gens étaient déjà morts. Le régime pense que le peuple syrien ne mérite même pas de mourir dans la dignité. On a donc voulu tuer ces gens deux fois.
Sept jours plus tard, ce même frère qui a survécu à l’attaque chimique avec sa famille cultivait des légumes pour vaincre l’état de siège: des aubergines, de la laitue, quelques petites choses, tout simplement. On n’arrive même pas à se nourrir. On ressent la faim.
Mon frère et sa femme étaient des rêveurs. Ils avaient des rêves. À ce moment, mon frère se tenait avec sa femme tandis que ses trois enfants s’amusaient, et un obus de mortier a frappé le bâtiment situé en face. Les éclats d’obus ont tué mon frère, sa femme et son fils de sept ans, Ahmed. Par miracle, ils avaient survécu à l’attaque chimique de la veille.
Assad a toutes sortes d’armes. S’il n'arrive pas à nous tuer avec une arme, il en utilise une autre. La communauté internationale nous a demandé si nous nous sommes sentis en sécurité lorsqu'on nous a informés qu’Assad manipulait des armes chimiques. J’ai répondu que non, car, voyez-vous, mon frère et sa famille sont un exemple, un exemple parmi des centaines et des milliers d’exemples. Notre problème n’est pas entièrement lié aux armes chimiques.
J'ignore la nature du problème. Les régions, comme celle de Moadamiyeh, sont assiégées depuis un an et demi. Ensuite, ils ont procédé à son évacuation, mais ils n'ont pas apporté d'aide à la ville.
Le président Assad a frappé de nombreuses régions avec des armes chimiques. Ils ont demandé aux membres du régime de leur remettre les armes chimiques et de ne pas partir. Ils ne songent même pas à s'attaquer à la source du problème.
Les Syriens ont essuyé de nombreuses pertes, mais ils n'ont pas perdu espoir.
Je vous remercie toutes les deux.
À ce stade, je vais céder la parole à mes collègues, qui vous poseront quelques questions. Je vous remercie infiniment de votre témoignage et de votre capacité à décrire une expérience horrible et très traumatisante.
Je vais maintenant céder la parole à Mme Laverdière qui vous posera des questions pendant les sept prochaines minutes.
Je vous remercie beaucoup de votre témoignage qui était à la fois très touchant et inquiétant.
Nous, les personnes assises à la table, appartenons à des partis politiques différents, mais je pense que nous partageons tous un profond souci à l'égard de ce qui se passe en Syrie et de ce que vivent les Syriens. Nous espérons que les Syriens connaîtront bientôt la paix.
Je dois dire que j'ai été très impressionnée par l'un des derniers mots que vous avez prononcés, à savoir le mot « espoir ». Je pense que ce concept est important, et nous devons continuer de travailler en ce sens et d'entendre des témoignages comme les vôtres.
J'ai également été frappée par tout ce que vous avez dit à propos du travail que vous avez accompli auprès des enfants afin de répondre à leurs besoins en matière d'éducation, leurs besoins psychologiques et leurs besoins humains fondamentaux. J'ai été impressionnée par les efforts que vous leur avez consacrés.
Puisque cela nous préoccupe également, je me demande ce qui advient de tous les habitants de la Syrie et, en particulier, des enfants. Comment pouvons-nous vous aider à cet égard? Comment le Canada et la communauté internationale peuvent-ils mieux vous aider à prendre soin des enfants en Syrie?
Les enfants et tous les civils de la Syrie souffrent énormément. Ils ont également perdu tous leurs moyens de subvenir à leurs besoins essentiels. Je suppose que nous avons besoin que vous exerciez des pressions considérables sur le régime afin qu'il autorise les Nations Unies et l'aide humanitaire à se rendre dans la ville assiégée, à poursuivre l'éducation des enfants et à satisfaire ainsi à tous leurs besoins. Voilà ce que le monde entier et le Canada doivent faire.
Les pressions doivent être considérables parce que, lorsque le monde entier a décidé d'exiger que le régime livre ses armes chimiques, il n'a pas pu le forcer à le faire. Pourquoi les nations ne pourraient-elles pas exercer le même genre de pressions sur le régime et le forcer à autoriser l'acheminement d'une certaine aide humanitaire et des ressources nécessaires pour satisfaire aux besoins fondamentaux et aux besoins en matière d'éducation des civils et, en particulier, des enfants? Il faut exercer d'énormes pressions.
Nous savons également que des pourparlers sont en cours à Genève. Des réunions ont lieu, de même que ce que nous appelons des discussions de chef d'État à chef d'État.
En fait, ces pourparlers sont les plus sanglants jamais entrepris. La communauté internationale n'a pas forcé le régime et les autres parties à observer un cessez-le-feu et à permettre l'acheminement de l'aide humanitaire dans de nombreuses régions de la Syrie, qui sont dans le besoin.
Comment les Syriens pourraient-ils croire en ces délégations qui parlent de paix, alors que la paix ne règne nullement dans leur pays?
De plus, en ce qui concerne la tendance du régime à assiéger des villes et à essentiellement laisser leurs habitants mourir de faim, nous avons observé l'organisation de quelques évacuations à Homs. Pensez-vous que ce qui se passe en ce moment à Homs constitue un modèle qui pourrait être utilisé ailleurs? Que pensez-vous de la situation là-bas?
Bien sûr que non. Nous ne demandons pas que les gens soient évacués de leur foyer. Nous voulons de l'aide, une aide humanitaire qui doit être acheminée dans leur village ou leur ville. Les évacuations ne régleront nullement le problème, et elles pourraient l'envenimer.
Quelle est la situation actuelle dans votre propre ville? Je crois comprendre que les femmes et les enfants ont été évacués, mais que les hommes ont été laissés là-bas. Quelle est la situation actuelle?
En fait, les gens, les femmes et les enfants n'ont pas tous été évacués à ce moment-là. Maintenant, le régime tente de les forcer en quelque sorte à se rendre. Il tient toujours les portes de la ville et la nourriture. Le régime oblige donc les gens à cesser le feu et leur conflit avec lui, à rendre toutes leurs armes et même à interrompre tout genre de mesures révolutionnaires pacifiques dans la ville. En retour, il a autorisé l'acheminement quotidien de petites quantités de nourriture dans ma ville, quantités qui ne suffisent même pas à préparer des repas.
S’ils bougent ou font quoi que ce soit que le président Assad trouve répréhensible, comme des manifestations, des soulèvements, il bloque simplement de nouveau les portes d’entrée de la ville et stoppe l’acheminement de la nourriture et des fournitures médicales vers la ville. C’est un peu une façon de forcer les villes à capituler. Il sait qu’il a perdu toute légitimité et qu’il serait incapable de convaincre les gens qu’il est le chef de la ville, mais il essaie de les forcer à se rendre pour faire semblant de remporter une victoire politique en contrôlant de nouveau ces endroits et ces régions. Lorsque ces endroits, ces régions, récupéreront leur pouvoir et se tiendront de nouveau debout, ils recommenceront à se soulever, à faire la révolution.
Nous allons maintenant passer à M. Anderson, qui est député ministériel et secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères.
Monsieur Anderson.
Je tiens à vous remercier d’être venues aujourd’hui. Comme Mme Laverdière l’a indiqué, nous sommes membres de partis politiques différents, mais je pense que nous vous sommes tous reconnaissants de nous avoir raconté votre histoire, et je crois que nous cherchons tous à déterminer comment le gouvernement canadien et nous, les Canadiens, pouvons faire de notre mieux pour vous aider.
Je désire vous remercier de votre courage.
J’aimerais commencer par parler du présent, puis retourner un peu en arrière. Je me demande simplement ce que l’avenir vous réserve. Que faites-vous en ce moment, et quelle forme pensez-vous que votre travail prendra dans un avenir plus ou moins rapproché?
En fait, nous résidons en ce moment à Istanbul. Nous préparons quelques activités à faire avec les enfants.
Nous planifions de retourner dans le nord de la Syrie. Nous savons que l’avenir sera difficile. Nous savons que des obstacles se dressent devant les Syriens, notamment la reconstruction de tout leur univers. L’environnement social, le tissu social, est complètement divisé et détruit. Nous savons que les choses seront plus difficiles pour nous, mais nous gardons espoir. Nous avons toujours la volonté de continuer. C’est comme si nous courrions dans un tunnel, dans le noir. Nous savons qu’il y a une lueur au bout du tunnel, et que quelque chose cherche à nous rattraper et à nous engloutir. Par conséquent, nous devons poursuivre notre course jusqu’à ce que nous atteignions le bout du tunnel.
Nous avons tous besoin que les gens autour de nous nous encouragent, et vous avez parlé de votre père et des valeurs qu’il vous a inculquées. Je me demande si vous pourriez nous parler un peu de ces valeurs. Quelles sont les valeurs qu’il vous a inculquées qui revêtent la plus grande importance à vos yeux?
Depuis mon enfance, mon père me raconte comment le régime, qui détient le pouvoir en Syrie, a commis bon nombre d’atrocités et de massacre à Hama dans les années 1980.
Personnellement, j’ai eu des démêlés avec le régime. Lorsque j’ai essayé de faire du bénévolat en Syrie, le régime a arrêté quelques-uns de mes amis. J’ai réalisé que, tant que le régime actuel ne serait pas renversé, je serais incapable de faire quoi que ce soit pour améliorer la situation en Syrie et bâtir le pays dont tous les Syriens rêvent.
Mon père avait l’habitude de m’amener voir des manifestations. Ma mère craignait constamment pour ma sécurité. Elle ne cessait de dire à mon père que sa fille prenait beaucoup de risques. Il lui répondait toujours de me laisser faire ce qu’il fallait pour mon pays. Bien qu’il s’inquiétait aussi pour moi, il ne m’arrêtait pas.
Ameenah, avez-vous quelque chose à ajouter à propos des enjeux qui importent, selon vous, ou des messages que votre famille vous a communiqués?
Comme je l’ai mentionné, mon frère qui a été tué avait trois enfants. Ahmad, qui était âgé de sept ans, a été tué avec ses parents, mais il nous reste encore Fatima, qui est âgée de huit ans, et Hanan, qui fêtera son deuxième anniversaire de naissance le jour de la prochaine fête des Mères.
Vous ne pouvez imaginer à quel point ces enfants sont forts. Certaines personnes nous rappelaient que cette situation dure depuis trois ans, que nous avons quitté le collège et que nous avons essuyé de nombreuses pertes. S’ils nous demandent si nous nous ennuyons, nous leur répondrons que, s’ils demandent à Hanan et Fatima comment elles se sentent, ils trouveront la réponse à leur question et de l’inspiration dans leur sourire.
Je tiens à ajouter que nous voulons que les Syriens et les gens du monde entier rendent leurs droits à tous ces enfants et vengent le sang de leur père et de leur mère. Ils ont besoin qu’on leur rende justice.
Permettez-moi de vous poser une question qui, selon moi, n’a rien à voir avec ce dont nous venons de parler. Je souhaite vous entretenir de la communication de votre message.
Je me demande quels moyens vous avez employés pour diffuser votre message, y compris à l’intérieur des villes. Toutes les communications électroniques sont bloquées, et vous avez mentionné des pannes d’électricité et des obstacles de ce genre. De quels moyens les gens disposent-ils pour communiquer avec le reste du monde, et comment pouvons-nous vous aider à assurer cette communication?
En fait, nous avons beaucoup de mal à communiquer à l’intérieur de la Syrie, en particulier dans la région assiégée et les villes révolutionnaires. Comme vous l’avez dit, l’électricité et les communications, y compris par Internet, ont été coupées. Nous avons beaucoup de mal à trouver de l’huile ou du mazout pour allumer les génératrices. Nous avions également l’habitude d’utiliser de nombreux chargeurs dans chaque maison. Nous avons donc tenté d’allumer les génératrices et de charger ces chargeurs et les batteries pour nous aider à poursuivre notre travail de communication pendant peut-être deux jours.
Le problème tient essentiellement au fait que bon nombre de régions en Syrie n’ont pas accès à Internet par satellite. Parfois, le régime bloque l’accès à Internet dans les villes. Il tente de tuer leurs habitants en silence. C’est vraiment un énorme problème. Parfois, il nous est impossible de découvrir ce qui se passe là-bas.
Nous souhaitons recevoir des moyens de communication, des appareils, etc., mais vous devez d’abord préparer le terrain pour permettre à ces appareils d’entrer dans les villes. Nous ne sommes pas morts de faim parce que nous n’avions pas de nourriture; il y avait de la nourriture à l’extérieur de la ville, mais nous n’étions pas autorisés à aller la chercher. Il en va de même pour les moyens de communication, les appareils, etc.
Nous avons transmis beaucoup d’information au cours des trois dernières années, et le monde entier a une bonne idée de ce qui se passe en Syrie. Ce n’est donc pas un problème.
Selon vous, quels groupes sont les plus dignes de confiance, les plus serviables envers vous et votre pays?
Il se peut que mon temps de parole soit écoulé.
Nous reprendrons cette question dans une minute peut-être.
Nous allons maintenant céder la parole à M. Garneau, qui est porte-parole de l’un des partis de l’opposition, à savoir le Parti libéral.
Monsieur Garneau.
Je vous remercie toutes les deux de comparaître devant nous. Vos témoignages sont très percutants.
Nous nous efforçons d’en apprendre davantage sur ce qui se passe en Syrie. Nous nous rendons compte que de nombreuses factions interviennent dans le conflit qui déchire votre pays. J’aimerais commencer par vous interroger à propos de l’organisation que vous représentez, à savoir la National Coalition of Syrian Revolution and Opposition Forces. Pourriez-vous nous dire quel est, selon vous, le principal objectif de votre organisation, de la coalition?
J’allais juste vous préciser, monsieur, que la coalition a contribué à financer leur voyage ici et à organiser certaines des réunions auxquelles elles ont été invitées. Cependant, elles ne sont pas membres de la coalition. Elles interviennent à titre de citoyennes…
Je suis désolé. J’ai omis de le faire au début. Je m’appelle Jason Hunt. Je suis agent des affaires gouvernementales au bureau du représentant de la National Coalition of Syrian Revolution and Opposition Forces aux États-Unis. Je me contente de les aider sur le plan de la logistique. Ce sont elles qui témoignent.
Je vous remercie beaucoup de cette précision. Est-il juste de vous poser des questions à propos de la coalition, ou connaissez-vous mal cette organisation?
Je suis désolée; nous ne sommes pas très renseignées, car nous avons quitté la Syrie il y a à peine trois mois. Nous nous concentrions sur notre travail sur le terrain.
Fort bien. Je tenterai donc de réorienter mes questions.
Bon nombre d’organisations et de factions se livrent bataille en Syrie et, d’après la deuxième série de pourparlers à Genève, nous remarquons que les différentes forces ne font pas nécessairement front commun. Avez-vous une idée de la part du conflit en Syrie qui oppose différentes factions, au lieu d’opposer des forces de l’opposition au régime Assad?
Je ne crois pas que les forces de l’opposition soient divisées. Elles ne sont peut-être pas aussi unies que nous l’aimerions, mais cela n’excuse pas, aux yeux du monde, ce qui se passe en Syrie. Ils affirment tout le temps que les forces de l’opposition ne sont pas suffisamment unies, qu’elles ne travaillent pas de concert, mais cela ne constitue pas une excuse.
Comme vous l’avez dit, monsieur, votre Parlement compte différents partis. Il en va de même de l’opposition syrienne.
Il y a différents partis qui pensent différemment, mais leur objectif est le même. Ils ont un objectif commun.
Sur le terrain, il peut arriver que les révolutionnaires syriens affrontent de nombreux autres groupes, mais ils sont tous contre le régime. Ils se battent contre le régime lui-même et contre la Garde révolutionnaire iranienne et le Hezbollah, qui sont tous deux reconnus dans le monde entier comme des terroristes. Il y a aussi l’EIIL, l’État islamique en Irak et au Levant, qui n’est qu’une autre incarnation du régime. L’Armée syrienne libre, qui se trouve dans le nord du pays, se bat contre l’EIIL à cause des activités terroristes menées par ce groupe, mais aussi parce qu’il a été démontré que le régime achète son pétrole auprès de l'EIIL. C’est ce qui nous fait dire qu’il s’agit en fait des deux côtés d’une même médaille. L’Armée syrienne libre et des [Note de la rédaction: Inaudible] modérés se battent contre des terroristes et de nombreux groupes qui participent à des activités terroristes.
Oui, l’impression qui se dégage des nouvelles en provenance de la Syrie, c'est qu’il y a — comment dire — plus de groupes radicaux, comme le Front al-Nosra, qui ne travaillent pas nécessairement avec l’Armée syrienne libre pour renverser le régime Assad. Dans certains cas, on a même insinué qu’ils s’étaient battus entre eux. Comment percevez-vous la situation?
En fait, ces groupes ne pourraient pas entrer en Syrie sans que le régime les y autorise. La communauté internationale n’a pas appuyé l’Armée syrienne libre dès le début. Lorsque ce sera le cas, Al-Qaïda et al-Nosra s’en trouveront aussitôt affaiblis.
J’ai une dernière question. Nous savons que des millions de Syriens ont été forcés de se déplacer non seulement à l'extérieur du pays, pour se retrouver en Turquie, en Irak, en Égypte, au Liban et en Jordanie, mais aussi à l’intérieur du pays.
Pouvez-vous nous parler un peu de ceux qui ont dû quitter leur maison et déménager ailleurs? Y a-t-il des régions tranquilles en Syrie, ou le pays tout entier est-il devenu dangereux?
Hormis les secteurs contrôlés par le régime et habités depuis le début par des partisans du régime, il n’y a pas de régions tranquilles en Syrie. En fait, il faut plutôt tenter de savoir comment le degré de danger varie d’une région à l’autre. Ainsi, une région très dangereuse a été assiégée et soumise à un pilonnage quotidien. Il y a des zones chaudes et des zones tièdes, mais on ne trouve, à l'heure actuelle, aucun endroit sécuritaire en Syrie.
Même les habitants qui ne sont pas assiégés sont coincés là où ils se trouvent. Ils ne peuvent pas aller ailleurs à cause des postes de contrôle. De nombreuses personnes, peut-être des centaines, voire des milliers — et des civils, pour la plupart — ont été victimes d'exécutions sommaires pratiquées aux postes de contrôle. C’est un autre problème.
Nous allons maintenant laisser la parole à Mme Brown, qui est secrétaire parlementaire du ministre du Développement international.
Merci, mesdames, d'être avec nous aujourd'hui.
Votre témoignage est très convaincant. Je peux vous assurer que le Canada surveille attentivement ce qui se passe en Syrie. C'est une situation qui nous préoccupe au plus haut point. Nous avons condamné les actes commis par les partisans des deux côtés, qui blessent, mutilent et tuent des gens partout en Syrie.
Sur une note plus personnelle, recevez nos sincères condoléances pour la perte de certains de vos proches.
Nous sommes convaincus que la situation sera réglée sous peu.
Ameenah, vous avez évoqué la nécessité, pour la communauté internationale, de réclamer un accès libre pour fournir de l'aide humanitaire. Nous l'avons réclamé à plusieurs reprises, mais nous avons constaté que les deux parties en cause s'opposaient à l'acheminement d'une telle aide à ceux qui en avaient le plus besoin. Avez-vous des suggestions pour nous aider à faire accepter notre offre et faire en sorte que les deux parties soient disposées à permettre l'entrée de l'aide humanitaire?
Le régime s'est opposé à cela, mais nous avons pu voir que les membres de l'opposition étaient tout aussi réfractaires à l'idée de permettre un accès libre à l'aide humanitaire. C'est très inquiétant, car nous savons qu'il y a des gens, dont beaucoup d'enfants, qui ont un besoin urgent de nourriture, certes, mais aussi de soins médicaux.
Compte tenu de votre expérience, auriez-vous des suggestions sur la façon dont la communauté internationale pourrait lancer un appel et faire en sorte que les deux parties acceptent de laisser entrer l'aide humanitaire?
Je dois avouer que le simple fait de surveiller attentivement la situation en Syrie et de la dénoncer n'est absolument pas suffisant pour aider le peuple syrien. Je sais pertinemment que ce n'est pas l'opposition qui empêche l'aide humanitaire de se rendre dans ces villes, car ces villes abritent les opposants du régime et ce sont eux qui ont besoin de cette aide. Coup sur coup, le régime essaie de trouver des façons d'empêcher l'entrée des convois dans les villes.
Je me souviens de la fois où l'ONU a envoyé un convoi à Mouadamiya. Le régime a dit: « D'accord, vous pouvez entrer dans la ville. » Mais une milice s'est interposée — je ne connais pas son nom; il s'agit d'une milice armée partisane du régime, mais qui ne fait pas partie de l'armée. Les hommes se sont dressés devant le convoi et ont ouvert le feu pour le forcer à rebrousser chemin. Ils ne lui ont pas permis d'entrer à Mouadamiya, même si nous pouvions le voir depuis les portes de la ville. Nous pouvions voir les camions et les autobus qui formaient le convoi d'aide et nous étions tellement heureux. Nous avions demandé aux enfants de s'apprêter à offrir des fleurs aux gens qui allaient faire entrer de la nourriture dans leur ville. C'est donc la mort dans l'âme que nous avons constaté que le convoi faisait marche arrière et qu'il n'allait pas se rendre jusqu'à nous.
Le régime est le seul à blâmer pour ces interventions qui privent les villes de l'aide alimentaire et humanitaire. L'opposition n'a aucun intérêt à empêcher que cette aide se rende jusque dans les régions assiégées.
Pardon. Permettez-moi de vous poser la question suivante: si la condamnation de la part de la communauté internationale ne produit aucun résultat en ce sens, que devrions-nous faire?
Tout d'abord, tous les organismes liés aux Nations Unies traitent encore avec le régime. Nous avons été terriblement choqués d'apprendre que des organismes comme le BCAH ou l'UNICEF accordent encore de l'aide au régime. Le président Assad donne cette aide à ses partisans. Je peux vous assurer qu'aucun des réfugiés qui ont fui les régions occupées n'en ont bénéficié.
Le régime donne toute l'aide à ses partisans. Il n'essaie pas d'entrer dans les zones occupées; il veille plutôt à en bloquer l'accès. Selon moi, l'organisation doit traiter avec les conseils locaux. Chaque ville a son conseil local pour s'occuper de la situation. Ces conseils sont bien organisés et ils font les choses correctement. Ils pourraient, par conséquent, servir d'interlocuteurs et s'occuper de l'acheminement de l'aide à la place du régime. La main qui nous tue ne peut pas nous nourrir.
Ma suggestion va encore dans le sens d'une pression réelle. Si on exerce de véritables pressions, on pourrait obtenir des résultats. Le monde entier pourrait pousser le régime à se rendre. La communauté internationale pourrait formuler de vraies menaces et se servir de la question des armes chimiques pour augmenter la pression. La menace d'un recours à la force serait également susceptible de faire en sorte que l'aide humanitaire se rende jusque dans ces villes.
Je veux dire très rapidement que j'ai, moi aussi, été impressionnée lorsque vous avez parlé de l'espoir et de la lumière au bout du tunnel. Dans cette optique, je me demande ceci: s'il vous arrive de rêver à la Syrie, à votre Syrie idéale de demain, à quoi ressemble-t-elle?
Un État de droit où règnent la justice et la démocratie comblera de joie tous ceux qui sont là-bas... Personne ne serait au-dessus de la loi et nul n'aurait le pouvoir d'agir comme bon lui semble. C'est ce que nous espérons: un État de droit.
C'est sur ce message d'espoir que nous devrions peut-être nous laisser.
Merci beaucoup de votre témoignage. Nous ne pouvons pas imaginer ce que vous avez dû endurer, mais ce dont vous venez de nous faire part est extrêmement précieux. Nous allons rédiger un rapport à l'intention du Comité des affaires étrangères et présenter des recommandations au gouvernement. Merci de votre aide.
Nous vous souhaitons bonne chance. Puissiez-vous un jour vivre dans une Syrie où règnent la primauté du droit et la démocratie.
Merci infiniment.
Mesdames et messieurs, reprenons nos travaux.
Merci à nos invités. Certains sont ici, à Ottawa, et d'autres se joignent à nous par vidéoconférence.
Ici, à Ottawa, nous recevons deux représentants du Comité central mennonite du Canada: Paul Heidebrecht, directeur du bureau local — heureux de vous voir — et Bruce Guenther, directeur.
Nous accueillons également deux témoins par vidéoconférence: de l'Oklahoma, Joshua Landis et, un peu plus loin de chez nous, de Prague, Andrew Tabler, un agrégé supérieur du Washington Institute for Near East Policy.
Nous allons procéder dans cet ordre, c'est-à-dire que nous allons commencer par nos invités d'Ottawa, puis passer à M. Landis, pour finir par M.Tabler, de la République tchèque.
Monsieur Heidebrecht, veuillez commencer. Vous avez 10 minutes.
Monsieur le président et distingués membres du comité, merci de nous avoir invités à discuter de la situation en Syrie.
Je représente le Comité central mennonite, le CCM. Je dirige notre bureau de défense des droits, qui se trouve ici, à Ottawa. Je suis accompagné de mon collègue Bruce Guenther, qui dirige notre programme d'aide humanitaire d'urgence. Bruce est posté à Winnipeg.
Je vais faire une déclaration préliminaire, et Bruce sera là pour répondre à des questions particulières sur les programmes d'intervention du CCM en réponse à la crise qui secoue la Syrie et ses voisins, la Jordanie et le Liban. Nous espérons que le point de vue d'une organisation non gouvernementale canadienne vous aidera pour l'examen de cette conjoncture très complexe.
Le Comité central mennonite est l'organisme de secours, de développement et de consolidation de la paix, qui relève de l'Église mennonite et de l'Église de la fraternité chrétienne du Canada et des États-Unis. Actuellement, nous appuyons des programmes dans 60 pays. Nous pouvons, à cette fin, compter sur les efforts de plus de 1 000 travailleurs et, au Canada, sur le soutien de plus de 13 000 bénévoles et 120 000 membres des églises qui nous appuient.
Le CCM travaille en Syrie depuis la fin des années 1980. Sa présence en Jordanie remonte à la fin des années 1960 et, au Liban, à la fin des années 1940. Je tiens donc à souligner, d'entrée de jeu, que l'intervention du CCM en Syrie s'appuie sur des partenariats de longue date. Nous ne sommes pas de nouveaux venus, et notre présence là-bas s'inscrit dans le long terme.
À preuve, pendant les deux décennies qui ont précédé le début du conflit en Syrie, le CCM accompagnait des partenaires locaux afin de les aider à établir des liens économiques, à combattre l'oppression et à pratiquer la non-violence. Grâce au financement et à la formation que nous avons accordés et par le recours à des bénévoles étrangers, nous avons établi des relations utiles avec certaines collectivités syriennes et avec des meneurs clés au sein de ces collectivités. Comme il ne nous est plus possible de grossir les rangs de notre effectif dans ce pays, ces mêmes partenaires sont en mesure de mettre en oeuvre la réponse du CCM en cernant les besoins et en veillant à la planification, à la coordination et à la prestation de l'aide là où elle aura le plus d'impact. C'est cet aspect qui fait souvent défaut aux autres organismes, qui peinent à obtenir un accès ou à fournir un soutien durable.
Au cours des deux dernières années, le CCM a consacré 15 millions de dollars américains à sa réaction à la crise en Syrie. De ce montant, on a attribué 8,2 millions de dollars aux programmes en Syrie, 4,8 millions de dollars au Liban et 2 millions de dollars aux programmes en sol jordanien. Nous saluons la générosité de l'appui canadien au CCM, qui s'élève jusqu'ici à près de 1,4 million de dollars en espèces. En outre, les partisans canadiens ont aussi donné des ressources matérielles d'une valeur de 1,8 million de dollars, ce qui a permis au CCM d'expédier un total de 31 conteneurs remplis de 83 000 couvertures faites à la main, de 83 000 trousses d'aide et d'hygiène préparées à la main et de 120 000 trousses pour écolier. Le soutien de nos partisans pour une crise de ce type a été vraiment exceptionnel. Nous sommes aussi très reconnaissants que le gouvernement du Canada nous ait permis d'améliorer notre intervention grâce à des contributions directes à plusieurs projets du CCM ainsi qu'à notre compte à la Banque de céréales vivrières du Canada.
Les programmes d'intervention du CCM pour la crise en Syrie comptent quatre volets. D'abord et avant tout, nous consacrons nos énergies à la prestation d'une aide humanitaire d'urgence. Jusqu'ici, plus de 13 000 familles syriennes ont reçu de l'aide sous forme de nourriture, d'articles non comestibles ou d'abris. Deuxièmement, à mesure que la crise s'étirait et que les besoins continuaient d'augmenter, nous avons mis l'accent sur le renforcement des capacités pour faire en sorte que notre intervention — et celle d'autres ONG, devrais-je préciser — soit plus efficace. Ces efforts comprenaient, entre autres, une formation sur la prestation d'aide humanitaire destinée à 130 Syriens, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de notre réseau de partenaires. Troisièmement, nous avons misé sur l'éducation, ce qui s'est traduit notamment par des une aide à la scolarité des enfants syriens et jordaniens et par un programme d'enseignement informel pour les étudiants réfugiés en Jordanie. Enfin, et c'est le quatrième volet, nous nous sommes efforcés de promouvoir la paix et de fournir un soutien psychosocial par l'entremise d'une formation qui a permis à près de 400 personnes d'acquérir des aptitudes pour la prévention des conflits et la consolidation de la paix, et d'une autre formation qui a permis à plus de 230 personnes d'acquérir des compétences pour repérer des traumatismes et y réagir.
Nous croyons que ces initiatives de prévention des conflits et de consolidation de la paix sont des aspects particulièrement intéressants de l'intervention du CCM.
J'aimerais vous donner un aperçu de l'un des projets que nous menons au Liban.
En septembre 2012, le Permanent Peace Movement — un organisme que le CCM a aidé à démarrer au plus creux de la guerre civile au Liban — a organisé une séance de formation et de dialogue étalée sur trois jours. Parmi les participants, on trouvait des représentants des sections jeunesse de chacun des 18 partis politiques du Liban. L'objectif était de nouer des liens entre les différents dirigeants de la jeunesse libanaise dans le but de prévenir la violence avant qu'elle n'éclate.
Fait remarquable, plusieurs mois plus tard et après de longues négociations, le même groupe a réussi à s'entendre sur un code de conduite civil qui condamne catégoriquement la violence sous toutes ses formes au sein des groupes d'étudiants. Il a été signé dans le cadre d'une cérémonie publique qui s'est déroulée à Beyrouth, le 2 décembre 2012.
Cela dit, je tiens également à souligner qu'on a évité des conflits et favorisé la paix par des moyens moins formels, grâce aux efforts de partenaires créatifs, courageux et débrouillards qui s'occupent de la mise en oeuvre de projets d'aide humanitaire du CCM en Syrie.
Pour vous donner un exemple plus détaillé, un organisme appelé le Forum for Development, Culture and Dialogue met en oeuvre le projet d'aide alimentaire d'urgence du CCM dans la région de Qalamoun, offrant ainsi un soutien à 5 000 familles qui ont fui la ville de Homs en 2012. Les paniers de nourriture remis à ces familles chrétiennes orthodoxes et musulmanes sunnites ont été multipliés de manières inattendues. La nourriture en soi a non seulement été partagée au-delà de ces familles, mais les relations interconfessionnelles que cela a permis d'entretenir se sont également avérées suffisamment solides pour résister à des épreuves importantes pendant plusieurs périodes récentes de conflit. Lors d'un incident marquant en octobre dernier, des membres armés d'un groupe d'opposition ont pris le contrôle de la ville de Deir Atiyeh. Peu de temps après, ils ont tenté de profaner l'église chrétienne. Toutefois, lorsqu'ils y sont entrés, ils ont rencontré un groupe de musulmans de la ville qui leur a dit: « Si vous voulez profaner cette église, vous devrez d'abord nous tuer. »
On entend rarement ce genre d'histoires, des histoires qui témoignent de la cohésion et de la solidarité entre musulmans et chrétiens dans un contexte de division et de crise, mais elles font ressortir le point le plus important, c'est-à-dire que les répercussions d'une aide humanitaire neutre et impartiale peuvent aller bien au-delà des objectifs manifestes d'un projet.
Je vais terminer notre déclaration avec quelques observations et recommandations.
Les principaux besoins humanitaires établis par les partenaires du CCM sont bien connus par les membres de votre comité ou le personnel du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement. Il s'agit notamment d'une aide pour loger, nourrir et éduquer les gens, ce qui s'aligne bien sur les priorités qui guident actuellement la réponse du gouvernement du Canada. Nous sommes reconnaissants du rôle de premier plan que joue le Canada en encourageant la communauté internationale à s'engager plus fermement à répondre aux besoins de plus en plus grands des habitants de la région. Nous sommes également ravis des efforts qui sont déployés pour offrir une aide humanitaire à l'intérieur de la Syrie et pour faire face à l'incidence à long terme des réfugiés syriens sur les collectivités hôtes des pays voisins.
Vous ne serez toutefois sûrement pas surpris de m'entendre dire que les partenaires du CCM nous rappellent quotidiennement que nous pouvons en faire davantage, tout comme notre gouvernement.
En matière de politiques, le CCM soutient également de nombreux aspects de l'approche du gouvernement du Canada à l'égard de la crise syrienne, et il y a encore davantage de mesures que nous aimerions qu'il prenne. Par exemple, nous avons bien aimé les déclarations du ministre des Affaires étrangères, et celles qui provenaient d'une Chambre des communes unifiée, selon lesquelles davantage de violence n'est pas la solution à la crise. À notre avis, décider de ne pas fournir d'armes aux forces de l'opposition ne signifie pas que notre seul choix est de rester les bras croisés, mais les autres options nécessitent de la créativité, des efforts et de la persévérance. Nous exhortons donc le gouvernement du Canada à en faire davantage sur le plan diplomatique pour en arriver à une résolution politique de la crise. Ce genre d'engagement est manifeste lorsque nous tenons compte de la contribution du Canada aux efforts visant à débarrasser la Syrie des armes chimiques. Nos partenaires se réjouiraient également de mesures concrètes pour s'attaquer à la façon dont les armes qui circulent librement menacent la stabilité de toute la région.
Cela dit, au-delà de ces vastes initiatives, nous pensons que les organismes partenaires du CCM démontrent clairement l'énorme potentiel des initiatives de consolidation de la paix auprès des chefs religieux et des organisations de la société civile en Syrie et dans les pays voisins. On ne reconnaît pas encore beaucoup ce potentiel, et la communauté internationale s'y intéresse peu. Comme l'a dit un de nos partenaires dans une réunion à Beyrouth plus tôt cette semaine, « la Syrie connaît encore une révolution tranquille et paisible sur le terrain, mais elle n'attire pas l'attention de la presse ».
Pour conclure, monsieur le président, j'aimerais inviter les membres de votre comité à mettre en évidence le rôle crucial que le Canada est en mesure de jouer pour faire face à la situation en Syrie, particulièrement si nous continuons d'accroître notre aide humanitaire et notre engagement diplomatique, et que nous trouvons de nouvelles façons d'appuyer les initiatives locales de consolidation de la paix.
Je vous remercie de votre attention. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
Nous allons maintenant entendre le témoignage de M. Landis. Je vous remercie de nous avoir remis une copie de votre présentation PowerPoint.
Vous avez 10 minutes. Allez-y, s'il vous plaît.
C'est un plaisir d'être avec vous.
Je vais diviser mon exposé en trois parties. Je vais d'abord consacrer trois minutes à un historique et à ma perception du conflit syrien; la deuxième partie traitera des principaux acteurs sur le terrain, de ce qu'ils veulent et du pouvoir qu'ils détiennent; et la troisième partie portera sur ce que les Occidentaux en général peuvent faire et sur les diverses possibilités qui s'offrent à eux.
Si nous commençons par une courte présentation PowerPoint, j'aimerais vous faire remarquer que la Syrie et l'ensemble de la région du Levant, c'est-à-dire l'Iraq, la Syrie, Israël, la Palestine et le Liban, ces régions de l'Empire ottoman, qui sont multiethniques et multiconfessionnelles, ressemblent beaucoup à l'Empire austro-hongrois et à l'Europe centrale après la Première Guerre mondiale alors que des États-nations étaient tracés. Ils étaient délimités autour de peuples qui n'avaient pas la même religion et, bien souvent, pas la même origine ethnique. Ils étaient censés s'entendre et former une nation, ce qu'ils n'ont pas fait.
Dans presque tous les pays, les minorités entrent en lutte avec la majorité, un peu comme vous l'avez fait en Europe centrale. La Première Guerre mondiale visait à délimiter les frontières et à démanteler un empire, tandis que la Deuxième Guerre mondiale avait pour objet le nettoyage et le réarrangement ethniques. C'était un grand tri. La plupart des minorités enclavées dans un pays ont disparu. C'est ce qui s'est produit en Pologne. Avant la guerre, les Polonais représentaient environ 64 % des habitants du pays, tandis qu'après, ils étaient presque 100 %. On a vu la même chose en Tchécoslovaquie: 32 % de minorités et, après la guerre, pratiquement aucune. C'est une sorte de nettoyage ethnique, un processus servant à bâtir un pays.
Nous voyons sensiblement la même chose sur les terres de l'ancien Empire ottoman. Au Liban, on a maintenu les chrétiens en place, et après le départ des Français en 1946, ils étaient la force dominante. Ils ont perdu le pouvoir après une guerre civile sanglante de 15 ans, pas complètement, mais presque. Et ce n'est pas encore fini. Les chiites, les maronites et les sunnites se disputent encore le pouvoir au Liban.
L'Iraq a connu la même situation. On a laissé au pouvoir une minorité sunnite après le départ des Britanniques au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, et les Américains ont aidé les chiites à prendre le contrôle. Soixante pour cent de la population étaient chiites, par rapport à seulement 20 % pour les Arabes sunnites. Une guerre civile fait maintenant rage entre les chiites qui cherchent à consolider leur pouvoir et les sunnites qui se défendent. Environ 1 000 personnes meurent chaque mois en Iraq à cause de cette guerre civile qui se poursuit entre groupes ethniques et sectaires.
C'est la même chose en Israël et en Palestine. Les Arabes et les Israéliens combattent, et les Israéliens sont en train de gagner. En 1948, ils formaient une minorité, qui comptait environ le tiers de la population. Ils ont depuis réussi à devenir la majorité. Les Palestiniens ont en grande partie perdu. Je ne pense pas qu'on optera pour la création de deux États. Ce sera peut-être le cas, mais il y a de fortes chances que ce soit un jeu à somme nulle pour les minorités.
En Syrie, les minorités religieuses représentent environ 20 % de la population. Les alaouites, la secte au pouvoir, si je peux m'exprimer ainsi, celle du président Bachar al-Assad, représentent environ 12 % de la population. D'autres groupes chiites sont au nombre de 4 ou 5 %, et il y a les chrétiens, qui représentent peut-être environ 6 % de la population. On parle habituellement de 10 %, mais il s'agit probablement d'environ 6 %. Il y a également les Kurdes, avec 20 %, et aussi 10 % de sunnites, mais c'est un groupe ethnique différent qui parle une autre langue. Ils se sont déjà déclarés autonomes dans l'extrême Nord-Est.
Si vous avez ma présentation PowerPoint, nous pourrions consulter une carte de la Syrie.
Si vous sautez la carte du Liban et celle de l'Iraq pour aller à celle de la Syrie, vous verrez une région kurde dans le Nord-Est. De toute façon, comme je ne peux pas voir où vous êtes, cela n'a pas d'importance.
On constate qu'il y a eu un grand tri. Les minorités représentent seulement 20 % de la population de la Syrie, mais elles disposent d'un pouvoir militaire, c'est-à-dire de l'armée syrienne, qui est maintenant devenue en grande partie une milice alaouite. Elles ont aussi un gouvernement centralisé et elles reçoivent de l'aide de l'Iran et de la Russie. Leur maintien du pouvoir leur accorde donc des avantages considérables.
Les Arabes sunnites représentent 70 % de la population syrienne, mais ils sont très divisés. À l'heure actuelle, il y a probablement plus de 1 000 milices actives en Syrie qui relèvent de plusieurs groupes de coordination. Le plus important, le Front islamique, qui a été formé en novembre et qui englobe un ensemble de milices, est un groupe très hétéroclite, mais largement salafiste. Il ne veut pas de démocratie, et ses dirigeants ont d'ailleurs affirmé que c'est une tyrannie exercée par ceux qui détiennent le pouvoir. Il préconise plutôt une forme de gouvernement islamique, au sein duquel les imams joueraient un rôle important dans la façon de trancher les questions constitutionnelles. C'est un groupe essentiellement antidémocratique.
L'opposition syrienne qui se trouve actuellement à Genève — une coalition de l'opposition syrienne qui se fait entendre — est favorable à la démocratie et largement composée de personnes exilées depuis des années qui ont étudié en Occident. Il s'agit d'une minorité si l'on tient compte de son pouvoir en Syrie. Sur le terrain, il y a des milices d'extrême droite associées à Al-Qaïda, l'État islamique d'Iraq et la Syrie, qui n'est plus liée à Al-Qaïda parce que même l'organisation terroriste considère qu'elle est trop violente. Il y a également Nusra, une autre milice importante qui contrôle une grande partie de la Syrie.
Si vous regardez la carte de la Syrie qui indique qui détient les diverses régions, et qui ne se limite pas à la zone kurde... Elle offre un portrait très avancé qui va au-delà des diverses milices. Vous verrez dans la zone contrôlée par les rebelles au nord et à l'est de la Syrie de larges bandes qui représentent diverses milices qui relèvent principalement du Front islamique et d'autres bandes qui représentent des groupes liés à Al-Qaïda, ou qui l'ont déjà été.
L'Armée syrienne libre, les groupes modérés que les États-Unis auraient pu armer pour tuer le plus grand nombre possible de membres de groupes islamistes et pour ensuite détruire Assad, est une minorité. Ces groupes sont faibles sur le terrain et même eux ont dénoncé les politiciens à Genève.
Il s'agit là de la situation très difficile qui attend John Kerry en Syrie. Le régime contrôle le Sud. Il contrôle l'Ouest. Il a détruit de grandes parties des trois villes importantes sous son pouvoir, Damas, Homs et Hama — trois des quatre plus grandes villes du pays — parce qu'il s'agit principalement de villes sunnites. Elles ont été pacifiées jusqu'à un certain point, mais le prix à payer sera toujours élevé. Le gouvernement est puissant. Contrairement à l'opposition, il a une force aérienne, des chars d'assaut, de l'artillerie.
C'est un conflit terrible et déchirant qui est essentiellement devenu une guerre sectaire et ethnique en Syrie.
Que doit faire l'Occident? Kerry est arrivé à Genève il y a un mois, et voici ce qu'il a dit: « Le problème, c'est Assad. Nous avons besoin d'un changement de régime. Assad doit quitter ses fonctions. » Cela équivaut à un changement de régime. Un cessez-le-feu et des négociations sur les enjeux humanitaires plus vastes ont une importance secondaire. Il faut d'abord changer le régime. Pourquoi? Parce qu'Assad est le superaimant du jihadisme. Tant qu'il sera au pouvoir, les jihadistes du monde entier se rendront en Syrie, ils infesteront le pays, et nous ne mettrons jamais fin à ce fléau.
Cela pose évidemment un problème aux Russes, qui veulent que la Syrie et le régime Assad survivent. Ils ont dit qu'ils se moquent d'Assad, ce qui est probablement vrai, mais ils veulent maintenir en place l'armée syrienne, qui reflète en fait Assad et la puissance alaouite, parce qu'ils espèrent qu'elle détruira ce qu'ils perçoivent comme le problème islamiste et jihadiste qui les tourmente en Russie. Ils essaient de convaincre les États-Unis qu'Assad restera au pouvoir, et qu'ils devraient se joindre à eux et au régime pour éliminer les jihadistes en Syrie et reprendre le pays.
Je ne pense pas qu'Assad pourra reprendre toute la Syrie. Il n'a tout simplement pas assez de forces militaires, et 70 % des Arabes sunnites ne l'aiment pas. Beaucoup d'entre eux continuent de travailler avec lui parce qu'ils ne savent pas s'il gagnera ou non. Certains n'aiment pas du tout les islamistes et continuent de l'appuyer, mais la majorité de la population considère que son gouvernement est tyrannique, destructeur et mauvais. Cela m'amène à...
Oui.
Essentiellement, cette situation pose un terrible dilemme aux Occidentaux car ils sont favorables à un changement de régime, mais ils ne sont pas prêts à éliminer les forces militaires d'Assad et sont très réticents à le faire. Les États-Unis ont dépensé 2 milliards de dollars pour la Syrie, ce qui équivaut à la somme versée tous les trois jours au plus fort de la guerre en Irak. C'est ce que nous avons dépensé en trois ans.
Il est évident que l'administration actuelle ne renversera pas Assad. Par conséquent, demander un changement de régime est une bonne façon de s'y prendre pour que rien ne soit fait. On met ainsi le problème de côté parce que les États-Unis ne se soucient pas beaucoup de la Syrie. Je pense que cela résume bien le problème. Cette guerre continuera de sévir parce qu'Assad a de puissants bailleurs de fonds et la plus importante présence militaire, mais une multitude d'Arabes sunnites ne l'aiment pas, et ils ont le soutien de l'Arabie saoudite et de nombreux autres régimes sunnites du Moyen-Orient.
À mon avis, il y a là tous les ingrédients d'un très long et terrible affrontement sectaire.
Merci.
Nous allons maintenant entendre notre dernier témoin, Andrew Tabler, qui se joint à nous de Prague. Avant que vous commenciez votre déclaration, j'aimerais tout d'abord vous remercier sincèrement, car je sais qu'il est très tard pour vous, et nous vous sommes très reconnaissants de rester réveillé pour comparaître devant notre comité.
Allez-y, s'il vous plaît.
Avec plaisir, monsieur le président, et membres du comité.
Je vous remercie de me donner cette occasion de témoigner devant le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes du Canada.
Depuis le début du soulèvement syrien, en mars 2011, j'ai eu plusieurs entretiens avec des députés canadiens, des membres du corps diplomatique, des représentants des services de renseignements, des forces armées, que ce soit à Ottawa, à l'occasion du Forum sur la sécurité d'Halifax, ou à Washington, sur la situation qui sévit en Syrie, qu'on peut désormais qualifier de crise, surtout après le témoignage qu'on vient d'entendre.
J'ai habité longtemps à Damas, et j'ai souvent rencontré des diplomates canadiens qui se disaient très préoccupés par les enjeux du Moyen-Orient et la sécurité nationale. Bien que j'aime participer à ces séances, si je suis ici aujourd'hui, c'est parce que le Canada est toujours demeuré un solide allié des États-Unis dans ce monde en constante évolution, où il n'y pas de solution facile lorsqu'il est question de politique étrangère, comme nous l'avons entendu auparavant.
La situation qui se détériore rapidement en Syrie représente non seulement la plus grande crise humanitaire d'une génération, mais aussi le problème le plus complexe à court et à long terme qui soit en matière de sécurité. Les efforts du régime du président Bashar al-Assad visant à mettre fin à ce qui a débuté comme des protestations pacifiques réclamant des réformes se sont plutôt transformés en guerre civile sanglante, où plus de 130 000 personnes ont été tuées et où entre le tiers et la moitié des 23 millions d'habitants de la Syrie ont été déplacés. La République arabe syrienne est désormais divisée en trois entités complexes dans lesquelles les organisations terroristes sont plus que présentes; elles dominent chaque région.
Dans la partie ouest, le régime Assad, qui est dominé par une minorité, s'accroche, non seulement au moyen de la létalité totale de son arsenal, comme le gaz toxique et les missiles Scud, mais aussi avec l'aide directe et la coordination des organisations terroristes désignées par les États-Unis, notamment le Hezbollah libanais soutenu par l'Iran, le Corps des gardiens de la révolution islamique iranienne, ainsi qu'un certain nombre de milices chiites de l'Iraq et de l'Afghanistan.
Dans le centre dominé par une majorité sunnite, les entités affiliées à Al-Qaïda, telles que le Front al-Nusra et l'État islamique en Iraq et au Levant, ont pris de l'ampleur face au massacre du peuple syrien par le régime Assad, la présence de forces soutenues par l'Iran, et la perception d'inaction de la part de la communauté internationale, surtout à la suite de la décision des États-Unis de reporter, du moins pour l'instant, les frappes en représailles à une attaque chimique contre des civils syriens.
Enfin, et surtout, dans le nord-est de la Syrie, le Parti de l’union démocratique kurde, le PYD, et le Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, dominent la région.
Plus la guerre perdure, plus elle devient sanglante et sectaire, particulièrement entre les alaouites et les autres factions minoritaires qui dominent le régime et les sunnites qui dominent l'opposition. Je parle ici en termes très généraux.
Les tensions et les violences entre les sunnites et les Kurdes sont à la hausse également, parallèlement à la croissance des factions d'Al-Qaïda dans le centre et le nord-est de la Syrie. La population chrétienne, quant à elle, se retrouve prise au beau milieu et redoute les éléments extrémistes au sein de l'opposition dominée par les sunnites, tout en sachant qu'il n'est pas dans son intérêt de rechercher la sécurité auprès du régime brutal d'Assad si elle veut assurer sa survie au Moyen-Orient, sans parler des enseignements de Jésus-Christ. J'ai étudié ses paroles et les valeurs qu'il nous a inspirées, et je partage entièrement les préoccupations des chrétiens. Je comprends très bien les dilemmes auxquels ils sont confrontés et auxquels ils continueront de faire face.
Le sectarisme s'est accru avec le soutien des partisans régionaux de chacun des groupes, d'un côté, l'Iran dominé par les chiites à l'appui du régime Assad et les forces chiites, et de l'autre, les pays du golfe arabe sunnite et de l'Afrique du Nord. Les gouvernements et des particuliers de ces pays font notamment des dons, et leur implication a pris une telle ampleur que cela a incité à l'extrémisme des deux côtés.
À bien des égards, la lutte pour l'avenir du Moyen-Orient entre l'Iran et les pays arabes se joue dans les rues, les montagnes et les champs de la Syrie, mais il ne s'agit pas des seuls intérêts en jeu. La Turquie et les Kurdes se disputent également le pouvoir et l'influence en Syrie. À l'échelle internationale, la Russie continue d'appuyer le régime Assad au moyen d'armes, et les pays occidentaux appuient les factions modérées de l'opposition en leur fournissant ouvertement une aide non létale et secrètement de petites armes et de la formation.
Les règles de Las Vegas ne s'appliquent pas en Syrie: ce qui se passe là-bas ne reste pas là. On assiste à un débordement, et je ne crois pas que la situation va changer de sitôt.
Comme on l'a souligné, la Syrie revêt une grande importance pour l'Occident et toute la région du Moyen-Orient, puisqu'elle se situe au centre de l'architecture de sécurité régionale, c'est-à-dire les frontières issues de la Première Guerre mondiale. La guerre syrienne résonne maintenant au Liban, à l'ouest, où les attaques terroristes se sont multipliées ces derniers mois, et elle secoue également l'Iraq, à l'est, où des attaques semblables ont été perpétrées.
Si les combats en Syrie ne cessent de s'intensifier et s'étendent au sud, jusqu'en Jordanie, qui accueille des centaines de milliers de réfugiés à l'intérieur et à l'extérieur des camps, puis au nord, jusqu'en Turquie, cela risque de menacer directement la sécurité des principaux alliés du Canada et des États-Unis, tout en compromettant les frontières actuelles dans la région du Levant et du Moyen-Orient.
Toutefois, la guerre syrienne pourrait s'exporter jusque dans les pays occidentaux. Selon des sources de renseignement américaines, certaines factions sunnites extrémistes en Syrie planifieraient de mener des attaques aux États-Unis et ailleurs en Occident. D'autres rapports révèlent que l'Iran, l'allié du régime Assad et un ennemi avoué des forces sunnites extrémistes, pourrait également appuyer ces éléments. D'autres indiquent que le régime Assad achète des produits pétroliers à l'État islamique en Irak et au Levant et s'abstient de cibler ses forces, et frappe plutôt les rebelles plus modérés appuyés par les pays occidentaux, soit une stratégie machiavélique qui incite à l'extrémisme. La Syrie est de plus en plus une zone nébuleuse au coeur du Moyen-Orient: un lieu où les règles habituelles ne s'appliquent pas.
Pour empirer la situation, les espoirs de transition en Syrie qui pourraient réunir le pays sont faibles. Le président Assad propose maintenant une solution forcée déguisée en plan de réforme axé sur sa « réélection » pour un troisième mandat. Aux dernières élections de 2007, il avait été réélu avec 97,62 % des voix. Compte tenu du niveau de brutalité d'Assad et de la nature minoritaire de son régime dominé par les alaouites, sans parler des manipulations des élections et des référendums précédents, c'est une cause perdue d'avance pour l'opposition dominée par une majorité sunnite. Étant donné que les forces d'Assad, même avec l'aide du Hezbollah et de l'Iran, semblent être incapables de reconquérir ce qui était jadis la République arabe syrienne et de maintenir ce pays uni, la mise en oeuvre du plan d'Assad signifierait une division de fait prolongée du pays. Un tel résultat entraînerait la misère humaine et l'anarchie, puis la Syrie deviendrait un refuge pour les terroristes.
L'époque des solutions faciles en matière de politique étrangère est révolue.
Je vais maintenant vous faire part de quelques recommandations précises, qui s'articulent autour de trois volets.
Ce n'est pas aussi simple que d'armer les rebelles ou de réélire Assad, comme les médias l'ont souvent rapporté, mais cela ne veut pas dire que l'Occident est à court d'options. La guerre syrienne va probablement perdurer encore des années, et il est important que le Canada et ses alliés explorent de multiples avenues afin de limiter les dégâts et, éventuellement, de mettre fin à la guerre en Syrie. La meilleure façon d'y arriver est d'adopter une approche plus audacieuse, à trois volets, qui consiste à s'attaquer d'abord aux premières menaces.
Premièrement, il y a la question des armes chimiques, à laquelle le gouvernement américain doit actuellement faire face, et la mise en oeuvre du Communiqué de Genève de 2012. Pourquoi est-ce que je mets les deux ensemble? Tout d'abord, aux États-Unis, on est de plus en plus préoccupé par la destruction des stocks d’armes chimiques en Syrie qui traîne sérieusement. Comme il fallait s'y attendre, la Syrie gère le calendrier d'élimination de ces agents chimiques, et il y a désormais Damas qui réclame que ses sites d'armes chimiques soient désactivés plutôt que détruits, comme le prévoit la convention relativement à l'interdiction des armes chimiques. Le régime Assad révise sa position. À la suite de la consolidation du contrôle du régime dans la moitié ouest du pays, cela nous laisse croire que le régime Assad tarde à s'acquitter de ses obligations afin d'obtenir des concessions des États-Unis et des 11 pays « Amis de la Syrie » concernant la formation d'un gouvernement transitoire en Syrie.
C'est là-dessus que je ne suis pas d'accord avec M. Landis. Je pense que les États-Unis veulent précisément une transition négociée en Syrie, et non pas un changement de régime comme en Irak, même si cette transition nécessiterait, à tout le moins, que le président Assad et sa famille, ainsi que les Makhloufs, ses cousins immédiats, quittent la Syrie. À part cela, les paramètres de cet accord ne sont pas clairs.
Afin de contrer ces pressions, les États-Unis et ses alliés devraient riposter contre Assad et se servir du respect de la convention sur l'interdiction des armes chimiques de la Syrie comme moyen de négociation pour qu'Assad se conforme à une transition en Syrie, comme le prévoit le Communiqué de Genève. Heureusement pour les États-Unis et le Canada, les règles établies par l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques et le Communiqué de Genève se retrouvent dans la même résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, la résolution 2118, qui peut être exécutée par des mesures aux termes du chapitre VII, comme l'imposition de sanctions et l'utilisation de la force, à la suite de l'adoption d'une résolution ultérieure en vertu du chapitre VII. Dans le cas où la Russie ou la Chine userait de leur droit de veto, nous devrions imposer des sanctions ou recourir à la force pour obliger Assad à respecter ses obligations et à renoncer à son arsenal d'armes chimiques. Le cas échéant, cela pourrait également favoriser une transition du pouvoir à long terme en Syrie fondée, en partie, sur le Communiqué de Genève.
Deuxièmement, il y a l'accès à l'aide humanitaire et l'évacuation. La situation humanitaire en Syrie se détériore rapidement. Le régime Assad continue d'utiliser la famine comme arme de guerre, ce qui viole non seulement la Convention de Genève, mais aussi le droit humanitaire international. Le Canada devrait appuyer et, si je ne me trompe pas, il appuie la résolution proposée par le Conseil de sécurité concernant l'accès à l'aide humanitaire en Syrie qui, soit dit en passant, fait également valoir le communiqué de Genève.
Troisièmement, il y a la lutte contre le terrorisme. Nous devons combattre le terrorisme à divers niveaux, notamment en soutenant, en collaboration avec les alliés régionaux, les éléments plus modérés de l'opposition aux dépens des extrémistes. Mais cela ne sera pas suffisant. Il faut également élaborer des plans et utiliser nos appareils — et ici je parle non seulement des missiles, mais aussi des drones — pour frapper tous les groupes terroristes désignés qui sont actifs en Syrie, peu importe de quel côté ils se rangent, et qui ont pour cible le Canada, les États-Unis ou d'autres pays étrangers. Ces démarches seraient fondées non seulement sur des évaluations du renseignement, mais aussi sur des renseignements qui sont du domaine public.
Une telle approche pourrait empêcher Assad d'utiliser des armes chimiques, qui pourraient tomber entre les mains d'acteurs non étatiques et de groupes terroristes, et d'assiéger une population affamée. Elle permettrait également d'empêcher, d'aliéner et d'éliminer les groupes terroristes qui oeuvrent en Syrie au sein de l'opposition et de la constellation des forces qui soutiennent Assad.
Les priorités que je vous ai énoncées auront sans aucun doute le temps de changer avant la fin de la crise syrienne, mais j'estime qu'elles constituent des piliers fondamentaux pour les actions présentes et futures.
Je vous remercie de l'intérêt que vous portez à mon témoignage. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Merci à tous nos témoins.
Je vais maintenant céder la parole à une députée de l'opposition officielle.
Madame Laverdière, vous disposez de sept minutes.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur le président.
[Traduction]
Merci à tous pour vos témoignages,
[Français]
Monsieur Heidebrecht, je vous remercie beaucoup de votre présentation, qui était fort intéressante. Je suis particulièrement impressionnée par ce que vous faites en vue de promouvoir une culture de la paix. On parle ici de peace building. J'aimerais qu'un jour on puisse en entendre davantage à ce sujet.
J'ai bien noté également votre appel à un engagement plus important sur le plan diplomatique afin d'endiguer le flot d'armes dans la région. Il y a aussi, évidemment, l'aspect financier. À cet égard, la quantité d'argent qu'on peut allouer pour aider à résoudre la situation terrible que connaît la Syrie est une question qui se pose, mais il y a aussi celle du processus.
Au cours des dernières semaines, plusieurs personnes impliquées dans le dossier m'ont dit que le processus manquait en quelque sorte de clarté, entre autres parce qu'on demandait souvent de répondre à des appels de propositions très rapidement, mais qu'on ne savait pas trop quand l'argent arriverait, quand les projets seraient approuvés et quand on pourrait mettre les programmes en oeuvre.
J'aimerais que vous me disiez si vous avez fait face à cette situation d'une façon ou d'une autre et, surtout, ce qu'on pourrait faire de plus pour améliorer la fluidité du processus?
[Traduction]
Merci beaucoup pour votre question.
Monsieur le président, je vais laisser mon collègue Bruce vous donner une réponse un peu plus approfondie.
Si j'ai bien compris, votre question porte sur le financement du gouvernement du Canada au CCM ou à d'autres ONG, en réponse à la crise syrienne.
Mme Hélène Laverdière: Oui.
Merci beaucoup pour cette question.
Nous sommes très encouragés que le gouvernement du Canada... qu'au cours de la dernière année, nous ayons eu quatre différentes occasions de soumettre des propositions. Au total, nous en avons présenté huit.
Il y a diverses façons d'améliorer la situation. Tout d'abord, le processus de prise de décision devrait être plus prévisible. La scène humanitaire évolue rapidement et les besoins sont très ponctuels. Alors s'il faut entre deux et trois mois pour prendre une décision, la situation a le temps de changer sur le terrain.
De plus, il faut répondre aux besoins en fonction des saisons. Nous sommes en train de nous préparer pour l'hiver en plein mois de février. Nous aurions aimé acheminer l'aide plus tôt.
Cela dit, avec les quatre dernières décisions qui ont été prises, nous sommes sur la bonne voie.
Merci beaucoup.
Je prends bonne note des besoins saisonniers. Lorsqu'on se prépare pour l'hiver, on devrait le faire idéalement à l'automne.
J'aimerais que vous nous parliez davantage du programme de guérison des traumatismes en Syrie.
Nous offrons de la formation sur le traitement des traumatismes à la fois aux réfugiés au Liban et aux dirigeants communautaires en Syrie. La formation comporte deux volets.
Tout d'abord, on veut former les personnes qui entrent souvent en contact avec des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays ou des réfugiés. Cela sert également de répit pour les travailleurs humanitaires. D'une certaine manière, on forme ces gens sur la guérison des traumatismes, mais on leur offre également un soutien psychosocial, étant donné le lourd fardeau qui pèse sur leurs épaules. Je pense entre autres à l'évêque Selwanos, dans la ville de Homs. Cet évêque orthodoxe enterre des gens à longueur de semaine. Quel type de soutien pourrions-nous lui offrir?
Sur le plan de la formation, mis à part le soutien psychosocial, il y a l'éducation. Ce que ce conflit et d'autres nous ont appris, c'est qu'il est important de garder les enfants à l'école et d'essayer d'établir autant que possible une routine. Nous avons pu apporter un soutien psychosocial à ces enfants dans le cadre du processus éducatif.
En effet, je pense que c'est une préoccupation que nous avons en commun. Ces enfants, qui sont marqués psychologiquement et souvent très peu scolarisés, risquent de devenir une génération perdue.
Pour revenir aux adultes, je sais que vous avez des partenaires en Syrie, notamment des églises et des groupes religieux. Nous savons que des attaques sont perpétrées contre des représentants et des chefs religieux. Croyez-vous que vos partenaires sont en sécurité en Syrie?
C'est une excellente question.
Évidemment, la sécurité de nos travailleurs humanitaires en Syrie nous préoccupe au plus haut point. Nous travaillons avec ces églises et nous avons des partenaires oecuméniques dans divers groupes confessionnels, tant en Syrie qu'à l'extérieur. Au cours du dernier mois, pendant une distribution de vivres qui se déroulait dans le sud, à Durah, deux travailleurs humanitaires du Conseil d'Églises du Moyen-Orient ont été tués par un tir de mortier.
Donc oui, nous craignons pour leur sécurité. Ces gens sont extrêmement courageux et ils tiennent absolument à faire ce travail. C'est plus fort qu'eux.
Lorsque nous collaborons avec nos partenaires, nous insistons sur l'importance de préconiser la sécurité et de demeurer flexibles lorsqu'il s'agit d'organiser les distributions de vivres. Cependant, étant donné qu'ils connaissent la communité et le système de gouvernance locale, ils sont prévenus des dangers potentiels et peuvent ainsi prendre des mesures de sécurité en conséquence. C'est l'avantage d'avoir d'excellentes relations avec des gens de la région.
Merci beaucoup, messieurs, d'être des nôtres aujourd'hui.
La situation est loin d'être encourageante.
J'aimerais poser une question à M. Landis à propos de la logistique militaire.
Vous avez indiqué, dans votre document, que l'opposition comptait quelque 100 000 combattants. Combien le gouvernement a-t-il déployé de soldats? À combien s'élève l'effectif de son armée?
Tout d'abord, sachez que ces chiffres sont fictifs. Je les ai indiqués parce que personne ne connaît les chiffres réels. Je tiens à préciser que ce sont des chiffres inventés, comme la majorité de ceux que vous verrez, étant donné que le nombre de miliciens change constamment.
On croit que le Front islamique compte entre 50 000 et 60 000 combattants, mais cela pourrait être plus ou moins 20 000. C'est là le problème. On ne nous donne pas de chiffres exacts. Toutes les milices exagèrent les chiffres; à les croire, elles regrouperaient probablement 250 000 combattants chacune.
Quant au gouvernement syrien, il est très difficile de savoir le nombre de combattants. Andrew pourrait peut-être m'aider à répondre. L'armée syrienne comptait peut-être 400 000 soldats avant le début du conflit. Bon nombre des recrues sunnites sont parties. Le gouvernement ne leur fait pas confiance de toute façon — ce sont en quelque sorte des soldats subalternes — parce que la guerre est devenue très sectaire. Le gouvernement s'est donc tourné vers les alaouites, les chrétiens et d'autres minorités pour regarnir les rangs de son armée. Le corps des officiers est très sectaire afin de préserver la loyauté. C'est pourquoi l'armée n'a pas déserté.
Oui. Le gouvernement obtient de l'aide du Hezbollah du Liban, particulièrement dans les combats qui ont lieu à proximité de la frontière avec le Liban. Nous avons vu que le Hezbollah était très impliqué dans la bataille de Qusayr. Le Hezbollah donne de la formation et des conseils, tout comme l'Iran. On y retrouve des soldats iraniens. Par conséquent, le régime syrien reçoit une aide considérable, des conseil et un appui... également en provenance de l'Iraq. Partout où il y a des chiites, il y a des volontaires. C'est en quelque sorte l'élément pan-sectaire de tout ce conflit.
Serait-il juste de dire que le nombre de combattants au sein du régime pourrait être quatre à cinq fois plus élevé que celui des rebelles?
Non, je ne crois pas. Les forces d'élite syriennes — les bonnes forces — regroupent probablement entre 60 000 et 70 000 hommes, mais il y a beaucoup d'autres personnes. On a mis sur pied des milices.
En fait, ce à quoi je veux en venir, c'est la situation des effectifs, la présence sur le terrain. De plus, le gouvernement a l'avantage de posséder des avions de chasse, des hélicoptères, des chars d'assaut et de l'artillerie. C'est un peu comme David contre Goliath, car les membres de l'opposition, comme vous l'avez mentionné, n'ont que de petites armes.
Ont-ils en leur possession des missiles aériens qui peuvent abattre des aéronefs? De l'armement lourd?
Les forces de l'opposition possèdent quelques armes lourdes, et elles en obtiennent de plus en plus. Elles disposent de beaucoup de mortiers, et ont quelques chars d'assaut. Elles installent souvent des fusils mitrailleurs à l'arrière de camionnettes; c'est le nouvel élément. Elles possèdent beaucoup de lance-roquettes, mais pas suffisamment de missiles anti-aériens. Elles ont réussi à abattre quelques hélicoptères, entres autres, à l'aide de lance-roquettes tirés à l'épaule.
On n'est pas en Afghanistan, où des missiles Stinger ont détruit l'armée soviétique. L'Occident n'a pas voulu qu'on en fasse entrer au pays, de peur qu'ils tombent entre les mains d'Al-Qaïda. On a exercé beaucoup de pression sur l'Arabie saoudite et sur les autres alliés des rebelles pour éviter que cette artillerie anti-aérienne avancée tombe entre leurs mains. Cela a durement touché....[Difficultés techniques: note de la rédaction]
La Croatie est au coeur d'importantes livraisons d'armes en Syrie. Elle expédie ses armes en Jordanie à bord d'avions saoudiens. Il y a des fusils qui arrivent de partout dans le monde. La Turquie et la Libye fournissent également des tonnes d'armes. On a même accusé la CIA d'avoir aidé à acheminer ces armes, et l'Arabie saoudite, et ainsi de suite. Qatar a également joué un rôle important. Il y a des armes qui arrivent de partout.
Selon vous, cette guerre va-t-elle durer encore longtemps? Cela ressemble à une guerre d'usure, avec une partie très armée qui affame la population. Y a-t-il une raison pour laquelle le président devrait abandonner le pouvoir? Cela nous donne l'impression qu'il va inévitablement remporter la victoire.
C'est le point de vue du régime et de la Russie. Il y a même des gens à Washington... C'est ce que pensent beaucoup de gens. L'ancien directeur de la CIA, Michael Hayden, était d'avis que le régime devait remporter la victoire, parce que ce qui le remplacera sera encore pire. Ryan Crocker, un de nos plus importants diplomates, abondait dans le même sens.
Toutefois, ce n'est pas l'opinion de la majorité. C'est une opinion qui est partagée par les services de renseignement et l'armée, parce qu'ils considèrent que les rebelles sont beaucoup trop dangereux et que s'ils réussissent à conquérir tout le pays, la Syrie deviendra un État défaillant. En même temps, c'est comme s'ils encourageaient les gens contre qui ils se sont battus en Irak. D'autres estiment qu'Assad est bien pire que les rebelles, qu'il est un tyran qui tue des gens en grand nombre, et que les États-Unis devraient le renverser.
Je crois qu'Assad ne peut pas gagner ni reconquérir toute la Syrie, compte tenu de la réalité ethnique et de la situation minoritaire. Je pense que ce qui va arriver et ce que les États-Unis devraient faire, c'est de réclamer un cessez-le-feu. Ainsi, les rebelles contrôleraient le nord et Assad garderait le contrôle du sud et de l'ouest. La difficulté, ce serait d'amener ensuite les rebelles à mettre en place un régime qui plaît à l'Occident. S'ils arrivaient à faire quelque chose d'acceptable avec la moitié de la Syrie, peut-être que le reste de la Syrie accepterait de s'y joindre, comme l'Allemagne de l'Ouest.
Merci, monsieur Landis.
Je vais maintenant céder la parole à M. Garneau.
Vous disposez de sept minutes.
Tout d'abord, je tiens à remercier le CCM pour l'excellent travail qu'il fait dans cette région depuis des décennies.
Je vais adresser mes deux questions à M. Tabler et à M. Landis. J'ai les deux mêmes questions à vous poser, alors je vous demanderais d'être brefs.
Tous les deux avez dressé un portrait de la situation qui s'apparente à une impasse, possiblement à une guerre d'usure. Les pressions exercées sur le régime ne donnent rien du tout; Assad n'a pas l'intention d'abandonner le pouvoir. La Russie semble continuer de l'appuyer solidement, sans parler de la Chine et de l'Iran.
Monsieur Tabler, vous avez notamment indiqué qu'une intervention militaire de la part d'autres pays, des pays occidentaux, pourrait être nécessaire, y compris l'utilisation de drones et de missiles de croisière. Croyez-vous qu'il faudra en arriver là pour briser cette impasse?
J'aimerais également que M. Landis réponde à cette question.
Souvenez-vous que j'ai une autre question à vous poser par la suite.
Ce qui me préoccupe le plus, c'est que nous devons absolument sortir les armes chimiques de la Syrie. Je pense qu'il y a un consensus sur cette question au sein de la communauté internationale et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle le président Barack Obama, qui a beaucoup de difficulté à utiliser son pouvoir militaire, a menacé de le faire. Nous avons vu ce que cela a donné.
On s'est entendu pour éliminer les armes chimiques en Syrie: 500 tonnes qui devaient être transportées avant la fin de l'année dernière, et un autre 700 tonnes au début de février. Ce sont des objectifs très ambitieux, et Assad a jusqu'au 30 juin pour les respecter. Le problème, c'est qu'Assad est en train de revoir sa position auprès de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques.
Le conflit que nous venons de décrire ne se déroule pas seulement en Syrie; plus le conflit s'enlise, plus les violences débordent sur les pays voisins. L'utilisation des armes chimiques est donc devenue une menace majeure à l'échelle planétaire, que ce soit par le régime Assad ou les rebelles. C'est notre principale préoccupation.
Pour être bref, l'utilisation de nos appareils et de nos drones dans des attaques s'inscrirait dans la lutte contre le terrorisme, et j'ai évoqué la nécessité d'élaborer des plans à cet égard. L'utilisation de ces appareils à long terme ne se fera pas librement; il faudra s'attaquer à des cibles très précises, selon chaque situation. Toutefois, nous sommes en face d'une situation critique qui nécessitera qu'on ait recours à cet équipement, directement ou indirectement.
Si vous voulez éliminer les armes chimiques, la meilleure façon d'y arriver, c'est en collaborant avec Assad. Il a proposé cette solution concernant la destruction de son arsenal chimique parce qu'il croyait que cela lui redonnerait sa légitimité. Si les États-Unis permettent à Assad de survivre dans les régions du pays qu'il détient déjà, je pense qu'il sera heureux de renoncer à ses armes chimiques, qui n'ont jamais représenté un élément important. Il veut gagner une stabilité et assurer sa longévité au pouvoir dans les régions qu'il contrôle. Si les États-Unis l'aident dans ce sens, Assad acceptera de se défaire de ses armes chimiques, et la Russie l'aidera à se reconstruire, ce qui fera de lui un homme heureux.
Je pense qu'Assad a compris qu'il ne peut pas reconquérir tout le pays. J'estime que la Russie et l'Iran seraient heureux de voir Assad survivre à Damas, parce que cela préserverait tous leurs intérêts nationaux, qui sont de pouvoir réapprovisionner le Hezbollah, les chiites au Liban, et pour la Russie, d'avoir une certaine emprise sur le conflit israélo-arabe et un port sur la côte pour pouvoir intervenir au Moyen-Orient.
Un changement de régime mettrait fin à ces réalités auxquelles aspirent tous les acteurs. Ils ne collaboreront pas avec les États-Unis, notamment en ce qui a trait aux armes chimiques, aux enjeux humanitaires ou au cessez-le-feu, tant qu'ils croiront que les États-Unis essaient de nuire à leurs intérêts.
Si on veut se défaire des armes chimiques, il faut d'abord traiter avec Assad. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il a présenté la solution au départ: il ne voulait pas être détruit.
Merci.
Admettons que, par magie, le régime Assad était renversé, étant donné le nombre de factions qui sont maintenant impliquées dans le conflit, quelle est la probabilité qu'on établisse une démocratie stable en Syrie? J'aimerais avoir votre impression là-dessus, en commençant par M. Tabler.
C'est une très bonne question.
Si on parle d'une démocratie libérale comme on retrouve en Occident, je pense que les chances sont très minces. En revanche, pourrions-nous avoir une gouvernance locale par le biais d'élections locales? Nous l'avons vu dans quelques régions. Ce qui est intéressant, c'est que même le président Assad, dans son plan de réforme, a évoqué la nécessité de tenir des élections locales et plus administratives, mais cela n'a rien à voir avec la direction du pays. En fait, ç'en est même très loin, et cela pourrait aboutir non seulement à une division de fait du pays, mais aussi à une division de droit dans le futur. Je ne dis pas que c'est ce qui va se produire, mais c'est une probabilité. L'analogie la plus souvent utilisée est celle des régions tribales du Pakistan, qui sont sous le contrôle de l'État, mais un contrôle très faible. C'est un phénomène auquel nous assistons non seulement en Syrie, mais dans tout le Moyen-Orient, car les régimes, bien qu'ils soient brutaux, sont souvent incapables de régler les problèmes démographiques et sociaux, entre autres, au sein de leur pays.
C'est mon humble prédiction à ce stade-ci.
Il est très improbable que la démocratie voie le jour en Syrie. Aucun des principaux intervenants n'aspire à la démocratie. Il y a beaucoup de gens qui aimeraient avoir un régime démocratique en Syrie, mais ils ne sont pas armés et n'ont pas de représentants politiques pour les aider à atteindre ce but.
Sachez que la Syrie est tellement divisée qu'il y a énormément de méfiance. Les gens s'accrochent à ceux qui peuvent les défendre. C'est le cas dans la région kurde; au sein des alaouites, nous voyons des chrétiens qui s'agrippent à Assad. Je pense que les sunnites font la même chose avec les dirigeants de leur milice, dont bon nombre sont très antidémocratiques et très peu susceptibles de se transformer en chefs démocratiques.
Je ne crois pas que cela soit probable. Je pense que si on détruit le régime Assad, on se retrouvera avec une situation chaotique qui durera pendant des années, compte tenu des nombreuses milices. C'est là le problème. Il n'y a pas vraiment de bonnes options qui s'offrent aujourd'hui aux États-Unis. Nous n'allons pas occuper la Syrie ni établir un gouvernement central comme nous l'avons fait en Iraq. La seule raison pour laquelle l'Iraq a maintenant un gouvernement central, c'est parce que les États-Unis ont désarmé et supprimé toutes les autres milices afin de construire un État. Cela ne va pas arriver en Syrie, et c'est pourquoi il risque de se produire la même chose qu'en Somalie. Les rebelles se battent entre eux depuis des mois et un grand nombre ont été tués. Je ne crois pas que la situation va changer sous peu.
Nous allons nous arrêter ici.
Je tiens à remercier tous nos témoins pour leurs témoignages très instructifs. Ils nous seront très utiles dans le cadre de nos discussions et, idéalement, de nos recommandations à l'intention du gouvernement. Je vous remercie beaucoup de vous être joints à nous aujourd'hui.
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